Le canal comme élément d’urbanisme dans les colonies et municipes de Cisalpine
L’exemple d’Aquilée
p. 77-92
Résumés
Lorsqu’ils pénètrent dans la plaine du Pô, au tournant du IIIe s. av. J.-C., les Romains découvrent un environnement hydrographique bien différent des petites plaines côtières et des bassins compartimentés d’Italie centro-méridionale. La façade nord-adriatique de la plaine du Pô présente un milieu particulièrement original, avec une succession de grands deltas et de vastes lagunes, qui offre certes des aménités portuaires, mais impose aussi d’importantes contraintes de drainage sur le territoire et au niveau des centres urbains. La régularisation des chenaux naturels, la création d’émissaires artificiels et de canaux sont très tôt associées au développement de l’habitat et à sa parure monumentale. Ces infrastructures dessinent un nouveau schéma urbain : celui d’une ville entourée d’eau, enveloppée et parfois également traversée par des canaux artificiels. Les sources d’époque césarienne et impériale évoquent le caractère exotique de ces villes îles (Strabon 5.1.5) bordées de marais et de canaux. Elles témoignent aussi de travaux planifiés d’ingénierie hydraulique, inscrits dans un projet urbanistique (Vitruve 2.4.11). Aquilée, fondée en 181 av. J.-C., offre un exemple particulièrement documenté de cette articulation entre opérations hydrauliques et programme urbain, appliquée au niveau même du schéma colonial et développée à l’époque impériale. Les données récentes sur les centres d’Altino et de Concordia confirment l’élaboration en Cisalpine d’un modèle urbain fondé sur le contrôle du réseau hydrographique grâce à des canaux ou des chenaux fortement artificialisés. L’importance des voies d’eau dans l’organisation et le plan des colonies et municipes de la côte nord-adriatique semble ainsi résulter, au delà des contraintes environnementales, d’une fusion particulièrement réussie entre des traditions indigènes d’architecture en milieu humide et le développement d’une ingénierie hydraulique répondant aux contraintes et aux normes urbanistiques de la ville romaine.
When the Romans landed in the Po plain, around the 3rth century B.C, they discovered a hydrographical environment quite different from the coastal plains and the compartmentalized basins of central-southern Italy. The north Adriatic side of the Po showed a particularly original environment, consisting in a succession of large deltas and vast lagoons, no doubt offering port possibilities but at the same time imposing important constraints of drainage on the land and in and around urban centers. Artificial channels and straightened out of natural channels were quite early associated with the development of the settlement and its monumental ornamentation. These infrastructures participates in a new town planning: towns surrounded - and sometimes crossed - by artificial channels. Indeed the sources from Caesar and Augustus’ time evoke the exotic character of these isle-towns (Strabon 5.1.5) with marshes and channels all around. They also reveal the important works of planned hydrological engineering applied to town-planning (Vitruve 2.4.11). Aquileia, founded in 180 B.C offers a particularly well-documented example of this articulation between hydrological operations and town-planning created in colonial time and developed in imperial time. The recent data about both Altino and Concordia centers confirm the development in the Cisalpine area of a town model, based on the control of the hydrographic network thanks to natural and artificial channels. The importance of waterways in planning and organizing coloniae and municipia along the north-Adriatic coast seems to be the result, beyond any environmental constraints, of a very clever and successful fusion between native traditions in architecture in damp environment and the development of hydrological engineering coming up to the constraints and standards of the Roman town.
Texte intégral
Aquilée : un schéma urbain fondé sur le contrôle du réseau hydrographique
1Grâce à la mise en place d’un important programme de recherches paléo-environnementales et géoarchéologiques1, Aquilée constitue un site de référence pour l’étude des relations entre la topographie urbaine et l’aménagement du réseau hydrographique2. Les données récentes montrent que la ville romaine, grande métropole portuaire du Nord de l’Adriatique, intègre dans son schéma d’urbanisme d’importantes interventions de canalisation des voies d’eau, qui remontent pour partie à la création même de la colonie3.
Le choix du site et ses contraintes environnementales
2Déduite en 181 av. J.-C. sur les marges les plus orientales de la plaine du Pô, Aquilée est fondée comme colonie latine dans une plaine deltaïque de faible altimétrie (alt. < 10 m), à une dizaine de kilomètres de la côte. Les études paléo-environnementales (fig. 1) montrent que l’actuelle lagune de Grado n’était pas encore formée, au contraire de la lagune de Marano située plus à l’ouest4. La plaine d’Aquilée constituait alors un environnement particulièrement hydromorphe, modelé par des micro-reliefs (paléo-bourrelets alluviaux) alternant avec des secteurs particulièrement déprimés, en partie colonisés par des marais5.
Fig. 1 – Évolution de la ligne de rivage et du paléo-hydrosystème d’Aquilée jusqu’à la formation de la lagune de Grado D’après Marocco, 1991.

3La ville romaine s’installe sur une position légèrement surélevée, en rive droite d’un fleuve de haute énergie alimenté par la confluence, juste en amont, de deux paléo-chenaux actifs au début du iie s. av. J.-C. L’un, orienté nord-sud, est identifié comme un cours d’eau important au premier âge du Fer (fig. 2 : chenal nord). Il est associé à un habitat reconnu dans le secteur au nord du forum6. À l’époque romaine, ce fleuve s’est déplacé plus à l’est et a perdu une grande partie de sa compétence, mais il reste présent dans le paysage de la cité puisque il est traversé par deux ponts d’une dizaine de mètres7. L’autre chenal, situé plus à l’est (fig. 2 : chenal nord-nord est), correspond au moment de l’implantation romaine à un fleuve particulièrement puissant8. C’est sur sa rive gauche, juste en aval de la confluence, que s’installe la colonie. Les structures d’époque impériale montrent que le chenal mesure déjà plus de 38 m en amont de cette confluence et qu’il atteint ensuite près de 50 mètres, dans la zone dite du « port fluvial » qui correspond au principal secteur portuaire d’Aquilée9. Le grand fleuve enserre la ville à l’est et au sud selon un tracé fortement régularisé, reconnu en partie grâce aux aménagements de quais. En aval d’Aquilée, on ignore l’orientation du tracé et la géométrie du chenal en direction de la côte, ainsi que son débouché dans la mer, occulté par le développement de la lagune de Grado10.
Fig. 2 – Restitution du réseau hydrographique antique d’Aquilée D’après Carre, 2004.

4Pour les paléo-environnementalistes, les caractéristiques de ce fleuve torrentiel répondent à celles d’un hydrosystème construit par le Torre et le Natisone, peut-être déjà associés à l’Isonzo11. Cette reconstruction est conforme à la description des sources qui mentionnent un cours d’eau reliant Aquilée à la mer, appelé Natiso chez Strabon (5.1.9) et Pomponius Mela (Chor. 2.61.3), et Natiso cum Turro chez Pline (N.H. 3.18.126)12.
