Enjeux managériaux et mixité statutaire dans les réseaux de franchise
Une relecture par l’École de la proximité
p. 123-140
Texte intégral
Introduction
1Les réseaux de franchise, en tant qu’organisations hybrides, ont été, et restent des objets organisationnels très étudiés en raison notamment de leur performance et de leur déploiement très important dans notre environnement commercial. Si de nombreuses recherches ont été menées pour expliquer l’intérêt du franchisage par rapport au succursalisme (Oxenfeld & Kelly 1968 ; Barroncelli & Manaresi 1996 ; Kaufmann & Dant 1996, etc.), de non moins nombreux travaux ont été conduits afin d’expliquer que la mixité statutaire, c’est-à-dire le mélange au sein d’une même organisation réticulaire de points de vente en franchise et de points de vente en succursale selon une proportion relativement stable dans le temps, est en réalité le point essentiel sur lequel il serait nécessaire de focaliser en vue d’une performance. Bradach (1998) démontre ainsi que cette pluralité statutaire est primordiale dans la mesure où elle permet de relever quatre défis managériaux essentiels pour ce qui concerne des réseaux de points de vente. À sa suite, de nombreuses recherches ont été menées (Cliquet 2000 ; Perrigot 2007 ; Lagrange 2009, etc.) montrant alors que relever ces enjeux améliorait la capacité à la survie des réseaux ou bien leur performance.
2Nous souhaitons apporter ici un nouvel éclairage sur cette pluralité statutaire au travers de la notion de proximité. En effet, si l’École de la proximité s’intéresse à l’analyse des différents types de proximité géographique et non géographique, il ne peut être que fait un rapprochement avec les travaux sur les réseaux de franchise et ce, au moins parce que le propos de l’École de la proximité est de chercher à appréhender, sous un angle quelque peu différent de celui des approches transactionnelles orthodoxes (Coase, Williamson), les conditions de coordination des activités, ce dont on ne peut, par essence, faire l’économie si l’on considère des réseaux de points de vente ou des organisations hybrides. Également, le fondement même des réseaux de points de vente et notamment des réseaux (mixtes ou non) de franchise est de rendre disponible de manière uniforme et pour le plus grand nombre un service, un produit ou même une technologie, et ce quel que soit le territoire concerné : d’évidence l’accent est mis sur une proximité géographique de l’organisation et des consommateurs. Cette proximité géographique est d’importance si l’on considère que la fréquentation du réseau dans son ensemble par le consommateur ne se fera que si ce dernier consommateur est familier avec le concept, et ce par l’entremise d’un point de vente géographiquement colocalisé avec le consommateur. Un point essentiel à souligner ici est l’effort de l’École de la Proximité en matière de conceptualisation et de formalisation d’une typologie de la proximité : cette dernière peut alors être géographique et non géographique, et lorsqu’elle est non géographique, elle pourra être organisationnelle, sociale, institutionnelle ou bien encore cognitive (Boschma). Ainsi et par exemple, la colocalisation d’un point de vente appartenant à un certain réseau et du consommateur permettra de générer une certaine proximité cognitive cette fois-ci, proximité qui rendra possible la fréquentation du consommateur dans un autre point de vente du réseau, créant ainsi des externalités positives. Si la notion de proximité, géographique et non géographique, semble importante en matière de construction d’une relation entre le consommateur et le réseau, il semble en outre que la coordination de l’ensemble des points de vente dans un réseau mixte de franchise procède également des différentes formes de proximité qu’elles soient, a priori, présentes ou bien encore manquantes. En effet, en termes de proximité organisationnelle, cette dernière paraît évidente pour ce qui concerne les succursales entre elles, mais est plus que problématique concernant les éventuelles relations entre les succursales et franchises et entre les franchises elles-mêmes. Cela étant, si Boshma dans ses différents travaux (2004, 2005) met en évidence des effets d’enfermement en termes de proximité, il montre également des interrelations entre les différentes formes de proximité permettant de limiter les effets de lock-in ou combler les manques potentiels en termes de proximité. Nous nous attacherons à montrer que justement en matière de franchise et de pluralité statutaire, un équilibre peut se réaliser de manière à générer des proximités entre les succursales et les franchises de telle sorte que le réseau dans son ensemble en sorte plus performant ; cette performance relevant alors d’une certaine aptitude du réseau à relever les enjeux managériaux de Bradach (1998) en raison d’un système de proximité adéquat.
3Dans le présent travail, nous nous attacherons dans un premier temps à poser les fondements de ces deux grands champs théoriques (proximité et franchise) puis à développer les liens qu’il est possible de faire. Dans un troisième mouvement, nous montrerons que la mixité statutaire est l’une des conditions d’une performance accrue des réseaux pour montrer que la proximité dans toutes ses dimensions n’est pas étrangère au succès de ces réseaux. Enfin, nous développerons en guise de conclusion les limites de cette approche croisée pour en déduire des pistes de recherches complémentaires.
Les fondements des approches de la franchise et des principes proximistes
4Le point de départ de la franchise est avant tout la création d’un concept original que l’on cherche à exploiter. S’offrent alors pour l’inventeur plusieurs solutions : soit il peut décider d’exploiter son concept lui-même et se doit donc de développer un réseau de commercialisation qu’il détiendra en propre, soit il décide de faire appel à des commerçants indépendants qui auront par conséquent à charge de le développer en son nom. Dans le premier cas, nous aurons affaire à un réseau succursaliste, tandis que dans le second, il s’agira d’un réseau franchisé. Il convient cependant de rappeler les motivations pouvant amener un acteur à développer un réseau de points de vente franchisés. L’une des premières raisons avancées par Oxenfeldt et Thompson (1969) se situe alors dans une perspective financière où il est difficile pour de petites entreprises d’accéder au marché financier : la franchise est ainsi le moyen de contourner le manque de capitaux et de créer un réseau rapidement fonctionnel pouvant occuper tout autant rapidement un espace territorial et jouir ainsi d’une forme d’avantage concurrentiel (Ghosh & Craig 1991) tout en assurant une bonne lisibilité de la marque en développant des économies d’échelle en matière de promotion (Lafontaine 1992). Relativement à l’idée de l’accession au marché financier, Norton (1995) s’interroge sur le succès des formes alternatives de financement telles que les placements privés, les capital-ventures et trouve que ces nouvelles formes peuvent combler les imperfections d’un marché financier difficilement accessible par les jeunes entreprises ayant pourtant un gros potentiel de croissance. Il conclut dès lors que si la franchise est intimement reliée à des besoins en capitaux, elle est reliée de manière ultime à des notions de propriété et de management par les incitations. Cette dernière constatation lui permet alors de relier incitations et structures du capital comme explication du choix de la franchise.
