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Les historiens et l’avenir

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Régis Bertrand
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Maryline Crivello
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Jean-Marie Guillon

Visions d’avenir ?

La « loi agraire » ou le rêve d’un avenir égalitaire à Arles pendant la Révolution

Patricia Payn-Echalier

Texte intégral

  • 1 Jean-Jacques Clère, « Loi agraire » dans Albert Soboul, dir., Dictionnaire historique de la Révolut (...)
  • 2 Albert Mathiez, La vie chère et le mouvement social sous la Terreur, t. I, Paris, 1973 (éd. or., 19 (...)
  • 3 Voir sur le rôle de la paysannerie pendant la Révolution, Florence Gauthier, « Une révolution paysa (...)
  • 4 Votée le 21 octobre 1789 pour assurer la liberté du commerce des grains, elle fut complétée le 23 f (...)

1La « loi agraire » est selon l’expression de Jean-Jacques Clère, « un mot mythique, transfiguré et dont il n’est pas facile de saisir la portée exacte1 ». On sait que l’« expression » apparaît dans le pays dès après le 10 août et la chute de la royauté, avec le sens général, repris du temps des Gracches, de partage des propriétés. Les sans-culottes, depuis cette date, « se disaient qu’après la suppression du privilège de la naissance, le tour était venu de la suppression du privilège de la richesse2 ». En Normandie, dans le Berry, en Île de France, à Lyon, Orléans…, dès l’automne 1792, des voix s’élevaient pour demander la taxation des subsistances, prêcher la loi agraire et viser à l’égalité de fait par un partage égal des fortunes. Ces revendications étaient concomitantes aux débats qui se tenaient dans la toute jeune Convention, relatifs à l’application de la législation agraire des 14-28 août 17923 favorable au mouvement paysan, mise en place par la Législative. Leur poids ne fut cependant pas suffisant puisque la Convention girondine reconduisit la politique de liberté illimitée du commerce des grains et la loi martiale4 qui devait l’assurer. Dans la sphère dirigeante, en effet, peu envisageaient un bouleversement complet de l’ordre social passant par l’abolition de la propriété ; adeptes de la liberté économique, ils condamnaient la « loi agraire », et, le 18 mars 1793, la Convention girondine décréta la peine de mort contre ses partisans.

  • 5 René Baehrel, Une Croissance : la Basse Provence rurale (fin xvie siècle-1789), SEVPEN, 1961, p. 39 (...)
  • 6 Rémi Venture, « Le chef mythique des Monnaidiers et premier maire, Antonelle », dans La Révolution (...)
  • 7 La Roquette est le quartier qui se trouve au sud-ouest d’Arles, traditionnellement celui des pêcheu (...)
  • 8 Voir l’étude chiffrée de la composition sociale des partis chiffoniste et monnaisier, Fabio Sampoli (...)
  • 9 Pierre Serna, Antonnelle, aristocrate révolutionnaire, 1747-1817, Paris, 1997.

2Arles est pour l’étude des attestations des revendications de « loi agraire » un site intéressant. En effet, son vaste terroir appartient en presque totalité à de grands propriétaires terriens. En 1791, nobles et bourgeois confondus possèdent en Trébon 50 % de la valeur de la terre, 61 % dans la Crau et 71 % en Camargue5. Les biens du clergé, de l’ordre de Malte en particulier, sont devenus alors biens nationaux, de même que certains « mas » (domaines fonciers) appartenant à des nobles ou des bourgeois qui ont émigré. D’autres possédants, restés sur place, se trouvent dans le parti chiffoniste ; se regroupent sous ce terme, outre des aristocrates et des bourgeois issus des Lumières qui adhérèrent aux idéaux révolutionnaires avant que l’anticléricalisme exacerbé du maire Antonelle et de ses amis ne les « jettent dans les bras de la contre-révolution6 », un nombre non négligeable d’artisans de la Hauture ; peu à peu les rejoindront des républicains modérés, effrayés de ce qu’ils considèrent comme les excès des républicains engagés, rassemblés, eux, sous le nom de Monnaidiers, du nom d’une rue du quartier de la Roquette7 qui est leur fief8. Par ailleurs, le ci-devant marquis d’Antonelle9, maire d’Arles entre février 1790 et juin 1791, est un personnage essentiel de la vie politique locale de cette période ; or il sera impliqué en 1796 dans la Conjuration des Égaux de Babeuf. Il n’est donc pas négligeable d’examiner ses positions sur ce point, voire son influence auprès des jacobins arlésiens.

  • 10 Émile Fassin (1842-1922). Voir Pierre Fassin, BMA, A 46648, Une famille arlésienne depuis le xviie  (...)

3Émile Fassin10, avocat, républicain, passionné par l’histoire de sa ville, écrivit, dans les années 1890, le Journal de la Révolution. C’est au travers des documents rassemblés dans cet ouvrage que nous avons suivi les aspects que revêtirent, au cours de la Révolution, les différentes formes du mouvement paysan et les aspirations à une société égalitaire que les milieux les plus pauvres appelaient de leurs vœux.

  • 11 Paul Allard, art. cit., p. 16.
  • 12 Loc. cit.
  • 13 Émile Fassin, BMA, ms 2352 vol. 2, p. 161.
  • 14 Ibid., p. 194. Déclaration de la Municipalité du 09/12/1791.

4« Le cahier de doléances des paysans, laboureurs, travailleurs de la terre du pays d’Arles11 » souligne déjà ces dernières : « répartition égale des impôts sur tous les propriétaires capitalistes du royaume12 », fin des droits féodaux et conservation des communaux usurpés au cours du siècle par la réaction seigneuriale. Les explosions de colère paysanne contre les seigneurs qui marquent le début de la Révolution résultent pour beaucoup de l’accaparement des bois et de la restriction des droits de glanage et de vaine pâture. Ainsi, dès août 1790, l’érudit arlésien Émile Fassin relève « qu’on dénonçait à la Municipalité que des malveillants fauchaient des près et défrichaient des herbages en prétendant à tort que c’étaient des communaux ou des pâtis13 », en décembre 1791, ce sont les bois de la Crau qui sont dévastés par les travailleurs agricoles14. On retrouve ici les formes prises, dès la Grande Peur de l’été 1789, par la lutte du monde rural contre la féodalité ; si l’on peut considérer la reprise en 1790 de ces manifestations comme une réaction aux décrets de l’Assemblée Constituante favorables aux seigneurs : la loi martiale en février et l’obligation de rachat collectif des droits féodaux en mars, les défrichements sauvages de la fin 1791 sont liés aux événements locaux, c’est-à-dire la prise du pouvoir municipal en juin par les Chiffonistes, parmi lesquels se trouvent les grands propriétaires, et l’éviction des Monnaidiers et du maire Anthonelle.

