Effets de style au Moyen Âge
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Le problème du « style des joues gonflées » et de sa diffusion au sein de la sculpture romane hispano-languedocienne1
Texte intégral
- 1 Cette étude a été possible grâce aux bourses de recherche du Programme de Formation du Professorat (...)
- 1 M. Asensio Brouard, E. Pol Mendez, « El aprendizaje de los estilos artísticos », Didáctica de las c (...)
- 2 Dans l’historiographie espagnole, mais aussi européenne, toutes ces notionsssont encore très contes (...)
1Dans le champ des études d’histoire de l’art, il devient extrêmement complexe de réfléchir sur la problématique du style de manière objective. Notre formation académique se fonde elle-même sur une histoire des styles qui coïncide avec les périodes définies par les historiens1. Notre histoire de l’art – au moins celle dans laquelle je me suis formé – est une histoire des styles. Plus précisément même l’art médiéval présente, dans sa définition comme style global – ce que j’appelle un « macro-style », une subdivision utilitariste matérialisée par des termes comme préroman, roman ou gothique – ce que j’appelle des « micro-styles2 ».
- 3 M. L. Real, « O românico português na perspectiva das relações internacionais », Románico en Galici (...)
- 4 E. Fernández González, « Reflexiones sobre la evolución hacia el Románico de las fórmulas artística (...)
2 A priori cette division ne devrait pas être problématique ; il s’agit d’un fractionnement conventionnel qui peut être accepté dans le cadre d’une méthode appropriée pour une première approche de l’histoire de l’art, c’est-à-dire une approche pédagogique et didactique. Cependant, comme l’a démontré l’historiographie récente, cette méthode fait faillite et devient instable si l’on prétend l’appliquer à des études plus approfondies sans apporter de sérieuses modulations à ses définitions formelles. Le découpage traditionnel des styles est en effet bien en peine de rendre compte des productions artistiques romanes rurales des Asturies ou de la Galice aux xiiie-xive siècles3. Le même problème se présente si l’on considère l’art préroman comme une étape préparatoire au développement d’un style plus mûr, celui de l’époque romane4.
- 5 E. Panofsky, Renacimiento y renacimientos en el arte occidental, Madrid, Alianza Editorial, 1985, p (...)
- 6 Voir les réflexions faites par W. Sauerländer, « From Stilus to Style. Reflections on the Fate of a (...)
3À ce stade, la méthode échoue et les conventionnalismes formels, qui auparavant servaient d’outils de diagnostic (datation et analyse esthétique), constituent des divisions strictement formalistes. La séparation des productions artistiques de l’Antiquité Tardive du vie au ixe siècle – définies par Kitzinger et Panofsky comme « subantiques » – de celles produites à partir de l’an mil est une des multiples failles du système5. Par ailleurs, cette position justifie la critique des spécialistes sur la question6.
- 7 La célèbre étude de Marcel Durliat se fonde sur ces concepts. M. Durliat, La Sculpture romane de la (...)
4Toutes ces réflexions n’apportent aucune nouveauté au sujet et ne synthétisent pas le problème. Dans le présent travail nous proposons de réfléchir sur un aspect particulier du « style » roman né au sein de la « sculpture de la route de pèlerinage », et qu’au sein de la péninsule ibérique, certains auteurs ont appelé « l’art du Chemin7 ».
5Nous voudrions analyser dans ce travail quelques aspects de ce que nous avons appelé pour cette occasion : « le style des joues gonflées ». Comme on le verra, certains chercheurs ont pris comme base de travail le type physionomique des joues gonflées, présent dans certaines sculptures réalisées vers 1100, et en ont tiré toute une série de réflexions qui ne se justifient que par l’implication de la notion de style – sans que celui-ci ne soit jamais désigné comme tel.
- 8 Cette méthode avait été utilisée pendant longtemps pour l’étude de la sculpture attribuée au Maître (...)
6La première de ces réflexions part de l’expression « style des joues gonflées » et de la possibilité de signaler une série de traits caractéristiques qui soutiennent cette dénomination. Le second problème est de type chronologique : les auteurs ayant délimité une période exacte dans laquelle ce supposé « style » fut mis en œuvre. Finalement, on a pu établir une géographie du « style » à partir de son apparition dans un certain nombre de centres éloignés les uns des autres et apparemment dépourvus de relations directes, sans tenir compte de ces relations artistiques8.
Henri Focillon (1881-1943) et la méthode formaliste
7En 1931, H. Focillon écrivait à propos de la cathédrale de Compostelle :
- 9 H. Focillon, L’art des sculpteurs romans, Paris, Presses Universitaires de France, 1964 (1re éd. 19 (...)
D’après l’Historia Compostelana, les travaux, commencés en 1078, étaient très avancés, sinon terminés, en 1128. Un incendie les avait interrompus en 1117 […]. Ce n’est pas ici le lieu de parler de l’étonnante figure de femme échevelée, tenant un crâne [Illust. 26] sur ses genoux, qu’il faut rapprocher, pour le type physionomique d’un caractère si particulier, non seulement de la femme assise, les jambes croisées, au piédroit de droite de la porte de droite, mais encore des femmes chevauchant des lions sur la console de droite de la porte Miégeville à Saint-Sernin de Toulouse […]. On les retrouve dans les statues de marbre qui encadrent les archivoltes du portail latéral de la nef à Saint-Isidore de León […] les panneaux de marbre incrustés aujourd’hui dans le mur du déambulatoire de Saint-Sernin […] le modelé des visages est plus rond et plus plein. Les têtes, les mains tendent à se détacher du fond et acquièrent l’indépendance d’une vie substantielle […]. Le volume crânien est presque réduit à rien : là-dessous, une joue immerse bien arrondie, et une vaste encolure […]. L’ensemble reste homogène par la densité du relief et par sa rondeur. Ces chairs pleines, ces visages ronds, ces volumes simples qui s’ajustent les uns aux autres avec une fermeté catégorique, c’est une famille nouvelle dans la histoire de la sculpture romane, ce modelé paraît d’importation ou d’imitation […]. Ces types épanouis, ces formes rondes, cette lumière coulante répondent à un art différent. Nous en retrouvons les traits essentiels à Saint-Jacques de Compostelle, au tympan occidental de la porte des Orfèvres, avec la femme énigmatique qui tient un crâne sur ses genoux. Les cheveux épars, en mèches épaisses et ondoyantes, elle a, avec plus d’individualité physionomique, les traits forts, le nez solide, la lèvre riche et les grosses joues des figures de Saint-Sernin, et, de plus, de gros membres, sortis de la masse et qui n’ont plus rien d’une indication sur une plaque de pierre. Au portail oriental, la figure représentant le Signe du Lion montre une tête identique, exécutée sans doute par le même ouvrier, mais elle surmonte un maigre corps aux jambes croisées, d`un autre style […]. Nous rejoignons ainsi Saint-Isidore de León, le relief absolu, lisse, massif de quelques figures du portail ouest et du portail est de la façade méridionale, sainte Sabine, saint Isidore et saint Vincent, ce dernier, très voisin de certains anges de Saint-Sernin9.
