Territoire et croissance de la firme
p. 167-174
Résumés
La croissance de la firme est le plus souvent appréhendée de façon a-spatiale. Quand la dimension spatiale est évoquée, elle l’est le plus souvent dans une perspective qui est celle des marchés de la firme. Dans ce chapitre, nous proposons de mettre l’accent sur l’insertion de la firme dans ses espaces de fonctionnement. Dans cette perspective, nous considérons d’abord ce qui relève du passage de l’internationalisation à la mondialisation. Puis, nous définissons ce que nous entendons par territoire et ce que nous désignons comme les ressources de celui-ci. Par la suite, nous proposons d’affiner le concept de firme en lui substituant trois niveaux : le groupe, l’entreprise et l’établissement. Nous montrons que la rencontre entre chacun de ces niveaux et le territoire ne se joue pas dans les mêmes termes. La conclusion du chapitre montre que l’ancrage territorial d’un acteur est toujours un pari fondé sur l’avenir.
The firm’s growth is mostly analyzed without taking into account its spatial dimension. When it is the case, the perspective considered is the one of its markets (local, national, international). In this chapter, we suggest to put emphasis on the ways the firm is embedded in its functional spaces. We first consider the difference between internationalization and globalization. Then, we define what a territory is and its resources. Following, we suggest deepening the concept of the firm by splitting into three levels: the group, the enterprise, the establishment. We show that the nature of the meeting of each of these levels and the territory is different. We conclude this chapter by a last proposal: the decision of any economic actor to develop durable relations with a territory is always a bet on the future.
Texte intégral
1La croissance de la firme est le plus souvent appréhendée de façon a-spatiale. Quand la dimension spatiale est évoquée, elle l’est le plus souvent dans une perspective qui est celle de ses marchés entendus comme espaces de vente de ses produits. Relativement rares sont les analyses qui mettent l’accent sur l’insertion de la firme dans son ou ses espace(s) de fonctionnement. Les questions sémantiques trouvent toute leur importance dès lors que l’on souhaite développer l’analyse sur ce que nous avons désigné par le passé comme des « rencontres productives » entre certaines firmes et leur environnement local.
2Quelle forme organisationnelle désigne-t-on quand on évoque une firme, une entreprise, un établissement, une filiale de groupe, le groupe lui-même ? Qu’entend-on par espace ou environnement local ? Est-ce la même chose qu’un territoire ? L’internationalisation recouvre-t-elle les mêmes processus que la mondialisation ? Quelle dynamique productive ou quelle stratégie poursuit l’unité considérée ? Quelle dynamique de développement caractérise le territoire ou l’espace concerné ? Selon quelles logiques les « rencontres productives » peuvent-elles s’opérer entre l’unité concernée et son espace de fonctionnement ? Peut-on ici différencier des choix de localisation et un ancrage territorial ? Sous quelles conditions un ancrage territorial est-il synonyme d’amélioration du potentiel de croissance de l’unité concernée ? Quelles ressources l’unité et le territoire peuvent-ils développer conjointement ?
3Le présent chapitre tente de répondre à ces différentes interrogations en considérant les questions sémantiques comme étant essentielles. Ces questions, souvent considérées comme d’ordre secondaire, sont traitées comme d’ordre lexical. Il s’agirait de pouvoir construire des idées en utilisant l’éventail de mots à la disposition du chercheur. Nous nous inscrivons en faux à l’égard de cette posture car le travail du chercheur consiste à employer des concepts et non des mots. Des termes comme « internationalisation », « mondialisation », « territoire », « ressource », « rencontre productive », « firme » sont des concepts. Comme tels, ils ne peuvent être employés sans considération d’un sens spécifique : celui que le chercheur leur attribue, de concert ou non avec sa communauté de recherche. L’erreur corollaire de la confusion entre mots (interchangeables) et concepts (employés ad hoc de façon spécifique) est l’utilisation de « données » supposées décrire le monde comme il serait. De telles « données » n’existent tout simplement pas. Une statistique, par exemple, est toujours une représentation du monde tel qu’il est façonné par les pratiques de ceux qui le pensent et l’agissent. Les concepts, comme les éléments empiriques (statistiques, enquêtes, etc.) que ces concepts manipulent, sont des constructions sociales et expriment des choix de représentation (Salles, 2007).