5L’existence de ce grand cours d’eau, complètement masqué par la topographie et l’hydrographie actuelle, permet de mieux caractériser le site choisi pour établir la ville antique : Aquilée se trouve à la fois en apex de delta, en retrait des territoires les plus déprimés et marécageux de la côte, tout en bénéficiant d’une voie d’eau de première importance, alimentée en amont par la jonction de différents apports descendant des Alpes. Les carottages profonds effectués au niveau du port d’époque impériale indiquent une hauteur d’eau fonctionnelle pour accueillir des navires de mer, au moins jusqu’au iie s. ap. J.-C.13 La documentation archéologique montre que la colonie s’installe sur un centre indigène, intégré depuis le ve s. av. J.-C. dans les courants d’échanges du nord de l’Adriatique14. Peu d’éléments subsistent pour caractériser ce noyau préromain, dont les traces sont oblitérées par les lourds travaux d’infrastructures réalisés lors de la déduction d’Aquilée. Le mobilier céramique d’importation, retrouvé dans le secteur au nord du forum et sous les premiers niveaux républicains (angle sud-ouest du forum) atteste d’étroits rapports avec les centres vénètes, mais aussi l’Étrurie padane et l’Italie centrale15. Une mention de Strabon suggère aussi un rôle d’interface commerciale entre le littoral et l’arrière pays alpin16. Enfin, l’épave de Grado 2, avec sa cargaison d’amphores gréco-italiques datées de la fin du iiie s. av. J.-C., confirme la fréquentation de la côte par des navires marchands peu avant la fondation de la colonie, et peut-être déjà la fonction portuaire du site17. Cette fonction commerciale du site pourrait avoir influencé fortement le choix de l’emplacement de la colonie, dans un contexte environnemental qui est celui privilégié, comme on le verra, par d’autres établissements préromains du nord de l’Adriatique18.
L’urbanisme colonial
6Tite-Live nous apprend que deux contingents successifs de colons, en 181 av. J.-C., puis en 169 av. J.-C., furent nécessaires pour assurer la réussite de l’opération19. Les objectifs stratégiques qui légitiment l’implantation de la colonie en marge du territoire conquis par Rome expliquent en partie l’envoi de ce supplementum. L’apport de nouveaux colons aide certainement à la mise en œuvre d’un schéma urbain appliqué à un milieu contraignant, imposant de lourds travaux de bonification et de drainage, bien observés au niveau de l’enceinte20 et sur le territoire21. Les restitutions proposées pour la première planimétrie de la ville privilégient aujourd’hui un schéma d’urbanisme unitaire dont l’orientation est identique à celle de la centuriation classique d’Aquilée : elles mettent donc en avant une action planifiée à l’échelle de la ville et de son territoire dès la déduction de la colonie22. Les éléments urbanistiques les mieux connus sont le tracé de l’enceinte mise en chantier dans les années qui suivent la fondation23, quelques éléments du réseau viaire et la délimitation du forum, identique à l’emprise de la place publique à l’époque impériale24. À cette première phase se rattache la construction aux abords de la place d’un édifice de culte (aedes) attribué par une inscription à T. Annius Luscus, célèbre triumvir de 169 av. J.-C.25 Un bâtiment à plan circulaire interprété comme un comitium complète au nord l’aménagement à haute époque du forum26. Doté de ses remparts, d’un réseau urbain organisé et de ses monuments publics, le premier noyau urbain d’Aquilée répond ainsi à un schéma colonial qui fait de la ville, au IIe s. av. J.-C. un modèle pour les centres indigènes désormais contrôlés par Rome27. Pour autant, son application à un terrain hydromorphe et contraignant constitue un défi et ouvre un espace d’expérimentation technique en matière de gestion de l’eau et d’ingénierie hydraulique.
Fig. 3 – Plan d’Aquilée républicaine (1 : cardo maximus ; 2 : via Annia ; 3 : enceinte ; 4-5 : portes ; 6 : forum ; 7 : comitium ; 8 : macellum ; 9 : port oriental) D’après Tiussi, 2009.

L’artificialisation du grand fleuve oriental et son rôle dans le développement urbanistique de la colonie
7Quelle place attribuer au réseau hydrographique dans cette première planification urbaine ? Il a été observé que les irrégularités du tracé oriental de l’enceinte républicaine sont probablement déterminées par le lit du fleuve, de même que la forme allongée de la ville, contrainte par la présence du fleuve à l’est et de terrains particulièrement déprimés à l’ouest et au sud28. À l’est, le rempart est installé à une vingtaine de mètres de la rive, laissant place à des activités portuaires dont l’existence est suggérée par la montée rapide d’importations de Méditerranée orientale, du centre et du sud de l’Adriatique dans les décennies qui suivent la fondation de la colonie29. Dans le secteur du « port fluvial », les fouilles anciennes ont repéré l’existence d’aménagements de la rive antérieurs aux structures d’époque impériale : un niveau de circulation pavé associé à un escalier descendant vers le fleuve et peut-être déjà une première opération de régularisation des rives, avec la présence d’un planchéiage reposant sur des pieux en chêne30. De l’autre côté de l’enceinte, soit à l’intérieur du périmètre urbain, la relecture des données d’archives suggère d’attribuer à l’époque républicaine un bâtiment à portique dont l’orientation est conforme à celle du premier réseau viaire, restituée un peu plus au nord31. Cet édifice pourrait avoir une fonction de stockage en liaison avec le port, en supposant la présence d’ouvertures dans l’enceinte en correspondance avec un ou plusieurs decumani venant du forum, comme attesté durant la période impériale32.
Fig. 4 – Aquilée - Port fluvial. Le quai monumental, avec en retrait l’entrepôt Cliché C.R.

8L’artificialisation des berges du fleuve est mieux connue à partir de l’époque flavienne, avec le réaménagement du quartier portuaire et son infrastructure monumentale mise à jour à la fin des années 1920 (secteur dit du « port fluvial »)33. Doté de quais à deux niveaux et d’un long entrepôt à plan atypique34, ouvrant sur un bassin portuaire correspondant au lit du fleuve canalisé (40 m de large en moyenne), cet ensemble mérite d’être réinterprété comme le principal port de la colonie35. Son aménagement implique un remodelage profond du secteur occidental de la ville jusqu’au forum, avec la destruction du secteur résidentiel situé juste au nord36, désormais intégré dans le quartier portuaire, et la réfection d’au moins une des trois voies (decumani) reliant le forum au port37. Les choix architecturaux effectués pour la réalisation des quais et de l’entrepôt (fig. 4) confirment que ce grand réaménagement urbanistique vise à doter le front est de la ville d’une façade particulièrement monumentale, dont la réalisation dépasse les besoins strictement fonctionnels liés à l’accueil des navires et au stockage des marchandises, ou encore à la stabilisation des rives urbanisées en limite est de la ville.
