Introduction

1Depuis sa formulation première dans le rapport « Intelligence économique et stratégie des entreprises » du Commissariat général du Plan de 1994, l’intelligence économique s’est imposée aux entreprises comme une démarche managériale nécessaire dont l’objectif est de rationaliser les flux d’informations stratégiques et opérationnelles autour d’un dispositif unificateur (Lebrument & De La Robertie 2012).

2Paradoxalement, l’intelligence économique est l’objet d’assez peu de travaux de recherche, et ce tout particulièrement sur les relations entre l’orientation stratégique d’une PME et ses pratiques d’intelligence économique. Plus précisément, aucune recherche ne s’est encore attelée à comprendre et à vérifier l’influence que pouvait avoir la posture stratégique d’une PME sur les pratiques d’intelligence économique que celle-ci développait en son sein. À l’évidence, la littérature touchant l’intelligence économique ne spécifie ni peu ni prou si les pratiques d’intelligence économique possèdent un niveau de développement plus important selon que l’orientation stratégique soit fondée sur une analyse industrielle (Porter 1980) ou qu’elle soit fondée sur une intention stratégique (Hamel & Prahalad 1989). Autrement dit, la question de l’incidence de la posture stratégique d’une PME sur ses pratiques d’intelligence économique reste non posée.

3Le but de cette recherche est de proposer une compréhension et une explication du rôle joué par la posture stratégique des TPE/PME sur le développement de leurs pratiques d’intelligence économique. Son objet vise donc à définir et à évaluer l’influence de la posture stratégique sur les pratiques d’intelligence économique développées au sein des TPE/PME. Pour ce faire, dans un premier temps, à partir d’une revue de la littérature, les notions de posture stratégique et d’intelligence économique sont analysées et donnent lieu à la formulation d’hypothèses de recherche que figure un modèle théorique. Dans une deuxième partie, la méthodologie de recherche est définie, puis les modalités du test du modèle selon une approche PLS sont exposées en prenant soin de préciser la relation épistémique des construits du modèle avec les items, la méthodologie de validation des instruments de mesure et le protocole du test du modèle d’équations structurelles. Dans un troisième temps, les résultats de la validation du modèle fondés sur un échantillon de près de 200 TPE/PME françaises sont présentés pour être ensuite discutés.

Cadre conceptuel, modèle et hypothèses

Analyse des liens entre intelligence économique et stratégie d’entreprise

4La notion d’intelligence économique est bien souvent confondue avec celle de veille. Or, il est essentiel de bien distinguer les deux notions si l’on vise à rendre compte de la singularité de l’intelligence économique en tant qu’ensemble de pratiques, ce qui requiert que l’on s’attache, en premier lieu, à délimiter ce qu’est la veille en tant que telle. Pour ce faire, nous sommes revenus dans un premier temps sur les différents sens du concept de veille tels qu’ils apparaissent dans la littérature. Le tableau en annexe recense les principales acceptions et définitions des termes « veille » et « intelligence économique », aussi bien françaises qu’anglo-saxonnes.

5Deux indications ressortent de ces différentes acceptions de la veille et de l’intelligence économique. La première est que la différence entre les deux concepts se situe principalement dans le fait que l’intelligence économique serait une systématisation de la veille dans l’entreprise au travers d’une démarche globale et transversale. Ce qui justifie qu’une compréhension de l’intelligence économique ne puisse faire l’économie d’une compréhension de la veille. La deuxième indication est qu’il est rarement fait référence aux liens entre la démarche de veille et la stratégie d’entreprise au sein des ouvrages et des publications faisant autorité en la matière. Il apparaît donc que la veille, au travers de ses pratiques, se différencie de l’intelligence économique, d’une part, en ce qu’elle n’intègre pas, dans sa définition et dans son processus opérationnel, l’intervention concertée de l’État, c’est-à-dire l’appui de certains services étatiques entendus comme des sources et des supports informationnels venant appuyer la collecte d’informations ou soutenir des actions d’influence, et, d’autre part, en ce qu’elle ne participe pas d’une démarche transversale et globale visant à coordonner, autour d’un dispositif centralisateur, les différentes veilles à l’œuvre dans une organisation.

6Circonscrite à l’entreprise, l’intelligence économique est une démarche transversale et globale qui vise à nourrir et à appuyer la mise en œuvre de la stratégie par le biais d’une utilisation méthodique de l’information stratégique dans la prise de décision (Levet & Paturel 1996 ; Larivet 2004 ; Salvetat 2007 ; De La Robertie & Lebrument 2008, 2009, 2016). Pour ce faire, l’intelligence économique procède d’une volonté de « faire travailler » en interaction l’ensemble des acteurs d’une entreprise1, dans le but de faciliter une lecture intelligente des relations entre les différents facteurs qui conditionnent l’évolution de l’entreprise dans son environnement, que ces facteurs soient des personnes, certains faits, des technologies, des stratégies, ou encore des savoir-faire déterminés. Cette lecture intelligente a deux objectifs principaux : d’une part, permettre des gains de temps dans la mise en œuvre d’une stratégie, et, d’autre part, améliorer la qualité des prises de décision stratégique.

7Afin d’appuyer efficacement la conception et la stratégie d’une PME, l’intelligence économique repose sur quatre catégories de pratiques (Ermine 1999 ; Bournois 2000 ; Oubrich 2007 ; Le Roy & Salvetat 2008 ; Levet et al. 2008 ; Larivet 2009 ; De La Robertie & Lebrument 2008, 2011, 2016) :

• Une première catégorie fondée sur des pratiques visant à informer les décideurs par le biais d’une surveillance méthodique de l’environnement ; au sein des PME, cette catégorie se traduit par la mise en place de processus de veilles thématiques basées sur un plan de renseignement méthodiquement établi.

• Une deuxième catégorie basée sur des pratiques consistant à protéger et à sécuriser le patrimoine immatériel de l’organisation ; ce qui s’actualise, dans les organisations, par la mise en œuvre, par exemple, de procédures de sécurisation du SI, de dépôts de brevets ou de codes sources, etc.

• Une troisième catégorie dont la finalité est de gérer activement l’information par le biais d’actions d’influence et de contre-influence au moyen, par exemple, d’actions de communication sur les forums de discussion, ou bien encore, d’actions de lobbying auprès de certaines institutions ou de certains institutionnels.