- 10 L’étude des rapports entre la sculpture romane de la basilique de Saint-Sernin de Toulouse et une s (...)
- 11 Le rôle du chemin de Saint-Jacques dans le développement de l’art roman espagnol a été surestimé pa (...)
8Selon ces mots, ces sculptures présentent un type facial qui met formellement en relation la porte Miégeville de Toulouse avec le portail du Pardon de Saint-Isidore de León et les portails du transept de Saint-Jacques de Compostelle10. En s’appuyant sur cette particularité faciale, et sans aucune base documentaire ou historique autre que l’habituelle référence à la route de pèlerinage, Focillon établissait une relation de dépendance de la sculpture espagnole par rapport aux plaques du déambulatoire de Saint-Sernin de Toulouse11. Loin de compter sur l’autorité du chercheur français, nous croyons pouvoir extraire de ses réflexions certaines conclusions sur lesquelles fonder notre propre développement.
9Premièrement, il existe un type facial propre à certaines sculptures de la collégiale Saint-Sernin. Cette caractéristique est présente dans les reliefs du déambulatoire et de la porte Miégeville. Il s’agit d’un prototype physionomique fondé sur des joues très développées et lisses, un menton proéminent, une bouche fermée et des lèvres charnues. En second lieu, la diffusion de ce type s’étend du nord de la péninsule ibérique au Languedoc, avec la basilique toulousaine comme épicentre. Dans les deux cas, les exemples se situent sur les voies de pèlerinage et paraissent en relation avec d’importants centres jalonnant le Chemin tels que Saint-Isidore de León ou Saint-Jacques de Compostelle, pour citer les plus renommés. En ce qui concerne les questions d’ordre chronologique, le type se serait développé entre la fin du xie siècle et les deux premières décennies du xiie siècle.
- 12 A. K. Porter, « Spain or Toulouse ? and Other Questions », The Art Bulletin 7, 1924, p. 2-25 et P. (...)
10L’application de la méthode comparative au type physionomique en question permet à l’auteur la réunion dans un même groupe de certaines sculptures mises en œuvre dans des centres relativement distants. L’hypothèse que ce type aurait rayonné depuis la basilique de Toulouse vers le nord de la péninsule ibérique a mené l’auteur à participer à la dispute historiographique devenue classique concernant la primauté chronologique et stylistique de la sculpture languedocienne sur l’art hispanique12.
11Le type facial des joues gonflées permettait à l’auteur de donner une chronologie à l’ensemble des œuvres où celles-ci apparaissent, établissant une séquence qui va de la basilique toulousaine à Compostelle, et par extension (avec une datation postérieure) à Saint-Isidore de León. À partir de là, il établissait une géographie du type, mettant en relation différents centres de création éloignés et apparemment sans autre relation formelle que l’emploi de ce type physionomique.
- 13 T. W. Lyman, « The Pilgrimage Roads in Toulouse revisited », Gesta 8, 1969, p. 30-44 ; M. Durliat, (...)
12En prenant comme base les études d’Arthur Kingsley Porter, Paul Deschamps et du même Focillon, les chercheurs postérieurs ont continué à utiliser cette méthode comparative plus ou moins nuancée et réfléchie à partir de ce trait physionomique particulier, à établir des relations entre les bâtiments et même à dater certaines parties chronologiquement douteuses13. Cette méthodologie dérive sans aucun doute de la notion traditionnelle de style, même si le phénomène n’a été dénommé comme tel dans aucun cas.
Serafín Moralejo et la sculpture romaine comme source stylistique pour la plastique romane
- 14 M. Durliat, La sculpture romane de la route…, op. cit., p. 80-116. Cette publication avait misssur (...)
13À partir de telles propositions, de nombreux auteurs ont poursuivi leurs recherches sur cette question de plastique romane. Les positions des héritiers de la tradition focillonienne ont amené Marcel Durliat à l’aborder sous le même angle, mais de façon plus nuancée14.
14Durliat a été suivi partiellement par John Williams, qui fait dépendre le portail de l’Agneau de León de l’iconographie des anges de la porte Miégeville de Toulouse :
- 15 J. Williams, « Generationes Abrahae : iconografía de Reconquista en León », El Tímpano románico. Im (...)
[la puerta del Cordero de San Isidoro de León] fue esculpida después de la muerte de Alfonso VI. Los ángeles ataviados con cofias y portando cruces, fueron inspirados por los que con esos mismos atributos aparecen en el tímpano de la puerta Miègeville en Saint-Sernin […]. Partiendo de que para esta puerta parece razonable una fecha en torno a la segunda década del siglo xii, el dependiente tímpano leonés debería ser datado, como pronto, después de 111515.
- 16 J. Williams, « La mujer del cráneo y la simbología románica », Quintana 2, 2003, p. 13-27, précisém (...)
- 17 F. García Romo, La Escultura del siglo XI (Francia- España) y sus precedentes hispánicos, Barcelona (...)
15Le même auteur écrit à propos de la sculpture de la cathédrale de Saint-Jacques : « Les ateliers responsables des figures des tympans provenaient de centres situés à grande distance, l’un de Toulouse et l’autre de Conques16. » Il s’appuie en partie sur la présence de joues gonflées comme trait de style. Dans l’historiographie espagnole et toujours selon la même posture, F. García Romo émet la possibilité que certaines pièces de Toulouse, León et Compostelle aient été réalisées par un même artiste17. Si ce prototype facial a été employé comme prémisse dans la construction de telles affirmations, il n’a pas été moins problématique de déterminer son origine. Bien qu’on ne soit jamais parvenu à définir une typologie claire, les auteurs ont utilisé le prototype comme une raison valable pour mettre en relation de nombreux ensembles sculptés. Le supposé style présente des traits qui s’inscrivent dans la définition traditionnelle de la notion de style : il s’est développé dans une fourchette chronologique définie, a eu une large diffusion géographique ; il s’agit d’un archétype commun. Par ailleurs, on l’a utilisé pour dater les parties douteuses de certains édifices.
- 18 A. K. Porter, Spanish Romanesque Sculpture, 2 vol., Firenze, Pantheon, 1928, vol. 1, p. 62.