9En effet, les fouilles anciennes et récentes montrent que l’endiguement monumental de la rive droite se poursuit au nord et au sud bien au-delà des 450 m révélés dans les années 192038. Des fouilles d’urgence ont ainsi mis à jour une portion de quai aménagé en limite sud de la ville, située non loin du point de franchissement du fleuve par le principal axe nord-sud de la cité (cardo maximus)39. La construction de ce quai intervient entre la fin du ier s. et le début du iie s. apr. J.-C., soit peu après le début des travaux d’aménagement du grand port oriental40. Cette chronologie va dans le sens d’une réfection planifiée de la rive droite sur tout le pourtour urbain. Au sud, l’aménagement architectural de la rive accompagne également l’urbanisation plus récente du secteur situé entre le fleuve et la muraille républicaine (fig. 5)41. En rive gauche, les fouilles des années 1920 ont montré que la berge était également contenue sur au moins 200 m par un quai plus modeste dont la construction reste difficile à dater. Bien qu’on manque de sondages permettant de vérifier la poursuite en aval de ce quai, on peut penser que l’ensemble du chenal fluvial était entièrement canalisé, au moins à l’époque impériale et sur la section correspondant au périmètre de la colonie. Cette artificialisation expliquerait notamment les deux méandres à 90°, probablement non naturels, qui caractérisent le tracé du cours d’eau aux angles sud-est et sud-ouest de la ville. Elle témoigne en tout cas d’une forte intégration de la principale voie d’eau dans un réaménagement concerté des abords urbains réalisé au cours de la deuxième moitié du Ier s. apr. J.-C. L’impact de ces aménagements hydrauliques sur le comportement du fleuve reste encore difficile à mesurer. Au cours du iie s. ap. J.-C. celui-ci change de régime sous l’effet de facteurs naturels et/ou anthropiques42. Aux iiie et ive s. apr. J.-C., l’établissement de nouveaux remparts sur les quais d’époque flavienne, puis dans le lit même du fleuve, reflète un colmatage progressif du chenal, alimenté à partir du haut Moyen Âge par un simple cours d’eau de résurgence karstique, la Natissa43.
Autres interventions hydrauliques sur le territoire suburbain
10L’importante opération de canalisation du fleuve oriental, associée au réaménagement des façades est et sud de la cité n’est pas l’unique intervention antique observée sur le réseau hydrographique d’Aquilée. L’affleurement de la nappe phréatique alimente aujourd’hui un ensemble de petits fleuves de résurgence orientés selon les principales directions d’écoulement de la plaine nord-est / sud-ouest. Ce réseau superficiel existait déjà à l’époque romaine, exploitant certains des paléo-chenaux repérés par photographie aérienne sur le territoire d’Aquilée. Le réexamen des données d’archives montre qu’au nord de la ville, un cours d’eau, aujourd’hui en partie repris par l’Ausset, avait dès l’époque romaine été aménagé de quais44. À l’ouest, les données archéologiques attestent la présence du Terzo, fleuve de résurgence longeant à une dizaine de mètres la muraille républicaine. Les traces d’un pont antique ont été retrouvées dans son lit, dans un secteur qui correspond au point de franchissement de la uia Annia, l’une des grandes voies républicaines donnant accès à la colonie45. Ces vestiges indiquent que la géométrie du chenal n’a guère changé depuis l’Antiquité. Or, le tracé particulièrement rectiligne du Terzo et son orientation conforme à celle de la grille centuriée laissent supposer que le chenal naturel du fleuve ait été précocement corrigé dans le cadre d’une mise en valeur planifiée du territoire occidental46. L’intervention avait certainement pour objectif de drainer un secteur de basse altimétrie collectant les eaux de résurgences venues à la fois de l’amont et des remontées de la nappe phréatique.
Canale Anfora et l’application du schéma vitruvien de la construction en milieu humide (Vitruve 2.4.11)
11L’opération la plus significative sur le territoire occidental de la colonie reste toutefois le creusement artificiel d’un long canal d’un peu plus de cinq kilomètres reliant la ville au littoral de la lagune de Marano (fig. 6). Partiellement affecté par la bonification moderne, l’ouvrage qui porte l’hydronyme de canale Anfora, est considéré depuis longtemps comme une infrastructure antique en raison des quantités d’amphores extraites de son lit depuis l’époque médiévale. La majorité du tracé entre le Terzo et le débouché dans la mer reste mal connue, d’autant que la section médiane du canal est aujourd’hui en eau, enserrée par des digues modernes et bordée de denses cannaies. À l’extrémité occidentale du canal, un sondage réalisé par L. Bertacchi a confirmé la datation antique de l’ouvrage en révélant la présence d’un fond dallé, mention non confirmée par les interventions postérieures47. Les fouilles anciennes indiquent également la présence d’une voie antique longeant la rive méridionale du chenal, sans toutefois retrouver la trace d’installations portuaires qu’on aurait pu attendre le long d’un canal navigable reliant directement Aquilée à la mer48.
12À l’est, le canal rejoint le Terzo et se prolonge en direction de la ville dans le même alignement, en s’interrompant peu avant le rempart49. Cette dernière section du tracé, aux abords immédiats de la colonie, traverse une zone particulièrement déprimée portant le toponyme de Marignane. Bien visible par photographie aérienne, elle a fait l’objet de deux opérations de fouille préventive restées à ce jour en grande partie inédites (fig. 6 : 2-3). La première, réalisée en 1988, a touché la section du canal située immédiatement à l’est du Terzo (Bertacchi, 1990). Elle a permis d’établir la largeur du chenal (16 m), sa profondeur (3 m, dont la moitié en eau) et le profil incliné de la rive, contenue par des alignements de pieux. La datation de l’opération, réalisée dans des niveaux d’argile pure, a alors été attribuée à une période comprise entre le milieu du ier s. av. J.-C. et l’époque impériale. Une fouille plus récente a été réalisée 400 m plus à l’est, ouvrant sur 30 m de long la moitié sud du canal50. Les données les plus parlantes concernent la séquence de comblement, caractérisée sur 1,30-1,40 m par des niveaux de sédimentation naturelle scellés ensuite par des niveaux de colmatage anthropique : l’analyse du mobilier situe le creusement de cette section du canal à la fin du ier siècle, suivi par une période de fonctionnement de près d’un siècle ; au début du iiie s. apr. J.-C., l’ouvrage semble définitivement abandonné et remblayé51. La publication de cette opération sera d’une grande importance pour préciser la chronologie, la finalité et les caractéristiques techniques de cet ouvrage hydraulique. Cependant, on peut d’ores et déjà souligner que la réalisation de ce prolongement de l’Anfora, en façade ouest de la cité, coïncide chronologiquement avec la réfection monumentale des rives est et sud de la ville : on a là l’indice d’un réaménagement concerté du périmètre urbain, avec pour conséquence un contrôle renforcé des voies d’eau.
Fig. 5 – Plan d’Aquilée à l’époque impériale avec ses principaux monuments publics, (3 : forum ; 5 : port oriental ; 9 : horrea). D’après Maselli Scotti - Rubinich 2009.

Fig. 6 – Le canal Anfora dans la plaine occidentale d’Aquilée avec localisation des interventions archéologiques (1 : sondage Bertacchi 1978 à l’extrémité ouest du canal ; 2 : Marignane - fouille d’urgence Bertacchi 1988 ; 3 : Marignane - fouille d’urgence 2004-2005).

