1Le mariage est au cœur de la vie familiale. Une communication sur le mariage dans la société arlésienne du bas Moyen Âge est donc à sa place dans ces journées consacrées à Famille et parent dans la vie religieuse du Midi. Cet acte par lequel un homme et une femme unissent leurs destinées peut être étudié par les historiens à un triple point de vue. C’est un contrat qui peut être étudié du point de vue du droit. C’est un sacrement qui peut être étudié du point de vue religieux. C’est enfin une réalité sociale : les hommes et les femmes qui se marient appartiennent à des familles, à des milieux professionnels et sociaux. L’aspect juridique ne sera pas étudié ici. Depuis longtemps, les historiens du droit ont étudié les contrats de mariage dans la France méridionale et en particulier en Provence ; ils se sont attachés à définir les conditions des gens mariés, à caractériser les régimes matrimoniaux. Les types d’actes rencontrés à Arles n’ont rien d’original. Ils n’apportent rien de plus que ce qu’ont pu écrire Roger Aubenas et d’autres1.

Aspects religieux : verba de presenti et mariage clandestin

2Sur le plan religieux, les sources sont très pauvres. Les Arlésiens du bas Moyen Âge et les autorités ecclésiastiques locales se conforment au mariage tel qu’il a été défini par le pape Alexandre III en 1176. L’Église reconnaît officiellement la théorie consensuelle du mariage. C’est l’échange des verba de presenti qui crée le lien désormais indissoluble. La bénédiction nuptiale n’est pas l’élément essentiel. Thomas d’Aquin l’a dit dans une formule : Sacerdotalis benedictio, que non est de necessitate, sed de solemnitate. En tous cas, les statuts synodaux, à partir de la fin du xii^e siècle, affirment la nécessité de la présence du prêtre et du caractère public de la cérémonie. Ils prévoient aussi que le mariage doit être précédé de la publication de trois bans. Cette prescription a été reprise par le quatrième concile du Latran2.

3Ces principes ont été repris dans les conciles provinciaux de Saint-Ruf en 1326 et d’Apt en 1365. Il est certain qu’à Arles, dès la fin du xii^e siècle, la publication des bans et la présence du prêtre sont des usages respectés. On comprend le scandale qu’a suscité, en 1235, au cours du mouvement d’émancipation urbaine marqué par un violent anticléricalisme, le fait que plusieurs dirigeants de cette révolte aient pris femme des mains d’un laïc :

Pontius Galhardi et plures alii tempore confratrie ceperunt uxores contra expressam prohibitionem Ecclesie per manum laicorum et propter hoc ipsi fuerunt excommunicati et publice denunciati per omnes ecclesias Arelatis3.

4Aux xiv^e et xv^e siècles, dans tous les contrats de mariage, il est bien écrit que l’union se fait in facia sancte Ecclesie. Le chroniqueur arlésien Bertrand Boysset signale en 1403 le mariage de son fils Jaufre et précise que celui-ci s’est déroulé « en santa mayre gleyza4 ». Mais il y a des gens qui ne demandent pas la bénédiction nuptiale ou qui ne respectent pas l’obligation des trois bans. Ils concluent ce qu’on appelle un « mariage clandestin ». Cette pratique est considérée comme un abus par les conciles du xiv^e siècle, mais ce mariage est pleinement valable. Il suffit à ceux qui ont contracté une telle union de demander pardon à l’official et de réclamer une bénédiction solennelle qu’on leur accorde moyennant une pénitence5. On a conservé pour quelques années du xv^e siècle des comptes de l’archevêché d’Arles. Ceux des années 1424, 1429, 1430, et 1432 renferment une rubrique consacrée aux mariages clandestins et aux dispenses de bans. Y sont inscrits les noms de couples ayant enfreint les règles. Ces derniers sont condamnés à verser au clavaire de l’archevêque des sommes allant de quatre gros à trois florins6.

5L’examen de ces listes permet de faire trois observations.

