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Arles au Moyen Âge finissant

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Louis Stouff

L’église et la vie religieuse

Bertrand Boysset et le Grand Schisme d’Occident

Texte intégral

  • 1 N. Vallois, La France et le Grand Schisme d’Occident, 4 t., Paris, 1896-1902.
  • 2 Genèse et début du Grand Schisme d’Occident, 25-28 septembre 1978, éditions du CNRS, Paris, 1980 et (...)
  • 3 « Die Chronik des Garoscus de Ulmoisca Veteri und Bertrand Boysset (1365-1415) », dans Archiv für L (...)

1Durant la période qui va de 1378 à 1417 deux, puis trois papes sont à la tête de l’Église. On appelle cette période le Grand Schisme d’Occident. Elle a depuis longtemps suscité les recherches des historiens. Le Grand Schisme, ses origine, le partage de l’Église en obédiences rivales, la politique des princes, les moyens envisagés pour mettre fin à cette déchirure (la « via facti », c’est-à-dire l’emploi de la guerre ; la « via cessionis », la démission des deux papes ; la « via conventionis », l’accord entre les deux pontifes), l’attitude de l’université de Paris, le recours au concile (Pise et Constance), tous ces aspects ont été étudiés dans les ouvrages généraux et parmi eux La France et le Grand Schisme d’Occident de Noël Valois1. D’autres publications ont enrichi sur de nombreux points nos connaissances : conséquences du Schisme sur les différents ordres religieux et sur les églises locales, rôle des personnalités (Catherine de Sienne, Vincent Ferrier...), rôle des Cardinaux2... On pourrait donc dire qu’on connaît bien le Grand Schisme. Mais il reste une réalité difficile à saisir : que savaient la masse des chrétiens laïcs de la division de l’Église ? Qu’en pensaient les simples chrétiens ? Sur ce point les sources sont rares. Le seule chronique en langue vulgaire qu’on ait conservée pour la Provence du bas Moyen Âge est celle d’un Arlésien, Bertrand Boysset3. On peut se demander ce qu’elle est susceptible de nous apporter, car elle est contemporaine du Grand Schisme et raconte des événements qui vont de 1364 à 1415. La personnalité de Bertrand Boysset, la part que le Grand Schisme occupe dans son œuvre, ses sources d’information, ses sentiments personnels sont autant de points qui méritent d’être présentés.

2Bertrand Boysset réside dans le Vieux Bourg, l’actuel quartier de la Roquette, dans la paroisse Saint-Laurent, au milieu d’une population de pêcheurs. Il appartient à une famille de pêcheurs. Il a lui-même pratiqué la pêche. Il possède une cabane au bord de l’étang de Mayrana. Associé à d’autres il fait construire une martelière, une sorte d’écluse sur une roubine reliant le Rhône à un étang qui permet de capturer les poissons au cours de leurs déplacements, et est responsable de sa gestion. Comme la majorité des Arlésiens il s’intéresse aux vignes : il en possède plusieurs parcelles, il en plante, il les taille, il entretient les cuves et les tonneaux de sa cave. Sa famille correspond à la famille arlésienne type de cette époque : une très forte natalité (le ménage a 11 enfants en 20 ans et deux mois, un enfant tous les 22 mois), une très forte mortalité infantile (3 de ses enfants n’ont pas dépassé 2 ans, 6 ans et 11 ans ; lorsque sa femme Catherine meurt aucun de leurs enfant n’est vivant).

  • 4 Bibliothèque Inguimbertine, Carpentras manuscrit 327. Sur les aspects scientifiques de l’œuvre de B (...)

3Bertrand Boysset est aussi un Arlésien exceptionnel par son niveau culturel. Il s’intéresse à la géométrie et à l’arithmétique. Il a des notions d’astronomie. Il sait représenter l’univers : la terre est au milieu entourée des cercles concentriques du mouvement de la lune et des planètes. Une figure dessinée par lui indique comment mesurer la circonférence de la terre. Il connaît le zodiaque. Il s’intéresse au comput : le manuscrit de sa chronique conservé à Gênes contient des « tables pascales » de 1286 à 1812. Sa culture scientifique est tournée vers la vie pratique : il a rédigé un traité d’arpentage4. Il a exercé l’activité d’arpenteur. Les autorités municipales profitant de son savoir l’ont chargé de réformer les mesures arlésiennes. Disons enfin qu’il sait dessiner, qu’un grand nombre d’images ornent le traité d’arpentage et la chronique.