4Dans ce chapitre, nous n’isolerons pas les concepts dans une partie du texte qui serait spécifique. Nous les employons aux différentes étapes de notre raisonnement, en les insérant dans celui-ci. Le motif d’un tel choix est que les concepts n’ont de sens que situés. Une caractérisation abstraite d’un concept rate ainsi son objectif lequel est d’abord opératoire. La première partie appréhende ce que nous considérons comme relevant du passage de l’internationalisation à la mondialisation. La deuxième partie précise ce que nous entendons par territoire et ce que nous désignons comme étant les ressources de celui-ci. La troisième partie propose d’affiner le concept (générique) de « firme » en lui substituant les trois concepts ou les trois niveaux de « groupe », « entreprise » et « établissement » ; nous montrons que la rencontre entre chacun de ces trois niveaux et l’espace (ou le territoire) ne se joue pas dans les mêmes termes. Nous concluons en montrant que l’ancrage territorial d’un acteur ou d’une activité est toujours un pari fondé sur l’avenir, un investissement orienté par une perspective de croissance.
Les significations du passage de l’internationalisation à la mondialisation
5La période actuelle est celle d’un passage, inachevé, de l’internationalisation, simple ouverture des économies, à la mondialisation. Cette seconde configuration caractérise non plus l’ouverture des économies les unes aux autres (les exportations et les importations liées au commerce international) mais leur interdépendance. Un « événement » qui se produit quelque part dans le monde a des conséquences très rapides, éventuellement immédiates, partout ailleurs. Notons tout d’abord que l’interdépendance économique se manifeste d’abord dans le domaine financier. En d’autres termes, la mondialisation économique est d’abord financière. L’analyse habituelle en termes de facteurs de production se limitant à distinguer deux facteurs posés comme substituables, le capital et le travail, montre ses limites et doit laisser place à une approche permettant de raisonner sur la base de quatre facteurs : le capital financier, le capital productif, le travail qualifié, le travail peu ou faiblement qualifié.
6L’enjeu principal pour les économies-territoires en concurrence dans la mondialisation est bien d’attirer les facteurs les plus mobiles. Cet enjeu se substituerait alors, sans doute progressivement, à celui de compétitivité évalué comme la capacité à produire un surplus commercial le plus élevé possible. Si l’on considère que l’enjeu que représente l’attractivité est mieux en phase avec la mondialisation, alors une question centrale est posée : comment attirer et/ou retenir les facteurs mobiles ? Différents éléments de réponse peuvent ici être mobilisés mais nous nous limiterons à celui qui concerne le revenu des facteurs, conformément à la perspective de la présente réflexion. Nous faisons ici deux hypothèses corollaires : la première est que les quatre facteurs que nous avons cités sont mobiles de façon croissante mais que leur mobilité est fort inégale ; la seconde est que leur revenu respectif dépend désormais fondamentalement de leur capacité ou de leur propension à la mobilité.
7La première hypothèse conduit à suggérer que le capital financier est le plus mobile des quatre facteurs. Sa mobilité s’apparente à celle d’un gaz : il est volatil. Avec la quasi-suppression du contrôle des changes et des mouvements financiers, le capital financier se déplace en temps réel en utilisant les supports informatisés connus. Le capital productif, configuré par l’investissement direct, se déplace également mais selon une vitesse ou une capacité de mobilité moindres. Une firme qui veut s’implanter à l’étranger ou acquérir un concurrent doit préparer son investissement et, éventuellement, franchir encore différentes « barrières à l’entrée » (habitudes des consommateurs, réglementations, etc.). Le temps de cette préparation peut s’évaluer autour de plusieurs mois, voire quelques années ; le capital productif peut ainsi être désigné comme étant « nomade ». Le travail qualifié semble suivre la même logique de mobilité que celle du capital productif. En revanche, le travail faiblement qualifié, autrefois très mobile, voit sa mobilité fortement découragée par les gouvernements des pays développés. La main-d’œuvre correspondante s’installe dans la précarité, voire dans l’illégalité, alors que se développent les délocalisations vers les pays à faible coût horaire du travail.
8La seconde hypothèse est que la rémunération des différents facteurs aurait tendance à se caler sur leur propension ou capacité à la mobilité (Colletis, 2004 ; Colletis et Rychen, 2004 ; Colletis et Pecqueur, 2005). En d’autres termes, le capital financier assure en premier son prélèvement (premier « servi ») car, faute d’une rémunération qu’il juge satisfaisante, il joue de sa mobilité en se déplaçant sans encombre. Une fois cette rémunération assurée, les deux autres facteurs, nomades, doivent être rémunérés à leur tour. Cette rémunération doit également être convenable (inférieure toutefois à celle du capital financier), sinon ces deux facteurs finiraient par user de leur mobilité, même si à un horizon plus lointain les choses s’améliorent (deux, trois ans, le temps de se « désengager » en raison de l’existence de différents types de barrières à la sortie : irréversibilité des investissements pour le capital productif, ancrage culturel et affectif des travailleurs qualifiés, éventuellement confirmé par la langue). Au final, la rémunération du travail faiblement qualifié apparaît dans ce contexte comme un « résidu » au sens propre (et mathématique) du terme : il n’est rémunéré qu’en dernier, lorsque les autres facteurs, plus mobiles, l’ont été.
