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Le quartier du port de Marseille 1500-1790

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Colette Castrucci

Conclusion

Texte intégral

  • 1 Heinke Wunderlich, Marseille vue par les écrivains de langue allemande, Paris, L’Harmattan, 2000, p (...)

1À l’issue de cet ouvrage, il nous faut rappeler que les bâtiments dont il est question dans ces lignes avaient presque entièrement disparu lors de leur destruction en 1943, de même que le contexte urbain dans lequel ils avaient été organisés. L’image d’un des secteurs le plus anciens de la ville en avait ainsi été perdue et cette partie de la ville restait donc pratiquement inconnue. Le regard porté sur elle l’était à travers le prisme des écrivains du début du xxe siècle décrivant la misère et l’insalubrité, suivant en cela les récits des voyageurs de la fin du xviiie siècle et du début du xixe qui les avaient précédés1. Leur regard émerveillé sur le port ou la partie la plus récente de la ville contraste avec celui épouvanté porté sur la vieille ville.

  • 2 Bonillo 2008 : 20.

2L’iconographie n’apportait aucun élément susceptible de briser cette image dévalorisante. Les représentations gravées ou peintes de Marseille antérieures au xixe siècle ne montrent, de façon très inégalement fiable, que les façades des îlots qui bordaient le quai du port, de part et autre de l’Hôtel de Ville. Si les peintres les plus célèbres, installés aux fenêtres de l’autre rive, ont représenté la vieille ville, celle-ci n’est utilisée qu’en toile de fond. Les photographes quant à eux ne semblent pas s’être intéressés à cette partie de la ville sauf à vouloir montrer à la municipalité qui est leur commanditaire, la nécessité de raser ce quartier. Les vieux quartiers, décriés au nom de l’hygiène et de la morale, sont donnés à voir à travers une image qui témoigne de la dichotomie entre les deux rives du Lacydon ; est mis en exergue « le bassin et son écrin monumental célébrés comme un symbole intemporel2 ». Les rares photographies existantes ne sont que très peu représentatives et révèlent d’ailleurs un état des maisons sans doute modifié depuis le xviiie siècle. Seules quelques gravures d’artistes du début du xxe siècle figurent parfois une rue ; mais il n’existe guère de reproductions de bâtiments mis à part des édifices comme la maison Diamantée ou l’hôtel de Cabre, plusieurs fois cités mais assez atypiques pour avoir été préservés. Il n’y a de même que très peu de cartes postales, représentant surtout la place Neuve ou les abords de l’Hôtel de Ville.

3La démarche a donc consisté à partir à la recherche d’un quartier disparu, sachant qu’elle ne pouvait s’appuyer sur aucun bâtiment existant. Les fouilles archéologiques, en offrant une occasion inestimable de faire se croiser les sources anciennes et les vestiges découverts, ont permis de cheminer vers cette reconstitution.

4L’habitat ici présenté était donc inconnu des Marseillais, composé de maisons qui étaient loin des clichés ; il ne témoigne pas d’un habitat noble, constitué des hôtels particuliers dont seuls quelques rares spécimens avaient été préservés, mais plutôt de maisons mineures, « ordinaires », qui avaient composé par la diversité de leur construction et de leur organisation intérieure, l’épicentre de la ville. L’organisation et le fonctionnement du quartier apparaissent avec le port en point de mire.

5La concentration des principaux édifices civils et religieux de la ville fait la principale particularité du quartier du Corps de Ville. S’y ajoutent les places et marchés, autour desquels se trament les principales activités : l’Hôtel de Ville et la Loge, le Palais, l’Hôtel-Dieu et l’église Notre-Dame des Accoules. Les conséquences de cette concentration sont nombreuses sur sa physionomie autant topographique que sociale.

6En premier lieu les trois voies qui y conduisent, convergent vers ce point central, où se trouvent tout à la fois le pouvoir civil et le pouvoir religieux de fait (car la cathédrale est excentrée et la collégiale des Accoules est le lieu de nombre de grandes célébrations urbaines), véritable épicentre dans le centre. Elles forment le lien entre la vieille ville et les faubourgs jusqu’en 1666, avec la nouvelle ville ensuite. La déclivité de ses rues, leur irrégularité qui n’a d’égale que leur étroitesse sont gênantes pour la circulation d’autant qu’elles reçoivent par le ruissellement toutes les immondices venues des buttes. Il n’en demeure pas moins qu’elles aboutissent au port dont l’activité assure à la ville durant les Temps modernes, une croissance économique qui la place parmi les dix puis trois premières villes de France. Elles ont toutes un lien étroit avec les échanges qui s’y déroulent, grâce au nombre et à la diversité des boutiques des immeubles qui les bordent.