61. Les nombres varient dans des proportions considérables d’une année à l’autre 10 en 1424, 36 en 1429, 36 en 1429, 8 en 1430, 7 en 1432. Il est intéressant de constater que l’année où ces unions sont les plus nombreuses (quatre fois plus nombreuses que l’année d’après) correspond à une année de peste (1429). Peut-être la mort de très nombreux individus des deux sexes a-t-elle amené certains veufs et veuves à se remarier très rapidement sans tenir compte des obligations fixées par l’Église. On songe à la chronique du carme parisien Jean de Venette à propos de la Peste Noire de 1348 : « Après la peste, les gens se marièrent à l’envi ».

72. Toute la société arlésienne est concernée. Sur 61 hommes contractant un mariage clandestin, la profession ou le statut social sont connus pour 32. 6 appartiennent aux couches supérieures de la société (2 nobles, 3 marchands, un marchand qualifié de bourgeois), 12 au monde de la boutique et de l’échoppe, 14 aux métiers qui travaillent à l’exploitation de l’immense territoire arlésien (brassiers, bergers, laboureurs, pêcheurs...).

83. Les pauvres paraissent plus que les autres avoir recours à ce type d’union. On trouve trois fois la simple mention pauper et on rencontre aussi des formules comme actenta paupertate amborum qui nichil recepit de dote, ou quia non habebant unde sustentare, quia non habebant bona aliqua, quia non habebant unde solvere, ou encore facta sibi gratia quia pauper.

9Peut-être ces gens modestes essaient-ils d’échapper à la solennité du mariage et aux frais occasionnés par celui-ci. Parlant du mariage de son fils, Bertrand Boysset écrit : « E fon facha bela festa7 ». Ces fêtes peuvent entraîner des dépenses considérables. En 1440, fils d’un très riche noble arlésien, Johannet de Saint-Martin, épouse le fille d’un noble de Carpentras, Madeleine de Plana. La dot est la plus élevée rencontrée : 2 000 florins. Dans cette somme sont compris les 547 florins dépensés pour la noce, qui s’est déroulée à Avignon. Un mariage entraîne toujours des frais vestimentaires. Les habits de mariage reviennent fréquemment dans les textes. Dans un contrat de mariage on trouve la clause suivante : le mari, selon la tradition, paiera le vêtement de la mariée et la ceinture d’argent.

10À travers ces derniers exemples, on passe de l’aspect religieux à l’aspect social du mariage. Les registres de notaires sont riches sur cet aspect. Ils renferment des constitutions de dot, des reconnaissances de dot, des testaments, des contrats d’embauche de servantes. On peut joindre à cet ensemble ce qu’on sait de deux familles, celles du chroniqueur Bertrand Boysset et celle du notaire Jean Meyriani (dont la famille est connue grâce à des précisions données dans l’un de ses registres, conservé aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône8), ainsi que les renseignement tirés du « Livre terrier » de 1437, qui renferme l’estimation et la composition de la fortune immobilière des Arlésiens. Ce qui sera présenté ici correspond à la situation des années 1426-1450, sans que l’on s’interdise de prendre des exemples en dehors de ces limites chronologiques.

L’âge au mariage

11Dans les statuts synodaux de nombre de diocèses, l’âge du mariage est fixé à douze ans pour les filles, quatorze ans pour les garçons. Ceux d’Arles sont muets sur ce point. Il est certain que quelques contrats de mariage prévoyaient des mariages d’enfants qui ne pourraient se réaliser que plus tard. Dans l’ensemble des constitutions de dots utilisées, on repère une fille de cinq ans, deux frères de treize et huit ans. En 1448, le jeune Johannon Romieu épouse une fille de la haute noblesse provençale, Garcaneta de Pontèves. Le contrat prévoit quod dictus nobilis Johannonus Romey dum erit legitime etatis in uxorem ducat prenominatam Garcanetam9. De tels cas restent exceptionnels.

