1Le temps lointain qui conduisait à assimiler les prestataires de services logistiques (PSL) à des transporteurs améliorés, juste capables d’élargir leur offre à des activités d’entreposage, est largement révolu. En l’espace d’une génération à peine, les plus puissants PSL ont su développer un système d’offre dont le fil conducteur prégnant est l’innovation technologique et organisationnelle, dont les dimensions ambidextres n’échappent pas à l’observateur attentif (Kacioui-Maurin, 2011). Rien de plus courant désormais de les voir proposer des services à valeur ajoutée dans le cadre de formes contractuelles originales, n’ayant plus rien à voir avec de simples relations marchandes. Au contraire, les « montages » les plus audacieux proposés par certains PSL s’apparentent à des agencements de modules en vue de proposer une prestation sur mesure aux clients chargeurs, qui bénéficient d’une force de pénétration démultiplié sur leurs marchés.

2Le présent chapitre s’intéresse tout particulièrement au rôle des innovations initiées ou adoptées par les PSL et à leur impact sur le management d’une chaîne logistique performante. Depuis les travaux de Schumpeter (1934), nul n’ignore la dimension essentielle des processus d’innovation, en référence au modèle de « destruction créatrice » proposé par l’auteur. Nous nous appuierons en préalable sur une revue de la littérature permettant d’établir le lien possible entre deux phénomènes n’ayant pas donné lieu, jusqu’à présent, à une réelle perspective intégrative : l’innovation logistique vue du côté du PSL et la compétitivité de la chaîne logistique, lien que nous souhaitons ensuite illustrer en référence à une application récente relative à la circulation des marchandises dans la ville. Celle-ci souligne en quoi l’innovation logistique peut être déclinée en s’appuyant sur ses diverses dimensions constitutives, à la fois de nature technologique et de nature organisationnelle.

3L’objectif explicite est d’aller au-delà de la vision dyadique PSL/chargeur, souvent discutée dans la littérature théorique comme professionnelle, pour adopter une perspective plus holiste (voir le chapitre p. 49). En effet, le potentiel innovateur du PSL n’est pas seulement un critère important de sélection dans la perspective du chargeur, mais devient un élément stratégique pour la compétitivité de toute la supply chain. De par son rôle d’interfaçage, par son expérience et par sa démarche multi-clients, lui permettant de réaliser des économies d’échelle et d’intégrer les dernières technologies et innovations organisationnelles dans son portefeuille d’offre, le PSL n’est pas seulement capable d’anticiper les besoins du chargeur, mais ceux de la chaîne logistique dans son ensemble. En cela, il participe sans doute à l’émergence d’une véritable vision SCM. Le cas des consignes automatiques gérées par des PSL innovants constitue une excellente illustration des évolutions en cours.

Problématisation de l’innovation logistique

4Avec le développement du SCM à partir des années 1990, les PSL sont devenus pas à pas des acteurs majeurs de la dynamique d’évolution des chaînes logistiques (Fulconis et al., 2011). Au demeurant, la position centrale du PSL est unanimement reconnue par la communauté scientifique (Busse et Wallenburg, 2011). Elle s’explique, entre autres, par le rôle intégrateur et transversal du paradigme logistique, et au fait que tous les membres d’une même chaîne peuvent bénéficier du potentiel innovateur d’un PSL. Le management des innovations logistiques, en général, et celui initié par les PSL, en particulier, a été relativement négligé dans la littérature théorique par rapport à d’autres problématiques relatives à cette discipline (Busse et Wallenburg, 2011). La frilosité des chercheurs s’explique certainement par la difficulté à définir ce qu’est une innovation logistique. Elle est nettement visible sur le terrain : beaucoup de managers ne savent pas (exactement) ce que constitue une innovation en logistique ou en SCM (Flint et al., 2008), même si sa finalité semble relativement esquissée, à savoir d’améliorer l’efficience et/ou l’efficacité pour satisfaire les besoins en matière de pilotage de flux. Avant de s’interroger sur le lien entre l’innovation logistique initiée par le PSL et la compétitivité de la chaîne logistique, il convient ainsi de connaître les facteurs facilitant l’obtention des innovations logistiques, et de comprendre ce qu’est une innovation logistique, à travers ses caractéristiques et ses modalités.

