Murs et portes de l’Arles médiévale
p. 17-32
Texte intégral
1Arles au Moyen Âge est une cité romaine déchue, une ville peuplée de propriétaires fonciers, d’exploitants agricoles, de brassiers, d’éleveurs, de bergers, mais une ville marquée par la présence de Rome. Le médecin voyageur de Nuremberg, Jérôme Münzer, a été, à la fin du xve siècle, si impressionné par ses monuments antiques qu’il écrit à son propos : « In civitae quam majorem credo quam Marsiliam1 ». Cette formule ne correspond pas à la réalité. La Marseille de ce temps, pourtant en pleine décadence, est une localité d’une toute autre importance qu’Arles. Mais Arles, sa topographie, l’histoire de ses enceintes ne peuvent se comprendre qu’en remontant à l’époque romaine.
Enceintes et portes d’Arles de l’époque romaine au xiiie siècle
2Sur Arles romaine, la littérature est abondante ; mais elle est loin d’avoir éclairci tous les problèmes2.
3Aux xiie et xiiie siècles, on distingue trois quartiers : la Cité, le Bourg ou Vieux Bourg, le Bourg Neuf (cf. fig. 1). La Cité correspond en gros à la ville romaine. Si l’on se reporte à l’un des plus anciens plans d’Arles conservés, un plan de la fin du xviiie siècle, on repère à l’intérieur de la Cité deux zones tout à fait différentes par le tracé des rues3 (cf. fig. 2) :
4À l’ouest, on retrouve dans le dessin des rues médiévales et modernes, qui persiste aujourd’hui encore, la survivance du tracé antique. On peut parler d’un quadrillage du plan d’Arles. On observe la régularité d’un plan en damier formé d’îlots de 40 à 50 mètres de côté. Il s’agit de la partie la plus importante de la ville romaine renfermant le forum et le palais de la Trouille, correspondant soit à des thermes, soit au palais impérial.
5À l’est, la partie haute de la ville, l’Auture, correspond à un plateau situé au sommet d’un îlot rocheux au milieu des marais à 22-25 mètres d’altitude, se terminant à l’est par un abrupt et descendant en pente douce vers l’ouest. Dans ce secteur, le tracé des rues apparaît irrégulier. Il peut s’expliquer par les conditions particulières du relief, par des modifications que les hommes du Moyen Âge auraient apportées au réseau antique ou encore et plus vraisemblablement par un habitat primitif antérieur à la fondation de la « colonia Julia Paterna Aezlate Sextanorum » en 46 avant J.-C. que les Romains auraient respecté. Cette cité romaine avec son double visage s’est conservée au Moyen Âge.
6Elle était entourée d’un mur dont le tracé a été modifié au iie siècle, à l’occasion de la construction de l’amphithéâtre ; mais cette enceinte était loin d’englober toute l’agglomération. Il est vraisemblable qu’en bordure du Rhône, sur l’emplacement du Vieux Bourg médiéval, était rassemblée une population vivant du fleuve et de son trafic. Plus à l’est, au sud de la Cité, des fouilles récentes ont révélé l’existence de quartiers qui sont restés peuplés jusqu’au ive siècle après J.-C.
7On ne sait rien ensuite de l’enceinte. La première mention écrite des murs d’Arles se trouve dans une lettre de Théodoric, de l’hiver 508-5094. Celui-ci envoie de l’argent pour la restauration des murailles et dans la lettre adressée aux habitants, il s’exprime ainsi : « Pro reparatione itaque murorum Arelatensium vel turrium vetustarum certam peccunie direximums quantitatem. » Il est question dans un autre passage de « antiqua maenia ». Lorsque débute la période médiévale, les murs antiques sont restaurés. C’est à l’intérieur de ceux-ci que les Arlésiens se replient, lorsque sont abandonnées les habitations situées sur la pente méridionale de la colline.
