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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Positionnement de la gestion des achats Positionnement de l’ouvrage Séquence I : Utiliser la fonction Achats de façon stratégique Séquence II : Opérationnaliser la stratégie achats de façon appropriée Séquence III : La vision stratégique ou les résultats immédiats ? Notes de bas de page

    Stratégies d’achat

    Ce livre est recensé par

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    Introduction générale

    p. 5-13

    Texte intégral Positionnement de la gestion des achats Positionnement de l’ouvrage Séquence I : Utiliser la fonction Achats de façon stratégique Séquence II : Opérationnaliser la stratégie achats de façon appropriée Séquence III : La vision stratégique ou les résultats immédiats ? Notes de bas de page

    Texte intégral

    Positionnement de la gestion des achats

    1Chez les fabricants, les achats représentent entre 50 % et 85 % du chiffre de ventes. Dans la plupart des entreprises de services, ce nombre est évidemment beaucoup plus faible, puisque les salaires peuvent représenter près de 80 % des dépenses. Cependant, il n’en demeure pas moins que des achats effectués en fonction d’une stratégie claire et bien conçue peuvent générer des millions d’euros en économies, mais aussi permettre une stabilité des relations avec des fournisseurs-clés.

    2Le domaine des achats existe depuis toujours ; cependant, l’intérêt du milieu académique et des chercheurs n’a pour ainsi dire débuté qu’il y a à peine 60 ans, sous l’instigation de Wilbur B. England, un Américain qui a dirigé la thèse d’un Canadien appelé à devenir la sommité mondiale du domaine (et qui fut mon directeur de thèse), Michiel R. Leenders. Progressivement, un nombre grandissant de chercheurs se sont intéressés au domaine, d’abord surtout aux États-Unis, puis tout particulièrement en France, en Angleterre, en Allemagne et en Hollande. D’ailleurs, le nombre d’étudiants de doctorat ayant rédigé leur thèse dans le domaine des achats croît, ce qui démontre l’intérêt du milieu académique pour ce domaine.

    3Il est important qu’il y ait une symbiose entre les efforts faits par les chercheurs et les gestionnaires œuvrant en achats afin que le domaine des achats se développe et soit de plus en plus reconnu, tant à l’interne dans les organisations, qu’à l’externe. Ceci a été progressivement mis en place tant par des gestionnaires proactifs que par des chercheurs intéressés à un domaine où il reste encore beaucoup à faire.

    4Comme dans tous les domaines, certains thèmes attirent davantage les chercheurs que d’autres. À titre d’exemple, il y a eu des vagues d’articles en achats sur les thèmes suivants : le juste-à-temps (fin des années 1980 et début des années 1990), les achats stratégiques (du milieu des années 1990 jusqu’en 2010, quoique le thème continue de susciter de l’intérêt) et les achats tenant compte de l’environnement, puis du développement durable (surtout à compter du milieu des années 2000). Comme nous le verrons dans le quatrième chapitre, il est facile de suivre les tendances et paradigmes, tant dans la pratique que dans l’orientation de la recherche. Cependant, il existe d’autres intérêts possibles et justifiés.

    5Dans toute organisation, le succès dépend d’une stratégie claire, mais aussi très bien suivie, en autant que les gestionnaires des différentes fonctions et la direction générale sachent s’adapter au contexte qui change rapidement. Ceci est tout aussi vrai pour le domaine des achats. Il est habituellement facile d’acheter lorsqu’on dispose de fonds suffisants ; cependant, la situation est toute autre lorsqu’on semble être un client de moindre importance ou que ce sont les fournisseurs qui dominent un marché. C’est vraiment quand les circonstances sont plus difficiles que l’on voit comment une stratégie d’achats à la fois solide et flexible peut permettre à une organisation de se distinguer de ses concurrents.