5Il apparaît également que le développement d’un réseau franchisé, plutôt que celui d’un réseau possédé en propre, permet de partager les risques liés à l’établissement sur un marché. Dans le cas de la franchise, ce risque est partagé entre le franchiseur et les franchisés. Il faut tenir compte dans ce cas de l’évaluation même du risque ainsi que de sa mesure. Lafontaine et Bhattacharyya (1995) dressent alors un état des lieux des théories en vigueur tout en démontrant que ces dernières sont contradictoires en la matière tout en exploitant différentes mesures du risque. Ainsi, que ce risque soit mesuré par la terminaison du contrat de franchise ou par différentes variances (dans les ventes, les inputs, etc.), elles démontrent que finalement, ce sont surtout les franchisés eux-mêmes qui cherchent à partager le risque, et non les franchiseurs. En outre, elles parviennent à la conclusion que si l’on se réfère à des explications liées à un partage efficient du risque, alors les franchiseurs craignent plus le risque que les franchisés. Devant de telles contradictions, les auteurs construisent un modèle lié plus au rôle de l’information dans le management des organisations et particulièrement en termes d’incitations qu’à la notion d’aversion pour le risque. La franchise serait donc un moyen efficace de manager les relations entre acteurs d’une même organisation. D’une manière générale, il apparaît donc que la franchise est l’un des meilleurs moyens permettant de répondre à une problématique liée à la théorie de l’agence au travers des incitations et du partage des droits de propriété.
6Dès lors que l’opérateur décide d’exploiter son concept en développant un réseau de franchise, d’une part il doit démontrer la viabilité du concept (Manolis, Dahlstrom & Nygaard 1995) pour attirer les franchisés et d’autre part, il doit inciter ses futurs franchisés à adhérer au réseau. De ce dernier point de vue, il existe deux éléments permettant d’amener les postulants à rejoindre l’opérateur : l’image de marque développée par la tête du réseau et le niveau des droits d’entrée dont il faut s’affranchir pour appartenir au réseau. Il s’agit alors par le biais de ces deux éléments de signaler aux éventuels entrants que le réseau est une source de profits et de bénéfices. L’opérateur se doit également de signaler par les deux éléments que le postulant obtiendra bien un retour sur investissement (Kaufmann & Dant 2001). En effet, plus les retours sur investissement escomptés seront élevés, plus le revenu seuil sera bas. Le droit d’entrée doit alors être en conformité avec le revenu seuil du franchisé : plus les droits sont élevés, plus le revenu seuil devrait également l’être. Mais ici se pose un problème différent car un droit d’entrée élevé peut servir à signaler un retour élevé sur investissement. Nous noterons que la difficulté présentée est finalement celle d’une asymétrie d’information entre l’opérateur et le futur franchisé : le premier connaissant parfaitement la valeur de sa marque et les potentialités de son concept, le second ne pouvant que les supposer.
7C’est dans ce sens que Galini et Lutz (1992) développent une théorie du signal en matière de franchise. Les droits d’entrée doivent ainsi servir à informer sur la valeur de la marque, et des droits d’entrée élevés permettent de signaler des investissements élevés de la part du franchiseur dans sa propre marque. Il est indéniable que nous somme en présence d’une situation d’asymétrie d’information, puisque d’une part le franchiseur possède une information privée sur la valeur de sa marque et d’autre part les franchisés potentiels ont, eux, une information privée sur leur capacité à suivre localement les prescriptions du franchiseur quant à son concept, c’est-à-dire à ne pas adopter les comportements de type passager clandestin. Il s’agit à proprement parler d’un problème précontractuel de sélection adverse. La résolution de cette problématique précontractuelle passe alors par une sélection des « bons » franchisés de la part de l’opérateur : en relevant le revenu seuil le franchiseur, d’une part élimine les franchisés potentiels manquant de motivation et de croyance dans le réseau, et d’autre part signale à ses futurs franchisés que sa marque a un bon potentiel (Shane 1997). Compte tenu du caractère collectif de la marque, il est indispensable de réduire au maximum, dans une bonne sélection des franchisés, les risques liés à des comportements de free riding. Cependant, une fois résolu le problème précontractuel de la sélection adverse, il subsiste un problème post-contractuel de hasard moral (Dant & Nasr 1998 ; Jambulingam & Nevin 1999) : une fois le contrat de franchise signé par les parties en présence, il faut pour les acteurs (franchiseur et franchisé) s’assurer que chacun aura le comportement prévu par le contrat et n’aura pas de comportement opportuniste. Mathewson et Winter (1985) ont alors postulé, en ce qui concerne le franchisé, qu’il existe deux manières possibles d’avoir un comportement opportuniste : verticalement en ce qui concerne l’image de marque et horizontalement en ce qui concerne la qualité locale. Nous avons déjà développé le premier cas, mais pour le second, le franchisé ne pourra pas capturer totalement la rente d’un effort dans la qualité compte tenu du caractère collectif de l’image de marque, mais également, il se peut qu’il n’ait pas à internaliser les effets d’une mauvaise prestation notamment dans les zones dites d’attraction passagère (Cliquet 1997). Dans les faits, ces zones sont caractérisées par une faible proportion de consommateurs répétitifs et les franchisés auraient intérêt à tricher sur la qualité pour maximiser son profit en diminuant les coûts et la qualité (Carney & Gedajlovic 1991). Si l’on considère les déviations possibles de comportement du franchiseur, il est possible pour ce dernier d’avoir un comportement de passager clandestin : il peut ne pas maintenir ses efforts en termes de qualité de l’image de marque. De ce fait, il pourra profiter des droits d’entrée perçus sans subir un coût de maintien de son image. Ainsi, si l’on admet par exemple que le coût marginal d’ouverture d’un nouveau point de vente est inférieur à la recette procurée par la perception des droits d’entrée, le franchiseur aura tout intérêt à implanter de nouveaux points de vente franchisés, et ce même au-delà de la saturation du territoire. Si ce type de comportement déviant est difficilement praticable compte tenu du fait que l’image de marque ne peut que souffrir d’un tel comportement, et donc risque à terme de ne plus attirer de franchisés potentiels (Kaufmann & Rangan 1990), il reste cependant nécessaire, compte tenu de la nature incomplète des contrats, de mettre en œuvre des procédures conduisant au respect de ces derniers : soit pas coercition, soit par incitation (Kaufmann & Dant 1996). Nous admettrons que la manière coercitive se fera par le contrôle des franchisés à l’aide un ensemble de procédures telles que celle du « visiteur mystère » ou bien par l’examen des revenus du franchisé. Il est cependant évident que ce contrôle des franchisés ne peut se faire sans coûts et revêt même un caractère impraticable lorsque la taille du réseau devient conséquente. La méthode coopérative ou par incitation permet alors de ne pratiquer que plus rarement des procédures de contrôle.