• Une quatrième catégorie constituée des outils et des méthodes permettant à l’entreprise de capitaliser sur les savoirs et les savoir-faire internes et externes à l’organisation.

8L’intelligence économique est donc, par essence, une démarche de management stratégique de l’information située au carrefour des interactions entre l’entreprise et son environnement (De La Robertie & Lebrument 2008 ; Levet et al. 2008 ; Le Roy & Salvetat 2008 ; Larivet 2009 ; De La Robertie & Lebrument 2012, 2016 ; De La Robertie, Lebrument & Mortier 2014, 2015). Située au cœur de ces interactions entre l’environnement et l’entreprise, elle constitue le vecteur informationnel des actions stratégiques d’une entreprise, que ces actions soient réalisées en réaction à des changements de l’environnement, ou qu’elles soient proactives dans le but d’instaurer un espace concurrentiel voulu. Cependant, si les pratiques d’intelligence économique sont au service des orientations stratégiques d’une PME, leur développement n’est-il pas directement influencé par la posture stratégique de l’entreprise ?

Stratégie des PME et pratiques d’intelligence économique

9Comme le souligne la littérature portant sur l’intelligence économique, celle-ci a pour vocation, au travers de ses trois fonctions associées que sont le renseignement, la protection du patrimoine immatériel et l’influence (CGP 1994 ; Bulinge 2002 ; Phanuel & Levy 2004), de soutenir la conception et la mise en œuvre de la stratégie d’une entreprise en appuyant les décisions à la fois stratégiques, tactiques et opérationnelles de ses dirigeants. Or, comme nous l’avons indiqué précédemment, les dirigeants des entreprises intègrent les pratiques de gestion des connaissances aux pratiques d’intelligence économique de leur organisation (Oubrich 2007 ; Levet et al. 2008 ; De La Robertie & Lebrument 2009, 2016). Cette intégration des pratiques de gestion des connaissances aux pratiques d’intelligence économique est importante en ce qu’elle articule les connaissances et les compétences possédées par l’entreprise aux contraintes issues des changements intervenants dans l’environnement, et offre la possibilité aux dirigeants de pouvoir adapter l’avantage concurrentiel aux situations de marché auxquelles son entreprise doit faire face. Inversement, l’intégration des pratiques de gestion des connaissances aux pratiques d’intelligence économique de l’entreprise permet de comprendre le fait que certaines entreprises étudiées puissent imposer, en se fondant sur une surveillance de leurs marchés, et en s’appuyant sur certaines pratiques d’influence, sur une période donnée, pour des produits ou services donnés, un avantage concurrentiel basé fondamentalement sur leurs savoirs et savoir-faire. Le champ élargi de ce qu’il faut entendre par pratiques d’intelligence économique au sein des PME explique alors l’analyse de Larivet lorsqu’il affirme que l’intelligence économique « se définit avant tout comme un comportement interactif avec l’environnement » qui « s’accompagne d’une anticipation des évolutions de l’environnement à moyen terme, et d’une vigilance régulière aux changements en cours » (2004 : 142). Cette interaction des PME avec leur environnement repose sur des pratiques d’intelligence économique où les pratiques de gestion des connaissances jouent le rôle de régulateur des orientations stratégiques et des axes de développement définis selon les contraintes et les changements inhérents aux marchés adressés.

10S’agissant des rapports entre stratégie des PME et intelligence économique, il nous semble donc devoir aller plus loin que Larivet (2002, 2004) en affirmant que les pratiques d’intelligence économique constituent pour la PME le levier sur lequel s’appuient les dirigeants pour protéger, modifier ou renouveler les compétences et connaissances à l’origine des orientations stratégiques assignées à leur organisation. Bien plus, par le biais et au travers des pratiques d’intelligence économique déployées dans son organisation, le dirigeant se donne les moyens de pouvoir infléchir ou modifier les orientations stratégiques qui structurent, selon une configuration donnée, durant un temps donné, les ressources et les compétences de son entreprise, et ce, en jouant sur les quatre facteurs constitutifs des ressources et des compétences futures à l’origine du maintien de l’avantage concurrentiel de son entreprise, à savoir :

• la protection et la sécurisation des ressources et compétences rares ;

• l’adaptation des ressources et des compétences ;

• la capitalisation et l’exploitation des expériences acquises ;

• la modification de l’organisation du travail et des processus associés.

11Par ailleurs, les pratiques d’intelligence économique ne sont pas nécessairement et directement coordonnées à des postures stratégiques centrées fondamentalement sur les déterminants de l’environnement de l’entreprise. Contrairement à l’analyse de Larivet (2004 : 142), les pratiques d’intelligence économique ne sont pas uniquement orientées par des stratégies de différenciation, de focalisation et de diversification qui correspondent, plus ou moins, aux stratégies génériques définies par Porter (1980, 1985) procédant fondamentalement d’une analyse centrée sur les déterminants structurels de l’environnement des entreprises. S’en tenir à ce type de posture stratégique serait réducteur si l’on tient compte de la nature et des fondements des orientations stratégiques des PME et de leurs pratiques d’intelligence économique. En effet, ces dernières servent aussi bien la conception et la mise en œuvre de stratégies basées originellement sur une analyse des connaissances et des compétences possédées dont le but est soit l’adaptation de l’organisation à l’environnement, et non son adéquation à l’environnement, soit la transformation de l’environnement et des règles du jeu concurrentiel, principalement par l’émergence de ruptures technologiques, voire, par la création d’un nouveau marché (Métais 2004). Articulée à leurs pratiques d’intelligence économique, l’aptitude des PME à exploiter un spectre d’orientations stratégiques est d’autant plus vitale pour celles-ci que, d’une part, leurs ressources sont, par définition, limitées qualitativement et quantitativement, et que, d’autre part, elles évoluent sur des marchés dont les caractéristiques changeantes les obligent à constamment faire évoluer la nature même de leur avantage concurrentiel (De La Robertie & Lebrument 2009). Du reste, certaines PME vont jusqu’à soutenir, de manière synchrone, des avantages concurrentiels différenciés selon le type de clients ou le type de marché visé. Par conséquent, les relations entre pratiques d’intelligence économique et stratégie des PME manifestent distinctement que les pratiques d’intelligence économique sont porteuses d’une réelle polyvalence stratégique, c’est-à-dire d’une capacité à soutenir tous les types d’orientation stratégique envisagés par une PME.