13La datation à l’époque impériale du tronçon le plus marginal du canal ne résout pas pour autant la question de la datation de l’ensemble de l’ouvrage. En effet, la section reliant le Terzo à la mer est probablement bien antérieure, étant donné le rôle clé qu’elle assure dans le drainage du territoire occidental d’Aquilée52. Observant l’intégration parfaite du canal Anfora dans la grille centuriée, M.-J. Strazzulla avait proposé d’attribuer la réalisation de cet émissaire artificiel aux premières phases de la colonie : ce schéma, associant une grande opération hydraulique aux premières phases édilitaires de la cité, est en effet celui proposé par Vitruve pour la construction des villes en milieu humide et développé avec succès, selon l’architecte, dans les colonies et municipes du littoral nord-adriatique :
Item si in paludibus moenia constituta erunt quae paludes secundum mare fuerint, spectabuntque ad septentrionem aut inter septentrionem et orientem eaque paludes excelsiores fuerint quam litus marinum, ratione uidebuntur esse constituta. Fossis enim ductis fit aquae exitus ad litus et, mare tempestatibus aucto, in paludes redundantia motionibus concitata marisque mixtionibus non patitur bestiarum palustrium genera ibi nasci quaeque de superioribus locis natando proxime litus pereniunt inconsueta salsitudine necantur. Exemplar autem huius rei gallicae paludes possunt esse quae circum Altinum, Rauennam, Aquileiam, aliaque quae in eiusmodi locis municipia sunt proxima paludibus quod his rationibus habent incredibilem salubritatem. (Vitr. 1.4.11)53
14Une relecture approfondie de l’ensemble du passage, confirmée par les données archéologiques d’Aquilée, d’Altino et même de Ravenne, suggère que Vitruve s’inspire de modèles d’aménagement urbains déjà efficients54, observés ou connus de lui en Cisalpine. Ce n’est donc pas par hasard, mais bien conscient d’un schéma spécifique, qu’il met en avant ces centres intégrant voies d’eau et canaux artificiels dans le plan urbain et la mise en valeur du territoire, certainement au prix de lourds travaux humains55. La fondation coloniale d’Aquilée semble constituer un maillon particulièrement précoce dans cette articulation, en associant la définition de l’emprise urbaine, matérialisée par ses remparts et ses espaces publics avec une grande opération hydraulique permettant d’assainir les zones les plus déprimées et marécageuses du territoire. Qu’un des triumvirs de 169 av. J.-C., M. Cornelius Cethegus ait été chargé après son expérience à Aquilée de participer à la bonification des marais pontins constitue un indice supplémentaire pour attribuer aux premières phases coloniales la réalisation du canal Anfora56. Si l’on considère le rôle du canal dans l’ensemble du réseau des voies d’eau entourant Aquilée, au moins à l’époque impériale, on mesure bien la fonction d’exutoire que celui-ci a pu jouer, conformément au schéma vitruvien, tout en favorisant, par la création d’une voie navigable protégée directement reliée à la mer la fonction portuaire de la cité.
Une ville circonscrite par les voies d’eau : l’articulation du schéma urbain avec un réseau hydrographique contrôlé
15Un drainage réfléchi, impliquant la régularisation et l’aménagement des chenaux naturels a donc été mis en œuvre dans tout l’espace suburbain, au nord et à l’ouest de la muraille républicaine par le Terzo et un petit cours d’eau canalisé, à l’est et au sud, par le grand fleuve endigué, dans lequel conflue le Terzo. L’ensemble de ces voies d’eau crée autour de la ville un réseau intégré, doublement relié à la mer par un delta au sud et un émissaire artificiel à l’ouest (fig. 2). Apparaît ainsi le schéma d’une ville entourée d’eau, résultant à la fois des contraintes du milieu et des efforts d’aménagement du réseau hydrographique réalisé lors de la fondation de la ville et en parallèle du développement urbain. L’artificialisation des voies d’eau, si elle remonte aux premiers temps de la colonie, a pu avoir une fonction défensive, articulée avec le tracé de l’enceinte57. Elle offre ensuite une desserte navigable autour de la ville, avec des chenaux canalisés et contrôlés participant au dispositif d’assainissement des espaces construits. Si aucun chenal n’a pour l’instant été relevé à l’intérieur de l’emprise urbaine, les importants niveaux de remblais et bonification, complétés par un réseau d’égout, confirment cet impératif de drainage. Dans la deuxième moitié du ier s. apr. J.-C., le réaménagement concerté des quais et de la zone de Marignane (prolongement de l’Anfora) renforcent le caractère fonctionnel des quartiers riverains en améliorant l’intégration des chenaux canalisés dans le tissu urbain et suburbain. Ces éléments dégagent une physionomie originale d’Aquilée républicaine et impériale, circonscrite par les voies d’eau et reliée à la mer par un grand canal artificiel. Ce schéma trouve des comparaisons étroites avec l’organisation d’autres centres de la façade nord-adriatique, où les voies d’eau jouent un rôle déterminant dans la morphologie urbaine.
L’intégration des canaux artificiels dans le développement urbanistique des villes de la regio X : réflexions sur l’élaboration d’un modèle original
16Il a été précédemment souligné que la colonie latine d’Aquilée s’était substituée à un habitat indigène à fonction commerciale, exploitant, depuis au moins le premier âge du Fer, un site en apex de delta grâce à d’importants travaux de bonification bien observés dans les horizons les plus anciens retrouvés au nord du forum. Ces caractéristiques méritent d’être comparées aux centres vénètes de Padoue, Este, et plus au nord, Altino et Concordia, caractérisés par une continuité d’occupation depuis la fin de l’âge du Bronze et le premier âge du Fer : ils reflètent une implantation préférentielle de l’habitat en milieu hydromorphe, appuyée sur l’exploitation des micro-reliefs et favorisée par une maîtrise ancienne de la construction en milieu humide et de l’endiguement des chenaux58. Précocement entrés dans un processus de romanisation ou affectés par une déduction coloniale, ces centres conservent une morphologie urbaine conditionnée par les voies d’eau, devenues un élément à part entière du schéma urbanistique. Les exemples d’Altino et de Concordia, actuellement les mieux documentés, permettent d’illustrer cette physionomie très particulière des municipes et colonies de la côte nord-adriatique, où le contrôle de l’eau est autant une nécessité qu’un support pour l’aménagement architectural de l’espace urbain.
Altino
17Le centre vénète d’Altino se situe au nord de l’actuelle lagune de Venise, dans un environnement de très faible altimétrie, traversé par des chenaux lagunaires et de petits fleuves de résurgence. Fréquenté depuis la fin de l’âge du Bronze / début de l’âge du Fer, il se structure à partir du viiie s. autour d’un sanctuaire implanté au sud de la ville romaine, en bordure d’un chenal relié à la lagune. Il conserve, durant toute la période préromaine, une importante fonction commerciale et religieuse59. Au cours du iie s. av. J.-C., il devient une étape sur plusieurs grands itinéraires routiers, dont la uia Annia qui traverse le noyau urbain60. Altino connaît ainsi une précoce romanisation61, illustrée par une réorganisation du noyau urbain et du territoire, étroitement associée à la gestion des voies d’eau, entre la fin du iie s. av. J.-C. et le milieu du Ier s. av. J.-C. (fig. 7).
