L’aristocrate des villes et l’aristocrate des champs
Où les élites celtiques habitaient-elles ?
p. 45-54
Résumés
Si le rôle des élites, comme principal moteur des innovations socio-économiques et donc de l’évolution des formes d’habitat, est devenu presque un postulat de la recherche en Protohistoire celtique, il est souvent difficile d’identifier concrètement leur présence dans ces habitats, à travers les découvertes archéologiques. On sait donc encore peu de choses des lieux de vie, et d’exercice du pouvoir, des aristocrates de l’âge du Fer. Par exemple, leurs liens avec les processus de concentration de l’habitat et d’urbanisation sont très probables, mais on peut se demander s’ils habitaient physiquement les agglomérations ainsi créées, et si leurs lieux de résidence ne sont pas demeurés, jusqu’à la fin de l’époque gauloise, principalement ruraux.
Obwohl die Rolle der Eliten in der Einführung der meisten wirtschaftlichen und gesellschaftlichen Neuerungen und in der Entwicklung der Siedlungsformen, in der vorgeschichtlichen Forschung, schon lange erkannt wurde, bleibt es uns immer noch schwer ihre Anwesenheit in den Siedlungen durch archäologischen Entdeckungen sachlich zu erfassen. Man weiß eigentlich noch wenig über die Lebensorte und die Machtausübungsplätze der Aristokraten der Eisenzeit. Zum Beispiel wenn ihre Rolle in den Konzentrationprozessen der Siedlungsweise und der Urbanisierung sehr wahrscheinlich erscheint, kann man sich jedoch die Frage stellen, ob sie tatsächlich in diesen neuen Siedlungen wohnten, oder ob ihre Wohnorte, bis zum Ende der gallischen Epoche, nicht hauptsächlich ländlich geblieben waren.
Texte intégral
1De « résidences princières » en oppida, l’implication des couches dominantes de la société gauloise, dans la mise en place d’habitats groupés complexes, généralement fortifiés, et structurés autour d’activités artisanales et commerciales, mais aussi politiques (au moins pour la fin de l’âge du Fer), est retenue comme une évidence par la plupart des chercheurs. Mais, au-delà de leur rôle économique, de la mise en évidence de leur pouvoir et de leur prestige, à travers le contrôle d’aménagements collectifs et monumentaux, on s’est peu interrogé sur l’aspect et la localisation de leur résidence à proprement parler.
2Dans la liste des critères qui permettent à Wolfgang Kimmig, à plusieurs reprises1, de définir le concept de « Fürstensitze » pour la fin du premier âge du Fer, on trouve, au côté des caractéristiques qui décrivent l’importance économique de ces sites, dans le cadre de relations d’échanges à longue distance avec le monde méditerranéen, la présence de tombes prestigieuses (avec importations méditerranéennes). Si la dernière demeure de ces « princes » est donc connue le plus souvent, et systématiquement prise en compte, il n’en va pas de même pour leurs lieux de vie, pour lesquels, il est vrai, les données archéologiques restent fréquemment lacunaires.
3À l’autre extrémité de l’arc chronologique examiné ici, à l’époque de La Tène finale, le rôle joué par l’aristocratie gauloise dans la fondation et le développement des oppida est communément admis2. Mais ces aristocrates résidaient-ils à demeure dans l’oppidum, ou bien dans des domaines fonciers de la campagne environnante ? Comme nous le verrons par la suite, les quelques données archéologiques à notre disposition semblent suggérer des réponses différentes d’un site à l’autre, et il est possible également que la situation évolue avec le temps. Cette variabilité même rend difficile l’identification de caractéristiques récurrentes, qui permettraient de reconnaître la demeure d’un notable au sein de l’agglomération, et résiste, dans cette catégorie de sites, à l’élaboration d’une typologie. Si l’on poursuit un rapide examen historiographique, on perçoit, en revanche, que la réflexion est nettement plus aboutie dans le cas des établissements ruraux isolés qui sont désormais connus en grand nombre, notamment grâce à la multiplication des opérations d’archéologie préventive, et pour lesquels la prise en compte d’une classification hiérarchique n’est plus remise en cause. On retient l’attribution des établissements de rang supérieur à une élite qui y avait probablement installé sa résidence. Une première version de cette classification est due à François Malrain qui a proposé une subdivision des habitats ruraux en quatre rangs, dont le premier correspondrait à une ferme aristocratique3. Il s’appuie sur plusieurs types de critères touchant à la morphologie du site et au mobilier qui en est issu : la division très nette de l’espace, des délimitations – talus et fossé – monumentales, une architecture de qualité et la présence proche d’un enclos funéraire. La même richesse est constatée au niveau du mobilier et de la consommation alimentaire. Yves Menez, dans sa thèse récente, consacrée au site de Paule (Côte d’Armor), établit une liste de caractéristiques qui complète celle dressée par F. Malrain4.
4Les deux séries de critères, mises en parallèles dans le tableau ci-dessous, peuvent être confrontées avec les rares textes antiques qui évoquent, plus qu’ils ne décrivent, les résidences des élites gauloises. Seuls trois passages contiennent des informations à ce sujet : un passage de Strabon évoque l’aristocratie allobroge, installée dans l’oppidum de Vienne5, un extrait de César mentionne un domaine du roi éburon Ambiorix6 , et Tacite la villa de Cruptorix7.