  • 5 H.-C., Haupt, Le Roman d’Arles dans la copie de Bertrand Boysset, Romana Helvetica, vol. 121, Tübin (...)

4Sa culture n’est pas que scientifique. Il a recopié plusieurs œuvres en langue romane dont la vie de saint Trophime et le Roman d’Arles5. Il connaît le latin. Il a copié de longs extraits d’une chronique latine et a rédigé en latin de courts passages de sa propre chronique (les années 1369, 1373, 1374, 1375) ; son grand mérite est d’avoir écrit la seule œuvre en langue provençale du bas Moyen Âge.

5L’horizon géographique de Bertand Boysset, c’est d’abord sa famille : les onze naissances de ses enfants, le mariage d’un de ses fils et son apprentissage auprès d’un pêcheur, la plantation de ses vignes, la construction d’une martelière. C’est ensuite sa ville : les grands événements, comme l’entrée des Tuchins ou le ralliement de la cité à Louis II et Marie de Blois ou les petits, comme la vue d’une femme monstrueuse ; les événements sérieux, comme la prédication de Vincent Ferrier ou comiques, comme le combat du lion contre un mouton ; les réalités terre à terre, comme la sécheresse ou les inondations et les manifestations de la vie religieuse comme le Pardon de Montmajour. C’est aussi la Provence : il rapporte des faits qui se sont produits à Toulon, à Salon, à Pertuis. C’est encore le royaume de France (le meurtre du duc d’Orléans en 1408, des événements survenus à Toulouse, Béziers, Narbonne, Paris) et l’Italie (Pise, Naples en raison des ambitions et des efforts de Louis II en Italie du sud). Deux questions l’ont particulièrement intéressé : les voyages des ducs d’Anjou – comtes de Provence, les événements et les hommes en rapport avec la direction de l’Église.

6Arlésien, Bertrand Boysset ne pouvait que s’intéresser à Avignon. Les relations entre Arles et Avignon sont très étroites : relations économiques, déplacements des individus dans l’une et l’autre ville. Boysset a eu l’occasion de se rendre à plusieurs reprises dans la cité des papes. Lorsqu’il est chargé de réformer les mesures d’Arles, il lui est précisé qu’il devra aligner la canne d’Arles sur celle d’Avignon. Il se plaît à raconter ce qui s’y passe : visite du roi d’Aragon, couronnement par le pape de Louis II roi de Naples et de Sicile en présence du roi de France Charles VI, effondrement du clocher de Notre-Dame-des-Doms... En 1410, il est emprisonné pour dette à Avignon. Enfin on peut faire une hypothèse : Bertrand Boysset n’aurait-il pas été clerc à la cour pontificale, n’aurait-il pas pu consulter la très riche bibliothèque des papes ? Cela expliquerait sa culture scientifique. Aucun document n’existe qui le confirmerait. De toutes façons Bertrand Boysset était bien placé pour connaître ce qui concernait la papauté.

7La connaissance qu’il a d’Avignon lui permet de rapporter les événements qui s’y déroulent entre 1378 et 1411. Mais ses sources d’information sont plus étendues : il suit pendant cette période ce qui se passe à Rome ou à Pise. Il s’est aussi intéressé aux années qui précèdent le Grand Schisme. Il a eu la chance d’avoir entre les mains la chronique d’un clerc de l’entourage des papes. Il en a intégré à sa propre chronique deux fragments concernant Urbain V et Grégoire XI.