8C’est presque certainement à l’intérieur de cette enceinte que les Arlésiens ont vécu jusqu’au xiie siècle. On sait très peu de choses de son tracé au nord : elle passe par un ancien arc romain ; une porte y est aménagée, la « porta Lutosa ». À l’est et au sud-est, le rempart romain et médiéval suit la falaise rocheuse : ce secteur est le seul où la muraille médiévale est toujours conservée. Vers l’ouest, à partir de la tour des Mourgues, de nombreuses incertitudes subsistent sur les replis ou les extensions possibles de la ville. Il est impossible de dire s’il y a eu un mur du Haut Moyen Âge en retrait sur celui de l’époque romaine. Impossible aussi d’indiquer le nombre des enceintes correspondant à autant de progrès de l’urbanisation vers le fleuve. Il y a sûrement eu au moins deux tracés successifs : celui du xie siècle, héritier du mur antique ou d’un mur du haut Moyen Âge, puis une enceinte postérieure. En effet, un texte de 1152 signale dans ce quartier un « murum antiquum Arelatis ». Des enquêtes comtales des xiiie et xive siècles disent l’existence de trois tours intégrées dans des habitations de particuliers. Il ne s’agit pas, comme dans certaines villes italiennes, de tours construites par des citoyens, mais des tours d’une enceinte disparue qui subsistaient encore au xixe siècle5.
9Même si dès la fin du xe siècle, la ville s’est accrue au sud, au xie et au début du xiie siècle, Arles se confond presque avec cette Cité. Le plan d’Arles au xiie siècle, publié par Jean-Pierre Poly, dans sa thèse donne une idée de cette ville6 (cf. fig. 3).
10Vers 1100, Arles possède sans doute sept portes : quatre portes anciennes, trois plus récentes.
11Parmi les portes anciennes, l’une est aujourd’hui encore conservée : la porte de la Redoute. Il s’agit de la porte décumane antique. Elle est faite de deux grosses tours rondes jumelées, donnant sur la falaise à l’est et s’ouvrant sur la place de la Redoute à l’ouest. Comme les autres monuments romains, elle a été transformée en une forteresse urbaine : un texte de 1150-1156 la désigne ainsi : « Castellum Rotundum... in quo castro est tertia porta antiqua7 ». Les trois autres portes anciennes sont la porte Saint-Étienne au sud, la porte des Astiers à l’ouest, la « porta Lutosa », arc romain devenu porte de la ville (au Moyen Âge, l’Arc Admirable) et forteresse : « Castrum de Portaldosa ».
12Les textes mentionnent des « portes anciennes » pour les distinguer de trois portes plus récentes : la « porta Borealis » au nord des Arènes, la porte de la Frache au nord, la porte de Laura au sud.
13Au xie siècle et jusqu’au milieu du xiie siècle, sans doute trois portes sont aménagées en forteresses gardant les entrées de la ville (porte des Astiers, « porta Lutosa » et porte de la Redoute) et tenues par des familles de chevaliers arlésiens :
- la porte de l’ouest, dite des Astiers, devait être tenue de l’archevêque par les membres de la famille des Astiers ;
- le « castellum Rotundum » (porte de la Redoute) tenu par les seigneurs de Lambesc qui le tenaient eux-même de l’archevêque ;
- au milieu du xie siècle, Guibert de Portaldosa tenait des Baux le « castrum » et la porte de Portaldosa, ces derniers la tenant pour leur part de l’archevêque ou du comte.
14D’autres noyaux fortifiés étaient tenus par des chevaliers urbains : les Arènes, ancien amphithéâtre ; le Capitole, reste d’un temple d’Auguste. La situation est comparable à celle observée en Languedoc, à Carcassonne ou à Nîmes.