7 Autre pôle attractif du quartier, les deux grands marchés : celui de la viande mais aussi de la boulangerie, le Petit Mazeau, et celui du poisson. Sur leur emplacement comme dans leurs alentours, des bâtiments construits sans vraiment d’organisation, au fur et à mesure des besoins et des opportunités. La Communauté tente tout de même, au début du xviie siècle, de dégager un espace plus vaste autour de la halle au poisson en détruisant des maisons alentours. Les petits commerçants de détail, comme les marchands de gros, futurs négociants du xviiie siècle, y ont boutique ou atelier, comptoir et habitation : les premiers y louent ou y possèdent des petits bâtiments, les autres acquièrent une seconde bâtisse qu’ils réunissent à celles qu’ils possédaient déjà.

8L’aristocratie au pouvoir jusqu’au milieu du xviie siècle y possède de longue date des immeubles : les plus prestigieux sont les plus proches de l’ancienne Maison Commune, devenue l’Hôtel de Ville. Le désir d’ostentation a poussé les plus riches ou les plus puissants à acquérir des maisons situées en angle de rues, afin que leurs façades soient le lieu d’une véritable mise en scène : entablements des portes d’entrée, bandeaux séparant les étages, corniches, pilastres d’angle en pierre de taille, niches abritant des statuettes, les immeubles situés aux angles de la rue de la Guirlande et des rues de la Loge, des Olives, de la Taulisse, de Saint-Christophe, tous disparus, rivalisaient d’ornementations.

9Les nombreuses auberges sont un signe de l’attrait de ces lieux : il y en a au moins cinq sur le Petit Mazeau, dont deux dans le marché lui-même ; elles accueillent probablement les marchands ou négociants de passage. Ici, ils sont à l’immédiate proximité de tout ce qui est nécessaire à leurs affaires : le port, par où arrivent et d’où sont expédiées les marchandises diverses, la Loge, lieu de leurs réunions, et les marchés où ils peuvent écouler leurs produits. L’ensemble est créateur de sociabilité entre gens du métier et représentants du même groupe social.

10La silhouette allongée des îlots situés le long du quai du port donne son aspect caractéristique à la rive septentrionale du Lacydon. Les bâtiments font face à la mer, leurs boutiques largement ouvertes dans sa direction. Ils forment une sorte de barrière, interrompue par de rares passages autorisant l’accès à l’intérieur du quartier, mais objets de litiges entre les riverains. L’un de ces îlots fait écran à la place Neuve, la plus belle place de la ville selon Ruffi, lieu de rassemblements festifs depuis le xve siècle, qui par ses plantations arbustives préfigure les fonctions de promenade qui seront celles du Cours. Deux voies orientées est-ouest y conduisent, se terminant à la Loge. Leur rôle attractif a été souligné : lieu de marché ou lieu de rassemblements festifs, dont la création correspond à une volonté de la communauté urbaine d’y attirer la population afin de mieux contrôler non seulement les mœurs mais également les prix, la conformité des transactions, etc. Ceci n’est pas propre à Marseille : J. Heers a montré que les places publiques italiennes rassemblent les citadins depuis le Moyen Âge ; en France, et au Pays Bas, la fonction de rassemblement de la place publique est mieux connue depuis l’ouvrage publié en 2007 sur La Place publique du Moyen Âge à nos jours (Boudoux-Rousseau, Carbonnier, Bragard, 2007). Cet intérêt est d’autant plus remarquable à Marseille que, par ailleurs, la Communauté semble avoir des difficultés à élaborer, à l’image des villes italiennes, de véritables projets d’urbanisme cohérents.