9Il semble qu’une nouvelle architecture de la division internationale du travail (DIT) se mette en place progressivement. L’ancienne DIT reposait sur un partage centre / périphérie du travail. Cette division était basée sur une corrélation étroite entre productivité et revenu du travail. Les pays émergents remettent en cause cette corrélation, d’abord par le rythme des gains de productivité qu’ils atteignent et en dissociant partiellement productivité et revenu du travail. La conséquence « dramatique » de la dissociation partielle entre productivité et salaires est que le rempart de la productivité ne protège plus les anciens pays développés.
10Dans la nouvelle division mondiale du travail, il se pourrait, comme nous l’avons suggéré plus haut, que l’objectif d’attractivité supplante progressivement celui de compétitivité. Cette attractivité dépend de facteurs de type « générique » (liés aux coûts et équivalents) (attractivité basse), mais surtout de facteurs hors-coûts. Cependant, le néo-taylorisme résiste partout, y compris dans les pays développés, et le passage d’une division technique du travail à une division cognitive a du mal à se faire.
Des dynamiques territoriales fondées sur différentes dimensions d’une proximité révélée
11La plupart des définitions et notions employées pour qualifier le territoire postulent celui-ci. Le territoire est posé comme existant en tant que tel. Il est présenté comme doté de ressources, à la façon d’un stock. Nous estimons pour notre part qu’un territoire n’existe pas comme tel mais qu’il est « révélé » selon deux processus : un processus d’activation (des ressources latentes ou virtuelles se transformant en actifs) et, le cas échéant, un processus de spécification (des ressources ou des actifs à caractère générique devenant spécifiques). Ces deux processus mettent ainsi en jeu ce que nous avons désigné comme étant des « facteurs de concurrence spatiale » selon une double distinction : entre ressources et actifs, d’une part, entre facteurs (ressources ou actifs) génériques et spécifiques, d’autre part (Colletis et Pecqueur, 1993 ; Colletis et Pecqueur, 2005). Par « actifs », on entendra des facteurs en activité, alors que le terme « ressources » désignera des facteurs à exploiter, à organiser ou encore à révéler.
12Des ressources ou des actifs génériques ont une valeur qui est indépendante de leur participation à un quelconque processus de production. En revanche, la valeur des actifs spécifiques est une valeur d’usage. Les ressources spécifiques n’existent qu’à l’état virtuel. Elles naissent de processus interactifs et constituent l’expression du processus cognitif qui est engagé lorsque des acteurs ayant des compétences différentes produisent des connaissances nouvelles par la mise en commun de ces dernières afin de résoudre un problème inédit. Lorsque des connaissances et savoirs hétérogènes sont combinés, de nouvelles connaissances sont produites qui peuvent, à leur tour, participer à de nouvelles configurations. Ces deux processus sont engagés lors de différentes situations de coordination d’acteurs allant de la résolution ponctuelle d’un problème inédit au projet de développement local. La condition et le résultat de ces processus sont la construction d’un patrimoine cognitif territorial.
13Trois dimensions de la proximité permettent de qualifier un territoire : (1) une dimension spatiale ou géographique ; (2) une dimension organisationnelle fondée sur la complémentarité potentielle de ressources ou d’actifs ; (3) une dimension institutionnelle renvoyant au patrimoine cognitif et au partage de normes et valeurs. Chacun des modes de développement local que nous retenons renvoie à une combinaison particulière des trois dimensions de la proximité privilégiant une des trois dimensions :
- L’agglomération. Ce mode est centré sur la proximité spatiale et les avantages qu’elle procure (économies externes d’agglomération).
- La spécialisation. Ce mode de développement territorial valorise les trajectoires autour d’un secteur d’activité et est fondé sur une proximité organisationnelle orientant fortement la nature de la proximité institutionnelle ; la spécialisation est le mode de développement local qui s’apparente le mieux au phénomène des districts industriels (Marshall, 1919), tels que ceux-ci ont été analysés notamment dans le cas de l’Italie.
