Le choix du commerce indépendant en réseau organisé
Entre franchise et commerce coopératif ou associé
p. 107-122
Texte intégral
Introduction
1Entreprendre en tant que commerçant implique de choisir entre l’indépendance absolue et l’adhésion à un réseau, qui permet notamment de bénéficier d’une enseigne commune. Alors que l’entrepreneuriat est souvent considéré comme une expérience et un défi à titre individuel, il peut aussi être envisagé dans une perspective collective (Bataille-Chedotel & Huntzinger 2004). Les entrepreneurs susceptibles de tenir un commerce ont plus de probabilités d’obtenir de meilleurs résultats en faisant partie d’un réseau plutôt qu’en étant indépendants (Kaufmann & Stanworth 1995). Plusieurs formes de réseaux sont à envisager : licence de marque, affiliation, commission affiliation, concession, franchise, commerce associé ou coopératif (Fourgoux 2016).
2Deux formes de commerce indépendant organisé sont prépondérantes en France : 1) la franchise ; 2) le commerce coopératif et associé. La franchise représente 1834 réseaux pour un chiffre d’affaires (CA) estimé à 53,38 milliards d’euros en 2015 (Fourgoux 2016). Le commerce coopératif et associé est composé de 180 enseignes nationales pour un CA estimé à 150,3 milliards d’euros en 2016. Cela représente 7 % du Produit intérieur brut français (FCAb 2017), soit quasiment trois fois plus que la franchise. À l’inverse de ces dernières, les organisations de commerce coopératif et associé souffrent d’une pénurie de recherche.
3Depuis février 2015, la FCA qui était jusqu’alors intitulée la Fédération du Commerce associé est devenue la Fédération du Commerce coopératif et associé. Il n’est plus question d’englober les coopératives de commerçants au sein d’une expression plus large telle que le commerce associé. Cette distinction s’opère avant tout au regard du statut juridique de ces organisations. La forme juridique est majoritairement celle d’une société anonyme coopérative à capital variable de commerçants détaillants à 90 % (Choukroun 2013). Ce statut permet de bénéficier d’une évolution du capital en fonction du nombre d’adhérents et des souscriptions. Les organisations dont le fonctionnement est similaire à celui des coopératives, sans en revêtir la forme, correspondent donc aux réseaux de commerce associé pour lesquels il n’y a pas de statut juridique à proprement parler. La FCA les définit en tant que « [r]éseau[x] organisé[s] et contrôlé[s] par des commerçants indépendants, propriétaires des points de vente, qui se sont associés au sein d’un groupement de commerçants, pour mutualiser leurs moyens et développer des politiques communes : achat, enseigne, opérations commerciales, services… La structure centrale ainsi constituée est la propriété du réseau » (FCA 2017c).
4Cette définition contribue à apporter quelques éclaircissements mais ne permet pas de prendre en compte certaines particularités organisationnelles des réseaux telles que définies par Bradach (1998). Toutefois, ces considérations organisationnelles ne semblent pas être prépondérantes dans le choix d’un entrepreneur pour telle ou telle forme de réseau. Selon Fourgoux (2016 : 19), « [l]e choix initial de l’enseigne commune repose sur l’avantage d’un concept déjà testé, d’un savoir-faire éprouvé permettant au membre de bénéficier d’un avantage dans le développement de son activité ». Il semblerait ainsi que le choix s’effectue davantage au regard de l’attractivité de l’enseigne que selon la question de la nature organisationnelle du réseau. Ce facteur est déterminant dans la manière d’exercer son métier d’entrepreneur mais peut être relayé au second plan par méconnaissance des différences et de ce qu’elles impliquent.
5D’après le Code de déontologie européen de la franchise, un franchisé doit pouvoir bénéficier d’une enseigne et/ou d’une marque de produits et/ou services, d’une assistance commerciale ou technique et d’un savoir-faire éprouvé (FFF 2011). Ces trois caractéristiques ne sont pas formalisées au sein des réseaux de commerce coopératif et associé (FCA 2017d). Toutefois, la FCA (2017d) précise que « [l]a constitution et le fonctionnement des groupements [de commerce coopératif et associé] résultent de la mise en commun, de la mutualisation et du partage des savoir-faire, de moyens humains ou financiers… ». L’intérêt d’intégrer un groupement de commerce associé tient donc, en partie, à son savoir-faire (Albert 2010) mais aussi à la possibilité de bénéficier d’une enseigne ayant une forte notoriété (FCA 2017a).