11Aussi le Corps de Ville est-il l’objet de toutes les convoitises : y posséder au moins une demeure est un signe de reconnaissance sociale, auquel ne dérogent ni les plus puissants ni les plus riches. La plupart d’entre eux y ont un immeuble, maison d’habitation ou de rapport. La noblesse, au pouvoir jusqu’en 1660, y détient un patrimoine important, souvent regroupé dans un même îlot, s’appropriant l’espace et marquant par son nom – la rue des Ventos en est un exemple –, des périmètres plus ou moins larges : les grandes familles italiennes de la fin du Moyen Âge aménagent ainsi pareillement des lieux définis comme des sortes de territoires propres (Crouzet-Pavan 1989 : 643-680). La mutation politique qui éloigne l’aristocratie du pouvoir a pour conséquence son départ du quartier. La nouvelle élite composée en majorité de bourgeois et de marchands, tout aussi désireuse de s’implanter dans les lieux, s’empare progressivement des maisons et saisit l’occasion de regrouper les parcelles afin d’y construire des maisons plus vastes. Ses membres sont issus d’un milieu social différent et le négoce a fait leur fortune. Ils sont soucieux d’afficher leur réussite. Porteurs d’un goût nouveau, enrichis par leurs nombreux voyages à l’étranger, les nouveaux commanditaires donnent à leurs demeures les signes distinctifs de cette prospérité. Ces marques dépassent la seule volonté de l’ostentation, elles visent à la reconnaissance entre soi ; aussi les contrats notariés nous livrent-ils des traces d’un désir d’imiter les décorations, en particulier extérieures, des proches voisins.

12D’une manière générale, l’évolution de la maison marseillaise de la vieille ville s’est faite au gré des besoins individuels. Les autorités municipales n’interviennent pas dans le choix des styles de constructions à la différence des îlots du Cours, pas plus qu’elles n’interviennent en matière d’urbanisme, à l’inverse de Lyon ou de Rouen.

13Cette nouvelle élite se concentre dans les secteurs les plus proches de l’Hôtel de ville, ou sur le quai du port ou encore dans les lieux les plus en vue quel que soit le secteur, c’est-à-dire les angles de deux rues, où la maison peut être particulièrement visible.

14En dehors de ces secteurs les plus attractifs, l’ensemble reflète une grande mixité. Près de l’Hôtel-Dieu, par exemple, les artisans sont nombreux et les bâtiments, en général moins élevés. S’y mêlent les marchands plus modestes, les bouchers, les boulangers, les rôtisseurs, les commerçants, petits artisans, les taverniers, dont la maison est à la fois le lieu de vie et celui du travail. Le mode d’agencement des maisons reflète l’habitat de toute cette population. À quelques exceptions près, les maisons du Corps de Ville de Marseille ne sont pas des maisons prestigieuses. C’est pourquoi elles ne peuvent pas prétendre être comparées au modèle de la maison parisienne. Dès le début du xviie siècle, il n’y a plus assez de place dans l’épicentre de Marseille, et la demeure doit s’adapter. La boutique fait souvent partie intégrante de la vie domestique ; activité professionnelle et vie de famille sont associées au sein d’une même maison, il faut s’organiser. Il y a donc peu de place pour l’apparat ; ce type de maison ne connaît pas le gaspillage d’espaces de pure représentation. Les maisons du début du xviie siècle sont caractérisées par leur modestie, de deux étages au plus, à part quelques rares exceptions. L’accueil se fait dans la salle basse, pièce polyvalente, servant le plus souvent de cuisine et d’atelier. Quelquefois la cuisine est derrière, du côté du ciel ouvert ou de la basse-cour. À côté, se trouve la boutique. Au niveau du ciel ouvert on trouve encore l’écurie, un cellier. Un escalier dessert les étages qu’il traverse parfois, où dans deux pièces, une salle et une chambre, toute la famille vit. Lorsque la boutique est louée, la cuisine jouxte la chambre ou la salle au premier étage. La chambre est alors à l’étage supérieur. Dans chaque pièce, ou dans la montée d’escalier, on aménage des placards, des débarras. La division du bâtiment ne prévoit pas l’isolement des individus. Les textes laissent sous silence les secrets de la vie domestique ; des rapports établis entre les différents membres du logis nous ne savons rien ; toutefois, de la proximité que révèlent ces pièces souvent vastes mais peu nombreuses et imbriquées les unes aux autres, on croit pouvoir déduire d’autres types de relations entre maîtres et domestiques et une autre attitude à l’égard des tâches domestiques quotidiennes.

15Vers le milieu du xviie siècle, on remarque que ces petites unités ont été acquises pour être réunies ; le lien y est fait par des couloirs d’accès, les pièces imbriquées d’un bâtiment à l’autre. On s’est agrandi, tout en continuant à mêler travail et vie domestique.