16En ce sens, un des aspects les plus intéressants apparaît lié à l’analyse génétique de l’apparition du type dans la sculpture médiévale. Généralement, les chercheurs ont montré une prédisposition à recourir à d’autres types de manifestations artistiques – étrangers à la technique de sculpture sur pierre – avec pour finalité de justifier certains aspects définitoires de ce type. Plus concrètement, il faut rappeler que les arts somptuaires et les enluminures ont été mentionnés de manière récurrente pour expliquer certaines de ces questions de style. Dans le cas des visages aux joues gonflées, ce type de position méthodologique a été exploité avec un succès relatif. A.K. Porter avait déjà fait dépendre ce trait de la sculpture de León de récits d’illustrations réalisées pour les diurnales de Fernand Ier (105518).
17Cette série de questions ouvre la possibilité d’approfondir un autre problème lié à l’utilisation de ce type facial. Il s’agit de signaler les productions plastiques qui auraient hypothétiquement contribué à la formation de cette tendance particulière, et si tel ou tel trait pourrait être compris comme élément définitoire d’un supposé style.
- 19 Nous n’avons pas abordé jusqu’à présent le cas exceptionnel de la sculpture de Jaca. Dans les texte (...)
- 20 M. Durliat, Haut Languedoc roman, Zodiaque, La-Pierre-qui-Vire, 1978, p. 394-396.
18Nous ne pouvons pas revenir de manière exhaustive sur les parentés mentionnées par les spécialistes comme étant susceptibles d’avoir contribué à la formation de ce type facial. Cependant il apparaît que tous ont remarqué le rôle important joué par les sculptures de l’Antiquité romaine. À ce sujet, nous croyons que les sarcophages provenant de l’abbaye Saint-Orens d’Auch ont tenu une place de première importance. Selon certains auteurs, dont le professeur S. Moralejo, ces sarcophages auraient servi de modèle pour les chapiteaux romans de la cathédrale de Jaca19. Nonobstant une possible dette iconographique des chapiteaux envers les sarcophages, nous voudrions signaler l’importance qu’aurait pu jouer l’œuvre paléochrétienne dans le développement de certaines formes au sein de l’atelier roman de Jaca. Déjà Marcel Durliat avait avancé cette possibilité, arguant le fait que la figure féminine que l’on vient de mentionner possédait des caractéristiques physionomiques très particulières, surtout en ce qui concerne le volume des joues et les formes arrondies de son visage20.
- 21 H. Focillon, L’Art des sculpteurs, op. cit., p. 207. Concrètement, il fait référence aux personnage (...)
- 22 S. Moralejo, « Modelo, copia… », art. cit., plus précisément p. 98-100 ; J.A. Moráis Morán, « Nueva (...)
19L’établissement de ces rapports entre l’art ancien et la sculpture romane véhiculant ce type physionomique n’était pas nouveau. H. Focillon avait fait dériver la formule de ces visages des ivoires romains, plus concrètement des diptyques consulaires21 ; les spécialistes continueront à faire référence aux ivoires pour expliquer l’origine de ce type caractéristique. À ce sujet il est significatif que Serafin Moralejo ait mis en relation le diptyque des Symmaques du British Museum (Ve siècle) avec le portail du Pardon de Saint-Isidore de León, pointant également des similitudes formelles entre la figure d’Adam du diptyque conservé au Musée du Bargello à Florence et ce type de sculpture22.
- 23 S. Moralejo, « La primitiva fachada norte de la Catedral de Santiago », Patrimonio artístico…, I, p (...)
- 24 B. Taracena, « Arte romano », Ars Hispaniae 2, Madrid, 1947, p. 11-179, notamment p. 130. L’auteur (...)
- 25 S. Moralejo, « La sculpture romane de la cathédrale de Jaca. État des questions », Patrimonio artís (...)
- 26 Le travail a été réalisé par Mme le professeur L. Barrado : L. Diego Barrado, « Capitel de la igles (...)
20Dans la même ligne, Serafin Moralejo a insisté à nouveau, dans une de ses études les plus intéressantes, sur la possibilité de faire dériver des ivoires les types faciaux « ojos abultados y carrillos hinchados » présents dans certaines sculptures du portail des Orfèvres de la cathédrale de Compostelle23 [ill. 26]. Il a en outre apporté des éléments intéressants, de notre point de vue, à la connaissance du type des joues gonflées en faisant allusion au sarcophage antique conservé à San Pedro el Viejo de Huesca [ill. 27], qu’il considère comme une pièce-clé dans la formation du type24. Concrètement, il mentionnait les relations de type formel existant entre les sarcophages romains et les chapiteaux conservés dans l’église Saint-Jacques de Jaca [ill. 28]. Il comprenait que les visages aux joues gonflées de la sculpture médiévale devaient être vus comme un type descendant clairement de la conception classique des visages dans l’art romain25. Dans l’étude plus récente sur ces chapiteaux, il défendait la possibilité qu’ils aient fait partie du cloître disparu de la cathédrale de Jaca et insistait sur les dettes stylistiques existant avec le sarcophage de San Pedro el Viejo. De sérieux doutes planent sur la datation de ces chapiteaux, dont on place la réalisation au xiie siècle sans possibilité de préciser davantage. Nous croyons que les récurrences formelles des visages dans les chapiteaux (parmi d’autres éléments) par rapport aux sculptures de la région, datées avec plus de précision, ont été à l’origine de la datation des chapiteaux de Jaca26.
- 27 Ce qui suppose très clairement l’utilisation d’une méthode de comparaison stylistique, même si elle (...)
- 28 S. Settis, « Continuitá, distanza, conoscenza. Tre usi dell’antico », Memoria dell’antico nell’arte (...)
- 29 Th.W. Lyman, « La table d’autel de Bernard Gilduin et son ambiance originel », Les Cahiers de Saint (...)
21Ainsi, les joues gonflées ont été prises pour le critère le plus fiable pour l’établissement d’inventaires, de parentés et de datations27. D’ailleurs il faut signaler la possibilité que ce type facial, caractéristique de la sculpture romaine entre les iie et ive siècles, se soit introduit dans le répertoire des sculpteurs romans par une sorte de spolium in re28. Le supposé style des joues gonflées, définissant une bonne partie des sculptures de Toulouse, Compostelle ou Jaca, pourrait avoir trouvé son origine dans les œuvres romaines citées précédemment. Dans l’orbite toulousaine, ces hypothèses sont renforcées par les études de Q. Cazes et D. Cazes, qui apprécient d’une façon évidente le substrat classique de certaines sculptures à partir des recherches d’autres spécialistes, dont Th. Lyman29.
- 30 Th.W. Lyman, « Le style comme symbole chez lesssculpteurs romans : essai d’interprétation de quelqu (...)
