Nouvelles propositions d’organisation urbaine du centre monumental pré-augustéen de Glanum (Saint-Rémy-de-Provence)
p. 93-103
Résumés
L’agglomération de Glanum (Saint-Rémy-de-Provence, 13) occupée dès l’Âge du Bronze jusqu’au IIIe s. apr. J.-C., selon la chronologie actuellement admise, constitue une référence ornementale et architecturale en Provence, pour sa période dite « préromaine ». À l’époque impériale, le forum est construit sur un remblai permettant l’aménagement d’une large plate-forme qui autorise la conservation des édifices monumentaux plus anciens et leur mobilier architectural associé. Nous avons eu l’opportunité de mener une fouille archéologique de faible ampleur dans cette zone. Les études de la stratigraphie et du mobilier céramique autorisent désormais une nouvelle chronologie dénouant les incohérences passées. L’étude du mobilier architectural montre une large influence italique, mais avec des caractéristiques propres, inspirées des décors orientaux. L’examen des vestiges conservés met en évidence le même phénomène avec une adaptation de plans classiques à la topographie de l’agglomération.
The urban area of Glanum (Saint-Rémy-de-Provence, 13) inhabited from the Bronze Age to the 3rd century A.D., according to the currently assumed chronology, constitutes a standard reference for ornamentation and architecture in Provence for the period known as « pre-Roman ». During the Empire, the forum was built on an embankment permitting the development of a broad platform, which allowed the preservation of older monumental buildings and their associated architectural ornaments. We have had the opportunity to carry out a small-scale excavation on this area. A close study of the stratigraphy and the ceramic artefacts allowed to establish a new chronology, which untangles the inconsistencies of former days.
The examination of the architectural artefacts shows a large Italic influence but with characteristics of its own, inspired by oriental décor. The study of preserved remains reveals the same phenomenon, with an adaptation of classical plans to the topography of the town.
Texte intégral
1Nous avons entrepris une relecture architecturale et urbanistique du centre monumental pré-augustéen de Glanum à la lumière d’une fouille archéologique réduite pratiquée dans l’emprise des forums impériaux ayant recouvert la ville préaugustéenne, conjuguée à l’étude du mobilier architectural conservé et accessible.
2Le centre monumental proto-augustéen, nommé jusqu’à la présente étude « la ville préromaine », est connu depuis le milieu du xxe siècle grâce aux travaux et aux fouilles de Henri Rolland sur le site archéologique de Glanum1. Les propositions de lecture de ces vestiges, acceptées jusqu’alors, sont données par Anne Roth-Congès dans plusieurs articles, complétés par les découvertes faites par ce chercheur dans les années 19802. La chronologie générale du site archéologique est proposée par Henri Rolland selon un découpage en trois grandes époques d’urbanisme définies sous la dénomination de Glanum I pour la « période hellénistique antérieure à 100 av. J.-C. », Glanum II pour la « période gréco-romaine, durant la première moitié du ier siècle jusque 40 av. J.-C. » et Glanum III correspondant « à la période romaine postérieure à 49 av. J.-C. ». Les travaux d’Anne Roth-Congès précisent cette chronologie, appuyant son propos sur les faits historiques connus ayant touché la création de la province de Gaule Narbonnaise et ses populations au cours des deux derniers siècles avant notre ère. Ainsi, la première phase d’urbanisation commence en 125 av. J.-C., pour s’achever en 90 av. J.-C., date à laquelle débute une nouvelle phase d’occupation composée de nombreux remaniements que nous ne détaillerons pas ici. Cette seconde période prend fin vers 49 av. J.-C., pour laisser place à la troisième période d’urbanisme dite « romaine ».
De nouvelles propositions chronologiques
3Les travaux de fouille et de surveillance réalisés par nos soins en 2006-2007, liés à la mise en valeur du site par l’architecte en chef des monuments historiques, sont situés dans la même zone que les recherches réalisées par Anne Roth-Congès en son temps ; la fenêtre autour d’un puits monumental a été agrandie. Outre le fait de posséder des séquences stratigraphiques complètes et un lot de céramique important, nous avons pu procéder à la relecture des coupes stratigraphiques données par les précédents chercheurs et proposer ainsi une nouvelle interprétation de la planification urbaine dont la chronologie se trouve décalée d’un siècle.