6Les travaux académiques se sont déjà intéressés à la question de la marque avec le défi de l’uniformité du concept (Bradach 1998) ou à la transmission du savoir-faire au sein des réseaux de franchise (Perrigot et al. 2015). Cela vient d’être le cas récemment pour les réseaux de commerce coopératif et associé (Cassou 2016 ; Cassou et al. 2016, 2017). Dans un tel contexte, il est possible de se demander dans quelle mesure il existe des convergences et des divergences entre les réseaux de franchise et de commerce coopératif ou associé pour face au défi de l’uniformité du concept et opérer la transmission du savoir-faire au sein de ces organisations.
7L’objectif de ce travail est de mieux identifier et comparer les processus et mécanismes qui contribuent à l’uniformité du concept et au transfert du savoir-faire afin de mieux prédire les comportements des réseaux franchisés et de commerce coopératif ou associé. L’analyse est fondée à partir de travaux de recherche et en particulier d’une étude empirique qui a consisté à développer des études de cas « exploratoires » sur quatre réseaux de commerce coopératif et associé à dominante alimentaire (Cassou 2016). La section 1 établit la revue de littérature disponible sur les convergences et divergences entre les deux formes organisationnelles. La section 2 analyse les variations de management de l’uniformité du concept et du savoir-faire au sein de ces réseaux. La section 3 conclut, discute les résultats, identifie les limites et voies de recherche.
Revue de littérature
8Trois dimensions ont été étudiées avant de proposer un tableau comparatif de synthèse : 1) la qualité de commerçants indépendants ; 2) les évolutions structurelles des organisations depuis leurs fondements ; 3) la mise en œuvre des relations interorganisationnelles. Une synthèse comparative est présentée à la fin de ces développements.
Qualité de commerçants indépendants
9Selon Baroncelli et Manaresi (1998 : 36), « [l]e commerce associé, dans ses différentes formules dont la franchise, permet d’obtenir des résultats en termes de contrôle de gestion, proches de ceux du commerce intégré (cumul des fonctions de grossiste et de détaillant), mais dans un cadre juridique complètement différent. La distinction fondamentale est que, dans le commerce associé, les membres de l’association sont juridiquement indépendants ». Un réseau d’indépendants n’engendre pas la formation d’un capital monopolistique (Hy & Nicolas 1983). Les structures centrales sont destinées à leurs membres dans une optique de réciprocité permettant à chacun de bénéficier d’une forte vitalité (Harbour 2009), même si le franchiseur est à la recherche de plus-value. Les commerçants « indépendants » qu’ils soient franchisés, coopérateurs ou associés ne peuvent donc être assimilés à des points de vente succursalistes.
10L’utilisation de « commerce associé » peut revêtir selon les auteurs des sens très différents. Kotler et al. (2012) utilisent l’expression de commerce associé pour désigner les groupements de grossistes, les groupements ou coopératives de détaillants, les chaînes volontaires ainsi que les franchises. D’autres auteurs englobent les franchises, les chaînes volontaires et les coopératives de détaillants (Benoun & Héliès-Hassid 2003). Fady et al. (2007) y intègrent la franchise et les groupements d’indépendants. Il en est de même pour Lendrevie et Levy (2013) qui distinguent la franchise des groupements de commerçants au sein des organisations de commerce associé. De manière plus étonnante, la traduction anglaise liée à cette formule de distribution dans le dictionnaire indexé du Mercator (Lendrevie & Levy 2013 : 1065) est « franchise dealership », habituellement traduit par le système de concession. Dans ce prolongement, Binninger (2013) intègre les groupements de détaillants, qu’ils soient de forme coopérative ou associative, et la franchise au sein du commerce associé. Cliquet et al. (2006) parlent de distribution associée et distinguent bien la franchise du commerce associé, ce dernier étant considéré comme une association horizontale. Plus récemment, Rieucau et Salognon (2013) distinguent le commerce associé de la franchise et parlent de commerce indépendant organisé. Au regard de ces différentes approches, il sera considéré que le « commerce associé » revêt les mêmes objectifs et des moyens très similaires aux réseaux de commerce coopératif et se distingue donc de la franchise.
