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La sidérurgie française et la maison de Wendel pendant les Trente Glorieuses

 | 
Philippe Mioche

Du marché à l’État

La maison de Wendel dans la sidérurgie des Trente Glorieuses (1945-1975)

Philippe Mioche

Texte intégral

1Après la crise de l’entre-deux-guerres et l’occupation nazie, la sidérurgie française est ruinée, particulièrement en Lorraine. L’usine de Jœuf, un des berceaux de Wendel, est en pièces en 1945. Ses machines découpées errent sur les chemins de fer d’Europe orientale. François de Wendel est injustement cloué au pilori par la presse communiste.

2Quelques trente années plus tard, en 1978, le gouvernement de Raymond Barre procède à l’étatisation du secteur dans le contexte de la crise financière et industrielle inédite qui frappe la sidérurgie française. Wendel se poursuit ailleurs qu’en Lorraine et autrement que dans la sidérurgie.

  • 1 Cf. Maurice Levy-Leboyer et Jean-Claude Casanova, dir., Entre lÉtat et le marché. Léconomie franç (...)

3Dans cette période, la sidérurgie est passée du marché à l’Etat1. D’un marché, certes fortement régulé, à l’étatisation de 1978. De Charybde en Scylla ? Certainement pas car la sidérurgie et Wendel ont occupé une place majeure dans la croissance française.

4Il s’agit de montrer ici à la fois la place de la sidérurgie dans les Trente Glorieuses et le rôle de Wendel dans cette croissance. Quelles sont les spécificités de la Maison ? Comment identifier des singularités de l’entreprise lorraine ? Comment comprendre ses décisions stratégiques ?

  • 2 Jean-Noël Jeanneney, François de Wendel en République, Paris, Seuil, 1976, nouvelle édition Perrin  (...)
  • 3 Parmi les entretiens : Henri Malcor (1906-1998) ; Jacques Ferry (1913-1996), Roger Martin (1915-200 (...)
  • 4 Voir les contributions de Magali Lacousse et de Vincent Boully dans le présent volume. Cf. aussi : (...)
  • 5 Jean-Noël Jeanneney, op. cit., p. 9 : « Qui dressera quelque jour l’histoire économique approfondie (...)
  • 6 La Fondation de Wendel met en place une aide à la recherche destinée à soutenir des mémoires de mas (...)

5L’exercice est neuf en dépit des ouvrages de référence2 car nous ne disposons pas encore de monographie spécifique sur Wendel dans cette période. La communication repose essentiellement sur l’historiographie et sur des sources orales3 ainsi que sur une consultation partielle des archives Wendel versées aux Archives nationales4. Cette ressource d’archives est importante en volume et en qualité des documents5. Elles constituent le fondement de plusieurs thèses à venir. Le propos est donc de lancer quelques pistes de recherche dans cette perspective6.

6Nous nous attachons à replacer les « fondamentaux » économiques de la sidérurgie française pendant la période sous revue. Ce qui permettra de distinguer deux séquences chronologiques, de 1945 à 1962 et de 1962 aux années 1970. Nous engagerons ensuite l’examen de quelques questions stratégiques pour Wendel.

Les Trente Glorieuses de la sidérurgie française

  • 7 Thomas Piketty, Le capital au xxie siècle, Éditions du Seuil, 2013, p. 162.

7Les Trente Glorieuses évoquent dans la littérature francophone depuis Jean Fourastié la période de croissance exceptionnelle, faite essentiellement d’un rattrapage de l’entre-deux guerres7, que la France a connu de 1945 à 1975. Pendant ces trente années, le taux de croissance annuelle s’établit autour de 5 % en moyenne. Cette croissance débouche sur des phases de plein emploi et d’excédents de la balance commerciale dans un contexte d’instabilité monétaire et d’inflation. Elle s’inscrit dans la foulée de la reconstruction de l’Europe occidentale après la Seconde Guerre et s’alimente en partie des débuts de la construction européenne. Elle repose sur une régulation par les politiques économiques inspirée notamment par les théories de J.M. Keynes.

  • 8 Nombreuses références, cf. Jacques Lesourne, Le Modèle français. Grandeur et décadence. Paris, Édit (...)

8Longtemps valorisée par les historiens, devenue parfois l’objet des nostalgies diverses, la période et ses méthodes (planification, nationalisation) ne font plus recette8. Quant à la sidérurgie, plus que d’une révision de ses résultats, il s’agit d’un déni de cette activité. En effet, ce secteur est devenu depuis 40 ans un symbole de crise et de déclin industriel. Les représentations de cette industrie sont souvent négatives ou se banalisent dans l’oubli.

  • 9 Philippe Mioche, Les cinquante années de l’Europe du charbon et de l’acier, 1952-2002, Commission e (...)

9C’est une injustice car la sidérurgie a été avant et pendant les Trente Glorieuses une grande industrie prospère et innovante et elle était le principal employeur de certaines régions. On parlait alors de l’acier comme du « pain de l’industrie ». Il incarnait la puissance des nations et ce n’est pas un hasard si on a commencé l’Europe par le charbon et l’acier9.

10En effet, la sidérurgie nationale participe amplement au mouvement de la croissance, épousant en cela l’augmentation de la production et de la consommation de produits sidérurgiques en Europe et dans le monde.

Production d’acier brut en France, Europe et monde ; en milliers de tonnes.

1946 1956 1966 1974
France 4.408 13.399 19.585 27.023
Europe occidentale10 12.131 56.742 85.114 133.274
Monde 111.500 283.000 472.004 709.591
  • 10  Future CECA en 1946, sans le Royaume-Uni en 1966 et en 1974.

Freyssenet Michel, Imbert Françoise, Capital sidérurgique et classe ouvrière en Lorraine. Données statistiques, Paris, CSU, 197510

  • 11 Soit 782 798 000 tonnes en 1974 ; dès 1975 elle tombe à 712 000 tonnes.

11La croissance de la production est continue jusqu’en 1974, où elle atteint son apogée historique, avant de chuter lourdement11.

La production d’acier brut en France, 1945-1975 (milliers de tonnes d’acier brut).

La production d’acier brut en France, 1945-1975 (milliers de tonnes d’acier brut).

Philippe Mioche, Doctorat d’État en Histoire contemporaine : « La sidérurgie et l’État en France des années quarante aux années soixante », université de Paris IV, 1992.

12La production française d’acier s’établissait à près de 10 millions de tonnes en 1929 et plus de 6 millions en 1938. Elle repart de très bas en 1944, du fait de la crise de l’entre-deux guerres, du pillage par l’occupant et des conditions de la Libération.

13Cette croissance physique contribue à l’excédent commercial de la France pour l’essentiel de la période.

Balance commerciale des produits sidérurgiques français 1945-1975.

Balance commerciale des produits sidérurgiques français 1945-1975.

Mioche Philippe, op. cit., Annexes statistiques, 1992.

  • 12 Philippe Mioche, Le Plan Monnet, genèse et élaboration 1941-1947, Paris, Publications de la Sorbonn (...)

14Dans l’immédiat après-guerre, la planification initiée par Jean Monnet est un outil important des politiques économiques12. Le tableau ci-dessous montre que les résultats de la sidérurgie en termes de croissance atteignent ou dépassent les objectifs du plan jusqu’au IVe plan (1961-1965) où les résultats divergent.

Taux de croissance moyen annuel de la sidérurgie dans la planification.

Retenu par le plan Réalisé
Plan I 1946-1952 15 % 14.29 %
Plan II 1953-1956 4.4 % 5.38 %
Plan III 1957-1960 4.7 % 6.55 %
Plan IV 1961-1965 5.5 % 2.55 %
Plan V 1966-1970 5.7 % 3.93 %
Plan VI 1971-1975 5.5 à 6 % - 1.95 %

Philippe Mioche, op. cit, Annexes statistiques, 1992.

15Cette comparaison entre objectifs du plan et réalisation fait apparaître le décrochage de la croissance sidérurgique au regard des objectifs et des réalisations de la planification française à partir de 1961-1962. Cette césure en deux périodes, 1945-1962, et 1962-1974 est confirmée par d’autres indicateurs et sera la base chronologique de la présentation qui suit.

16Pour autant, l’évolution de l’emploi sidérurgique ne reflète pas vraiment le rythme de la croissance physique. L’apogée historique est atteint en 1961 et la récession de l’emploi est entamée à partir de 1966, mais la tendance générale (trend) sur l’ensemble de la période est positive.

Évolution de l’emploi sidérurgique en France, 1946-1975, en valeur absolue (bleue) et en trend (noir).