  • 15 Florence Gauthier, art. cit., p. 5. L’auteur y souligne, en particulier, que, au début du xxe siècl (...)
  • 16 Florence Gauthier, art. cit., p. 5.
  • 17 Celle du 10 août 1792 et celle des 31 mai-2 juin 1793.
  • 18 Florence Gauthier, art. cit., p. 7.

5Un bref retour en arrière s’impose pour comprendre le rôle essentiel joué par la paysannerie dans la Révolution française, rôle que l’historiographie avait quelque peu laissé dans l’ombre depuis un siècle et demi15. Dans la foulée de la transformation des États Généraux en Assemblée Constituante qui transféra la souveraineté du roi de droit divin au peuple, les paysans, qui représentaient 85 % des 26 à 28 millions des habitants du royaume à la veille de la Révolution16, se lancèrent dans l’action en juillet 1789 : les émeutes, connues sous le nom de Grande Peur, eurent un caractère anti-monarchique, anti-ecclésiastique et surtout anti-féodal. La nuit du 4 août répondit aux aspirations paysannes, mais les décrets, publiés le lendemain, introduisant le rachat des droits féodaux abolis le 4, « quatre ans de guerre civile et deux révolutions17 suivirent avant que la législation réponde favorablement à la paysannerie18 ».

  • 19 Émile Fassin y consacre deux volumes : BMA, ms 2356, Arles révolutionnaire, la conspiration chiffon (...)

6L’affaire de 1792, qualifiée par Fassin de Conspiration chiffoniste19, marque les débuts de la multiplication des désordres dans la campagne arlésienne. La première mention de la « loi agraire », que l’on peut considérer comme l’expression d’une ébauche de programme ou au moins d’une revendication à caractère politique, se trouve dans la copie d’un Mémoire, publié plus d’un an après les faits, par la commune le 8 floréal an III (27 avril 1793), pendant la période des Sections, c’est-à-dire à un moment où le pouvoir communal est revenu aux mains des Chiffonistes. Ce document met en relation l’expédition Marseillaise contre Arles en mars 1792 et la prédication de la « loi agraire » :

  • 20 Émile Fassin, BMA, ms 2361. Copie du mémoire de la commune faite par Louis Mège sur la copie de ce (...)

Arles compte dès cet instant sa ruine et ses malheurs : assassinats, pillages, contributions forcées, réquisitions arbitraires, violation des personnes, des prêtres, de la pudeur, incarcération des meilleurs citoyens, la prédication de la loi agraire20.

7Le récit se poursuit et dénonce la mise en exécution du décret du 20 mars 1792, à l’origine de l’envoi de jacobins marseillais armés contre Arles en rébellion, montrant son lien direct avec les exactions commises dans la campagne :

  • 21 Ibid. Sur les troubles dans les campagnes en 1792, voir Anne-Marie Duport, « De la spontanéité à la (...)

les brigands que les bâtiments de mer avoient apportés joints a ceux d’Arles se répandirent dans la Camargue, Plan du Bourg, Trébon, rançonnèrent les agriculteurs, dévastèrent les granges, pillèrent, se partagèrent en plein jour leurs rapines21.

  • 22 Émile Fassin, BMA, ms 2352, vol. 5, Le Vieil Arles, « 1793, Journal de la Révolution », op. cit.

8Puis Émile Fassin signale que le 30 janvier 1793, la municipalité, monnaidière cette fois, qui craint des troubles à l’annonce de la mort du roi, déclare avoir appris que « certains ennemis du bien public et de la République se permettent de ravager les campagnes, couper et arracher les arbres et de faire toute sorte de dégâts » dans le terroir d’Arles22 et décide des poursuites contre les malveillants dénoncés.

  • 23 Florence Gauthier, art. cit., p. 20.

9À la chute des Girondins, au début de l’été 1793, la Montagne est soutenue par la majorité à la Convention. Sa première initiative est la mise en application d’une législation agraire répondant aux attentes du mouvement paysan. : vente de biens nationaux en petits lots, suppression, sans rachat, du domaine des censives, retour aux communes des communaux usurpés, destruction des titres de propriétés des seigneurs, partage égal des héritages entre les héritiers. Autre vaste chantier pour la Convention montagnarde, celui des subsistances ; elle y répond par le programme du Maximum, la liberté illimitée du commerce des grains et la loi martiale qui l’accompagnait étant supprimées23.

  • 24 Émile Fassin, BMA, ms 2352, vol. 5, Le Vieil Arles…, op. cit., Adresse du procureur de la commune a (...)

10 Cependant, en juillet de cette même année 1793, le procureur de la commune demande une surveillance des « personnes qui dévastent les domaines des Devents et requiert de s’opposer à la constitution des défrichements qui s’y font24 ». Les troubles n’ont donc pas cessé mais la ville, fédéraliste, a retrouvé une municipalité chiffoniste ou du moins modérée ; le monde rural qui ne peut alors envisager de bénéficier des mesures légales prises par une Convention que les fédéralistes ne reconnaissent plus, maintient sa pression politique.

  • 25 Jean-Maurice Rouquette, dans « Pierre Véran », dans La Révolution arlésienne, catalogue de l’exposi (...)
  • 26 Paul Allard, « Chiffonistes et Monnaidiers », dans La Révolution arlésienne..., op. cit., p. 71.
  • 27 Émile Fassin, BMA, ms. 2352 vol. 6, p. 117. Récit recueilli par Pierre Véran de la bouche d’une per (...)
  • 28 BMA, B 7027. Liste des différents maires d’Arles de septembre 1793 jusqu’à la suspension de la muni (...)

11En 1794, la révolte fédéraliste a été réduite et la cité est à nouveau dirigée par les Jacobins. Pierre Véran25 rapporte que, lors de la commémoration anniversaire du 14 juillet 1793, le Monnaidier Paris, proche des Hébertistes, – que Robespierre, dans sa lutte contre les factions, avait fait guillotiner en mars –, et directeur du « Père Duchesne du Midi26 », montant sur un puits « prêcha, selon sa coutume, le massacre, le pillage et la loi agraire27 » ; puis, c’est au tour du maire de la ville, Dominique Perrier28, d’être mis en cause par le même Pierre Véran dans ses mémoires :

  • 29 Pierre Veran, BMA, ms 2366, non paginé, Ma conduite pendant la Révolution ou Petite histoire de la (...)