8Il apparaît au niveau de ces incitations que l’élément dont il faut tenir compte est celui de la répartition des pouvoirs entre franchiseur et franchisés. En effet, plus le franchisé aura de pouvoir par rapport au franchiseur plus il sera difficile de le contrôler. Cette différence de pouvoir est selon Windsperger (2001a, 2001b, 2002) liée aux investissements intangibles réalisés par les deux parties : le savoir-faire et la connaissance du territoire local pour le franchisé et le capital marque pour le franchiseur. Ainsi, quand un franchisé a un savoir local important, les termes du contrat de franchise devraient l’en rémunérer de manière substantielle. Inversement lorsque des investissements importants du franchiseur en termes d’image de marque sont nécessaires, les termes du contrat de franchise devraient le rémunérer conséquemment pour l’inciter à investir (Shepard 1993). Le transfert d’une fraction des droits de propriété évoqué par Shepard (1993) se réalise alors par l’intermédiaire des redevances et du droit d’entrée, lesquels sont constitutifs d’un revenu net pour les parties en présence : les ventes diminuées du paiement des redevances constituent le revenu net du franchisé et la perception de ces dernières, auxquelles on retranche les actions marketing, est le revenu net du franchiseur. Cependant, ces redevances viennent diluer la perception de droit de propriété que peuvent avoir l’une ou l’autre des parties car ce paiement vient amoindrir la sensation de possession du point de vente par les franchisés si les redevances sont fortes ; et inversement, si elles sont faibles cela engendrera un sentiment de dépossession de la part du franchiseur en ce qui concerne le concept. Il faudra alors moduler le paramètre des redevances perçues sur les ventes de manière à obtenir un juste équilibre en fonction du pouvoir détenu par les franchisés et par le franchiseur. De ce dernier point de vue, nous pouvons tenir le même raisonnement en ce qui concerne les droits d’entrée et la possession d’actifs spécifiques par les franchisés et le franchiseur. Ainsi, si l’on parvient à équilibrer les redevances et les pouvoirs, les acteurs sont parfaitement incités à respecter le contrat de franchise malgré son incomplétude structurelle. Le revenu net du franchisé demeure une incitation à la vente et au maintien de l’image de marque tandis que celui du franchiseur constitue une incitation à la réalisation d’investissements concernant l’image de marque du réseau (Kaufman & Dant 2001).
9Ainsi, le franchisage, ou du moins l’arbitrage entre points de vente en franchise et points de vente en succursale, peut s’analyser sur la base de deux grands champs théoriques : la théorie des contraintes de ressources et la théorie de l’agence. On retiendra, quel que soit le type d’analyse retenue, que les éléments principaux sont à mettre en rapport avec le partage des droits de propriété relativement à une ressource collective (concept, image de marque) ou individuelle (travail), le contournement d’une ressource rare manquante (financière ou managériale) ou bien encore la création d’incitations. A priori différents, le trait commun de ces grands champs théoriques est cependant d’expliquer l’existence des réseaux de franchise grâce à une certaine idée de la performance (au sens large) d’une telle organisation réticulaire. Une autre manière d’aborder une organisation en réseau est celle de l’École de la proximité qui cherche à appréhender les relations des acteurs sur la base de leurs interactions. On suppose dans ce cadre que cette interaction entre les acteurs (individus ou entreprises) fonde en tant que telle une proximité excluante : les acteurs sont alors « proches » et interagissent ou ne le sont pas et sont ainsi exclus de cette interaction (Gilly & Pecqueur 1997). Rallet et Torre (2004) font remarquer alors qu’« être proche de quelqu’un, ce n’est pas seulement se trouver à côté de lui, ce peut être aussi avoir une forte connivence avec une personne géographiquement éloignée, qu’elle appartienne au même cercle d’amitié, familial ou même au réseau d’entreprises ou professionnel ». La proximité revêt ainsi deux premières dimensions fondatrices : elle peut être spatiale ou non spatiale et on parlera alors de proximité géographique et de proximité organisée (Gilly & Torre 2000 ; Pecqueur & Zimmermann 2004 ; Rallet 2002 ; Torre 2000). La première dimension de la proximité paraît simple à appréhender en raison de son caractère quasi tangible et intelligible par tous : deux acteurs sont proches lorsqu’ils ne sont pas éloignés l’un de l’autre en termes de distance. On parlerait alors de colocalisation des acteurs. Boschma (2005) insiste sur la nécessité de définir ainsi et de manière stricte cette proximité géographique pour l’isoler des autres formes de proximité organisées, cependant que Torre et Rallet (2005) proposent une relativité de la proximité géographique en raison de l’indissociabilité des dimensions spatiales et temporelles : on doit pondérer la distance par le temps et notamment par le temps de transport. L’espace serait ainsi structuré grâce aux modalités de transport, voire même par les modalités de communication (Talbot 2009) : la (l’absence de) distance géographique ne suffit pas à définir la proximité géographique tant les modalités d’interaction en face à face ne peuvent être réduites à la colocalisation des acteurs et tant la structuration de l’espace au travers des différents types d’infrastructures relativise la distance brute. La capacité organisée, par essence non spatiale, renvoie, elle, aux interactions des acteurs en ce qu’elles proviennent de la co-appartenance des acteurs à une même espace de règles, de routines ou bien même de culture (Rallet & Torre 2004). Généralement, cette proximité organisée est le fait de l’appartenance des acteurs à une même organisation au sens large du terme. La coopération des acteurs entre eux serait alors facilitée par le partage de mêmes représentations puisque appartenant au même espace socialisé.
