Les villes de Macédoine : un modèle de l’urbanisme hellénistique ?
p. 57-75
Résumés
Depuis une trentaine d’années, un effort soutenu de fouilles et de publications a fait de la Macédoine une région beaucoup mieux connue. On sait de mieux en mieux la part qu’elle occupe dans l’histoire de la peinture ou dans celle de l’architecture. On mesure encore beaucoup moins le rôle que purent jouer ses grandes villes dans la mise au point de nouvelles formes urbaines, qu’il s’agisse de l’urbanisme fonctionnel ou de l’urbanisme monumental. En présentant quelques-uns des grands aménagements urbains des villes de Macédoine de Philippe II à Cassandre, nous espérons attirer l’attention sur une région absente des sources antiques (Vitruve, Pausanias, etc.) et longtemps négligée par la recherche contemporaine.
Da circa trent’anni, la Macedonia è una regione molto meglio conosciuta grazie a notevoli sforzi nei campi della ricerca e della pubblicazione archeologica. Si conosce sempre meglio il ruolo da lei svolto nella storia sia della pittura che dell’architettura. È invece ancora difficile valutare l’importanza che ebbero le grandi città nella formazione di nuove forme dell’urbanismo sia « funzionale » che monumentale. Tramite la presentazione di alcuni grandi impianti urbani della Macedonia da Filippo II a Cassandro, si spera di chiamare l’attenzione su questa regione assente delle fonti antiche (Vitruvio, Pausania…) e da tempo trascurata dalla ricerca contemporanea.
Texte intégral
Fig. 1 – Carte de la Macédoine – DAO Séverine Marc-Blin.

1 Les fouilles menées à Thasos depuis 1996 dans la partie sud du centre monumental ont permis de mettre au jour un complexe commercial composé de plusieurs entités architecturales, dont la plus complète consiste en un macellum d’époque impériale romaine1. La découverte d’une série d’édifices à fonction commerciale et artisanale de cette ampleur contribue en soi à enrichir le dossier des bâtiments du commerce d’époque impériale, dossier bien exploré par des synthèses récentes et complètes, mais qui se fonde le plus souvent sur des fouilles anciennes2. Si l’on songe que l’équipement architectural de ce secteur du centre monumental remonte probablement à l’époque hellénistique, et même à la haute époque hellénistique, on s’étonnera de voir la ville de Thasos mettre en œuvre des préconisations urbanistiques dont la réalisation semblait jusque-là être caractéristique des fondations urbaines micrasiatiques de l’époque hellénistique. On s’était de fait habitué, depuis les synthèses de A. von Gerkan et de R. Martin, à regarder du côté de l’urbanisme de Priène, de Milet ou d’Éphèse pour y voir appliquer les théories d’Hippodamos de Milet ou d’Aristote3. On verra dans les pages qui suivent que le cas thasien n’est peut-être pas complètement isolé en Grèce du Nord et que les fondations urbaines des Argéades et des premiers Antigonides ont probablement donné le ton aux évolutions urbaines ultérieures (figure 1). C’est donc du côté de la Macédoine qu’il faudra désormais chercher les attestations les plus anciennes des nouvelles morphologies urbaines qui se sont ensuite développées en Asie Mineure, souvent d’ailleurs dans un premier temps, à l’instigation d’aristocrates macédoniens (Lysimaque, Antiochos, etc.).
Histoire des recherches
2La Macédoine partage avec l’Épire, l’autre grand ensemble géographique et culturel des confins septentrionaux de l’hellénisme, le fait d’être restée pendant longtemps une région mal connue, malgré la précocité des explorations archéologiques dont elle fit l’objet, précocité à laquelle la France n’est d’ailleurs pas complètement étrangère4. Le dynamisme de la recherche historique et archéologique de ces trente dernière années est en passe de mettre fin à cette insularité historiographique5. D’abord parce que la multiplication et la systématisation des fouilles ont entraîné leur lot de découvertes, certaines exceptionnelles comme la mise au jour en 1977 par Manolis Andronikos de la tombe inviolée de Philippe II6. Ensuite et surtout, parce que ce renouvellement complet des connaissances a été accompagné d’un effort soutenu de publications, essentiellement dans le domaine de l’épigraphie7. On doit cette incontestable réussite scientifique au travail des principales institutions de l’archéologie macédonienne, dirigées par des personnalités scientifiques de tout premier plan et dotées, dans le contexte géopolitique que l’on connaît8, de moyens très importants. Dans le domaine de l’archéologie, ce sont surtout les colloques réunis très régulièrement à Thessalonique, soit tous les cinq ans depuis 1968 par l’Institute for Balkan Studies, soit tous les ans par l’Université Aristote depuis 19879. Cette riche activité scientifique a été accompagnée d’un remarquable effort de présentation des découvertes, tant en Macédoine, grâce à la création de nouveaux musées de sites (Pella, Verghina, Dion, etc.) ou à la réorganisation complète des grandes collections, à Thessalonique notamment, qu’à l’étranger, où la Macédoine a été plusieurs fois à l’honneur de riches expositions, à l’Ashmolean Museum d’Oxford ou au Louvre à Paris très récemment10.
3Cette actualité archéologique intense a alimenté une importante bibliographie sur les questions d’architecture. Dans le domaine de la typologie architecturale, ce sont bien entendu les ensembles palatiaux11 et les monuments funéraires12 qui ont le plus attiré l’attention des chercheurs. Parmi les problèmes de technique architecturale, on retiendra celles qui ont trait à l’origine et aux premiers développements des arcs et des voûtes13 ou celles qui touchent aux charpentes14. La décoration architecturale n’est pas en reste et ce qu’on appelle l’architecture de façade depuis Roland Martin continue de susciter analyses et exégèses15. C’est donc un nouvel horizon de l’architecture grecque qui s’ouvre depuis deux ou trois décennies, enrichi d’ailleurs par l’étude des constructions antigonides en dehors de la Macédoine16 ou par celle de l’influence des réalisations macédoniennes en Grande Grèce, en Sicile ou même ailleurs en Italie, comme en témoignent l’intervention de Dimitrios Pandermalis au colloque de Göttingen consacré en 1974 aux influences hellénistiques en Italie centrale ou les thèmes retenus pour deux Congrès de Tarente, en 1984 et en 200317. Pourtant, et à l’exception notable d’un bel article sur les agoras18, on ne trouve guère de réflexion d’ensemble sur les questions touchant à la morphologie des villes19.