à la campagne, [écrit-il], des objets de culte de l’église du Sambuc sont livrés aux flammes autour desquelles Perrier, maire, Martin fils aîné, avocat, et Sevrier, ci-devant trinitaire faisaient la farandole aux cris de « Ça ira ». Perrier monta en chaire et prêcha au peuple l’assassinat des riches et la loi agraire29.

  • 30 Extrait du journal de l’étude de Jacques Honoré Bonasse, cité par Émile Fassin, BMA, ms 2352 vols. (...)
  • 31 Voir Claude Mazauric, Babeuf écrits, Textes choisis de Gracchus Babeuf, Clamecy, Le temps des Ceris (...)
  • 32 En cela, par la recherche de moyens concrets pouvant amener l’égalité de fait, il dépasse la pensée (...)

12La chute de Robespierre, quelques jours après ces manifestations, met fin à la Terreur mais, en même temps, brise l’élan démocratique de la République. Après les Girondins puis les Montagnards, c’est au tour de la Plaine de dominer la Convention ; les Thermidoriens, farouchement hostiles aux idées démocratiques et égalitaires de la Constitution de 1793, l’ignorent et en rédigent une nouvelle dont la séparation stricte des pouvoirs devait rendre impossible toute dictature. La période octobre 1794-mars 1795 voit la proscription des Jacobins et des sans-culottes, la Terreur Blanche se met en place. La suppression du Maximum et de la réglementation entraîne une inflation massive, l’assignat s’effondre30. La colère populaire gronde dès décembre 1794 et l’hiver 1794-95 voit la montée de la révolte. Le peuple s’appuie sur les rescapés de la répression thermidorienne. Babeuf31, constatant qu’il y avait deux partis en présence : le « peuple doré » et le « peuple sans-culotte », appelle à l’insurrection dans le numéro du 9 pluviôse an III (28 janvier 1795) de son Tribun du Peuple ; arrêté, il passe dans la clandestinité. L’échec des journées de germinal et de prairial an III (avril et mai 1795) au cri de « Du pain et la Constitution de 1793 » fait disparaître les sans-culottes de la scène politique au bénéfice des bourgeois notables de 1789. Au lendemain de Vendémiaire, cependant, les Jacobins bénéficient d’une relative tolérance à leur égard et la liberté de la presse retrouvée fait à nouveau fleurir des journaux comme le Journal des Hommes Libres de Duval ou le Tribun du peuple de Gracchus Babeuf. Dans son article de novembre « Qu’est-ce-qu’une révolution politique en général ? Qu’est-ce, en particulier, la Révolution Française ? », ce dernier dénonce le caractère antidémocratique de la constitution de l’an III (1795). Passé à nouveau dans la clandestinité, Babeuf expose dans le « Manifeste des plébéiens » publié dans le Tribun du peuple du 9 frimaire an IV (30 novembre 1795) son programme : renonçant à la loi agraire32, vers laquelle, à la lumière de son expérience de la paysannerie de sa Picardie natale, il penchait – son Cadastre perpétuel de 1789 expose ses vues sur le sujet –, car, dit-il, celle-ci « ne peut durer qu’un jour », il se prononce pour l’abolition de la propriété privée des fonds ;

  • 33 Cité par Albert Soboul, La Révolution française, Éditions sociales, 1988, p. 450.

pour arriver à l’égalité de fait, le seul moyen est d’établir l’administration commune, de supprimer la propriété particulière, d’attacher chaque homme au talent, à l’industrie qu’il connaît, de l’obliger à en déposer le fruit en nature au magasin commun et d’établir une simple administration des subsistances qui, tenant registre de tous les individus et de toutes les choses, fera répartir ces dernières dans la plus scrupuleuse égalité33.

  • 34 Ibid., p. 453.

13Pendant l’hiver de l’an IV (1795-96), Babeuf, devant la misère extrême du peuple, décide de « jeter bas par la violence l’édifice social34 », la Conjuration des Égaux prend corps.

  • 35 Émile Fassin, BMA, ms 2352, vol. 7, 1795-96, p. 239.

14 Les échos de désordres dans la campagne arlésienne se multiplient en ce début d’année 1796 : le 27 janvier, la municipalité fait part de son inquiétude au ministre de la Police : « le désordre est à son comble dans la commune. Le système de la loi agraire y est ouvertement mis en pratique35 ». Dans la lettre du ministre de la police générale de la République au citoyen Pellissier, commissaire du directoire exécutif près l’administration des Bouches-du-Rhône, de février 1796, on peut lire :

  • 36 Ibid., p. 241.

il se commet dans la commune d’Arles les plus graves attentats sur des propriétés particulières et publiques. En plein jour, six arbres de la promenade publique coupés, les mûriers le long du canal de Craponne, la statue de la Vénus d’Arles qui était sur le perron de l’hôtel commun abattus… les propriétés de la citoyenne Astier et du citoyen Peyras ont été violées et… l’on prêche ouvertement dans cette contrée le système de la communauté des biens36.

15Dans son numéro du 7 germinal an IV (27 mars 1796), le Gardien de la Constitution, publie :

  • 37 Ibid., p. 239.

Arles, 23 ventôse (13 mars), le vandalisme, le pillage et la terreur continuent à désoler cette commune… Un nouveau domaine national, appelé Latilon de l’émigré Faucon, vient d’être dévasté de tous ses bois, des bandes de marins et de paysans s’y étant établis, ont bientôt tout abattu et transporté leurs vols à Arles, à Cette, à Agde et même à Montpellier. Le nombre de fermiers ruinés s’accroît à tout instant… des hordes de marins et paysans attroupés comme des corbeaux autour des cadavres sont sortis spontanément du vaste domaine de Mas Thibert et de la Crau ; ils ont parcouru les champs, pillant, enlevant sous les yeux des bergers désolés les troupeaux morts, assommant ceux qui respiraient encore37

  • 38 Le journal du capitaine marin Pierre Giot qui, contre toute attente, au vu de sa profession, est co (...)
  • 39 Dans la nuit du 24 au 25 décembre 1795, les patriotes sortis de prison s’arment et renversent la mu (...)