22Le cas le plus significatif est la comparaison d’un des visages féminins de la célèbre pièce du Signe du lion et de l’agneau, conservée au Musée des Augustins de Toulouse, avec les têtes en haut-relief du couvercle d’un sarcophage du Musée de l’Arles antique30. Des solutions identiques ont été adoptées dans les deux cas : on note le même souci dans le traitement du visage, les traits allongés et les pommettes très marquées ainsi qu’un certain intérêt pour faire ressortir le menton. Ceci dit, il est très difficile de savoir quelles œuvres les artistes romans avaient sous les yeux – nous sommes toujours dans l’hypothèse – pour conférer aux visages ce type physionomique si particulier.
- 31 R. Grousset et J. Auroyer, « Oreste », Enciclopedia dell’arte antica, classica, e orientale. Second (...)
- 32 Sur le sarcophage d’Husillos, voir les études qui suivent : A. Balil Illana, « Arte de la época rom (...)
23Finalement, pour complexifier encore davantage la genèse du type, Serafin Moralejo a insisté sur l’importance du sarcophage romain de Husillos, Palencia, pour la formation de certaines sculptures toulousaines [ill. 29]. Plus concrètement, l’auteur comparait le fameux modillon de la femme aux longs cheveux de la porte Miégeville avec l’une des furies représentées sur ce sarcophage romain31 [ill. 30]. Il s’agirait d’une des principales œuvres à l’origine des productions sculptées du nord de la péninsule ibérique entre les années 1090 et 1120, dans des monuments comme Frómista et la cathédrale de Jaca. De même, la diffusion de ce type peut se trouver – même si ce dernier aura pu être quelque peu transformé – sur certaines figures de la cathédrale de Compostelle et à San Isidoro de León32.
24Même s’ils ne sont jamais parvenus à définir le type comme « style » à part entière, les auteurs ont donc considéré le type facial comme tel. À partir de sa récurrence dans la sculpture romane, ils ont impliqué une série de présupposés inhérents à la définition traditionnelle du terme :
- En termes géographiques, les différents auteurs ont défini un itinéraire pour sa diffusion33 ;
- En termes chronologiques, le type a servi à la datation de certaines sculptures et les parties douteuses de certains édifices. Par exemple : le chapiteau remployé comme base d’un fonts baptismal dans l’église Saint-Jacques de Jaca. De cette pièce, on ignore la datation et l’emplacement d’origine dans l’église pour laquelle elle a été réalisée. On ne sait pas davantage si elle provient du cloître disparu de la cathédrale. Dans la dernière étude de ce chapiteau, sa datation a été avancée au xiie siècle à partir des caractéristiques faciales du type des joues gonflées. Le type a ainsi servi d’indicateur de datation pour faire dépendre les sculptures hispaniques de leur hypothétique source toulousaine. Plus les œuvres hispaniques sont éloignées de leur modèle toulousain, plus leur chronologie est tardive, la porte Miégeville servant toujours de point de référence34 ;
- Par la médiation de ce type, considéré comme l’argument le plus fiable, des relations ont été établies entre des bâtiments éloignés géographiquement. Sa présence a fait figure de preuve fondamentale pour l’établissement de relations artistiques entre la sculpture de Saint-Sernin et celle du nord de la péninsule ibérique, sans préoccupation d’autres connexions d’ordre historique ;
- On a déjà signalé les différentes sources romaines dont les artistes médiévaux ont pu s’inspirer pour créer le type des joues gonflées. Il s’agit de pièces éparpillées en de nombreux points de la Gaule et de l’Espagne romaine, qui présentent un type de structure crânienne et un dessin musculaire de survivance hellénistique largement diffusé entre le ier et le ive siècle ap. J.-C.
25L’observation directe des exemples signalés montre des différences évidentes. Un ensemble de sources communes ont pu amener les sculpteurs à obtenir des résultats similaires mais pas identiques. Les visages analysés ici présentent comme traits communs l’héritage d’un type de tradition antiquisante ayant servi de modèle interprétatif. Il nous reste à nous questionner s’il s’agit véritablement d’un prototype que des sculpteurs travaillant à distance les uns des autres auraient mis en œuvre en synchronie à partir de sources communes.
- 35 Sur ce type de monnaies voir L. Laurenzi, « Colosseo », Enciclopedia dell’arte…, op. cit., vol. 2, (...)
- 36 Parmi les contributions les plus récentes, consulter : J. Williams, « La mujer del cráneo… », art. (...)
- 37 Jusqu’à présent, nous ne connaissons aucun exemple de ce type conservé dans la péninsule ibérique. (...)
26Pour conclure, on fera référence à une pièce de monnaie datée du iiie siècle av. J.-C. et conservée au Musée national de Syracuse [ill. 31]. Elle présente l’image d’un visage aux formes arrondies35. La comparaison avec la Femme au crâne de la cathédrale de Compostelle donne des résultats surprenants36 [ill. 32]. Dans les deux cas, la forme du crâne est similaire ; elle est visible dans la masse musculaire des joues, du menton et des lèvres. Cependant, l’absence d’exemple de ce type de pièces de monnaie dans l’Espagne romaine ne permet pas l’établissement de relations directes entre les éléments cités37. Même si nous sommes conscients que ce type d’argumentation complique davantage l’étude de l’origine du type facial qui nous occupe, nous croyons qu’elle ouvre de nouvelles voies de réflexion.
- 38 E. Panofsky, Renacimiento y renacimientos…, op. cit., p. 30.
- 39 Ce même problème se présente, par exemple, lorsqu’il s’agit d’expliquer le passage de motifs issus (...)
27Lorsqu’il s’est agi d’expliquer la transition formelle entre l’art antique et l’art médiéval, les spécialistes se sont tournés vers l’explication la plus commode, à savoir l’extrême mobilité de ces petites pièces38. Cependant, leur circulation en tant qu’objets précieux après la chute de l’Empire romain reste en question. L’apparition de nombreuses monnaies romaines en fouilles dans des couches archéologiques d’époque moderne ou contemporaine rend impossible toute affirmation sur leur connaissance par les sculpteurs romans39.
- 40 S. Biay, « Entre l’œil… », art. cit. ; J. Plazaola, Modelos y teorías…, op. cit., p. 40-58 et E. La (...)
28La question posée ici met en valeur un phénomène intéressant dans la définition d’un type stylistique. Les conclusions tirées sur le type des joues gonflées se fondent sur l’application d’une méthode archéologico-stylistique sans que pour autant, ni Focillon ni aucun de ses successeurs ne l’aient défini comme style40.