Quelques nouveautés dans l’histoire urbaine de la Macédoine
4Comme le rappelait récemment Stella Drougou, l’histoire urbaine de la Macédoine reste à faire : « Die Schaffung, die Herausbildung der Städte im antiken Königreich Makedonien stellt eines der schwierigsten Themen inerhalb der historischen und archäologischen Erforschung des Landes dar. Es ist wahr, dass die archäologische Feldarbeit parallel zu den entsprechenden Informationen der antiken Schriftquellen über die Existenz von Städten innerhalb des Königreichs oder über die Gründung neurer Städte während der letzten Jahrzehnte eine grosse Zahl diesbezüglichen Materials, wie Monumente und andere Funde, beigetragen hat, doch muss dies zunächst selbst erforscht und anschliessend historisch ausgewertet werden »20. Je me contenterai ici de présenter les principales nouveautés apportées par les études les plus récentes.
5Les fouilles ont confirmé partout, ces dernières années, l’ancienneté de l’histoire urbaine de la Macédoine. Le rôle essentiel, et déjà bien connu, joué par des grands souverains comme Archelaos (413-399 av. J.-C.) ou Philippe II (360-336 av. J.-C.) n’est pas amoindri, tant s’en faut : on doit au premier les créations de Pella, de Florina ou de Beroia et au second celle d’Héraklée de Lyncestide21. Mais des villes existent déjà dès le début de l’époque classique comme en témoignent Hérodote ou Thucydide (Therme, Sindos, Pydna, etc.) ou même avant, comme Aianè, en Haute-Macédoine. L’épigraphie a montré, c’est une nouveauté, que ces centres urbains correspondaient aussi à des poleis, contrairement à ce que l’historiographie avait prétendu pendant des années22. La densification du maillage urbain se poursuit jusque dans l’époque hellénistique. Le règne de Cassandre (317-297 av. J.-C.), le fils d’Antipater, qui avait été régent du royaume pendant l’expédition asiatique d’Alexandre III, qui représente une sorte d’apogée de la puissance macédonienne en Europe, joua de ce point de vue un rôle essentiel, avec les fondations de Cassandreia et, surtout, de Thessalonique. Après plusieurs décennies de fondations ou de refondations urbaines en Asie Mineure, en Égypte, en Syrie, sous les règnes d’Alexandre et des Diadoques asiatiques, c’est de nouveau la vieille Grèce qui est à l’honneur.
6Ces nouvelles données chronologiques font que l’histoire urbaine de la Macédoine n’apparaît plus décalée par rapport au reste du monde grec et s’est comme banalisée. Dans le domaine des formes urbaines, les nouveautés sont en revanche beaucoup plus spectaculaires. Je ne présenterai que celles qui concernent les villes les plus importantes.
7On peut désormais considérer comme assurée l’identification avec la moderne Verghina de la ville d’Aigai, le berceau de la famille royale des Téménides23. Certes, il n’y a toujours pas de témoignage épigraphique explicite comme à Pella, mais les fouilles de l’ensemble palatial et surtout les découvertes spectaculaires dans la nécropole royale confirment, s’il en était encore besoin, les intuitions déjà anciennes de l’historien anglais N. G. L. Hammond24. Cette vieille capitale royale, fondée par le roi légendaire Karanos, maintint son rang après la création de la nouvelle capitale à Pella, en restant un des centres religieux les plus importants du royaume. La ville fut pillée par les Galates de Pyrrhus, mais sa restauration rapide sous Antigone Gonatas témoigne encore de son rôle dans l’organisation urbaine de l’État macédonien. Cette continuité tient aussi au fait qu’Aigai ne cessa pas d’être la capitale funéraire des rois de Macédoine : ce ne sont pas moins de treize tombes qui ont été découvertes à ce jour dans la nécropole royale.
8La manière dont la ville antique se développait sur les terrasses étagées et les pentes de la vallée de l’Haliacmon est de mieux en mieux connue (figure 2). Installé sur un « sloping site for visual effects »25 et dominé par une acropole fortifiée, le dispositif urbain s’étendait en contrebas de l’ensemble palatial. De fait, c’est l’articulation étroite entre une topographie caractérisée par un dénivelé relativement fort, sans doute plus accentué dans l’Antiquité qu’il ne l’est aujourd’hui, et une organisation en terrasses, qui caractérise l’urbanisme d’Aigai.
Fig. 2 – Plan d’Aigai DAO Séverine Marc-Blin, d’après N. Hatzidakis et S. Drougou, 2011.

9Le palais royal en constituait incontestablement le centre (figure 3)26. Il était placé sur une éminence aménagée par d’importants travaux de terrassements destinés à créer une plate-forme artificielle de 15 000 m2. Le mur de soutènement nord, celui qui portait le grand belvédère, était long de 104,5 m, profond de 2,1 m et haut de 7,35 à 13 m : construit, au moins pour les premières assises en bel appareil isodome, il constituait une sorte de podium qui devait encore accentuer la verticalisation de l’édifice. Il dominait par conséquent très nettement l’ensemble du paysage urbain et était sans doute visible d’assez loin. Les travaux de présentation du site, entrepris depuis 2007, ont été accompagnés d’une analyse systématique et rigoureuse des murs, des maçonneries, des matériaux, ce qui a permis d’établir une datation des différentes phases de construction de cet incunable de l’architecture palatiale antique. Beaucoup mieux conservé que le palais de Pella, il est aussi plus ancien puisqu’il faut désormais abandonner la date admise jusque-là d’une construction à l’époque de Cassandre ou d’Antigone Gonatas et remonter jusqu’à Philippe II. La nouvelle datation semble assurée par la concordance des données obtenues grâce à la stratigraphie et celles tirées de la décoration architecturale27. La datation proposée par M.-Fr. Billot pour les tuiles et les antéfixes, la fin du ive siècle av. J.-C., nous oblige à constater que soit les travaux ont duré près d’un demi-siècle, soit une réfection d’ensemble des terres cuites architecturales se produisit sous le règne de Cassandre28. Ces études, coordonnées par A. Kottaridi et régulièrement publiées dans les différentes livraisons de l’ΑΕΜΘ, ont également permis de préciser plusieurs points importants de la restitution des élévations29. Côté ville, le palais se présentait sous la forme de deux grandes façades monumentales. À l’est, la façade principale par laquelle on accédait depuis la ville, deux colonnades doriques in antis (onze colonnes au nord, dix au sud), avec chacune un étage de demi-colonnes ioniques, flanquaient un propylon en très légère saillie, présentant un étage à fenêtres30. Pour la façade nord, qui surplombait le théâtre puis la ville, les études récentes ont démontré qu’il fallait retirer la colonnade qu’on avait restituée jusque-là et restituer une grande terrasse oblongue, qui constituait une manière de belvédère majestueux. L’intérieur était constitué d’une cour péristyle parfaitement carrée de 2 000m2, avec seize colonnes doriques sur chacun des côtés (donc soixante en tout). Les portiques commandaient un certain nombre de très grandes pièces de banquet, dans lesquelles on accédait par des vestibules, dont les entrées étaient chacune monumentalisées par deux piliers à demi-colonnes ioniques adossées31. Il est bien entendu tentant de mettre en relation cet ordonnancement rigoureusement symétrique et hiérarchisé avec le renforcement des institutions monarchiques, caractéristique de l’État macédonien à cette époque. Il est en revanche plus difficile de restituer le détail des fonctions et des usages de ces espaces somptueux, aux proportions encore jamais atteintes à l’époque dans le monde grec. On a proposé il y a plus de vingt ans une lecture très suggestive, mais restée malheureusement inaperçue, du parcours qui conduisait du propylon d’entrée jusqu’à l’intérieur des grandes salles, en se fondant sur un passage des Argonautiques d’Apollonios de Rhodes (III, v. 215 à 285), dans lequel la succession des espaces dans le palais d’Aétès en Colchide semblent être l’illustration exacte du palais d’Aigai32. Si l’on veut bien suivre Fr. Chamoux dans cette démonstration, on admettra sans difficulté que cet écho littéraire alexandrin est une preuve de la célébrité de ce petit Versailles macédonien, où pour la première fois on avait intimement lié, dans une architecture domestique hyperbolique, dispositifs architecturaux, rituels politiques et étiquette de cours.