10À partir de cette première typologie de la proximité, de nombreuses recherches ont été effectuées de manière à raffiner l’approche. L’ensemble de ces travaux a été fondateur d’une « École de la proximité » rassemblant tout type de recherches d’obédiences scientifiques diverses. Ces travaux ont donné naissance à des typologies différentes permettant de distinguer un plus grand nombre de proximités, la première distinction spatiale et non spatiale étant insuffisante pour expliciter les raisons des interactions entre les individus (Bouda-Olga & Grossetti 2008). S’il n’est pas remis en cause la distinction entre proximité géographique et proximité organisée (non géographique), il apparaît qu’il est possible de segmenter à nouveau la proximité organisée. Ainsi, Rallet et Torre (2004, 2005) distinguent dans la proximité organisée deux logiques, l’une d’appartenance et l’autre de similitude. Du point de vue de l’appartenance, il s’agit pour des acteurs d’appartenir à la même structure organisationnelle de manière à interagir mais du point de vue de la similitude, les acteurs n’appartiennent pas nécessairement à la même organisation mais interagissent sur la base de règles, de cultures, de représentations ou de références communes et partagées. Par la suite, cette distinction des deux logiques conduit à considérer une proximité organisationnelle et une proximité institutionnelle (Kirat & Lung 1999 ; Pecquer & Zimmerman 2004). À la recherche d’une segmentation encore plus opérationnalisable, Boshma (2004, 2005) et Bouba-Olga et Grossetti (2008), dans leurs travaux, amènent à distinguer cinq formes de proximité. Si les appellations des auteurs diffèrent, on peut retrouver la même logique et la même interprétation des différentes formes de proximité. Nous retiendrons ici la typologie de Boschma (2004, 2005). Il s’agit alors de la proximité géographique, de la proximité organisationnelle, de la proximité institutionnelle, de la proximité cognitive et de la proximité sociale.
11La proximité géographique est telle que nous l’avons définie précédemment avec encore une fois la nuance de la relativité de la dimension spatiale. Cette relativité est la prise en compte des infrastructures de communication et de transport. Talbot (2013) la définit comme « une mise en disponibilité relationnelle » qui « ne doit pas être confondue avec l’inverse de la distance métrique » (Talbot 2009). Cette proximité géographique peut alors être constatée pour des organisations ou pour des individus.
12Kirat et Lung (1999) définissent la proximité organisationnelle comme un ensemble d’interdépendances à l’intérieur tout comme entre des organisations, par l’intermédiaire de liens de dépendance économico-financiers. À leur suite, Boschma (2005) évoque la proximité organisationnelle comme la mesure dans laquelle des relations peuvent être partagées au sein d’une structure organisationnelle et ce quelle qu’en soit la nature (organisation au sens strict ou bien organisation hybride). Nous retiendrons de ces travaux que la proximité organisationnelle est fondée par la coexistence des acteurs (individus ou organisations) au sein d’une même structure organisationnelle (hybride). Cette proximité est une proximité non géographique et est liée au partage par les acteurs de processus de contrôle ou de processus hiérarchiques, de règles et de représentations communs. La proximité organisationnelle peut alors être située le long d’un continuum dont les extrémités seraient l’autonomie des acteurs (aucun lien donc aucune proximité) et la hiérarchie stricte (aucune autonomie et lien intra organisationnel fort).
13La proximité institutionnelle diffère de la proximité organisationnelle par le fait que la structure des relations entre les acteurs n’est pas nécessairement formalisée au sein d’une organisation et que les interactions qui surviennent entre les acteurs se réalisent sur la base d’un socle commun de règles et de normes qui régissent leurs comportements. Ainsi, on distinguera avec Boschma et Frenken (2010) les institutions formelles (lois…) et informelles (cultures, conventions, systèmes de valeurs…). Qu’elles soient formelles ou informelles, ces institutions autorisent des interactions régulées entre les acteurs les partageant. La proximité institutionnelle peut concerner des individus ou des organisations.
14Laproximitécognitiveexprimelefaitquedesacteursoudesorganisationspartagent la même base de connaissances. De ce point de vue, Nooteboom (1999) explique que les individus et les firmes perçoivent, évaluent et interprètent le monde grâce à un cadre développé au fur et à mesure de leurs interactions avec leur environnement. Le caractère cumulatif de cette perception de leur environnement rendrait difficiles les interactions entre des individus et les firmes ayant eu des expériences différentes. Par opposition, une base commune de connaissances faciliterait alors la communication et l’interaction entre les acteurs (individus ou firmes). Une faible distance cognitive renvoie ainsi à l’idée d’une adhésion des acteurs à un même paradigme et permet donc une compréhension mutuelle des individus et des organisations.
15La proximité sociale s’oppose à la conception utilitariste traditionnelle d’asocialisation des agents économiques en concevant des interactions sociales entre ces derniers. Selon Granovetter (1985), ces relations sociales seraient source de confiance et faciliteraient les coopérations interindividuelles ou interfirmes (Dupuy & Torre 2004). Dans ce contexte, Boschma (2005) définit la proximité en termes de relations socialement encastrées entre les agents, et elles le seraient lorsqu’elles impliqueraient une confiance fondée sur de l’amitié, de la parenté ou bien encore des expériences d’interactions répétées réussies.
16Loin d’être exclusives, ces différentes formes de proximité peuvent se compléter ou bien encore se substituer les unes aux autres de manière à favoriser les relations entre les acteurs et se renforcer dans un phénomène de fertilisation croisée, d’où parfois des phénomènes d’enfermement limitants soulignés dans la littérature. Quoi qu’il en soit, la littérature assez abondante sur le principe proximiste évoque également l’intérêt de la proximité dans de nombreux domaines et surtout dans celui la collaboration interfirme (Boschma 2005). Il nous semble ainsi intéressant à l’aide du principe proximiste de fournir une relecture de l’intérêt du franchisage qui permettrait alors une meilleure proximité horizontale et verticale, c’est-à-dire entre les franchisés (et/ou les succursales) et entre le franchiseur, les franchisés et les consommateurs. Cela semble d’autant plus pertinent que proximité et franchisage ont des similitudes quant à leurs possibles champs d’application : savoir, connaissances et innovation pour le premier, concept, image de marque et également innovation pour le second.
Proximité et franchise : quels rapprochements conceptuels ?