Évolution de l’emploi sidérurgique en France, 1946-1975, en valeur absolue (bleue) et en trend (noir).

Philippe Mioche, op. cit., Annexes statistiques, 1992.

17Ces résultats en termes de croissance et d’emplois ont été obtenus grâce à une politique massive d’investissements qui se répartissent de façon inégale au cours de la période autour de trois opérations majeures : les grands laminoirs à chaud du Plan Monnet, la réalisation de Dunkerque par Usinor et celle de Fos par la Sollac.

Évolution de l’investissement en valeur (francs courants) de la sidérurgie française 1946-1975.

Évolution de l’investissement en valeur (francs courants) de la sidérurgie française 1946-1975.

Philippe Mioche, op. cit., Annexes statistiques, 1992.

18C’est ainsi que les investissements en Lorraine s’effondrent en 1971 relativement aux autres régions, en fait au profit de la réalisation de Fos (graphique ci-dessous).

L’investissement sidérurgique dans trois régions, en % des investissements 1955-1975.

L’investissement sidérurgique dans trois régions, en % des investissements 1955-1975.

Philippe Mioche, op. cit., Annexes statistiques, 1992.

  • 13 Jean Sallot, Le contrôle des prix et la sidérurgie française, 1937-1974, thèse de doctorat de l’uni (...)

19Ces investissements importants ne sont que partiellement financés par les résultats des entreprises car les gouvernements de la Quatrième République et du début de la Cinquième pratiquent un contrôle des prix de vente sur le marché intérieur en vue de juguler l’inflation13. En effet, le prix de l’acier entre en amont dans le coût de nombreuses fabrications. Ainsi, la compétitivité de l’industrie automobile française repose partiellement sur le coût relativement bas de l’acier. C’est un choix politique.

  • 14  Laminé marchand Thomas : prix de référence des produits sidérurgiques. En lignes, francs courants, (...)

Les prix de vente sur le marché intérieur pour une tonne de laminé marchand14 1945-1975 (francs courants en ligne, euros 2015 constants en colonnes).

Les prix de vente sur le marché intérieur pour une tonne de laminé marchand14 1945-1975 (francs courants en ligne, euros 2015 constants en colonnes).
  • 15 Le cours de l’acier en 2014 est de l’ordre de 100 Euros la tonne en 2014, il baisse sensiblement en (...)
  • 16 Philippe Mioche, Jacques Ferry et la sidérurgie française depuis la seconde guerre mondiale, Aix-en (...)

20Le graphique ci-dessus montre que les prix nominaux bondissent à partir de 1969 car l’Etat renonce à sa politique de contrôle des prix sidérurgiques, mais que les prix en volume (déflatée) stagnent longtemps autour de 800 euros et qu’ils connaissent même une diminution de 1959 à 196815. Le constat est incontournable et les sidérurgistes, particulièrement la Chambre syndicale de la sidérurgie française dirigée par Jacques Ferry, en font une explication majeure de la crise financière du secteur en 1975-197816.

  • 17 François Sermier, Les investissements de la sidérurgie française, 1919-1977, thèse université de Pa (...)

21Les ressources financières que les dirigeants de la sidérurgie ne trouvent pas dans les prix de ventes proviennent de l’endettement des entreprises. Le graphique ci-après montre les origines du financement de la sidérurgie. Les fonds propres (augmentation de capital et autofinancement), qui représentent 100 % en 1946, chutent au début des années cinquante et s’effondrent en fin de période. Les fonds publics (FME, FDES) sont importants au début des années cinquante et en 1966-1968. Pendant leur décrue, les fonds publics sont relayés par les obligations, les banques enfin ne jouent un rôle important qu’en début et en fin de période17.

Les sources de financement de la sidérurgie française en % du financement total, 1946-1975.

Les sources de financement de la sidérurgie française en % du financement total, 1946-1975.

Philippe Mioche, « Le rôle des banques dans le financement de la sidérurgie », dans Kharaba Ivan & Mioche Philippe, Banques et industries. Histoire d’une relation timorée du xixe à nos jours, Études universitaires de Dijon, 2013.

  • 18 Notre hypothèse est que la somme des gains procurés par les bonifications des taux d’intérêts équiv (...)

22Pour l’essentiel, les obligations sont collectées par le GIS (Groupement des industries sidérurgiques) sous le contrôle de la profession. Certaines années, la part des obligations est considérable ; jusqu’à 36 % en 1964, 37 % en 1972. Par le jeu des bonifications accordées par les pouvoirs publics, cette ressource financière est peu coûteuse, certaines années, elle a même un prix inférieur à l’inflation (rendement négatif). C’est une ressource confortable qui incite les entreprises à s’endetter. Les bonifications accordées interviennent comme des compensations au blocage des prix et nous considérons qu’il s’agit là d’un jeu à somme nulle à l’échelle macro-économique18. Mais cette échelle n’est pas celle des entreprises et l’endettement de la sidérurgie prend des proportions considérables (graphique ci-contre).

Encours de l’endettement total de la sidérurgie en Francs en % du chiffre d’affaires hors taxes.

Encours de l’endettement total de la sidérurgie en Francs en % du chiffre d’affaires hors taxes.

Philippe Mioche, op. cit., Annexes statistiques, 1992.

23Cet endettement atteint à l’échelle de la branche 60 % du chiffre d’affaires en 1954, 80 % en 1968, 100 % en 1975. Ces seuils sont toujours relatifs, mais on peut considérer qu’aucune entreprise ne peut survivre avec un taux d’endettement de 100 % ; la faillite était donc inéluctable. Les décisions du gouvernement de Raymond Barre en 1978 ne relèvent pas d’un choix politique mais reflètent la situation du marché.

  • 19 Hervé Joly, « Diriger une grande entreprise au xxe siècle : modes de gouvernance, trajectoires et r (...)

24Ce contexte retracé, il convient à présent d’aborder la place de la Maison de Wendel dans la période. Le terme de « Maison » est ici utilisé par commodité car il permet d’esquiver la question de la nébuleuse des intérêts contrôlés par la famille de Wendel. Car Wendel demeure une entreprise familiale jusqu’en 1978 et au-delà. C’est une particularité majeure devenue unique pour les grandes entreprises sidérurgiques du xxe siècle. Il faut distinguer deux ensembles, les sociétés holding et les actifs industriels19.

  • 20 AN/190 AQ/44/ Relations franco allemandes/Fonds de Wendel : Le document « Actionnaires de la sociét (...)
  • 21 Cf. Jean-Marie Moine, Les barons du fer. Les maîtres de forges en Lorraine du milieu du xixe siècle (...)
  • 22 Cf. la contribution d’Ivan Kharaba dans le présent ouvrage.
  • 23 La création de la CGIP est qualifiée « d’astucieuse » par Xavier Vigna, article « Les restructurati (...)

25La holding familiale, héritière de l’Histoire20, Les Petits-Fils de François de Wendel21, assure en 1950 le contrôle de l’ensemble des actifs hérités. Cette société en commandite par actions est transformée en 1952 en société anonyme. Les actifs de cette société sont transférés à la Compagnie lorraine industrielle et financière (CLIF) en 1972 dont les 300 membres de la famille sont actionnaires. C’est la CLIF qui lance l’OPA de 197422. La CLIF est transformée en Compagnie générale d’industries et de participations (CGIP) en 1977 afin de rassembler les actifs non-sidérurgiques hors du périmètre de l’étatisation envisagée par Raymond Barre23.

26Par ailleurs, les actifs sidérurgiques détenus par Wendel SA sont regroupés dans Wendel et Cie en 1950. Ces actifs sont réunis avec ceux de Sidelor en 1968 dans de Wendel-Sidelor. Quant à la Sollac, où Wendel est prépondérant, elle crée la filiale Sacilor en août 1964 afin de réaliser l’aciérie électrique de Gandrange qui contribue à l’alimentation du grand laminoir. C’est aussi Sollac qui crée la Solmer pour la réalisation de l’usine de Fos-sur-Mer.

  • 24 Le rôle d’Humbert de Wendel est bien montré dans Denis Woronoff, op. cit., 2001.
  • 25 Entretien avec Paul Lacour.

27Le management stratégique est conduit en 1945 par François de Wendel, mais celui-ci, âgé et déçu par les événements de la Libération, se repose largement en matière industrielle sur ses frères Humbert24 (1876-1954) et Maurice (1879-1961) et sur des proches comme Emmanuel de Mitry (1892-1983) et Jean Sélière. Pendant les années 1960, la direction stratégique passe d’Emmanuel de Mitry, accompagné d’Henri de Wendel (1913-1982), à Pierre Celier (1917-2010) qui prendra les décisions essentielles de la fin de la période25.