Évolutions structurelles des organisations depuis leurs fondements
11La franchise tient ses origines du succursalisme sachant que pendant longtemps celle-ci a été considérée comme une forme organisationnelle temporaire. La théorie de la rareté des ressources a justifié le choix prépondérant du franchisage en cas de moyens financiers limités (Rubin 1978). Cela impliquait une situation ponctuelle avec un retour à la propriété du réseau vers le succursalisme par le rachat de points de vente franchisés. Les auteurs s’accordent désormais sur l’existence propre de la forme organisationnelle de la franchise. De ces origines, la franchise connaît une organisation de nature verticale « top-down » oblique car « le système repose sur une contractualisation entre deux commerçants indépendants. Il ne peut être question de relations de type droit du travail » selon Cliquet (2010 : 20). Les réseaux de franchise coexistent majoritairement de manière conjointe avec des réseaux succursalistes pour former des réseaux mixtes (Bradach 1998). Ces réseaux ainsi formés permettent de bénéficier des aspects centralisés et décentralisés de deux systèmes différents, augmentant leurs forces et réduisant leurs faiblesses. Les réseaux mixtes semblent ainsi être les plus aptes à survivre et se développer (Bradach 1998). Cela contribue à expliquer qu’il existe majoritairement des réseaux mixtes et par conséquent très peu de réseaux de franchise « purs » (Cliquet 2000).
12À l’inverse, les réseaux de commerce coopératif et associé semblent être relativement « purs », excepté quelques situations de mixité temporaire ou à la suite d’un développement international. Cela peut s’expliquer par leurs origines. Le coopératisme moderne date de 1844 avec la fondation en Angleterre de la Société des équitables pionniers de Rochdale (Toucas & Dreyfus 2005). Les principes essentiels du mouvement coopératif (Krishnaswami 1968 ; Chamard et al. 2012) distinguent cette forme d’organisation de celle de la franchise : 1) « un homme, une voix » pour lequel chaque membre a le même pouvoir de décision « démocratique », quelle que soit son importance en termes de capitaux ou de points de vente (Papon-Vidal 2000) ; 2) la répartition des bénéfices entre les coopérants implique une répartition des bénéfices au prorata des activités de chaque membre de manière juste (De Gramont 2011) ; 3) la rémunération limitée du capital : cette notion d’équité implique une rémunération limitée des apports en argent (Chamard et al. 2012). Un autre principe essentiel est celui de la « porte ouverte », selon lequel chacun est libre d’adhérer ou de s’en aller. Toutefois, celui-ci est désormais à nuancer en raison d’une verticalisation des coopératives de commerçants.
13Dans les années 1980, les groupements de commerce coopératif et associé ont évolué afin de gagner en compétitivité. Ce mouvement s’est accéléré avec la loi Raffarin de 1996 à la suite de laquelle les groupements succursalistes ont initié une vague de concentration en France et d’internationalisation (Ponsot 2008). Afin d’avoir un poids conséquent face aux grands fournisseurs internationaux (Meier 2006) et surmonter l’effet de seuil (Abrard & Paché 2009), les groupements de commerce coopératif et associé ont cherché à développer le nombre de membres du groupement et de points de vente (Leroyer 2005). Ils ont ainsi renforcé leurs efforts de centralisation et de coordination, en s’inspirant du modèle succursaliste (Abrard & Paché 2009), afin de mettre en place un réseau cohérent, d’asseoir une image de mouvement et de force pour s’imposer sur leur marché (Meier 2006). Les groupements ont ainsi renforcé les pouvoirs des structures centrales de leur organisation, c’est-à-dire de la tête de réseau qui appartient aux membres de l’organisation (Choukroun 2013). C’est le début de l’harmonisation de ces commerces indépendants et d’une politique commerciale commune propre à assurer le développement et l’activité de leurs associés (Rousselière 2003). Les réseaux de commerce coopératif et associé ont aussi renforcé leurs aménagements conventionnels tels que le droit de retrait afin d’organiser les départs et d’éviter ainsi d’asphyxier le système de financement (Baron 2007). L’arsenal juridique mis en place a pour vocation de décourager les « opportunistes » de revendre leur point de vente à un concurrent et de faire appliquer un caractère indemnitaire (Hérail 2009). Ces évolutions pourraient s’analyser comme une verticalisation. Ainsi, selon Cohen (2008 : 45), « [l]a mise en place des coopératives de commerçants détaillants conduit à l’enchevêtrement d’un lien vertical (ou commercial) entre la société coopérative et ses membres et d’un lien horizontal (ou social) entre associés. […] Cette dualité entre le lien social et le lien commercial est parfaitement admise ».