5L’habitat aristocratique gaulois est donc par deux fois présenté comme rural et une fois comme urbain. Le passage qui traite des Allobroges doit sans doute être placé après la conquête de la Transalpine. Strabon, en effet, oppose un temps où les Allobroges formaient un peuple guerrier, à une situation où ils sont devenus sédentaires et agriculteurs. Sont opposées ici l’époque de l’indépendance, où les Allobroges se sont violemment heurtés à Rome, et celle où, pacifiés, ils ont intégré la civilisation romaine. Les « plus illustres d’entre eux », c’est-à-dire la noblesse, ont ainsi adopté le mode de vie urbain, transformant Vienne d’un « village » en une « ville bien équipée ». Cet extrait suggère que la vie dans un oppidum était sans doute loin d’être la règle, et que c’est la conquête qui est à l’origine du changement de lieu de résidence.
6Le texte de César concerne un habitat rural dans lequel se réfugie le roi éburon, Ambiorix, poursuivi par les troupes romaines. Nous sommes là en face d’un domaine rural enclos, pour lequel on imagine sans problème un système avec fossé et talus tels qu’on les retrouve en fouille dans une grande partie de la Gaule septentrionale. Pourtant, nous n’avons pas d’informations quant au statut de ce site. Correspond-t-il à l’une des résidences personnelles d’Ambiorix ou appartient-il à l’un de ses clients ? Et où logeait le roi éburon en temps normal, dans un domaine du même type, ou un site fortifié (le territoire Éburon ayant comme caractéristique de ne pas avoir livré de véritable oppidum).
7Le passage de Tacite, bien qu’il concerne la Frise, un territoire germanique, à une période plus tardive, en 28 apr. J.-C., mentionne un ancien auxiliaire de Rome qui porte un nom parfaitement gaulois : Cruptorix. L’utilisation du terme de uilla indique encore une fois un domaine rural aristocratique, qui semble être la résidence de ce personnage, mais le texte ne fournit aucune indication quant à l’aspect de cette résidence. Une partie des critères utilisés pour classer les habitats ruraux de La Tène moyenne et finale intervient aussi dans la définition du statut des fermes pour d’autres périodes, de la Protohistoire ancienne à l’époque romaine, avec, selon les époques, une attention plus ou moins grande accordée à certains d’entre eux. Pour l’autre période importante abordée dans cet article, le Hallstatt moyen et final (Hallstatt D), on a souvent proposé de privilégier le critère de l’enclos, en ce sens que sa présence contraste avec le caractère ouvert, peu organisé, voire dispersé, de la plupart des unités d’habitation rurales contemporaines.
Établissements ruraux de statut élevé au Premier âge du Fer
8C’est sur cette base qu’a été définie par les archéologues allemands la notion de « Herrenhof », qui s’applique plus particulièrement à l’Allemagne sud-orientale (Bavière)8. Identifiés principalement à travers leur enclos complexe (palissades multiples, entrées aménagées), les sites de cette catégorie, dont une bonne partie encore n’est connue que par des photographies aériennes, ne présentent pas toujours, par ailleurs, des caractéristiques exceptionnelles, en ce qui concerne les aménagements internes (nombre et taille des bâtiments) ou le mobilier découvert. Il semble donc que seul le caractère sophistiqué de la clôture puisse le plus souvent nous renseigner sur la puissance éventuelle du propriétaire. Les superficies de ces établissements peuvent être importantes (quelques milliers de m2 en moyenne, et jusqu’à plus de un hectare), mais varient sensiblement, de même que les activités attestées (agriculture dominante, voire exclusive, ou au contraire indices d’un important travail artisanal, notamment métallurgique).
9Rares sont les cas où la réflexion sur le statut du site peut se nourrir d’indications plus précises sur son organisation interne ou son évolution chronologique. À Geiselhöring, l’établissement, de taille respectable (un peu plus de 0,8 ha), témoigne d’une structuration, avec plusieurs espaces hiérarchisés et une certaine variété dans les constructions, dont l’une a été restituée avec une élévation importante qui lui donne l’aspect d’une tour puissante9. À Enkering Gatzäcker, le Herrenhof marque l’aboutissement d’une histoire complexe, avec plusieurs enclos successifs, qui soulignent la progression hiérarchique de l’établissement, muni dans sa phase finale d’une quadruple enceinte, avec cour centrale enclose et portiquée (ou encore, selon la restitution proposée, une palissade centrale doublée d’un chemin de ronde). Une des étapes a connu également un vaste bâtiment de 170 m2, à deux nefs et vestibule10. L’établissement enclos se développe, en plusieurs étapes, dans un secteur occupé de façon continue depuis l’époque des champs d’Urnes par un hameau ouvert, regroupant plusieurs unités composées de divers bâtiments. Lorsque les Herrenhöfe successifs apparaissent du côté nord, les structures du hameau subsistent au sud sous la forme de plusieurs bâtiments d’époque hallstattienne : l’évolution perceptible dans la structuration de l’habitat reflète-t-elle une accentuation des hiérarchies au sein de la communauté11 ? Ici, en tout cas, la coexistence de deux modèles d’organisation fait ressortir sans doute la différence de statut entre les divers ensembles architecturaux, et met en évidence la « demeure seigneuriale ».
