Des pratiques thérapeutiques spontanées ?
p. 245-246
Texte intégral
1 Soucieux de traquer la médicalisation partout où elle pouvait se manifester, je m’étais plongé dans les riches sources traitant des eaux minérales dans les deux départements (le Rhône et surtout la Loire) qui constituaient le terrain de ma thèse d’État 1. Je revins de cette plongée avec l’intuition que le thermalisme moderne commençait bien avant le Second Empire et qu’il ne concernait pas seulement les élites mais aussi les classes populaires qui y avaient accès soit sur place (les ruraux) soit par le biais de l’eau embouteillée. Pourtant, c’est seulement lors de mon bref séjour clermontois (1991-1994) que j’entrepris de réfléchir plus systématiquement à cette question. Cet intérêt renforcé n’était pas d ’abord du à l’importance des ressources thermales du Massif Central, mais à la situation qui régnait à la Faculté des lettres de l’Université Blaise-Pascal. Dans cette université où les enseignants restaient peu et travaillaient sur des sujets divers, les occasions d’ouvrir des chantiers collectifs étaient rares. Le thermalisme en fut une. J’arrivai en même temps que Dominique Jarrassé qui venait de soutenir sa thèse sur Les thermes romantiques2. Avec le géographe Christian Jamot qui avait soutenu la sienne sur Les villes thermales en France3, nous constituâmes un petit groupe qui bénéficia de la présence d’un Congrès de sociétés savantes à Clermont dont les actes ont paru sous l’intitulé Villes d’eaux4. Dans cette entreprise, j’utilisai d’abord les archives locales et en particulier celles, très riches, de la station du Mont Dore dont l’établissement thermal était géré directement par le département (chapitre 11). Outre la confirmation d’un thermalisme populaire précoce et largement rural, j’y trouvai un exemple de transformation sociale et de création d’une ville idéale, montrant ainsi à nouveau les articulations entre les problèmes de santé et l’évolution sociale générale. Dans le cadre d’un colloque organisé par Dominique Jarrassé, Deux mille ans de thermalisme5, j’étendis ma curiosité à l’ensemble des petites stations thermales en essayant de mettre à jour des pratiques autonomes, sinon indépendantes des prescriptions médicales (chapitre 12).
2 Cette automédication se retrouve aussi dans la consommation des médicaments à laquelle j’ai consacré plusieurs articles 6 parmi lesquels j’ai choisi celui que j’estime le plus abouti (chapitre 13). S’il est une chose que je peux revendiquer, c’est d’avoir mis à jour le rôle crucial du médicament dans le processus de médicalisation. Au-delà de ses techniques de fabrication et de commercialisation qui le rendent plus accessible et meilleur marché, sinon plus efficace, le médicament est, au moins au xixe siècle mais sûrement avant, un produit ardemment et spontanément désiré par le public. Objet transactionnel par excellence, il dispense médecins et patients de tout dialogue délicat et, sans lui, il est à parier que les médecins n’auraient jamais gagné la clientèle, – sinon la confiance – des malades. Comme le disent à l’envi les praticiens, c’est bien d’abord pour obtenir ce produit magique que les malades viennent vers eux.
3 Cette avidité des consommateurs populaires a nourri chez les médecins la représentation d’un peuple grossier, jugeant par ses seuls sens et prêt à céder à n’importe quel miroir aux alouettes. Les choses sont moins simples et les ruraux ignorants pleins de préjugés peuvent faire preuve d’une singulière finesse. Le livre de Pierre Darmon, La longue traque de la variole7 ne m’avait pas convaincu et même irrité tant il semblait reprendre les clichés médicaux sur l’obscurantisme populaire. En revanche celui de Pierre-Marie Bercé, Le chaudron et la lancette8 m’avait donné l’envie de reprendre le dossier à l’échelle de la petite région que je fréquentais (chapitre 14). Bien sûr je n’écrirais pas aujourd’hui l’article de la même façon qu’il y a trente ans mais je maintiens l’essentiel des conclusions. Les échecs de la vaccination antivariolique dans les campagnes ne vinrent pas principalement d’un refus massif des populations mais des problèmes matériels et plus encore de la prétention des docteurs à vouloir vacciner seuls, repoussant la collaboration des mères, des sages-femmes, des notables et prenant comme un malin plaisir à traiter par le mépris les précautions – souvent justifiées – demandées par les populations.
4 Ces trois domaines, le thermalisme, le médicament, la vaccination, prouvent à mes yeux que la volonté de combattre la maladie, de s’en protéger et d’améliorer sa santé ne vient pas seulement des médecins et des autorités mais aussi du tréfonds de la société y compris dans les campagnes.
Notes de bas de page
1 « La vogue des eaux minérales au xixesiècle : l’exemple de la région lyonnaise », Le corps et la santé, Paris, CTHS, 1985, 2 vol., 278 et 380 p., vol. I, p. 245-258.
2 Les thermes romantiques : bains et villégiature en France de 1800 à 1850, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 1992, 295 p.
3 Thermalisme et villes thermales en France, Clermont-Ferrand, Institut d’études du Massif central, 1988, 540 p.
4 Villes d’eaux : histoire du thermalisme, (117e congrès national des sociétés savantes), Paris, CTHS, 1994, 533 p.
5 Dominique Jarrassé, dir., 2000 ans de thermalisme : économie, patrimoine, rites et pratiques, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 1996, 296 p.
6 Cités au chapitre 2 note 3.
7 Paris, Perrin, 1985, 503 p.
8 Avec pour sous titre Croyances populaires et médecine préventive (1798-1830), Paris, Presses de la Renaissance, 1984, 336 p.
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