17L’étude la franchise ne saurait faire l’économie des concepts de réseau et de coordination. En effet, si la franchise est constituée par un ensemble de points de vente indépendants regroupés sous le même concept, sous la même marque et dans lequel un franchiseur accorde le droit (par un contrat) à des franchisés et impose (hiérarchie) l’obligation d’exploiter un point de vente en conformité avec son concept (définition en partie tirée du code de déontologie de la franchise), le réseau (Desreumaux 1996) serait lui une coalition d’organisations indépendantes et interreliées par des mécanismes de marché mais confiant à un leader le pouvoir de mettre en œuvre des processus hiérarchiques de manière à atteindre un objectif commun. On ne peut qu’insister, en faisant suite à Cliquet et Pénard (2002), sur la similitude des concepts. En matière de réseaux, l’un des questionnements fondamentaux est celui de la coordination des acteurs au sein du réseau et l’explication du mode de coordination des acteurs. Tout comme de nombreux travaux de l’école de la proximité, les travaux de Balland (2012) fournissent une grille de lecture de la coordination des acteurs en réseau sur la base des différentes formes de proximité. Du point de vue de la franchise, nous avons montré avec Shepard (1993) que le transfert d’une fraction des droits de propriété permettait la coordination des acteurs du réseau. Il nous paraît alors opportun de développer plus avant les similitudes conceptuelles entre ces deux champs d’analyse, proximité et franchise, tant les sujets d’analyses nous semblent « proches ».
18Si l’on suit les développements de Rallet (2002), la notion de proximité est analysée dans les approches hétérodoxes au regard de son utilité ou non en termes de coordination des agents. La question est celle « du caractère à la fois local et global de l’action des agents » et la proximité permettrait un arbitrage entre le global et le local dans la coordination des agents. De ce dernier point de vue, s’il apparaît que la franchise est essentiellement basée sur ce type d’arbitrage puisqu’il est à la charge du franchiseur de développer un concept pertinent et d’animer le réseau de manière globale et à la charge des franchisés de déployer localement ce concept. Comme évoqué, cet arbitrage entre le local et le global passe par la question de la rémunération des droits de propriété (Windsperger 2001a, 2001b, 2002) au travers des droits d’entrée et des taux de redevance mais pourrait dès lors s’examiner en termes de proximité puisque cette dernière « joue le rôle d’une sorte de curseur analytique permettant de régler le dosage des échelles globales et locales dans la coordination des agents ».
19Si les approches orthodoxes de la proximité sont fondées en économie géographique sur la notion de distance et conduisent à considérer les concentrations d’activité au plan spatiale, voire ainsi les phénomènes de colocalisation liés à des externalités spatiales (Guillain & Huriot 2000), elles amènent également à considérer des agglomérations d’activités non colocalisées du fait des différentes dimensions de la proximité, cette fois-ci liées à des externalités technologiques ou cognitives. Autrement dit, au-delà des agglomérations de type spatiales, la proximité permettrait la fourniture d’une grille de compréhension de la mise en réseau d’activités non plus seulement colocalisées et monopolaires mais cosituées dans un espace multipolaire (Rallet 2002 ; Veltz 1996). Par essence, les points de vente d’un même réseau ne peuvent appartenir au même territoire géographique sous peine de réduire l’image de marque du réseau à cet espace local, limitant conséquemment le caractère global de cette dernière et n’attirant pas les consommateurs non localisés sur cette zone géographique (Oxenfeldt & Kelly 1968), d’où la nécessité d’une implantation géographiquement distante de l’épicentre du réseau. Par ailleurs, il existe des effets d’agglomération lors de l’implantation de commerces de même nature poussant les réseaux à s’installer sur les mêmes territoires que leurs concurrents, polarisant alors une zone (Lewison & Delosier 1986 ; Lagrange & Rochette 2003) et attirant par conséquent les consommateurs. Il est ainsi possible de réaliser une relecture de la localisation des points de vente d’un réseau de franchise sur la base de l’approche orthodoxe de la proximité, les deux champs théoriques pouvant se fertiliser.
20Les différents champs d’étude de l’économie de la proximité et du groupe « dynamique de proximité » (Rallet 2002 ; Talbot 2009, 2015) s’intéressent pour une large part aux innovations et aux réseaux d’entreprises en s’attachant à montrer que la proximité, sous toutes ses dimensions, sécurise le partage de connaissances, de savoir tacite et permet une meilleure distribution des droits de propriété lors d’innovations tout en permettant une coordination efficace des membres du réseau (Balland 2012). Comme le font remarquer Nguyen et Penard (2001), la coopération est nécessaire lorsque le but de l’activité ne peut être atteint seul et nécessite l’intervention d’un ensemble d’acteurs. Ils donnent ainsi l’exemple du déménagement d’un objet volumineux dont le déplacement ne peut s’effectuer que grâce à la collaboration de tous. Or ce déplacement peut être considéré comme un bien public collectif et indivisible puisqu’il est impossible de distinguer les différents apports des parties pour autant que le résultat est lui non discriminable par un quelconque mécanisme d’attribution. Il en résulte de potentiels comportements opportunistes : ne pas participer à l’activité et profiter à part entière de ses effets. Du point de vue de l’école de la proximité, le partage du savoir et de l’innovation en évitant les comportements de passager clandestin liés à leur développement serait le fait d’organisations dans lesquelles un équilibre dans l’intensité des différentes formes de proximité serait constaté (Boschma & Frenken 2010). Comme nous l’avons évoqué précédemment, le franchisage est une collaboration d’acteurs basée sur l’utilisation d’une image de marque collective à l’élaboration de laquelle tous les acteurs devraient collaborer, cependant qu’ils n’y ont individuellement pas intérêt dans la mesure où il leur est impossible de capturer l’intégralité de la rente liée au développement de cette image de marque. Nous avons cependant souligné que la franchise est une forme organisationnelle efficace en termes de coordination et ce, notamment car elle permet la création d’incitations importantes à ne pas adopter de comportements opportunistes en réconciliant propriété et revenus de la propriété.