Notes
1 M. Asensio Brouard, E. Pol Mendez, « El aprendizaje de los estilos artísticos », Didáctica de las ciencias sociales, geografía e historia 8, 1996, p. 25-42. Dans leur étude, les auteursssoulignent l’importance de l’enseignement disciplinaire dans la compréhension de la notion de style, surtout en ce qui concerne la formation et l’acquisition du jugement esthétique.
2 Dans l’historiographie espagnole, mais aussi européenne, toutes ces notionsssont encore très contestées. À ce sujet, consulter I. G. Bango Torviso, Prerrománico hispano. Arte en la España Cristiana de los siglos VI al XI, Madrid, Espasa Calpe, 2001, p. 160-163 et p. 220-226. Voir également G. Levi, « Sobre microhistoria », Formas de hacer Historia, ed. P. Burke, Madrid, Alianza Editorial, 1991, p. 119-143.
3 M. L. Real, « O românico português na perspectiva das relações internacionais », Románico en Galicia y Portugal, Lisboa, 2001, p. 31-55 et I. G. Bango Torviso, « Arquitectura románica en Galicia. Desde los orígenes hasta 1168 », Románico en Galicia y Portugal, Lisboa, Fundación Pedro Barrié de la Maza/Fundação Calouste Gulbenkian, 2001, p. 13-29.
4 E. Fernández González, « Reflexiones sobre la evolución hacia el Románico de las fórmulas artísticas altomedievales, en el ámbito astur-leonés, de la undécima centuria », Hispaniens Norden im 11, Jahrhundert, Christliche Kunst im Umbruch, El Norte hispánico en el siglo XI, Un cambio radical en e arte cristiano, Berlin, 2009, p. 48-72.
5 E. Panofsky, Renacimiento y renacimientos en el arte occidental, Madrid, Alianza Editorial, 1985, p. 85, où plus concrètement, il utilise l’expression « style subantique ». E. Kitzinger, Early Mediaeval Art in the British Museum, London, Trustees of the British Museum, 1940, p. 8.
6 Voir les réflexions faites par W. Sauerländer, « From Stilus to Style. Reflections on the Fate of a Notion », Art History 6, 1983, p. 253-270. Voir aussi I.G. Bango Torviso, « Crisis de una historia del arte medieval a partir de la teoría de los estilos. La problemática de la Alta Edad Media », Revisión del arte medieval en Heuskal Herria 15, 1995, p. 15-28.
7 La célèbre étude de Marcel Durliat se fonde sur ces concepts. M. Durliat, La Sculpture romane de la route de Saint-Jacques. De Conques à Compostelle, Mont-de-Marsan, Comité d’étudesssur l’histoire et l’art de la Gascogne, 1990. Sur la même ligne méthodologique, mais plus récemment J. Lacoste, Les Maîtres de la sculpture romane dans l’Espagne du pèlerinage à Compostelle, Bordeaux, Sud-OueSt, 2006. Sur ces questions voir aussi S. Moralejo, « Arte del Camino de Santiago y arte de peregrinación (ss. XI-XIII) », Patrimonio Artístico de Galicia y otros estudios. Homenaje al Profesor Serafín Moralejo, Santiago de Compostela, Xunta de Galicia, 2004, II, p. 137-144. D’un autre point de vue, le professeur I. G. Bango Torviso avait critiqué certains de ces aspects relatifs à la construction d’une histoire de l’art basée sur le « style roman de la Route de Compostelle » : I.G. Bango Torviso, « El Camino de Santiago y el estilo románico en España », Aspectos didácticos de Geografía e Historia (Arte), Zaragoza, Instituto de Ciencias de la Educación, 1994, p. 135-166, « La peregrinación jacobea : algunos aspectos de una mistificación cultural », Cuenta y razón 112, 1999, p. 20-23 et « El paisaje monumental románico de Castilla y León que contemplaron los peregrinos jacobeos », Los Caminos de Santiago. El arte en el período románico en Castilla y León. España. Siglos XI a xiii, Valladolid, Junta de Castilla y León, 2006, p. 33-50, plus précisément p. 36-37 : « El trazado del Camino, que coincide esencialmente con una antigua ruta romana, es el eje viario básico que articula los reinos cristianos, por él circulan las gentes, las mercancías y las ideas. Las grandes poblaciones del Camino son los puntos neurálgicos de la geopolítica del momento. Es esta última circunstancia la que explica la existencia de la mayor parte de los edificios románicos situados en estas poblaciones. Forman parte de ellas porque son la expresión del poder que ostentan aquellos grupos que rigen la sociedad. Ante esta perspectiva coincide mejor la realidad de su existencia si hablamos de “románico en el Camino” que si nos referimos al “románico del Camino”. »
8 Cette méthode avait été utilisée pendant longtemps pour l’étude de la sculpture attribuée au Maître de Cabestany, pour citer un des cas les plus connus. Actuellement, certaines œuvres attribuées à ce sculpteur et son atelier sont mises en doute. Voir F. Gandolfo, « Il sarcofago di Saint-Hilaire d’Aude, il Maestro di Cabestany e la Toscana », Medioevo : il tempo degli antichi, Milano, Electa, 2006, p. 425- 437. Voir aussi les réflexions de S. Biay sur les notions d’« artiste » et de « maître », et l’application de la méthode attributionniste à l’analyse de la sculpture romane : S. Biay, « Entre l’œil et la main : le concept de maître sculpteur appliqué aux chapiteaux du rond-point de Cluny III et aux portails de la nef de Vézelay », À l’ombre des mots : dire et penser le Moyen Âge. Actes des IIe Journées Jeunes Chercheurs de Janua (association des étudiants du CESCM), Poitiers, CESCM, 2007, http://janua.blog4ever.com/blog/lirarticle-68850-380168.html. Voir aussi E. Lafuente Ferrari, La Fundamentación de los problemas de la Historia del Arte, Valencia, Instituto de España, 1985, notamment p. 94-97 ; J. Plazaola, Modelos y teorías de la Historia del Arte, San Sebastián, Publicaciones Universidad de Deusto, 1985, p. 23 et p. 61-63 ainsi que I. Gaskell, « Historia de las imágenes », Formas de hacer Historia…, op. cit., p. 209-239.