Fig. 3 – Plan restitué du palais d’Aigai DAO S. Marc-Blin, d’après S. Drougou 2011.

10Dans cette mise en scène conjointe de l’architecture et du pouvoir, le théâtre, situé à cinquante mètres environ du palais en contrebas, jouait un rôle essentiel33. Sa découverte au début des années 1980 par Manolis Andronikos fut éclipsée par celle, plus spectaculaire, de la tombe de Philippe II, mais elle n’est pas moins importante. L’articulation dans la forma urbis du palais et du théâtre, la manière dont ces deux lieux d’expression du pouvoir se succédaient de manière ascendante dans le paysage urbain, leur association étroite dans les rituels politiques, tout ce qui au fond apparaît comme un lieu commun des grandes capitales hellénistiques (Pergame) ou même de Rome, est, à Aigai, réalisé pour la première fois34. Les dispositifs architecturaux de l’édifice de spectacle sont encore mal connus. On remarquera seulement la taille relativement réduite de la cavea (28,5 m. de diamètre pour neuf cunei), surtout si on la rapporte aux dimensions pour le coup importantes de l’orchestra. Faut-il expliquer cette curieuse particularité par des usages politiques ou religieux particuliers ? C’est évidemment trop tôt pour le dire. On rappellera seulement que c’est dans ce théâtre que fut assassiné Philippe II, à l’occasion des fêtes organisées pour le mariage de Cléopâtre, la fille qu’il avait eue d’Olympias, la soeur par conséquent d’Alexandre le Grand, avec Alexandre le Molosse, le propre frère d’Olympias35. On sait, grâce au récit célèbre qu’en fit Diodore de Sicile, comment le roi fut poignardé à mort lors de la procession au cours de laquelle les statues portatives des douzes Olympiens étaient menées au théâtre, accompagnées par celle de Philippe II lui-même. Il est difficile de ne pas voir dans ce cérémonial typiquement monarchique, dont c’est d’ailleurs la première attestation, l’origine d’un rituel qu’on retrouve ensuite dans les cours hellénistiques, mais aussi à Rome lors des cérémonies du culte impérial. Comme pour le palais, la date de construction du premier état semble bien être le règne de Philippe II. Il est clair que nous avons là un seul et même programme d’aménagement urbain36.
11C’est la même date qu’on retrouve au sanctuaire d’Eukleia (figure 4), situé en contrebas du théâtre et disposé selon la même orientation que celui-ci et que le palais. La grande terrasse qui s’étend immédiatement à l’est et au nord du sanctuaire pourrait correspondre à l’agora, selon les fouilleurs. Cette hypothèse est très convaincante, même si on ne peut exclure complètement l’hypothèse d’un gymnase, les deux propositions n’étant d’ailleurs pas incompatibles. Comme on le voit, l’urbanisme d’Aigai présente une très grande cohérence, à la fois dans ses dispositifs généraux et dans la chronologie. Les séquences monumentales qu’on y observe sont fondamentales car elles constituent très probablement, dans le monde grec, le modèle par excellence de la capitale royale, modèle qui connut le succès qu’on connaît aux iiie et iie siècle av. J.-C. Il n’est pas question, bien entendu, d’exclure dans la composition de ce modèle l’influence que purent jouer des capitales micrasiatiques comme Halicarnasse, la nouvelle capitale des Hécatomnides, à peu près exactement contemporaine d’Aigai pour ses premiers développements monumentaux. On y retrouve, par exemple, le rôle primordial joué par le théâtre dans la mise en scène de l’espace urbain. Les basileia restent malheureusement difficiles à placer (sous le château ?) et on ne connaît pas les relations qu’ils entretenaient avec l’édifice de spectacle. Mais comme on va le voir maintenant, l’influence de la Macédoine sur l’urbanisme hellénistique n’est pas limitée à la place presque patrimoniale qu’a pu jouer Aigai dans l’expérience d’Alexandre, puis des Diadoques ou des Épigones.
Fig. 4 – Plan restitué et élévation du sanctuaire d’Eukleia à Aigai DAO S. Marc-Blin, d’après S. Drougou, 2011.