8Le premier raconte le départ d’Urbain V pour Rome le 30 avril 1367. Il décrit l’itinéraire suivi : Pont de Sorgues, Marseille, Toulon, Villefranche, San Stefano al Mare, Albenga, Gênes, Porto Venere, Salsades (?), Porto Pisano, Piombino, Corneto, Toscanella, Viterbe. Il fait le récit de l’émeute qui éclate dans cette localité et au terme du voyage, l’entrée à Rome et le séjour romain jusqu’en juin 1370. Les diverses activités d’Urbain V sont décrites : offices célébrés à Saint-Pierre ou à Saint-Jean du Latran, concession d’indulgences à trois reprises, déplacements dans l’État pontifical à Viterbe et Montefiascone, transfert de Saint-Pierre à Saint-Jean du Latran de deux statues et têtes des saints Pierre et Paul, création de cardinaux, visite de l’empereur et de l’impératrice, du roi de Chypre et de son fils, de l’empereur byzantin Jean Paléologue, de Jeanne reine de Naples, conversion au catholicisme de Jean Paléologue, remise de la Rose d’or à la reine Jeanne malgré les protestations des cardinaux qui s’indignaient que l’on conférât cet honneur à une femme et auxquels le pontife, ancien abbé de Saint-Victor, répondit : « Retirez ces paroles, parce qu’on avait encore jamais vu un abbé de Marseille pape ». La narration se termine par le retour d’Urbain V à Avignon : « in partibus Provincie ».

9 De la même manière la chronique a raconté le retour de Grégoire XI à Rome (Noves, embarquement à Marseille sur une galée d’Ancône, Gênes, Porto Pisano, Livourne, Corneto, Rome) et son séjour dans la ville pontificale. Il énumère les déplacements (Valmontone, abbaye de Grotta Ferrata, Agnani), les messes et cérémonies à Saint-Pierre, à Saint-Paul, au Latran, à Sainte-Marie Majeure, à l’occasion de l’Ascension 1377 l’exposition de la Véronique et la concession d’indulgences à la foule des gens qui étaient accourus, l’excommunication des Florentins, la réunion de quatre consistoires.

10Il est certain que Bertrand Boysset connaît bien mieux que la grande masse des Arlésiens les pontificats d’Urbain V et de Grégoire XI, bien plus grâce à la chronique recopiée ; il est parfaitement au courant des conditions dans lesquelles est né le Schisme. Grégoire XI meurt le 27 mars 1378. Aussitôt se développe une grande agitation dans la ville. Les Romains font savoir qu’ils veulent « un pape romain ou italien » et promettent d’assurer la protection du conclave. Mais la foule envahit le palais de Saint-Pierre où sont réunis les cardinaux, les menace : « Nous voulons un pape romain ou vous mourrez tous ». Terrorisés ils élisent l’archevêque de Bari, Bartolomeo Prignano, et s’enfuient. Les Romains qui avaient pénétré dans les locaux où se tenait le conclave forcent quelques cardinaux à choisir le cardinal Francesco Theobaldeschi qui déclare : « Je ne suis pas pape et ne veux pas l’être. » Pour finir l’archevêque est retrouvé, revêtu des ornements pontificaux. Une fois rassemblés tous les cardinaux, il célèbre la messe à Saint-Pierre le 9 avril. Le samedi jour des Rameaux, il prend le nom d’Urbain VI et accorde une indulgence. Le 18 avril, jour de Pâques, après la messe, il est couronné devant tout le peuple sur une estrade dressée devant l’église Saint-Pierre et ensuite accompagné de quinze cardinaux se rend à Saint-Jean-du-Latran avant de revenir à Saint-Pierre. La chronique latine recopiée par l’Arlésien s’arrête là. Mais aussitôt à la suite, Boysset ajoute trois paragraphes en langue provençale : le désaccord entre Urbain VI et les cardinaux ; ceux-ci quittent Rome, se rendent à Fondi où ils élisent Robert de Genève qui s’appellera Clément VII ; Clément VII accompagné des cardinaux à l’exception de quatre se rend à Avignon.