9 H. Focillon, L’art des sculpteurs romans, Paris, Presses Universitaires de France, 1964 (1re éd. 1931), p. 232-234.
10 L’étude des rapports entre la sculpture romane de la basilique de Saint-Sernin de Toulouse et une série de sculptures localisées dans le nord de la péninsule ibérique a été un des thèmes classiques des recherches faites pendant le XIXe et le XXe siècle. On considère généralement l’étude de G. Gaillard comme une des premières à avoir abordé le sujet : G. Gaillard, Les Débuts de la sculpture romane espagnole. León-Jaca-Compostelle, Paris, P. Hartman, 1938, notamment p. 168-219. Nonobstant les prémisses formalistes appliquées par l’auteur à l’établissement des relations entre les œuvres, il n’a jamais remarqué la particularité des visages aux « joues gonflées ». Actuellement, les spécialistes continuent à parler de l’échange de formulessstylistiques entre les deux territoires. Sur ce point, voir M. A. Castiñeiras, « Verso Santiago ? La sculptura romanica de Jaca a Compostella », Medioevo : l’Europa delle catedrali, Milano, Electa, 2007, p. 387-396 et Q. Cazes, « La escultura en Toulouse entre 1120 y 1180 », El románico y el Mediterráneo. Cataluña, Toulouse y Pisa. 1120-1180, Barcelona, Museu Nacional d’Art de Catalunya, 2008, p. 69-78. Consulter également J.A. Moráis Morán, « Nuevas reflexiones para la lectura iconográfica de la Portada del Perdón de San Isidoro de León : el impacto de la Reforma Gregoriana y el arte de la tardoantigüedad », De Arte 5, 2006, p. 63-86.
11 Le rôle du chemin de Saint-Jacques dans le développement de l’art roman espagnol a été surestimé par certains auteurs. Sur cette question, voir I.G. Bango Torviso, « El paisaje monumental… », art. cit., p. 37.
12 A. K. Porter, « Spain or Toulouse ? and Other Questions », The Art Bulletin 7, 1924, p. 2-25 et P. Deschamps, « Étudesssur lesssculptures des Sainte-Foy de Conques et de Saint-Sernin de Toulouse et leurs relation avec celles de Saint-Isidore de León et Saint-Jacques de Compostelle », Bulletin monumental 100, 1941, p. 235-264, notamment p. 242.
13 T. W. Lyman, « The Pilgrimage Roads in Toulouse revisited », Gesta 8, 1969, p. 30-44 ; M. Durliat, « The Pilgrimage Roads Revisited ? », Bulletin Monumental 129, 1971, p. 113-120 ; S. Moralejo, « Modelo, copia y originalidad en el marco de las relaciones artísticas hispano-francesas (siglos XI-xiii) », Patrimonio artístico…, op. cit., II, p. 75-96 ; M. Poza Yagüe, « Entre la tradición y la reforma. A vueltas de nuevo con las portadas de San Isidoro de León », Anuario del Departamento de Historia y Teoría del Arte XV, 2003, p. 9-28 et T. Martin, Queen as King. Politics and Architectural Propaganda in Twelfth-Century Spain, Leiden-Boston, E. J. Brill, 2006, notamment p. 79-118.
14 M. Durliat, La sculpture romane de la route…, op. cit., p. 80-116. Cette publication avait misssur la table un des problèmes historiographiques de l’étude de la sculpture romane en Espagne : le phénomène des pèlerinages et l’existence d’un « art du Chemin ». Ceci aurait pu justifier l’existence de certaines connexions formelles entre la sculpture des principaux centres du Chemin avec la France. Cependant, sous un titre aussi général, et dès le début de l’ouvrage, l’auteur remarque que la diffusion de l’art roman dans la péninsule ibérique ne pouvait pas seulement se justifier à partir du pèlerinage. Certains auteurs ont exprimé leur désaccord avec Durliat. Dans ce sens, consulter I.G. Bango Torviso, « La peregrinación jacobea… », art. cit., p. 20-23.
15 J. Williams, « Generationes Abrahae : iconografía de Reconquista en León », El Tímpano románico. Imágenes, estructuras y audiencias, éd. R. Sánchez-Ameijeiras y J. Luis Senra Gabriel y Galán, Xunta de Galicia, Consellería de cultura, Comunicacíon Social e Turismo Dirección Xeral de Patrimonio Cultural, Santiago de Compostela Santiago de Compostela, 2003, p. 155-180, précisément p. 173-174. La chronologie proposée pour l’auteur pour le portail du Pardon de San Isidoro suit les arguments traditionnels défendus aussi par M. Durliat, qui admettait une date légèrement postérieure par rapport à la porte de Miégeville. Voir M. Durliat, « L’apparition du grand portail roman historié dans le Midi de la France et le Nord de l’Espagne », Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa 8, 1977, p. 7-24. Nous tenons à signaler brièvement que la position historiographique qui défend la postériorité de l’ensemble léonais par rapport au toulousain a été acceptée par d’autres auteurs. Sur cette question, voir M. A. Castiñeiras González, « Topographie sacrée, liturgie pascale et reliques dans les centres de pèlerinage : Saint-Jacques-de-Compostelle, Saint-Isidore de León et Saint-Étienne de Ribas-de-Sil », Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa 34, 2003, p. 27-49, notamment p. 42. Voir aussi T. Martin, « Decorar, aleccionar, aterrorizar. Escultura románica y gótica », Real Colegiata de San Isidoro. Relicario de la monarquía leonesa, dir. C. Robles Gracía y F. Llamazares Reodríguez, León, Edilesa, 2007, p. 106- 143, notamment p. 131-132 et J. A. Moráis Morán, « Nuevas reflexiones… », art. cit., p. 63-86. Certains auteurs avaient défendu auparavant la primauté du portail léonais, mais cette théorie n’aura pas de retour dans les étudessspécialisées. Voir M. Poza Yagüe, « Entre la tradición… », art. cit., p. 9-28.
16 J. Williams, « La mujer del cráneo y la simbología románica », Quintana 2, 2003, p. 13-27, précisément p. 19.
17 F. García Romo, La Escultura del siglo XI (Francia- España) y sus precedentes hispánicos, Barcelona, Planeta, s.d., c.1973, p. 10-39 et « Orígenes y cronología de nuestro románico », Revista de Ideas Estéticas 117, 1972, p. 23-47.