    6Mais qu’est-ce qui rend un tel avantage concurrentiel possible ? Plusieurs composants de la stratégie, dont les suivants, fournis à titre illustratif et sous forme de questions (certains sont repris dans les chapitres de cet ouvrage) :

    • Faut-il faire à l’interne, acheter, ou bien encore utiliser une combinaison des deux options, par exemple pour conserver les compétences-clés à l’interne ?
    • Le fait de faire affaires avec tel ou tel fournisseur permettra-t-il de se distinguer face aux concurrents ?
    • La formation des acheteurs doit-elle être axée avant tout sur le volet stratégique ou sur le volet opérationnel ?
    • Comment définir ce qu’est un « juste prix » ?
    • Quel poids relatif devrait-on accorder au critère de développement durable dans le choix des fournisseurs ?
    • Comment devrait-on mesurer la performance d’un service d’achats : par les économies réalisées ou selon d’autres critères également ?

    7Il ressort de ces questions que le domaine des achats est complexe, mais certes fort intéressant, tant en termes de recherche que dans son utilisation de façon appropriée dans les organisations. Pour ce faire, il faut viser à la fois l’efficience des ressources utilisées que l’efficacité (l’atteinte des objectifs visés). C’est à ce type de questions que le présent ouvrage vise à répondre, en présentant certains articles davantage conceptuels, mais d’autres qui s’appuient sur ce que des gestionnaires en achats ont fait, avec un niveau de succès parfois limité : mais on apprend souvent davantage de ses erreurs que de ses réussites…

    Positionnement de l’ouvrage

    8Comment choisir de façon appropriée la douzaine d’articles qui pourraient le plus mettre en évidence à la fois le rôle stratégique de la fonction achats1 et l’importance de son opérationnalisation appropriée ? En faisant le choix d’articles qui vont permettre au lecteur de bien saisir ces deux volets essentiels à une saine gestion des achats. Pour ce faire, nous avons également pris soin d’utiliser un séquencement d’articles qui permette de bien saisir la pensée de l’auteur de cet ouvrage pour qui on ne peut parler de stratégie sans l’opérationnaliser. C’est également pour cette raison que l’ouvrage est scindé en trois séquences totalisant 13 chapitres.

    Séquence I : Utiliser la fonction Achats de façon stratégique

    9Mon intérêt pour le domaine des achats remonte à mes études de doctorat, alors que j’ai écrit une thèse intitulée Client strategies in the management of the audit process (Nollet, 1983). Il s’agissait en fait d’une application de stratégies utilisées par les entreprises lors de l’acquisition de services d’audit comptable ; ce dernier domaine était celui où j’avais œuvré durant cinq années, ce qui m’a permis de discuter de façon plus solide avec les gestionnaires rencontrés. L’un des volets les plus intéressants était celui de la décision par les responsables de la comptabilité de préparer un nombre plus ou moins élevé des feuilles de travail requises par les auditeurs ; en fait, il était clair que certains voulaient en faire le moins possible afin de se concentrer sur les activités principales de leur organisation, alors que d’autres se faisaient un point d’honneur de préparer tout ce qui pouvait l’être. Mais c’est l’existence d’une catégorie intermédiaire qui fut la plus révélatrice : quels facteurs influençaient la décision des gestionnaires d’en faire moins que ce qu’ils pouvaient faire et comment décidaient-ils quelles feuilles de travail préparer ? On se retrouvait donc en présence non seulement d’une décision bien connue alors – le make or buy – mais aussi d’une zone intermédiaire qui démontrait qu’il existait plusieurs alternatives ; en fait, autant de choix possibles que le nombre de feuilles de travail (62) qui pouvaient être préparées. De plus, il s’agissait d’une activité dans le domaine des services, alors que le peu de recherches alors disponibles faisaient état de choix « make or buy » dans des entreprises de fabrication.

    10Cette thèse a donc ouvert la porte à un article intitulé « The gray zone in make or buy », qui fut publié en 1984, en collaboration avec mon directeur de thèse, le professeur Michiel R. Leenders, de la Business School de l’University of Western Ontario et qui devient ici le premier chapitre. En plus de l’existence de ladite zone grise, nous avons également développé l’idée de l’appliquer à une gamme de produits dans le contexte d’une entreprise de fabrication ; en fait, chacune des étapes du processus de fabrication pour chacun des produits pouvait être réalisée à l’interne ou sous-traitée. Il en résultait donc une gamme d’options très intéressante pour toute organisation, puisque dans de nombreuses situations l’option retenue semblait être surtout d’acheter ou de fabriquer à 100 %.