14L’adoption de comportements mimétiques face aux réseaux succursalistes (Côté 2009) a conduit à une diminution de la conscience de la relation spécifique qui lie les coopérateurs à leur organisation. Ainsi, ils deviennent de simples usagers en délaissant leur rôle de copropriétaire (Côté 2009). Ces évolutions, lourdes sur le plan des modifications structurelles et du sens, affaiblissent les valeurs et principes coopératifs dont l’influence s’amenuise. Comme le précise Mousseron (2011a), « [p]assé le moment de la séduction pour attirer des adhérents, beaucoup de ces réseaux utilisent la force majoritaire pour renforcer leur efficacité ». Selon Vienney cité par Ponsot (2008 : 78), « la tradition coopérative reste à établir » et ce type d’organisation est à considérer comme une forme de « corporatisme » tournée vers l’intérêt de leurs propres membres. Pour Prades (2008), il peut s’agir d’une coopérative sur le plan juridique mais pas en ce qui concerne les valeurs fondamentales. Au début du xxe siècle, des commerçants se sont structurés pour faire face à la concurrence des coopératives de consommateurs. Ils ont alors créé des coopératives de commerçants « plus par réaction et par souci d’efficacité commerciale que par adhésion à un système de valeurs dont ils ne partageaient pas la philosophie » selon Holler (1997 : 89). À la fin du xxe siècle, ces organisations ont évolué afin de lutter face à la prépondérance des succursales et se sont rapprochées ainsi du système de franchise.
15Ces évolutions témoignent d’un certain éloignement au regard des règles de la coopération et de l’esprit coopératif (Mousseron 2011b). Cette perte de différenciation vis-à-vis de ses concurrents capitalistes incite à s’interroger sur le « sens et la légitimité » du statut coopératif en contexte concurrentiel (Côté 2009). Pour Blümle et Dewarrat (1983), il devient même difficile de distinguer les coopératives des entreprises de type privé : les rapprochements entre le distributeur Auchan et la coopérative Système U ou entre le distributeur Casino et le groupement de commerce associé Intermarché en constituent des illustrations.
Mise en œuvre des relations interorganisationnelles
16Au regard du caractère oblique des franchises et de la verticalisation des organisations de commerce coopératif et associé, différentes similitudes peuvent être notées. Selon Souilleaux (2013 : 10), « les relations opérationnelles tête de réseau/adhérent dans un groupement du commerce associé sont très proches des relations verticales contractualisées d’un réseau de franchise et reposent parfois sur les mêmes outils juridiques ». La formalisation des aspects opérationnels dans les rapports juridiques entre la tête de réseau et les membres de l’organisation, en tant que clients de celle-ci, sont relativement semblables entre les deux systèmes. Cela correspond à l’utilisation de la marque-enseigne, la transmission du savoir-faire, la centralisation des activités logistiques, la politique marketing, les activités d’achat, de référencement, la zone de chalandise, les modalités de communication, la transmission du savoir-faire, l’assistance, etc. (Souilleaux 2013). Dans la franchise, les contrats passés entre le franchiseur et son franchisé contiennent toutes les modalités du fonctionnement du réseau. En souscrivant des parts sociales, le commerçant devient associé du groupement et accepte les statuts de celui-ci et son règlement intérieur. Pour accéder aux services du groupement, les associés doivent, comme les franchisés, rémunérer ces services avec la possibilité d’ajouter des cotisations optionnelles pour des services spécifiques. Elles peuvent être fixes ou variables. Les coûts supportés par un associé pour s’installer sont semblables à ceux du franchisé, qu’il s’agisse des coûts d’achat, de location et d’installation du matériel, des coûts de logiciel, de constitution du stock initial, etc. (Souilleaux 2013). Alors que les franchisés doivent régler un coût d’entrée conséquent, les commerçants coopérateurs et associés s’engagent à partager leur temps (notion de tiers temps) entre leur point de vente et les activités en centrale nationale ou régionale pour des activités politiques et des commissions techniques en collaboration avec des salariés de l’organisation (Choukroun 2013).