16Une nouvelle étape de la transformation de l’habitat apparaît lorsque, aux alentours des années 1660, à l’occasion de mutations, l’acquisition de deux maisons aboutit à une reconstruction totale en un seul bâtiment. Pour s’agrandir, il est nécessaire d’empiéter dans les cœurs d’îlots et, parallèlement, d’augmenter les étages. Les combles sont utilisés comme réserves de matériaux ou aménagés en chambre. Au plus haut niveau, on trouve le lieu commun et la terrasse.

17Ces mutations sont accompagnées d’innovations dans des constructions qui sont désormais l’objet d’un soin plus grand : creusement de caves en sous-œuvre, amélioration du système d’écoulement des eaux, réfection des charpentes et des cheminées, aménagement des combles. D’une façon générale, la maison s’agrandit en largeur et en hauteur. La boutique devient indépendante du reste de la maison. Une cloison la sépare de l’entrée de la demeure. L’habitat du maître de maison est à l’étage. Le nombre de pièces augmente et l’on peut dire qu’à partir du milieu du xviie siècle les étages s’acheminent vers une autonomie progressive : les pièces éparpillées sur plusieurs niveaux disparaissent ; « les cellules d’habitation […] tendent à rassembler leurs différents organes constitutifs à l’intérieur d’une enceinte » transformant chaque étage en unité indépendante (Cabestan 1997 : III, 147-160). Les portes palières, dont on a signalé l’apparition, et qui permettent d’isoler la cuisine au-delà d’un palier commun, voient leur nombre progressivement se réduire : ainsi la porte unique symbolise cette autonomie. Le vocabulaire évolue également et de nouveaux termes apparaissent : « appartement », « salon », « garde-robe », dont l’usage ne nous est toutefois pas précisé.

18Un fait est cependant certain : ces mutations se produisent au moment même où l’on agrandit la ville et alors même que le centre ancien est laissé totalement à l’écart des grands projets architecturaux et urbanistiques. Les travaux de l’agrandissement, porteurs de nouveauté en matière d’urbanisme, ne concernent que la future ville mais ils exercent une influence certaine sur le centre ancien.

19C’est ainsi que progressivement les maisons deviennent des immeubles. Sous la poussée de faits complexes : peut-être le refus de dépendre du chef de famille et le passage de la famille-souche à la famille nucléaire ; mais c’est là un problème qui réclamerait une recherche spécifique que nous ne pouvions mener. Du moins, M. Vovelle a-t-il montré que la famille nucléaire (un couple et ses enfants non mariés, à l’exclusion de tout ascendant ou collatéral) est très fortement majoritaire dans le quartier au recensement de 1793, mais que la famille élargie y occupe aussi une part minoritaire non négligeable et que les ménages de solitaires y sont rares (Vovelle 1975 : 487-507). Sans doute convient-il de prendre aussi en compte le désir de plus de confort, de disposer de plus d’espace personnel et d’intimité. Les constructeurs ne se contentent plus de répondre aux exigences des commanditaires ; ils cherchent à répondre aux besoins d’une clientèle de « locataires potentiels ». D’autant que le rapport du logement au sol se modifie : d’une part, l’élévation des pièces de la vie intime abandonne au rez-de-chaussée les seuls éléments qui ne peuvent être situés aux étages : écuries, remises, puits, caves. D’autre part, elle entraîne la cohabitation sous le même toit, de personnes étrangères les unes aux autres ; celles-ci vont avoir d’autant plus à cœur d’occuper des appartements indépendants. Le xviie siècle voit de grandes transformations se réaliser en matière de construction. Le grand soin apporté par les Marseillais dans la réalisation de leurs maisons a pu être vérifié par la confrontation des sources écrites et de l’archéologie.

20Mis à part le bois provenant du Dauphiné, les matériaux utilisés sont originaires des alentours proches. La pierre joue un rôle majeur dans l’édification des maisons où sa présence, en particulier celle de la pierre de taille, se généralise même pour réaliser le circuit d’évacuation des eaux. Extraite de la colline de la Garde, des carrières du terroir proche ou bien transportée depuis les carrières de la Couronne (terroir de la commune de Martigues), elle est un matériau relativement aisé à se procurer. Néanmoins son transport reste coûteux, ce qui explique que l’utilisation de la pierre de taille neuve ne soit pas systématique dans toutes les constructions et que l’on ait recours à la réutilisation de matériaux de démolition.

21Les maisons se trouvant parfois sur des terrains alluvionnaires ou gagnés sur la mer, les fondations font l’objet de beaucoup d’attention. La pierre y est présente soit en blocs taillés soit sous forme de moellons plus ou moins grossiers.