10L’identification, dans quelques autres régions du monde celtique, d’habitats enclos d’époque hallstattienne, par exemple en Normandie12 ou en Champagne13, est récente et pose le problème du statut de ces établissements. L’examen attentif auquel ont procédé récemment Vincent Desbrosses et Vincent Riquier, en confrontant plusieurs sites champenois, ne parvient pas à dégager des critères convergents, qui permettraient de les ranger dans une catégorie homogène. La présence de l’enclos, point commun réunissant tous ces sites, ne suffit pas à en caractériser le statut. Tout au plus peut-on pointer la monumentalité de certains éléments de l’enclos, comme certaines entrées, telles celles de Bazancourt, où les quatre interruptions des fossés sont munies chacune d’un porche sur poteaux. Dans d’autres cas, comme à l’Isle-sur-Suippe (Marne), c’est la taille du bâtiment principal et le contraste avec les autres constructions qui peut servir d’indicateur14. Et la rigueur de l’organisation spatiale interne peut-elle être aussi considérée comme un élément discriminant ? Les superficies sont variables (souvent plusieurs milliers de m2 et jusqu’à 12800 m2 à Bazancourt-Pomacle (Marne) ; les capacités de stockage sont souvent importantes, mais en proportion inégale, là aussi, d’un site à l’autre ; le mobilier céramique est généralement peu abondant par rapport aux surfaces fouillées et ses particularités ne permettent pas de dégager des critères convergents pour une évaluation et une comparaison du statut des établissements : ainsi à Bazancourt, la proportion de céramiques fines est importante, mais on ne relève pas de pièces exceptionnelles ; au contraire à Bezannes (Marne), où la vaisselle semi-fine à fine est proportionnellement moins abondante, on remarque la qualité de certains vases, notamment à travers les décors15, alors même que l’architecture paraît bien moins sophistiquée que dans le site précédent.
11Pour conclure, l’interprétation de ces quelques ensembles gaulois du premier âge du Fer comme des résidences rurales d’un statut élevé pose problème, dès lors qu’on ne s’appuie plus sur un critère ou sur un autre seulement, mais qu’on cherche à croiser les indices. Pour la fin de l’âge du Fer, en revanche, où l’occupation des campagnes devient de plus en plus dense, avec une multiplication des fermes, il est plus facile d’établir un classement hiérarchique, ce que nous avons déjà vu avec les propositions de classification de F. Malrain et Y. Ménez.
Les résidences aristocratiques rurales à la fin de l’âge du Fer
12Historiographiquement, c’est l’habitat rural d’Herblay dans le Val d’Oise qui a attiré, le premier, l’attention sur l’organisation élaborée de ces sites, avec un découpage net entre une zone résidentielle et une zone considérée comme plus proprement agricole16. Même si les données de la fouille ne permettent pas de distinguer explicitement des fonctions spécialisées, le parallèle avec les uillae de l’époque romaine a pu être proposé. Depuis, plusieurs autres sites ont été fouillés qui ont montré l’importance et la variété des habitats ruraux que l’on peut qualifier d’aristocratiques. C’est dans l’Ouest de la Gaule que les exemples les plus nets ont été mis en évidence. La résidence des Genâts, à Fontenay-le-Comte (Vendée), datée de la seconde moitié du iie s. av. J.-C., couvre une surface de 5,4 ha. Elle est associée à un petit enclos cultuel de 17 m de côté. Le mobilier comporte, outre des amphores vinaires, un nombre important de parures, des objets liés au banquet mais aussi des armes. Dans la même région, il faut mentionner la résidence des Natteries au Puy-Saint-Bonnet non loin de Cholet (Maine-et-Loire)17. Ce site, fondé au iiie s. av. J.-C., se distingue avant tout par les dimensions de ses fortifications. La dernière phase, datée du milieu du iie siècle est la plus monumentale. L’enclos principal, de forme trapézoïdale et d’un peu plus d’un hectare de superficie, est délimité par d’importants fossés de près de 8 m de large, pour une profondeur atteignant jusqu’à 3,4 m. Il est associé à un certain nombre de bâtiments de stockage, et dans le secteur oriental, à un vaste ensemble sur cour. Une centaine d’amphores proviennent du site. Moins imposant, mais nettement plus riche est le site de « La Croix du Buis » à Arnac-la-Poste (Haute-Vienne)18. L’enclos trapézoïdal de 1,5 ha, renfermait deux bâtiments de tradition méditerranéenne, érigés avec des murs en adobe, posés sur des solins de pierres. La couverture en tuile possédait un décor de bovidés en terre cuite. Le mobilier archéologique est lui aussi remarquable : près de 840 amphores ont été mises au jour. Ces différents sites se dégagent de la moyenne des fermes soit par l’organisation, soit par la taille ou bien encore par l’architecture et le mobilier qu’ils livrent. Et on peut y voir, sans peine, les résidences rurales d’aristocrates gaulois.
13La résidence aristocratique de Batilly-en-Gâtinais (Loiret) rassemble tous ces critères19. Ce site est tout d’abord exceptionnel par ses dimensions : il se compose d’un enclos central de 1,8 ha, installé dans un enclos plus grand qui porte la superficie totale à près de 20 ha. Les fossés sont eux aussi monumentaux, avec pour celui de l’enclos central une largeur de 6,5 à 7 m pour 3,5 m de profondeur. L’organisation interne est très recherchée. L’enclos central est subdivisé par trois palissades parallèles qui découpent l’intérieur en quatre bandes de 30 m de large. Chacune de ces bandes est, à son tour, recoupée par d’autres palissades qui délimitent différentes cours. Pour accéder à cette enceinte, mais aussi pour passer d’une cour à une autre, il faut franchir de véritables tours-porches. En avant de cet enclos, se trouve une vaste esplanade d’une dizaine d’hectares, vide de toute construction, mais bordée de chaque côté par une série de bâtiments, alignés de part et d’autre sur une palissade. Cette organisation, qui remonte au début du site, soit le milieu du iie s. av. J.-C., n’est pas sans rappeler le plan des uillae romaines de Gaule septentrionale. Ce type d’organisation est sans doute à l’origine du plan de ces uillae, avec l’alignement pars urbana / pars rustica qui est caractéristique des anciens territoires celtiques non méditerranéens20. La richesse de ce site se manifeste également dans la qualité de l’architecture, avec des toitures en bardeaux et des parois en torchis peintes, notamment de décors géométriques, voire floraux (?), tracés avec du bleu d’Égypte. En ce qui concerne le mobilier, on y a retrouvé plus de 400 amphores, de l’armement et d’autres objets plus exceptionnels, par exemple un petit rapace en bronze, applique de fonction inconnue.