12On possède deux exemples d’âge précis au mariage. Le fils de Bertrand Boysset, âgé de quinze ans, épouse une fille de dix-huit ans. La fille d’un tailleur est mariée à onze ans au notaire Jean Meyriani. Elle a son premier enfant cinq ans plus tard. On peut donc penser que sa vie conjugale a commencé à quinze ans.

13On peut essayer de tirer quelques renseignements des constitutions de dots. Sur plusieurs centaines d’actes, 13 seulement renferment une mention d’âge. En dehors du cas d’une fillette de 5 ans, 12 fois l’âge est présenté sous la forme d’une fourchette : une fois plus de 10 ans et moins de 25, une fois plus de 11 et moins de 25, deux fois plus de 12 et moins de 25, une fois plus de 13 et moins de 25, deux fois plus de 14 et moins de 25 fois cinq fois plus de 15 et moins 25. On peut penser que le chiffre le plus bas de la fourchette correspond à l’âge réel de la fille et que ces indications ne sont si rares que parce qu’il s’agit de cas exceptionnels. Lorsque la fille est plus âgée, on n’éprouve pas le besoin d’indiquer son âge, car alors elle se marie selon les normes admises par la société du temps. On peut noter toutefois que 14 et 15 ans sont les âges les plus cités.

14Sur ce problème, un deuxième test est fourni par les contrats d’embauche de servantes. Des parents confient à des maîtres leurs filles, qui sont en fait de très jeunes enfants : de 3 ans et demi à 13 ans, le plus souvent de 6 à 8 ans. Le contrat prévoit presque toujours que le maîtres constitueront la dot de leur servante et fixe la durée de l’embauche. Cela permet de connaître l’âge de l’intéressée à la fin de celle-ci et au moment de son mariage. Pour 18 contrats entre 1418 et 1450, ces âges sont deux fois 14 ans, quatre fois 15 ans, 8 fois 16 ans, une fois 17 ans, deux fois 19 ans, une fois 20 ans. Donc, dans l’immense majorité des cas, 15 et 16 ans.

15Sur l’âge des hommes au mariage, on ne sait rien. Mais les femmes semblent se marier vers 15 ans.

16Une chose est certaine : à Arles, une femme doit être mariée. Les seules célibataires sont les moniales de Saint-Césaire et de Sainte-Claire. Une statistique portant sur 340 testaments de femmes entre 1426 et 1450 révèle que seules trois testatrices sont célibataires (pour deux d’entre elles, on sait qu’elles sont domestiques et vivent dans une famille), 177 sont mariées, 161 sont veuves. Parmi les femmes mariées, 37 sont des veuves remariées et 5 des veuves deux fois remariées. Parmi les veuves, 18 sont deux fois veuves, 2 trois fois veuves.

17On peut imaginer le sort de la femme mariée à travers les deux seules familles connues de façon un peu précise. La femme de Bertrand Boysset a 11 enfants en 22 ans et 2 mois. L’épouse de Jean Meyriani subit 8 grossesses en 17 ans et 4 mois. Dans un cas, un enfant tous les 24 mois, dans l’autre un enfant tous les 25 mois.

18Si les filles se marient entre 15 et 18 ans, il faut envisager au cours d’une période de fécondité de 20 ans un nombre très important de naissances par mariage et une natalité considérable. On connaît dans tous les milieux sociaux quelques familles nombreuses ayant entre 5 et 11 enfants. Mais elles ne représentent qu’un pourcentage très faible de l’ensemble. Entre 1391 et 1475, les testateurs mariés ayant 5 enfants et plus en sont que 70 sur 1 357, soit 5,36 % du total.

19La familles sont décimées. Trois des enfants de Bertrand Boysset ne dépassent pas 3, 6 et 12 ans et quand sa femme meurt, aucun de ses 11 enfants n’est encore vivant. Honorata Meyriani a mis au monde 9 enfants ; au bout de 20 ans de mariage elle en a perdu 5. La vie d’une Arlésienne de cette époque peut se résumer ainsi : un mariage peu après 15 ans, des grossesses répétées pendant une vingtaine d’années, la douleur de perdre ses enfants, souvent la nécessité de se remarier.