28Par ailleurs, si les usines de Wendel restent les plus importantes en Lorraine, elles ne représentent qu’une fraction de la production française. Au cours de la période, les usines de Wendel augmentent leurs productions de façon régulière, passant de 100 000 tonnes vers 1948 à 300 000 vers 1967. La fusion de Wendel-Sidelor provoque un changement de catégorie, entre 700 et 800 000 tonnes.

29Le poids de Wendel dans l’emploi sidérurgique est important. L’addition des effectifs de trois usines, à laquelle il convient d’ajouter les effectifs de Sollac (qui transforme mais ne produit pas d’acier) car elle demeure sous l’autorité de Wendel, atteint à son apogée de 1964 plus de 30 000 salariés, (graphique ci-contre).

  • 26  Le graphique s’interrompt en 1971 car avec de Wendel-Sidelor, le décompte prend un autre sens.

Effectifs salariés des usines de Wendel26 (Hayange, Moyeuvre et Jœuf) et effectifs de Sollac (valeur absolue).

Effectifs salariés des usines de Wendel26 (Hayange, Moyeuvre et Jœuf) et effectifs de Sollac (valeur absolue).

Philippe Mioche, op. cit., Annexes statistiques, 1992.

  • 27 Ce point méritera une étude particulière.

30Encore faut-il rappeler que Wendel contrôle aussi de nombreuses autres usines et mines dans la transformation et hors sidérurgie. Si bien que le « poids social » de la direction stratégique est bien plus considérable27. Le graphique montre la relative stabilité des effectifs entre 15 000 et 20 000 salariés, jusqu’à la diminution de 1966 à l’issue du Plan professionnel. Lequel n’affecte pas Sollac qui continue d’embaucher. Les effectifs d’Usinor, l’autre grand, sont pendant longtemps, dans la sidérurgie, inférieurs de moitié.

31L’un dans l’autre, l’évolution des résultats des deux entreprises majeures de la sidérurgie française est parallèle en termes de chiffre d’affaires (graphique ci-après). Cette ressemblance reflète aussi l’organisation cartellisée du secteur qui veille aux équilibres intérieurs.

L’évolution du chiffre d’affaires hors taxes de Wendel et d’Usinor 1948-1974 (francs courants).

L’évolution du chiffre d’affaires hors taxes de Wendel et d’Usinor 1948-1974 (francs courants).

Philippe Mioche, op. cit., Annexes statistiques, 1992.

32Pour autant, la politique de distribution de dividendes est nettement différente entre le groupe managérial (Usinor) qui distribue beaucoup et le groupe familial (Wendel) qui distribue beaucoup moins en fin de période (graphique ci-dessous). Mais nous nous garderons d’en tirer des conclusions immédiates compte tenu de la pyramide de holding de contrôle.

La distribution de dividendes à Wendel et Usinor (1950-1974), en francs courants.

La distribution de dividendes à Wendel et Usinor (1950-1974), en francs courants.

Philippe Mioche « La performance paradoxale de la sidérurgie », dans Jacques Marseille, dir., Les performances des entreprises françaises au xxe siècle, Paris, Le Monde Éditions, collection Mémoire d’entreprises, 1995, p. 117-130.

  • 28 Sur cette discussion, cf. Charles Barthel, « La crise sidérurgique des “golden Sixties”. La renaiss (...)

33Au terme de ce panorama de la croissance sidérurgique, deux considérations émergent qui permettent de structurer la suite de la communication. De nombreux indicateurs opposent nettement deux sous périodes. Avant 1962 où la prospérité de la sidérurgie est forte et incontestable et après 1962 où les choses deviennent nettement plus compliquées. La crise structurelle de la sidérurgie a-t-elle commencé en 1962 ? Nous le pensons28.

1945-1962 : la croissance, Wendel et la Sollac

34Dans les limites de cet ouvrage, nous ne pouvons aborder tous les débats de la sidérurgie, aussi nous nous concentrons sur quelques questions centrales en focalisant sur les positions de Wendel.

35Il convient pour cela d’introduire une nouvelle singularité de Wendel dans la sidérurgie française : le poids de l’Histoire et de la Géographie.

  • 29 Conseil de surveillance du 10 mai 1943, AN 189 AQ 138, « De Moustier demande que la société soit co (...)

36Sans retracer les origines de la dynastie, le poids de l’Histoire est incarné pour la période sous revue par François de Wendel et ses messages à ses descendants. Lui-même étant profondément imprégné de son héritage et notamment des succès techniques et économiques de son père. Inutile ici de rappeler que François de Wendel est une forte personnalité, Jean-Noël Jeanneney et Denis Woronoff l’ont fait. Certains de ces messages ont une portée opératoire sur les débats que nous allons aborder. Citons pêle-mêle outre la fierté de la Maison, le peu d’estime – c’est une litote – pour les sociétés anonymes29, pour les ingénieurs du Corps des Mines et, sur un autre registre, les rancœurs accumulées à l’égard de Pont-à-Mousson et en particulier à l’égard de Camille Cavallier (1854-1926) et de ses successeurs. Les Carnets de F. de Wendel comportent de nombreuses formulations de ces critiques. Il est sans doute extrêmement difficile pour son fils Henri et pour ses gendres, E. de Mitry et P. Celier, d’ignorer ces « messages ».

37Quant à la géographie, les ouvrages cités montrent abondamment l’attachement viscéral de la famille à l’égard de la Lorraine. On comprendra mieux ce que nous suggérons en écrivant un peu brutalement que le grand concurrent managérial, Usinor, n’a ni histoire, ni géographie dans son code génétique. C’est une asymétrie significative.

38En outre, Wendel est confrontée dans la période à trois paramètres hors conjoncture économique. Le premier est celui de la politique économique des pouvoirs publics. La famille a plus d’empathie pour les politiques économiques de la Cinquième République que pour celles de la Quatrième. Et quand elles comportent des similitudes – cf. le contrôle des prix –, l’adhésion à la personne du Général de Gaulle l’emporte sur les ressentiments.

39Le second paramètre est celui de la compétition nationale. La rivalité symbolique et économique s’est déplacée. La compétition n’oppose plus à Schneider ou à Marine comme dans l’entre deux-guerres mais à Usinor dont les dynamiques sont provocantes pour Wendel, d’autant que le groupe nordiste est soupçonné de bénéficier de la complicité des pouvoirs publics de la Quatrième République.

40Le troisième paramètre est celui de la compétition régionale. Car si Wendel est le premier lorrain, il n’est pas toute la Lorraine sidérurgique. C’est dire que les relations avec Sidelor, l’enfant de Pont-à-Mousson, ne sont pas simples.

  • 30 Le premier plan pose directement la question de la fermeture d’usines. Commission de modernisation (...)

41Nous nous concentrons à présent sur la question des grands laminoirs américains et sur la création de la Sollac. À défaut d’une nationalisation de la sidérurgie à propos de laquelle les partis au gouvernement ne sont pas parvenus à un accord, les pouvoirs publics entendent orienter l’avenir de la sidérurgie privée. Ces orientations s’expriment notamment avec le Plan Monnet (1946-1952). L’État souhaite en particulier une restructuration des établissements sidérurgiques en concentrant les investissements sur des établissements plus modernes et plus performants30. Une trentaine d’usines d’une capacité de 500 000 tonnes pourraient se substituer aux 177 existantes.

  • 31 Sur l’histoire des grands laminoirs en Europe, cf. les travaux récents de Jonathan Aylen & Ruggero (...)

42La restructuration souhaitée s’articule sur l’implantation de deux grands trains de laminoirs à chaud et à bandes larges de fabrication américaine. Ces investissements permettraient à la sidérurgie française d’alimenter l’industrie automobile en tôles, contribuant ainsi à l’essor des véhicules individuels. La restructuration devrait se faire autour de deux pôles : Usinor et Usinest en Lorraine. En contrepartie de la fermeture des certains établissements vétustes et de la création de deux entreprises nouvelles, l’État est disposé à financer les deux laminoirs grâce aux crédits mis à disposition par le Plan Marshall31.

43Avant même la mise en place de la commission de modernisation de la sidérurgie du Plan Monnet, les managers des Forges et Aciéries du Nord et de l’Est et ceux des Hauts Fourneaux et Aciéries de Denain et Anzin, conduits par René Damien, affirment leur volonté de réunir leurs établissements dans Usinor et d’installer le grand laminoir à Montataire. Cette promptitude permet à Usinor de bénéficier d’un taux de change en dollar particulièrement avantageux et de prendre deux ans d’avance sur ses concurrents.