En Allemagne du sud : les « Viereckschanzen »
14Plusieurs des sites appartenant à cette catégorie ont fourni du mobilier qui les distingue de la simple ferme. La « Viereckschanze » de Nordheim « Bruchhöhe », par exemple, a livré un dépôt de huit umbones de bouclier trouvé dans une fosse à l’intérieur de l’enceinte et associé à un fond d’amphore21. Le site lui-même était défendu par un fossé monumental de 7 m de large pour 3 m de profondeur, doublé d’un talus, couronné d’une palissade. Les dimensions de cet ensemble ne sont pas sans rappeler celles de Batilly-en-Gâtinais ou des Natteries. Le dépôt, il y a encore une décennie, aurait été utilisé comme preuve de l’identification comme sanctuaire de ce site, mais depuis les publications de Günther Wieland et plus récemment de Caroline von Nicolai22, la fonction d’établissement rural ne fait plus de doute. La qualité du mobilier et les dimensions de la fortification permettent de placer Nordheim « Bruchhöhe » parmi les résidences aristocratiques gauloises du Sud de l’Allemagne. Ces dimensions ne sont pas isolées. Plusieurs sites ont également livré des amphores, ce qui est d’autant plus notable que ces importations restent rares sur la rive droite du Rhin. Nous pouvons donc en déduire que les résidences aristocratiques celtiques du Bade-Wurtemberg et de Bavière sont tout à fait comparables aux sites gaulois. Il ne manque pour l’instant que les établissements de très haut statut.
La fonction des petits sites fortifiés
15La Gaule est couverte de petits sites fortifiés, d’un ou plusieurs hectares, trop modestes pour être qualifiés d’oppidum. Ils ont été recensés dès la fin du xixe et au début du xxe siècle par la Commission d’Étude des Enceintes Préhistoriques et Fortifications Anhistoriques créée par la Société Préhistorique Française, qui publia des rapports réguliers entre 1906 et 1935. L’inventaire fut repris par Olivier Buchsenschutz dans sa thèse en 1984. En Allemagne, des inventaires similaires ont été entrepris dans les années soixante-dix dans les régions montagneuses de l’Hunsrück et l’Eifel. O. Buchsenschutz attire l’attention sur les difficultés liées à ce corpus, formé de sites souvent mal connus, peu ou pas fouillés, et dont la datation reste problématique. Il serait tentant de les identifier à des sites aristocratiques, par analogie aux résidences princières du premier âge du Fer, mais les quelques sites mieux étudiés, comme le la « Pierre d’Appel » à Étival-Clairefontaine (Vosges), ont montré que rien au niveau du mobilier ne permettait de proposer systématiquement cette interprétation. Dans le cas de la Altburg de Budenbach, dans le massif de l’Hunsrück, R. Schindler23 propose d’y voir la résidence d’un aristocrate trévire contrôlant le stockage de la production agricole environnante. L’éperon barré, dont la totalité de la surface de 1,5 ha a été décapée, présente une nette bipartition. À l’ouest derrière le rempart, se trouve un important enclos renfermant plusieurs bâtiments, identifiables à une zone d’habitat ; le reste du plateau est couvert de plusieurs dizaines de greniers. La fonction de stockage collectif ne fait ici pas de doute, mais l’indigence du mobilier archéologique laisse perplexe quant à la présence d’un aristocrate sur le site.
16Un cas tout à fait particulier a été étudié, depuis près de 25 ans en Bretagne : le Camp de Saint-Symphorien à Paule24. Dès le ve s. av. notre ère, le site se détache déjà des fermes voisines. Il se compose alors d’un vaste enclos de 9 000 m2 contenant un édifice de 375 m2. Cet habitat rural ne cessera de se développer par l’adjonction de fossés et de remparts, pour devenir à partir du début du iiie siècle une véritable fortification d’une superficie d’environ 1,5 ha. Dans le second quart du iie s. av. J.-C., cette forteresse gauloise, selon l’expression d’Y. Menez, est complétée par plusieurs enclos possédant des fonctions spécifiques, situés à l’extérieur de l’habitat fortifié, mais entourés par une enceinte de 10 ha, remplacée, dans la première moitié du ier s., par une enceinte encore plus vaste de près de 30 ha. Avec l’exemple de Paule, nous assistons à l’évolution d’un site rural, une simple ferme, vers une forteresse aristocratique, puis vers un ensemble qui n’est pas sans rappeler certains oppida.
17Une autre série de sites fortifiés s’est introduite récemment dans le débat. Il s’agit de deux petites fortifications, d’environ un hectare, situées en territoire biturige et caractérisées par la présence d’un rempart de type murus gallicus : Luant et Meunet-Planche (Indre)25. Les prospections géophysiques, suivies de sondages à l’été 2011, ont permis de mettre en évidence une activité métallurgique sur le site de Meunet-Planche. L’hypothèse d’une résidence aristocratique avait été proposée par O. Buchsenschutz sur la base de la présence du murus gallicus. La seule volonté de protéger l’activité productive explique-t-elle cet aménagement ? Dans quel contexte « socio-économique » celle-ci s’est-elle déployée et était-elle contrôlée par un notable ? En tout cas, rien n’atteste pour le moment que ce dernier résidait en même temps sur place.