12Est-ce à dire qu’il n’existe aucune corrélation entre certaines pratiques d’intelligence économique et la posture stratégique de l’entreprise ? Nullement, car les recherches récentes (Salvetat 2008 ; De La Robertie & Lebrument 2009, 2012 ; De La Robertie, Lebrument & Mortier 2014, 2015, 2016) laissent apparaître que certaines pratiques d’intelligence économique sont plus développées selon la valeur stratégique des ressources et des compétences, telle que perçue par les dirigeants, et selon l’orientation stratégique de l’entreprise. Il y aurait donc une corrélation entre le niveau de développement de certaines pratiques d’intelligence économique et les fondements de l’orientation stratégique prise par une PME, ce qui rejoint, pour partie, l’analyse de Larivet lorsqu’il souligne que « l’étude des manœuvres stratégiques suivies par les PME nous fournit un résultat original : leur pratique de l’I.E. est liée à la conduite de manœuvres stratégiques particulières […]. La relation entre I.E. est bijective. D’une part, celles-ci sont permises par les fonctions qu’offre un système d’I.E., et, inversement, d’autre part la pratique de l’I.E peut être rendue nécessaire par le choix de ces manœuvres2 ». Autrement dit, les pratiques d’intelligence économique mises en œuvre au sein d’une PME procèdent d’un paradigme stratégique qui conditionne leur développement au sein de l’organisation ; ce qui ne signifie pas que ce paradigme stratégique soit univoque, voire unique.

Modèle et hypothèses associées

13Si l’analyse de la littérature permet de souligner la relation consubstantielle entre la posture stratégique d’une organisation et les pratiques d’intelligence économique, elle ne spécifie pas et n’évalue pas l’influence causale de celle-là sur le développement de ces dernières. Notre hypothèse est donc de considérer la posture stratégique d’une PME comme étant un déterminant du niveau de développement des pratiques d’intelligence économique. Dans ces conditions, l’objectif de cette recherche est d’évaluer si la nature de la posture stratégique de l’entreprise – c’est-à-dire à la fois l’objectif stratégique et l’orientation de l’analyse stratégique sur lesquels repose l’avantage concurrentiel de l’organisation – influence directement le niveau de développement des pratiques d’intelligence économique. Autrement dit, nous voulons vérifier si les pratiques mises en œuvre participent de niveaux de développement différenciés selon la posture stratégique adoptée, et ce, pour chaque champ de pratiques d’intelligence économique spécifié (surveillance de l’environnement, protection du patrimoine immatériel, influence sur l’environnement et gestion des connaissances).

14En nous basant sur la typologie des différentes approches stratégiques relevées par Métais (2004), nous avons testé deux types de postures stratégiques contraires, à savoir celle ayant un objectif stratégique d’adéquation à l’environnement basé sur une analyse centrée sur l’environnement (O.B.E), et celle ayant un objectif stratégique de transformation de l’environnement basé sur une analyse centrée sur les ressources (O.B.R). Le choix de ces deux postures stratégique se justifie par le fait que, étant radicalement opposées dans leurs fondements, elles permettront a priori d’obtenir les résultats les plus contrastés lorsqu’il s’agira de mesurer leur influence sur le niveau de développement des pratiques d’intelligence économique.

Figure 1. – Typologie des approches en stratégie.

15Afin de mesurer l’influence causale des deux postures stratégiques sur le niveau de développement des pratiques d’intelligence économique, nous avons testé un modèle ; ce modèle intègre huit hypothèses (Lebrument 2012) visant à évaluer les effets respectifs de deux variables explicatives (O.B.E et O.B.R) sur quatre variables expliquées (le niveau de développement des pratiques de surveillance de l’environnement, de protection du patrimoine immatériel, d’influence sur l’environnement, et de gestion des connaissances) :

Figure 2. – Modèle théorique fondé sur huit hypothèses.

16En conséquence, nous souhaitons donc vérifier les hypothèses et les sous-hypothèses suivantes liées au type de posture stratégique d’une PME :

• 1. Hypothèse 1 : un objectif stratégique d’adéquation à l’environnement basé sur une analyse centrée sur l’environnement influence positivement le niveau de développement des pratiques d’intelligence économique.
     –Hypothèse 1.1 : Un objectif stratégique d’adéquation à l’environnement basé sur une analyse centrée sur l’environnement influence positivement le niveau de développement des pratiques de surveillance de l’environnement.
     – Hypothèse 1.2 : Un objectif stratégique d’adéquation à l’environnement basé sur une analyse centrée sur l’environnement influence positivement le niveau de développement des pratiques de protection du patrimoine immatériel.
     – Hypothèse 1.3 : Un objectif stratégique d’adéquation à l’environnement basé sur une analyse centrée sur l’environnement influence positivement le niveau de développement des pratiques d’influence sur l’environnement.
     – Hypothèse 1.4 : Un objectif stratégique d’adéquation à l’environnement basé sur une analyse centrée sur l’environnement influence positivement le niveau de développement des pratiques de gestion des connaissances.

• 1. Hypothèse 2 : un objectif stratégique de transformation de l’environnement basé sur une analyse centrée sur les ressources influence positivement le niveau de développement des pratiques d’intelligence économique.
     – Hypothèse 2.1 : Un objectif stratégique de transformation de l’environnement basé sur une analyse centrée sur les ressources influence positivement le niveau de développement des pratiques de surveillance de l’environnement.
     – Hypothèse 2.2 : Un objectif stratégique de transformation de l’environnement basé sur une analyse centrée sur les ressources influence positivement le niveau de développement des pratiques de protection du patrimoine immatériel.
     – Hypothèse 2.3 : Un objectif stratégique de transformation de l’environnement basé sur une analyse centrée sur les ressources influence positivement le niveau de développement des pratiques d’influence sur l’environnement.
     – Hypothèse 2.4 : Un objectif stratégique de transformation de l’environnement basé sur une analyse centrée sur les ressources influence positivement le niveau de développement des pratiques de gestion des connaissances.

Méthodologie de la recherche

La collecte des données

17Les données ont été collectées au moyen d’un questionnaire en ligne sur Internet qui a été adressé aux dirigeants de 757 TPE/PME des secteurs de l’électronique, de l’image et du multimédia, de l’informatique et des télécommunications, constituant l’échantillon initial de notre étude (Lebrument 2012).