11Bertrand Boysset sait ce qui se passe à Rome. Il dit qu’Urbain VI est resté pape dix ans et qu’ensuite les quatre cardinaux qui lui avaient été fidèles et les nouveaux cardinaux qu’il avait nommés ont élu le cardinal de Saint-Ange (Pietro Tomacelli), Boniface IX âgé de 35 ans qui est resté à la tête de l’obédience romaine jusqu’en 1404. Un nouveau pontifie est alors élu. Là Boysset se trompe. Il écrit que le nouveau pape est le cardinal de Bologne appelé Grégoire XII. Il le confond avec son successeur, celui qu’il appelle cardinal de Bologne était Cosimo Migliorati archevêque de Ravenne et Bologne pape de 1404 à 1406 sous le nom d’Innoncent VII. C’est son successeur Angelo Correr, pape de 1406 à 1415, qui est Grégoire XII. Tous ces pontifes romains sont appelés par Boysset « antipapes ». Pour lui le vrai pape est celui d’Avignon.

12Les événements avignonnais sont beaucoup plus présents dans la chronique. Il commence par énumérer les papes d’Avignon : Clément VII qui est resté pape seize ans ; Benoît VII (il se trompe : bien sûr il s’agit de Benoît XIII, un Catalan, de son nom Peire de la Luna. Il ajoute à propos de ce dernier qu’il a gouverné peu de temps selon sa volonté car l’obédience lui fut retirée avant de lui être rendue peu après. Il annonce ainsi les difficultés de Benoît XIII et l’agitation à Avignon.

13À la date du 8 février 1396, il signale un appel de l’université de Paris à Benoît XIII dont le texte a été affiché au portail de Villeneuve à l’entrée du pont sur le Rhône. En mars 1397, le roi d’Aragon arrive avec sept galées armées à Arles. Boysset décrit la visite du roi Martin et note qu’avec quatre navires il a gagné Avignon. Il apporte son appui au pape. Celui-ci l’attend avec reconnaissance, car le roi a apporté à Benoît XIII une adhésion très précieuse. Le 1er avril le pape lui donne la Rose d’or d’une valeur de 4 000 francs.

14De 1398 à 1403 les événements se précipitent et Avignon occupe une place considérable dans la chronique. En juillet 1398, à la suite d’une assemblée tenue à Paris, le roi de France décide la soustraction d’obédience. Boysset est au courant : « tantost li fon ostada l’obediensa » ; et il en décrit les conséquences pour Benoît XIII. Tous les cardinaux à l’exception de trois l’abandonnent. Le palais est assiégé par des hommes d’armes à la solde des cardinaux et par les gens d’Avignon qui ont pris parti pour le Sacré Collège. Les provisions de bois entassées au pied de la Tour de Trouillas sont incendiées. Le Meingre, frère de Bourcicaut, maréchal de France, réussit à capturer à Boulbon deux des trois cardinaux sortis du palais pour tenter un arrangement avec leurs collègues regroupés à Villeneuve ; il a fait tailler leurs robes à hauteur des genoux. Les assiégeants tentent de pénétrer dans le palais grâce à une galerie creusée à partir de la cathédrale Notre-Dame-des-Doms ; en vain. Puis les cardinaux retournent à Avignon. Une ambassade du roi d’Aragon pour essayer d’obtenir un accord entre le Sacré Collège et le pape échoue. Chacun de leur côté, le pontifie et les cardinaux décident d’envoyer des ambassades à Paris auprès du roi de France en même temps que l’ambassade aragonaise. Une trêve est observée jusqu’au retour des ambassadeurs ; mais on apprend alors : « mas la hobediensa non li torneron ».

15Des événements favorables à Benoît XIII se produisent ensuite. Cinq cents hommes d’armes parcourent le Comtat et viennent jusqu’aux portes d’Avignon au cri de « Viva lo papa Benezech ». Une « armada de galeias e de gens d’armas » est envoyée par le roi d’Aragon pour soutenir le pape dont seule une petite partie peut rejoindre Avignon où les cardinaux et la ville ont fait fortifier le pont. Ceux-ci refusent au neveu du pape Anthoni de la Luna d’entrer dans le palais et de rencontrer son oncle. Il ne lui reste plus qu’à retourner en Catalogne, le 3 mars 1399.