    11Quelques années plus tard, des chercheurs du domaine des technologies de l’information ont décrit ce qui semblait être une tendance dans leur domaine, soit d’impartir des activités secondaires à des organisations (surtout situées à l’étranger) qui pouvaient les réaliser à un coût moindre. Puis, au cours de la décennie suivant la publication de l’article susmentionné, sont survenus trois développements importants dans le domaine de la gestion :

    1. des activités plus importantes étaient aussi confiées à des tiers ;
    2. la notion de « cœur de métier » fut vraiment mise de l’avant ;
    3. des entreprises poussant l’idée d’impartir à des tiers la quasi-totalité des opérations virent le jour et devinrent dans certains cas des modèles mis en évidence.

    12Évidemment, il y a alors un danger que les connaissances de pointe ne soient plus disponibles dans certaines organisations, puis dans certains secteurs. Pourtant, en théorie, chaque organisation y trouve son compte, et ce, pour le bénéfice des actionnaires. Mais qu’arrive-t-il quand de nombreuses organisations utilisent la même stratégie ? Il y a un risque important pour les organisations – mais aussi pour les industries nationales – que la compétence requise pour faire à l’interne soit à tout jamais perdue. C’est toute la réflexion autour de cette thématique qui a donné lieu au chapitre intitulé « Impartition : stratégie ou tragédie concurrentielle ? ». En fait, qui bénéficiait réellement des choix faits au niveau des organisations : ces dernières seulement ou la société également ?

    13Mais il ne fallait pas penser que l’impartition à des fournisseurs qui cherchaient à démontrer que leur compétence et leur niveau de qualité étaient supérieurs à ceux de l’organisation qui envisageait impartir, alors que leurs coûts étaient inférieurs, allait se refléter dans chacune des situations d’impartition. Au fil des années, il commençait à y avoir des articles professionnels qui faisaient état de certains défis, surtout au plan du contrôle des devis et de la non-atteinte du niveau de qualité ou de service visés. Cependant, en termes relatifs par rapport au nombre encore élevé de décisions d’impartition, il ne semblait guère y avoir de décisions allant dans le sens inverse ; pourtant, certaines statistiques faisaient même état de 60 % et même de 70 % d’organisations insatisfaites des résultats de la décision d’impartition. Qu’allait-il se passer ? Sur la base de la zone grise et du fait que les gestionnaires pouvaient avoir changé entre le moment de la décision d’impartir et la présente situation vécue, il fallait considérer revenir à ce qui était fait initialement, soit de fabriquer à l’interne.

    14C’est ce type de décisions qui s’appelle « désimpartition » et qui est discuté de façon détaillée dans le chapitre intitulé « Après l’impartition… la désimpartition ? ». Quoique maintenant cette stratégie soit considérée comme bien connue, elle l’était beaucoup moins au moment de cette publication. Il n’est guère facile de se réapproprier des activités, car, après plusieurs années, il faut développer à nouveau les compétences à l’interne, surtout quand une organisation n’a pas opté pour conserver chez elle certaines décisions et compétences fondamentales. En fait, les raisons pour désimpartir sont à peu près les mêmes que celles pour impartir, coût et qualité en tête. Cependant, il est intéressant de constater qu’alors que la décision d’impartir n’a pas toujours été prise avec une orientation stratégique suffisante, celle de désimpartir est davantage prise avec la stratégie en tête ; c’est comme s’il y avait eu un apprentissage organisationnel à ce niveau. De plus, il semble que les gestionnaires n’optent pas nécessairement pour tout rapatrier à l’interne, ayant mieux considéré le cœur de métier de leur organisation. Par conséquent, les principes de la zone grise sont davantage tenus en compte et peuvent être mieux appliqués.