18L’administration du questionnaire en ligne sur Internet s’est faite à l’aide du logiciel LimeSurvey. Au final, 221 questionnaires ont été renseignés, ce qui représente un taux de réponse de 29,2 %. Au sein des 221 questionnaires, 28 ont été inexploitables du fait d’un trop grand nombre d’items non renseignés, ce qui ramène à 193 le nombre de questionnaires exploitables, selon la répartition suivante : 39,4 % de TPE ou micro entreprises, 33,2 % de petites entreprises et 27,4 % de moyennes entreprises ; cet échantillon final apparaissant représentatif de l’échantillon initial.

Principes à l’origine de l’opérationnalisation des concepts

19Avant d’analyser les indicateurs mesurant un construit théorique, il est nécessaire de préciser la nature de la relation épistémique entre ledit construit et les indicateurs qui le mesurent, c’est-à-dire entre la variable latente et les variables manifestes qui lui sont rattachées. En effet, deux types de relation entre une variable latente et ses variables manifestes peuvent être appréhendés (Jarvis, Mackenzie & Podsakoff 2003, 2005 ; Crié 2005) :

• le construit se reflète dans les indicateurs qui le mesurent : il s’agit alors d’une variable réflexive ;

• le construit est d’abord formé par les indicateurs qui le mesurent : il s’agit alors d’une variable formative.

20Dans le cas d’une relation réflexive, la variable latente est la cause des variables manifestes tandis que dans le cas d’une relation formative, ce sont les variables manifestes qui sont la cause de la variable latente (Picot-Coupey 2006). Aussi, afin de clarifier les termes utilisés dans les développements à venir, avons-nous utilisé la distinction terminologique opérée par Bollen et Lennox (1991) selon laquelle une échelle est constituée de mesures multi-items fondées sur des variables réflexives, tandis qu’un index se définit par la relation formative entre un construit et ses différents indicateurs de mesure. Si la distinction entre l’approche réflexive et l’approche formative signifie en pratique la décision raisonnée d’assigner le principe causal de la mesure, soit à une variable latente, soit aux variables manifestes, elle possède corrélativement des conséquences importantes tant en termes d’opérationnalisation des construits que de validation des instruments de mesure.

21Lors de la spécification de nos variables, nous avons appliqué les critères de décision énoncés par Jarvis, Mackenzie et Podsakoff (2003, 2005) pour déterminer si un construit est formatif ou réflexif.

22Suivant les préconisations méthodologiques de Picot-Coupey (2006), l’épuration du modèle théorique a été effectuée au moyen d’un processus d’élimination des items pas à pas, ce qui permet de mesurer, pour chaque item purifié, les conséquences de l’élimination sur l’ensemble du modèle et sur les autres items du construit concerné.

Les instruments de mesure et leurs items

Le construit « O.B.E »

23Par le construit « Objectif stratégique d’adéquation à l’environnement basé sur une analyse centrée sur l’environnement » (O.B.E), nous entendons mesurer la posture stratégique fondée à la fois sur un objectif d’adéquation à l’environnement et sur une analyse centrée sur l’environnement. La détermination de ce construit s’appuie sur la typologie des approches stratégiques formulée par Métais (2004), laquelle définit l’objectif stratégique d’adéquation à l’environnement basé sur une analyse centrée sur l’environnement comme une approche stratégique propre à l’analyse industrielle (Porter 1980, 1985).

24Le construit « Objectif stratégique d’adéquation à l’environnement basé sur une analyse centrée sur l’environnement » a une relation de nature formative avec ses indicateurs de mesure et se compose de deux dimensions :

• la première dimension « Objectif stratégique de l’entreprise » est formée par un item ayant pour objectif de mesurer l’objectif stratégique d’adéquation avec les caractéristiques de la demande des marchés de l’entreprise :
  – « La stratégie de votre entreprise vise en priorité à toujours être en adéquation avec les caractéristiques de la demande de ses marchés » ;

• la seconde dimension « Orientation de l’analyse stratégique de l’entreprise » correspond à un item dont l’objectif est d’évaluer le caractère centré sur les caractéristiques des marchés de l’analyse stratégique au fondement de l’avantage concurrentiel de l’entreprise :
  – « L’avantage concurrentiel de votre entreprise est basé sur les caractéristiques de ses marchés (niveau de la demande, taux de croissance, taux de profitabilité, etc.) ».

Le construit « O.B.R »

25Le construit « Objectif stratégique de transformation de l’environnement basé sur une analyse centrée sur les ressources » (O.B.R) vise à mesurer la posture stratégique de type « Intention stratégique » telle que formulée par Hamel et Prahalad (1989), c’est-à-dire une approche stratégique prenant fond à la fois sur un objectif de transformation de l’environnement et sur une analyse stratégique centrée sur les ressources et les compétences de l’organisation. Ce sont donc l’orientation de l’analyse stratégique et l’objectif stratégique de l’entreprise qui construisent le construit « Objectif stratégique de transformation de l’environnement basé sur une analyse centrée sur les ressources » qui, partant, a une relation de nature formative avec ses indicateurs de mesure.

26Le construit « Objectif stratégique de transformation de l’environnement basé sur une analyse centrée sur les ressources » est composé de deux dimensions :

• la première dimension « Objectif stratégique de l’entreprise » est formée par un item ayant pour objectif de mesurer l’intention stratégique de l’entreprise à transformer les règles du jeu concurrentiel sur ses marchés :
  – « La stratégie de votre entreprise vise en priorité à changer les règles du jeu concurrentiel sur ses marchés » ;

• la seconde dimension « Orientation de l’analyse stratégique de l’entreprise » correspond à un item dont l’objectif est d’évaluer le caractère centré sur les ressources et compétences de l’analyse stratégique au fondement de l’avantage concurrentiel de l’entreprise :
  – « L’avantage concurrentiel de votre entreprise est basé sur les caractéristiques de ses ressources et compétences (valeur, rareté, difficile imitation, etc.) ».