  • 32 Philippe Mioche, « Une vision conciliante du futur de l’Europe : le plan d’Alexis Aron en 1943 », d (...)

44Mais en Lorraine, les choses se passent différemment. Wendel refuse Usinest et les discussions se prolongent tout au long de l’année 1946 dans la commission du plan. Le projet y est défendu par Alexis Aron, un ingénieur du Corps des Mines, ancien dirigeant des Forges du Nord et de l’Est. Il a été contraint de démissionner en 1940, du fait des lois antisémites. À la Libération, il occupe une fonction d’interface entre l’administration du ministère de l’Industrie et ses anciens collègues32.

  • 33 Carnet de F. de Wendel, l’étude de P. Pierrard est de mai 1942 et la conférence se tient en juin 19 (...)

45Pourquoi Wendel refuse-t-il ? Écartons d’emblée l’idée d’un manque d’intérêt pour les grands laminoirs. Dès 1942, une étude réalisée par Paul Pierrard souligne l’enjeu du laminoir et une conférence interne à Wendel conclu que ce laminoir pourra être installé à Hayange33. Le débat est ouvert à nouveau en mars 1945. Mais pour F. de Wendel, le projet devient alors inacceptable. Selon lui, A. Aron associe la rationalisation des outils à la fermeture de plusieurs établissements de la vallée de la Fentsch (Saint Jacques, La Fenderie, la Platinerie et Jœuf). Ceci est perçu comme une entreprise de démantèlement du groupe lorrain.

  • 34 Carnet de F. de Wendel, le 27 mars 1945.

C’est à se demander si le directeur de l’Office professionnel de la sidérurgie [Alexis Aron] qui est encore venu me faire des salamalecs l’autre jour est un fourbe, un brouillon ou un fou, ou s’il n’essaie pas tout simplement de sauver la situation en se joignant aux chacals qui rêvent de dépecer la vieille Maison. Quoi qu’il en soit, le train à bande de Hayange doit être désormais considéré comme un cheval de Troie et il n’y a qu’à manœuvrer pour qu’on l’installe à Hagondange ou à Thionville et pas chez nous34.

  • 35 Sur ces différentes sociétés, cf. Claude Prêcheur, La Lorraine sidérurgique, Paris, SABRI, 1959.
  • 36 Projet provisoire de répartition du capital de la Soflac, 24 juillet 1945. 189 AQ 180. Carnet de F. (...)
  • 37 Note CSSF du 9 août 1945. PAM 56 806. « Blum-Picard a félicité Aron d’avoir obtenu pour la première (...)
  • 38 Matthias Kipping, La France et les origines de l’Union européenne 1944-1952 : intégration économiqu (...)

46Le 27 juillet 1945, A. Aron présente une solution intermédiaire pour un train spécialisé dans les tôles qui serait le prélude à un second train plus généraliste ; lesquels seraient gérés en commun par la profession, mais sans indication sur le lieu d’implantation. La place des entreprises dans cette affaire commune baptisée Soflac serait la suivante : La Chiers 4,43 %, Denain 11,42 %, de Wendel 16,40 %, Longwy 4,5 %, Marine 3,9 %, Nord Est 2,73 %, Pompey 2,73 %, Providence 1,21 %, Schneider 1,54 %, Basse Indre 5,48 %, Chatillon Commentry 4,96 %, Hagondange 12,29 %, Safe 5,44 %35. Mais quand il présente cet accord à F. de Wendel ; il rencontre une fin de non-recevoir36. L’administration envisage alors une société d’économie mixte pour exploiter un train continu, laquelle serait pilotée par la Safe (Société des aciers fins de l’Est où Renault détient une participation et où il s’approvisionne pour ses carrosseries37). Il est vrai que Renault, par l’intermédiaire de la Safe, se positionnait en vue de réaliser le train de l’Est. Mais il n’avait pas les capacités sidérurgiques pour alimenter le grand train38. Ce nouveau projet suscite un tollé dans la profession et P. Pierrard pour Wendel déclare : « C’est la négation même du droit de propriété inscrit à la déclaration des droits de l’homme ».

47En juillet 1946, F. de Wendel considère que

  • 39 Carnet de F. de Wendel, le 12 juillet 1946. Note Pierrard du 27 septembre 1946. 189 AQ 180.

La lutte va s’engager entre Denain et la Safe. Je [F. de Wendel] suis sorti assez méfiant et mécontent de cette réunion (une manœuvre de Denain et du Nord Est). La vérité reste que la place du train à bandes est à Hayange, mais que la maison de Wendel ne peut songer à arrêter Saint Jacques pour qu’on dispose de son métal en faveur d’une usine qui ne lui appartiendra pas. Je crains fort que la nationalisation de l’ensemble des usines ne règle un beau matin toute cette affaire39.

  • 40 Lorsqu’en janvier 1948, F. de Wendel prend connaissance du procès-verbal de la commission de modern (...)

48L’isolement du patron lorrain est croisant et il dénonce tour à tour le silence de ses collègues lorrains, le rapporteur de la Commission du Plan Monnet, Roger Martin, Henri Malcor qui siège dans la commission40 et surtout, A. Aron soupçonné avec aigreur de faire le jeu de ses anciens employeurs la société du Nord et l’Est.

49Il faut toute la diplomatie du responsable des questions techniques chez de Wendel, P. Pierrard, pour infléchir le maître de forges, qui accepte en maugréant la perspective d’une fermeture de l’usine de Saint Jacques.

  • 41 Carnet de F. de Wendel du 9 au 17 mars 1947. C’est Étienne Hirsch et non Marcel Paul qui a composé (...)

Cette thèse [la fermeture de Saint Jacques] serait soutenable, il faut savoir le reconnaître, si cette même commission [du Plan Monnet] raisonnait de la même façon lorsqu’il s’agit du Nord et de l’Est, de Denain Anzin, de Knutange et du Creusot, tous représentés à l’intérieur de la commission alors que M. Paul, le fâcheux communiste de Buchenwald, nous en a soigneusement exclus41.

  • 42 AN/190/AQ 44, dossier Maurice de Wendel, « chapitre complémentaire à l’histoire de la maison de Wen (...)
  • 43 Cf. la contribution de Pascal Raggi dans le présent ouvrage.

50Ce premier pas franchi, F. de Wendel retient le projet d’une coopérative sous la direction de sa maison en septembre 1947. Chaque associé de la coopérative livrera une quantité fixée de demi-produits à la nouvelle société, qui en assurera la transformation. C’est sur cette base que le « Groupement pour le train à bandes de l’Est » dépose une demande officielle le 21 octobre 1947. Ce groupement préfigure la Sollac, en 194842. La coopérative, qui transforme les demi-produits, regroupe ainsi une bonne partie des entreprises lorraines et au-delà (Carnaud, Basse-Indre, Dilling, Geugnon, Longwy, les deux sociétés Wendel, Rombas et l’UCPMI43).

51Reste la question de la direction de la Sollac, réglée en 1948. F. de Wendel a proposé la présidence à Robert Norguet, ingénieur-conseil chez Delattre, qui l’a refusé. Jules Aubrun, président de la nouvelle Chambre syndicale de la sidérurgie, présente la candidature de L. Dherse. Elle est retenue en août 1948.

  • 44 É. Godelier a montré que les concurrents du Nord se gaussaient bien plus tard de l’attitude de Wend (...)

52Mais l’ultime commentaire de F. de Wendel confirme combien la formule de la coopérative a été acceptée à contrecœur44.

  • 45 Carnet de F. de Wendel, 5 août 1948.

Toute cette histoire de train à bandes a le don à vrai dire de m’horripiler [...] à mon avis la solution saine serait de monter un train à nous tous seuls. Mais il est bien tard pour proposer cette solution45...

53Wendel a refusé pour des raisons culturelles et managériales. Wendel est alors une entreprise familiale et n’entend pas partager le management.

54Ceci étant, le destin à moyen terme de la Sollac comporte des aspects contradictoires. L’essor de la consommation de masse a été si vif que l’entreprise a trouvé ses marchés et qu’elle a connu elle-même une forte croissance. Louis Dherse, qui tout en étant accepté par Wendel, n’est pas de la famille, et qui sait faire preuve d’autonomie, a été un manager efficace de la coopérative.