18Une opération planifiée conduit en effet à réaliser un canal artificiel de près de 2 km, permettant de relier le cours du Sile au nord, avec le chenal du canal de Santa Maria qui se jette dans la lagune toute proche (1 km). L’ensemble de cette intervention artificielle est encore bien visible par photographie aérienne et en partie conservé par le tracé rectiligne du Sioncello (fig. 7, n. 5). L’aménagement de quais, datés par dendrochronologie de la première moitié du Ier s. av. J.-C., a pu être observé en rive ouest au nord du noyau urbain antique sur presque 200 m62, et plus au sud à l’intérieur de la ville où cette section du canal est d’ailleurs rapidement remblayée63.
19Avant d’entrer dans la ville le canal débouchait sur un circuit de chenaux canalisés qui semble avoir circonscrit l’habitat. Il était doublé, au moins en partie, d’une enceinte matérialisant la limite urbaine, érigée dans le même contexte chronologique. Au début du Ier s. av. J.-C., l’entrée nord-est de la ville est ainsi dotée d’une porte monumentale, ouvrant directement sur le canal64. Cet urbanisme planifié, auquel s’ajoute une restructuration architecturale des principaux sanctuaires, reflète les efforts consentis par le centre indigène pour se doter d’une parure urbanistique répondant aux critères romains65. Une priorité semble avoir été donnée à l’artificialisation du réseau hydrographique, étroitement intégré au dispositif monumental de l’enceinte et disposant d’un exutoire vers la lagune toute proche : le schéma est comparable à celui mis en place à Aquilée dès l’époque républicaine et mieux connu pour l’époque impériale.
20L’originalité de la ville d’Altino, établie sur des chenaux lagunaires, est cependant l’inscription de canaux artificiels au cœur même du développement intra-urbain. La publication récente de photographies aériennes retraitées (fig. 8) révèle de façon spectaculaire la forma urbis d’Altino à l’époque impériale66. Apparaît ainsi un canal large de 30 m qui traverse la ville d’est en ouest pour rejoindre un autre canal transversal, déjà archéologiquement attesté, lui-même relié au réseau de voies d’eau circonscrivant la cité. Sur la rive nord du large chenal se déploie le cœur monumental de la ville. Le secteur suburbain situé au nord de l’enceinte accueille la construction d’un amphithéâtre, desservi par le canal du Sioncello. À l’est, les auteurs supposent la présence d’un port, lié à la lagune et connecté au circuit de canaux qui entourent le centre urbain. La singularité de ce plan urbain demande à être confirmée par de nouvelles fouilles permettant d’approfondir les rapports étroits tissés à Altino entre développement urbanistique et artificialisation du milieu hydromorphe (fig. 8).
Fig. 7 – Plan d’Altino entre le milieu du iiie av. J.-C. et le milieu du ier s. av. J.-C., (1 : sanctuaire de Fornace ; 2 : porte monumentale donnant sur le canal ; 4 : pont sur la uia Annia ; 5 : canal Sioncello ; 8 : quai suburbain en rive droite du Sioncello ; 9 : quai intra-urbain en rive droite du Sioncello) D’après Tirelli, 2011.

Fig. 8 – Plan d’Altino – D’après Ninfo & al., 2009.

Concordia
21Un schéma d’aménagement urbain assez similaire est fourni par l’exemple de Concordia, colonie latine fondée autour de 42 av. J.-C.67 sur un site en contexte lagunaire, déjà occupé par un habitat indigène et traversé par la uia Annia68. Le plan colonial se déploie sur un micro-relief de forme allongée, taillé par un dépression séparant une partie haute de la ville (secteur septentrional) d’une zone plus basse (secteur méridional). L’ensemble domine une ancienne lagune au sud, aujourd’hui totalement masquée, et des secteurs déprimés à l’ouest et à l’est drainés par deux paléo-chenaux principaux correspondant aux anciens cours du Reghena et du Lemene69. La mise en œuvre des remparts et d’un schéma urbain régulier renforcent cette position dominante, avec un décapage des niveaux plus anciens qui ne laisse guère d’informations sur l’habitat antérieur, déjà inséré dans un processus de romanisation70. Les principaux espaces et monuments publics se développent au nord dans la partie la plus haute de la ville, tandis que la dépression divisant l’espace urbain est aménagée par un canal artificiel, mis à jour par les fouilles du XIXe siècle71 Ce chenal artificiel, large de 9 m, apparaît parfaitement intégré dans la grille urbanistique, puisqu’il se substitue à un decumanus, avec en rive nord, un quai et des ponts aménagés au débouché des cardines (fig. 9). Une des hypothèses avancées est que l’orientation de la maille urbaine s’appuie directement sur le tracé de ce canal, dont l’aménagement pourrait être antérieur à la fondation de la colonie72.
Fig. 9 - Plan du réseau hydrographique de Concordia, avec les canaux artificiels, (1 : pont sur la via Annia ; 2 : canal intra-urbain, servant de decumanus ; 3 : horrea) D’après Annibaletto, 2010.

22La récente synthèse consacrée par M. Annibaletto à l’aménagement suburbain permet de restituer l’environnement hydrographique de Concordia, caractérisé par un réseau de canaux artificiels entourant la ville et connectés aux paléo-chenaux naturels73. Le tracé nord-occidental de la muraille apparaît ainsi conditionné par la présence d’un paléo-chenal qui conflue dans le fleuve oriental (paléo-Reghena), en limite occidentale de la ville. Le fleuve longe à son tour l’enceinte avec un lit large de 16 m. Il est traversé par un pont qui donne accès à l’une des principales entrées dans la ville74. Il alimente plus au sud le canal intra-urbain ainsi qu’un deuxième chenal artificiel aménagé en façade sud de la cité (fig. 9). À l’est, un troisième plan d’eau longe la partie sud-est du rempart, alimenté par l’émissaire urbain et des prises d’eau réalisées sur le cours d’eau oriental (paléo-Lemene). Sa principale fonction est de permettre le raccord entre le canal intra-urbain et le canal méridional en desservant une zone commerciale, dotée d’horrea dans l’angle sud-est de la ville75. L’ensemble de ces chenaux artificiels et des cours d’eau naturels du paléo-Reghena et du Lemene crée autour de la ville, et à travers celle-ci, un circuit intégré de voies d’eau navigables, qui contribue tout autant au drainage de l’espace urbain et suburbain. Fruit d’un aménagement concerté réalisé dans la deuxième moitié du Ier s. av. J.-C., le schéma colonial de Concordia applique des principes d’urbanisme déjà développés à Aquilée et Altino, fondés sur l’intégration d’un réseau de chenaux naturels et de canaux combinant des fonctions de défense, de navigation et de drainage du territoire76. Cette planimétrie est probablement en partie héritée de l’organisation et des aménagements préromains. Elle est aussi le fruit de solutions techniques expérimentées depuis le IIe s. av. J.-C. pour conjuguer l’omniprésence de l’eau avec les critères de l’urbanisme romain.