12Le rôle de Pella dans l’élaboration de la ville hellénistique est également central, mais pour d’autres aspects37. La ville, fondation ex nihilo devenue capitale du royaume sous le règne d’Archélaos38, reste dans une très large mesure inconnue jusque dans les dernières décennies du ive siècle, à l’exception notable de la nécropole, de quelques segments du mur d’enceinte et du sanctuaire de Daton. C’est que la ville connaît, au début de l’époque hellénistique, un redéploiement et une reconstruction d’une telle ampleur qu’il s’agit pour ainsi dire d’une véritable refondation (figure 5). Si Aigai est bien la ville de Philippe II, Pella est certainement celle de Cassandre (358-297 av. J.-C. ; règne à partir de 305 av. J.-C.). C’est en effet sous son règne que la nécropole de la ville classique, qui s’intercalait entre l’agglomération et le palais, est déplacée vers l’est, de manière à libérer un vaste espace dans lequel la ville peut désormais se déployer selon un plan rigoureux, dont les axes sont commandés par le complexe palatial et la nouvelle agora39. S’étendant sur 400 hectares, l’espace urbain est alors systématiquement découpé en îlots de 47 m de large et longs entre 111 et 150 m40.
Fig. 5 – Plan restitué de Pella DAO S. Marc-Blin, d’après I. Akamatis.

Fig. 6 – Plan restitué du palais de Pella DAO S. Marc-Blin, d’après M. Siganidou, 1996..

13Le complexe palatial, installé sur une colline qui dominait la plaine alentour de 75 à 80 m, était protégé par un système défensif qui lui était propre41. Il s’étendait sur la surface considérable de 60 000 m2, soit presque six fois la taille du palais d’Aigai (figure 6). Il est vrai que le premier a toujours conservé sa configuration primitive, celle qui remontait à l’époque de Philippe II, et que le second n’a cessé d’être agrandi par les monarques successifs jusqu’à Persée. L’ensemble est d’ailleurs très difficile à comprendre, du fait de la disparition complète des élévations et parfois même des fondations. L’édifice palatial a en effet été construit sur des terrasses taillées directement dans le rocher calcaire, ce qui explique la très faible épaisseur des niveaux archéologiques quand ce n’est pas leur disparition complète, ou aménagées sur des remblais retenus par de puissants murs de terrasse : quand ceux-ci ont disparu… La façade principale, qui surplombait la ville au sud, était placée sur un podium de 160 m de long et de 2 m de haut. Elle était interrompue au centre par un propylon monumental de 16 m de long, avec quatre colonnes doriques, un étage ionique et un fronton en façade, et trois salles dans l’espace intérieur. Le complexe palatial proprement dit était constitué d’au moins sept ensembles organisés autour de grandes cours péristyles, alternativement doriques et ioniques, souvent de dimensions considérables (50 x 50 m pour la cour du bâtiment II par exemple). Il est difficile d’attribuer une fonction précise à chacun de ces ensembles, d’autant qu’ils ont pu en changer au gré des agrandissements successifs, mais on s’accorde pour le moment à distinguer une pars publica, les bâtiments I et II, et une pars privata, le bâtiment IV, établi sur le point le plus haut de la colline. Le bâtiment V est interprété comme un grand gymnase, comprenant entre autre une palestre avec une cour péristyle dont les dimensions étaient comparables à celle du sanctuaire de Zeus à Olympie (63,5 x 70 m), un xyste de 115 x 5,5 m et un ensemble balnéaire.
Fig. 7 – Plan restitué de l’agora de Pella DAO S. Marc-Blin, d’après I. Akamatis.

14L’agora, dégagée et étudiée de manière systématique depuis 1980, est implantée dans le même système orthogonal que celui du palais, mais néanmoins décalée par rapport à son axe42. Chose remarquable et somme toute assez rare pour une place publique, les fouilles ont mis au jour de nombreux niveaux d’occupation, bien documentés et bien datés, qui permettent de se faire une idée des fonctions et des usages des différents secteurs de l’ensemble monumental. Celui-ci, construit d’un coup dans le dernier quart du ive siècle av. J.-C., frappe par ses dimensions considérables : 261,38 x 238 m pour l’ensemble du complexe, ce qui fait une surface de 70 000 m2 (qu’on rapprochera des 60 000 m2 du palais) ; 200,15 x 181,76 m rien que pour la place péristyle (figure 7)43. À l’arrière de la colonnade dorique, un portique profond de 6 m commandait une série de deux pièces en enfilade, adossée elle même à une autre série de pièces ouvertes cette fois sur les rues qui bordaient le complexe monumental. Quatre entrées desservaient la place. Deux entrées monumentales de 15 m de large, à l’est et à l’ouest, laissaient passer la plus grande artère de la ville, qui séparait, en quelque sorte, la place en deux parties inégales. Ces deux entrées piétonnes étaient flanquées de petites pièces, qui accueillaient peut-être une forme de custodia. Deux entrées, que l’on peut qualifier de techniques, au nord et au sud, étaient munies de rampes, probablement pour permettre aux charrois d’accéder. Cette gigantesque agora est, pour l’essentiel, une place commerciale. Les activités politiques ou administratives n’y sont pas complètement absentes, mais elles restent confinées au côté nord, où se trouve probablement le siège des politarques si l’on en croit les bases inscrites de statues en bronze et les fragments de statues découvertes dans ce secteur, et à l’angle sud-ouest où un édifice à cour péristyle, dorique au rez-de-chaussée et ionique à l’étage, accueillait une administration liée aux échanges (agoranomion ? emporion ?). On y a en effet découvert de très nombreux sceaux, attestant la présence d’archives, et les vestiges d’un atelier monétaire. Partout ailleurs, ce sont les traces d’échanges et d’artisanats qui ont été mises au jour : commerce de bouche au sud, parfums à l’ouest, etc. Il apparaît en tous cas que chaque secteur semblait spécialisé dans un type de commerce, comme dans les macella du monde romain ou dans les souks du monde arabo-musulman. Quoiqu’il en soit, les caractéristiques architecturales de l’agora de Pella, ses dimensions, sa fonction, sa date aussi devraient conduire à relativiser le rôle de l’Ionie dans la genèse des grandes places publiques portiquées. Les « agora ioniennes » semblent bien n’être en réalité qu’une déclinaison plus tardive de l’agora macédonienne, qui en constitue le modèle44.
15Le fait qu’on n’ait toujours pas découvert le théâtre qui, à coup sûr, devait compléter la panoplie monumentale de la capitale macédonienne, rend toute analyse d’ensemble de l’urbanisme de Pella impossible45. Je me contenterai donc de signaler la présence d’un grand établissement thermal de presque 1 100 m2. Construit dès le dernier quart du ive siècle, agrandi dans le deuxième quart du iiie siècle puis encore au iie siècle av. J.-C., il comprenait, comme il se doit, vasques et piscines, mais surtout un système de chauffage au sol, probablement le plus ancien connu dans le monde grec46. Si l’on ajoute à ce tableau que plusieurs rues étaient bordées de portiques, mais surtout que tout l’espace urbain était desservi par des réseaux techniques remarquables pour l’époque, des hydragogues pour évacuer les eaux usées, des tuyaux pour les adductions sous pression, des fontaines publiques, on s’avisera du caractère novateur de cet urbanisme macédonien, qui présente toutes les caractéristiques de la ville bien faite, selon Hérakleidès le Crétois47. On remarquera aussi, à Aigai comme à Pella, le petit nombre ou la modestie des sanctuaires. Il est vrai que dans les deux cas l’espace urbain antique n’a pas été entièrement exploré.