4Le découpage en trois phases d’urbanisme exposé par Henri Rolland est confirmé, mais leur datation est revue. On constate un glissement chronologique d’un siècle entre nos propositions et les deux datations précédentes (H. Rolland et A. Roth-Congès). La fouille a atteint le substrat naturel à 112,50 m N.G.F. (3,70 m sous le niveau des forums impériaux). Des dépôts alluviaux atteignant 2 m d’épaisseur sont identifiés à la base de la stratigraphie résultant d’épisodes climatiques – comme cela avait déjà été mis en évidence3. À l’ouest du périmètre de fouille a été mis au jour un niveau de sol et quelques fosses datées du Néolithique final correspondant à notre période 1 (fig. 1). Cette occupation a été en partie détruite par les phases alluvionnaires signalées ci-dessus. La période 2 est caractérisée par des vestiges très ténus représentés par des structures en creux et des surfaces de sol très érodées. Les séquences stratigraphiques plus récentes ont livré du mobilier permettant de proposer le terminus ante quem de 125 av. J.-C. dans la zone autour du puits 60 et de 100 av. J.-C. dans la zone du monument 57 (place trapézoïdale). La période 3 est scindée en deux phases, révélée par l’étude architecturale du temple 17 et du puits 60, qui montre un réaménagement du plan du temple suite à la monumentalisation du puits. Ces modifications n’entraînent pas d’apports nouveaux du point de vue de la décoration architecturale : les mêmes blocs sont remployés. Il nous semble alors cohérent de considérer ces deux phases comme une même période d’urbanisme. Ces deux phases sont à placer chronologiquement entre 100 et 50 av. J.-C. Pour la période 4, l’urbanisation est connue au sud du site, notamment avec la construction du temple de Valetudo et d’autres monuments situés entre le dit temple et ceux du centre monumental situés plus au nord. À cette période, ces derniers sont en partie démantelés et réoccupés sous forme de constructions interprétées comme des maisons. Enfin, nos périodes 5 et 6 correspondent aux datations proposées par A. Roth-Congès pour les constructions d’époque impériale.
5Le contexte d’étude du premier centre monumental de Glanum s’en trouve alors modifié et se place dans celui de la province de Narbonnaise déjà sous domination romaine.
Les grandes phases d’urbanisme monumental pré-augustéen à Glanum
6Les études conjointes du mobilier architectural et des plans de chacun des monuments connus permettent de proposer plusieurs schémas d’urbanisme successifs, malgré les lacunes inhérentes à l’étude de vestiges archéologiques. Des incohérences subsistent ; elles ne pourront être résolues sans de nouvelles recherches sur le site de Glanum, mais également sur des sites contemporains. Nous nous permettons de parler d’urbanisme, puisque l’agglomération de Glanum antique a reçu des aménagements « urbains » régulés et organisés pour la vie d’une communauté. L’absence d’écrits antiques sur la ville, le processus d’urbanisation, et l’administration à l’époque préaugustéenne doit être compensée par d’autres données : le décor architectural et l’architecture.
7Les trois « schémas » d’urbanisme présentés conservent approximativement la même organisation d’ensemble, la volonté d’organiser le site et de le monumentaliser au nord du rempart 33, daté d’après ce que nous avons montré précédemment de 100 av. J.-C. Les travaux des périodes suivantes correspondent à la réfection ou à l’aménagement d’un ou plusieurs bâtiments, sans destruction totale, ni même réorganisation d’ensemble de l’agglomération.
Fig. 1 – Tableau de concordances chronologiques

L’urbanisme de la période 3a
La trame urbaine
8L’urbanisme de cette période est défini par les voies, les évacuations et adductions d’eau ainsi que les terrasses4. Des incertitudes en des points précis du site subsistent, mais sont indécelables dans l’état de nos connaissances. Je pense en particulier à l’emplacement du puits à dromos 60, qui devient accessible par un escalier seulement au cours de la période suivante. Il est probable qu’un puits ou citerne existe cependant sur ce point névralgique dès l’époque 3a afin de drainer le site.
9L’organisation générale est déjà tracée, prenant en compte la topographie accidentée. L’égout n° 1, traversant le site du sud au nord, présente un tracé plus oriental que celui de l’époque impériale5. Des interrogations subsistent, notamment au nord du rempart, où la chronologie du premier état de construction du portique 32, de la salle d’assemblée 29, de l’édicule 45 et de la structure 34 est encore imprécise. Toutefois, nous incluons ces monuments dans le plan général de la phase 3a compte tenu de leur importance cultuelle, particulièrement l’édicule 45 qui sert pour la présentation des statues d’accroupis.