Conclusion
23Les progrès récents dans la connaissance des plans urbains des colonies et municipes de la regio X soulignent donc la singularité d’un urbanisme caractérisé par l’artificialisation des voies d’eau et leur intégration étroite dans la ville, notamment dans un circuit intégré entourant et parfois traversant l’espace urbain. L’originalité de ce schéma tient à un environnement hydromorphe particulièrement contraignant, dont le contrôle nécessite le développement d’une ingénierie hydraulique remontant pour partie à la période préromaine. La colonie d’Aquilée illustre à une date précoce (IIe s. av. J.-C.) la capacité à projeter ces techniques hydrauliques à l’échelle de l’aménagement de la ville et du territoire, puis l’intégration monumentale et fonctionnelle des voies d’eau au sein de la cité, devenue le grand port de redistribution du nord de l’Adriatique. Au ier s. av. J.-C., Altino et Concordia constituent d’autres jalons de l’affirmation de ce schéma urbain, identifié comme tel par les sources antiques et dont on retrouve progressivement la trace dans d’autres centres de la côte nord-adriatique, peut-être plus largement de Cisalpine77. Cette expérience acquise en matière de canalisation en Italie du Nord, au cours des iie-ier s. av. J.-C., facilite certainement les entreprises ambitieuses tentées par les Romains dans des environnements hydromorphes relativement similaires, tels que l’aménagement des fossae Mariannae dans le delta du Rhône à la toute fin du iie s. av. J.-C.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Programme SARA (Subacquea Archeologia Romana Aquileia) promu par la Soprintendenza per i BAAAAS del Friuli Venezia Giulia, suivi d’une convention de recherche associant la Soprintendenza per i BAAAAS del Friuli Venezia Giulia, l’université de Trieste (Dipartimento di Scienze Geologiche, Ambientali e Marine, Dipartimento di Ingegneria Civile, Dipartimento di Scienze dell’Antichità, Dipartimento di Fisica), le centre C. Jullian du CNRS (UMR 7299), l’École française de Rome et l’université de Paris 7 Denis-Diderot (UMR-8586 CNRS-PRODIG). Ce programme a reçu un financement spécifique du CNRS (2005-2007) sous la forme d’un Programme international de coopération scientifique (PICS 2005-2007) porté par M.-B. Carre.
2 Arnaud-Fassetta & al., 2003 ; Carre & al., 2003 ; Carre, 2004.
3 Cet article développe, grâce à de nouvelles données apportées par les sites d’Aquilée, d’Altino et de Concordia, les conclusions d’une thèse de doctorat soutenue sous la direction de X. Lafon (Rousse, 2007).
4 Marocco, 1991 : la formation de l’actuelle lagune de Grado est pour l’essentiel postérieure au viie s. ap. J.-C. ; Marocco, 2009.
5 Arnaud-Fassetta & al., 2003.
6 Les traces d’un ancien chenal ont été repérées au nord-ouest du forum (-20 ; -17,66 m), occupé ensuite par une dépression humide remblayée après la fondation de la colonie (Arnaud-Fassetta & al., 2003 : 240 et fig. 6 ; Carre, 2004 : 200). Dans le même secteur, au nord du forum, un sondage profond réalisé pour la réfection d’un dispositif d’assainissement (essicatoio) a révélé des horizons d’occupation du premier âge du Fer, remontant à la fin du ixe s. – début viiie s. av. J.-C. Cet habitat s’installe sur un léger paléo-relief (ancien bourrelet alluvial) rehaussé grâce à un impressionnant dispositif de pieux verticaux et de planches horizontales permettant de stabiliser et d’assainir le terrain (Maselli Scotti, 1995 ; Maselli Scotti, 2004).
7 Arnaud-Fassetta & al., 2003 ; Carre, 2004 : 200 et n. 11. Un de ces ponts a été publié par G. Brusin (Brusin, 1934 : 24-25), l’autre est sommairement signalé par L. Bertacchi (Bertacchi, 2003 : n. 5).
8 Arnaud-Fassetta & al., 2003 ; Carre, 2004.
9 Brusin, 1934 : 26 ; Carre, 2004 : 200-201. La mesure du chenal en amont de la confluence est restituée grâce à la présence d’un pont déjà identifié au xixe siècle et partiellement étudié par G. Brusin (Brusin, 1934 : 30-33). L’élargissement du chenal à 50 m en moyenne au niveau du secteur dit du « port fluvial » est démontré par la présence de quais sur les deux rives (Brusin, 1934 : 16-26 ; Carre – Maselli Scotti, 1998 : 220-224). L’analyse géomorphologique de quatre sondages réalisés sur cette section du chenal confirme la présence à l’époque antique (iie s. av. -iie s. apr. J.-C.) d’un fleuve de haute énergie : Arnaud-Fassetta & al., 2003 : 238.
10 En l’absence d’étude géoarchéologique dans la zone du delta, on ignore encore le tracé du fleuve au sud d’Aquilée. Il est généralement admis, mais sans aucune certitude, que les canaux modernes repérés dans la lagune de Grado pourraient correspondre, au moins en partie, aux terminaisons deltaïques du fleuve antique (Gaddi, 2001 ; Carre & al., 2003 ; Arnaud-Fassetta & al., 2003 : 237 ; Carre, 2004 : 204). En revanche, les données archéologiques signalées dans l’actuelle lagune ne permettent pas de supposer l’existence d’un avant port maritime, hypothèse longtemps avancée par la tradition des études (Carre, 2004 : 204 et 2008, n. 46).
11 Arnaud-Fassetta & al., 2003 ; Siché, 2008.
12 Pline Nat. 3.126 : Natiso cum Turro, praefluentes Aquileiam coloniam. Sur l’analyse des sources littéraires et la notification des hydronymes : Carre, 2004 : 202-203 ; Vedaldi Iasbez, 1994.
13 Siché, 2008.
14 Maselli Scotti, 2002 ; Maselli Scotti & al., 2007 : 41.
15 Vitri, 2004 : 44-50.
16 Str. 5.1.9.
17 Tortorici, 2000 ; Maselli Scotti & al., 2007 : 35.
18 On ignore encore à quelle population appartient le territoire sur lequel fut déduite la colonie d’Aquilée. Voir l’état de la question dans : Bandelli, 2003. Tite-Live (39.54.3) évoque l’installation d’une tribu celtique ayant franchi les Alpes Juliennes comme prétexte à l’intervention de Rome, la déduction de la colonie suivant, dans des conditions obscures, la destruction de l’oppidum. L’absence étonnante de mobilier celtique, en contexte ou sporadique, jusqu’à l’époque de fondation de la colonie mérite toutefois d’être soulignée (Maselli Scotti, 1996 ; Vitri, 2004 : 50-52). Les études récentes considèrent plutôt ce territoire comme sous influence vénète, avec peut-être un rôle des Vénètes – peuple allié de Rome et principal acteur économique du nord de l’Adriatique – dans la fondation de la colonie et le choix du site (en parallèle des intérêts stratégiques de Rome, évoqués par les sources).