16Dion, la grande ville du sud de la Macédoine, présente une image sensiblement différente48. Considérée pourtant comme « la ville d’apparat, et pour ainsi dire, la ville de réception des rois de Macédoine, celle qu’ils se plurent à embellir de toutes les manières » par L. Heuzey et H. Daumet qui visitèrent le site en 186149, la ville, installée sur un site presque plat entre la mer (à 1,5 km à l’époque de Strabon, VII fr, mais plus de 15 km aujourd’hui) et les pentes du Mont Olympe, sur les bords du fleuve Baphyras, présentait un plan carré50. On ne retrouvera donc pas à Dion cet urbanisme topogénique que nous avons décrit à Aigai et à Pella : il est vrai que nous ne sommes plus dans une capitale royale, où le complexe palatial se doit de s’imposer à l’espace urbain, mais dans une ville sanctuaire. Dion devait en effet son développement au grand sanctuaire panmacédonien et à ses panégyries en l’honneur de Zeus Olympien51. C’est Archélaos qui, à la fin du ve siècle, avait donné à une fête locale une dimension macédonienne, en instituant une fête de neuf jours, chacun consacré à une muse (Diod., XVII, 15, 1 et 16, 3-4), probablement célébrée au mois de Dios, c’est-à-dire au début de l’année macédonienne qui commençait vers l’équinoxe d’automne52. Le rythme pentétérique et l’association de concours gymniques et musicaux étaient censés donner un panache panhellénique. Mis à sac par Scopas et ses Étoliens en 219 av. J.-C., l’Olympieion macédonien fut immédiatement reconstruit. Le sanctuaire de Zeus a été identifié depuis peu53. C’était un grand sanctuaire hors les murs, comparable par son étendue et sa panoplie monumentale aux sanctuaires de Dodone ou de Thermos. On y trouvait, entre autre, un théâtre et un stade54. Les états classiques n’ont pu être encore reconnus par les fouilles, à l’exception du théâtre, où des structures plus anciennes ont été recouvertes par l’édifice hellénistique. Il pourrait s’agir de l’édifice où Euripide fit jouer les Bacchantes devant le roi Archelaos. Rien n’est sûr, bien entendu, mais on se souviendra qu’à Thasos également, non loin de Dion, un théâtre est également signalé par Hippocrate à la même époque. Le sanctuaire de Zeus Olympien était le grand sanctuaire national macédonien et il ne cessa d’être l’épiphanestatos topos des rois de Macédoine. C’est là d’où partit symboliquement la grande expédition asiatique d’Alexandre. C’est le lieu aussi des consécrations militaires55, là où ont été offertes les statues des vingt-cinq premiers chevaliers macédoniens morts à la bataille du Granique en 33456. En 148 av. J.-C., le groupe statuaire fut emporté par Quintus Caecilius Metellus Macedonicus à Rome, où il fut exposé devant le temple de Jupiter Stator. L’importance symbolique de cette vitrine de la Macédoine, placée tout près de ses limites méridionales, nous fait d’autant plus regretter qu’elle fut recouverte, pire encore digérée, par une colonie romaine. C’est dire que les niveaux hellénisitiques de la ville refondée là encore par Cassandre n’ont été atteint qu’exceptionnellement. Seule la très belle enceinte, construite entre 305 et 298 av. J.-C. et publiée récemment par Th. Stéfanidou-Tiberiou57, témoigne encore de cette ville de l’époque des Diadoques.
17De la Thessalonique des premiers temps de l’époque hellénisitique, on ne connaît malheureusement que peu de choses58. La ville fut fondée par synoecisme en 316 av. J.-C., par Cassandre, qui donna à la ville nouvelle le nom de sa femme, Thessalonikè, la fille de Philippe II et de la thessalienne Nikèsopolis épousée la même année. Dotée d’une chôra très étendue qui s’étendait sur tout le nord-ouest de la Chalcidique, la ville nouvelle participait de la réorganisation complète du maillage poliade de la région, désorganisé par la suppression de la Ligue Chalcidienne par Philippe II quelques décénnies auparavant. On retrouve, là encore, la grande politique urbaine de Cassandre, déjà observée à Pella et à Dion. On en regrette d’autant plus que les vestiges archéologiques de la fondation urbaine se réduisent à presque rien. L’établissement d’une carte archéologique très précise par M. Vitti, grâce au recollement systématique de toutes les découvertes anciennes et des plans de la ville avant l’incendie de 1917 et sa reconstruction par l’architecte français Ernest Hébrard, a permis néanmoins de faire un bilan de nos connaissances. Il faudrait aujourd’hui le mettre à jour au vue des nombreuses découvertes récentes, en particulier celles qui sont liées à la construction du métro. On retiendra de ce bilan que Thessalonique devint une des villes importantes du royaume sous le règne d’Antigone Gonatas, qui y avait établi sa résidence et fait construire probablement un palais, mais que la ville hellénistique resta beaucoup moins étendue que la ville d’époque impériale. On se représente très mal l’organisation du tissu urbain et c’est tout juste si on connaît l’emplacement d’un Sérapeion, dans la partie ouest de la ville, d’un Thesmophorion et d’un gymnase avec établissement thermal sous l’angle sud-est de la place haute du forum59. L’emplacement et la configuration de l’agora sont déduits de la position du forum de la ville romaine, dont on soupçonne qu’il succéda à la première au même endroit. Le centre monumental de la ville romaine était organisée en terrasses superposées, avec une platea à fonction politique caractérisée par une belle salle d’assemblée, une place de même dimension juste au-dessus et une ou plusieurs places en contrebas. C’est du moins ce qu’on croit pouvoir déduire de toute une série d’arguments : l’analyse du parcellaire de la ville avant la grande restructuration des années 20, qui montre la fossilisation de plusieurs places de mêmes dimensions en enfilade à partir de l’église Saint Démétrios, la présence d’un cryptoportique sous le côté sud du forum et ouvert précisément vers la place inférieure (dans un dispositif qui n’est pas sans rappeler le forum d’Arles), la localisation dans le secteur bas des piliers de l’Incantadas ou encore de la belle exèdre sévérienne encore visible en bordure de l’actuelle rue Egnatia (figures 8 et 9). Un tel dispositif évoque le centre monumental de Philippe. L’agora de l’époque macédonienne a pu prendre la forme de places superposées, la place commerciale se trouvant le plus près de la mer.