    15Quand des concepts aussi importants que l’impartition et la désimpartition prennent l’avant-scène, il est clair que certains gestionnaires les adopteront sur la base que d’autres ont bien réussi en le faisant. Pourtant, les circonstances peuvent être fort différentes, malgré que le secteur d’activités puisse être le même. C’est ce type de réflexion, appuyé sur des discussions au fil du temps avec des gestionnaires du domaine des achats, qui a donné lieu au chapitre « Gestion des achats : aller au-delà des tendances et paradigmes ». Les deux tendances retenues dans cet article sont celles de l’impartition/désimpartition et de la centralisation / décentralisation, deux tendances lourdes en achats, certes, mais aussi dans le domaine de la gestion en général. Quand on regarde de près ce qui se passe dans le monde des affaires face à ces deux volets, on peut souvent déceler des tendances soit globales, soit dans un secteur spécifique. D’ailleurs, que fait souvent un président d’entreprise nouvellement nommé ? Restructurer l’organisation Maintenant s’y rajoute le volet devenu plus évident qu’auparavant, soit celui de « cœur de métier », souvent redéfini au fil du temps ou/et selon les circonstances perçues et, parfois même, souhaitées.

    16Bien qu’il soit aisé en rétrospective d’examiner si telle décision semblait justifiée ou non, les défis croissants dans l’environnement de gestion laissent de moins en moins de temps aux gestionnaires pour prendre des décisions éclairées. Il serait aisé de dire que les technologies d’information, l’intelligence artificielle et d’autres outils peuvent faciliter la prise de décisions dans un univers complexe. Cependant, cela demande aussi du jugement et de l’intuition, car une fois qu’on opte (par exemple) pour centraliser et désimpartir, il n’est guère aisé de revenir sur ses pas, car il s’agit de décisions éminemment stratégiques. Évidemment, quand on parle de ces deux concepts essentiels en gestion, on réalise que le domaine des achats est grandement influencé par la stratégie organisationnelle ; cependant, la fonction achats peut elle aussi influencer la stratégie, non seulement de façon globale, mais aussi par des décisions et gestes spécifiques. C’est pour cela que nous avons opté pour des articles, dans les deux séquences suivantes, qui font le lien avec l’opérationnalisation de la stratégie des achats et le caractère à plus ou moins court terme des décisions prises par les gestionnaires.

    Séquence II : Opérationnaliser la stratégie achats de façon appropriée

    17Définir clairement une stratégie des achats est une chose, la mettre en œuvre en est une autre. Constatant que le mot « stratégie » était galvaudé – quand on veut qu’une idée soit perçue comme importante, il est facile de lui attacher le mot « stratégique » –, nous avons abordé cette notion en y ajoutant également une autre considération. En effet, de plus en plus, les auteurs et les acheteurs utilisent non plus seulement le terme « stratégie » comme étant la direction globale orientant la prise de décision, mais également le terme « stratégies » pour les divers moyens utilisés pour permettre d’atteindre les objectifs visés par la stratégie fonctionnelle du domaine des achats (la même problématique est vérifiable pour les autres fonctions d’une organisation). Cet état de fait a donné lieu au chapitre intitulé « About “strategy” and “strategies” in supply management ».

    18En s’appuyant sur les écrits réalisés au cours des décennies précédentes, nous avons illustré l’évolution de la fonction achats d’un support plutôt clérical et passif vers une contribution axée sur la valeur ajoutée. Bien évidemment, il faut non seulement des gestionnaires, mais aussi du personnel et des systèmes qui permettent de tirer profit de ce type de contribution. De plus, l’article fait le point sur les types de contributions de la fonction achats, en ne qualifiant que le premier type comme étant véritablement stratégique : stratégique (impartition, sélection de fournisseurs), tactique (benchmarking, gestion de contrats) et opérationnelle (qualité, quantité). Il peut sembler surprenant de diviser de façon aussi catégorique les types de contribution, d’autant plus qu’ils se chevauchent en pratique. Mais, à tout le moins, tout n’est pas stratégique.