Les monuments connus et leurs fonctions
10Les terrasses sud, devant le rempart 33 contemporain de cette phase 3a, soutiennent quatre monuments dont un seul présente l’ensemble des caractéristiques techniques définies pour la période pré-augustéenne. L’exèdre 31, construite en grand appareil à joints vifs, présente un plan en L, pourvu de bancs. Le montant nord permet de proposer une fermeture amovible de ce côté. La possibilité d’une couverture reste posée, malgré l’importance des fragments de dalles calcaires découverts dans ce monument. La fonction du lieu est énigmatique. L’hypothèse la plus probable est celle d’un lieu de réunion ou de rencontre, comme en témoigne la présence de graffiti atypiques, dont la date de réalisation reste à déterminer.
11Au sud, suivant l’alignement du rocher, le portique 32, construit en pierre et en bois doit subsister d’une période antérieure. Sa valeur cultuelle doit être vérifiée, car aucun vestige ne témoigne en faveur de cette hypothèse. Il s’agirait plutôt d’un monument public dont la fonction est liée à la vie de la communauté, mais nous n’avons aucune connaissance sur celle-ci, si ce n’est les descriptions des auteurs anciens décrivant les cultes des têtes coupées. Les archéologues ont tendance à associer ces descriptions à la présence de statues d’accroupis chez les peuples « barbares », suggérant par conséquent la présence dans ces villes de communautés encore peu urbanisées aux mœurs sauvages. La conservation probable de ces monuments au moment où apparaissent des formes d’urbanisation de type italique au nord de l’agglomération va à l’encontre de l’image donnée par les auteurs anciens et les livres d’histoire. Les édifices liés à l’exposition des « têtes coupées » sont connus à la même période sur différents sites bas-rhodaniens6. Face au portique 32, la présentation des statues d’accroupis 45 a pu subsister une courte période avant d’être remplacée par la structure 34 liée à la consolidation d’une terrasse faisant le lien avec la salle d’assemblée déjà en partie construite. On insiste aujourd’hui sur le fait que ces représentations semblent davantage liées au culte des ancêtres qu’à un culte guerrier. Leur conservation montre la persistance des populations indigènes7, capables par ailleurs d’assimiler les techniques et modes décoratives italiques. Le linteau décoré de feuilles soutenues par un astragale de perles et pirouettes peut être déjà utilisé dans la décoration de l’édifice, puisqu’il est également percé de cavités destinées à recevoir des crânes ou masques8. Les cavités, profondes, ne permettent pas de proposer le remploi du bloc en élément décoratif. Par conséquent, d’autres éléments portant la même décoration, appartenant au couronnement de piliers, ont pu être utilisés dans l’architecture mixte du portique. La restitution du portique est inspirée de celle proposée pour le monument d’Entremont, comportant également un étage.
12La salle d’assemblée 29 ne possédait pas à cette époque de portique à l’ouest tel que nous le connaissons, mais la présence de supports de stèle, dans l’angle sud-ouest du monument autorise l’hypothèse de l’existence d’une terrasse, soutenue par quatre rangées de gradins orientées sud-nord (fig. 2). Le mur de fond construit en grand appareil devait déjà matérialiser la limite de l’espace vers l’ouest. La terrasse B n’a livré aucun élément construit rattaché à cette période d’occupation.
13Des terrasses sont construites pendant cette période, permettant la mise en place des premières constructions monumentales, formant un véritable complexe cultuel et vraisemblablement civique.
14Le schéma d’urbanisme de cette période demeure lacunaire, notamment au sud, où les constructions n’ont pas été mises au jour. Une base de colonne sous le dallage actuellement conservé confirme l’existence de ces niveaux inférieurs. Une coupe stratigraphique livrée par H. Rolland lors de ses fouilles de 1966 témoigne de la présence d’un dallage à un niveau similaire au niveau d’occupation utilisant la base de colonne. Ces éléments permettent de restituer une colonnade interne, puisque le portique sud (place 57) encadrant la cour est construit à cette époque. La tholos 50 est contemporaine de cet état de construction. La place 57, offre déjà, selon nos propositions, un plan trapézoïdal. L’hypothèse d’un plan rectangulaire, proposée jadis, n’est pas cohérente avec l’alignement des bases de colonnes, élément sur lequel reposait cette proposition, conjuguée à l’existence de murs de petit appareil délimitant ce plan. Ces structures, nombreuses mais très fragmentaires sous la place 57, doivent appartenir aux constructions de la période 2. Nous excluons donc cette hypothèse, incohérente également avec les tracés des égouts et des voies, en l’absence d’éléments permettant cette restitution9.