18L’hypothèse d’un centre monumental composé d’une succession de grandes places pourrait être confirmé par l’existence d’un agencement identique à Mieza. Cette ville, située entre Beroia et Pella au cœur du royaume macédonien, est surtout connue pour les belles tombes peintes qui y ont été découvertes et le fait d’avoir accueilli les années de formations du jeune Alexandre le Grand auprès d’Aristote. D’importants vestiges architecturaux de la deuxième moitié du ive siècle permettent de restituer un centre monumental impressionnant, composé de plusieurs terrasses superposées et s’étendant sur plus de sur plus de 30 000 m2 (figure 10)60. L’exploration archéologique est encore loin d’être achevée, mais on distingue d’ores et déjà plusieurs espaces péristyles doriques d’inégales dimensions et plusieurs séries de pièces, dont probablement un hestiatorion (figure 11). Le reste de la panoplie monumentale se compose, dans l’état actuel des recherches, d’un théâtre avec une orchestra en demi-cercle et d’un nymphée, que les fouilleurs mettent en rapport avec le gymnase où Alexandre aurait fait ses études61.
Fig. 8 – Plan du centre monumental de Thessalonique avec le parcellaire actuel M. Vitti, 1996.

Fig. 9 – Plan du centre monumental de Thessalonique avec le parcellaire d’avant l’incendie de 1917 – M. Vitti, 1996.

Fig. 10 – Plan restitué du centre monumental de Miéza DAO S. Marc-Blin, d’après Koukouvou et Psara 2011.

Fig. 11 – Détail du centre monumental de Miéza DAO S. Marc-Blin, d’après Koukouvou et Psara 2011.

Fig. 12 – Relevé pierres à pierres du centre monumental d’Aianè DAO S. Marc-Blin, d’après Karamitrou-Mentesidi, 2011.

19L’urbanisme d’Aianè, ville située sur le cours supérieur de l’Haliakmon, est également caractérisé par un dispositif en terrasses, en partie aménagée sur des remblais retenus par des murs de soutènement. Une area publica a été fouillée entre 1987 et 2010, sur une terrasse située à mi-pente (figures 12 et 13)62. Les vestiges archéologiques sont très ténus et, à quelques rares exceptions près, les éléments d’élévation manquent. On retiendra néanmoins l’image d’une place limitée en amont par un portique en L, avec une colonnade dorique au rez-de-chaussée et une colonnade ionique à l’étage.
Fig. 13 – Plan restitué du centre monumental d’Aianè DAO S. Marc-Blin, d’après Karamitrou-Mentesidi, 2011.

20Les espaces monumentaux des autres villes macédoniennes sont encore inconnus. À Beroia, une ville très importante pour le iiie siècle av. J.-C. si l’on en croit les très riches découvertes épigraphiques, on ne connaît presque rien de la ville hellénistique63. À Florina, les fouilles importantes de ces dernières années n’ont touché que les quartiers d’habitation et la ville antique de Cassandreia, fondée en 316 av. J.-C. à l’emplacement de Potidée, sur l’isthme de Pallène, est encore presque inconnue.
Conclusions
21Comme nous l’avons vu, la Macédoine est certainement la région du monde grec qui a connu le plus complet renouvellement des connaissances ces dernières décennies. Si ces découvertes ont révélé des pans nouveaux de la culture grecque antique, comme la peinture, ou ont enrichi des discussions déjà en cours sur la décoration architecturale, elles n’ont pas encore contribué à donner aux villes macédoniennes la place qu’elles méritent. La bibliographie, pour l’essentiel en grec et dans des revues grecques, n’est encore pas ou très peu connue64. C’est d’autant plus dommageable que la Macédoine semble bien expérimenter des formes d’organisation de l’espace urbain dans la période qui précisément précède tout juste le grand mouvement de fondations ou de refondations urbaines qui caractérise le début de l’époque hellénistique, c’est-à-dire l’époque d’Alexandre, des Diadoques et des Épigones. C’est un fait que c’est en Macédoine qu’on trouve les premières grandes agoras commerciales et que le rôle des cités dans leur administration ne devait pas être nul sous prétexte qu’elles étaient intégrées à un royaume (figure 14)65. Faut-il s’étonner dès lors de trouver dans des villes directement en contact avec la Macédoine mais en dehors du royaume, comme à Thasos, les premiers avatars de cette volonté de mieux répartir les activités dans les centres monumentaux ? Quoiqu’il en soit, on ne peut plus désormais s’en tenir à une stricte origine micrasiatique de cet urbanisme fonctionnel, qu’il faudra peut-être cesser d’appeler milésien66.
Fig. 14 – Plans comparés de l’agora de Pella [1], de l’agora sud de Milet [2] et de l’agora tétragone d’Éphèse [3] DAO S. Marc-Blin d’après I. Akamatis, R. Martin et P. Scherrer.

22La Macédoine a aussi légué aux villes hellénistiques une autre forme de morphologie urbaine : celle de la capitale royale, caractérisée par un urbanisme qu’on a souvent qualifié de théâtral. Nous l’avons vu plus haut, la Carie des Hécatomnides a été souvent évoquée comme origine possible de ce type de composition urbaine avec des terrasses successives étageant les grands espaces monumentaux sur le flanc d’une pente plus ou moins abrupte67. Mais à la même époque, la Macédoine des Argéades expérimentait ces mêmes formes de scénographies urbaines, qui devinrent rapidement une des manifestations les plus accomplies du beau cityscape68. Les grands aménagements urbains de l’époque hellénistique en Asie Mineure occupent incontestablement un rôle majeur dans l’histoire de l’urbanisme, mais peut-être a t-on trop cherché à les remonter dans le temps. Les recherches récentes ont montré, à Priène, à Milet ou à Éphèse, que les datations très précoces avancées traditionnellement devaient être remises en cause. À la fin de l’époque classique et au début de l’époque hellénistique, c’est plus sûrement en Macédoine qu’il faut chercher les premiers développements de cet urbanisme à la fois scénographique et fonctionnel, dont les architectes de l’époque d’Hérmogénès tireront, en Asie, toutes les conséquences. Que la Macédoine soit devenue, entre Philippe II et Antigone Gonatas, un des centres créateurs qui donnèrent le ton au reste du monde grec est une chose bien connue dans le domaine de l’architecture ou de la peinture69 : il faudra peut-être désormais s’aviser quelle joua aussi un rôle non négligeable dans l’invention de nouvelles compositions urbaines. Le fait est que l’éclipse durable que subit la Macédoine après la très lourde défaite de Pydna et l’image négative qu’elle put avoir auprès des élites romaines ou romanophiles ne contribuèrent pas peu à une forme de relégation durable. Vitruve, obnubilé par l’architecture asiatique et Hermogénès, et, plus tard, Pausanias, qui s’en tient à une Grèce très étriquée, n’évoquent nulle part les grandes réalisations urbaines que je viens de présenter. Il faudra pourtant désormais rendre justice à une région où se révèle un urbanisme fonctionnel et monumental une ou deux générations avant son épanouissement ailleurs dans le monde grec.