21En réalité, dans les deux cas, le point central de la coordination est celui de l’utilisation d’un bien collectif par les acteurs au sein d’un système générateur d’externalités positives mais également négatives. La proximité (sous toutes ses formes) des acteurs au sein du réseau permet d’éviter les comportements opportunistes, tandis que le partage des droits de propriété dans les réseaux de franchise permet d’aboutir au même résultat. Boschma (2005) montre qu’en termes de proximité, il s’agit de maintenir une certaine proximité institutionnelle, qui, rappelons-le, concerne un socle commun de règles et de normes régissant les comportements. Autrement dit, l’utilisation d’un socle commun de normes et de règles de fonctionnement (Balland 2010), le concept et l’image de marque, permet de renforcer la collaboration entre les membres du réseau.
22Plus encore, Boschma (2005) montre qu’il existe des effets d’enfermement relativement aux différentes dimensions de la proximité pouvant conduire à ce qu’il appelle le paradoxe de la proximité : l’innovation serait favorisée par la proximité mais cette dernière, trop prononcée, produirait des effets limitants sur la génération de nouvelles connaissances. Il serait alors nécessaire de faire un arbitrage entre distance et proximité pour favoriser l’apprentissage et l’innovation. De la même manière, si la franchise paraît être une forme organisationnelle efficace en termes de limitation des comportements opportunistes, le recours systématique à cette forme statutaire produirait des effets pervers tels qu’une impossibilité de contrôler les éléments du mix marketing (Michael 1999, 2000, 2002) et produirait in fine de l’opportunisme. Cela étant, au-delà du choix manichéen entre franchises et succursales, il apparaît que de nombreuses réflexions essaient de dépasser les analyses en termes de contingence et de décontextualiser le choix de la forme statutaire pour considérer que la forme statutaire du réseau procède d’un équilibre entre franchise et succursale de manière à répondre au mieux à des enjeux managériaux tels que parvenir à un équilibre entre uniformité des points de vente et innovations (Lewin-Solomons 1999 ; Sorenson & Sorensen 2000 ; March 1991). Cet équilibre des formes statutaires serait alors à même de répondre aux problématiques mises en évidence par Michael (1999, 2000, 2002). En tout état de cause, on retrouve ici, une notion d’équilibre dans la franchise, tout comme cela pouvait être le cas du point de vue de la proximité. Ainsi, il est possible de redéployer l’analogie basée sur l’image de marque pour les réseaux de franchise et l’innovation pour la proximité : un équilibre dans la proximité et un équilibre entre les différentes formes statutaires permettrait le développement respectivement du bien public innovation et du bien public image de marque. À charge pour nous d’opérationnaliser cette « proximité » des concepts de manière à montrer qu’au-delà des justifications orthodoxes du choix franchise/succursale, il existe une utilisation possible de la notion de proximité en matière de management des réseaux de franchise en reprenant à la suite de Bradach (1998) l’idée selon laquelle la mixité statutaire permettrait de manager au mieux ces réseaux de points de vente en convoquant cette fois-ci la notion de proximité dans toutes ses dimensions.
La proximité comme clé de lecture de la performance managériale des réseaux mixtes
23Si l’on suit les développements de Lafontaine et Shaw (2001), il existerait une certaine stabilité de la mixité statutaire au sein des réseaux de franchise, ce qui tendrait à souligner que la question centrale ne serait pas celle d’expliquer le choix entre succursale et franchise mais plutôt d’expliquer l’intérêt d’une telle stabilité dans le temps du mélange franchise succursale dans un même réseau. Pour Bradach (1997, 1998) la pluralité statutaire apporterait non pas les avantages des deux formes statutaires mais plus encore serait à la base de la création de synergies propres à rendre le réseau plus performant, que ce soit en termes financiers (Fénies, Lagrange & Tchernev 2010 ; Féniès, Gauthier & Lagrange 2014) ou en termes de capacité à la survie (Perrigot, Cliquet & Piot-Lepetit 2009). Cette efficacité des réseaux mixtes serait alors à rapprocher de leur capacité à relever quatre enjeux managériaux : croissance par ajout de points de vente, uniformité du réseau, réactivité locale des points de vente, et adaptabilité globale du réseau à la pression concurrentielle (Bradach 1998). D’après l’auteur, les réseaux maintenant une certaine proportion de franchise et de succursale seraient alors aptes à relever ces enjeux managériaux car mettant en œuvre des processus d’imitation et de benchmarking entre les différents points de vente. À l’aune de nos développements précédents, nous rapprocherons la capacité des réseaux mixtes à relever les enjeux managériaux grâce à un équilibre de la proximité évitant le paradoxe de Boschma (2005).
24Le premier enjeu managérial est celui de la croissance et du développement du réseau par ajout de nouveaux points de vente. Comme évoqué avec Oxenfeld et Kelly (1969), l’ajout de points de vente en succursales est un mode de développement coûteux et le recours à la franchise peut être une solution moins onéreuse. Au-delà du coût du développement d’un réseau sur la base des succursales, il existe, en termes organisationnels et managériaux, un goulet d’étranglement lié à la taille du réseau générant des comportements opportunistes des managers salariés compte tenu de la diminution de la probabilité d’une promotion hiérarchique (Brown 1998) et il serait ainsi important de trouver un relais de croissance par l’intermédiaire des franchisés. En outre, d’après les développements de Bradach (1998), il existerait des phénomènes synergiques, cumulatifs et autorenforçants liés à l’utilisation de la forme plurielle : l’ajout d’un point de vente en franchise permet à l’opérateur d’augmenter sa capacité financière (notamment grâce à la perception des droits d’entrée et des redevances), ce qui lui permet de déployer son réseau sous la forme de succursale. Ce nombre croissant de points de vente est alors attractif du point de vue des consommateurs (lié au caractère global de l’image de marque), ce qui rend le réseau d’autant plus attractif pour de nouveaux franchisés, etc. Notons ici que cette capacité à développer le réseau permet alors de développer la proximité dans sa forme géographique du réseau et des consommateurs. Cette proximité est essentielle pour que le consommateur puisse faire une expérience d’achat dans le réseau, à la fois sur son territoire local et sur un territoire étranger. Si la croissance permet de créer une proximité géographique avec le consommateur, il apparaît que tel n’est pas le cas du point de vue organisationnel : plus le réseau se développe plus les points de vente se trouvent éloignés de l’opérateur, pouvant rendre délicat l’exercice du contrôle et de la coordination du réseau relativement notamment à l’utilisation des biens collectifs que sont le concept et l’image de marque. De ce point de vue, il nous apparaît alors fondamental de développer, effectivement, le réseau sur la base des deux formes statutaires. En ne développant le réseau que sous la forme de franchise, on développerait une proximité géographique forte avec le consommateur mais l’on perdrait cette proximité avec l’opérateur au fur et à mesure de l’éloignement des points de vente. En ne développant le réseau que sous la forme de succursales, on arriverait à un problème de coordination des points de vente (Brown 1998). Ainsi, si le développement du réseau en utilisant les formes pures conduit à des dysfonctionnements, un développement utilisant la pluralité statutaire permettrait alors déployer une certaine proximité géographique des succursales et des franchises (la succursale étant alors perçue comme une extension de l’opérateur) tout en générant des incitations pour les managers de succursales en termes de promotion hiérarchique (ces derniers ayant alors la possibilité de devenir franchisé).