Le construit « Niveau de développement des pratiques d’intelligence économique »

27Fondé sur l’analyse de la littérature (Ermine 1999 ; Bournois 2000 ; Phanuel & Levy 2004 ; Salvetat 2007 ; El Mabrouki 2007 ; Oubrich 2007 ; Levet et al. 2008 ; Larivet 2009), le construit « niveau de développement des pratiques d’intelligence économique » vise à mesurer avec quel degré chacune des pratiques est développée au sein d’une organisation, que ce soit en termes de surveillance de l’environnement, de protection du patrimoine immatériel, d’influence sur l’environnement et de gestion des connaissances. Chacune des pratiques est construite à partir d’un ensemble de processus que nous visons à évaluer ; au regard des analyses menées grâce aux critères de décision de Jarvis, Mackenzie et Podsakoff (2004), il s’agit donc d’un index. Quatre dimensions ont été identifiées et spécifiées afin de mesurer le niveau de développement des pratiques d’intelligence économique : les dimensions « Pratiques de surveillance de l’environnement », « Pratiques de protection du patrimoine immatériel » ; « Pratiques d’influence sur l’environnement » et « Pratiques de gestion des connaissances ».

28La dimension « Pratiques de surveillance de l’environnement » a une relation de nature formative avec ses items et est composée de trois sous-dimensions :

• la sous-dimension « Processus de renseignement » a une relation de nature formative avec ses indicateurs de mesure. Elle est formée par quatre items dont le but est de mesurer la diversité et la fréquence des processus de veille à des fins de surveillance et d’anticipation :
  – Votre entreprise procède à une surveillance et une anticipation des innovations technologiques » ;
  – « Votre entreprise procède à une surveillance de ses principaux concurrents (produits, services, brevets, etc.) » ;
  – « Votre entreprise procède à une surveillance de ses fournisseurs et de ses clients » ;
  – « Votre entreprise procède à une surveillance et une anticipation des évolutions de son environnement (évolutions réglementaires, politiques, économiques, sociétales, etc.) ».

• la sous-dimension « Réseaux de renseignement », au regard des critères de décision Jarvis, Mackenzie et Potsakoff (2004), possède une relation de nature formative avec ses indicateurs de mesure. Elle est formée par trois items et vise à mesurer la diversité et l’importance des sources d’information issues des réseaux de renseignements externes à l’entreprise :
  – « Pour s’informer, votre entreprise fait appel à des acteurs institutionnels (ARIST, CCI, INPI, OSEO, DRIRE, DRCE, etc.) » ;
  – « Pour s’informer, votre entreprise fait appel à des organisations professionnelles (MEDEF, CGPME, etc.) » ;
  – « Pour s’informer, votre entreprise s’appuie sur ses clients et ses fournisseurs » ;

• la sous-dimension « Structuration des pratiques de renseignement », après analyse, a une relation de nature formative avec ses indicateurs de mesure. Elle est formée par quatre items qui visent à mesurer le niveau de structuration des pratiques de veille ainsi que leur articulation à la stratégie de l’entreprise :
  – « En se basant sur ses axes de développement, votre entreprise définit et renouvelle ses axes de recherches d’informations » ;
  – « Un plan de collecte de l’information est actualisé par votre entreprise (plan qui détaille pour chaque axe de développement de votre entreprise, les sources d’information, ainsi que le traitement, les destinataires et la fréquence de diffusion de l’information) » ;
  – « Les informations collectées, en dehors et au sein de votre entreprise, sont formalisées, exploitées, diffusées et archivées » ;
  – « Une ou des personnes coordonnent la gestion des informations pour l’ensemble de l’entreprise ».

29La dimension « Pratiques de protection du patrimoine immatériel » a une relation de nature formative avec ses indicateurs de mesure ; elle se compose de quatre sous-dimensions :

• la première sous-dimension « Propriété intellectuelle » est formée par un item dont le but est de mesurer l’importance et la fréquence des modalités de protection de la propriété intellectuelle au sein de l’organisation :
  – « Dès qu’elle le peut, votre entreprise dépose des brevets, des codes logiciels, ou des modèles » ;

• la seconde sous-dimension « Sécurité du système d’information » correspond à un item dont le but est de mesurer l’importance des procédures de sécurisation du système d’information de l’entreprise :
  – « Votre entreprise réactualise les procédures et les modalités de sécurité de son système d’information (anti-intrusion, gestion des droits d’accès, surveillance des flux, sauvegarde, cryptage, etc.) » ;

• la troisième sous-dimension « Sensibilisation du personnel » est formée par un item visant à mesurer l’importance des efforts de sensibilisation des salariés à la sécurisation et à la protection de l’information :
  – « Votre entreprise procède à une sensibilisation de son personnel en matière de sécurité et de protection de l’information » ;

• la quatrième sous-dimension « Protection vis-à-vis du personnel » correspond à un item visant à identifier l’importance des modalités juridiques mises en œuvre par l’entreprise pour se protéger de ses salariés :
  – « Pour se protéger, votre entreprise utilise des moyens juridiques avec ses salariés (accréditation, clause de non-concurrence, clause de confidentialité, etc.) ».

30La dimension « Pratiques d’influence sur l’environnement » a une relation de nature formative avec ses indicateurs de mesure et se compose de deux sous-dimensions :

• la première sous-dimension « Processus de lobbying sur l’environnement professionnel proche » a une relation de nature formative avec ses items ; elle correspond à deux items dont la fin est de mesurer la fréquence et la diversité des pratiques de lobbying de l’entreprise à l’endroit des médias et des organisations professionnelles :
  – « Vous procédez à des actions de communication par le biais de certains médias (presse, Internet, télévision, etc.) » ;
  – « Votre entreprise travaille à influencer son environnement dans le sens de ses intérêts en participant à certaines organisations professionnelles (groupes d’experts, réseaux professionnels, etc.) » ;

• la seconde sous-dimension « Processus de lobbying sur l’environnement professionnel élargi » a une relation de nature formative avec ses items ; elle est formée par deux items :
  – « Votre entreprise sollicite des organismes parapublics (CCI, ARIST, OSEO, etc.) pour influencer leurs décisions » ;
  – « Votre entreprise sollicite des organismes publics (collectivités territoriales, État, Union européenne, etc.) pour influencer leurs décisions ».