16Ce texte met bien en évidence ces fameuses bandes de pillards, marins et paysans confondus, évoquées par le capitaine marin Pierre Giot38 dans son Journal, qui sèment la terreur dans le mas – où il a trouvé refuge après les événements de la nuit de Noël 179539 –, tout comme dans le reste du terroir :

  • 40 Pierre Giot BMA, ms 2394, fo 31. Giot ajoute qu’il reste encore quelques jours au mas et, « voyent (...)

sur le 8 heure du soir avoit passé une patrouille d’une vingtene de brigand de toutes espèces qui voullent entré dans le mas… Les intentions de ses voleurs étoient de piller tout ce qui auroit pu comme ils avoit fait aux autres mas qui avoit passé40

  • 41 Le terme apparaît alors pour la première fois dans le manuscrit d’Émile Fassin.
  • 42 Émile Fassin, BMA, ms 2352, vol. 7, 1796, p. 181 bis.

17Les tentatives faites par les autorités pour mettre un terme à la situation dans la campagne se soldent par des échecs : en février 1796, l’assesseur du juge de paix de l’arrondissement de l’Obélisque, requis de se rendre au mas de la Tour de Molleges pour arrêter les voies de fait des « agrariens41 », se voit entouré de quatorze d’entre eux, qui le somment de partir s’il ne veut recevoir des coups, disant « que la citoyenne Gras, veuve Astier, propriétaire du domaine, en a joui assez longtemps et que c’est leur tour42 ». D’autres « agrariens », au nombre de quarante cette fois, rapporte-t-il en outre, s’emparent d’une partie des terres du mas de l’Hoste et se mettent à les défricher. Les bois de l’Attilon et autres sur les deux rives du Rhône sont envahis et dévastés. Le 8 mai 1796, l’administration elle-même dénonce au juge de paix les dévastations commises sur les domaines de Montlong et d’Arbaud en Camargue, puis le glanage qui sert de prétexte aux femmes pour piller les récoltes et que l’administration de la ville avait déjà tenté de contrôler en 1794 et enfin, les voies de fait :

  • 43 Pierre Veran, cité par Émile Fassin, BMA, ms 2352, vol. 7, 1796, p. 193.

au mas d’Arbaud mais aussi en Crau au mas Martin près du Grand Clar, les brigands mirent tout à sac après avoir ligoté les habitants en les menaçant de mort43.

  • 44 Voir Pierre Serna, op. cit.
  • 45 Son élection à cette Assemblée en 1791 est l’occasion pour les marins de la ville de lui rendre hom (...)
  • 46 L’hôtel particulier d’Antonelle se trouve dans la rue de la Roquette au no 30.
  • 47 Voir Pierre Serna, op. cit., p. 433-441.

18Pendant ce temps à Paris, les conjurés constituent un Comité insurrectionnel le 10 germinal an IV (30 mars 1796), composé de Babeuf, Buanarroti, Antonelle, Darthé, Félix Lepeltier et Sylvain Maréchal. L’un de ces personnages mérite une attention particulière dans le contexte arlésien, Pierre Antoine d’Antonelle44. Premier maire d’Arles en 1790, ancien membre de l’assemblée Législative45 et juré au tribunal révolutionnaire, il jouit d’une profonde considération auprès des sans-culottes arlésiens, lui qui les connaît si bien puisqu’il a vécu auprès d’eux au sein même du quartier de la Roquette46. Pour mesurer l’aura dont il bénéficie de leur part, il n’est qu’à mentionner les célébrations qui marqueront à Arles son admission au Conseil des 500 en juillet 1799 (elle sera refusée en septembre de la même année par le Conseil des Anciens), celles qui soulignent son retour d’exil en 1801 et enfin l’émotion que soulèvent ses obsèques houleuses à Arles en 181747. Au sein des Égaux, Babeuf et Antonelle sont toutefois divisés. Leurs opinions sont développées et diffusées par voie de presse, celles d’Antonelle dans deux lettres parues, l’une dans le no 9 de L’Orateur plébéien, l’autre dans le no 144 du Journal des Hommes Libres dont Antonelle est alors le rédacteur en chef.

  • 48 Cité dans Alfred Sudre, Histoire du communisme ou réfutation historique des utopies, Paris, 1848, p (...)

Babeuf et moi, disait-il, nous parûmes un peu tard au monde l’un de l’autre, si nous y vînmes avec la mission de désabuser les hommes sur le droit de propriété. Les racines de cette fatale institution sont trop profondes et tiennent à tout, elles sont désormais inextirpables chez les grands et vieux peuples. Tout ce qu’on peut espérer atteindre c’est un degré supportable d’inégalité entre les fortunes et des lois contre l’ambition et l’avarice48.

  • 49 Claude Mazauric, op. cit., p. 73, indique que « Babeuf tira parti des interrogations, peut-être tél (...)

19 Babeuf, à son tour, de lui répondre49 :

  • 50 Ibid., p. 329. En outre, Pierre Serna (op. cit., p. 30) montre combien les idées d’Antonelle et de (...)

Ne fallait-il pas que le temps eût rendu manifestes tous les maux qui découlent de cette détestable institution, pour que l’on en vînt à l’abolir ? Ne fallait-il pas que le peuple, le grand nombre, fût dépouillé, rançonné par les propriétaires, pour sentir toute la portée de la parole de Rousseau : « Les fruits sont à tous, la terre à personne » ? On prétend que la propriété ne saurait être déracinée chez les grandes nations qui la subissent depuis une longue suite de siècles. Quoi donc ! La révolution n’a-t-elle pas prouvé que le peuple français, pour être un grand et vieux peuple, n’en est pas moins capable de modifier profondément son organisation sociale ? N’a-t-elle pas tout changé depuis 1789, excepté la seule institution de la propriété50 ?

  • 51 L’aile radicale des patriotes arlésiens est bien connue pour son attachement à Marat : Michel Vovel (...)
  • 52 Sur le rôle des courses de taureaux dans les fêtes populaires arlésiennes, voir Rémi Venture, « La (...)
  • 53 Le complot avait des ramifications dans les principales villes de France pour éclater partout à la (...)