  • 46 AN. IND 11514. Dossier Dunkerque.

55Mais Sollac supportera deux handicaps. Le retard de deux années par rapport à la création d’Usinor provoque un surcoût relatif. Le train de Sérémange coûte plus chers à ses propriétaires que celui de Montataire. Par ailleurs, à la différence d’Usinor, Sollac n’est pas une entreprise intégrée, du haut fourneau aux services commerciaux. Il est probable que l’unité de commandement d’Usinor contribue à la dynamique croissante de ce groupe. Il réalise une première usine littorale, de petite taille, en 1956 à Dunkerque. Le 18 septembre 1959, le conseil d’administration d’Usinor annonce le doublement des capacités de production de cette usine, de 1.5 Mt à 3 Mt46.

56Inversement, certains aspects de la gestion de Sollac ne sont pas coordonnés. C’est le cas en particulier des services commerciaux des entreprises adhérentes dont la fragmentation concurrente continue de poser de réels problèmes dans la décennie 1960.

1962-1972 : prémisses de la crise, de Wendel-Sidelor et la Solmer

57L’analyse de la période pour de Wendel nécessite l’évocation préalable de deux acteurs de cette décennie, la CECA et la Chambre syndicale (CSSF).

  • 47 Philippe Mioche, « Le patronat de la sidérurgie française et le Plan Schuman en 1950-1952 : les app (...)
  • 48 Charles Barthel, Ivan Kharaba, Philippe Mioche, Les mutations de la sidérurgie mondiale du xxe sièc (...)
  • 49 Philippe Mioche, « Georges Pompidou et la modernisation manquée de la sidérurgie française, 1969-19 (...)

58La CECA est une étape majeure de l’histoire de la construction européenne et de Wendel, pour des raisons géopolitiques et économiques, n’a pas été hostile au Plan Schuman47. La première communauté débute en 1952, mais après l’échec de la CED et la crise charbonnière et sa tentative d’intervention en 1959, son rôle s’efface au profit des politiques nationales48. Lors des temps forts de l’histoire de la sidérurgie, et notamment à l’occasion du Plan professionnel, son rôle est second et c’est directement le Premier ministre, Georges Pompidou et le ministre de l’Économie et des Finances, Michel Debré, qui sont en première ligne49.

  • 50 Les présidents de la CSSF : Jules Aubrun (1944-1953), Pierre Ricard (1953-1956), Jean Raty (1956-19 (...)
  • 51 Jean-G. Padioleau, Quand la France s’enferre, Paris, PUF, 1981.
  • 52 Philippe Mioche, Jacques Ferry et la sidérurgie française depuis la seconde guerre mondiale, Aix-en (...)
  • 53 Roger Martin, Patron de droit divin, Paris, Gallimard, 1984, p. 221 : « Jacques Ferry n’était pas i (...)
  • 54 Un exemple : Jacques Ferry tenait un petit carnet où il notait les résumés de ses entretiens en têt (...)

59La CSSF est par contre un acteur important aux deux extrémités de la période étudiée. Il est crucial dans les années de l’après-guerre qui correspondent aux présidences de Jules Aubrun et de Pierre Ricard50. Il est plus effacé de 1956 à 1958 et esquisse des postures de contestation des pouvoirs publics de 1958 à 1964. Avec Jacques Ferry, président de 1964 à 1978, les événements prennent une tournure différente. D’une part, il recherche le soutien des pouvoirs publics dans les négociations en cours51. D’autre part, la crise sidérurgique s’amplifiant, il est amené à jouer un rôle personnel dans les entreprises, c’est ainsi qu’en 1973, il devient président du conseil d’administration de la Solmer52. Est-il, comme cela a été parfois suggéré53, un allié privilégié de Wendel ? Jacques Ferry ne dément pas son empathie pour le groupe lorrain, mais au cours de son long mandat (14 ans), le président de la CSSF ne pouvait tenir son rôle que par un équilibre constant avec ses mandants. Ses fonctions étaient pleinement politiques. Au mieux, il est particulièrement attentif à Wendel, mais il n’est pas « l’homme des Wendel54 ».

  • 55 Éric Godelier, op. cit., Paris, 2006.

60Dans l’espace national, Usinor assure un nouveau leadership symbolisé par l’accession de René Damien à la présidence de la CSSF (1958-1963), mais le groupe rencontre lui-même des difficultés croissantes55. C’est Sidelor, et son président R. Martin, qui prennent les initiatives décisives en Lorraine. Nous en citerons deux avant d’interpréter l’action de R. Martin avec des documents inédits.

  • 56 Roger Martin, op. cit., 1984, p. 202 et suiv.
  • 57 Lettre de R. Martin à J. Ferry, le 13 mai 1965, Archives H. Malcor, dossier de Wendel-Sidelor. « Re (...)

61En février 1961, Sidelor commande à la Société d’études techniques et économiques (SETEC) une étude pour l’aider à définir ses perspectives d’investissement56. La conclusion est que la Lorraine doit construire une usine littorale spécialisée dans la fabrication des produits plats. Sur la base de ce rapport, R. Martin propose à la maison de Wendel d’utiliser le cadre commun de Sollac pour créer en 1962 le « Groupement d’études pour une usine littorale intégrée » car Sidelor seule n’a pas les moyens de financer cet investissement57. Elle deviendra la Solmer à Fos.

  • 58 À l’Arbed et que l’on retrouvera dans le premier Arcelor.
  • 59 Pour Roger Martin, le retrait d’Hadir qu’il prépare « appelait tôt ou tard, celui de toute nos part (...)

62La seconde initiative repose sur la décision de Sidelor en 1965 de se dégager de ses actifs sidérurgiques en commençant par la vente d’Hadir58. Sidelor et, derrière cette entreprise, Pont-à-Mousson, entament une grande migration sectorielle que Wendel esquissera dix ans plus tard59. Pour autant, Roger Martin engage avec ténacité les négociations en vue de la création de Wendel-Sidelor.

  • 60 Note de Roger Martin, Paris, le 30 novembre 1971. Archives d’Henri Malcor, en cours de versement à (...)
  • 61 Nous ne suivrons pas pour autant Jacques Marseille qui écrit « R. Martin, qui a toujours détesté le (...)

63Dans une note inédite du 30 novembre 1971, retrouvée dans les archives d’Henri Malcor, Roger Martin donne sa version des relations Sidelor/Wendel dans les années 196060. Elle est encore moins amène à l’égard de Wendel que ses Mémoires publiées en 199461. Il pose en amont la question de fond :

Dès 1960 il était évident que pour faire face à son destin cette sidérurgie devait trouver de nouveaux actionnaires. Ceci supposait que les actionnaires principaux des sociétés concernées acceptent de perdre les positions de contrôle plus ou moins étendues qu’ils s’obstinaient à maintenir.

64À cet enjeu de management correspond une restructuration de la sidérurgie lorraine. Pour dire les choses autrement, R. Martin reprend en 1963 le projet de fédérer la sidérurgie lorraine, un projet qui ressemble fort à celui d’Usinest en 1945.

C’est le 25 février 1963 que j’évoquai la première fois dans un déjeuner en tête à tête avec Pierre Celier l’éventualité d’une fusion. Je n’obtins qu’une réaction de politesse courtoise. Je n’ai jamais rien pu obtenir d’autre de Pierre Celier, mais je me plais à imaginer que cette première démarche amorça le processus qui devait aboutir fin 1970 à l’édification sur le papier de qu’aurait pu être un de Wendel-Sidelor composé et structuré de façon réaliste.

65Lors de la création de Wendel-Sidelor en décembre 1967, les relations s’enveniment.

Nous réussîmes, au terme d’une manœuvre dont il est utile de rappeler les aspects héroïco-comiques, à obtenir des Wendel qu’ils acceptent l’apport de la Mosellane de Sidérurgie. Pour le reste, nous eûmes à choisir entre la rupture ou l’acceptation de dispositions que le temps et l’expérience ne pouvaient que condamner. Les Wendel n’entendaient pas perdre la majorité dans Wendel-Sidelor. Nous n’entendions pas la leur laisser. […] Les Wendel entendaient ne pas renoncer à la Direction Générale de Wendel-Sidelor. Il fallut donc accepter que Sollac et Sacilor, dirigées par M. Dherse, restent en dehors de l’organisation nouvelle et que de Wendel-Sidelor soit présidée par M. Henri de Wendel, flanqué de MM. Pierre Celier et Robert Murard. Il fallut attendre trois ans pour que M. Henri de Wendel fasse la preuve de son incapacité à assumer les tâches correspondant à sa fonction. Au bout de trois ans la troïka de la Direction Générale de Wendel-Sidelor n’avait même pas réussi à répartir clairement entre ses membres la responsabilité commerciale de la Société.