    19Pour reprendre l’exemple fourni un peu plus haut quant au type de décisions stratégiques, soit celui de sélection des fournisseurs, il est clair que certains types de décisions de cette nature sont plus stratégiques que d’autres ; c’est pourquoi il y a des catégories de fournisseurs, au même titre qu’il y a des catégories de clients. La façon de les traiter et le temps consacré aux relations avec eux varieront donc grandement. Au moment de commencer cette réflexion suivie d’une recherche empirique sur le thème de client privilégié, il y avait très peu d’écrits sur le sujet. C’est d’ailleurs cet état de fait et l’importance grandissante de fournisseurs-clés dans un contexte de rareté des ressources et des compétences qui nous a poussés à écrire le chapitre « Becoming a preferred customer one step at a time ». Il pourrait paraître surprenant à des gens de marketing de ne pas « se vendre » en tant que fournisseurs, mais les acheteurs ne sont pas habitués à jouer ce rôle. Pourtant, les excellents fournisseurs sont de plus en plus en demande, surtout avec la recherche de fournisseurs à l’échelle planétaire, plus seulement au niveau national.

    20Il existe plusieurs dizaines de moyens pour attirer l’attention des fournisseurs auprès de qui une organisation veut se distinguer des autres clients existants ou potentiels. Chose surprenante, certains des directeurs et directrices achats interviewés suite à la publication de cet article ont admis ne pas savoir précisément comment parvenir à faire de leur organisation un client privilégié. L’un des répondants avait même embauché une firme de consultants pour l’aider à déterminer comment devenir un client privilégié. Sans doute qu’une autre façon de voir cette réalité est qu’à tout le moins cette organisation reconnaissait le caractère stratégique de la contribution de certains fournisseurs : d’ailleurs, il est intéressant de constater que les gestionnaires achats ont de plus en plus souvent à comparaître devant le comité de gestion des risques des organisations. Voilà une belle occasion de démontrer le rôle stratégique de la fonction achats

    21Mais il arrive aussi qu’une organisation tire avantage de son pouvoir vis-à-vis ses fournisseurs, ce qui peut sembler tout à fait normal. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que dans la plupart des marchés, il y a alternance entre qui – entre le fournisseur et le client – détient le plus de pouvoir. Cette simple réalité justifie de bien traiter tous les fournisseurs, même ceux qui semblent n’avoir qu’une contribution opérationnelle et non stratégique. Le chapitre intitulé « Issues on partnering : evidences from subcontracting in aeronautics » s’appuie justement sur la situation d’un grand donneur d’ordres qui fait affaire avec des fournisseurs de taille moyenne de niveau stratégique, tactique et opérationnel ; chacun des trois types de fournisseurs perçoit que la grande entreprise utilise beaucoup trop son pouvoir pour leur imposer ses conditions, alors que le donneur d’ordres ne voit pas du tout cette situation de la même façon.

    22On peut saisir ici ce qui semble être l’inverse de la situation où une organisation cherche à devenir un client privilégié. Pourtant, quand on observe les changements survenus dans cette industrie sur une période de 25 ans, on réalise que cette grande entreprise a effectivement eu durant plusieurs années énormément de pouvoir par rapport à ses clients et ses fournisseurs, alors que durant quelques années, le carnet de commandes était plutôt mince et qu’elle a dû assouplir grandement son approche face aux fournisseurs, surtout face à ceux qui furent identifiés comme « stratégiques ». En fait, alors que les dirigeants semblaient avoir pris pour acquis que tous les fournisseurs voudraient faire affaire avec elle, les conditions économiques plus difficiles lui ont permis de constater que ce n’était pas le cas.