19 Liv. 38.17.1 ; 45.34.2-3. Le statut de colonie latine permet l’envoi d’un important effectif de colons, évalué au total à 3 300-3 400 familles (Bandelli, 2003 : 59-64), d’après les données transmises par Tite-Live (40.34.2). 1 500 familles de colons sont à nouveau envoyées à Aquilée en 169 av. J.-C. Sur les modalités de cette opération coloniale, voir Bandelli, 1988, Bandelli, 1999 et Bandelli, 2003, avec renvoi à la bibliographie antérieure.
20 Bonetto, 2004.
21 Strazzulla, 1989.
22 Différentes hypothèses pour ce premier schéma unitaire sont proposées : Strazzulla, 1989 ; Medri, 2000 ; Muzzioli, 2004. Contre (deux phases) : Bertacchi, 2003, démentie par l’ensemble des auteurs. Voir l’état de la question dans Tiussi, 2006 : 351-353 ; Maselli Scotti & al., 2009 : 249-252. Sur l’intégration de la planimétrie urbaine et de la grille centuriée : Strazzulla, 1989 ; Prenc, 2002 ; Muzzioli, 2004.
23 Strazulla, 1989 ; Bonetto, 2004.
24 Tiussi, 2006 : 350-368.
25 Maselli Scotti – Zaccaria, 1998 : 130-143. La dédicace à T. Annius T. f. tri (um) vir, découverte sur le forum en 1995, attribue au triumvir de 169 av. J.-C. la construction d’une aedes, la définition des statuts municipaux et l’élargissement, à trois reprises, du sénat local. L’implication majeure de T. Annius Luscus dans les institutions de la cité et la dotation d’édifices publics conduit certains auteurs à l’identifier avec le consul de 153 av. J.-C. et le commanditaire de la uia Annia, élément majeur du réseau viaire cisalpin dont la datation reste très controversée (Maselli Scotti – Zaccaria, 1998 : 140-143 ; Bandelli, 2003 : 66).
26 Voir, pour cette restitution et l’identification d’aménagements républicains de la place, relatifs à des saepta, la comparaison avec le modèle des colonies latines d’Alba Fucens, Frégelles, Paestum et Cosa : Tiussi, 2006 : 350-368 ; Maselli Scotti & al., 2007 : 35-38.
27 Tiussi, 2006 ; Bandelli, 2007.
28 Strazzulla, 1989 : 199 ; Bonetto, 2004 : 156 ; Carre, 2004 : 210.
29 Carre & al., 2007 : 583-588, 623-626 ; Tiussi, 2007.
30 Brusin, 1934 : 22 ; Carre – Maselli Scotti, 2001 : 218-220.
31 Carre – Maselli Scotti, 2001 : 216-218, fig. 3-4.
32 La liaison entre les édifices portuaires et l’espace intra-urbain est compliquée par la présence de l’enceinte républicaine, abandonnée seulement en partie à l’époque impériale (Bonetto, 2004 : 173). Des démolitions partielles sont attestées au niveau du port, en relation avec l’édification du grand entrepôt flavien, mais on ignore la solution architecturale adoptée au revers de celui-ci et pour le passage des voies (Brusin, 1934 : 60-64 ; Mirabella Roberti, 1968, avec hypothèse de restitution architecturale). M-B. Carre lui assigne une fonction de liaison entre le port et la ville (Carre & al., 2003 : 309). Les aménagements connus du secteur du forum à l’époque républicaine conduisent à attribuer à la première phase d’urbanisme l’orientation des deux decumani qui enserrent la place et conduisent, à l’est, à la zone portuaire (Tiussi, 2006 : 350). Deux inscriptions datées de la première moitié du Ier s. ap. J.-C. commémorent la réfection du pavement d’un de ces deux axes primordiaux, probablement sur la section entre le forum et, selon la lecture proposée (a / [for]o ad portam / [mari]nam), l’entrée monumentale du port aménagée dans la muraille républicaine : Carre – Maselli Scotti, 2001 : 227, n. 36 ; Carre & al., 2003 : 309 (Inscr. Aq. 3495 ; 842 ; Zaccaria, 1990 : 142, n. 15).
33 Brusin, 1934 : 16-26 ; Carre – Maselli Scotti, 1998.
34 Sur l’entrepôt, interprété comme une porticus servant au stockage temporaire, voir Carre – Maselli Scotti, 1998 : 222-224 ; Carre & al., 2003 : 339. L’aménagement des quais est lui aussi atypique avec sa façade à double niveau de circulation, son parement d’orthostates en pierre calcaire d’Istrie et ses rampes d’accès dans le prolongement des decumani desservant le port.
35 Outre la présence d’un vaste bassin portuaire, correspondant au lit du fleuve aménagé, il faut souligner qu’aucun autre secteur de la colonie ou de son territoire (zone lagunaire de Grado, rives du canal Anfora) n’a pour l’heure révélé de structures portuaires aménagées (Carre & al., 2003 : 309 ; Carre, 2004 : 203-205).
36 Le caractère résidentiel du secteur au nord du port est attesté depuis le milieu du iie s. av. J.-C. jusqu’à l’époque augustéenne. Il est ensuite profondément remanié pour laisser place à l’aménagement monumental du port à l’époque flavienne : Carre – Maselli Scotti, 1998 : 214 ; Carre & al., 2003 : 306.
37 Inscr. Aq. 3495 ; 842. Cf. supra n. 32.
38 Mandruzzato, 1996 ; Maselli Scotti & al., 2004, fig. 2.
39 Les données concernant ce franchissement sont très incertaines, alors même qu’il s’agit d’un passage clé pour la remontée du fleuve jusqu’au grand port oriental. G. Brusin évoque la présence d’un pont (Brusin, 1947, repris par Carre, 2004 : 207), alors que L. Bertacchi privilégie, sans explication, une solution de traversée par bac (Bertacchi, 2003 : n. 11, tav. 38).
40 Mandruzzato, 1996.
41 L’urbanisation de ce secteur situé hors de l’enceinte républicaine correspond à une extension de la ville jusqu’au fleuve à partir du ier s. ap. J.-C. (Maselli Scotti – Rubinich, 2009 : 100-101), avec au sud-ouest la construction de l’amphithéâtre et au sud-est de probables horrea (Tiussi, 2004 : 289).
42 Siché, 2008.
43 Carre, 2004.
44 Maggi – Oriolo, 1999 : 113 ; Maggi – Oriolo, 2009 : 167.
45 Maggi – Oriolo, 1999 : 117.
46 Muzzioli, 2004.
47 Bertacchi, 1990 : 240-248 ; Bertachi, 2003.
48 Brusin, 1939 ; Bertacchi, 2003 : 12.
49 Bertacchi, 1990.
50 La fouille a permis de retrouver les alignements de pieux destinés à contenir la berge, celle-ci présentant un profil légèrement moins incliné (17°-19° en moyenne). Dans l’attente d’une publication des structures et du mobilier, voir les premiers résultats dans Maselli Scotti, 2005.