17Un certain nombre de divergences existe entre ces deux formes de réseaux. Les organisations de commerce coopératif et associé sont composées de membres qui bénéficient d’une plus grande autonomie pour la prise de décisions que le système de franchise (McClintock Stoel & Sternquist 2004). Ceci s’explique par la double qualité de l’associé (Papon-Vidal 2000). Un coopérateur participe aux votes stratégiques en assemblée générale, il élit les membres du conseil d’administration dont il peut lui-même faire partie, de la même manière que les différentes commissions et instances du réseau (Souilleaux 2013). Ce fonctionnement démocratique et égalitaire (« un homme, une voix ») explique la dimension horizontale de la gouvernance. Selon Mousseron (2008 : 41), « [l]a franchise qui est le mode de regroupement contractuel type s’appuie à l’inverse sur un déséquilibre entre un franchiseur qui dispose d’un savoir-faire et un franchisé qui cherche à l’obtenir. La société coopérative se fonde sur une expérience commune entre les coopérateurs. […] Si ceux-ci sont soucieux de se regrouper, ils ont aussi le souci de ne pas supporter le niveau de sujétion requis des franchisés et trouvent dans la coopérative un compromis acceptable ». Mousseron (2008) ajoute que le caractère égalitaire du commerce associé facilite la gouvernance en évitant des conflits d’intérêts liés à des disparités dans la possession du capital. Cela s’exprime dans la relation de propriété de la marque-enseigne. En effet, alors que celle-ci fait l’objet d’une licence dans la franchise, elle est la propriété commune des commerçants coopérateurs et associés d’un même réseau (Kahn 2014).
18Une autre différence fondamentale tient à la durée de la relation. Les différentes formes de coopératives et les évolutions juridiques ont conduit CoopFR à insister sur l’exigence d’une coopération « réciproque et durable » (Mousseron 2011b). Comme l’explique Michel-Édouard Leclerc (2011 : 7), « [o]n a mis des années à trouver les bons concepts. Vous croyez vraiment qu’on aurait pu faire cela avec des adhérents pratiquant l’union libre sur cinq ans. […] C’est la fidélité qui permet la prise de risque partagée dans l’innovation, dans l’investissement et dans le développement. Et surtout, elle est nécessaire pour assurer la totale transparence des coûts et des conditions d’achat, garante de la performance en prix ». La relation au sein de réseaux de commerce coopératif et associé est une forme d’association ou d’adhésion. À ce titre, elle n’a pas de durée déterminée et n’est donc pas renégociable avec la tête de réseau. Les coûts supportés sont différents entre les deux systèmes. L’interdépendance relationnelle entre les membres d’un réseau est un facteur positif pour une coopération à long terme (Uzzi 1997). Les franchiseurs louent un droit d’usage et un savoir-faire à un franchisé (Leclerc 2011) qui peuvent donner lieu à des renégociations et donc à des conflits au sein du réseau. Les réseaux de commerce coopératif et associé sont des organisations dont les membres s’engagent globalement pour une durée proche de vingt ans (FCA 2017b). À ce titre, ces organisations doivent développer des normes relationnelles, selon la théorie du contrat social, afin de mieux manager les relations interpersonnelles et interorganisationnelles qui ne peuvent être anticipées sur de telles durées (Macneil 1978).
19Deux autres différences sont liées à la notion de fonds et à l’accès à la propriété. Certains réseaux mettent en place des fonds nécessitant que les adhérents avancent des sommes à la coopérative dans le cas où celle-ci se porte ducroire et limiter ainsi les risques de défaillance de l’associé. Cet argent récupéré par ce dernier ne peut donc pas être assimilé à un coût d’entrée comme dans les franchises (Souilleaux 2013). Grâce au système de parrainage présent dans certains groupements, il est possible de devenir propriétaire d’un ou plusieurs points de vente à partir d’un minimum de ressources (Baron 2007). Comme l’explique Michel-Édouard Leclerc (2011), « nos adhérents, sans capital initial et anciens salariés pour la plupart, accèdent à la propriété d’hypermarchés grâce à un parrainage de leurs collègues et à la disposition d’outils commerciaux coopératifs dont leurs sociétés deviennent membres ». Une personne sans capital peut devenir adhérente et revendre son magasin en fin de carrière en générant ainsi un profit substantiel (Baron 2007).