66Dans ce contexte, que fait de Wendel ? Le différend avec Sidelor porte sur des questions managériales et sur des relations humaines. Concernant les premières, on voit ressurgir les questions de l’organisation commerciale qui n’ont pas été résolues lors de la création de la Sollac. En interne, Jean Gandois, s’en alarme auprès de la direction de Wendel :

  • 62 Rapport de Jean Gandois sur l’organisation commerciale, 21 septembre 1971 (bulletin pour Dherse, Ce (...)

Le groupe de Wendel considère que la réforme des structures commerciales forme un tout et se refuse à un dialogue dans le domaine de l’exportation tant que les organismes du groupe Pont-à-Mousson Marine auront une attitude négative en ce qui concerne le marché français. […] La clientèle commence à nous considérer comme des gens peu sérieux et je viens de constater que notre confrère Usinor s’est mis à exploiter cette situation62.

  • 63 Philippe Mioche, « Quand François de Wendel disait non », dans La Résistance et les Européens du No (...)

67Mais pour la direction de Wendel, l’essentiel n’est pas là, mais bien dans la gouvernance de la future sidérurgie lorraine unifiée. Quand on a été le premier en Lorraine, comment accepter que d’autres prennent le pas ? Surtout quand l’interlocuteur est Sidelor, une entreprise dont tant de traits sont différents de ceux de Wendel. Une entreprise dirigée par Camille Cavalier avec qui François de Wendel a croisé le fer pendant l’entre-deux-guerres ; par Marcel Paul, collaborateur et antisémite pendant la Seconde Guerre, versus le même François de Wendel qui n’était ni collaborateur ni antisémite63 ; Roger Martin enfin, l’ingénieur du Corps des Mines qui portait le projet Usinest en 1946 pour le ministère de la Production industrielle. C’est très difficile.

  • 64 La question de savoir si cette usine sera implantée au Havre, à Fos ou ailleurs n’est pas selon nou (...)
  • 65 « Perspectives à long terme de la sidérurgie française », le 8 mars 1968. AN FDW8.
  • 66 Jean Droulers, Le crépuscule des forges. Rupture et continuité, Paris, Éditions Christian, 2005, p. (...)
  • 67 Michel Freyssenet, La sidérurgie française 1945-1979. L’histoire d’une faillite. Les solutions qui (...)

68Quant à la seconde usine littorale, Wendel adopte dans un premier temps une attitude positive à son égard64. Mais la création de Sacilor et la réalisation de Gandrange, si elle conforte la position de Sollac en Lorraine, éloigne l’échéance. Plus encore, Wendel entretient des doutes quant à la fin de la compétitivité de la minette lorraine au regard des minerais importés. Une note rédigée en 1968 par Sacilor conclut : « Il apparaît ainsi que, malgré nos hypothèses défavorables à Sacilor, nous n’aurions eu aucun avantage à la construire sur la côte au lieu de la Lorraine ». Le prix de revient de la tonne d’acier lingot s’élèverait à 202,46 F. en Lorraine contre 206,33 F. à Dunkerque65. Les bons résultats de Sollac ainsi que les doutes sur la non compétitivité du minerai contribuent à différer la réalisation de la seconde usine littorale66. À cela s’ajoute les difficultés pour interpréter la conjoncture à court terme. Les marchés de l’acier connaissent un surprenant rebond en 1969 et en 1970 et ce regain est suivi par la mauvaise année 1971. Sidelor annonce explicitement son retrait de la sidérurgie67.

Comparaison des coûts rendus sur place par tonne de matières premières, en francs courants, 1968.

Dunkerque Lorraine
Minerai 92 31
Coke 70 83
Fuel 100 120

« Perspectives à long terme de la sidérurgie française », le 8 mars 1968. AN FDW8.

  • 68 Georges Steines, Le fer dans la peau, Metz, Édition Serpenoise, 1977, p. 107.

69Par ailleurs, les restructurations qui se dessinent en 1966 avec le Plan professionnel pèsent en premier lieu sur la Loraine : sur les 15 000 suppressions d’emplois prévus entre 1966 et 1970, 10 000 le seraient en Lorraine. Le Plan Dherse présenté en 1968, prévoit entre 1968 et 1974 la fermeture de 20 hauts fourneaux de petites tailles, de 28 convertisseurs Thomas, de 18 fours Martin et de 23 trains finisseurs68. Cette perspective n’est pas admise de gaité de cœur par Wendel dont on ne rappellera pas ici l’attachement lorrain. Comment accepter quand on est si profondément lorrain que l’avenir du minerai de fer n’est plus dans le sous-sol régional, que celui de la sidérurgie pourrait se situer sur un littoral improbable entre l’Étang de Berre et la Méditerranée ?

  • 69 Philippe Mioche et Jacques Roux, Henri Malcor, un héritier des maîtres de forges, Éditions du CNRS, (...)

70Le pilotage du secteur est de plus en plus réalisé entre 1966 et 1972 par les pouvoirs publics avec l’assentiment de la Chambre syndicale de Jacques Ferry69. Louis Dherse, au nom de la Sollac signe le Plan professionnel en juillet 1966 et il prend en main le projet Solmer. Pierre Celier mesure exactement le taux d’endettement qui met l’entreprise familiale à la merci d’un retournement de conjoncture après l’embellie de 1969-1970. Il sait que la belle usine dont la construction s’achève à Fos n’appartient pas de facto, à la famille. En 1977, avec la création de la CGIP, Wendel protège ce qui peut être protégé. Depuis quand cet aménagement décisif est-il préparé sans être nécessairement explicité ? Entre la création de Wendel-Sidelor en 1968 et celle de Sacilor en 1972, la direction stratégique de Wendel accepte de ne plus être chef de file de la sidérurgie lorraine et elle ne peut pas ne pas entrevoir la fin de l’aventure sidérurgique de la famille. Dès lors, le passage de relais aux pouvoirs publics qui débouchera sur l’étatisation de 1978, n’a-t-il pas été autant anticipé que subi ? Le destin partagé des entreprises sidérurgiques domine pour l’essentiel du fait des fondamentaux : marchés, prix, technologies, économie dirigée. L’État et les politiques publiques ont formulé un projet radicalement modernisateur avec la planification mais nul n’est allé au bout de ce projet. Trop peu des restructurations envisagées n’ont été réalisées et la sidérurgie française – comme la sidérurgie européenne – ont « découvert » dans les années 1980 les excédents de capacités de production qu’il a fallu alors réduire.

71Pour être partie du collectif sidérurgique, Wendel comporte des caractéristiques. Il y a surtout les particularités du management dans cette grande entreprise plus familiale que d’autres. Un management dont la cohésion tient à des valeurs communes qui reposent sur le poids de l’Histoire, sur l’attachement à la Lorraine, sur la fidélité au général de Gaulle qui s’observe au travers des réseaux familiaux et qui méritera une étude d’histoire politique. C’est aussi cette cohésion qui a conduit Wendel à prendre deux décisions avec un temps de retard : Sollac et Solmer. Dans les deux cas, Wendel a été entravé par le poids de l’histoire et de la géographie.

72L’interlocuteur principal en Lorraine, le Pont-à-Mousson Sidelor de Roger Martin, peut envisager, plus rapidement que d’autres, et sans doute avec une lucidité précoce, le grand transfèrement de la sidérurgie continentale et le désengagement de la sidérurgie. Mais pour Wendel, cela a pris plus de temps.

Notes

1 Cf. Maurice Levy-Leboyer et Jean-Claude Casanova, dir., Entre lÉtat et le marché. Léconomie française des années 1880 à nos jours, Paris, Gallimard, 1991.

2 Jean-Noël Jeanneney, François de Wendel en République, Paris, Seuil, 1976, nouvelle édition Perrin 2004 ; Woronoff Denis, François de Wendel, Paris, Presses de Sciences-Po, coll. « Repères-Facettes », 2001.

3 Parmi les entretiens : Henri Malcor (1906-1998) ; Jacques Ferry (1913-1996), Roger Martin (1915-2008).

4 Voir les contributions de Magali Lacousse et de Vincent Boully dans le présent volume. Cf. aussi : Archives nationales, Archives de la famille et des entreprises de Wendel (189 AQ-190 AQ) ; répertoire numérique par Bertrand Joly, Paris, Archives nationales, 1994.