    23Il survient des situations où les circonstances sont très différentes des situations d’acquisition plus typiques. C’est ce qui arrive quand une organisation est temporaire, avec une date fixe pour la fin d’un projet. Nous avons donc voulu étudier comment de telles caractéristiques allaient influencer la gestion des achats ; c’est ce qui a donné lieu au chapitre « La relation client-fournisseur dans le contexte des grands événements sportifs : le cas des Jeux Olympiques »). Il s’agit là de l’une des activités avec le plus de visibilité et, bien évidemment, les fournisseurs cherchent à y être associés, tout en fournissant une prestation sans faille. Bien sûr, une telle approche facilite la recherche de fournisseurs, d’autant plus que plusieurs fournisseurs importants sont déjà imposés, étant associés aux Jeux Olympiques, peu importe où ceux-ci ont lieu. Mais il faut aussi des fournisseurs nationaux et d’autres pour des articles et services très spécifiques et parfois requis très rapidement.

    24On réalise que dans un tel contexte, il faut prendre des décisions et agir rapidement, car la date des Jeux est déjà déterminée et toutes les activités doivent se tenir au moment prévu, sans anicroche. Dans le cas du fournisseur national avec qui nous avons pu discuter, il fut mentionné que les meilleures ressources furent attribuées au projet « Jeux Olympiques » et qu’au besoin, certaines personnes déménagèrent à Vancouver durant quelques années pour occuper un poste à temps plein sur les lieux même de ces Jeux d’hiver qui se sont tenus dans cette ville en 2010. Malgré ce qui pourrait sembler plus facile pour le service des achats, il n’en était rien à d’autres niveaux : non seulement le volet « temps » était-il de plus en plus serré, mais des contraintes particulières devaient être prises en compte, par exemple le rôle important de certains autres départements qui pouvaient même obliger le département des achats à choisir tel ou tel fournisseur associé aux Jeux. Évidemment, comme les Jeux Olympiques constituent avant tout un projet, toutes les notions associées à ce type d’organisation sont de mise. En ce sens, le contexte vécu par les acheteurs œuvrant pour une organisation sans durée de vie limitée et avec du personnel plus stable est fort différent. Dans ce cas-ci, la plupart des membres des services doivent apprendre rapidement et travailler les heures requises pour que tout puisse être réalisé dans les temps et, de plus en plus, dans les coûts. Et, suite à la fin des Jeux, presque tout le personnel qui a acquis plusieurs compétences quitte pour d’autres organisations, puisque le Comité organisateur initial est finalement dissous lui aussi.

    25Quoique prétendent les gestionnaires des achats, c’est souvent le critère de coûts qui sert à justifier les choix de fournisseurs ou encore la stratégie des achats retenue, incluant l’impartition. Dans un secteur comme celui de la santé, un type de structure est apparu il y a plus d’une centaine d’années, soit celle du regroupement d’achats. Pourtant, peu d’études avaient été réalisées quant au développement et aux défis associés à une telle approche. C’est ce qui a donné lieu à une recherche approfondie sur les regroupements d’achats dans le domaine de la santé. Le chapitre retenu pour cet ouvrage-ci s’intitule « Tirer le plein potentiel d’un groupe d’achats » ; il y est fait mention des principaux facteurs influençant l’étendue des bénéfices que l’on peut retirer d’un groupe d’achats. Ces facteurs comprennent entre autres la structure adoptée, les ressources déployées et la nature des relations avec les fournisseurs. Pourquoi souligner ces facteurs ? Entre autres parce qu’ils illustrent comment la fonction achats peut utiliser différents moyens à sa disposition pour atteindre les objectifs de l’organisation. Par exemple, un groupe d’achats peut disposer des ressources des organisations membres ou bien avoir ses propres ressources ; évidemment, dans le second cas, l’autonomie des décisions prises pourra être plus grande. Le groupe peut avoir un pouvoir de coercition auprès des membres ou simplement obtenir des prix qui pourront ensuite être utilisés par certains membres pour en négocier de meilleurs, surtout si leur propre pouvoir d’achat est important. Un constat particulièrement intéressant est ressorti de cette étude : la collaboration entre les acheteurs des organisations et ceux du regroupement est moindre que souhaitée, car chaque partie veut démontrer son utilité… et conserver ses ressources