Les facteurs facilitant l’obtention des innovations logistiques

5Comme le notent Grawe et al. (2009), en s’appuyant implicitement sur la resource-based view, l’orientation stratégique de l’entreprise est un facteur essentiel pour identifier sa capacité à innover dans les services, et notamment dans les services logistiques. Cette orientation stratégique, en lien étroit avec la culture organisationnelle, fait partie intégrante de ses ressources. Elle inclut les trois éléments suivants : l’orientation satisfaction des besoins du client, l’orientation avantage compétitif vis-à-vis des concurrents, et l’orientation réduction des coûts. L’impact positif des deux premiers éléments sur la capacité à innover a été validé empiriquement par Grawe et al. (2009). L’impact favorable des ressources relevant du marketing se retrouve également chez Flint et al. (2008) ; ces auteurs modélisent un effet indirect de ce qu’ils appellent les « facteurs marketing », d’abord sur le management de l’apprentissage SCM, ensuite sur le management de l’innovation, enfin sur la performance des innovations SCM (qui, à son tour, influencera favorablement la performance globale de l’entreprise). Selon Flint et al. (2008), les facteurs marketing incluent notamment l’anticipation du comportement du client chargeur.

6Busse et Wallenburg (2011) concrétisent les ressources nécessaires à l’innovation logistique en distinguant ressources humaines, physiques, financières et relatives aux outils. Les auteurs constatent que seule une partie de ces dimensions a été examinée scientifiquement face à la problématique qui nous intéresse ici, à savoir leur impact sur les innovations logistiques initiées par les PSL. Ainsi, les ressources physiques ont été complètement négligées par les chercheurs, tandis que l’importance des formations professionnelles (training) comme modalité spécifique de meilleure gestion des ressources humaines a été confirmée par Lu et Dinwoodie (2002). Selon Wagner (2008), seuls de puissants PSL comme UPS disposent des ressources financières suffisantes pour débloquer des budgets relatifs à la R & D ou à l’infrastructure, ressources financières pourtant indispensables à toute innovation logistique. La rareté en contributions scientifiques ne nous permet ni de hiérarchiser ces différents types de ressources en vue des innovations logistiques qu’ils induisent potentiellement, ni de dresser un inventaire précis du niveau global des ressources réellement disponibles pour les PSL sur le terrain.

7De leur côté, Shen et al. (2009) considèrent l’innovation comme un système. L’approche systémique s’éloigne des démarches d’enchaînement empruntées par Grawe et al. (2009) ou Flint et al. (2008), en lui préférant un processus interactif. Plusieurs éléments, constituant ce que les auteurs dénomment l’EIS (enterprise innovation system), sont en interaction permanente ; il s’agit de l’innovation stratégique, de l’innovation organisationnelle, de l’innovation culturelle, de l’innovation produits-services, de l’innovation processus et de l’innovation marketing. Nous sommes néanmoins loin d’un renoncement à la resource-based view. Au contraire, selon les auteurs, l’EIS est à son tour en interaction avec trois facteurs de soutien, à savoir les ressources dynamiques, les capacités et l’incertitude environnementale. Parmi les facteurs facilitant l’obtention des innovations logistiques, il convient de mentionner explicitement, en « amont », le management des innovations. S’agit-il d’adopter, en matière d’innovation logistique, les mêmes pratiques pour manager (développer) en « amont » et pour mesurer « en aval », que pour les innovations relatives à d’autres services ou produits (Flint et al., 2008) ? Question centrale sur l’universalisme possible de la démarche.