20Babeuf emporte, semble-t-il, par ces propos l’adhésion d’Antonelle et sa participation au Comité insurrectionnel. Le secret de la conspiration ne fut pas réellement bien gardé puisque, d’une part, les Conseils, renouvelant le décret du 18 mars 1793, décrètent le 26 germinal (16 avril 1796) la peine de mort contre ceux qui provoqueraient le pillage et le partage des propriétés particulières sous le nom de « loi agraire », d’autre part, le 10 mai 1796 (avant même de savoir que les conjurés ont été arrêtés) les « terroristes » arlésiens, nous rapporte Pierre Véran, « parcourent la ville aux cris de Vive Marat51 et Vive Robespierre, annonçant que le 19 mai il y aurait dans Arles course de taureaux52 et beaucoup de viandes pendues » et, ajoute-t-il, (ici, nous pouvons nous demander si les dates n’ont pas été opportunément précisées), « ils faisaient allusion à un massacre projeté qui se rattachait probablement à la Conspiration de Babeuf53 ». Peu avant, en germinal, la municipalité jacobine de la ville avait écrit au Ministre de la Police pour démentir les accusations portées contre les terroristes et les agrariens et, le no 182 du Journal des Hommes Libres en date du 10 floréal (29 avril 1796), publiait ces lignes :

  • 54 Émile Fassin, BMA, ms 2352, vol. 7, op. cit., p. 192 bis. On notera que cet article paraît pendant (...)

Arles, 28 germinal an IV, dénonce les déserteurs, émigrés, prêtres réfractaires… comme auteurs des troubles ; calomnie et poignards ne sont pas les seules armes utilisées par les honnêtes gens. Répandus dans les campagne, ils pillent, ravagent, incendient même leurs propriétés et tentent de rejeter sur les patriotes le mal qu’ils commettent eux-mêmes54.

21Ces deux textes nous donnent une idée des interprétations opposées auxquelles donnent lieu les événements. Chiffonistes et Monnaidiers s’accusent mutuellement des troubles ; ce qui reflète probablement la vérité : ceux-ci ne sont certainement pas uniquement le fait de la faction jacobine la plus radicale de la population mais certains peuvent très vraisemblablement être portés au crédit des contre-révolutionnaires qui alors accueillent volontiers dans leurs rangs des individus auxquels les qualificatifs de « brigands », « assassins » etc. donnés aux sans-culottes les plus enragés, conviennent fort bien.

  • 55 Robert Legrand, Babeuf et ses compagnons de route, Sociétés robespierristes, Paris, 1981, p. 251-25 (...)
  • 56 Acte d’accusation dressé par le jury d’accusation du département de la Seine contre Gracchus Babeuf (...)
  • 57 Robert Legrand, op. cit., p. 254. Après l’attentat de la rue Saint-Nicaise, 130 républicains sont d (...)
  • 58 Cité par Robert Legrand, op. cit., p. 271.

22Dénoncée par un des leurs, la Conjuration avorte, Babeuf et Buonarroti sont arrêtés ce même 10 mai 1796 et leurs papiers saisis ; transférés à Vendôme, le procès des 65 prévenus55 est ouvert devant la Haute Cour fin février 1797 et dure 3 mois. Dans l’acte d’accusation du département de la Seine contre Gracchus Babeuf et les membres de la Conspiration du 22 floréal an IV (11 mai 1796), Antonelle est présenté comme représentant du département des Bouches-du-Rhône sur la liste de la nouvelle convention formée par les conspirateurs. Il est ajouté : « il s’est soustrait à l’exécution des mandats d’amener et d’autres décrétés contre lui56 ». Dans la défense présentée par Buonarroti, seuls vingt-quatre conjurés auraient réellement trempé dans la conjuration, cinq y auraient indirectement participé et tous les autres y auraient été totalement étrangers. Le procès s’achève par la condamnation à mort de Babeuf et Darthé, la condamnation de huit prévenus à la déportation dont Buonarroti (détenu d’abord à Cherbourg puis dans l’île d’Oléron) et l’acquittement de cinquante-quatre autres dont Antonelle57. Le Moniteur no 243 du 3 prairial an V (22 mai 1797) souligne, qu’au cours du procès, Antonelle invite les accusés à se réconcilier avec les Français et à se rallier à la Constitution ; ces propos ont certainement joué en la faveur de son acquittement58.

23Le calme ne revient pas aisément à Arles après l’échec de la Conjuration : en juillet 1796,

  • 59 Cité par Émile Fassin, BMA, ms. 2352, vol. 7, op. cit., p. 206 v°.

les bandes agrariennes qui, depuis huit jours, pillent les récoltes actuelles de nos grains s’accroissent journellement en raison de l’impunité et du profit qu’elles y trouvent. Plusieurs d’entre elles sont en ce moment composées de plus de 400 personnes ; les individus qui marchent à leur tête sont armés de sabres et de pistolets. Ils coupent la tête des épis et laissent la paille.
(Extrait du no 202 du journal Le Gardien de la Constitution du 24 messidor an IV)59.

  • 60 Ibid., p. 226.
  • 61 Les troubles s’amortiront peu à peu à partir de 1798 avec le désintérêt croissant d’une population (...)

24On dénonce encore fin 1796, le pillage des récoltes par des bandes de 300 à 400 personnes sous prétexte de glanage, mais aussi le pillage des olives et des raisins et toujours la dévastation des bois tout cela avec la complaisance sinon la complicité du commandant et des gendarmes de la Marine (journal Le Miroir, dans un article signé Cartier, le 22 frimaire an V (12 décembre 1796)60. L’année 1796, dans le climat de répression anti-jacobine qui suit après la Conjuration de Babeuf, se termine alors qu’il est toujours impossible de maintenir le respect des personnes et des propriétés dans la campagne61.

  • 62 Le Gard et le Sud-Est globalement. Voir note 13.
  • 63 Rappelons que le chef monnaidier Paris se déclarait comme tel par l’intermédiaire du nom donné à so (...)

25Le récit fragmenté que la très imposante compilation réalisée par E. Fassin nous offre des troubles qui secouent le territoire arlésien entre 1792 et 1796 nous interroge sur leur signification politique. Les « agrariens » sont-ils une émanation du courant de pensée pré-communiste de Babeuf ? Tout comme dans les régions voisines62, les pillages et dévastations qui ont lieu au printemps 1792 ne semblent pas des mouvements organisés mais plutôt des flambées spontanées, elles sont cependant motivées par les changements politiques apportés par la Révolution et s’inscrivent dans la lignée de la lutte entreprise par le monde paysan contre le système féodal. Dans les années 1793 à 1796, la colère des plus démunis paraît davantage canalisée et focalisée sur quelques actions : essentiellement glanage/destructions et défrichements sauvages de domaines, et on note que des messages incitatifs sont délivrés par quelques chefs de la Monnaie. Il est certain que les initiatives des « Enragés » de l’été 1793 puis celles des « Hébertistes63 » n’étaient pas inconnues à Arles dans la faction des républicains démocrates, avant même que les idées des principaux membres des Égaux ne soient largement répandues par les journaux. Les milieux populaires arlésiens, à cette époque, rassemblent essentiellement les travailleurs agricoles auxquels s’ajoutent une partie de l’artisanat et la plus grande partie de la population des marins et des pêcheurs. La proximité sociale et géographique (le clivage par quartier est très marqué dans la ville) de ceux-ci les amène à partager aussi un même idéal politique : c’est au sein de la Monnaie qu’ils se retrouvent. Les plus radicaux des Monnaiders qui, on l’a vu, ont prêché la loi agraire se font alors les porte-parole de la paysannerie arlésienne et, plus généralement, de l’ensemble du prolétariat de la cité, mais les documents rassemblés par Émile Fassin ne permettent pas de mesurer niveau de réceptivité de l’idéologie pré-communiste de ce dernier.

