Introduction
p. 23-25
Texte intégral
1La première partie de l’ouvrage apporte un éclairage multi-situé sur les métamorphoses et permanences du lien social familial au regard des transformations majeures qui se manifestent dans l’espace euro-méditerranéen. Tenant compte du contexte que Saskia Sassen (2002) décrit comme étant celui de la « féminisation de la survie », les différents chapitres proposent une lecture attentive à éclairer la complexité du sujet tout en soulignant les pistes inédites qu’il révèle dans le renouvellement des formes de vie familiales. La frontière prend ici toute sa mesure, non pas comme le soulignait Simmel (2013) comme un fait spatial avec des conséquences sociologiques mais comme un fait sociologique qui prend une forme spatiale. Mesurer les effets de la distance sur le lien familial, tel est le fil conducteur des différents chapitres. Que cette distance soit physique et s’accomplisse dans la séparation ou qu’elle soit perceptible dans le regard que les enfants portent sur des mères, certes présentes mais souvent absentes car obligées de cumuler plusieurs activités rémunératrices, elle apparaît, dans tous les cas, comme un écueil à surmonter et/ou à compenser mais aussi comme un levier de transformation des rôles sociaux familiaux.
2Le chapitre rédigé par Maurizio Ambrosini revient ainsi sur la demande de main-d’œuvre féminine en Italie et en Europe méridionale, demande qui répond aux exigences croissantes des activités de soin et de prise en charge à l’intérieur des familles, et qui produit une « stratification internationale des opportunités de soins et d’assistance ». Tenant compte de la composante évolutive qui transforme une partie des familles transnationales en familles regroupées, il examine ces formes de regroupement familial comme un nouveau commencement, voire une « troisième famille », dans laquelle les relations et les rôles doivent être radicalement renégociés. À partir d’une recherche menée en France et aux Philippines, Asuncion Flot-Fresnoza met l’accent sur la redistribution des rôles et la redéfinition des statuts qui s’opèrent en l’absence de la mère. Pour les membres de la famille, composer avec l’absence maternelle suppose avant tout redéfinir le rôle du père. Cette redéfinition de la fonction paternelle contribue à modifier les rapports inter-parentaux sans pour autant remettre en question les cadres traditionnels de l’attribution des tâches au sein de la famille. Si le rôle du père doit s’accommoder de l’absence de la mère, Hana Jaber réinscrit cette absence dans un cadre familial élargi. Elle propose à partir d’une recherche menée auprès d’employées domestiques migrantes philippines dont elle a suivi les parcours depuis les Philippines, en passant par la Jordanie jusqu’à leur arrivée en France de revenir sur le témoignage significatif de l’une d’entre elles. Parce qu’elle entraîne une double redéfinition des statuts – parentaux et sociaux – dans les transactions familiales, la maternité à distance est analysée comme un exercice permanent de redéfinition et de renégociation de sa place au sein de la famille. Cette analyse menée en profondeur permet ainsi de revisiter les approches classiques en présentant à partir de la famille « multinucléaire » un nouveau cadre de réflexion. Quel regard porte la société sur la famille en mouvement et, plus précisément, sur la parentalité à distance ? C’est à cette question que répond Snezana Mijailovic en montrant comment le cinéma s’est emparé de ce sujet. Si la paternité à distance est rarement associée à l’émergence d’une nouvelle forme familiale, le regard cinématographique porté sur la maternité à distance souligne combien la dissociation de la sphère productive de la sphère domestique a un coût social et symbolique et ne peut être que temporaire.
3Les trois chapitres suivants explorent les effets à long terme que peuvent avoir les mobilités et migrations sur la recomposition des liens sociaux et des formes familiales. Natalia Ribas-Mateo revisite, dans cette perspective, les différentes approches de la famille marocaine en considérant les effets sociaux induits par la frontière sur les transactions qui s’y déroulent. Ayant côtoyé le quotidien de familles tangéroises, elle montre, dans ce chapitre, combien les horizons proches sont aussi parfois les plus difficilement atteignables. La matière conversationnelle de ces familles « patchwork » est en effet constituée de récits portant sur les quêtes de ces ailleurs convoités. Des sujets tels que le mariage avec des Espagnols ou la fuite des mineurs sont ainsi au cœur des discussions.
4Liza Terrazzoni emprunte la perspective des relations interethniques pour analyser au sein d’une société insulaire les rapports entre habitants corses et habitants originaires du Maghreb. La situation migratoire engendre une reconfiguration des représentations liées aux liens familiaux qui n’est pas sans effet sur les relations contrastées observées entre les deux groupes et sur la relation « inversée » entre parents et enfants. Poursuivant la réflexion menée sur les espaces de la migration et leurs effets, Francesca Sirna s’intéresse aux nouvelles formes de solidarité et de familiarité qui se déploient dans les « lieux étrangers ». À partir de deux parcours croisés de migrantes italiennes, l’une originaire du Piémont et l’autre de Sicile, elle étudie ainsi les effets de la migration dans la transformation des formes de la division sexuée des rôles parentaux. L’exercice de métiers considérés comme dégradants dans le village d’origine est justifié dans le pays d’accueil par l’investissement dans la scolarité des enfants. Elle souligne en particulier combien le projet de mobilité sociale réorganise le partage des responsabilités au sein de la famille tout en orientant les stratégies éducatives à l’égard des enfants.
5Ces différentes contributions montrent ainsi combien des tendances mondiales se réfractent avant de venir se cristalliser dans certains espaces. L’espace euro-méditerranéen constitue de ce point de vue, un poste d’observation privilégié des transformations à l’œuvre dans la famille en mouvement.
Auteur
Aix-Marseille Université, LAMES, UMR 7305
Maîtresse de conférences, sociologie, Laboratoire méditerranéen de sociologie (LAMES, UMR 7305) Aix Marseille Université.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
À l’ombre des usines en fleurs
Genre et travail dans la parfumerie grassoise, 1900-1950
Coline Zellal
2013
Familles en mouvement
Migrations et parentalité en Méditerranée
Constance De Gourcy, Francesca Arena et Yvonne Knibiehler (dir.)
2013
La place des femmes dans la cité
Geneviève Dermenjian, Jacques Guilhaumou et Karine Lambert (dir.) Geneviève Knibiehler (trad.)
2012
Genre Révolution Transgression
Études offertes à Martine Lapied
Anne Montenach, Jacques Guilhaumou et Karine Lambert (dir.)
2015
Agir pour un autre
La construction de la personne masculine en Papouasie Nouvelle-Guinée
Pascale Bonnemère
2015
Des pères « en solitaire » ?
Ruptures conjugales et paternité contemporaine
Agnès Martial (dir.)
2016
Femmes, féminismes et religions dans les Amériques
Blandine Chelini-Pont et Florence Rochefort (dir.)
2018
État-nation et fabrique du genre, des corps et des sexualités
Iran, Turquie, Afghanistan
Lucia Direnberger et Azadeh Kian (dir.)
2019
L’engagement politique des femmes dans le sud-est de la France de l’Ancien Régime à la Révolution
Pratiques et représentations
Martine Lapied
2019