22Les caves, déjà présentes selon les sources écrites de la fin du xvie siècle sinon bien avant, dans le secteur du marché de la boucherie, se généralisent au xviie. Voûtées d’arêtes ou en berceau, en brique ou en moellons, nombre d’entre elles sont construites en sous-œuvre. S’étendant sur toute la surface de la maison, elles se prolongent quelquefois pour partie sous le niveau de la rue.

23La pierre est également utilisée dans les élévations, sa qualité variant en fonction de l’emplacement des murs. Si les murs de refend, ou façades « cachées » sont le plus souvent en maçonnerie de moellons mêlés à des mortiers, la construction des façades requiert plus de soin. Le parement extérieur se fait en pierre de taille, doublée d’un blocage intérieur en moellons. La hauteur de ce parement, dont le rôle est aussi bien de confortement que décoratif, atteint au minimum le premier niveau. Elle peut atteindre le dernier étage d’habitation en fonction des moyens dont dispose le commanditaire. La pierre de taille joue alors un double rôle de confortement et d’ostentation car elle participe du décor de la maison. Placée sur la ou les façades principales autour des portes, en chainages d’angle, en bandeaux soulignant les étages, autour des fenêtres comme appuis seulement, elle peut être à bossage ou exceptionnellement « en pointes de diamant ».

24Les matériaux du gros œuvre, sable de la mer, chaux et plâtre sont ceux de la région. Les terres cuites sont fabriquées au quartier de Séon, dans le terroir de Marseille, où sont situés des gisements d’argile.

25Parmi les améliorations apportées à l’habitation, la réalisation des planchers, des charpentes et des toitures occupe également une grande place dans les travaux de construction. La nécessité de les restaurer à cause de leur vétusté, ou celle d’en réaliser de nouveaux du fait du rehaussement des bâtiments, ou des réalisations nouvelles, font que ces ouvrages occupent une grande partie des contrats de construction. Le bois n’est pas un matériau dont la région est riche. Le plus fréquemment utilisé et prescrit est le sapin du Dauphiné, le mélèze étant réservé de préférence aux ouvrages de menuiserie. Les surfaces inférieures des planchers sont « à la française », en poutres apparentes, ou « noyées » dans du plâtre et la surface supérieure peut être alors carrelée. L’utilisation des combles comme réserves ou comme habitation conduit les Marseillais à se préoccuper de l’étanchéité des toitures. Les toits sont recouverts de tuiles et leurs saillants permettent d’éviter le ruissellement des eaux de pluie en les rejetant vers la rue.

26En abordant cette restitution du quartier du Corps de Ville l’objectif était d’en aborder l’aspect patrimonial, mais également de situer Marseille dans le courant des travaux scientifiques sur l’histoire de la construction dont le premier congrès francophone s’est tenu à Paris en juin 2008 (Carvais et al., 2011).

  • 3 La question de la mise à l’écart du Corps de Ville dans les travaux de l’agrandissement de Marseill (...)

27L’étude de la manière dont les Marseillais ont pu tirer parti de l’exiguïté des parcelles du Corps de Ville pour y aménager leurs lieux de vie et de travail a permis de saisir plusieurs étapes dans l’évolution de leur habitat et de leurs manières d’habiter. Elle met en évidence la spécificité du Corps de Ville : bien que prisé pendant longtemps par une bonne partie de l’élite sociale, il a été tenu à l’écart sous l’Ancien Régime des projets d’un urbanisme moderne, dont il aurait pu bénéficier en particulier au moment des grands projets de la fin du xviie siècle3. L’attraction suscitée par ce quartier, et la nécessité de créer de nouveaux logements, a placé les propriétaires du Corps de Ville devant le problème de vouloir rester dans ce secteur alors que les possibilités d’étendre leurs habitations étaient restreintes. Ils ont su cependant, bien qu’avec un relatif retard parfois, suivre le courant d’innovations propres à d’autres villes françaises de la même époque telles que Lyon ou Paris.

Notes

1 Heinke Wunderlich, Marseille vue par les écrivains de langue allemande, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 57-86.

2 Bonillo 2008 : 20.

3 La question de la mise à l’écart du Corps de Ville dans les travaux de l’agrandissement de Marseille est traitée 2e partie de ce volume et dans un article dont nous sommes l’auteur (Castrucci 2011 (d) : 351-358).

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