Caractérisation des innovations logistiques

8Tenter de produire une vision exhaustive de l’innovation en matière logistique relève de la mission impossible. Comme l’indiquent Flint et al. (2008) et Grawe (2009), sont autant concernés les services, que les produits, les processus et les outils1; et les dimensions en jeu sont autant techniques, qu’administratives, organisationnelles, relationnelles et servicielles. Qui plus est, les différents niveaux s’interpénètrent sans qu’il soit aisé d’en distinguer les « couches » multiples. Il est dès lors facile d’imaginer l’importance des interactions, des synergies, mais aussi des effets antagonistes entre les différents éléments pré-cités, à l’image de la contribution de Grawe et al. (2009), qui met en avant l’impact des innovations de processus sur les innovations dans les services logistiques. Pour Shen et al. (2009), l’industrie logistique, autrement dit l’offre de prestations, est fortement corrélée avec les caractéristiques des produits et services.

9Une autre distinction permettant de caractériser les innovations logistiques semble beaucoup moins répandue dans la littérature : elle porte sur l’articulation entre processus de création et processus d’adoption. En effet, une grande partie des travaux portant sur les innovations logistiques, et tout particulièrement leur management, sous-entendent une prise d’initiative par l’acteur innovant, entre autres au travers du concept de capability (Grawe et al., 2009). Or, il est fréquent qu’un acteur adopte, c’est-à-dire achète, loue ou adapte une innovation conçue et réalisée par un autre acteur. À l’instar de Busse et Wallenburg (2011), qui s’intéressent au cas particulier des PSL, il convient donc de distinguer entre création d’innovation et adoption d’innovation, ou encore entre exploration et exploitation au sens de Kacioui-Maurin (2011). Nous proposons, au moins provisoirement, l’expression d’innovation logistique vue du côté des PSL, expression générique permettant d’inclure les deux modalités mentionnées.

10Par delà les processus de diffusion des innovations logistiques, c’est finalement le portefeuille, ou encore le « bouquet logistique » proposé aux clients qui impacte sur la performance et sur la compétitivité du PSL, d’un côté, sur celle de toute la chaîne logistique, de l’autre (voir le chapitre p. 33). En d’autres termes, le PSL offre un package de services pour répondre à un besoin global de ses clients, et la cohérence de ce package permet d’affermir un avantage concurrentiel durable. Or, la composition du bouquet logistique ne nécessite pas seulement la combinaison intelligente des éléments pré-cités (services, produits, outils, processus), elle mobilise également des ressources et des capacités sous-jacentes à toute production de services au sens d’Eiglier et Langeard (1987). C’est ici que les facteurs de soutien à l’EIS, suggérés par Shen et al. (2009) deviennent intéressants : plus l’environnement est dynamique et incertain, plus il est difficile de structurer des ressources, et notamment les ressources intangibles.

Les conséquences d’un niveau élevé d’innovation logistique

11Grawe et al. (2009) valident empiriquement, mais seulement pour les chargeurs, l’impact positif de la capacité à innover dans les services sur leur performance. Cette dernière inclut la croissance en matière de chiffre d’affaires, de profits, de parts de marché ainsi que de position concurrentielle globale de l’entreprise. Un regard attentif sur les items utilisés dans le questionnaire révèle la dominance d’une performance individuelle au détriment d’une performance globale de la supply chain. Flint et al. (2008) associent, quant à eux, PSL et chargeurs multi-secteurs dans leur enquête, confirmant ainsi empiriquement le lien positif entre performance de l’innovation et performance organisationnelle. Mais encore une fois, c’est davantage la performance de l’entreprise individuelle, indissociable de la satisfaction de ses clients, qui est réellement mesurée. Même si Flint et al (2008) s’attendent, en marge de leurs résultats, à un effet positif des innovations sur l’efficience et/ou l’efficacité de la supply chain dans son ensemble.