Synthèse et comparaison de la littérature
20À partir de cette analyse de la littérature, le tableau 1 récapitule les éléments de comparaison entre les réseaux de franchise et ceux de commerce coopératif ou associé :
Tableau 1. – Analyse comparative entre réseaux franchisés et de commerce coopératif/ associé.
(Source : à partir de la littérature).


21Il existe donc des points communs mais aussi de nombreuses différences entre les organisations franchisées et celles de commerce coopératif ou associé. Ces similitudes et divergences justifient l’intérêt d’analyser les processus développés par ces différents réseaux pour faire face au défi de l’uniformité du concept et à la transmission du savoir-faire.
Analyse comparative des deux éléments prépondérants de la « corbeille de la mariée »
22Une étude de cas selon la méthodologie développée par Eisenhardt (1989) a été mise en œuvre dans le cadre d’un travail doctoral (Cassou 2016). Les quatre cas sélectionnés ont été les réseaux Biocoop, E.Leclerc, Intermarché et Système U dans le secteur à dominante alimentaire. Vingt-huit entretiens, soit entre cinq et huit coopérateurs par enseigne, ont été menés sous la forme semi-directive. Ils ont tous donné lieu à une retranscription intégrale pour aboutir à 343 pages de corpus. De nombreuses sources complémentaires ont été mobilisées afin d’établir une multi-angulation (Yin 2009). Le logiciel N’Vivo 10 a été utilisé pour l’encodage et aider à l’analyse des thèmes émergents dans des optiques intra et inter-cas.
23À partir de cette approche exploratoire sur les réseaux de commerce coopératif et associé et de la littérature sur la franchise, il est possible d’analyser les questions de l’uniformité du concept et du savoir-faire. Ces deux éléments essentiels font partie, avec l’assistance technique, de la « corbeille de la mariée » pour un entrepreneur désirant rejoindre un réseau organisé de commerce (Gallouj & Vigliano 2012).
Défi de l’uniformité du concept
24La question de l’uniformité du concept constitue l’un des défis les plus importants pour la survie et le développement d’une chaîne de vente au détail (Bradach 1998). Tout réseau de points de vente doit tendre vers une uniformité de l’offre afin de préserver l’intégrité et la valeur de sa marque enseigne (Caves & Murphy 1976). Maintenir l’uniformité consiste à respecter les composantes clés du concept entre les points de vente d’un réseau (Kaufmann & Eroglu 1998). Un concept peut être uniforme uniquement pour les éléments du back-office (Streed & Cliquet 2013) ou être flexible pour ceux du front office afin de mieux s’adapter au marché local (Cliquet & Pénard 2012).
25Selon Bradach (1998), trois processus contribuent à ce que les réseaux de franchise parviennent à surmonter ce défi : le « contrat », les « incitations » et la « persuasion ». Selon Cassou et al. (2017), cela semble plus complexe au sein des réseaux de commerce coopératif et associé en raison de la dualité des membres de l’organisation. Neuf processus ont émergé de trois manières différentes : 1) trois processus centralisés corroborant l’approche de Bradach (1998) : « contrats, savoir-faire formalisés et certifications », « incitations » et « persuasion » ; 2) trois processus décentralisés : « confiance », « implication organisationnelle » et « contrôle informel » ; 3) trois processus mixtes : « solidarité », « mimétisme » et « enculturation ».
26Le tableau 2 permet de reprendre ces processus et de comparer les deux formes organisationnelles. Les réseaux de franchise témoignent d’un impact limité des processus propres aux réseaux de commerce coopératif et associé.
Tableau 2. – Comparatif du management des neuf processus contribuant à faire face au défi de l’uniformité du concept selon la forme de réseau de points de vente.