Remerciements
23Je suis très heureux d’offrir à Xavier Lafon ces pages consacrées à une histoire des villes grecques vue de la Macédoine, en souvenir de notre travail commun sur un sujet très proche et en témoignage de mon amitié pour un collègue, qui m’accueillit si généreusement à Strasbourg : il sait ce que je lui dois dans la romanisation de ma carrière. Je remercie chaleureusement F. Burkhalter pour sa relecture critique ainsi que Séverine Marc-Blin pour sa contribution à l’illustration.
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Notes de bas de page
1 Marc, 2012a ; Marc, 2012b.
2 De Ruyt, 2011 (3e éd.) : 450-464. Les rares publications monographiques de macella se limitent à l’étude architecturale : Didierjan et al., 1983 ; Demma, 2007 : 77-113. Les édifices où on peut étudier conjointement les dispositifs architecturaux, l’instrumentum et les niveaux d’occupation sont très rares : Saint-Bertrand-de-Comminges (Fabre et Paillet, 2009, qu’il faut compléter avec Lignereux, 2005), Nyon (Rossi, 1995 : 51-75), Vieil-Évreux (Guyard et Bertandière, 2009-2010). On peut espérer que la publication prochaine des macella de Sagalassos et de Thasos, actuellement en cours de fouille, viendra compléter cette liste, au moment où les recherches sur le circuit de la viande dans les sociétés antiques connaît un net regain d’intérêt (pour Sagalassos, cf. Richard et Waelkens, 2012 ; pour Thasos : Marc, 2012b).
3 Von Gerkan, 1924 ; Martin, 1974.
4 Hatzopoulos, 1990 : 205-221 ; Marc, 1997 : part. 481-486 ; Sève, 2011 ; Descamps-Lequine, dans Descamps-Lequine, 2011 : 56-58.
5 Sur l’histoire des fouilles en Macédoine, cf. Borza, 1982 ; Hatzopoulos, 1981 ; Hatzopoulos, 1993 ; Hatzopoulos 2011b.
6 Andronikos, 1984. L’attribution de la tombe est contestée depuis sa découverte. Pour un état de la controverse actuelle, cf. Borza et Palagia, 2007 (attribution à Philippe III) et Lane Fox, 2011b (maintien de l’attribution à Philippe II).
7 Cf. la série des ΜΕΛΕΤΗΜΑΤΑ publiée par le KERA à Athènes.
8 Delorme, 2013.
9 Cf. les sept livraisons d’Ancient Macedonia publiés à ce jour ou la bonne vingtaine de tomes de l’ΑΕΜΘ, auxquels il faut ajouter de nombreux articles de la revue de l’Université de Thessalonique, Egnatia.
10 Lane Fox, 2011b ; Descamps-Lequine, 2011. On trouvera un très commode bilan bibliographique dans Brekoulaki, 2012.
11 Heermann, 1986 ; Makaronas, Giouri, 1989 (publication d’une maison, mais dont la restitution montre beaucoup d’affinités avec les modèles palatiaux) ; Hoepfner et Brands, 1996 ; Nielsen, 1994 ; Étienne, 1998 (un compte-rendu développé des deux ouvrages précédents) ; Nielsen, 2001 ; Étienne, 2006 ; Emme, 2013.
12 Gossel, 1980 ; Miller, 1982 ; Petsas, 1984 ; Andronikos, 1987 ; Tomlinsson, 1987 ; Hammond, 1991 ; Andronikos, 1993 ; Dimakopoulos, 2003 ; Huguenot, 2008.
13 Boyd, 1978 ; Wesenberg, 1991.
14 Ginouvès, Guimier-Sorbets, 1994.
15 Martin, 1968, 171-184 ; Pandermalis, 1976 ; Tomlinson, 1993 ; Christodoulou, 1999 ; Schmidt-Dounas, 2005 ; Grandjean et alii, 2004-2005 ; Grandjean, 2011.
16 Miller, 1973 ; Thompson, 1982 ; Frazer, 1982 ; Tarditi, 1990 ; Roux, 1992 ; Ginouvès, 1993 (une édition en français et une autre en grec) ; des Courtils 1999 : 357-374 ; Voutiras, 2004 ; Marc, 2012b.
17 Magna Grecia, Epiro e Macedonia. Atti del ventiquattresimo convegno di studi sulla Magna Grecia, Tanranto, 5-10 ottobre 1984, Tarente, 1985 ; Alessandro il Molosso e i ‘condottieri’ in Magna Grecia. Atti del quarantatresimo convegno di studi sulla Magna Grecia, Tarento-Consenza 26-30 settembre 2003, Tarente, 2004.
18 Drougou, 2011c.
19 On s’étonne, par exemple, de ne rien trouver sur les villes macédoniennes dans la récente livraison consacrée à la Macédoine antique du Blackwell Companions to the Ancient World : Roisman, Worthington éds., 2010. Il faut, pour le moment, se contenter de brèves notices publiées dans des catalogue d’exposition ou des synthèses, utiles, mais très générales : Ginouvès, 1983 : 91-106 ; Siganidou, 1994 ; Muller, 2012.
20 Drougou, 2011c, 255.
21 Mari, 2002 ; Hatzopoulos, 2012.
22 Hatzopoulos, 2003 ; Hatzopoulos, 2011.
23 Kottaridi, 2002 ; Drougou, 2009 ; Drougou, 2011a ; Drougou, 2011b ; Saatsoglou-Paliadeli, 2009.
24 Hammond, 1970 ; Andronikos, 1976 ; Saatsoglou-Paliadeli, 1996 ; Hatzopoulos, 1996 ; Hammond, 1997 ; Greenwalt, 1999 : part. 178-180.