Dot, vie familiale et société

20À l’origine de cette vie de femme mariée, il y a un acte passé devant un notaire : un contrat de mariage intitulé matrimonium et de plus en plus souvent constitutio dotis, car c’est l’aspect financier qui est le plus important. Il s’agit d’un contrat entre les deux époux, mais le père ou, à défaut, d’autres membres de la famille, jouent un rôle essentiel. C’est le père qui décide du mariage de ses filles et du choix de leur conjoint. Dans un acte de 1438, une jeune arlésienne déclare : « Sachant que mon père veut me marier10... ».

21Lorsque le père décédé n’est pas là pour donner son accord, la mère ou la grand-mère ou les frères ou les oncles ou les cousins le remplacent. À plusieurs reprises, parmi ces parents qui donnent leur consentement au mariage, se trouvent des individus qui sont à la fois des membres de la parenté et des ecclésiastiques (un hospitalier, un moine de Montmajour, des chanoines, un prêtre bénéficier de l’église d’Arles, le prieur d’une paroisse), comme pour donner une caution morale supplémentaire à cet acte.

22Les contrats de mariage renferment des renseignements sur la vie familiale.

23Dans un certain nombre de cas, le jeune ménage s’engage à vivre dans la famille de la femme. On prévoit le cas où la cohabitations deviendrait impossible et les conditions de la séparation. Mais cela ne correspond nullement à une évolution vers une famille élargie. Comme à Manosque au xiv^e siècle11, à Arles, la cellule conjugale est la règle.

24Dans 26 contrats qui concernent des remariages de la femme, le mari s’engage à nourrir et à élever les enfants du premier mariage et l’on précise parfois que cet engagement vaut jusqu’au mariage desdits enfants. À travers ces textes, on saisit l’importance du remariage pour les femmes.

25Il faut aussi signaler ce qui peut apparaître comme une curiosité, que l’on rencontre ailleurs qu’à Arles et que l’on peut appeler « unions multiples » : neuf fois, deux frères épousent deux sœurs, deux frères épousent la mère et la fille, un père et sa fille épousent la sœur et le frère, un frère et une sœur épousent une sœur et un frère, deux fois un père et son fils épousent une mère et sa fille, deux frères épousent deux cousines germaines, deux sœurs se marient le même jour.

Montant des dots

26C’est le père et, à défaut, la mère, les grands-parents, les frères, les sœurs, les oncles et, pour les domestiques, les maîtres qui constituent la dot. En échange, la mariée renonce à tous les droits qu’elle pourrait avoir sur l’héritage paternel. À la dot s’ajoutent très souvent des « augments de dot » donnés par des parents, des amis, des maîtres. Toutes les Arlésiennes, qu’elles soient filles de nobles ou de brassiers ou de bergers, reçoivent une dot. Celle-ci peut se présenter de trois manières différentes. Elle peut consister dans la totalité des biens de la jeune femme – c’est la dotalité universelle –, ou dans une liste de biens meubles et immeubles, ou enfin dans une somme d’argent exprimée en florins. Sur 430 contrats de dot recensés entre 1426 et 1450, 83 correspondent à la dotalité universelle, 53 à une liste de biens, 294 à une somme en florins.

27On ne peut faire à Arles la constatation de Noël Coulet pour Aix de la première moitié du xv^e siècle : « le montant de la dot est dans deux contrats sur trois exprimé en numéraire12 ». Ces montants varient dans des proportions considérables. Sur 294 contrats, 22 (41,5 %) prévoient des dots de 2 à 50 florins, 80 (27 %) des dots de 51 à 100 florins, 62 (21 %) des dots de 101 à 500 florins, 13 (4,5 %) des dots de 501 à 1 000 florins, 17 (5,5 %) des dots supérieures à 1 000 florins.