18Ce dernier exemple met en évidence la relation ambiguë qui demeure, dans l’esprit des chercheurs, mais peut-être aussi dans les faits, entre l’habitat fortifié et les élites : la fortification doit-elle être considérée par elle-même comme un signe de statut ? Sa présence implique-t-elle nécessairement qu’un personnage important ait pris l’initiative de sa construction ? Faut-il rechercher sa résidence en lien direct avec la zone enclose ?
Pôles princiers et résidences des « princes »
19Les questions énoncées ci-dessus concernent en particulier les sites rattachés à la catégorie des « résidences princières » du premier âge du Fer, pour lesquels la présence d’une acropole fortifiée a été en général considérée comme un élément de la définition du concept. La reprise des fouilles au cours des dernières années sur plusieurs de ces sites et les nouveaux résultats fournis par ces fouilles, ont amené récemment les chercheurs à envisager de façon plus particulière le problème du lieu de résidence de ces « princes », à l’intérieur ou à l’extérieur de la butte fortifiée qui constitue en général le cœur du dispositif. Les fouilles ont confirmé également que les résidences princières ne constituent pas une catégorie homogène : certaines, comme La Heuneburg, dans la haute vallée du Danube (Bade-Wurtemberg), présentent des aménagements et des secteurs d’activité qui s’étendent sur plusieurs dizaines d’hectares et sont à l’origine des réflexions récentes sur les phénomènes de « proto-urbanisation » de l’époque hallstattienne ; pour d’autres, la superficie occupée semble plus modeste, concernant principalement la butte et ses abords immédiats, et les formes d’occupation mises en évidence ne relèvent en rien de modèles urbains, ni même « proto-urbains ». Selon l’extension spatiale et la nature des aménagements, la question du lieu de résidence de l’élite qui contrôlait ces sites se pose donc en termes différents.
20Dans le second groupe, prend place, en particulier, le Mont Lassois, en Bourgogne, dont le grand bâtiment à abside, récemment fouillé et interprété depuis lors comme une « résidence palatiale », vient d’être publié26. Réalisée parallèlement aux fouilles, une prospection magnétique globale sur le plateau sommital montre l’environnement de cet édifice, qui semble prendre place, non pas dans un tissu urbain, mais dans l’organisation d’un gros domaine seigneurial, où la dimension rurale reste prédominante, avec une répartition stricte des espaces : zone résidentielle et de « service » à l’est, zone agro-pastorale et de stockage vers l’ouest27. Même si elles sont moins bien connues que le Mont Lassois, d’autres « résidences princières » pourraient illustrer la même catégorie, notamment le Britzgyberg à Illfurth (Haut-Rhin), où l’activité a dû se dérouler primitivement (au Hallstatt D1) à l’intérieur d’un puissant enclos palissadé, de 3 ha environ de superficie, et qui a pu circonscrire, plutôt qu’une agglomération, une sorte de « Herrenhof » en position perchée28. Ici, toutefois, la zone d’habitation proprement dite du seigneur du lieu n’a pas été identifiée.
21À l’opposé, de véritables centres proto-urbains, comme celui de Bourges, accueillaient des populations importantes pratiquant des activités artisanales diversifiées. Plusieurs de ces quartiers (ou faubourgs) artisanaux ont été récemment étudiés, voire publiés (Saint-Martin-des-Champs ou Port-Sec) : on y constate, notamment à Saint-Martin-des-Champs, la présence d’un mobilier de qualité, avec d’assez nombreuses importations, qui nous incitent à relativiser la signification de ces objets « exotiques » pour la caractérisation du statut d’un site et de ses habitants, à moins qu’on ne puisse imaginer que les notables de l’agglomération de Bourges résidaient sur place, au milieu des artisans qui travaillaient pour eux ; mais aucune des structures relevées ne semble alors leur être destinée. En revanche, sur le promontoire qui constitue le cœur du complexe, certains éléments de luxe architectural (enduits peints) paraissent suggérer la présence des demeures d’une élite29. Et inversement il est plus logique de supposer, comme le fait P.-Y. Milcent30, que les artisans des quartiers alentours, sans vivre « comme des princes », bénéficiaient d’une certaine prospérité et des largesses de la clientèle aristocratique qui assurait leur subsistance.
22L’analyse du pôle biturige nous fournit peut-être encore, en ce qui concerne les lieux de résidence de l’élite, une autre dimension, puisque la distribution des sépultures et habitats privilégiés met en évidence une organisation hiérarchisée autour de l’agglomération : plusieurs établissements ruraux riches (avec importations méditerranéennes) avoisinent avec de grands tumuli dans un rayon de moins de 5 kilomètres à partir du promontoire, et dans l’orbite directe de celui-ci ; on ne retrouve ensuite le même niveau qu’au-delà de 25-30 kilomètres de Bourges, où toute une série de notables affichent plus facilement leur richesse et leur indépendance vis-à-vis du centre principal, tout en bénéficiant du dynamisme économique qu’il génère dans la région31.
23Plusieurs sites princiers allemands, par la complexité qu’ils nous proposent, pourraient permettre ainsi de percevoir une élite peut-être hiérarchisée en plusieurs strates et de réfléchir aux lieux de résidence respectifs de ces différents niveaux de notables. La question a été posée pour l’environnement de la butte fortifiée de Ipf, dans l’est du Bade-Wurtemberg, où plusieurs formes d’habitats privilégiés hallstattiens se côtoient à quelques kilomètres de distance. Mais on admet aujourd’hui que tous ces sites ne sont pas contemporains : l’habitat groupé du Goldberg, avec son enclos, isolant probablement dans un angle la résidence du seigneur, a pu être, à la fin du Hallstatt D1, délaissé au profit de la butte de Ipf et de ses alentours immédiats32, où coexistent (malgré de légers décalages chronologiques) la hauteur, avec son système complexe de fortifications, et les deux grands établissements enclos de type « Herrenhof » de Kirchheim-Osterholz (Zaunäcker et Bugfled), également pourvus l’un et l’autre de mobiliers exceptionnels (importations méditerranéennes) et d’autres signes de statut élevé (faune démontrant une consommation carnée de qualité). L’hypothèse formulée par les chercheurs33 est celle d’une complémentarité, où la butte fortifiée, qui domine le paysage environnant, tient le rôle de lieu du pouvoir, dont elle est, par sa forme remarquable, le signe visible, tandis que les deux enclos concentreraient les activités économiques et résidentielles (avec une structuration interne qui semble mettre en évidence certains bâtiments34).