5 Jean-Noël Jeanneney, op. cit., p. 9 : « Qui dressera quelque jour l’histoire économique approfondie de la Maison de Wendel au xxe siècle trouvera beaucoup à apprendre dans ces papiers… ».

6 La Fondation de Wendel met en place une aide à la recherche destinée à soutenir des mémoires de master 2 et des thèses.

7 Thomas Piketty, Le capital au xxie siècle, Éditions du Seuil, 2013, p. 162.

8 Nombreuses références, cf. Jacques Lesourne, Le Modèle français. Grandeur et décadence. Paris, Éditions Odile Jacob, 1998. Pessis, Céline, Topcu, Sezin, Bonneuil, Christophe, dirs., Une autre histoire des « Trente Glorieuses », Paris, La Découverte, 2013.

9 Philippe Mioche, Les cinquante années de l’Europe du charbon et de l’acier, 1952-2002, Commission européenne, Office des publications, Luxembourg, 2004.

10  Future CECA en 1946, sans le Royaume-Uni en 1966 et en 1974.

11 Soit 782 798 000 tonnes en 1974 ; dès 1975 elle tombe à 712 000 tonnes.

12 Philippe Mioche, Le Plan Monnet, genèse et élaboration 1941-1947, Paris, Publications de la Sorbonne, 1987.

13 Jean Sallot, Le contrôle des prix et la sidérurgie française, 1937-1974, thèse de doctorat de l’université de Paris I, 1993.

14  Laminé marchand Thomas : prix de référence des produits sidérurgiques. En lignes, francs courants, en colonnes Euro 2015 constants.

15 Le cours de l’acier en 2014 est de l’ordre de 100 Euros la tonne en 2014, il baisse sensiblement en 2015.

16 Philippe Mioche, Jacques Ferry et la sidérurgie française depuis la seconde guerre mondiale, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 1993.

17 François Sermier, Les investissements de la sidérurgie française, 1919-1977, thèse université de Paris X, 1982.

18 Notre hypothèse est que la somme des gains procurés par les bonifications des taux d’intérêts équivaut grosso modo aux manques à gagner du fait du contrôle des prix de vente. Rappelons que le contrôle des prix ne concerne pas les ventes à la « grande exportation » (hors CECA) et donc que l’impact est différent selon l’accès et le moment d’accès des entreprises à la grande exportation qui, jusqu’au milieu des années 1960, était nettement plus rémunératrice que les marchés intérieurs et CECA. Un bilan par entreprise sera utile.

19 Hervé Joly, « Diriger une grande entreprise au xxe siècle : modes de gouvernance, trajectoires et recrutement », EHESS, 2008, p. 89 et suiv.

20 AN/190 AQ/44/ Relations franco allemandes/Fonds de Wendel : Le document « Actionnaires de la société les petits-fils de de Wendel et Cie ». Cette liste comporte 22 noms citée par Françoise Berger, La France, l’Allemagne et l’acier (1932-1952) : de la stratégie des cartels à l’élaboration de la CECA, Thèse de doctorat, université Paris I, 2000, p. 1114.

21 Cf. Jean-Marie Moine, Les barons du fer. Les maîtres de forges en Lorraine du milieu du xixe siècle aux années trente. Histoire sociale d’un patronat sidérurgique, Nancy-Metz, Presses universitaires de Nancy-Éditions Serpenoise, 1989.

22 Cf. la contribution d’Ivan Kharaba dans le présent ouvrage.

23 La création de la CGIP est qualifiée « d’astucieuse » par Xavier Vigna, article « Les restructurations industrielles des années 1970-1980 », dans Jean-Claude Daumas, dir., Dictionnaire historique des patrons français, Paris, Flammarion, 2010, p. 1349.

24 Le rôle d’Humbert de Wendel est bien montré dans Denis Woronoff, op. cit., 2001.

25 Entretien avec Paul Lacour.

26  Le graphique s’interrompt en 1971 car avec de Wendel-Sidelor, le décompte prend un autre sens.

27 Ce point méritera une étude particulière.

28 Sur cette discussion, cf. Charles Barthel, « La crise sidérurgique des “golden Sixties”. La renaissance du pacte international de l’acier et l’effacement de la Haute Autorité de la CECA (1961-1967) », Terres Rouges, Histoire de la sidérurgie luxembourgeoise, tome 2, Luxembourg, Centre d’études et de recherches Robert Schuman, 2010.

29 Conseil de surveillance du 10 mai 1943, AN 189 AQ 138, « De Moustier demande que la société soit cotée en Bourse. F. de Wendel commente : “C’est naturel, la société ne les intéresse pas plus que ne les intéresserait une autre société et la cotation des titres leur assurerait évidemment en cas de vente voulue ou imposée de leurs actions le bénéfice de prix supérieurs à celui qui était prévu par les statuts”. Il signale que les actions seraient soumises à des droits de succession et il note que cela mettrait la maison à la merci d’un “coup de bourse” car le plus gros actionnaire, Humbert, possède seulement 5 % du capital ».

30 Le premier plan pose directement la question de la fermeture d’usines. Commission de modernisation de la sidérurgie 1946-1947 : « La sidérurgie nationale se caractérise […] par l’extrême dispersion de ses moyens et la survivance de situations acquises dont les justifications techniques ou économiques ont disparu laissant seules subsiste les raisons d’être sociales ou financières de leur existence ».

31 Sur l’histoire des grands laminoirs en Europe, cf. les travaux récents de Jonathan Aylen & Ruggero Ranieri, eds., Ribbon of fire. How Europe adopted and developed US strip mill technology (1920-2000), Bologne, Pendragon, 2012.

32 Philippe Mioche, « Une vision conciliante du futur de l’Europe : le plan d’Alexis Aron en 1943 », dans Michel Dumoulin, dir., Plans des temps de guerre pour l’Europe d’après-guerre, 1940-1947, Bruxelles, Éditions Émile Bruylant, 1995, p. 307-323.

33 Carnet de F. de Wendel, l’étude de P. Pierrard est de mai 1942 et la conférence se tient en juin 1943.

34 Carnet de F. de Wendel, le 27 mars 1945.

35 Sur ces différentes sociétés, cf. Claude Prêcheur, La Lorraine sidérurgique, Paris, SABRI, 1959.

36 Projet provisoire de répartition du capital de la Soflac, 24 juillet 1945. 189 AQ 180. Carnet de F. de Wendel, 30 juillet 1945. « M. Aron nous a brusquement sorti un projet de convention pour la création de deux trains qu’il prétendait faire adopter “en vitesse” ce soir par l’ensemble des sidérurgistes ». Il ajoute plus loin, « nous ne signerons rien ».

37 Note CSSF du 9 août 1945. PAM 56 806. « Blum-Picard a félicité Aron d’avoir obtenu pour la première fois une proposition concrète [l’accord du 27 juillet], mais il a ajouté que cette proposition était trop tardive et que le gouvernement avait décidé de faire une société à économie mixte pour l’acquisition et l’exploitation d’un train continu. L’État y serait majoritaire, la Safe serait chargée de la réalisation ».

38 Matthias Kipping, La France et les origines de l’Union européenne 1944-1952 : intégration économique et compétitivité internationale, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002.

39 Carnet de F. de Wendel, le 12 juillet 1946. Note Pierrard du 27 septembre 1946. 189 AQ 180.

40 Lorsqu’en janvier 1948, F. de Wendel prend connaissance du procès-verbal de la commission de modernisation du 17 novembre 1947, il exprima une grosse colère contre « Malcor et Latourte qui avaient eu une fâcheuse attitude dans la question de la remise en marche de Jœuf ». Et lorsqu’en mai 1948, L. Daum lui propose la candidature de H. Malcor à la présidence de la Sollac, il y met son veto.

41 Carnet de F. de Wendel du 9 au 17 mars 1947. C’est Étienne Hirsch et non Marcel Paul qui a composé les commissions du plan. La direction du Creusot n’est pas plus représentée que celle des Wendel à la commission où siège Paul Pierrard pour Wendel.

42 AN/190/AQ 44, dossier Maurice de Wendel, « chapitre complémentaire à l’histoire de la maison de Wendel par M. Grosdidider de Matons », 1953.

43 Cf. la contribution de Pascal Raggi dans le présent ouvrage.

44 É. Godelier a montré que les concurrents du Nord se gaussaient bien plus tard de l’attitude de Wendel : cf. Paul Aussure : « Les de Wendel étant là depuis 1750, ils se demandaient grand dieu pourquoi on les embêtait. Ils sont là, ils sont les plus grands, les plus forts, le reste de l’humanité, ils s’en moquent ». Éric Godelier, Usinor-Arcelor. Du local au global, Hermès-Lavoisier, Paris, 2006, p. 116.