Fig. 2 – Plan d’urbanisme de la période 3a DAO Sagetat-Basseuil.

15La place 57 est donc dès la première période encadrée de portiques, sans salles aménagées à l’arrière, hormis peut-être au sud. Cette restitution ne permet plus d’identifier le monument comme un prytanée, lié à une organisation administrative grecque, dont la fonction de réception est primordiale, assurée dans les salles annexes. Ce bâtiment, de réalisation technique maîtrisée, décoré de chapiteaux figurés témoignant du syncrétisme entre culture « indigène » et assimilation des données culturelles italiques, peut être identifié comme le monument caractérisant la communauté habitant Glanum. Nous proposons de l’interpréter comme le forum ou la place publique de l’agglomération, associée à une première « basilique », ou du moins « salle couverte » dont le seul témoin serait cette base de colonne sud (fig. 2).
16Cette place surplombait une autre cour, encadrée vraisemblablement de portiques au moins à l’ouest et au nord, suivant le même alignement que la place 57, mais offrant l’accès aux salles situées à l’arrière. Sur cette place, s’ouvrait un temple regardant vers le sud. Des portiques existaient certainement à l’angle nord-est du temple. Le plan de ceux-ci n’a pas été conservé mais l’étude du mobilier architectural permet cette restitution.
17À l’est, les constructions devaient prendre place sur les flancs du rocher, mais elles ont toutes disparu. À l’ouest, un bâtiment oblong donnait sur la rue, suivant la pente de celle-ci. Il devait abriter des boutiques. Le plan proposé est issu des éléments de substructions conservés en place, dont certains sont plus proches des témoins de la période 3b. Nous estimons en effet que ce schéma a peu évolué.
18L’accès au complexe était situé à proximité de la tholos, abritant certainement une statue ou constituant un poste de garde surveillant l’entrée. Un second accès, par une rampe, pouvait exister par le nord, le long de la terrasse. Cette rampe permettait l’accès au complexe par le mur nord, où l’hypothèse d’une porte charretière, à l’emplacement de la ruelle qui séparera les maisons 12 (de Sulla) et 16 (aux enduits roses), n’est pas à exclure (fig. 3).
19La succession de terrasses descendant vers le temple et vers un espace de plus en plus fermé permet d’identifier le complexe comme le premier centre monumental de Glanum, pourvu d’un temple, encadré de portiques délimitant un espace réservé au culte, duquel nous ne connaissons rien. Un puits, à l’emplacement du futur monument 60 (puits à dromos), existe déjà. La terrasse supérieure était occupée par les bâtiments de la vie civique et administrative, forum ou place publique, et bâtiment à deux nefs, pouvant être identifié comme une basilique primitive. Les travaux de J.-Ch. Balty sur les curies du monde romain10, nous ont porté à émettre cette hypothèse. L’auteur présente peu d’exemples de curies républicaines, mais la description de l’emplacement de la basilique et son interprétation des terrasses du site de Préneste constituent un précédent intéressant. L’absence de fouilles profondes au sud de la place trapézoïdale interdit actuellement de restituer le plan du bâtiment. Cette hypothèse revient à proposer un des premiers plans de centre monumental provincial issu des modèles italiques. La « curie » ou « comitium » ne serait pas associée à la basilique, mais située à quelques dizaines de mètres plus au sud. Sa situation peut être liée à la présence d’un lieu public de regroupement de population à une époque antérieure.
Le décor architectural
20Le décor architectural des monuments élaboré au cours de cette période sera réutilisé en partie11 au cours de la période suivante. Proposant la restitution de l’architecture de cette période, nous constatons qu’il ne nous reste que de maigres indices du décor architectural. La présence de nombreux portiques implique que la quasi-totalité des bases de colonnes et chapiteaux a disparu. Malgré tout, nous possédons quelques jalons qui nous permettent de proposer des restitutions décoratives. Les bases de colonnes étaient pourvues de deux tores séparés par une scotie soutenant une colonne à fût lisse. Les chapiteaux associés sont d’ordre dorico-toscans.