12Shen et al. (2009) introduisent explicitement la perspective qui nous intéresse, à savoir celle des PSL, en conceptualisant l’innovation des entreprises de services logistiques comme source cruciale d’avantages compétitifs. Cette variable expliquée reste cependant à préciser et à ramener (rapporter ?) à une vision intégrative de la supply chain, pourtant déjà esquissée par les auteurs. En effet, l’adoption d’une perspective PSL par Shen et al. (2009) se veut holiste en incluant également la performance individuelle. L’articulation de la performance avec la variable explicative – l’innovation initiée par les PSL – reste cependant à valider sur le terrain, la contribution des auteurs étant purement conceptuelle en référence à la théorie des systèmes. À ce stade, nous pouvons conclure que les contributions scientifiques consacrées aux innovations logistiques adoptent rarement une perspective explicite ou exclusive PSL, et placent les effets bénéfiques en tant que performance individuelle d’entreprise, quasiment jamais selon une véritable évaluation globale. Pour le chercheur souhaitant aller plus loin dans la problématique discutée ici, cela signifie adapter et contextualiser des concepts, à défaut de disposer des outils prêts à l’emploi.

Une illustration : le cas ByBox

13L’un des exemples récents les plus instructifs en termes d’innovation logistique initiée par des PSL est certainement celui des consignes automatiques mise en place dans les villes pour mieux gérer le dernier kilomètre. Ainsi, en Allemagne, DHL a compris précocement que l’absence des clients au moment de la livraison, couplée à la complexité opérationnelle de la planification des tournées de livraison dans des espaces urbains de plus en plus saturés, risquaient de constituer un frein majeur au développement des ventes (Gouin, 2011). Si le dernier kilomètre est la partie la plus courte de la chaîne logistique (voir le chapitre p. 95), elle est aussi la plus coûteuse, jusqu’à 75 % du coût logistique total dans certains cas extrêmes, notamment lorsque la fenêtre de réception négociée avec le client est de faible amplitude. Pour DHL, la solution a consisté à créer des consignes automatiques, dénommées PackStation, et localisées dans des lieux de passage important. La démarche souligne comment un PSL innovant s’est positionné à l’interface entre, d’une part, un certain nombre de commerçants, et d’autre part, des collectivités locales, pour sélectionner les sites les plus adaptés en fonction des contraintes techniques et commerciales des uns et des autres. Cet exemple est loin d’être isolé, et nous proposons d’étudier le cas des consignes automatiques sécurisées proposées par ByBox au Royaume-Uni2. Il nous permettra de mettre en perspective les processus d’innovation dans les chaînes logistiques.

Le contexte

14Le groupe ByBox est le leader mondial sur les consignes automatiques avec 80 % de part de marché en 2010. L’entreprise s’est développée à partir des actions détenues dans le capital du fabricant français Logibag de consignes traditionnels (lieux de passage des voyageurs comme les gares, les aéroports, etc.). Elle mise sur l’innovation permanente notamment de type informatique et technologique, le co-fondateur étant un expert en information technology : 10 % du chiffre d’affaires est systématiquement réinvesti dans le département TI, ce que différencie l’entreprise de ses concurrents ; elle a d’ailleurs reçu plusieurs prix et récompenses, majoritairement dans le secteur technologique. La pression à l’innovation s’explique notamment par la composition de sa clientèle que l’on retrouve tout particulièrement dans les secteurs de la reprographie, pour lesquels l’excellence en matière d’innovation et de service est indispensable.

15Entre temps, ByBox est également devenu un PSL à forte valeur ajoutée3, pour reprendre l’approche de Fulconis et al. (2011), opérant à la fois en BtoB (logistique des pièces de rechange en milieu industriel et informatique, consignes automatiques accompagnées de services de réparation, services d’orientation s’adressant aux ingénieurs, etc.) et en BtoC (consignes automatiques pour retrait des achats en ligne). Pour cela, le PSL s’appuie sur son dense réseau de boîtes de retrait et de dépôt (pick up and drop boxes, ou PUDO) : on compte 18000 points PUDO au Royaume-Uni, répartis sur 1350 localisations. L’infrastructure physique inclut également un hub principal à Coventry. Côté infrastructure informationnelle, l’entreprise opère depuis un entrepôt virtuel appelé thinventory qui s’intègre dans les réseaux fournisseurs et fabricants. L’offre pour le marché BtoB porte sur la mise à disposition opérationnelle des pièces, là où se situe réellement le besoin de sa cible principale, à savoir les ingénieurs employés par de grandes entreprises telles que Coca-Cola, Fujitsu, Unisys et GlaxoSmithKline.