  • 64 Voir Paul Allard, « Arles de la Révolution à la République », in Provence historique, t. XXXVI, fas (...)

26En outre, les idéaux politiques du chef vénéré des Monnaidiers, Antonelle, ont trop fortement fédéré le peuple de la Roquette pour que l’on puisse douter de la permanence de son influence durant toute la période révolutionnaire. Celle-ci s’est-elle étendue au delà et la ville d’Arles lui est-elle redevable de son orientation politique future ? Son ultime écrit, Le dernier réveil d’un vieillard, et son ralliement aux Bourbons ont contribué à plonger la mémoire d’Antonelle dans l’oubli général en une ou deux générations. Toutefois, les événements de 1848, 1852 et 1870 révèlent la continuité du sentiment républicain à Arles et, plus particulièrement, chez les descendants des Monnaidiers. Elle se traduit par une forte implication du quartier de la Roquette dans le soutien à Ledru-Rollin en 1848, l’abstention record des Arlésiens aux élections de 1852 et un pourcentage de 76 % de « non » au référendum de 187064. L’origine de cet ancrage républicain manifeste est à chercher dans les événements de la fin du siècle précédent et, en ce sens, Antonelle n’est pas étranger à son réveil dans la seconde moitié du xixe siècle ; et ce, même si les démocrates de l’époque ne revendiquent pas cet héritage, comme le montre l’article écrit par le républicain E. Fassin dans le journal Le Forum lorsque la municipalité décide, à l’occasion du centenaire de la Révolution, de donner à la place des Porcellets, à l’entrée de la rue de la Roquette, le nom de place d’Antonelle ; critiquant ce choix et préconisant d’offrir à la mémoire de l’ancien maire le nom de la rue où se situe son hôtel, il écrit

  • 65 Émile Fassin, « Histoire anecdotique des Rues d’Arles », journal Le Forum du 16 février 1890.

Pierre-Antoine Barthélémy d’Anthonelle, malgré ses égarements et ses tristes défaillances [il fait allusion ici à son ralliement aux Bourbons en 1814], a fait en somme assez de bien pour justifier un tel honneur. Sa vie privée fut meilleure que sa vie politique65

  • 66 Paul Allard, « Arles de la Révolution… », art. cit., p. 227

27Par contre, le glissement de la ville vers le socialisme puis le communisme au xxe siècle ne peut se rattacher directement à la mémoire d’Antonelle ; il est le fruit d’un syndicalisme actif au sein d’une population profondément transformée : en effet, aux Arlésiens sont venus s’ajouter peu à peu de nombreux ouvriers venus du Centre et du Nord de la France d’abord, des Italiens et des Espagnols antifascistes plus tard ; si « les bases sociales de l’opposition entre Monnaidiers et Chiffonistes ont disparu66 » et la Révolution bien loin alors, la conscience politique qui émerge est issue de cette population renouvelée dans laquelle les républicains arlésiens ont cependant leur place.

Notes

1 Jean-Jacques Clère, « Loi agraire » dans Albert Soboul, dir., Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, 1989, p. 681.

2 Albert Mathiez, La vie chère et le mouvement social sous la Terreur, t. I, Paris, 1973 (éd. or., 1927), p. 87.

3 Voir sur le rôle de la paysannerie pendant la Révolution, Florence Gauthier, « Une révolution paysanne ou les caractères originaux de l’histoire rurale de la Révolution française », in Révolution Française.net, septembre 2011, http://revolution-francaise.net/2011/09/11/448-une-revolution-paysanne, 26 p. Le décret du 28 août s’intitulait Rétablissement des communes et des citoyens dans les propriétés dont ils ont été dépouillés par l’effet de la puissance féodale (p. 11).

4 Votée le 21 octobre 1789 pour assurer la liberté du commerce des grains, elle fut complétée le 23 févier 1790 pour assurer le paiement des impôts d’Ancien Régime, puis étendue aux rassemblements d’ouvriers urbains puis ruraux entre les 14 juin et 20 juillet 1790 avant d’être généralisée par la loi du 26 juillet 1791 (loi Le Chapelier) à tous les « attroupements séditieux ». (Florence Gauthier, art. cit., p. 10).

5 René Baehrel, Une Croissance : la Basse Provence rurale (fin xvie siècle-1789), SEVPEN, 1961, p. 399. Le Trébon est une plaine fort riche, située au nord d’Arles jouxtant la commune de Tarascon. La Crau est le vaste territoire qui s’étend à l’est de la ville et la Camargue est enserrée entre les bras du Rhône dans le delta qu’il forme à son embouchure.

6 Rémi Venture, « Le chef mythique des Monnaidiers et premier maire, Antonelle », dans La Révolution arlésienne, catalogue de l’exposition du Museon Arlaten, Arles, 1989.

7 La Roquette est le quartier qui se trouve au sud-ouest d’Arles, traditionnellement celui des pêcheurs et des marins, la Hauture, comme son nom l’indique, est le quartier haut de la ville.

8 Voir l’étude chiffrée de la composition sociale des partis chiffoniste et monnaisier, Fabio Sampoli, Politics and Society in Revolutionnary Arles Chiffonistes and Monnaidiers, Philadelphie, 1982, p. 323. Sur 556 Chiffonistes, 37 % sont des artisans, marins ou paysans alors que sur 509 Monnaidiers, 83 % d’entre eux viennent de ces couches socioprofessionnelles. L’artisanat constitue la plus grande partie des membres connus, 47 % des Monnaidiers et 37 % des Chiffonistes (Paul Allard, « Les gens de métiers durant la Révolution arlésienne », in Bulletin des Archives municipales d’Arles, no 6, 1990-1991, p. 24).