25L’uniformité est un enjeu d’importance puisque c’est par son maintien que le réseau accède au caractère global de l’image de marque (dans la mesure où le réseau a su se développer sur des territoires différents) et que les externalités positives se créent. Il est ainsi mis en exergue un point d’achoppement avec l’enjeu de réactivité locale des points de vente : une croissance réussie du réseau, afin de construire le caractère global de l’image de marque, passe nécessairement par le maintien de l’uniformité et par la réactivité locale obligée des points de vente qui doivent ainsi s’ancrer dans un tissu concurrentiel particulier et nécessairement adapter le concept aux exigences de la demande et de l’offre. Ne pas réagir à ces conditions locales reviendrait à échouer dans l’implantation du point de vente, paradoxalement à ne pas renforcer le caractère global de l’image de marque et in fine ne pas relever l’enjeu de la croissance. Il est nécessaire de faire un arbitrage en uniformité et réactivité. Il s’agit alors pour l’opérateur d’arbitrer entre succursales (dont la propension à maintenir l’uniformité est forte mais dotées d’une réactivité faible) et franchises (dont la propension à l’uniformité est faible mais douées d’une réactivité forte). Il est encore une fois possible d’évoquer cet arbitrage en termes de proximité en convoquant les phénomènes d’enfermement développés par Boschma (2005). En effet, il est possible de traduire la faible capacité des succursales à réagir localement aux conditions locales par un effet d’enfermement lié à trop de proximité organisationnelle bloquant leur capacité à produire de nouvelles routines pour correspondre au tissu local. Notons toutefois que cet enfermement lié à la proximité organisationnelle est garant de l’uniformité. La plus faible capacité des franchises à maintenir l’uniformité pourrait être due à une faible proximité organisationnelle leur permettant cette fois-ci de s’adapter localement aux contraintes du territoire (renforcée par le caractère entrepreneurial du franchisé). Bradach (1998) évoque alors des phénomènes de benchmarking et d’imitation permettant aux franchisés d’être plus respectueux du concept et aux succursales de réagir aux conditions locales. Il nous apparaît que ces phénomènes de benchmarking sont initiés par une proximité géographique des deux types de points de vente les autorisant alors de convoquer une certaine proximité cognitive leur permettant ainsi d’échanger du savoir. Ainsi, Balland (2012) démontre que les organisations sont plus à même d’échanger des informations et collaborer lorsqu’elles partagent une certaine proximité géographique. En effet, si l’on suit Talbot (2009) la proximité géographique des franchises et des succursales leur permet une mise en disponibilité relationnelle autorisant alors des échanges de savoir. Cet échange de savoir pourra avoir lieu dans la mesure où, grâce à la colocalisation, elles auront une certaine proximité cognitive car elles feront face aux mêmes conditions d’exploitation de leur point de vente et seront alors capables de transferts de connaissances et de compétences (Boshma & Frenken 2010) tout en évitant les phénomènes d’enfermement (Boshma 2005).
26Le dernier enjeu managérial mis en évidence par Bradach (1998) est celui de l’adaptabilité globale du réseau à la pression concurrentielle, ou autrement dit, l’enjeu d’innovation. Cet enjeu est en réalité la succession de quatre sous-enjeux : la génération d’idées nouvelles, le test de ces idées, leur évaluation, et la mise en œuvre des innovations dans l’ensemble du réseau. L’auteur montre que la mixité statutaire est indispensable pour relever correctement ce défi managérial. Ainsi et brièvement, il y aurait deux types de processus de génération d’idées nouvelles : la R & D pour ce qui concerne les innovations radicales (l’apport des succursales étant ici primordial) et la réactivité locale des franchisés pour ce qui concerne les innovations incrémentales. Dans le cadre d’un réseau pur, le processus serait alors incomplet. Pour le test et l’évaluation des idées nouvelles, il est également nécessaire d’avoir au sein du réseau les deux formes statutaires dans la mesure où les succursales autoriseront un test et une évaluation dans un environnement conceptuel inchangé (du fait de la forte uniformité) permettant d’isoler les effets de l’innovation sur le reste du concept et sur la capacité de l’innovation à générer un supplément de chiffre d’affaires sans pour autant cannibaliser les autres éléments du concept. Les franchises, quant à elles, permettront un test et une évaluation en situation réelle dans des conditions variées de manière à déterminer s’il est possible de généraliser l’innovation à l’ensemble du réseau (Bradach [1998] rapporte de ce point de vue des innovations ayant échoué du fait d’une trop faible possibilité de généralisation). Enfin, une fois l’ensemble de ces étapes franchi, il est nécessaire de mettre en œuvre de manière uniforme et dans l’ensemble du réseau, cette innovation. Il apparaît alors qu’il soit nécessaire tout à la fois de lever les freins des franchisés quant à l’acceptation de cette nouveauté (ils peuvent en effet craindre un comportement opportuniste du franchiseur quant à la génération du profit dans les points de vente du fait même de l’indexation de la redevance sur le chiffre d’affaires) et de favoriser l’apprentissage des points de vente quant à la mise en œuvre opérationnelle de cette innovation. Là encore, Bradach (1998) relève la nécessité de la pluralité statutaire pour réussir cette étape : l’existence des succursales permettra de lever les doutes quant au comportement opportuniste de l’opérateur en alignant les intérêts de ce dernier avec ceux des franchisés. L’existence de points de vente en franchise et de points de vente en succursale sur des territoires voisins permettra également un meilleur apprentissage de l’innovation grâce aux phénomènes de benchmarking et d’imitation évoqués précédemment.