16L’entreprise peut annoncer aujourd’hui une performance de livraison de 100 % avant 8 h, et de 96 % avant 6 h pour une commande passée en j-1 avant 23 h 30, en réponse aux besoins des ingénieurs, et que l’on peut résumer à : réduire les déplacements, ne pas rallonger les journées de travail, minimiser le stockage coûteux des pièces sur le terrain des opérations. C’est incontestablement la qualité du flux informationnel qui contribue à la performance remarquable de la chaîne logistique. En effet, la traçabilité est totale dans la mesure où il est possible, en temps réel, de dire si la pièce de rechange se trouve chez le fournisseur, dans un centre de réparation ou dans le véhicule de l’ingénieur. Concrètement, l’entrepôt virtuel thinventory permet de suivre la vie d’une pièce de rechange jusqu’au niveau de son numéro de série (serialised tracking). Ceci permet de réduire drastiquement les stocks client et les coûts logistiques.

Facteurs facilitant l’obtention des innovations logistiques

We ask ourselves questions. Do we want to see the part, or the part it’s replaced back into the supply chain within 24 hours ? If so, we wave a flag if this has not happened, and call the engineer. Do we need to make a warranty claim ? If so, make the claim ! Does the part need to go to a repair house ? If so, we deliver it there the same night ; if the service level agreement with the repair house stipulates 24 hours, again, we raise a flag and manage the part back into good stock as quickly as possible. Does the part simply need to be returned to the supplier or go off to “end of life” ? Either way, without any manual intervention, and for all elements of the supply chain, our technology auto-routes and provides useful management information, vastly reducing the time it takes parts to go round the supply chain. Typically, from collection to fix, to repair and return into “good” stock takes under 72 hours4.

17Ce témoignage du directeur général de ByBox exprime avec clarté que les facteurs facilitant l’obtention des innovations logistiques sont orientés clients dans le cas qui nous occupe. En effet, le PSL ne se contente pas d’exécuter la prestation demandée. Il perçoit plutôt l’architecture de la supply chain avec les yeux de son client chargeur, il se met empathiquement à sa place, et anticipe les questions que se pose ledit chargeur. Cela concerne tout particulièrement les décisions relatives à la réorientation (la ré-injection) optimale, dans la supply chain, des pièces défectueuses, inutiles ou inappropriées. Sachant que le devenir du PSL est indissociablement lié à celui de toute la supply chain, les facteurs soulignés par les travaux discutés précédemment prennent toute leur importance pour le cas ByBox :

• Sans conteste, il s’agit de s’orienter vers la satisfaction des besoins du client afin de maximiser la capacité à innover (Grawe et al., 2009). L’acheminement direct d’une pièce, d’un ingénieur-terrain vers un autre, sans passer par un entrepôt centralisateur, réduit les opérations non créatrices de valeur et s’inscrit pleinement dans cette orientation client, très connue en marketing. Le PSL, de par sa parfaite connaissance des processus logistiques de son chargeur, se donne encore une fois les moyens de développer une capacité d’innovation perçue comme celle d’un first mover.

• Sans conteste, il s’agit d’anticiper le comportement du chargeur (Flint et al., 2008), et de développer des outils d’aide à la décision, des routines disponibles dans les situations d’urgence : ainsi, une décision prise à la place du client chargeur en matière de ré-injection optimale d’une pièce dans la supply chain fait gagner un temps précieux, baisse le niveau des stocks, et maximise le temps de travail de l’ingénieur-terrain. Le PSL se dote, encore une fois, des meilleures conditions préalables au management de l’innovation, et in fine, à la performance de cette dernière.

• Sans conteste, l’innovation interagit constamment avec les ressources dynamiques et les capacités du PSL (Shen et al., 2009), d’abord pour être comprise, ensuite pour être gérée et adaptée aux environnements turbulents. La complexité d’une telle mission est énorme ; est utilisée effectivement la quasi-totalité des éléments de l’EIS. Sont ici mobilisés l’innovation marketing (connaître et anticiper les besoins logistiques de son client5), l’innovation processus (proposer des réponses pertinentes et rapides au sein de processus particuliers car relatifs aux chaînes logistiques dédiées au personnel itinérant) et l’innovation produit-service (coordonner les apports des consignes automatiques de nouvelle génération avec les exigences technologiques relatives à l’impératif d’une traçabilité permanente).