28Dans moins d’un tiers des cas, il est dit que le versement aura lieu « tout de suite » ou « au moment du mariage » ou « à la première réquisition ». Mais dans la très grande majorité des cas, des délais de versements sont prévus, ainsi que les montants annuels des versements. Les délais vont de un à 25 ans, les montants annuels de 5 à 100 florins. Les disponibilités financières des familles sont limitées et un délai est indispensable pour effectuer le paiement. Plus le montant de la dot est élevé, plus les délais sont longs. 59 % des dots de un à 50 florins sont versées en 5 ans ; pour les dots de plus de 1 000 florins, il faut plus de 10 ans dans 62 % des cas.

29Un autre type d’actes contribue à éclairer le mariage : les testaments. C’est au moment où l’un des conjoints risque de disparaître qu’on voit réapparaître la dot. On possède 466 testaments d’hommes entre 1426 et 1450. Dans 146 cas, le testateur est veuf, dans 320 cas sa femme est toujours vivante. 222 fois l’homme restitue la dot (70 %) et, le plus souvent, il complète ce geste par la donation des vêtements et de bijoux de l’épouse, constitue une pension alimentaire (grain, vin, huile), établit les conditions de son logement et parfois lui fait encore d’autres legs. Dans 12 % des cas, il ne restitue pas la dot, mais fait des legs importants. Dans 12 % des cas, il ne restitue pas la dot mais institue sa femme son héritières universelle. Dans 5 % des cas, la dot n’est pas restituée, mais l’homme institue le ventre de sa femme son héritier universel. Un seul testateur déclare ne pouvoir restituer la dot de son épouse, car il est trop pauvre. La dot est partout dans les registres de notaires : contrats de mariage, reconnaissances de dots, testaments, procédures engagées pour des dots non versées ou non restituées.

30L’un des intérêts des contrats de mariage est constitué par ce qu’ils nous révèlent de la société locale. Lorsqu’on veut au xv^e siècle étudier le phénomène si important de l’immigrations, il n’y a pas d’autre solution que de recourir aux constitutions de dot, car, lorsque le testateur ou les époux sont des étrangers installés à Arles, le notaire n’oublie jamais d’indiquer leur diocèses d’origine.

31Une carte dessinée à partir des contrats de mariage entre 1426 et 1450 donne une idée du phénomène migratoire qui amène en masse à Arles des hommes et des femmes originaires de Provence occidentale, du Comtat et du Languedoc oriental, mais aussi des Savoyards, le diocèse de Genève étant de loin le plus représenté (voir fig. 1). Ces étrangers qui habitent dans la ville ont un comportement particulier en matière de mariage : ils s’unissent volontiers entre eux. On peut ainsi dénombrer entre 1426 et 1450 trente-cinq contrats unissant des forains installés dans la cité de Trophime.

32Un autre aspect de cette géographie matrimoniale peut être illustré en présentant sur deux cartes le domicile des hommes étrangers à la ville qui ont épousé des Arlésiennes et celle des femmes du dehors se mariant avec des Arlésiens. Les deux cartes sont assez semblables. Dans un rayon de vingt kilomètres, ce sont surtout Tarascon, Beaucaire et Saint-Gilles qui fournissent des conjoints ; dans un rayon de quarante kilomètres, il y a Avignon, Nîmes, les Sainte-Maries, Salon ; au-delà, les effectifs concernés sont très faibles (fig. 2a et 2b).

Dot et statuts sociaux

33Les constitutions de dots ont le mérite d’indiquer à la fois un montant en florins et le statut social ou la profession des mariés et du père de la future épouse. En regroupant toutes les dots des épouses et des filles de chaque catégorie sociale et professionnelle, on obtient une image de la hiérarchie social dans l’Arles de ce temps, car on peut penser que le montant de la dot est en rapport avec la situation des individus dans la société. Deux sortes de graphiques peuvent être établis.