21L’architecture était animée par des pilastres débordants dont nous avons conservé en majorité des chapiteaux de pilastre engagés, d’ordre toscan. Les entablements étaient constitués probablement d‘une architrave dont nous possédons peu d’exemplaires et de corniches à larmier décorées d’une succession de moulures simples, à rapprocher de l’ordre toscan. Les toitures étaient couvertes de dalles de calcaire. Des acrotères à palmettes décoraient le faîtage et les angles de la toiture du temple. Cette ornementation peut être associée à la partie cultuelle du centre monumental, située sur la terrasse inférieure.
22La terrasse supérieure (au sud), sur laquelle est construite une place contiguë à un monument à colonnade interne que nous proposons d’identifier comme une « proto-basilique », recevait un autre décor, du moins pour la place. Les bases de colonnes à doubles tores et leurs fûts lisses sont toujours caractéristiques, mais leur couronnement est beaucoup plus fouillé. Les chapiteaux à figures, ornés de quatre visages, dont certains portent le torque d’influence celte, d’autres une couronne de feuilles ou de laurier, témoignent d’un autre mode décoratif. L’astragale de perles et pirouettes se retrouve sur des architraves qui doivent être associées à ce complexe. Le décor est plus chargé et figuré.
Fig. 3 – Plan d’urbanisme de la période 3b DAO Sagetat-Basseuil.

23Les entablements montrent la même simplicité décorative que ceux précédemment cités ; l’ajout d’un listel permet cependant de les distinguer.
24Au sud, devant le rempart en grand appareil, la restitution de la décoration des monuments reste plus lacunaire. La décoration de la salle d’assemblée n’est pas connue pour cette période. Les monuments 32 (portique) et 45 (terrasses ouest) ont reçu une décoration avec des caractéristiques proches de celles identifiées dans l’ornementation de la place trapézoïdale 57. Un chapiteau dorico-ionique est connu dans cet espace. Il peut être attribué au monument 34. Des chapiteaux de pilastre et un linteau sont décorés d’un astragale de perles et pirouettes soutenant une moulure décorée de feuilles. Ces éléments peuvent appartenir à l’ornementation du portique 32.
L’urbanisme de la période 3b
La trame urbaine
25La trame urbaine mise en place au cours de la période 3a ne varie pas. Les niveaux de circulation restent identiques. Le plan des monuments construits au cours de la période précédente est conservé en partie. Des réaménagements sont perceptibles dans le temple 17 et ses annexes, puisque les substructions ouest du temple sont mises en place durant cette période. Les blocs utilisés proviennent de constructions démontées. Le portique 32 au sud est agrandi au cours de cette période ; son stylobate est désormais situé plus à l’ouest, construit essentiellement en blocs de grand appareil de remploi. L’identification de la provenance de ces blocs est complexe ; ils sont tous retaillés afin de rendre leur utilisation plus facile. La présence de cavités rappelant celles destinées à recevoir les éléments de charpente permet de proposer une identification comme éléments d’entablement.
26La place 57 et ses annexes sud reçoivent peut-être des aménagements, notamment dans sa partie sud, sans que l’on puisse les identifier.
27Un monument est construit au cours de cette période : le puits à dromos 6012. La construction du dromos, dont l’accès se fait par l’ouest, induit le réaménagement de cette zone et par conséquent de la partie ouest du temple 17. Cette modification est à l’origine de la division en deux états de la période 3.
28La salle d’assemblée 29 est vraisemblablement agrandie vers le sud. La conservation de la plupart des plans des monuments témoigne de remaniements architecturaux et non d’un nouveau plan d’urbanisme. Le remploi systématique d’éléments provenant du démantèlement de structures existantes montre l’absence de réouverture d’un chantier d’envergure, caractérisé par la présence de tailleurs et d’architectes. Hormis la mise en place du puits à dromos, les travaux se concentrent dans la zone sud du site : la construction du monument 28, ouvrant vers le sud et tournant le dos au complexe 57, ferme les deux espaces.
Les monuments connus et leurs fonctions
29Les monuments construits au cours de la période 3a semblent conserver les mêmes fonctions au cours de cette seconde période. Au sud, le portique 32 et peut-être la salle d’assemblée 29 sont agrandis ; un monument à deux salles (28) est construit.
30Au nord, les monuments en place subsistent, mais des réaménagements perceptibles dans le changement de plan de la partie ouest du temple 17, vraisemblablement liés à la construction du dromos du puits 60, sont réalisés selon nous au cours de cette période.