24Dans l’ensemble princier de la Heuneburg, également, sur le cours supérieur du Danube, on connaît pour la période d’occupation hallstattienne plusieurs édifices monumentaux qui correspondent à différents secteurs et à différentes phases du complexe et pourraient nous révéler les lieux de résidence de l’aristocratie locale, offrant ainsi certains éclairages sur l’évolution spatiale et sociale du site. Ces constructions ont toutefois fait l’objet d’interprétations divergentes de la part des chercheurs qui se sont intéressés à elles. Comme l’ont bien montré les fouilles des deux dernières décennies, le complexe est organisé autour de plusieurs espaces : la butte ou « acropole » fortifiée est encerclée dès la naissance du site hallstattien par une très vaste « agglomération extérieure », dont on peut aujourd’hui estimer la superficie à près de 100 ha et qui se compose d’unités foncières juxtaposées, sous la forme d’établissements enclos, regroupés en quartiers que délimitent fossés et talus35. Selon Siegfried Kurz, cette division de la « Außensiedlung » pourrait refléter l’installation de clans issus de hameaux des alentours et constitués autour de leur chef. Un système analogue d’enclos est visible aussi, dès le début (Période IVc = début du Hallstatt D1), sur la butte elle-même et S. Kurz suppose une sorte de topographie hiérarchique où les seigneurs les plus puissants s’installent sur la butte, tandis que les chefs de clans secondaires se regroupent au pied de celle-ci. Entre les deux, une fortification avancée « Vorburg » accueille, à partir d’un certain moment, un nouveau groupe qui peut vouloir, par cette nouvelle construction, se mettre à l’écart des autres clans de l’agglomération extérieure et rehausser le prestige de sa résidence, sans pour autant être assez puissant pour accéder à l’acropole.
25Lorsque, un peu plus tard encore, le vaste habitat périphérique est délaissé, le complexe se resserre autour de quatre clans : trois d’entre eux occuperaient sur le plateau supérieur des domaines conçus sur le modèle de l’unité résidentielle attestée par les fouilles sur la bordure sud, qui associe divers modules de bâtiments, dans lesquels on peut reconnaître l’habitation seigneuriale, ainsi que les demeures (et ateliers ?) de ses dépendants36. Le quatrième persisterait à résider dans la « Vorburg ». Les quatre tumuli « princiers » qui se superposent, non loin de la butte, à un secteur de l’ancienne agglomération extérieure, reflèteraient cette répartition entre quatre familles dominantes.
26Pour théorique qu’elle soit encore en partie, cette vision de l’organisation sociale d’un site majeur pour notre réflexion, et des évolutions qu’elle a connues, a le mérite de proposer une réponse globale à la question des lieux de résidence de l’aristocratie de la Heuneburg. Peu de temps auparavant, une autre analyse avait été proposée par Stéphane Verger, mais sur des bases plus partielles, à partir de l’étude d’un grand édifice de plan tripartite sous-jacent à l’un des quatre tertres déjà mentionnés37. Même s’il n’y a pas unanimité sur la nature et les fonctions de ce bâtiment, et si les conclusions de S. Verger ne concordent guère avec celles de S. Kurz, les comparaisons architecturales qu’il avance sont importantes parce qu’elles font référence à des modèles de l’architecture résidentielle méditerranéenne (et plus spécifiquement étrusque) et pourraient nous ouvrir par là un autre champ d’investigations concernant ces grands bâtiments du premier âge du Fer38, qu’il s’agisse de résidences seigneuriales à proprement parler ou d’édifices à fonction de représentation, ces deux destinations n’étant d’ailleurs en rien contradictoires.
L’aristocratie dans les oppida
27Pour rester dans le domaine de l’habitat aggloméré, nous terminerons ce rapide inventaire par un retour sur la question des liens entre oppida et élites à la fin de l’âge du Fer. Si l’on considère le mobilier archéologique associé traditionnellement à l’aristocratie, c’est-à-dire des objets en matériaux précieux, de l’armement, des importations ou des objets liés au banquet, il apparaît que les oppida sont les sites les plus riches pour ce type de mobilier. On peut rappeler les milliers d’amphores retrouvées sur les grands oppida comme Bibracte ou Corent, accompagnées le plus souvent de vaisselle métallique d’origine italique. Pourtant ces découvertes ne sont pas aisées à utiliser pour identifier un habitat particulier, puisque la plupart des amphores ont été recyclées comme matériaux de remploi ou de remblai de construction et se retrouvent donc réparties sur la totalité du site. L’armement peut donner des informations plus précises, même si, bien souvent, il a été retrouvé soit de manière dispersée, soit regroupé dans des zones interprétées comme des dépôts ou des lieux de culte. L’architecture n’a pour l’instant permis de mettre en évidence aucune demeure de l’élite gauloise. Les plans au sol sont bien souvent trop similaires pour permettre une hiérarchisation, et la taille des bâtiments n’est pas non plus pertinente, car derrière un grand bâtiment peuvent se dissimuler des constructions de stockage, des granges ou des hangars. Une piste plus intéressante serait sans doute celle du décor architectural, mais il n’est que rarement conservé.