16À cette datte Boysset cesse de s’intéresser au Schisme. Pendant deux ans, il consacre l’essentiel de sa chronique aux princes angevins, Louis II et son frère le prince de Tarente : malheurs de Louis II en Italie, son séjour en Provence, son mariage avec Yolande d’Aragon à Saint-Trophime. Il signale seulement qu’un membre de l’entourage de Louis II, le comte de Prades, se rend à Avignon et avec l’accord des cardinaux et de la ville se rend auprès du pape et a avec lui une discussion qui dure cinq heures avant d’aller à Paris s’entretenir avec le roi de France en décembre 1400. En novembre 1401 c’est au tour de Charles, prince de Tarente, de parler avec lui pendant trois heures. Mais toutes ces tentatives n’aboutissent à rien. La situation est bloquée. Il ne se passe rien qui mérite d’être raconté par le chroniqueur arlésien jusqu’au 10 mars 1403.

17Ce jour là, Boysset nous dit que Benoît XIII sous un déguisement s’enfuit, va dormir chez un barbier, que le lendemain il quitte Avignon à cheval, monte sur une « fuste » qui le mène au lieu dit Roque Colombier et de là à nouveau à cheval il gagne Châteaurenard sur les terres de Louis II. Par cette fuite Benoît XIII a renversé la situation en sa faveur. Avignon organise des feux de joie et manifeste au cri de « Vive le pape Benoît » et le pontife lui accorde son pardon. Le Comtat Venayssin se rallie à lui. Il appelle auprès de lui à Châteaurenard Louis II qui auparavant avait abandonné son obédiance et qui devient un de ses meilleurs soutiens. Fort de l’appui des cardinaux il ne retourne pas à Avignon, mais se déplace en 1403 dans le Comtat (Cavaillon, L’île de Venayssin, Carpentras, Pont de Sorgues) et en Provence (Salon, Marseille où il réside dans l’abbye de Saint-Victor). Le 28 mai 1403, à Paris, une ordonnance annonce la restitution d’obédience. Le roi de Castille agit de même. Boysset est au courant : « L’an MIIILc e tres a IIII d’auost, fes cridar a Nemze (Nîmes) lo rey de Fransa l’obediensa de papa Benezey. Lo rey d’Espanha la lu donet l’an que desus. » À partir d’octobre 1403, il parcourt la Provence : Marseille, Berre, Salon, Orgon, Tarascon (il rencontre le duc d’Orléans), Saint-Pierre de Montmajour, Mouriès, Saint-Chamas, Martigues, Marignane, les Pennes, Saint-Victor de Marseille).

18Benoît XIII essaie d’exploiter sa victoire. Il envoie une ambassade à Boniface IX à Rome pour rétablir l’unité de l’Église : « per metre la santa gleysa en acort, si pot ». Les choses se passent mal. Boniface IX dont la santé était ébranlée ne supporte pas le choc ; il meurt. Les Romains accusent les ambassadeurs d’avoir causé la mort du pape de Rome et les font incarcérer. Les Florentins les feront libérer. Boysset est au courant de ces événements. Selon lui le nouveau pape (il s’agit d’Innoncent VII et non Grégoire XII comme il l’écrit) propose à Benoît XIII de s’approcher de Rome ; il agira de même de son côté. Un lieu sera choisi où ils pourront se rencontrer et parler ensemble de la Sainte Église. En décembre 1404 le pontifie avignonnais part de Marseille pour Nice et s’embarque pour Gênes où il reste en attendant une réponse du pape de Rome. Après avoir attendu de mai à octobre 1405 il s’en retourne à Savone, puis à Nice.