Une innovation logistique de type incrémental

18Si l’innovation logistique observée avec la ByBox, ou bien la Packstation de DHL, appartient globalement à l’innovation relative aux services, et cela notamment dans la perspective du PSL, il est clair qu’elle va de pair avec les deux autres types d’innovations :

• l’innovation relative aux « produits » (support) : la consigne automatique en elle-même, les logiciels, les étiquettes RFID, etc. ;

• l’innovation relative au processus6 (traçabilité des pièces ou colis, possibilité d’enrichissement du système d’information tout au long du cheminement de la marchandise expédiée, etc.).

19Même si l’innovation technologique physique (consignes automatiques) comme informationnelle (traçabilité totale des pièces en BtoB ou des colis en BtoB et BtoC) revêt une importance centrale, elles ne trouvent leur sens que dans une logique d’encastrement avec une innovation de nature organisationnelle. Il est ainsi indispensable, pour conduire à son terme le projet de consignes automatiques, de procéder à une mutualisation des flux fondée sur des coopérations horizontales, comme Chanut et Paché (2012) l’ont souligné. L’innovation organisationnelle dont est porteur ByBox trouve certainement des éléments d’inspiration dans la GPA ainsi que dans d’autres outils logistiques déjà disponibles, tels que l’ECR et le CPFR. De ce point de vue, du moins pour la partie BtoC, l’offre innovante relève d’une dimension incrémentale plutôt que radicale. La consigne automatique entre parfaitement dans ce cadre, qui sous-tend l’importation/adaptation de savoir-faire déjà mobilisés ailleurs, même si l’offre proposée aux clients, considérée dans sa globalité, peut donner l’impression d’une innovation « disruptive ».

20Examinons la consigne automatique développée par ByBox. Elle se positionne clairement dans la continuité du « bouquet logistique » initié par le PSL. De par ses expériences passées, ce dernier dispose des compétences industrielles et informatiques, et de ressources financières relatives au domaine de la fabrication, lui permettant de penser un nouveau système de mise à disposition des produits dans l’espace urbain. ByBox est à l’origine d’un processus de création plutôt que d’adoption d’innovation. Si l’on compare ce cas avec celui de DHL, on constate que ce PSL, pourtant très puissant, est moins familiarisé avec les prestations de type industriel et il s’est trouvé confronté à un risque financier majeur quand il a introduit la PackStation sur le marché. Dans le cas de DHL, on pourrait éventuellement parler d’une co-création d’innovation, fondée sur un cahier des charges spécifique (« sur mesure »), contrairement aux applications traditionnelles des systèmes de consignes existants. En effet, l’implication de DHL dans l’innovation logistique représentée par la PackStation va bien au-delà d’une simple adoption d’une innovation, compte tenu du niveau élevé d’exigences en matière de traçabilité, contrairement à la consigne traditionnelle de type bagages.

21Le tableau 1 présente le caractère que l’on qualifiera d’incrémental de l’innovation logistique du type consigne automatique proposée par ByBox à ses clients chargeurs. Il illustre en fait le caractère multi-couches de ladite innovation logistique, combinant les nombreux éléments constitutifs développés dans la partie théorique du chapitre. L’innovation du type consigne automatique s’appuie effectivement sur une innovation informationnelle en termes de traçabilité totale, elle-même obtenue grâce à l’innovation technologique RFID. La nécessaire vision d’ensemble des diverses composantes de l’innovation logistique du PSL, notamment l’innovation-processus et l’innovation-service, prend tout son sens à travers le propos de Stuart Miller, ancien directeur général de ByBox, reconnaissant déjà en 2006 : « Le facteur essentiel n’est pas la boîte automatique, mais le système de distribution ».