51 Maselli Scotti, 2005.
52 Strazzula, 1989 ; Muzzioli, 2004.
53 « De même si l’on établit une enceinte sur des marais, si ces marais sont au bord de la mer, si elle est orientée au nord ou au nord-est et si les marais sont au-dessus du niveau du rivage, on considérera que l’enceinte est établie de façon réfléchie. En effet en creusant des fossés on donne une évacuation à l’eau vers le rivage et, lorsque la mer est grossie par les tempêtes, l’eau déborde dans les marais qui se trouvent agités de vagues et mêlés d’eau de mer si bien que toute vie d’animaux palustres y est rendue impossible et que ceux qui viennent en nageant des lieux plus élevés jusqu’à la proximité du rivage sont détruits par une salure à laquelle ils ne sont pas accoutumés. Un exemple de ce phénomène peut être fourni par les marais gaulois qui entourent Altinum, Ravenne, Aquilée et d’autres municipes qui sont situés dans des lieux du même genre, à proximité de marais, car ces villes ont, pour les raisons que nous avons vues, une incroyable salubrité. » (trad. P. Fleury, CUF, 20032).
54 Rappelons que les difficultés rencontrées par les premiers colons d’Aquilée ont fait l’objet de débat au Sénat et concernent aussi, outre des raisons militaires, l’aménagement de la cité, symbolisée par ses murs. Pour Altino, voir infra et Tirelli, 2001. À Ravenne, les données sont encore limitées, mais on peut souligner que les premiers aménagements du site remontent à la fin du iiie s. av. J.-C. (Manzelli, 2000), avec la présence d’une enceinte dont les caractéristiques techniques et les éléments épigraphiques montrent d’étroites comparaisons avec le premier rempart d’Aquilée (Maselli Scotti & al., 2009 : 246-247 et n. 40).
55 Rousse, 2005.
56 Liv. Per. 46 ; Strazulla, 1989 : 216.
57 Cette fonction défensive est d’ailleurs réactivée par la construction d’une enceinte tardive sur les structures même des quais : Brusin, 1934 : 43-54 ; Bonetto, 2004 : (178-191) ; les nouveaux résultats apportés par les enquêtes géophysiques de S. Groh confirment ce circuit intégré avec l’hypothèse d’un quatrième canal à l’ouest longeant l’enceinte républicaine et reliant l’Anfora à l’Ausset : Groh, 2012.
58 Padoue : De Min & al., 2005 (quais et aménagements de rive préromains) ; Este : Buchi, 1993. Les deux sites sont également caractérisés par un environnement hydromorphe et circonscrit de voies d’eau.
59 Cresci Marrone – Tirelli, 2001 ; Cresci Marrone – Tirelli, 2003.
60 Sur le passage de la uia Annia et le nœud routier que constitue Altino, voir les récentes contributions dans : Busana & al., 2004 ; Veronese, 2009 ; Veronese, 2011 ; Tirelli, 2011.
61 Cresci Marrone – Tirelli, 1999 ; Tirelli, 2011.
62 Scarfi – Tombolani, 1985 ; Tirelli, 2001 : 302-304. Mis à jour dans les années 1930, l’aménagement des berges observé sur 192 m en rive ouest du Sioncello est constitué d’une simple assise de larges blocs calcaires reposant sur un triple alignement de pieux, parallèle à l’écoulement (Tirelli, 2001). Le prolongement du canal à l’intérieur de l’espace urbain est attesté par un tronçon de quai, toujours en rive ouest sur le site de l’actuel musée archéologique national. Il est doté d’un escalier et de pieux d’amarrage, dont les datations dendrochronologiques (83-72 av. J.-C.) confirment la chronologie républicaine. La densification de l’habitat à l’époque augustéenne conduit à remblayer cette section intra-urbaine du canal.
63 Tirelli, 1999 : 12-13 ; Tirelli, 2001 : 300. L’aménagement urbain est indiqué par la présence d’un escalier descendant vers l’eau, dont quatre marches composées de gros blocs de grès taillés, sur fondation de pieux, sont encore en place. La berge remonte ensuite vers l’ouest formant une sorte de rampe dont le sommet est pavé de blocs. L’ensemble est remblayé à l’époque augustéenne pour permettre l’extension de l’habitat.
64 Cipriano, 1999 : 35-40 ; Tirelli, 1999 : 16-18 ; Tirelli, 2001 : 304-307.
65 Cresci Marrone – Tirelli, 2006 ; Tirelli, 2011.
66 Ninfo & al., 2009. Voir également la contribution des auteurs dans Tirelli, 2011 : 13-18 et le colloque consacré à la morphologie urbaine d’Altino d’après par ces photographies aériennes : Cresci Maronne – Tirelli, 2011.
67 La fondation de la colonie latine se situe entre 49 et 27 av. J.-C., probablement autour de 42-40 av. J.-C. selon Di Filippo Balestrazzi, 1999 : 229-230. État de la question : Annibaletto, 2010 : 34-39.
68 Sur l’occupation pré-romaine, remontant à l’âge du Bronze, avec des interventions de bonification et un environnement fortement lagunaire, voir la synthèse de M. Annibaletto avec la bibliographie antérieure (Annibaletto, 2010 : 27-40). Sur l’évolution du contexte environnemental, très différent de l’actuel : Fontana 2009 : 128-131. Sur le rôle de la uia Annia dans la romanisation du centre indigène et le schéma colonial : Di Filippo Balestrazzi, 2011, avec exposé des différentes hypothèses.
69 Fontana, 2009.
70 Avec l’aménagement d’un premier espace public sous les niveaux augustéens du forum : Di Filippo Balestrazzi, 1999 ; Di Filippo Balestrazzi, 2009. Pour la construction de l’enceinte et sa signification dans le contexte colonial : Annibaletto, 2010 : 34-39.
71 Bertolini, 1880 : 415 ; Annibaletto, 2010 : 32.
72 Di Filippo Balestrazzi, 1999 : 239.
73 Annibaletto, 2010 : 40-59.
74 Bertacchi, 1987. Selon les auteurs, cette entrée correspond à la uia Annia ou à un diverticule de l’Annia : discussion dans Di Filippo Balestrazzi, 2011, qui privilégie la première hypothèse. Un pont en bois précède probablement la structure en pierre, attribuée à l’époque augustéenne (Annibaletto, 2010 : 86-87).
75 Croce Da Villa, 2001 : 282-284 ; Annibaletto, 2010 : 51-53, 305-308.
76 Même développement pour Annibaletto, 2010 : 55-56. On soulignera toutefois que les canaux artificiels ont une faible largeur (6-10 m), celle du paléo-Reghena étant estimée à 16 m, soit un gabarit bien moindre que le grand fleuve baignant Aquilée. De même, les aménagements sont plus sommaires, principalement en bois, à l’exception semble-t-il du canal intra-urbain. Selon M. Annibaletto, les principales activités portuaires sont à rechercher le long du paléo-chenal du Lemene (30 m de large environ) situé à 150 m à l’est de l’emprise urbaine.
77 Rousse, 2005 ; Rousse, 2007.
Auteur
Université d’Aix-Marseille Centre Camille Jullian – UMR 7299
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