31Les éléments d’architecture réemployés dans les fondations des monuments situés au sud appartiennent peut-être à une construction démantelée pour l’édification du dromos. Sa construction témoigne du manque de maîtrise dans la mise en place des blocs dans le monument, signifiant qu’il n’y avait plus, lors de l’édification, d’ouvriers connaissant la mise en œuvre de la pierre. Cette remarque confirme l’absence de travaux d’urbanisme d’importance. Pourtant, la réalisation de cette construction souterraine devait demander les connaissances d’un architecte. L’absence d’éléments de datation absolue de la structure ne permet pas d’avancer plus loin ces réflexions. Ce puits avait vraisemblablement une fonction de réservoir. L’absence de lien avec le temple et de découverte d’élément cultuel témoignent en faveur de cette hypothèse. Le puits faisait office de fontaine publique souterraine, comme nous les connaissons dans les villes grecques13. La fontaine n’était pas obligatoirement visible devant le temple. La mise en place du dromos peut être expliquée par le besoin d’accéder à la réserve, qui depuis l’édification du centre monumental devait présenter un accès difficile, son aménagement étant vraisemblablement hérité des périodes antérieures.
32Au sud, le portique 32, agrandi, est doté d’une décoration en pierre dont nous avons conservé quatre éléments de corniches faîtières. Son sol est muni d’un bassin ou cuve carrée peu profonde avec une évacuation vers une canalisation disparue, qui devait être orientée sud-nord, passant devant le monument. La fonction du monument n’est pas définie. La présence d’eau et son emplacement en avant du « sanctuaire » ont permis à certains auteurs d’en faire un monument destiné aux ablutions. Il ne me semble pas que la présence de l’eau soit liée à une fonction cultuelle, mais plutôt à une obligation pratique, permettant le drainage à l’arrière du monument. La fonction publique du monument est incontestable, mais son usage cultuel est plus problématique. La présence d’une pierre taillée par une surface circulaire avec une évacuation d’écoulement n’est pas sans rappeler les meules de pressoir. L’hypothèse de fabrication d’huile est donc probable. Le monument aurait alors une fonction artisanale.
33La construction du monument à deux salles 28 se place dans ce contexte chronologique en raison du remploi d’éléments de grand appareil dans ses fondations14. Sa construction est irrégulière. Ce monument est lié avec les bâtiments situés au sud, fermant l’espace vers le nord. Son plan a permis à H. Rolland de l’identifier comme un temple15. Son plan bipartite incite à cette interprétation, ou à celle d’un trésor, connu dans le monde antique grec. L’hypothèse d’un bâtiment d’archives est également envisageable. Sa présence permet la construction d’une nouvelle terrasse sur laquelle s’appuie désormais le mur de fermeture nord de la salle d’assemblée 29, si celle-ci est agrandie vers le nord ; l’angle nord-est des gradins est reconstruit. Il nous est impossible de définir s’ils ont été déplacés ou reconstruits, mais leur agencement avec la présence de rigoles d’évacuation de l’eau n’existe que dans cet angle. À l’ouest, un portique surplombe les gradins ; les emplacements de trois dés supportant des colonnes sont conservés. L’exèdre 31 et les terrasses 45 ne montrent pas de modifications.
34L’architecture de la période 3b traduit toujours sa fonction publique avec des réaménagements liés au nord à la construction du dromos. Au sud, les réaménagements sont plus difficilement interprétables ; peut-être annoncent-ils déjà la phase d’urbanisme à venir ?
Le décor architectural
35Le décor architectural de la partie nord ne change pas : les blocs architectoniques sont remployés, retaillés à l’arrière pour être réutilisés.
36Au sud, l’ornementation des monuments est connue par quelques éléments. Le portique 32 était pourvu d’une colonnade interne, couronnée par des chapiteaux de petites dimensions, dont nous ne possédons qu’un seul exemplaire. La présence d’une base à la colonne n’est pas prouvée. Son entablement est connu par quatre architraves à fasces remployées dans le stylobate de la période postérieure et quatre éléments de corniches montrant la même ornementation que l’entablement de la place trapézoïdale 57.
37Nous ne connaissons rien du décor du monument à deux salles, hormis la présence d’un fût de colonne conservé en façade du monument, dépourvu de base.