9 Pierre Serna, Antonnelle, aristocrate révolutionnaire, 1747-1817, Paris, 1997.

10 Émile Fassin (1842-1922). Voir Pierre Fassin, BMA, A 46648, Une famille arlésienne depuis le xviie siècle : les Fassin, Arles, janvier 2005. Dans les années 1890, il écrit le Journal de la Révolution publié dans la revue Le Vieil Arles ; il y compile toutes les sources qui lui sont accessibles, manuscrits de contemporains (des Chiffonistes), documents émanant des municipalités successives, extraits de journaux etc., tentant, dans un souci d’objectivité, de présenter les arguments des deux parties en présence.

11 Paul Allard, art. cit., p. 16.

12 Loc. cit.

13 Émile Fassin, BMA, ms 2352 vol. 2, p. 161.

14 Ibid., p. 194. Déclaration de la Municipalité du 09/12/1791.

15 Florence Gauthier, art. cit., p. 5. L’auteur y souligne, en particulier, que, au début du xxe siècle, l’historiographie perdit de vue la résistance paysanne à la seigneurie.

16 Florence Gauthier, art. cit., p. 5.

17 Celle du 10 août 1792 et celle des 31 mai-2 juin 1793.

18 Florence Gauthier, art. cit., p. 7.

19 Émile Fassin y consacre deux volumes : BMA, ms 2356, Arles révolutionnaire, la conspiration chiffoniste, 1791-1792 et ms 2360, Arles sous la Révolution, l’affaire d’Arles 1792.

20 Émile Fassin, BMA, ms 2361. Copie du mémoire de la commune faite par Louis Mège sur la copie de ce même document par Thomas Guibert, ancien procureur syndic (il signe sous ce titre une lettre de la commune au Roi le 3 mars 1792).

21 Ibid. Sur les troubles dans les campagnes en 1792, voir Anne-Marie Duport, « De la spontanéité à la structuration d’un mouvement populaire ; l’exemple du Gard en 1792 », p. 457-462 (le 25 mars, à la suite de la noyade dans le Rhône de 69 volontaires du Gard envoyés à Arles, le bruit court ayant couru qu’ils ont été victimes d’un complot royaliste, pendant un mois des bandes de villageois armés s’attaquent aux châteaux et propriétés des ci-devant seigneurs) et Colin Lucas, « Résistances populaires à la Révolution dans le Sud Est », p. 474-485 (L’auteur souligne les traits communs des troubles entre 1789 et 1792 : bris de clôtures, invasion de propriétés, dévastations, défrichements sauvages) in Mouvements populaires et conscience sociale xvie-xixe siècles, Actes du colloque de Paris 24-26 mai 1984 recueillis et présentés par Jean Nicolas, Paris, 1985.

22 Émile Fassin, BMA, ms 2352, vol. 5, Le Vieil Arles, « 1793, Journal de la Révolution », op. cit.

23 Florence Gauthier, art. cit., p. 20.

24 Émile Fassin, BMA, ms 2352, vol. 5, Le Vieil Arles…, op. cit., Adresse du procureur de la commune au commandant de gendarmerie de Saint-Martin-la-Palud, en date du 13 juillet 1793.

25 Jean-Maurice Rouquette, dans « Pierre Véran », dans La Révolution arlésienne, catalogue de l’exposition, Museon Arlaten, Arles, 1989, p. 92-93, souligne que Pierre Véran (1744-1819) a exercé de multiples activités, inspecteur du canal de Craponne, secrétaire de mairie, archiviste du district, secrétaire de la préfecture, collaborateur du Comte de Villeneuve pour la rédaction de la Statistique du département, greffier de la police correctionnelle au tribunal d’arrondissement. Il ajoute que « son Journal de la Révolution, malgré son engagement politique et ses a priori, constitue une source majeure de notre information sur une partie des événements arlésiens ».

26 Paul Allard, « Chiffonistes et Monnaidiers », dans La Révolution arlésienne..., op. cit., p. 71.

27 Émile Fassin, BMA, ms. 2352 vol. 6, p. 117. Récit recueilli par Pierre Véran de la bouche d’une personne qui avait été détenue en ce temps-là dans la maison du collège.

28 BMA, B 7027. Liste des différents maires d’Arles de septembre 1793 jusqu’à la suspension de la municipalité en juillet 1794. On le rencontre aussi sous le prénom André (Rémi Venture, « Les maires d’Arles », p. 1198, in Arles, histoire territoires et cultures, Arles, 2008).

29 Pierre Veran, BMA, ms 2366, non paginé, Ma conduite pendant la Révolution ou Petite histoire de la Révolution dans la ville d’Arles, 1800.

30 Extrait du journal de l’étude de Jacques Honoré Bonasse, cité par Émile Fassin, BMA, ms 2352 vols. 7 1796, p. 197 vo : « le 29 floréal (18 mai 1796) pour 3 livres en numéraire, j‘ai eu 1125 livres d’assignats ayant donné 25 livres à celle qui me les a procurés, Claire Marthon ». Ainsi un assignat ne vaut plus que 0,0026 livre en numéraire, soit moins de 3 °/°° de sa valeur. Sur le sujet voir Jean Tulard, Jean-François Fayard et Alfred Fiero, Histoire et dictionnaire de la Révolution française, 1789-1799, Aylesbury, 1988, 1213 p., article « Assignats », p. 543-544.

31 Voir Claude Mazauric, Babeuf écrits, Textes choisis de Gracchus Babeuf, Clamecy, Le temps des Cerises, 2009, 418 p.

32 En cela, par la recherche de moyens concrets pouvant amener l’égalité de fait, il dépasse la pensée de l’abbé Mably auquel, de son propre aveu, il doit beaucoup. Mably, considéré comme « l’un des passeurs entre ce que la pensée des Lumières comporte de plus égalitaire et les premières versions de la pensée socialiste », prône « de façon récurrente les lois agraires et somptuaires » (le bannissement de la grande propriété et du luxe). Voir Stéphanie Roza, « Mably : jusnaturalisme, républicanisme, utopie », in Révolution Française.net, http://revolution-francaise.net/2011/09/06/447-mably-jusnaturalisme-republicanisme-utopie, 9 p.

33 Cité par Albert Soboul, La Révolution française, Éditions sociales, 1988, p. 450.

34 Ibid., p. 453.

35 Émile Fassin, BMA, ms 2352, vol. 7, 1795-96, p. 239.

36 Ibid., p. 241.

37 Ibid., p. 239.

38 Le journal du capitaine marin Pierre Giot qui, contre toute attente, au vu de sa profession, est considéré comme chiffoniste, bien que son nom ne figure sur aucune liste de membres de ce parti, est l’un de ceux dont Émile Fassin a utilisé des extraits pour son Journal de la Révolution. Le manuscrit de Pierre Giot (BMA, ms 2394) a été fourni à Émile Fassin par le capitaine Rousset qui l’avait acheté à un chiffonnier d’Arles en novembre 1877.