    26Mais nul besoin de se regrouper pour avoir plus de pouvoir en tant qu’organisation ou de fonction. Par exemple, la fonction achats peut compter sur la façon dont elle est perçue à l’extérieur de l’organisation, pas seulement sur la perception qu’en ont les gestionnaires des autres services. C’est cette idée qui a donné lieu au chapitre « Misez aussi sur la légitimité externe de la fonction achats ». Souvent, l’accent est mis sur l’acceptation par les pairs dans l’organisation même, afin que soit reconnue la contribution stratégique de la fonction achats. Pourtant, dans de nombreuses organisations, on demande encore d’acheter pour s’assurer que les produits et services seront disponibles, et ce, au coût le plus faible. Mais est-ce qu’une une contribution stratégique est vraiment – ou seulement – cela ? Certes, il y a un volet pragmatique à la légitimité, soit celui des résultats mesurables atteints, sur lequel s’appuieront les personnes portant un jugement sur ce qui est réalisé par les achats. Cependant, que dire du niveau de compétence des acheteurs : comment est-il perçu ? Qu’est-ce qui est fait pour l’améliorer ? C’est justement cette dernière question qui nous permet de faire le pont avec la séquence III de l’ouvrage.

    Séquence III : La vision stratégique ou les résultats immédiats ?

    27Il est habituellement facile de prendre des décisions pour le court terme, souvent parce que les résultats sont plus immédiats et plus facilement mesurables. Mais qu’en est-il du long terme ? Que dire des choix effectués sur des critères qu’il est difficile d’évaluer ?

    28L’un des volets importants de la légitimité de la fonction achats est le calibre des gens qui œuvrent dans le domaine. En fait, plus spécifiquement, c’est une lutte pour l’acquisition de ressources rares qui se fait entre les organisations, non seulement pour les excellents fournisseurs, mais aussi pour les acheteurs très compétents ou avec fort potentiel. L’une des façons de développer la vision stratégique des acheteurs est de leur faire suivre des séminaires axés sur divers volets associés à la stratégie, plutôt que sur des techniques diverses visant des résultats immédiats pour l’organisation. Que privilégient les organisations ? En théorie, la vision stratégique, car c’est ce que réclament souvent les directeurs et directrices achats : des acheteurs avec ce type de vision. Mais en pratique, les gestionnaires achats encouragent surtout les formations dont le résultat permet de résoudre des problématiques immédiates. C’est ce qui fut trouvé dans une recherche effectuée auprès d’organisations canadiennes et ayant donné lieu au chapitre intitulé « Formation des acheteurs canadiens : d’une volonté stratégique à une action opérationnelle ».

    29Il peut sembler regrettable que les organisations ne tirent pas davantage compte de la possibilité d’investir dans le long terme par le biais de formations plus stratégiques, alors que c’est justement ce que reprochent souvent les gestionnaires des achats aux acheteurs. Donc, on tient un langage, mais on fait le contraire, car les résultats immédiats prennent préséance sur ce qu’il est plus difficile de mesurer ou encore dont on ne pourra pas constater les retombées de façon aussi évidente.

    30D’ailleurs, l’importance de la mesure prend une importance accrue dans les organisations et ceci se reflète dans le secteur des achats. Ce qu’il est le plus facile de mesurer est les économies réalisées ; mais de quelles économies parle-t-on ? De celles dues à un prix inférieur à celui payé l’année précédente, de celles réalisées suite à une négociation serrée suite à un appel de propositions ou d’autres types d’économies ? C’est cette problématique de mesure qui a donné lieu au chapitre « When excessive cost savings measurement drowns the objectives ». En fait, il semble que même le secteur achats n’y échappe pas : il s’agit de démontrer qu’on atteint des objectifs quantifiables. Dans cet article, il s’agit d’un système de mesure des économies développé par une entreprise canadienne de grande taille et de renommée mondiale qui est reconnue pour ses mesures novatrices en gestion des achats ; pas moins de 13 mesures des économies réalisées étaient utilisées en théorie, quoiqu’en pratique, peu l’étaient. La complexité du système était telle que les avantages qui auraient pu ressortir tant à l’intérieur du service que pour démontrer aux autres services la contribution du service des achats n’étaient guère évidents. Un système plus simple dut être développé afin d’atteindre les objectifs de communication et d’amélioration initialement visés. Comme le dit l’adage : « Trop, c’est comme pas assez »