38Le décor architectural de la salle d’assemblée 29 pour cette période est également peu connu. Deux blocs d’architecture permettent de proposer des hypothèses. Un chapiteau de colonne engagé, d’ordre toscan, mais portant un décor indéterminé doit lui être attribué en raison de sa découverte dans ses niveaux de démolition. Le décor de ce monument a été remployé dans la maçonnerie du péribole des temples impériaux, il peut donc aussi bien appartenir à la décoration de la période suivante. H. Rolland fait mention de bases de colonnes à doubles tores et d’éléments d’entablement dans ses rapports de fouilles de 1964, sans que nous ayons pu localiser ces blocs sur le site ou dans les réserves. Le chapiteau de colonne engagé devait animer les façades internes du monument sous le portique ouest ou à l’arrière des gradins. Le portique devait être soutenu par trois colonnes composées d’une base à double tores, d’un fût lisse, comme en témoigne la portion de fût attenante sur le chapiteau de colonne engagée, et d’un chapiteau de même type mais de dimensions plus importantes que l’élément conservé. Ce fragment n’a pas été retrouvé, il est seulement connu par des photographies anciennes. Les vestiges conservés ne permettent pas de restituer une couverture au monument.
L’urbanisme de la période 4
La trame urbaine
39La période 4 marque un bouleversement dans la fonction des monuments situés au nord, peut-être prévu dès l’époque précédente par la construction et l’agrandissement des monuments au sud. La zone occupée par le temple, ses annexes et le puits à dromos est démantelée, leurs substructions sont réutilisées pour asseoir un quartier résidentiel de quatre maisons (maison de Sulla 12, maison aux enduits roses 16, maison 19 et la maison aux alcôves 18) (fig. 3). Le niveau de sol des monuments ne varie quasiment pas. La construction des maisons induit des modifications dans l’accès au puits à dromos 60 auquel on accède désormais par l’est. Les structures situées à l’emplacement du retour est du dromos ne sont pas connues mais sont détruites au cours de cette période, expliquant le démantèlement conjoint du portique est de la place trapézoïdale 57, qui devait être aligné sur la construction détruite plus au nord. La place trapézoïdale et ses annexes au sud n’ont plus la même fonction, les éléments architecturaux sont retaillés pour une utilisation probablement artisanale, bien perceptible dans sa partie sud, sur l’emprise de l’ancienne « proto-basilique ».
40Au sud commencent des travaux de plus grande ampleur avec un probable changement d’orientation de l’égout central qui est déplacé vers l’est, passant désormais sous le monument à deux chambres 28, qui est conservé. La terrasse la plus au sud est surélevée à un niveau voisin de 119 m N.G.F. Le portique 32 est reconstruit selon un plan similaire mais plus long, jusqu’au rempart 33. La cour 29 subit des modifications ; son mur sud est démantelé, le négatif est comblé par des éléments en remploi, dont quatre chapiteaux à figures. Face à l’extrémité nord-ouest du nouveau portique, est construit un nouveau mur sud clôturant la cour à gradins, permettant la construction du mur soutenant l’exhaussement de la terrasse. Le seuil de la salle d’assemblée est surélevé, pour pouvoir être encore accessible. Il est probable que l’exèdre 31 ait été comblée à cette époque. Ces travaux doivent se poursuivre et être terminés au cours de la période 5. La période 4 correspond donc à une période de démontage des monuments pré-augustéens et au stockage des blocs. Certaines zones du site commencent à être remblayées. Aucune construction de cette période ne témoigne de l’emploi de grand appareil dans sa destination première, ni d’un travail de taille de la pierre. À l’emplacement des constructions publiques s’installent les maisons. Cette phase constitue la période charnière entre les deux programmes d’urbanismes monumentaux de Glanum.
Les monuments connus et leurs fonctions
41Le complexe 57, en partie déconstruit, a désormais une fonction différente, mais non spécifiquement privée. Les maisons (12, 16, 19 et 18) présentent des plans qui témoignent d’une construction rapide suivant des fondations préexistantes. Malgré tout, elles reçoivent des décors peints. La redéfinition de la chronologie du centre monumental de Glanum pose la question de cette courte période d’occupation résidentielle entre deux périodes d’urbanisation publique. Nous proposons l’hypothèse d’habitations liées aux travaux engagés au sud du site et qui se termineront au cours de l’époque impériale. Les mosaïques de la maison de Sulla peuvent être contemporaines de celle conservées dans une pièce du portique ouest de la place trapézoïdale 57. Nous proposons donc d’interpréter les réaménagements de la place et de ses annexes comme bâtiments publics dont la fonction est liée au chantier de construction. Cette zone serait dédiée aux constructeurs de la Glanum impériale.
