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Une autre foi

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Loïc Le Pape

L’entrée en religion

L’entrée en religion

Texte intégral

S’engager, ou s’investir, dans une institution, c’est finalement découvrir ce qu’on peut légitimement y faire, ce qu’on peut attendre de ses activités et de son fonctionnement – tel qu’il est et non tel qu’on l’a rêvé avant de « franchir le pas ». Celles et ceux qui font directement cette expérience – les « convertis » dans le cas d’une Église, mais tout autant le jeune officier récemment sorti de l’École d’Application ou le nouvel adhérent d’un parti – rencontrent en quelque sorte, la force de l’objectivé. Ils peuvent certes jouer avec certaines règles, infléchir les pratiques en fonction de leurs désirs, voire inventer de nouvelles manières de tenir un rôle ; il leur faut surtout s’accommoder des exigences du groupe et de ses chefs. Jacques Lagroye, La vérité dans l’Église catholique, 2006, p. 17.

  • 1 Sébastien Tank parle dans sa thèse consacrée aux conversions au judaïsme de « faire un juif » (Tank (...)

1C’est le rôle et la fonction des institutions religieuses dans le processus de la conversion qui sera examiné dans cette première partie. L’entrée en religion doit s’envisager dans un rapport entre une action individuelle et une institution. Mais ce rapport dialectique qui oppose schématiquement individu et institution, se complique lorsque les institutions se trouvent incarnées par des personnes avec des parcours et des expériences différentes. Nous cherchons à montrer ici la façon dont les églises forment des convertis1. Il ne faut cependant pas perdre de vue que la conversion se conçoit dans une perspective interactionniste entre des « convertis », des « convertisseurs » mais également des proches et des familles.

2Les églises fabriquent des convertis. Nous supposons une inégalité dans le rapport entre l’individu et l’institution : sachant que c’est l’institution qui, en dernier ressort, valide et atteste de la conversion, l’individu est sommé de se plier aux règles qui lui sont imposées. Cependant il ne faut pas se cantonner à une vision purement instrumentale de ce rapport. Les individus y disposent de marges de manœuvres, de stratégies de contournement, de capacités critiques. De plus, l’institution est aussi capable d’entendre et d’identifier les critiques et les doutes et possède une capacité de remise en cause et d’adaptation. Ainsi le rapport de l’institution ne peut se concevoir qu’à travers l’interaction avec les personnes qu’elle encadre. S’attacher à qualifier le rôle de l’institution religieuse dans le processus de conversion, revient à souligner les efforts de formation, et en même temps d’attestation. Formation parce que les convertis apprennent au contact de l’institution à produire un discours sur eux-mêmes, sur leurs parcours. En ce sens l’institution modèle une façon de se convertir, elle l’impose. Attestation parce que l’institution est garante d’une procédure (d’une orthodoxie) et la symbolique de l’entrée dans une nouvelle religion (baptême, shahada ou cérémonie du mikvé) sonne comme un cachet, la validation d’une expérience singulière au regard d’un parcours « administratif ».

  • 2 La notion d’épreuve permet de supposer une relation duelle entre deux mondes (l’institution, les co (...)

3Pour éclairer ce travail il est possible de s’inscrire dans une perspective pragmatique, en reprenant la notion d’épreuve à la sociologie de la critique de Luc Boltanski et Laurent Thévenot. La définition proposée par les auteurs apparaît simple : « ÉPREUVE : dispositif permettant d’attribuer les états de grandeur » (Boltanski et Thévenot, 1987 : 292). Dans un entretien publié dans une revue électronique, L. Boltanski donne dix-sept ans plus tard une définition quasi identique : « l’épreuve est le moment où une incertitude sur la grandeur des uns et des autres est mise sur le terrain, et où cette incertitude va être résorbée par une confrontation avec des objets, avec un monde » (Blondeau et Sevin, 2004). Cette dernière définition apporte trois éléments : le moment, l’incertitude et la mise à l’épreuve. Le moment tout d’abord car il s’agit d’une séquence d’action, d’une partie d’un processus. Cela permet de caractériser les étapes successives de la conversion, de l’accueil du converti dans l’institution à la validation de son parcours par le rituel initiatique. L’incertitude en second lieu car dans ces séquences d’action, l’incertitude sur l’achèvement de la conversion pèse de tout son poids. Entamer une démarche de conversion auprès d’une institution ne présume pas de l’issue. Ainsi, le processus ne débouche pas automatiquement sur l’adoubement de l’impétrant. Les rôles sont fluents, les rebondissements fréquents, les surprises aussi. Songeons par exemple au taux d’abandon (très élevé) des procédures de conversion. La mise à l’épreuve enfin, ou plutôt devrions nous dire les mises à l’épreuve, car le parcours du converti suppose de se plier à des règles, de passer des examens ; autant d’épreuves qui permettent à l’institution de juger la sincérité d’une démarche spirituelle2.

4L’église (ou l’institution) impose donc des épreuves et, lorsque cela se passe comme ça devrait se passer elle obtient en retour des preuves : l’épreuve suscite la preuve. C’est dans le premier chapitre que sera développée cette idée : les institutions mettent en place des épreuves auxquelles les convertis répondent par des preuves (de leur sérieux, de leur sincérité etc.). Pour autant, il ne faut pas oublier que les convertis peuvent aussi jouer en retour sur le fonctionnement de l’institution. Par exemple, Nicolas Brémond d’Ars (2003) montre que l’institution catholique a peu à peu transformé la catéchèse, pour « s’adapter » aux nouvelles exigences des convertis. En prenant les acquis de ces réflexions, nous verrons comment les convertis doivent apprendre à parler d’eux et de leur foi, comment ils doivent savoir montrer leur aisance à exprimer les motivations (forcément sérieuses) de leur conversion. Un deuxième chapitre montrera la diversité des premières interactions, notamment le moment de la rencontre, celui où le converti « frappe à la porte » de l’église d’accueil, et où les premières épreuves se mettent en place. Enfin un troisième chapitre, plus réflexif sera consacré à l’analyse du rôle des institutions religieuses face à l’émotion des convertis.

Notes

1 Sébastien Tank parle dans sa thèse consacrée aux conversions au judaïsme de « faire un juif » (Tank, 2003 : 310)

2 La notion d’épreuve permet de supposer une relation duelle entre deux mondes (l’institution, les convertis) tout en contenant l’aspect conflictuel non dénué d’intérêt dans l’analyse des échanges entre l’institution et le converti. En posant dans le même temps l’interaction nécessaire entre ces deux mondes, au travers d’une mise à l’épreuve d’un dispositif, cette notion autorise à envisager le cheminement du converti comme un parcours d’interactions.

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