45 Carnet de F. de Wendel, 5 août 1948.

46 AN. IND 11514. Dossier Dunkerque.

47 Philippe Mioche, « Le patronat de la sidérurgie française et le Plan Schuman en 1950-1952 : les apparences d’un combat et la réalité d’une mutation », dans Klaus Schwabe (Hrsg), The beginnings of the Schuman-Plan, Nomos Verlag, Baden Baden, LGDJ, Paris, 1988, p. 305-318.

48 Charles Barthel, Ivan Kharaba, Philippe Mioche, Les mutations de la sidérurgie mondiale du xxe siècle à nos jours, Bruxelles, Peter Lang, 2014.

49 Philippe Mioche, « Georges Pompidou et la modernisation manquée de la sidérurgie française, 1969-1974 », dans Éric Bussiere, dir., Georges Pompidou face à la mutation économique de l’Occident, 1969-1974, Paris, PUF, Politique d’aujourd’hui, 2003, p. 297-314.

50 Les présidents de la CSSF : Jules Aubrun (1944-1953), Pierre Ricard (1953-1956), Jean Raty (1956-1958), René Damien (1958-1964), Jacques Ferry (1964-1978).

51 Jean-G. Padioleau, Quand la France s’enferre, Paris, PUF, 1981.

52 Philippe Mioche, Jacques Ferry et la sidérurgie française depuis la seconde guerre mondiale, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 1993.

53 Roger Martin, Patron de droit divin, Paris, Gallimard, 1984, p. 221 : « Jacques Ferry n’était pas insensible au poids et au prestige de la “Maison” de Wendel ».

54 Un exemple : Jacques Ferry tenait un petit carnet où il notait les résumés de ses entretiens en tête à tête. Le 16 décembre 1966, il a reçu Roger Martin. Il note : « R. M. énumère ses griefs contre de W. R. M est décidé à crever l’abcès et à prendre un risque calculé. Je fais valoir les dangers certains, notamment vis-à-vis des pouvoirs publics, de cette stratégie, sans toutefois me reconnaître le droit de la déconseiller formellement ». Ces carnets, ainsi que tous les documents ayant appartenu à Jacques Ferry et qu’il a confié à l’auteur de ces lignes sont en cours de versement à l’Académie François Bourdon, fonds P. Mioche.

55 Éric Godelier, op. cit., Paris, 2006.

56 Roger Martin, op. cit., 1984, p. 202 et suiv.

57 Lettre de R. Martin à J. Ferry, le 13 mai 1965, Archives H. Malcor, dossier de Wendel-Sidelor. « Reste la question de l’usine littorale. Sidelor ne peut aborder seul un problème d’une telle ampleur, mais par contre je considère – et je n’en ai jamais fait mystère – que si nous avions les moyens financiers d’une sage gestion nous aurions dû déjà nous engager dans la voie des réalisations. Les sociétés lorraines seront à mon sens d’autant plus fortes pour courir le risque lorrain qu’elles ne sauraient esquiver, qu’elles pourront balancer ce risque par une implantation littorale ».

58 À l’Arbed et que l’on retrouvera dans le premier Arcelor.

59 Pour Roger Martin, le retrait d’Hadir qu’il prépare « appelait tôt ou tard, celui de toute nos participations sidérurgiques » Martin (Roger), op. cit., 1984, p. 220.

60 Note de Roger Martin, Paris, le 30 novembre 1971. Archives d’Henri Malcor, en cours de versement à l’Académie François Bourdon. Il est possible que son appréciation des événements ait évoluée depuis ce texte « à chaud ».

61 Nous ne suivrons pas pour autant Jacques Marseille qui écrit « R. Martin, qui a toujours détesté les Wendel ». Jacques Marseille, Les Wendel, 1704-2004, Paris, Perrin, 2004, p. 331. Les heurts entre les deux entreprises sont indéniables, mais ils ne se situent pas sur le terrain moral ou des sentiments. Ce sont deux visions de la sidérurgie. Cf. Entretien avec R. Martin.

62 Rapport de Jean Gandois sur l’organisation commerciale, 21 septembre 1971 (bulletin pour Dherse, Celier, Murard). Archives d’Emmanuel de Vitry, AN FDW 8. J. Gandois est directeur commercial chez Wendel en 1961, puis DG de Sacilor et PDG de Sollac en 1972. Sur J. Gandois, cf. Ivan Grinberg et Philippe Mioche, « La création managériale dans l’acier et l’aluminium, autour de l’itinéraire de Jean Gandois », à paraître.

63 Philippe Mioche, « Quand François de Wendel disait non », dans La Résistance et les Européens du Nord, Her Verzet en Noord-Europa, Bruxelles, Centre de recherche et d’études historiques de la Seconde Guerre mondiale, 1994, p. 231-241.

64 La question de savoir si cette usine sera implantée au Havre, à Fos ou ailleurs n’est pas selon nous une question stratégique.

65 « Perspectives à long terme de la sidérurgie française », le 8 mars 1968. AN FDW8.

66 Jean Droulers, Le crépuscule des forges. Rupture et continuité, Paris, Éditions Christian, 2005, p. 46.

67 Michel Freyssenet, La sidérurgie française 1945-1979. L’histoire d’une faillite. Les solutions qui s’affrontent, Paris, Savelli, 1979, p. 130.

68 Georges Steines, Le fer dans la peau, Metz, Édition Serpenoise, 1977, p. 107.

69 Philippe Mioche et Jacques Roux, Henri Malcor, un héritier des maîtres de forges, Éditions du CNRS, Lyon, 1988.

Table des illustrations

Titre La production d’acier brut en France, 1945-1975 (milliers de tonnes d’acier brut).
Crédits Philippe Mioche, Doctorat d’État en Histoire contemporaine : « La sidérurgie et l’État en France des années quarante aux années soixante », université de Paris IV, 1992.
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Titre Balance commerciale des produits sidérurgiques français 1945-1975.
Crédits Mioche Philippe, op. cit., Annexes statistiques, 1992.
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Titre Évolution de l’emploi sidérurgique en France, 1946-1975, en valeur absolue (bleue) et en trend (noir).
Crédits Philippe Mioche, op. cit., Annexes statistiques, 1992.
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Titre Évolution de l’investissement en valeur (francs courants) de la sidérurgie française 1946-1975.
Crédits Philippe Mioche, op. cit., Annexes statistiques, 1992.
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Fichier image/jpeg, 34k
Titre L’investissement sidérurgique dans trois régions, en % des investissements 1955-1975.
Crédits Philippe Mioche, op. cit., Annexes statistiques, 1992.
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Titre Les prix de vente sur le marché intérieur pour une tonne de laminé marchand14 1945-1975 (francs courants en ligne, euros 2015 constants en colonnes).
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Fichier image/jpeg, 39k
Titre Les sources de financement de la sidérurgie française en % du financement total, 1946-1975.
Crédits Philippe Mioche, « Le rôle des banques dans le financement de la sidérurgie », dans Kharaba Ivan & Mioche Philippe, Banques et industries. Histoire d’une relation timorée du xixe à nos jours, Études universitaires de Dijon, 2013.
URL http://books.openedition.org/pup/docannexe/image/18734/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 43k
Titre Encours de l’endettement total de la sidérurgie en Francs en % du chiffre d’affaires hors taxes.
Crédits Philippe Mioche, op. cit., Annexes statistiques, 1992.
URL http://books.openedition.org/pup/docannexe/image/18734/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 25k
Titre Effectifs salariés des usines de Wendel26 (Hayange, Moyeuvre et Jœuf) et effectifs de Sollac (valeur absolue).
Crédits Philippe Mioche, op. cit., Annexes statistiques, 1992.
URL http://books.openedition.org/pup/docannexe/image/18734/img-9.jpg
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Titre L’évolution du chiffre d’affaires hors taxes de Wendel et d’Usinor 1948-1974 (francs courants).
Crédits Philippe Mioche, op. cit., Annexes statistiques, 1992.
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Titre La distribution de dividendes à Wendel et Usinor (1950-1974), en francs courants.
Crédits Philippe Mioche « La performance paradoxale de la sidérurgie », dans Jacques Marseille, dir., Les performances des entreprises françaises au xxe siècle, Paris, Le Monde Éditions, collection Mémoire d’entreprises, 1995, p. 117-130.
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