28Actuellement, les exemples pour lesquels un habitat urbain aristocratique peut être proposé sont peu nombreux. La seule demeure qui puisse être considérée comme une maison aristocratique est la domus PC1 de l’oppidum de Bibracte. Cette habitation présente un plan romain, muni d’un atrium et d’une cour péristyle sur lesquels ouvrent les principales pièces de la demeure. Mais cette domus pose plusieurs problèmes. Si les plans des dernières phases, celles des décennies qui suivent la conquête, sont identifiables avec une demeure aristocratique, la question est plus complexe pour les premiers états de cet ensemble. À l’emplacement de la PC1, qui couvre une surface d’environ 3 500 m2 on connaît quelques aménagements de terre et de bois qui s’inscrivent dans un espace enclos d’environ 800 m2, mais pour lesquels il n’est pas possible, à partir des seules données architecturales, de déterminer le statut des habitants. Gilbert Kaenel s’interroge également sur l’origine des occupants, des Romains ou des Gaulois39 ? Il penche plutôt vers la seconde solution, ce qui semble, par ailleurs, confirmé par l’étude de la céramique et les graffiti. On peut se poser la question si la présence des aristocrates dans les oppida ne s’est pas affirmée après la conquête, avec « l’aboutissement du modèle urbain », comme le propose G. Kaenel, et avec une évolution de l’administration des ciuitates où les villes prennent une place plus importante. La haute noblesse gauloise, avant tout rurale, est alors obligée d’être présente en ville pour pouvoir peser sur le destin de son peuple.
29Sur l’oppidum de Corent, un nombre important d’ensembles architecturaux a été fouillé aux abords du sanctuaire40. Ils se distinguent par une taille plus importante que la moyenne : bordés parfois par des portiques, ils peuvent atteindre plusieurs centaines de mètres carrés et sont liés à une cour périphérique qui renferme des bâtiments annexes. Mais encore une fois, c’est surtout le mobilier trouvé à leur contact qui permet de proposer un statut élevé de ces ensembles. On y a, en effet, mis au jour des éléments d’armement, des pièces de chars, des bijoux en métaux précieux et dans deux cas même des crânes humains. Tous ces éléments permettent de caractériser l’aristocratie gauloise. Ce secteur de l’oppidum de Corent se distingue par une complexité et un enchevêtrement de bâtiments qui se différencient des aménagements beaucoup plus aérés connus sur les autres oppida de Gaule. Mais doit-on interpréter cette organisation de l’habitat comme le reflet du statut des habitants de ce quartier ou peut-on simplement l’expliquer par sa situation topographique, au cœur même du site, à proximité immédiate des édifices publics ?
Les agglomérations ouvertes
30S’il faut compter avec la présence de l’aristocratie sur les oppida, qu’en est-il pour les agglomérations ouvertes ? Cette question est d’autant plus pertinente qu’un certain nombre d’oppida sont issus directement de ces agglomérations, comme l’atteste l’exemple de Manching, qui est un important centre artisanal et économique dès le début du iie s. av. J.-C., période à laquelle se met en place l’ensemble de l’organisation interne avec rues et îlots, et qui ne sera muni d’un rempart que dans le dernier tiers du iie s. av. J.-C.41 Il est difficile d’imaginer que l’aristocratie ne s’est installée sur l’oppidum principal des Vindélices qu’après la fondation de ce dernier. La même question se pose en Gaule avec des sites comme Châteaumeillant42, Besançon43 ou encore Orléans44, qui ont connu chacun une importante phase d’occupation avant la création de la ville fortifiée. Mais même si on peut soupçonner la présence de la noblesse sur ces sites, rien ne permet pour l’instant d’être plus précis quant à la forme de leurs demeures, ou l’existence d’un éventuel quartier, où l’habitat des élites pourrait avoir été regroupé.
31La question est encore plus complexe, si l’on regarde des agglomérations qui n’ont pas donné naissance à un oppidum. À Verdun-sur-le-Doubs, par exemple, les activités artisanales et commerciales dominent. Plus de 340 amphores ont pu être répertoriées pour une surface de fouille modeste. L’objet le plus marquant est sans doute une entrave en fer de type Chalon, entière, avec la clef en place dans le cadenas45. Ces entraves sont mises en relation avec la présence, voire le commerce, d’esclaves. Le lien avec l’aristocratie n’est cependant pas évident et rien n’indique qu’un aristocrate habitait à Verdun. Cette entrave a pu se retrouver sur le site pour de multiples raisons. Elle peut, d’abord, y avoir été simplement fabriquée, l’artisanat du fer ayant été clairement mis en évidence sur le site. Elle peut également refléter le commerce d’esclaves, contrepartie régulièrement évoquée à l’importation d’amphores vinaires. En aucun cas, elle n’implique la présence de la noblesse sur place. Le statut des amphores relance la question de savoir qui consommait du vin au iie siècle en Gaule. Si la découverte d’amphores dans des zones comme l’Armorique ou la Gaule Belgique implique, vue leur rareté, la richesse des acheteurs, une zone comme la vallée de la Saône en territoire éduen fonctionne différemment : sans que l’on puisse considérer le vin comme un boisson quotidienne, sa consommation était ici, sans doute, plus largement répandue.