27Encore une fois et bien évidemment, il est possible de redéployer ici une analyse en termes de proximité. En effet, l’un des domaines les plus évoqués par l’École de la proximité est la capacité d’une organisation hybride à innover lorsqu’elle convoque les différentes dimensions de la proximité. Pour ce qui concerne le premier sous-enjeu, si Bradach (1998) montre effectivement que les points de vente en franchise ont une très bonne capacité à générer de l’innovation au travers de la réactivité locale, encore faut-il que ces derniers aient la volonté de partager leurs découvertes avec l’opérateur. De la même manière, en matière de recherche et de développement, et compte tenu des coûts engagés dans une telle procédure, il est nécessaire que l’opérateur ait la volonté de partager ses propres innovations avec les franchisés. Au-delà des éléments de transfert des droits de propriété et d’équilibre entre propriétés et revenus que nous avons déjà évoqués, Balland (2010) montre que la proximité organisationnelle est un élément à prendre largement en compte dans ce processus de transfert de connaissances : des acteurs auront alors plus tendance à collaborer s’ils ont une certaine proximité organisationnelle. La proximité organisationnelle est marquée ici par l’appartenance des franchisés au réseau même si elle n’est que contractuelle (contrairement aux succursales). On remarquera qu’il ne s’agit pas d’une proximité organisationnelle forte mais cela ne saurait être autrement dans l’innovation car une trop forte proximité organisationnelle produirait des effets d’enfermement et réduirait la capacité des franchisés à produire des innovations incrémentales. En outre, Balland (2010) montre que la collaboration avec des entités de la même organisation traduirait une volonté de contrôler la diffusion du savoir créé ; tel est le cas ici du point de vue de l’opérateur. Pour ce qui concerne le test et l’évaluation de l’innovation, il nous apparaît qu’une trop forte proximité institutionnelle ne permettrait pas de tester et d’évaluer de manière complète les nouvelles idées dans la mesure où il ne pourrait être statué sur la robustesse de l’innovation face aux différentes conditions locales de mise en œuvre du concept. Classiquement, Boschma (2005) constate des effets d’enfermement lorsque la proximité institutionnelle est trop forte. Ici, trop peu de déviation (ou des déviations identiques) dans l’application du concept ne permettrait pas de comprendre les interactions possibles de l’innovation avec les goûts locaux des consommateurs ou avec les conditions locales de la concurrence. Enfin, en matière de mise en œuvre de l’innovation dans l’ensemble du réseau, le point central, comme nous l’avons évoqué, concerne la capacité du franchiseur à convaincre les franchisés du bien-fondé de l’innovation. La proximité cognitive est alors un point essentiel car les franchisés ne lèveront leurs craintes par rapport aux intentions de l’opérateur que dans la mesure où ce dernier montre qu’il a les mêmes interactions avec l’environnement que le franchisé : l’opérateur, s’il a des succursales est lui-même intéressé par le profit et non plus par le seul chiffre d’affaires des points de vente. En outre, dans la mesure où le franchisé peut posséder plusieurs points de vente, il y aura une plus forte proximité cognitive avec le franchiseur puisque le franchisé aura lui aussi à charge la gestion d’un réseau et comprendra mieux les intentions de l’opérateur du fait d’une meilleure capacité à l’empathie. En dernier lieu, du point de vue de la mise en œuvre rapide et uniforme dans l’ensemble du réseau, il est nécessaire d’évoquer la bonne capacité du réseau à l’apprentissage et nous renvoyons alors à la fertilisation croisée entre succursales et franchises du point de vue de l’uniformité et de la réactivité locale qui convoquent les éléments de proximité géographique, cognitive et organisationnelle.
Conclusion : discussion et perspectives
28L’objectif de ce travail était d’initier une vision proximiste des réseaux mixtes de franchise. De prime abord, la relation entre proximité et franchise au travers de la dimension géographique apparaît somme toute évidente et ce notamment au travers de la nécessaire colocalisation des consommateurs et des points de vente. Nous avons dépassé cette première vision de la proximité par l’étude des travaux de l’École de la proximité et introduit dans la réflexion les autres dimensions de la proximité, à savoir la dimension cognitive, la dimension institutionnelle, la dimension organisationnelle et la dimension sociale. L’un des objets d’étude en économie des proximités concerne les formes organisationnelles hybrides et les réseaux ; la capacité à se coordonner de ces organisations se lisant alors en termes de proximité. La capacité de la franchise à croître et à se développer étant remarquable, il nous semblait alors intéressant de lier les deux champs de recherche. En reprenant les travaux précurseurs de Bradach (1998) sur les enjeux managériaux, une nouvelle clé de lecture est apparue, permettant de mieux comprendre l’aptitude des réseaux mixtes à relever les quatre défis que sont la croissance, l’uniformité, la réactivité locale et l’adaptabilité globale du réseau. Ce travail exploratoire, s’il a pu montrer l’intérêt de cette nouvelle grille d’analyse, n’a pu en revanche et par définition confirmer par l’étude empirique de réseaux que la proximité, sous toutes ses formes, est bien une source de performance pour ces derniers. Il serait ainsi intéressant à mener un tel travail. Plus encore Boschma (2005) relève un paradoxe de la proximité au travers d’effets d’enfermement, de la même manière, il est possible de constater de tels effets dans un recours excessif à la franchise ou aux succursales, handicapant ainsi le réseau en matière par exemple de réactivité ou d’uniformité. Lagrange (2009) développe ces éléments pour mettre en évidence une forme d’équilibre nécessaire dans la mixité, équilibre qui se traduit en outre dans les enjeux managériaux. Il serait enrichissant de reprendre à notre tour ce principe d’équilibre et de le formaliser plus amplement afin de montrer que cet équilibre dans les dimensions proximistes peut être relié avec un équilibre dans les proportions de points de vente en franchise et de points de vente en succursale.
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Auteur
Maître de conférences en sciences de gestion à l’IAE Auvergne de l’Université Clermont Auvergne, où il est responsable du master « Stratégie et Management des PME-PMI ». Ses enseignements sont principalement tournés vers le management et la stratégie des organisations ainsi que vers la coopération inter-entreprises au travers des réseaux de franchise. Ses recherches et dernières publications sont liées à la modélisation par équations structurelles et au management des réseaux mixtes de franchise débouchant sur des problématiques d’optimisation de ces réseaux et leur chaîne logistique.
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