15La situation change dans la deuxième moitié du xiie siècle. L’évolution politique, l’unification de la ville sous l’autorité d’un consulat va progressivement réduire le rôle de ces forteresses qui étaient aux mains de chevaliers. L’essor des quartiers « extra muros » aboutit au doublement de la superficie urbaine (passage de 18 à 36 hectares). À la fin du xiie siècle, deux quartiers sont entourés de murailles : le Vieux Bourg au sud-ouest, le Bourg Neuf, au nord. Désormais, la plus grande partie de l’enceinte de la cité a cessé de jouer son rôle défensif. Seuls deux secteurs sont toujours utilisés : l’un le long du Rhône, l’autre au sud-est de la ville. Entre la Cité et le Vieux Bourg, une zone restait ouverte : le Méjan. Elle présentait un double intérêt. Elle était traversée par la route de Languedoc ; elle menait au « portus ». D’autre part, elle était encore largement inoccupée, elle était une zone à urbaniser. C’est là qu’au début du xiiie siècle, les Trinitaires ont installé leur église et leur hôpital8. Ce secteur fut disputé entre les hommes de la Cité et ceux du Vieux Bourg avant d’être inclus dans l’enceinte, en 12639. C’est à cette date, en effet, qu’un dernier fragment de rempart est construit. Les murailles d’Arles sont achevées. Leur tracé n’a plus changé jusqu’au xixe siècle. Aujourd’hui encore, même si elles ont disparu sur la plus grande partie de leur longueur, leur tracé est encore visible dans le plan d’Arles ; il est souligné par des boulevards au sud, à l’est et au nord.
16De cette enceinte ne subsistent aujourd’hui que trois fragments. Deux très courts, le long du Rhône et au nord à la porte de la Cavalerie, ont en fait été rebâtis sous Louis XIII. Mais, sur plus de trois cents mètres entre la porte Agnel et la tour des Mourgues au sud-est, le mur romain et médiéval a été conservé et donne ainsi une image concrète de ce qu’a pu être le rempart du bas Moyen Âge. Son appareil est très divers : des fragments en gros appareil régulier coexistent avec d’autres faits de matériaux plus petits et irréguliers. Ce mur donne une impression de rapiéçage, de remplissage. Visiblement, il a donné lieu à des réparations à des périodes différentes. Faute d’une étude précise menée par des archéologues, il est impossible de dire ce qui est romain, ce qui est du haut Moyen Âge, ce qui correspond à l’achèvement de l’enceinte au xiiie siècle ou aux travaux de restauration des xive et xve siècles.
Enceintes et portes d’Arles aux xive et xve siècles
17Les sources écrites des xive et xve siècles mentionnent très souvent les murailles : accords passés entre la communauté d’Arles et le comte de Provence, accords passés entre la communauté et les établissements ecclésiastiques, prix-faits pour une réparation ou une construction dans les registres de notaires, procès-verbaux de délibérations communales, comptes trésoraires10. Les mentions les plus nombreuses et les plus intéressantes se trouvent dans ces deux dernières catégories de documents. Pour les Arlésiens, pendant plus d’un siècle, entre l’arrivée des Routiers en 1357-1358 et la fin du péril catalan vers 1470, le danger extérieur a toujours été présent. Lorsque le conseil se réunit, il discute de l’achat d’armes, de l’organisation de la garde, de la désignation d’officiers ou de commissions spécialisés dans le domaine de la défense (« capitaneus guerre », « six de la guerre », « douze de la guerre »), mais aussi de la réparation des murs. Les comptes trésoraires constituent la source la plus riche, notamment parce qu’en 1432 on a procédé à une remise en état générale de l’enceinte. On peut ajouter à cet ensemble de textes, un procès-verbal de visite des remparts par Jean, fils du roi René11, et de brefs détails figurant dans les actes notariés ou dans les cadastre du xve siècle appelés « livres terriers ».
18Une première impression s’impose : la guerre est le danger le plus grand pour les habitants d’Arles. Alors que la disette est rare, que la peste revient de temps en temps, la guerre est presque constamment présente. Par exemple, en 1435 et en 1439, on parle de la guerre et des mesures de défense au cours de la moitié des séances du conseil. Une séance sur deux est consacrée à ces questions et le point qui revient le plus souvent est l’entretien des murs.