39 Dans la nuit du 24 au 25 décembre 1795, les patriotes sortis de prison s’arment et renversent la municipalité chiffoniste.

40 Pierre Giot BMA, ms 2394, fo 31. Giot ajoute qu’il reste encore quelques jours au mas et, « voyent que tout les jour il avoit des treint à Arles », finit par gagner Tarascon puis Marseille.

41 Le terme apparaît alors pour la première fois dans le manuscrit d’Émile Fassin.

42 Émile Fassin, BMA, ms 2352, vol. 7, 1796, p. 181 bis.

43 Pierre Veran, cité par Émile Fassin, BMA, ms 2352, vol. 7, 1796, p. 193.

44 Voir Pierre Serna, op. cit.

45 Son élection à cette Assemblée en 1791 est l’occasion pour les marins de la ville de lui rendre hommage dans une lettre. Elle est signée par 20 capitaines « composant le corps de la Marine d’Arles » (Émile Fassin, BMA, ms 2352 vol. 3, p. 291)

46 L’hôtel particulier d’Antonelle se trouve dans la rue de la Roquette au no 30.

47 Voir Pierre Serna, op. cit., p. 433-441.

48 Cité dans Alfred Sudre, Histoire du communisme ou réfutation historique des utopies, Paris, 1848, p. 328.

49 Claude Mazauric, op. cit., p. 73, indique que « Babeuf tira parti des interrogations, peut-être téléguidées d’Antonelle pour répondre à tous les sceptiques, dans le no 37 du Tribun et indirectement dans les numéros suivants. ».

50 Ibid., p. 329. En outre, Pierre Serna (op. cit., p. 30) montre combien les idées d’Antonelle et de Babeuf différaient : si « Babeuf défend une société sans propriété, écrit-il, Antonelle défend l’égalité civile comme prioritaire et concept catalyseur de toutes les énergies républicaines démocratiques ».

51 L’aile radicale des patriotes arlésiens est bien connue pour son attachement à Marat : Michel Vovelle in La mentalité révolutionnaire. Société et mentalités sous la Révolution française, Paris, 1985, p. 130 et p. 185, rapporte cette phrase d’un jacobin d’Arles : « Nous ne devons avoir d’autre culte que celui de Marat ».

52 Sur le rôle des courses de taureaux dans les fêtes populaires arlésiennes, voir Rémi Venture, « La tauromachie à Arles : ébauche d’une histoire » in Arles, Histoire, territoires et cultures, Arles, 2008, p. 1107-1120 et Pierre Serna, « La Révolution arlésienne », in Arles, Histoire…, op. cit., p. 806.

53 Le complot avait des ramifications dans les principales villes de France pour éclater partout à la fois. Arles, dont les Monnaidiers de la Roquette vouaient un culte à Antonelle, faisait-elle partie de ces villes ? Dans le manuscrit d’Émile Fassin, cette allusion à Babeuf et l’indication que des Chiffonistes « félicitent le corps législatif et le Directoire de la découverte de la conspiration de Babeuf » (Émile Fassin, BMA, ms 2352, vol. 7, p. 198) sont les deux uniques mentions du personnage.

54 Émile Fassin, BMA, ms 2352, vol. 7, op. cit., p. 192 bis. On notera que cet article paraît pendant la période décembre 1795-août 1796 au cours de laquelle Antonelle eut la collaboration la plus étroite avec le journal (Max Fajn, « Charles François Duval, journaliste et hommes d’État (1750-1829) », in Annales de Bretagne, t. 79, no 2, 1972, p. 417-424).

55 Robert Legrand, Babeuf et ses compagnons de route, Sociétés robespierristes, Paris, 1981, p. 251-254. Sur ces 65, 18 sont contumaces et 47 présents (p. 253). Cependant, dans l’acte d’accusation, cité plus loin, il n’est question que de 59 prévenus.

56 Acte d’accusation dressé par le jury d’accusation du département de la Seine contre Gracchus Babeuf et les 59 prévenus de la Conspiration du 22 floréal, Paris, 1796, p. 60-61. Il est cependant noté, page 220 du manuscrit d’Émile Fassin, (BMA, ms. 2352, vol. VII, 1796, op. cit.) que le 20 novembre, Antonelle est arrêté à Paris comme complice de Babeuf.

57 Robert Legrand, op. cit., p. 254. Après l’attentat de la rue Saint-Nicaise, 130 républicains sont déportés. Buonarrotti gagne alors la Suisse puis Bruxelles où il publie en 1828 l’histoire de la « Conspiration pour l’Égalité dite de Babeuf » (Albert Soboul, op. cit., p. 454). L’arrêté du 17 nivôse an IX (7 janvier 1801) met en surveillance dans l’intérieur de la République plusieurs citoyens dont Antonelle.

58 Cité par Robert Legrand, op. cit., p. 271.

59 Cité par Émile Fassin, BMA, ms. 2352, vol. 7, op. cit., p. 206 v°.

60 Ibid., p. 226.

61 Les troubles s’amortiront peu à peu à partir de 1798 avec le désintérêt croissant d’une population lasse de tant d’années de lutte. La poursuite des mouvements dans la campagne arlésienne après les lois agraires votées par la Convention montagnarde ressortait de la nécessité de maintenir de la pression pour s’assurer de la pérennité de son exécution dans un contexte politique local d’alternance des pouvoirs entre Chiffonistes et Monnaidiers. Ceci a conduit le prolétariat, paysans et marins soudés, à poursuivre la lutte pour conserver les acquits démocratiques de la Révolution. Si l’expérience de démocratie directe n’a pas survécu au 9 thermidor, la législation, qui détruisit le régime féodal, n’a été remise en cause par aucun des gouvernements qui ont suivi.

62 Le Gard et le Sud-Est globalement. Voir note 13.

63 Rappelons que le chef monnaidier Paris se déclarait comme tel par l’intermédiaire du nom donné à son journal, Le père Duchesne du Midi.

64 Voir Paul Allard, « Arles de la Révolution à la République », in Provence historique, t. XXXVI, fascicule 148, avril-mai-juin 1987, p. 217-228.

65 Émile Fassin, « Histoire anecdotique des Rues d’Arles », journal Le Forum du 16 février 1890.

66 Paul Allard, « Arles de la Révolution… », art. cit., p. 227

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