19C’est l’impasse. L’année 1406 se déroule sans aucun fait nouveau sauf l’élection à Rome de Grégoire XII. En janvier 1407, Boysset s’intéresse plus que jamais au Schisme. Il écrit : « Moi Bertrand Boysset à Arles j’ai vu la copie d’une lettre adressée par les cardinaux de l’antipape au roi de France et aux universités. » Il dit en présenter la substance car il serait trop long de la reproduire entièrement. Le pape Grégoire XII a été élu à condition de renoncer à la tiare si Benoît XIII en faisant autant, de ne pas nommer de nouveaux cardinaux pendant un an, d’envoyer des ambassadeurs au roi des Romains, à l’antipape Benoît XIII et à ses cardinaux, au roi de France en vue de choisir un lieu où les deux papes et leur cardinaux pourront venir, abandonner leur charge et où les deux Sacrés Collèges se réuniraient en conclave pour élire un nouveau pape. Si l’antipape Benoît XIII ne voulait pas renoncer, Grégoire XII pourrait nommer des cardinaux et se comporter comme le vrai pape.

20Bertrand Boysset suit les événements. Il écrit que le 4 août 1407, le pape Benoît quitte Saint-Victor de Marseille à destination de Savone pour faire l’union de la Sainte Église : les deux papes doivent s’y retrouver en septembre avec tous leurs sacrés collèges. En décembre il se rend à Gênes, puis à Porto Venere car l’antipape de Rome refuse de venir à Savone. De Porto Venere il se rend à Lucques où doit arriver Grégoire XII qui ne vient pas. Il ne reste plus à Benoît XIII qu’à repartir. Il s’en va par mer à Perpignan. Le chroniqueur arlésien semble mal informé. Grégoire XII est bien allé à Lucques, mais a refusé de faire un pas de plus en direction de Benoît XIII.

21L’année 1408 se passe sans aucune information. Boysset reprend le récit du Schisme en avril 1409. Il dit que les sacrés collèges des deux papes et les ambassadeurs de tous les rois chrétiens décident de se réunir à Pise pour faire l’union de la chrétienté. En mai ils choisissent un nouveau pape appelé Alexandre V qui était frère mineur et archevêque de Milan. Le roi Louis II est fait gonfalon de l’Église, il reconnaît tenir le royaume de l’Église et il reconquiert le patrimoine de Saint-Pierre pour permettre d’installer le pape sur son trône à Rome. Alexandre V meurt au bout de neuf mois. Est alors élu Balthasar Cosa, le cardinal de Bologne, qui s’appelle Jean XXIII.

22Le 1er mai 1410 la ville d’Avignon reconnaît Alexandre V, se révolte contre Benoît XIII. En 1411 une expédition catalane est organisée, elle échoue car les Arlésiens lui barrent la route ; mais les Catalans ravagent les campagnes du Comtat. Bertrand Boysset cesse de s’intéresser aux problèmes posés pour la papauté avec ces troubles dans le Comtat provoqués par les Catalans fidèles à Benoît XIII.

23Peut-on considérer la chronique de Bertrand Boysset comme une source de l’histoire du Grand Schisme ? Dans son livre La France et le Grand Schisme d’Occident, Noël Valois consacre 30 pages à la présentation des sources. Il énumère toutes les chroniques écrites dans l’Europe de cette époque ; celle de l’Arlésien ne s’y trouve pas. Pourtant il le connaît et le cite à cinq reprises dont trois fois à propos d’événements en rapport avec le Schisme (le siège des Baux en 1393, les armes du roi Louis II placées sur le palais de l’archevêque en 1405, la remontée du Rhône par des navires catalans en 1398, la fuite de Benoît XIII hors du palais d’Avignon en 1403, la nouvelle remontée du Rhône par les navires catalans en 1411). À ses yeux ce n’est pas suffisant pour être considéré comme une « source ». Il est vrai que la chronique renferme plusieurs erreurs. Boysset appelle le pape de Rome élu en 1404 Grégoire XII alors qu’il s’agit d’Innocent VII. Il appelle Benoît XIII Benoît VII. Il écrit que seuls trois cardinaux sont restés avec le pape dans le palais, alors qu’il est admis par tous que les cardinaux restés fidèles sont au nombre de cinq. Il dit qu’en 1407 Benoît XIII se rend à Lucques à la rencontre de Grégoire XII alors que c’est ce dernier qui est allé à Lucques et que Benoît XIII s’est arrêté à Porto Venere.