34Pour le femmes et les filles des Arlésiens, on peut calculer des moyennes (fig. 3). Seul le groupe des grands propriétaires fonciers, les nobles, présente des dots dont le montant dépasse 1 000 florins. Au second niveau se trouvent ceux qu’on appelle « bourgeois » et qui correspondent à une catégorie particulière dans l’organisation du gouvernement de la ville. Si on descend une marche de plus, on arrive au niveau des marchands et des notaires. Puis, marche après marche, il y a les nourriguiers (éleveurs d’ovins pratiquant la transhumance), les laboureurs, les artisans et les boutiquiers, les pêcheurs et, au bas de l’échelle, les brassiers et les bergers.

35On peut aussi pour chaque catégorie sociale répartir les dots selon leur montant (fig. 4 et 5). Ce deuxième type de graphique confirme les précédents. Le montant de la dot est bien le reflet de la place des individus dans la hiérarchie sociale.

36Il est possible d’aller encore un peu plus loin. Il existe à Arles des registres comparables aux estimes toulousaines, qu’on appelle « Livre terrier » et qui révèlent la fortune immobilière des propriétaires. Il suffit de confronter les dots reçues par les maris et versées par les père aux patrimoines immobiliers des intéressés. Le lien est indiscutable entre la somme inscrite dans le « Livre terrier » et le montant de la dot figurant dans le contrat de mariage (fig. 6 et 7).

37Il est important de répondre à une dernière question : à Arles entre 1426 et 1450, qui épouse qui ? Pour cette tranche chronologique, on a pu dénombrer 308 couples, 308 femmes et 308 hommes dont je connais l’appartenance sociale. Ils ont été regroupés en trois ensembles : les métiers ruraux, ceux qui participent à l’exploitation de l’immense territoire arlésien (laboureurs, brassiers, nourriguiers, bergers, pêcheurs), le monde de la boutique et de l’échoppe (les boutiquiers et les artisans), l’élite sociale (les nobles, les bourgeois, les juristes, les notaires les marchands). Ces trois ensemble rassemblés sur un même tableau permettent de voir comment se fait le choix des épouses et des époux.

38Les hommes et les femmes appartenant au monde des métiers ruraux et ceux appartenant au monde de l’élite sociale se marient avant tout dans leurs milieux. On peut ainsi parler d’homogamie et de société bloquée, comme l’écrit Noël Coulet à propos de la société aixoise¹³.

39Entre ces deux groupes, les artisans et les boutiquiers constituent un milieu beaucoup plus ouvert. Ils épousent volontiers un conjoint appartenant au monde des métiers ruraux. Il y a aussi quelques individus, chez les gens de métiers, qui réussissent à s’approcher de l’élite : tel revendeur dont les affaires prospèrent réussit à épouser une fille de marchand.

40Il y a dans l’aristocratie locale quelques hommes qui ne dédaignent pas d’épouser la fille d’un riche nourriguier ou d’un opulent laboureur. Il arrive plus rarement qu’un nourriguier ou un laboureur se marie avec une femme de l’élite sociale.

41La tendance générale est que chacun se marie dans son milieu, mais la mobilité sociale n’est pas absente.

42En définitive, le mariage est un très bon révélateur de l’état d’une société.

431^re édition : paru dans Cahier de Fanjeaux, 43, p. 265-286.

Fig. 1 - Origine par diocèse des étrangers (hommes et femmes) habitant à Arles et s’y mariant (1426-1450)

Fig. 2a - Domicile des étrangers épousant des Arlésiennes (81 ménages)

Fig. 2b - Domicile des étrangéres épousant des Arlésiens (49 ménages)

Fig. 3 - Les dots (1426-1450) Montants moyens des dots des épouses et des filles des Arlésiens

Fig.4-Dots des épouses

Fig.5 -Dots des filles

Fig.6 - Les dots des filles et fortunes des pères Répartition en pourcentage des pères d après l’estimation de de leurs biens dans le cadastre de 1437

Fig.7 - Les dots des épouses et fortunes des maris Répartition en pourcentage des maris d’après l’estimation de leurs biens dans le cadastre de 1437