19Les problèmes posés à Arles par ses murailles n’ont rien d’original. On y retrouve le lien entre la nécessité de les entretenir et la naissance de la fiscalité communale. Des transactions dont les textes ont été conservés, révèlent les difficultés surgies à ce propos entre la communauté, le comte, les clercs et les juifs.
20Avec le comte, les questions débattues sont de deux ordres : le financement des travaux, le bon état de la muraille.
21En 1359, la reine Jeanne affirme que les réparations effectuées par les Arlésiens sur leur enceinte ont été faites à titre de don gratuit, que le souverain est tenu de faire ces travaux à ses frais et que ces réparations ne seront d’aucune conséquence pour l’avenir12. En 1366, le sénéchal autorise la levée d’une gabelle pour la restauration de murs13. En 1368, la même reine Jeanne autorise les Arlésiens à prélever 1000 florins sur les rançons de certains Français pour la fortification de la ville14.
22En septembre 1367, Arles reçoit du viguier, représentant local du comte, l’ordre de réparer ses murailles15. En avril 1432, le gouverneur vient visiter l’enceinte16. En septembre 1440, Jean, fils aîné du comte, l’inspecte à son tour et ordonne un certain nombre de travaux17.
23La réticence des clercs à participer financièrement à l’entretien des murs est évidente. L’archevêque, le sénéchal, le conseil de ville doivent intervenir. En octobre 1363, l’archevêque Guillaume de La Garde décide que les ecclésiastiques contribueront à la réfection des murailles18. En juillet 1401, le sénéchal décide de contraindre les ecclésiastiques à participer à ce financement19. En février 1432, puis en décembre 1435, le conseil intervient dans le même sens20.
24Aux mêmes moments (février 1432 et décembre 1435), les autorités urbaines demandent la participation des juifs21.
25On peut donc dire que les murs de leur ville sont l’affaire de tous le Arlésiens.
26L’aspect concret, l’aspect matériel de l’enceinte apparaît mal dans les documents écrits. Ce sont surtout des comptes trésoraires que l’on peu tirer quelques détails, puisque ceux-ci mentionnent de nombreuses sommes d’argent versées à des maçons ou à des fustiers pour des travaux effectués ou pour des achats de pierres et de bois.
27Deux catégories de pierres sont utilisées. La crise de la seconde moitié du xive siècle entraîne l’abandon et la destruction de tous les bâtiments « extramuros ». Les pierres provenant de ces destructions sont utilisés. Les Clarisses, repliées dans la ville, donnent aux autorités municipales les pierres de leur ancien couvent situé au-delà de la porte de la Roquette22. En 1410, un apothicaire peu scrupuleux vend des pierres provenant de la destruction d’églises du cimetière des Alyscamps23. D’autres pierres proviennent des carrières de Fontvieille que l’on appelle alors carrières du Castellet.
28Les syndics achètent, pour les portes, des planches ; ils utilisent aussi une pratique signalée par Michel de Bouard : « l’habitude d’utiliser pour la construction des planches provenant de navires réformés24 ». À Arles, cet usage est courant : des navires ne remontant pas le Rhône sont vendus par leurs propriétaires et leur bois est employé en menuiserie, notamment pour la fabrication des portes de la ville. Ainsi en est-il, en 1432, pour le portail de « Laura » : le trésorier paye 4 florins 11 sous 6 deniers à un fustier : « pro postibus emptis et habitis ab eo pro faciendo corpus portarum novarum portalis de Aura in quibus fuerunt III canne et III palmi cadrate ad rationem XV grosserum pro canna ».
29D’une manière générale, les comptes trésoraires restent imprécis. Ils parlent de réparer, élever ou doubler un mur, de boucher des trous, de refaire des merlons ou encore de refaire des « cossieras » : par exemple « las cossieras de fusta del portal de Moleges ». S’agit-il d’une voûte comme le dit Pansier dans son Histoire de la langue provençale à Avignon du xiiie au xixe siècle25 ou du chemin de ronde, de la coursière ?