31La dimension « Pratiques de gestion des connaissances » a une relation de nature formative avec ses indicateurs de mesure et se compose de deux sous-dimensions :

• la première sous-dimension « Capitalisation sur les savoirs et savoir-faire » a une relation de nature formative avec ses items ; elle est formée par deux items ayant pour fin de mesurer l’importance des pratiques de capitalisation tant sur les projets que sur la relation avec les clients :
  – « Votre entreprise rédige des fiches ou des rapports formalisant le contenu des projets réalisés (acteurs rencontrés, erreurs survenues, problèmes résolus, etc.) » ;
  – « Votre entreprise réalise des fiches ou des rapports formalisant le contenu des relations avec vos clients (problèmes rencontrés, demandes spécifiques des clients, etc.) » ;

• la seconde sous-dimension « Partage et diffusion des connaissances » a une relation de nature formative avec ses items ; elle est composée de deux items ayant pour but, respectivement, de déterminer le degré de circulation de l’information et des connaissances et d’estimer la maîtrise des compétences :
  – « Votre entreprise utilise des technologies de l’information et de la communication (Intranet, dossiers partagés, messagerie électronique, forums de discussion, FAQ, wiki, etc.) pour partager et diffuser de l’information et des connaissances entre collaborateurs » ;
  – « Votre entreprise procède à la réactualisation de son référentiel de compétences ».

Résultats et discussion

Validation du modèle

32Six variables latentes possédant une nature formative constituent le modèle à évaluer :

• les pratiques de surveillance de l’environnement ;

• les pratiques de protection du patrimoine immatériel ;

• les pratiques d’influence sur l’environnement ;

• les pratiques de gestion des connaissances ;

• un objectif stratégique d’adéquation à l’environnement basé sur une analyse centrée sur l’environnement ;

• un objectif stratégique de transformation de l’environnement basé sur une analyse centrée sur les ressources.

33Les paramètres d’estimation du modèle sont présentés dans le tableau 5. Le choix des paramètres d’estimation a été fait en se fondant sur les analyses, les recommandations et les préconisations de la littérature portant sur l’approche PLS3.

Figure 5. – Paramètres d’estimation du modèle PLS.

34Le modèle est estimé4 en appréciant, d’une part, le pourcentage de variance expliquée (le R2) pour chacune des variables latentes expliquées, et, d’autre part, la valeur des coefficients des chemins5 (path coefficients). Afin de s’assurer de la stabilité des estimations, les statistiques t issues de la procédure de ré-échantillonnage par bootstrap sont examinées. L’ensemble des résultats du modèle est présenté dans le tableau ci-dessous :

Figure 6. – Tableau synoptique des résultats de l’estimation de l’influence de la posture stratégique sur les pratiques d’intelligence économique.

35Au regard des résultats indiqués dans le tableau synoptique ci-dessus, le pourcentage de variance expliquée pour chacune des variables du modèle est satisfaisant – respectivement, 40,5 %, 32,6 %, 45,4 % et 21,3 %. En outre, sur les huit hypothèses testées, quatre s’avèrent validées et quatre ne sont pas validées :

• L’hypothèse H 1 est partiellement validée :
  – H 1.1 est validée : un O.B.E influence positivement le niveau de développement des pratiques de surveillance de l’environnement (test t de Student de |1,846|).
  – H 1.2 n’est pas validée : un O.B.E n’influence pas le niveau de développement des pratiques de protection du patrimoine immatériel (test t de Student de |0,069|).
  – H 1.3 n’est pas validée : un O.B.E n’influence pas le niveau de développement des pratiques d’influence sur l’environnement (test t de Student de |1,191|).
  – H 1.4 est validée : un O.B.E influence positivement le niveau de développement des pratiques de gestion des connaissances (test t de Student de |2,213|).

• L’hypothèse H 2 est partiellement validée :
  – H 2.1 est validée : un O.B.R influence positivement le niveau de développement des pratiques de surveillance de l’environnement (test t de Student de |1,908|).
  – H 2.2 est validée : un O.B.R influence positivement le niveau de développement des pratiques de protection du patrimoine immatériel (test t de Student de |4,890|).
  – H 2.3 n’est pas validée : un O.B.R n’influence pas le niveau de développement des pratiques d’influence sur l’environnement (test t de Student de |1,321|).
  – H 2.4 n’est pas validée : un O.B.R n’influence pas le niveau de développement des pratiques de gestion des connaissances (test t de Student de |0,616|).

Figure 7. – Effet explicatif d’un O.B.E sur le niveau de développement des pratiques d’intelligence économique (coefficient du chemin et valeur de [t] ; [R²])6.

Figure 8. – Effet explicatif d’un O.B.R sur le niveau de développement des pratiques d’intelligence économique (coefficient du chemin et valeur de [t] ; [R²])7.

Contributions de la recherche

36Le but du test du modèle était de valider et d’identifier quelles étaient les pratiques d’intelligence économique – surveillance de l’environnement, protection du patrimoine matériel, influence sur l’environnement ou gestion des connaissances – dont le développement était significativement influencé par le type de posture stratégique de la TPE/PME.

37Les résultats soulignent que le type d’objectif stratégique mis en œuvre par une TPE/PME influence positivement le degré de développement des pratiques de surveillance d’une TPE/PME, et ce, quels que soient le fondement et la nature constitutifs de l’objectif stratégique. Qu’une entreprise ait pour objectif stratégique de transformer les règles du jeu concurrentiel sur ses marchés, ou bien, a contrario, qu’elle ait pour objectif stratégique d’être rigoureusement en adéquation avec les déterminants structurels de ses marchés, le degré de développement des pratiques de surveillance de l’environnement se trouve expliqué par une influence quasiment identique. Ce qui met en exergue le fait que la nature et la fin de l’objectif stratégique, au regard de deux postures stratégiques radicalement différentes, ne peuvent être un élément discriminant pour expliquer les différences de degré de développement des pratiques de surveillance des TPE/PME. Tout au plus, peut-on dire qu’un objectif stratégique d’adéquation à l’environnement basé sur une analyse centrée sur l’environnement explique moins le développement des pratiques de surveillance que ne le fait un objectif stratégique de transformation de l’environnement basé sur une analyse centrée sur les ressources. Quoi qu’il en soit, ces deux approches stratégiques influencent directement le développement des pratiques de surveillance d’une TPE/PME ; ce qui montre l’importance que revêtent la surveillance et l’anticipation des changements intervenant dans l’environnement de l’entreprise dans le cadre de la mise en œuvre de ces deux approches stratégiques.