24Il y a aussi des lacunes. Boysset a négligé la venue à Avignon des ducs de Berry, de Bourbon et d’Orléans pour plaider en faveur de la « via cessionis » auprès de Benoît XIII. Qu’il la connaisse ou non, il ne parle que très peu de la géographie des obédiences dans l’Europe de ce temps. Il parle de la France, de l’Aragon, de la Castille, des possessions angevines (Provence et royaume de Naples), mais l’Angleterre et l’Empire sont absents ainsi que l’Italie du nord et du centre. Après 1411 sa chronique est muette et elle s’achève en 1415. Boysset qui meurt sans doute en 1415 au moment où commence le concile de Constance a vu la fin du Schisme. De la même manière, il ne s’est pas rendu compte que le concile de Pise n’avait rien réglé et qu’une église tricéphale avait succédé à une église bicéphale.

25On peut retenir des aspects positifs de l’œuvre de Boysset. La chronique anonyme qu’il a recopiée et qu’on connaît grâce à lui donne une remarquable description de l’élection d’Urbain VI et donc de l’origine du Schisme. D’autre part cet Arlésien donne de nombreux et précieux détails sur ce qui se passe à Avignon. Enfin il y a chez lui une volonté de savoir comme le montre sa satisfaction devant la lettre de Grégoire XII qu’il a le privilège de pouvoir lire.

26Une dernière question se pose : Bernard Boysset a-t-il une opinion personnelle, une préférence au cours de ce conflit qui divise l’Église ? Il a choisi le pape d’Avignon. Celui de Rome – on l’a vu – n’est qu’un antipape. Mais à propos de Boniface IX, il écrit « que nos apelan antipa » et semble ainsi prendre une certaine distance à l’égard du discours officiel et manifester de l’ironie. De toute façon il sait bien l’importance de Rome pour les chrétiens qui y affluent en grand nombre lors du jubilé de 1400 et notamment les Arlésiens : « L’an 1400 fon lo pardon de Roma e duret tot l’an complit, e motas gens d’Arles et d’autre pais l’averon sensa nombre ». Les testaments conservés dans les registres de notaires le confirment. Jusqu’en 1410 Benoît XIII est pour lui le vrai pape, mais le concile de Pise a fait d’Alexandre V le « veray papa » et à ses yeux Benoît XIII n’est plus que « l’antipape Benezech alias Peire de la luna ». Cette affirmation correspond-elle à un sentiment personnel de Boysset ou au fait que Louis II se soit rallié à ce pontife ? D’une façon générale les simples chrétiens avaient-ils à ce sujet une conviction personnelle ou se contentaient-ils de suivre de choix de leur souverain ?

271re édition : paru dans Provence historique, tome LVI, fascicule 224, avril-mai-juin 2006, p. 145-153.

Notes

1 N. Vallois, La France et le Grand Schisme d’Occident, 4 t., Paris, 1896-1902.

2 Genèse et début du Grand Schisme d’Occident, 25-28 septembre 1978, éditions du CNRS, Paris, 1980 et Le Midi et le Grand Schisme d’Occident, Cahiers de Fanjeaux 39, Toulouse, 2004.

3 « Die Chronik des Garoscus de Ulmoisca Veteri und Bertrand Boysset (1365-1415) », dans Archiv für Literatur und Kirchengeschichte des Mittelalters, t. 7, Freiburg im Breisgau, 1990, p. 311-420.

4 Bibliothèque Inguimbertine, Carpentras manuscrit 327. Sur les aspects scientifiques de l’œuvre de Bertrand Boysset voir Patrick Gauthier-Dalché, « Bertrand Boysset et la science », dans Église et culture en France méridionale (xiie-xive siècles), Cahiers de Fanjeaux 35, p. 261-285 et le travail à paraître de Magdeleine Motte.

5 H.-C., Haupt, Le Roman d’Arles dans la copie de Bertrand Boysset, Romana Helvetica, vol. 121, Tübingen et Bâle, 2003 et N. Zingarelli, « Le Roman de Saint-Trophime », dans Annales du Midi, t. XIII, 1912.

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