42Au sud, les monuments publics agrandis ou construits au cours de la période précédente permettent à la vie civique et peut-être cultuelle (monument 28) de suivre son cours malgré la démolition du complexe monumental. À la fin de cette période est construit le portique dit « dorique », dont nous avons conservé le stylobate, deux fûts de colonne et un élément d’entablement. Il est probable que la fin de cette période ait vu l’édification du temple de Valetudo, situé sur la terrasse plus au sud. Ces travaux se poursuivront par la construction des temples géminés dont les fondations contiennent une quantité importante des blocs appartenant aux constructions pré-augustéennes.
Le décor architectural
43Le décor architectural de cette période ne correspond pas à un programme d’urbanisme clairement défini, mais plusieurs types d’ornementation se côtoient dans la même agglomération. Le quartier nord est composé en majorité de constructions en pierres irrégulières pour la base des murs et de briques d’adobe décorées avec des enduits peints. Les toitures pourraient être en chaume ou autres végétaux. Le monument 57 a dû conserver des structures architecturales en élévation puisque des éléments de chapiteaux et bases de colonnes ont été découverts in situ.
44Au sud, à la fin de cette période et au début de la suivante, commence l’édification des monuments que nous qualifions de « romains », dont le temple de Valetudo et le portique dorique 32 semblent être les premiers jalons. Le décor architectural de ces monuments marque un changement dans les formes de l’architecture.
45L’architecture du portique dorique témoigne de l’emploi de colonnes à pans sans base. Le temple de Valetudo possède des colonnes cannelées, couronnées de chapiteaux corinthiens. L’entablement de ce même temple utilise la même modénature que celle connue dans l’entablement de la place 57, mais la réalisation du fronton montre une maîtrise plus aboutie dans l’agencement complexe des blocs.
46L’examen des trois schémas d’urbanisme successifs montre une agglomération en chantier permanent, ce qui va à l’encontre des hypothèses habituelles de destructions massives de l’agglomération, en lien avec les faits marquants de la conquête romaine en Provence. À partir du début du ier siècle av. J.-C., l’agglomération de Glanum est monumentalisée, munie des édifices publics indispensables à l’administration d’une agglomération régissant une communauté, même si son extension géographique au-delà des limites de l’agglomération ne peut pas être précisée. L’organisation du site en terrasses et la maîtrise dans la réalisation des constructions, face aux irrégularités du terrain, montrent la mise en place d’un schéma d’urbanisme cohérent et unitaire.
Fig. 4 – Plan d’urbanisme de la période 4 DAO Sagetat-Basseuil.

Bibliographie
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Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Rolland, 1946 ; 1958 ; 1965 ; 1967 ; 1968.
2 Roth-Congès, 1985 ; 1992a ; 1992b ; 1992c ; 1992d.
3 Ballais & al., 1993 : 515-545.
4 Les travaux que nous avons menés sur le site de Glanum nous ont guidé vers la définition d’un certain nombre de terrasses ayant permis l’urbanisation du site malgré une topographie très accidentée.
5 La restitution du tracé est dictée par l’emplacement des monuments connus.
6 Entremont, Mouriés, Nîmes.
7 Nous entendons par le terme « indigène », les populations primitives du lieu, pour lesquelles la « généalogie » fait débat (Celtes, Ligures ou Celto-ligures ?).
8 Généralement, on restitue des crânes suspendus aux linteaux dans les monuments témoignant du culte des têtes coupées, mais les cavités semblent plus adaptées à l’accrochage de masques mortuaires. Ces masques, comme cela se pratique encore dans certaines provinces africaines, restituent la face du défunt. Les cavités observées conservent un reste de matière incompatible avec la mise en place d’un crâne.
9 Les travaux engagés en 2006 ont permis de réaliser un sondage perpendiculaire au portique nord de la place 57, les niveaux inférieurs à celui-ci n’ont pas livré de niveaux de sol correspondant à un portique rectangulaire, l’alignement des colonnes est actuellement la seule partie connue du monument.
10 Balty, 1991 : 23-25.
11 Des éléments de remploi sont connus dans la construction du stylobate du portique 32 dans son état intermédiaire. La datation cohérente du monument, permet d’attribuer cette période de construction à l’urbanisme 3b.
12 Les suivis des travaux réalisés en 2010 montrent que ce bâtiment est construit seulement vers 40 av. J.-C. : Sagetat-Basseuil, 2013, p. 35-37.
13 Argoud, 1986.
14 Cf. supra n. 12.
15 Rolland, 1965 : 91-99.
Auteur
Inrap – IRAA (USR 3155) – AMU
Université Lyon 2 – Université de Pau
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