18 A. K. Porter, Spanish Romanesque Sculpture, 2 vol., Firenze, Pantheon, 1928, vol. 1, p. 62.
19 Nous n’avons pas abordé jusqu’à présent le cas exceptionnel de la sculpture de Jaca. Dans les textes d’H. Focillon que nous avons mentionnés, l’auteur paraît passer à coté du type des « joues gonflées ». Revenons, à titre d’exemple, au chapiteau déplacé de l’église Saint-Jacques de Jaca, qui aurait fait hypothétiquement partie du cloître de la cathédrale. Il présente plusieurs figures ayant le même type facial ; on reviendra sur ce chapiteau. En ce qui concerne les relations possibles entre le chapiteau d’Isaac de l’église romane et le sarcophage d’Auch, les auteurs ont fait référence à la représentation de Sarah sur le sarcophage, qui aurait été réinterprétée dans la figure féminine placée à coté de l’autel des sacrifices du chapiteau roman, au portail sud de la cathédrale. Le sarcophage est conservé actuellement au Musée des Augustins de Toulouse (on conserve une œuvre identique provenant de Lucq-de-Bearn). Sur cette question, consulter S. Moralejo, « La reutilización e influencia de los sarcófagos antiguos en la España Medieval », Atti del Colloquio sul reimpiego dei sarcofagi romani nel Medioevo, Marburg, 1984, p. 187-203 ; M. Durliat, La Sculpture romane de la route…, op. cit., p. 241-242 ; G. Fabre, « Inscription et sculptures à caractères religieux d’époque romaine découvertes à Iluro (Oloron, Pyrénées-Atlantiques) », Aquitania 19, 2003, p. 67-80. Dans une étude plus récente, il insistait sur cette question : D. Cazes, « Sarcófago paleocristiano llamado de Saint-Clair », El románico y el Mediterráneo…, op. cit., notice 67, p. 330-331. À nouveau, l’auteur considère que la scène du sacrifice d’Isaac du sarcophage aurait pu inspirer le chapiteau de la cathédrale de Jaca représentant le même thème. De la même façon, il pense que l’une des scènes latérales de l’œuvre paléochrétienne – le péché originel – aurait pu être prise comme modèle pour un chapiteau de la cathédrale de Gérone.
20 M. Durliat, Haut Languedoc roman, Zodiaque, La-Pierre-qui-Vire, 1978, p. 394-396.
21 H. Focillon, L’Art des sculpteurs, op. cit., p. 207. Concrètement, il fait référence aux personnages sculptésssur les plaques de marbre du déambulatoire de Saint-Sernin de Toulouse, où l’on voit un « type épanoui, imberbe, au menton lourd, à la chevelure descendant basssur le front et délibérément ornementale. Elle rappelle par le type et par l’exécution l’art des diptyques consulaires où survit encore quelque chose des habitudes hellénistiques alourdies par la décadence. Surtout le modelé des visages est plus rond et plus plein. »
22 S. Moralejo, « Modelo, copia… », art. cit., plus précisément p. 98-100 ; J.A. Moráis Morán, « Nuevas reflexiones… », art. cit., p. 68-68. Même l’organisation tripartite du tympan de ce portail léonaisssuit le système composite des triptyques en ivoire. Voir aussi J. Arce, Funus Imperatorum. Los funerales de los emperadores romanos, Madrid, Alianza Editorial, 1988, p. 153, « Morte e apoteosi del principe », Aurea Roma. Dalla città pagana alla città cristiana, dir. E. Serena, Roma, L’Erma di Bretschneider, 2000, p. 244-248 et « Dittico dei Simmaci », Aurea Roma…, op. cit., notice 207, p. 551-552. Sur l’ivoire du Bargello, Cf. X. Barral i Altet, « The Roman World », Sculpture. From Antiquity to the Middle Ages. From the Eight Century B. C. to the Fifteenth Century, Geneva, Taschen, 1991, p. 147- 239, notamment p. 232.
23 S. Moralejo, « La primitiva fachada norte de la Catedral de Santiago », Patrimonio artístico…, I, p. 21- 46, en particulier p. 45.
24 B. Taracena, « Arte romano », Ars Hispaniae 2, Madrid, 1947, p. 11-179, notamment p. 130. L’auteur signalait que l’œuvre avait été réutilisée comme sépulcre pour le roi Ramiro II le Moine. Par les caractéristiques du relief et son iconographie, cette sculpture peut remonter à l’époque des flaviens. Voir aussi S. Moralejo, « La reutilización… », art. cit., p. 191-192. Selon cette étude le remploi serait intervenu en 1157. La question des remplois de sarcophages antiques a été reprise par certains auteurs : M. Claveria Nadal, « La reutilización de sarcófagos romanos en Cataluña », AnMurcia 13-13, 1997- 1998, p. 241-250. Sur le type iconographique des génies ailés portant le clipeus, Cf. du même auteur « El sarcófago romano. Cuestiones de tipología, iconografía y centros de producción », El sarcófago romano. Contribuciones al estudio de su tipología, iconografía y centros de producción, Murcia, Universidad de Murcia, 2001, p. 19-50, précisément p. 41.
25 S. Moralejo, « La sculpture romane de la cathédrale de Jaca. État des questions », Patrimonio artístico…, op. cit., I, p. 141-160, précisément p. 148-150, même si l’auteur admettait que la parenté stylistique des deux œuvres pouvait s’expliquer par une coïncidence ou par leur patine lors de leur étude.
26 Le travail a été réalisé par Mme le professeur L. Barrado : L. Diego Barrado, « Capitel de la iglesia de Santiago a Jaca », Sancho III el Mayor y sus herederos. El linaje que europeizó los reinos hispanos, 2 vol., Pamplona, Fundación para la Conservación del Patrimonio Histórico de Navarra 2006, II, notice 208, p. 698-699. En ce qui concerne le dernier état de l’œuvre, on lit qu’elle avait été modifiée dans cette dernière étude.
27 Ce qui suppose très clairement l’utilisation d’une méthode de comparaison stylistique, même si elle ne dit passson nom. Sur le chapiteau de l’église de Saint-Jacques, voir S.C. Simon, « Iconografía de un capitel del Claustro de la catedral de Jaca », Jaca en la Corona de Aragón (siglos xii-xviii), Zaragoza, Gobierno de Aragon, Departamento de Educacion y Cultura, 1994, III, p. 423-436 et « Un chapiteau du cloître de la cathédrale de Jaca représentant la psychomachie », Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa 12, 1981, p. 151-159.
28 S. Settis, « Continuitá, distanza, conoscenza. Tre usi dell’antico », Memoria dell’antico nell’arte italiana. Dalla tradizione all’archeología, vol. 3, Torino, Einaudi, 1986, p. 373-486 ; E. Esch, « Reimpiego », Enciclopedia dell’arte medievale, vol. 9, Roma, Instituto Treccani, 1998, p. 876- 883 ; L. de Lachenal, Spolia. Uso e reimpiego dell’antico dal III al xiv secolo, Milano, Longanesi, 1995, en particulier p. 23-55 et D. Kinney, « The concept of spolia », A Companion to Medieval Art : Romanesque and gothic in Northern Europe, ed. C. Rudolph, Oxford, Blackwell, 2006, p. 233-252.