25 Frederick Winter, 2006, 162.
26 Saatsoglou-Paliadeli, 2001 ; Kottaridi, 2011 ; Saatsoglou-Paliadeli, 2011.
27 Hoepfner, 1996 : 17.
28 Billot, 2011.
29 Une commode synthèse en anglais a fait récemment le point sur ces questions : Kottaridi, 2011.
30 Ce dispositif de façade est très proche de celui qui a été adopté quelques années plus tard à la Porte de Zeus à Thasos.
31 Sur l’importance du banquet à la cour macédonienne, cf. Vössing, 2004 ; Kottaridi, 2004 ; Portale, 2010.
32 Chamoux, 1993.
33 Drougou, 1997 ; Drougou, 2006.
34 À Alexandrie, le théâtre était également situé à proximité immédiate des palais, mais l’agencement précis est encore inconnu.
35 Edelmann, 2008 : part. 153-154.
36 Drougou, 2003.
37 Lilimbaki-Akamati, Akamatis, 2003 ; Lilimbaki-Akamati, 2009a ; Lilimbaki-Akamati, 2009b ; Akamatis, 2011 ; Lilimbaki-Akamati, 2011.
38 Borza, 1990 : 166-171 ; Greenwalt, 1999. La fouille très partielle de la nécropole a néanmoins confirmé la datation de la fondation, tirée jusque-là de Thucydide.
39 Je m’explique très mal la distance importante, près d’un kilomètre, qui sépare dans la ville classique l’ensemble palatial du reste de l’agglomération.
40 Siganidou, 1990.
41 Chrysostomou, 2011.
42 Akamatis, 1995-2000 ; Lilimbaki-Akamati, 2009b.
43 Lilimbaki-Akamati, 2007a. De telles dimensions ne se retrouvent guère qu’à Messène.
44 La recherche est peut-être ici beaucoup trop tributaire de Pausanias (6.24.2).
45 Il très probable que le théâtre se trouvait sur les pentes en contrebas du palais, peut-être sous la partie la plus orientale, comme le suggère Hellmann, 2010 : 106, peut-être aussi sous la véranda nord du palais et donc au-dessus de l’agora.
46 Lilibaki-Akamati, Akamati, 2007.
47 À Aigai également, on a signalé un réseau d’adduction d’eau très précoce (Philippe II) : Kottaridi, 1993 ; Drougou, 2003.
48 Pandermalis, 2009 et 2011.
49 Léon Heuzey, 1860, 124.
50 Stéfanidou-Tibériou, 1999 ; Stéfanidou-Tiberiou, 2000.
51 Sur les sanctuaires de Dion, cf. Falezza, 2008.
52 Sur les Olympia, cf. Gauthier, Hatzopoulos, 1993 ; Hatzopoulos, 1982 ; Le Bohec-Bouhet, 2002 ; Mari, 2002 : 150-153 ; Hatzopoulos, Mari, 2004.
53 Pandermalis, 2009 ; Kremydi-Sicilianou, 2004.
54 Sur le théâtre, cf. Karedados, 1986.
55 Diod. 16.55.1 ; 16.16.3-4 ; Dion, 1.313.
56 Vell. 1.11.3-4 ; Plin. Nat. 34.19.64 ; Plut. Alex., 16.15-16 ; Arr. An. 1.16.4 ; Diod. 30.11.2 ; Liv. 44.6. Cf. Calcani, 1989 (pour le rôle que joua ce très célèbre groupe sculpté dans la diffusion de la légende d’Alexandre à Rome, cf. Coarelli, 1996).
57 Stéfanidou-Tiberiou, 1998.
58 Vitti, 1996 ; Adam-Veleni, 2011.
59 Adam-Veleni, 1997 ; Adam-Veleni et alii, 1998.
60 Koukouvou, Psarra, 2011 ; Allamani et al., 2009.
61 Allamani, Misaelidou, 1993. J.-Ch. Moretti a déjà rapproché le plan très particulier de l’orchestra en demi-cercle avec les théâtres d’Italie du sud (Moretti, 2001 : 167).
62 Karamitrou-Mendesidi, 2011.
63 Brocas-Deflassieux, 1999. Pour les découvertes épigraphiques, on retiendra : Gauthier, Hatzopoulos, 1993 et Tataki, 1998.
64 On ne peut que déplorer cet apauvrissement linguistique, mais c’est un fait que le grec moderne cesse progressivement d’être une des grandes langues de l’archéologie classique. Les revues ou séries publiées par nos Collègues grecs sont en tous cas souvent absentes des bibliothèques universitaires, en dehors des grands centres parisiens. On ne peut donc que saluer les initiatives comme celle de R. Ginouvès dans les années 80 ou plus récemment celle du Louvre qui mettent à la disposition du public savant des données qui passeraient sinon complètement inaperçues.
65 Errington, 2002. Sur les agoras, cf. E. Greco, s.v. Agora, EAA Suppl., 2, 1994 : 96-103 ; Marc, 1998 ; Hellmann, 2010 : 256-292 ; Ampolo, 2012.
66 Marc, 2012b.
67 Calio, 2005 ; Hellmann, 2010 : 210-211.
68 Gros, 2001.
69 Prestianni Giallombardo, 1993 ; Steingräber, 1990 ; Steingräber, 2000 ; Pontrandolfo, 2002.
Auteur
Université de Strasbourg
ArcHiMèdE – UMR 7044
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Gérer l’eau en Méditerranée au premier millénaire avant J.-C.
Sophie Bouffier, Oscar Belvedere et Stefano Vassalo (dir.)
2019
Le village de la Capelière en Camargue
Du début du ve siècle avant notre ère à l’Antiquité tardive
Corinne Landuré, Patrice Arcelin et Gilles Arnaud-Fasseta (dir.)
2019
Les métaux précieux en Méditerranée médiévale
Exploitations, transformations, circulations
Nicolas Minvielle Larousse, Marie-Christine Bailly-Maitre et Giovanna Bianchi (dir.)
2019
L’Homme et l’Animal au Maghreb, de la Préhistoire au Moyen Âge
Explorations d’une relation complexe
Véronique Blanc-Bijon, Jean-Pierre Bracco, Marie-Brigitte Carre et al. (dir.)
2021