38Par ailleurs, les résultats obtenus concernant l’influence de la nature de la posture stratégique d’une TPE/PME sur le développement des pratiques de protection peuvent, en apparence, se comprendre. En effet, l’objectif stratégique d’adéquation à l’environnement basé sur une analyse centrée sur l’environnement constitue une approche stratégique où la mise en œuvre de procédures et de processus de protection du patrimoine immatériel peut sembler ne pas être induite d’une telle posture stratégique – c’est-à-dire, finalement, ne pas être une priorité pour les dirigeants d’une TPE/PME. À l’inverse, un objectif stratégique de transformation de l’environnement basé sur une analyse centrée sur les ressources, étant donné la valeur spécifique reconnue des ressources, semble a priori être corrélé au développement de pratiques de protection. Cependant, il nous semble nécessaire d’aller à l’encontre de cette apparente explication, et rompre l’illusion satisfaisante qu’elle comporte. En effet, un objectif stratégique d’adéquation à l’environnement basé sur une analyse centrée sur l’environnement ne consiste pas à adapter les ressources à l’environnement, mais, bien plus, à développer une posture défensive visant à maintenir une situation concurrentielle qui soit à l’avantage de l’organisation ; cette posture défensive devrait donc induire un développement corrélé des pratiques de protection (De La Robertie, Lebrument & Mortier 2015, 2016), ce que les résultats de la recherche ne corroborent pas.

39En outre, les résultats soulignent que le type de posture stratégique n’influence et n’explique pas significativement le niveau de développement des pratiques d’influence d’une TPE/PME. Ce résultat est, pour le moins, surprenant s’agissant de l’influence sur ces pratiques d’un objectif stratégique de transformation de l’environnement basé sur une analyse centrée sur les ressources ; en effet, cette approche stratégique (Hamel & Prahalad 1989, 1994) devrait enjoindre l’organisation qui la met en œuvre à rigoureusement se doter des moyens d’influencer le champ concurrentiel sur lequel elle opère, et ce dans le but de changer les règles du jeu concurrentiel dans le sens des ressources qu’elle vise à imposer au travers de son avantage compétitif. Ce résultat constitue donc un apport théorique en tant que tel, pour autant que la compréhension de la non-influence de cette posture stratégique sur les pratiques d’influence résiste à toute explication par la littérature et nos résultats (Lebrument 2012).

40L’analyse des résultats de l’influence de la nature de la posture stratégique sur le développement des pratiques de gestion des connaissances permet d’affirmer que, selon l’objectif stratégique, le développement de celles-ci est distinctement différent. En effet, un objectif stratégique d’adéquation à l’environnement basé sur une analyse centrée sur l’environnement a un effet positif significatif sur le développement des pratiques de gestion des connaissances, tandis qu’un objectif stratégique de transformation de l’environnement basé sur une analyse centrée sur les ressources n’a aucune influence significative sur ces mêmes pratiques. Ce dernier résultat constitue un apport théorique significatif dans la mesure où, à l’instar des autres pratiques d’intelligence économique, il met en exergue que, selon l’analyse et l’objectif stratégique aux fondements de l’avantage concurrentiel de l’entreprise, il en résultera a priori un niveau de développement plus ou moins important des pratiques de gestion des connaissances des TPE/PME8.

Limites de la recherche

41Touchant l’intelligence économique, une limite théorique réside dans notre revue de littérature sur l’intelligence économique, étant observé qu’elle a délibérément été réalisée à partir d’une revue de littérature française. À n’en pas douter, appréhender l’intelligence économique à partir d’une revue de littérature internationale présuppose qu’il y ait une définition, peu ou prou, commune de ce que sont les pratiques d’intelligence économique qui permettrait de les étudier, quel que soit le pays où est implantée l’entreprise. Finalement, étudier les pratiques d’intelligence économique en France en se fondant sur une revue de littérature internationale qui oriente et structure la compréhension par le chercheur de ses manifestations empiriques, revient au mieux, à poser un postulat – identité des pratiques dans le monde – dont rien ne garantit la véracité, au pire, à préjuger inconsciemment d’une réalité homogène en ne se souciant pas de vérifier la possibilité d’une disparité desdites pratiques induites par leur ancrage socioculturel. C’est précisément pour maîtriser ce préjugé que, s’agissant des pratiques d’intelligence économique, la revue de littérature de la présente recherche est fondée sur des travaux de recherche français, et que le champ d’application de la recherche est limité aux TPE/PME françaises.

42Une autre limite relative au terrain d’étude vient limiter la validité externe de la recherche, c’est-à-dire restreindre la possibilité de généraliser les résultats obtenus à d’autres terrains. Cette limite est inhérente au champ d’application que sont les TPE/PME des secteurs de l’informatique, de l’électronique, des télécommunications, de l’image et du multimédia. En effet, les TPE/PME appartenant à ces secteurs possèdent, par leurs activités, une culture des usages des technologies de l’information et de la communication qui s’accorde pleinement avec certaines pratiques d’intelligence économique, notamment celles de veille et de gestion des connaissances. Autrement dit, dans le cadre de l’organisation et de la réalisation de leur travail, les salariés de ces TPE/PME sont a priori à la fois plus sensibilisés et aguerris à l’usage des technologies de l’information et de la communication que les salariés d’autres secteurs. Ce point est d’autant plus important que l’ensemble des pratiques d’intelligence économique s’appuie sur une infrastructure et sur des tâches basées sur différentes technologies de l’information et de la communication. Par conséquent, les résultats n’ont de valeur que s’agissant des TPE/PME intervenant sur ces secteurs. Une étude intégrant plusieurs autres secteurs aurait permis une comparaison des résultats sectoriels, et, ainsi, d’accroître la validité externe de la recherche. De la même manière, notre champ d’application se limite aux pratiques d’intelligence économique des TPE/PME. Les résultats obtenus ne peuvent donc être généralisés à tout type d’entreprise et mériteraient d’être comparés à ceux qui résulteraient du test du modèle théorique à un échantillon de grandes entreprises.