Conséquences de l’innovation logistique en matière de performance

22Grâce aux informations disponibles sur le site du PSL, il est possible de comparer, au moins approximativement, la performance logistique avant et après le recours à l’innovation logistique du type consignes automatiques au sein de la supply chain. Les données résumées dans le tableau 2 concernent deux chargeurs, à savoir Bunzl Vending Services (distributeurs automatiques) et Coca-Cola. L’impact positif des innovations logistiques sur la performance de la supply chain entière apparaît indéniable. Le tableau 2 met ainsi en exergue que la performance de la supply chain dans sa globalité se voit améliorée, plutôt que celle d’une entreprise considérée individuellement (le PSL, le chargeur Bunzl ou le chargeur Coca-Cola). C’est le PSL qui est le plus à même de proposer ces innovations logistiques, car sa performance est indissociable de celle de la supply chain, et cela davantage que pour n’importe quel autre membre. L’offre logistique de ByBox s’étend effectivement sur les huit nœuds logistiques de la supply chain, de l’amont vers l’aval.

Tableau 2 : Performance de la supply chain issue de l’innovation logistique de type consignes automatiques

23Selon les travaux conduits en SCM, il apparaît que la performance de la supply chain globale est largement déterminée par le niveau d’intégration et de coordination des processus, au plan physique et informationnel (Paché et Spalanzani, 2007) (voir le chapitre p. 127). Quel est le lien entre ce niveau d’intégration et de coordination des processus et l’innovation logistique initiée par le PSL ? Dit autrement, la performance de l’innovation logistique dudit PSL agit-elle directement sur la performance de la supply chain, ou indirectement via le niveau d’intégration et de coordination des processus ? En référence au cas ByBox, l’impact des bénéfices tirés de l’innovation logistique semble amplifié par le rôle d’intégrateur caractérisant le PSL (Fabbe-Costes et al., 2009). Mais aucune réponse tranchée ne peut être, pour l’heure, apportée. Tout au plus pouvons suggérer des propositions de recherche qu’il serait urgent de discuter :

• P1 : Plus est important le niveau de responsabilité du PSL en matière de management de l’innovation logistique (par rapport aux autres membres de la supply chain), plus est élevée la performance liée à l’innovation logistique.

• P2 : Un PSL de type intervenant global dans la supply chain contribue à une performance supérieure liée à l’innovation logistique par rapport à un PSL n’intervenant qu’en certains points de la supply chain.

• P3 : La performance liée à l’innovation logistique initiée par le PSL a un impact positif sur le niveau d’intégration et de coordination des processus logistiques qui, à son tour, influence la performance supply chain en matière d’efficience et d’efficacité.

Conclusion

24Pendant longtemps, l’innovation logistique a été perçue comme une prérogative des chargeurs, initiant de nouveaux schémas de circulation physique. Ces chargeurs agissaient en tant qu’architecte disposant d’une maîtrise de conception des systèmes logistiques, et le PSL devait alors se cantonner à une simple maîtrise d’exploitation des opérations. Ce n’est pas l’un des moindres mérites de Colin (1982) que d’avoir anticipé, il y a trente ans de cela, une profonde mutation dans l’industrie de la prestation de services logistiques : l’extension du domaine de la maîtrise exercée par le PSL et, par conséquent, une assimilation rapide de capacités à penser et implanter des innovations majeures. Il s’agit là d’une sorte de révolution silencieuse qui a déplacé, chemin faisant, les centres de gravité de création de la valeur. Le cas des consignes automatiques, qui accompagnent l’irrésistible montée en puissance de la logistique du dernier kilomètre, en est un éclatant témoignage. En effet, certains PSL, comme ByBox, se placent aujourd’hui à l’avant-garde d’innovation logistique dont nous n’avons pas encore pu mesurer toutes les implications. Rendons ainsi grâce à Colin (1982) d’avoir œuvré comme précurseur dans un contexte hostile, quand la doxa managériale se plaisait à réduire les PSL à des « transporteurs améliorés » passifs et soumis, alors même qu’ils s’apprêtaient à transformer les supply chains contemporaines de manière profonde et, sans aucun doute, irrémédiable.