Bons pauvres et mauvais malades
p. 195-196
Texte intégral
1 Les articles qui suivent sont largement des tentatives de réponse aux questions posées dans la partie précédente. En effet la volonté de réserver les hôpitaux à des maladies aigües a priori curables1 suscite sans cesse l’exclusion de malades jugés impropres à occuper les lits des établissements en quête de médicalisation (chapitre 8). On le sait, c’est bien la médecine qui crée les maladies en les désignant. Le processus n’est nulle part plus net que dans la création des catégories d’incurables et de chroniques. Si les épileptiques (chapitre 9) et les tuberculeux relèvent d’un diagnostic médical précis, l’incapacité à les guérir les place dans une position voisine. Jugés à tort (les épileptiques) ou à raison (les tuberculeux2) contagieux, ils sont exilés hors des centres villes où ils rejoignent les aliénés qui y étaient déjà. Certes les vertus du bon air et du travail des champs ne sont pas de simples prétextes à je ne sais quelle déportation mais il est évident que se constitue une géographie hospitalière dans laquelle les « bons » malades occupent le centre, qui est aussi celui des villes, et dans laquelle les mauvais se répartissent dans des périphéries plus ou moins lointaines.
2 En particulier au moment de la réaffectation de certains biens du clergé au début du xxe siècle, les anciens séminaires accueillent les nombreux vieillards qui frappaient sans succès à la porte des hospices classiques (chapitre 10). En effet, contrairement à des idées longtemps reçues, la vieillesse est un problème social majeur tout au long du xixe siècle. Pourtant, malgré le travail pionnier d’Élise Feller 3, il n’a pas encore trouvé dans l’historiographie la place qu’il occupait dans la société. Malgré des débuts prometteurs4, je n’ai jamais pu diriger jusqu’au bout une thèse consacrée aux vieillards dans les hospices. Les choses changent en particulier avec la remarquable thèse de Mathilde Meheust-Rossigneux sur les vieillards parisiens en institution au xixe siècle soutenue cet automne5.
3 Plus ou moins chassés des hôpitaux du centre-ville, mauvais malades et bons pauvres ne sortent pas pour autant du champ hospitalier, bien au contraire. Hospices de vieillards et d’incurables relèvent toujours pour la plupart des administrations hospitalières qui y envoient, au moins dans les grandes structures, des internes et des médecins. Si la plupart de ceux-ci ont hâte de regagner des théâtres d’activité plus prestigieux, d’autres posent un regard médical sur ces populations particulières (chapitre 11). Comme ce fut le cas un peu avant pour les aliénés et les vénériens, la médicalisation de l’hôpital et la spécialisation des médecins 6 peut naître à partir des marges.
Notes de bas de page
1 Étudiés avec Dominique Dessertine et Bernard Maradan (+) dans Populations hospitalisées dans la région lyonnaise aux xixe et xxe siècles, Lyon, PPSH, 1988, 108 p.
2 Là aussi étudiés avec Dominique Dessertine dans Combattre la tuberculose (1900-1940), Lyon, Presses universitaires, 1988, 244 p.
3 Élise Feller, Vieillissement et société dans la France du premier xxe siècle (1905-1953), Lille, Presses du Septentrion, 2002, 2 vol., 699 p. + LVI annexes (mais la thèse a été soutenue en 1979).
4 En particulier le DEA de Delphine Favre, Destins de vieillards (1800-1914), université Lyon III, 2001, 149 p., dactyl.
5 Vivre, vieillir et mourir en institution au xixe siècle : génèse d’une relation d’assistance, thèse, Paris I (dir. D. Kalifa, 750 p., dactyl.).
6 Patrice Pinell, « Champ médical et processus de spécialisation », Actes de la recherche en sciences sociales, 2005, n° 1, p. 4-36. George Weisz, Divide and conquer : a comparative history of medical specialization, Oxford, University press, 2006, 359 p.
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