29 Th.W. Lyman, « La table d’autel de Bernard Gilduin et son ambiance originel », Les Cahiers de Saint-Michel-de-Cuxa 13, 1982, p. 53-75 ; D. Cazes, « Toulouse, Musée des Augustins, acquisition d’un morceau de la corniche romane provenant de la basilique de Saint-Sernin », Bulletin Monumental 143, 1985, p. 152-153 et Q. Cazes, « La escultura en Toulouse… », art. cit., particulièrement p. 74.
30 Th.W. Lyman, « Le style comme symbole chez lesssculpteurs romans : essai d’interprétation de quelques inventions thématiques à la porte Miégeville de Saint-Sernin », Les Cahiers de Saint-Michel-de-Cuxa 12, 1981, p. 161-180.
31 R. Grousset et J. Auroyer, « Oreste », Enciclopedia dell’arte antica, classica, e orientale. Secondo supplemento, vol. 5, Roma, Istituto Treccani, 1997, p. 740-741.
32 Sur le sarcophage d’Husillos, voir les études qui suivent : A. Balil Illana, « Arte de la época romana », Historia del Arte de Castilla y León. Prehistoria, Edad Antigua y Arte Prerrománico, vol. 1, Valladolid, Ambito Ediciones, 1994, p. 71-102 et M. A. Castiñeiras González, « Sarcófago da Orestíada », Luces de Peregrinación, Santiago de Compostela, Xacobeo, 2004, p. 248-250, où sont réunis une bonne partie des études portant sur la pièce en question et ses relations avec la sculpture romane. En ce sens, le travail le plus important a été celui du prof. Moralejo, qui a découvert la copie d’une partie de la sculpture du sarcophage sur un des chapiteaux de l’église de Fromista : S. Moralejo, « Sobre la formación del estilo escultórico de Frómista y Jaca », Patrimonio artístico…, op. cit., vol. 1, p. 65-69 et « La reutilización… », art. cit., p. 196-197. Nous ne pouvons pas citer ici toute la bibliographie suscitée par ce thème. On citera donc les ouvrages consultés pour la présente étude : E. Berteaux, « La sculpture chrétienne en Espagne des origines au xive siècle », Histoire de l’art, vol. 2, Paris, 1906, p. 244 ; S. Settis, « Continuità, distanza… », art. cit., p. 402-403 ; H. Bredekamp, « Die nordspanische Hofskulptur und die Freiheit der Bildhauer », Studien zur Geschichte der Europaïschen Skulptur im 12/13. Jahrhundert, Franckfurt-am-Main, Städtische Galerie Liebighaus, 1994, p. 263-274 ; M. A. Castiñeiras González, « Capitel románico inspirado na Orestíada do sarcófago de Husillos », Luces de Peregrinación, op. cit., p. 252-254 ; H. Bredekamp et F. Seehausen, « Das Reliquiar als Staatsform. Das Reliquiar Isidors von Sevilla und der Beginn der Hofkunst in León », Reliquiare im Mittelalter, Berlin, Akademie Verlag, 2005, p. 139-164 ; M. del Amo de la Hera, « Capitel com nú clássico », O Românico e o Douro, Lisboa, Fundacion Rei Afonso Henriques, 1998, p. 182-184 et J.J. Fernández, « Capitel inspirado en La Orestiada », Los Caminos de Santiago…, op. cit., p. 318. Enfin, consulter M.A. Castiñeiras, « Verso Santiago ?… », art. cit., p. 388. L’auteur expose ici une nouvelle série de théoriesssur la diffusion des motifs provenant desssarcophages au sein des ateliers de Fromista et Jaca.
33 Actuellement le débat se centre sur la transmission et la diffusion des modèles et les formulations stylistiques à partir de l’étude des hypothétiques itinéraires des artistes romans. Voir M. Guardia, « Una región meridional de la pintura románica », El románico y el Mediterráneo…, op. cit., p. 148- 157.
34 À titre d’exemple, voir l’étude suivante sur le portail : O. Testard, « La porte Miégeville de Saint-Sernin de Toulouse : proposition d’analyse iconographique », Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France 63, 2003, p. 273-274.
35 Sur ce type de monnaies voir L. Laurenzi, « Colosseo », Enciclopedia dell’arte…, op. cit., vol. 2, p. 773-774 (il est daté de 408 ap. J.-C.). Consulter aussi L. Breglia, « Aretusa », ibid., vol. 1, p. 616-617 et « Kimon », ibid., vol. 4, Roma, 1961, p. 361-362 ; J. Penny Small, The Parallel worlds of classical art and text, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 347 et H.P. L’Orange, Apotheosis in ancient portraiture, New York, Aristide D. Caratzas, 1982 (1re éd. 1947), p. 30-35. Le type facial caractéristique de ces figures, avec des joues rondes était bien connu par les artistes antiques, au moins dans les dernières années du Ve siècle ap. J.-C.
36 Parmi les contributions les plus récentes, consulter : J. Williams, « La mujer del cráneo… », art. cit., p. 13-27 et C. Sastre Vázquez, « La portada de las Platerías y la Mujer Adúltera : una revisión », Archivo Español de Arte 79-314, 2006, p. 169-186.
37 Jusqu’à présent, nous ne connaissons aucun exemple de ce type conservé dans la péninsule ibérique. Après l’analyse des œuvres conservées et des études qui leur sont relatives, le plus plausible est que ce type de monnaies ne sortait pas des hôtels de monnaies ibériques de l’Antiquité. À ce sujet, voir M.-P. García-Bellido, « Dalla moneta iberica alla moneta ispanica », Hispania romana. Da Terra di conquista a Provincia dell’Imperio, Milano, Electa, 2007, p. 31-43.
38 E. Panofsky, Renacimiento y renacimientos…, op. cit., p. 30.
39 Ce même problème se présente, par exemple, lorsqu’il s’agit d’expliquer le passage de motifs issus de la mosaïque antique dans l’art médiéval, car on sait que de nombreuses mosaïques n’étaient plus visibles dès avant la fin de l’Antiquité.
40 S. Biay, « Entre l’œil… », art. cit. ; J. Plazaola, Modelos y teorías…, op. cit., p. 40-58 et E. Lafuente Ferrari, La fundamentación…, op. cit., p. 82-83.
Notes de fin
1 Cette étude a été possible grâce aux bourses de recherche du Programme de Formation du Professorat Universitaire du Ministère espagnol de l’Éducation et des Sciences (FPU) et de la Fondation du Patrimoine de Castille et León. Je voudrais aussi exprimer messsincères remerciements à mes amis et collègues du Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale de l’Université de Poitiers (UMR 6223) Renée Del Porto et Sébastien Biay pour l’aide prêtée à l’élaboration, la documentation et la traduction de ce travail.
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.