- La spécification. Ce mode de développement territorial est caractérisé par la redéployabilité des compétences, échappant aux effets de lock-in organisationnels et institutionnels des trajectoires de spécialisation. La proximité institutionnelle est la caractéristique forte de ce mode. C’est grâce à cette proximité que s’opère la redéployabilité des compétences, laquelle est ainsi d’abord une affaire de mise en réseau avant d’être liée à des caractéristiques propres des compétences elles-mêmes.
Groupes, entreprises et établissements : des relations différentes à l’espace et au territoire
14L’analyse qui précède s’est située au niveau des espaces. Ce niveau ne doit pas être confondu avec celui des firmes. C’est à travers la notion de « rencontre productive », au sens de Colletis et Pecqueur (1993), que se croisent les problématiques de l’ancrage des activités et de la mobilité des acteurs (Colletis et Gilly, 1997). Recoupant la question de la frontière entre localisation et territorialisation, il a été suggéré de considérer que la double insertion de l’entreprise dans un groupe (éventuellement) et dans une branche – insertion pouvant être appréhendée en termes de conventions (Dupuy et Gilly, 1996 ; Zimmermann et al., 1998) – conditionnait son insertion dans le territoire (Colletis et Rychen, 2004).
15L’hypothèse d’une relation entre mobilité et revenu des facteurs ayant été posée plus haut, nous suggérons d’affiner la notion de firme et, pour ce faire, de considérer à présent trois niveaux, celui du groupe, celui de l’entreprise, celui enfin de l’établissement. Nous posons que chacun de ces niveaux évolue dans un univers particulier : le groupe évolue dans un univers formé autour des questions financières, l’entreprise dans un univers marqué par les contraintes concurrentielles de production et de mise en marché de produits différenciés. L’établissement (ou usine), quant à lui, doit gérer principalement des contraintes de coût (dans un univers d’optimisation). Notre hypothèse consiste à affirmer que la relation à l’espace et au territoire ne se pose ainsi pas dans les mêmes termes à chacun de ces trois niveaux :
- Le groupe a priori ignore le territoire. Son univers est celui de la concurrence de capitaux mobiles ou volatiles. La distinction entre mobilité (ou nomadisme) et volatilité, difficile à opérer sur le plan conceptuel et empirique, est cependant essentielle. S’agissant de groupes industriels, on peut même penser que de nombreuses décisions stratégiques qu’ils adoptent et mettent en œuvre par le biais de leurs filiales entreprises (en particulier, les décisions conduisant à externaliser certaines fonctions ou certaines activités, voire certaines compétences) s’inscrivent dans cette dualité qui recoupe en partie celle entre compétitivité et rentabilité.
- L’entreprise, selon les conventions de groupe (éventuellement) et de branche, cherche à produire des biens différenciés et pour ce faire doit mobiliser et rémunérer des capitaux industriels et du travail qualifié, nomades, mais pour lesquels le territoire peut produire des effets d’ancrage. L’entreprise agit également dans un univers de mise en marché. C’est à ce niveau que s’établissent les stratégies d’investissement direct, guidées par la recherche de compétences et l’accès à des marchés différenciés.
- L’établissement doit enfin rechercher les meilleures conditions de localisation au prix des facteurs. C’est à ce troisième niveau mais aussi à celui d’entreprises qui développent une stratégie de compétitivité centrée principalement sur les coûts et les prix que se jouent les pratiques de délocalisation/ relocalisation.
16De façon synthétique, nous pouvons donc considérer l’architecture suivante. D’une part, les groupes ignorent a priori le territoire et se concentrent sur les questions financières : les opérations de croissance externe (rachats d’entreprises existantes, fusions, acquisitions, etc.) qu’ils conduisent ne les prédisposent pas à considérer de façon centrale la question de l’ancrage territorial. D’autre part, les établissements recherchent les meilleures conditions de localisation ; ce faisant, leur relation à l’espace relève d’une logique de coûts, l’ancrage territorial ne les concerne pas non plus de façon privilégiée. Au final, ce sont bien les entreprises, en particulier lorsqu’elles sont à la recherche de compétences complémentaires comme corollaire de leurs décisions de recentrage, qui peuvent le plus directement être concernées par un ancrage territorial.
17La possibilité d’identifier et mobiliser des compétences complémentaires aux leurs, pour résoudre des problèmes productifs inédits (Colletis et Pecqueur, 1993), est ici un facteur déterminant de possibles choix de territorialisation. De tels choix ont toujours un caractère spéculatif. Par « inédits », il convient d’entendre des problèmes en univers incertain, sortant des routines. Les problèmes dont il est question sont des problèmes dont on sait qu’ils vont se présenter mais dont on ne peut connaître à l’avance le contenu et, par conséquent, les modalités de résolution. Il est donc nécessaire de savoir où sont, ou, à défaut, comment trouver les compétences dont on peut faire l’hypothèse qu’elles pourront participer de la formalisation et de la résolution du problème.