(Source : d’après l’auteur à partir de Cassou et al. 2017). – * Importance faible ou modérée, ** importance forte, *** importance très forte.
Transmission du savoir-faire
27Le management de la connaissance ou knowledge management est composé des notions d’information et de savoir-faire (Grant 1996). Il s’agit d’une « démarche volontariste, souvent explicite et systématique, de valorisation des ressources immatérielles de l’entreprise » (Mbengue 2004 : 15). La connaissance implicite ou tacite (Nonaka 1994), souvent intuitive, s’acquiert par l’expérience alors que la connaissance explicite est formalisée, ce qui la rend plus facilement transférable (Spender 1996). Le Code de déontologie européen de la franchise définit le savoir-faire comme un « ensemble d’informations pratiques non brevetées, résultant de l’expérience du franchiseur et testées par celui-ci. Il est secret, substantiel et identifié » (FFF 2011).
28Perrigot et al. (2015) ont identifié neuf mécanismes de transfert du savoir-faire au sein des réseaux de franchise. Les mécanismes ayant émergé au sein des réseaux de commerce coopératif et associé sont au nombre de sept. Certains d’entre eux intègrent plusieurs dimensions proposées par les travaux de Perrigot et al. (2015). Ainsi, la « formation théorique et le tutorat », qui sont indissociables au sein des réseaux de commerce coopératif et associé, peuvent trouver une certaine équivalence avec les mécanismes de « formation initiale », « sessions de découverte » et « formation terrain ». De même, la « mise à disposition d’outils de savoir-faire » peut intégrer les mécanismes de la franchise dénommés « Manuel des opérations – Bible » et « E-mails et Internet ». Ces « regroupements » peuvent s’expliquer par la variabilité de leur importance ainsi que par le caractère moins formalisé des réseaux de commerce coopératif et associé. Certains mécanismes peuvent trouver un équivalent tout en ayant des dénominations différentes liées aux spécificités au sein de chaque forme organisationnelle : « Accompagnement au sein de la vie coopérative » avec « Consultants terrain » ; « Réunions, conventions et assemblées générales » avec « Réunions régionales » et « Échanges informels » avec « Contacts interpersonnels ». Certains mécanismes sont propres à chaque forme de réseau : les « Comités » pour les franchises et « Mentorat et parrainage » ainsi que « Normalisation par des certifications » pour les réseaux de commerce coopératif et associé. Le tableau 3 synthétise ces éléments et indique leur importance au sein de chaque forme de réseau.
Tableau 3. – Comparatif du management de la transmission du savoir-faire selon la forme de réseau de points de vente.

(Source : d’après l’auteur à partir de Perrigot et al. 2015 et Cassou et al. 2016). – * Importance faible ou modérée, ** importance forte, *** importance très forte.
Conclusion et perspectives
29Les réseaux de franchise et de commerce coopératif ou associé sont moins centralisés et moins formels que les réseaux succursalistes. Le contrat qui lie la structure centrale de l’organisation aux membres qui la compose est réputé incomplet. Ces réseaux de détaillants ont donc la nécessité de développer de nombreux aspects informels afin de renforcer la coordination et la performance de l’organisation (Ring & Van de Ven 1994). Les tableaux 2 et 3 récapitulent et comparent les différents processus et mécanismes permettant de contribuer à la transmission du savoir-faire et de faire face au défi de l’uniformité du concept au sein des réseaux de commerçants détaillants franchisés ou coopératifs/associés. Ces processus et mécanismes peuvent être d’ordre formel ou informel sachant que ces dimensions doivent être considérées conjointement (Friedberg & Neville 1999) et se renforçant mutuellement (Grandori & Soda 1995). Selon Chassagnon (2012 : 1201), « [l] » informel constitue ainsi une véritable « glu » qui intègre des firmes économiquement interdépendantes mais juridiquement autonomes ».