32La confrontation de ces différents types d’habitat aristocratique, sur une période assez longue, nous permet sans doute d’approcher certains aspects de la société gauloise. La noblesse y était avant tout terrienne et rurale, regroupant autour d’elle une population d’agriculteurs et de guerriers. Épisodiquement, l’apparition de nouvelles conditions économiques a pu amener ces chefs à se regrouper en plusieurs clans juxtaposés, comme cela peut être le cas dans l’agglomération extérieure de la Heuneburg. Mais au sein même de ces regroupements, l’unité de base reste le domaine foncier. C’est petit à petit seulement qu’ils se sont approprié la ville, après quelques expériences proto-urbaines au ve s. av. J.-C., et même si l’impulsion qui a donné naissance aux oppida a dû venir en partie de ces aristocrates, la plupart d’entre eux devaient rester proches de leur terroir. Mais le développement urbain a pu s’accompagner aussi de la montée en puissance d’une nouvelle aristocratie, à l’image des deux frères éduens, Dumnorix et Divitiacos, pour lesquels César à aucun moment ne mentionne une origine illustre. Dumnorix donne de lui l’image d’un nouveau riche, qui doit sa fortune et sa puissance aux fermages qu’il contrôle, et qui n’a de cesse de vouloir marier sa famille aux clans les plus nobles de la Gaule. La disparition de grands domaines aristocratiques, comme Batilly-en-Gâtinais ou les Natteries, dans la première moitié du ier s. av. J.-C., témoigne peut-être de cette évolution au sein de l’élite et de l’apparition d’une nouvelle classe aristocratique, définitivement urbaine.
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Notes de bas de page
1 Kimmig, 1969 et 1997.
2 Buchsenschutz – Ralston, 2012 : 359-360. On ne retient plus guère aujourd’hui l’hypothèse selon laquelle les oppida seraient nés à l’instigation des artisans qui y installent leurs activités, et en réaction au pouvoir de l’aristocratie
3 Malrain & al., 2002.
4 Menez, 2009. Une présentation critique des critères définis par F. Malrain, puis Y. Menez est développée dans les Mélanges en hommages à Olivier Buchsenschutz (Fichtl, 2013).
5 « Précédemment, les Allobrigoi (Allobroges), par dizaines de milliers, passaient leur temps en expéditions guerrières. Aujourd’hui, ils cultivent les plaines et les vallons des Alpes. Ils vivent en villages sauf les plus illustres d’entre eux qui, installés à Vienna (Vienne), ont fait de celle-ci – qui n’était précédemment qu’un village quoique portant déjà le titre de metropolis de ce peuple – une ville bien équipée. Vienne est située sur le Rhodanos. » (Str. 4.1.11 ; traduction Ch. Goudineau).
6 « Ce fut [pour Ambiorix] une grande chance que d’échapper personnellement à la mort, tout en perdant la totalité de son équipement militaire, ses chars [reda] et ses chevaux. Voici comment cela se fit. Sa maison [aedificium] était entourée de bois, comme presque tous les habitats des Gaulois qui, pour éviter la chaleur, recherchent le plus souvent le voisinage des forêts et des rivières ; ses compagnons et ses amis [comites familiaresque] purent soutenir quelque temps, dans un passage resserré, l’assaut de nos cavaliers. » (Caes. BG 6.30.2-3 ; traduction d’après Perrin – Decourt, 2002).
7 « On apprit bientôt par des déserteurs qu’une autre troupe de quatre cents hommes, après avoir pris position dans le domaine [uilla] de Cruptorix, jadis à notre solde, avaient craint une trahison et s’étaient frappés mutuellement. » (Tac. Ann. 4.73.8 ; traduction d’après Perrin – Decourt, 2002).
8 Reichenberger, 1994 ; Leidorf, 1996.
9 Nagler-Zanier, 1999 : plan fig. 4 et restitution fig. 17.
10 Kas, 2006 : 90, fig. 17.
11 Schussmann, 2010 : 159-160.
12 Jahier - Vautherin, 2011 : 100-106.
13 Desbrosses & al., 2009 ; Desbrosses – Riquier, 2012.
14 Villes, 1999 : 61, fig. 38.
15 Desbrosses & al., 2009 : 421.
16 Valais, 1994.
17 Maguer, 2007.
18 Toledo i Mur, 1999 ; Poux, 2004 : 481-487.
19 Fichtl, 2009 ; 2010.
20 Ferdière & al., 2010.
21 Neth, 1998 ; 1999.
22 Wieland, 1999 ; Von Nicolai, 2009.
23 Schindler, 1977.
24 Menez, 2009.
25 Buchsenschutz, 2000.
26 Mötsch, 2011 : 116-134 ; Chaume – Mordant, 2011, vol. 2 : 385-838.
27 Milcent, 2012 : 96-101.
28 Adam, 2010 : 368-371.
29 Augier & al., 2007 : 135-147.
30 Milcent, 2007 : 257-258.
31 Voir le détail de l’analyse territoriale proposée par Milcent, 2007 : 266-268.
32 Krause & al., 2010 : 171-172 ; 200, fig. 28.
33 Krause & al., 2010 : 201-202.
34 Notamment sur le site de Bugfeld : Krause & al., 2008 : 265-271.
35 Kurz, 2010 : 247-249.
36 Kurz, 2009 : 156 ; fig. 6 ; 2010 : 250-254 ; 2012.
37 Verger, 2007-2008.
38 Différentes comparaisons avec des architectures palatiales ou résidentielles méridionales ont été proposées à propos du grand édifice à abside du Mont-Lassois : Mötsch, 2011 : 129-132.
39 Kaenel, 2006 : 35.
40 Poux, 2011 : 65-72.
41 Sievers, 2003.
42 Krausz, 2009.
43 Barral & al., 2011.
44 Massat, 2009.
45 Barral, 2010 : 117, fig. 60.
Auteurs
Université de Strasbourg
UMR 7044 ArchHiMedE
Université François Rabelais de Tours
AE 6298 CETHIS
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