18La possibilité d’accès à un « patrimoine territorial » susceptible de rendre disponibles de telles compétences est dès lors la condition déterminante de l’ancrage. Sans développer plus avant (Colletis et Pecqueur, 2005), nous rappellerons que nous désignons ce patrimoine comme non pas un « stock » de ressources disponibles en l’état, mais comme constitué par la mémoire de situations de coordination antérieures réussies, par la confiance entre les acteurs qui en est le résultat, ainsi que par des ressources cognitives spécifiques virtuellement complémentaires, c’est-à-dire susceptibles d’être combinées pour résoudre des problèmes à venir. La notion de problème productif inédit, le caractère spéculatif des choix de territorialisation, la perspective de virtualité de ressources que nous qualifions de cognitives, nous semblent renvoyer assez largement aux processus que Pottier (2003) qualifie de non standardisables. Ces processus fondent l’essence de l’ancrage territorial en ce qu’ils renvoient à une offre de spécificité des territoires construite sur le temps long.
Conclusion
19Les relations d’une entreprise particulière et d’un territoire spécifique sont en permanente évolution, transformation, reconfiguration. La rencontre productive, toujours transitoire, d’un territoire et d’une firme, est celle d’un projet, qu’il s’agisse du projet ponctuel de résolution d’un problème ou d’un projet de développement intégré dans lequel l’entreprise contribue activement au développement des ressources d’un territoire particulier. La question clé est celle de la convergence des horizons temporels. Les acteurs du territoire, dans la diversité de leur situation et de leurs objectifs, ont chacun des horizons temporels qui n’ont aucune raison de converger spontanément.
20Le projet, quel que soit son contenu ou sa finalité, constitue une unité de temps commune dont vont se doter les acteurs. C’est cette convergence vers une unité de temps partagée à horizon plus ou moins long qui confère au territoire sa configuration. En ce sens, on peut donc considérer que c’est le temps qui détermine l’espace, et non l’inverse. Comme certains auteurs ont raison de le souligner, les processus d’innovation peuvent, à l’évidence, se dérouler sans qu’il y ait nécessité d’une proximité géographique. Dans un autre ordre d’idée, on peut aussi admettre que la proximité géographique puisse générer des conflits d’usage de l’espace (Pham et Kirat, 2008).
21Ces deux propositions ne signifient en rien que la proximité géographique serait devenue une dimension mineure ou négligeable de proximité. À condition de considérer le territoire, comme la technologie, non comme des ressources mais comme devant être révélés ou créés par le jeu des acteurs, il nous semble possible sur le plan conceptuel de poser ces deux objets d’analyse en ne les postulant pas. Cette approche, par essence dynamique, paraît également devoir avoir des conséquences sur un plan plus normatif, celui de la définition des politiques publiques. Plutôt que de chercher à accumuler ou concentrer des acteurs ou des activités dans un périmètre posé comme borné par des frontières, les acteurs publics devraient à l’avenir chercher à favoriser des rencontres productives fondées sur la confiance, des représentations partagées et les compétences. L’implantation d’une firme dans un territoire, sa participation aux dynamiques territoriales constituent en quelque sorte un pari sur l’avenir. C’est fondamentalement en ce que les firmes, toujours plus engagées dans un processus de recentrage/externalisation, ignorent en tentant de les anticiper les besoins qui seront les leurs dans le futur, qu’elles cherchent à trouver dans des territoires particuliers les compétences dont elles auront besoin. C’est alors que leur ancrage territorial est le plus durable.
22Dans une perspective de gouvernance, le rôle principal que les acteurs publics devront de plus en plus assurer est celui consistant à scruter ces évolutions et anticiper les besoins de compétences complémentaires des firmes. Cela nécessitera une forte amélioration de la qualité de la coordination des acteurs publics entre eux. C’est à cette condition que leur rôle essentiel d’intermédiation pourra être ainsi être assuré de façon efficace et que, partant, la trajectoire territoriale de croissance pourra être confortée de même que celle des firmes ancrées dans les territoires concernés.
Bibliographie
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Bibliographie
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Auteur
Professeur des universités, Laboratoire d’étude et de recherche sur l’économie,
Les politiques et les systèmes sociaux (LEREPS), Université de Toulouse I Capitole.
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