43Une dernière limite a trait au choix de l’approche PLS pour estimer et tester le modèle d’équations structurelles associé. Ce type d’estimation d’un modèle structurel reste encore peu usité dans les recherches en stratégie, ce qui conduit le chercheur à n’avoir qu’une faible distanciation vis-à-vis des choix qui s’offrent à lui en termes de procédures de validation et de modalités d’application de l’approche PLS. Concrètement, l’étape visant à déterminer les variables latentes constitue un élément essentiel d’une démarche d’estimation du modèle structurel par l’approche PLS. Or, l’existence de six stratégies différentes pour déterminer les variables latentes peut « constituer une difficulté lors de la mise en œuvre de l’approche PLS car l’utilisateur ne dispose d’aucune information supplémentaire lui permettant de privilégier une stratégie plutôt qu’une autre en relation avec son objectif » (Hanafi 2004 : 3). Dès lors, la validité des résultats obtenus doit être relativisée au regard d’une méthode qui, malgré les développements récents en la matière, n’est pas stabilisée. Plus précisément, la qualité globale du modèle de la polyvalence stratégique des pratiques d’intelligence économique n’a pas été estimée ; en effet, contrairement à la méthode du maximum de vraisemblance où il existe des indicateurs visant à mesurer la qualité d’ajustement du modèle aux données, il n’existe pas, à notre connaissance, d’indicateur permettant d’évaluer la validité globale d’un modèle structurel par l’approche PLS.

Perspectives de recherche

44Une première voie de recherche découle directement d’une des caractéristiques de notre terrain d’étude, à savoir le fait que la recherche, pour un souci d’homogénéité sectorielle, a été effectuée sur des TPE/PME des secteurs de l’informatique, de l’électronique, des télécommunications, de l’image et du multimédia, autrement dit sur des TPE/PME High Tech. Il serait, en ce sens, pertinent de dépasser cette limite liée aux secteurs de l’étude empirique en reproduisant la même méthodologie de recherche sur d’autres champs d’applications. Deux voies de recherche complémentaires seraient alors envisageables pour de futurs travaux de recherche. La première voie consisterait à réitérer uniquement le test du modèle théorique exploratoire de la polyvalence stratégique des pratiques d’intelligence économique sur plusieurs autres pôles de compétitivité et sur d’autres secteurs d’activité, tels que l’aérospatiale et la défense, l’agroalimentaire, l’industrie pharmaceutique, ou encore l’automobile, afin d’établir une étude comparative plurisectorielle des conditions de la polyvalence stratégique des pratiques d’intelligence économique. La seconde voie de recherche s’attacherait à restreindre le champ d’application à un secteur et se fonderait sur une étude qualitative inspirée de la théorie enracinée, ce qui permettrait, in fine, de valider que le modèle théorique émergent de l’étude qualitative possède les mêmes déterminants structurels que ceux de la présente recherche.

45Au regard de chacune des voies de recherche présentées, les résultats obtenus seraient donc commandés, in fine, par des objectifs de recherche différents : dans le premier cas, il s’agirait, essentiellement d’accroître la validité externe des résultats de la recherche ; dans le second cas, la fin serait à la fois d’améliorer la robustesse de la validité interne de la recherche, mais aussi d’en augmenter la validité externe – dans de moindres proportions que dans le premier cas.

46Par ailleurs, les résultats de la recherche sont propres à un type d’entreprise, en l’occurrence, les TPE/PME. Aussi serait-il pertinent, parce qu’appuyé sur une valeur explicative étendue vectrice d’une plus grande généralisation des résultats actuels, de réaliser une étude comparative des conditions de développement des pratiques d’intelligence économique propres aux grandes entreprises et aux TPE/ PME. Une étude basée sur l’évaluation des différences entre TPE/PME et grandes entreprises permettrait de spécifier de manière rigoureuse le poids des conditions qui influencent directement le développement des pratiques d’intelligence économique pour les deux types d’organisation.

47De manière complémentaire – et reposant sur les limites du terrain étudié –, il serait également d’un grand intérêt d’étudier les différences induites par la culture au travers d’un test du modèle sur plusieurs échantillons constitués de TPE/PME issues de différents pays. Un tel travail de recherche serait propice à la mise en exergue, pour chacun des pays étudiés, des différences socioculturelles inhérentes aux conditions de développement des pratiques d’intelligence économique.

Conclusion

48L’objectif de cette recherche était de confirmer l’influence causale positive de la posture stratégique d’une TPE/PME sur le niveau de développement des pratiques d’intelligence économique. En ce sens, après avoir délimité et analysé, par le biais d’une analyse de l’état de l’art, les relations entre posture stratégique et pratiques d’intelligence économique, un modèle a été testé dans le but de vérifier l’influence explicative de la posture stratégique sur chacune des pratiques d’intelligence économique des TPE/PME. Les résultats du test du modèle permettent, d’une part, de confirmer l’influence causale positive des deux postures stratégiques sur le niveau de développement des pratiques de surveillance de l’environnement des TPE/PME, et, d’autre part, d’infirmer l’influence causale positive de ces mêmes postures sur le niveau de développement des pratiques d’influence sur l’environnement des TPE/ PME. Par ailleurs, seule une posture stratégique de type O.B.R possède une influence causale positive sur le niveau de développement des pratiques de protection du patrimoine immatériel, quand, dans le même temps, seule une posture stratégique de type O.B.E possède une influence causale positive sur le niveau de développement des pratiques de gestion des connaissances.

49Par ailleurs, les résultats obtenus suite au test du modèle ne sont pas sans implications managériales. En effet, en s’appuyant sur le modèle, il est possible pour un dirigeant, selon la posture stratégique de son organisation, d’émettre a priori un diagnostic sur le niveau de développement attendu de chacune des pratiques d’intelligence économique de son entreprise. Dès lors, l’apport managérial du modèle est d’offrir rapidement aux dirigeants le moyen de prévoir, selon l’estimation de la posture stratégique de son entreprise, quelles seront les pratiques d’intelligence économique dont le développement sera le plus influencé s’il décide, par exemple, de mettre en œuvre une nouvelle Strategic Business Unit, ou de réorienter le positionnement stratégique d’une Strategic Business Unit existante.

50Par conséquent, le modèle testé possède une implication managériale forte en ce qu’il permet aux dirigeants de TPE/PME de ne pas s’égarer dans des plans d’action de développement de leurs pratiques d’intelligence économique qui se révéleraient inefficaces et inefficients – parce qu’inappropriés au contexte de leur entreprise –, pour agir directement sur les dimensions qui régissent ces dernières. Sous couvert d’une étude préalable minimale de l’existant en matière de pratiques d’intelligence économique et des conditions de leur développement au sein de l’organisation, le modèle constitue donc un outil opérationnel pour le dirigeant de TPE/PME.

Annexe

Les différentes définitions de la veille et de l’intelligence économique.