30Selon Hatchuel (1996 : 106), « [c]oopérer c’est donc explorer ce qu’il peut y avoir comme coopération possible entre des partenaires ». La relation entre une coopérative et ses membres tient à un contrat ainsi qu’à toutes les dimensions informelles (Mousseron 2011a). Au regard des tableaux 2 et 3, il est possible de constater que la dimension informelle est prépondérante au sein des réseaux de commerce coopératif et associé. Cela peut s’expliquer par leur caractère plus décentralisé et par la relation égalitaire entre chaque membre de l’organisation. Pour Serge Papin (2012), « [n]ous avons l’habitude de dire qu’il faut que l’on sache faire un double mouvement, centripète et centrifuge. Nous devons être centralisateurs en mutualisant nos outils afin d’être concurrentiels. Et, en même temps, prouver que ce que nous faisons mieux que les autres, c’est l’adaptabilité au local. C’est la grande force des coopératives ». C’est ainsi que l’interdépendance contribue à renforcer les efforts communs des partenaires et à rendre plus performante la relation de coopération (Van My & Cliquet 2012).
31Ce travail d’analyse et de comparaison est essentiel pour quatre catégories d’individus : 1) les membres de ces organisations qui ont parfois du mal à se qualifier : le travail doctoral de Cassou (2016) illustre cette difficulté avec certains commerçants coopérateurs ou associés qui se sont présentés en tant que « franchisés » ou « franchiseur/franchisé » ; 2) les entrepreneurs qui souhaitent rejoindre un réseau : en identifiant mieux les caractéristiques de chaque forme organisationnelle, les candidats s’engageront dans la forme organisationnelle qui leur correspond le mieux ; 3) les enseignants-chercheurs : ce travail de synthèse contribue à clarifier deux formes organisationnelles afin de l’enseigner plus précisément mais aussi de développer de nouveaux travaux de recherche, en particulier sur le commerce coopératif et associé ; 4) le législateur : certains projets de loi ont confondu ces différentes formes d’organisation et peuvent avoir des conséquences fortes sur la survie de ces réseaux telle que la capacité à se recautionner.
32Cette recherche contribue au meilleur management des organisations. L’intérêt de ce sujet de recherche est multiple : 1) préserver l’intégrité et la valeur de sa marque enseigne ; 2) mieux transmettre le savoir-faire du réseau ; 3) renforcer l’implication organisationnelle et l’identification des membres, plus conscients de leurs particularités ; 4) améliorer l’efficacité des mécanismes et processus informels, qui par nature sont moins facilement identifiables, ainsi qu’optimiser les coûts engendrés par chacun d’entre eux ; 5) renforcer le positionnement de son organisation afin de mieux se différencier des concurrents ; 6) renforcer l’attractivité de l’enseigne vis-à-vis des entrepreneurs candidats, mais aussi des autres acteurs du réseau (fournisseurs, salariés, clients, etc.).
33Différentes limites sont à noter. Tout d’abord, les cas choisis dans le travail doctoral sont singuliers (un seul secteur et des réseaux particulièrement puissants en termes de chiffre d’affaires et de nombre de points de vente). Ensuite, les franchises sont comparées en tant qu’organisation « pure ». Or, comme cela a été noté, cela est rare. Il serait intéressant qu’une étude future tendant à une analyse comparative intègre les réseaux succursalistes et les réseaux mixtes.
34Des voies de recherche sont à envisager : 1) la troisième dimension de la « corbeille de la mariée », à savoir l’assistance technique ; 2) une étude qui aurait pour objectif de prolonger les travaux de Barthélemy (2011) sur l’étude de l’isomorphisme institutionnel (DiMaggio & Powell 1983) en s’intéressant aux particularités de chaque forme de réseaux de commerce coopératif et associé, franchises, succursales et réseaux mixtes au sein d’un même secteur d’activité ; 3) la question du conflit dans la mesure où il peut être engendré par la renégociation des contrats mais aussi par la concurrence entre points de vente d’un même réseau pour gagner des parts de marché (McClintock Stoel & Sternquist 2004). Ce travail devrait conduire à analyser les modes de résolution du conflit (Angelmar 1988) de ces différentes formes de réseaux de commerçants détaillants.
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Auteur
-
Fabrice Cassou
Maître de conférences en sciences de gestion à l’université de Bordeaux (IUT) et membre de l’Institut de recherche en gestion des organisations (IRGO). Ses travaux de recherche concernent principalement les réseaux de points de vente, et plus spécifiquement ceux du commerce coopératif et associé. Les thématiques associées portent sur la gestion de la marque-enseigne, la notion de la solidarité et les stratégies défensives.
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