    31Que dire de ces choix illustrés par la formation axée sur les problèmes à court terme et sur la mesure de la performance mentionnés précédemment, comme si tout volet important de la performance était mesurable ? C’est ce type de questionnement que met clairement en perspective le chapitre ultérieur, intitulé « Gestion des approvisionnements : horizon à long terme ou à court terme ? ». Pourtant publié il y a plus de 25 ans, cet article mettait de l’avant que dans toutes les décisions en achats, le choix peut être plus ou moins axé sur le court terme. De plus, il y était fait mention du degré d’avancement des diverses composantes de stratégie qui pouvaient être utilisées et d’une estimation où la situation en serait rendue à la fin de cette décennie.

    32Somme toute, n’est-ce pas l’un des principaux choix que doit faire toute organisation et tout service, qu’il s’agisse des achats, du marketing, des finances ou autres : long terme ou court terme ou… un équilibre entre les deux ? Nous vivons dans une société de plus en plus axée sur le court terme et où les résultats doivent être immédiats ; en ce sens, les organisations ne font pas exception. Certains diraient même que c’est le domaine des affaires qui influence grandement ces choix à court terme, tant au niveau de la rentabilité et de la mesure de la performance que des emplois plus précaires qu’auparavant.

    33Le domaine des achats n’échappe pas aux autres tendances en sciences de gestion, mais il ressort des divers chapitres de l’ouvrage que le transfert de contribution plutôt cléricale des achats vers un ajout de valeur est nettement réalisé dans certaines organisations, alors que dans d’autres cas il reste beaucoup de travail à accomplir. Nous sommes d’avis que c’est par la publication d’ouvrages comme celui-ci qui traitent à la fois de concepts stratégiques et opérationnels, mais aussi qui fournissent des mises en situation et qui s’appuient sur des recherches empiriques, que les progrès pourront continuer dans le domaine.

    Notes de bas de page

    1 Le mot « achats » est utilisé davantage en France avec une connotation stratégique, alors que c’est le mot « approvisionnement » qui est son équivalent au Québec. Mis à part les chapitres correspondant aux articles publiés en français dans la revue Gestion (une revue associée à HEC Montréal), nous allons utiliser dans cette introduction le terme « achats » avec sa connotation en France.

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    1 Le mot « achats » est utilisé davantage en France avec une connotation stratégique, alors que c’est le mot « approvisionnement » qui est son équivalent au Québec. Mis à part les chapitres correspondant aux articles publiés en français dans la revue Gestion (une revue associée à HEC Montréal), nous allons utiliser dans cette introduction le terme « achats » avec sa connotation en France.

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    Nollet, J. (2018). Introduction générale. In Stratégies d’achat (1‑). Presses universitaires de Provence. https://doi.org/10.4000/books.pup.31740
    Nollet, Jean. « Introduction générale ». In Stratégies d’achat. Aix-en-Provence: Presses universitaires de Provence, 2018. https://doi.org/10.4000/books.pup.31740.
    Nollet, Jean. « Introduction générale ». Stratégies d’achat, Presses universitaires de Provence, 2018, https://doi.org/10.4000/books.pup.31740.

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    Nollet, J. (2018). Stratégies d’achat (1‑). Presses universitaires de Provence. https://doi.org/10.4000/books.pup.31715
    Nollet, Jean. Stratégies d’achat. Aix-en-Provence: Presses universitaires de Provence, 2018. https://doi.org/10.4000/books.pup.31715.
    Nollet, Jean. Stratégies d’achat. Presses universitaires de Provence, 2018, https://doi.org/10.4000/books.pup.31715.
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