30Le prix-fait de la construction de la tour située à l’angle sud-ouest de la ville en 1372 prévoit une hauteur de 16 mètres (8 cannes de la première pierre au-dessus du sol jusqu’aux merlons), une largeur de 3 mètres, l’aménagement d’une pièce voûtée et d’un escalier à l’intérieur26. Plusieurs tours étaient munies au sommet d’un petit bâtiment utilisé pour la garde.
31Les portes sont surmontées d’une tour et le plus souvent aussi de cette bâtisse destinée à la garde et appelée « gardiola » ou « gachola ». Leur toiture est de tuiles. Un escalier permet d’accéder à une pièce située à l’étage et à la « gachola ». La fermeture est assurée par une barre de bois : « per reffar la barradura del portal de Laura », « per far la barra traversiera ». À la porte de la Cavalerie est signalée une grille de fer.
32Dernier détail à propos des portes : leur ornementation. En juin 1433, la ville verse 4 florins 4 sous à un tailleur de pierre : « in faciendo et scindendo in petra arma regia et dicti civitatis posita super portale novo fori novi ». Les armes du roi et de la ville ornent donc cette porte du Marché Neuf, au sud d’Arles.
33Une partie du rempart est longée par le Rhône à l’ouest, une autre à l’est est située au-dessus d’une falaises à l’est. Dans ces deux secteurs, un fossé n’est pas nécessaire. Ailleurs, au sud et au nord, un fossé est aménagé. En 1440, il est ordonné de creuser devant la porte de la Cavalerie, un fossé de 4 cannes de large et de 3 de profondeur (8 mètres sur 6). La même année, il est décidé d’installer des ponts levis à trois portes du sud et à la porte de la Cavalerie, au nord27.
34Un dernier problème matériel apparaît : celui de la libre circulation à l’intérieur des remparts pour les hommes assurant la garde. La visite de 1440 révèle que de nombreuses maisons ont été construites contre le mur, empêchant cette circulation. Il est décidé de percer des passages à travers ces bâtiments et d’aménager des coursières.
35Le fonctionnement de ce système défensif est assuré en premier lieu par l’organisation d’un tour de garde auquel les citoyens prennent part. Ils sont répartis en dizaines et cinquantaines, prennent la garde la nuit et en cas de danger grave jour et nuit aux portes ; la délibération du 1er mai 1435 prend une décision dans ce sens face au danger catalan28. Un livre des gardes est tenu : « liber custodium portalium ». Le service de garde n’est pas assuré très volontiers par les Arlésiens. À plusieurs reprises, on se plaint du nombre insuffisant d’hommes. À la fin du xive siècle, un habitant se fait chaque année remplacer par un juif avec lequel il passe un contrat devant notaire29.
36Un capitaine, « capitaneus guerre », est chargé de veiller à la bonne organisation de la défense : il doit veiller à ce que les gardes soient bien effectuées, faire fermer les portes, tenir le livre des gardes appelé aussi livre des cinquantaines et des dizaines : « lo libras de las sinquantenas et dezenas ». Le capitaine est assisté en général des commissions déjà citées. Des « six » ou des « douze de la guerre ». Une délibération de 1428 précise les tâches des « six de la guerre » : réparation des murs et des portes, achat d’armes et de pièces d’artillerie, organisation des dizaines et des cinquantaines. Il apparaît aussi que le cinquanteniers jouaient un rôle dans l’entretien des murs et des ports : en 1433, un noble, Johan Romieu, reçoit du trésorier 5 florins 14 sous pour les dépenses faites dans sa cinquantaine, à l’occasion de réparations faites à la porte de Sainte-Claire. Chaque cinquantaine avait donc en charge un certain secteur de l’enceinte. Enfin, en dehors même de toute fonction particulière, le conseil pouvait désigner de simples citoyens pour effectuer une mission précise et limitée dans le temps : en 1426, quatre Arlésiens sont chargés d’aller voir les murailles dont la construction vient d’être achevée. Ou, plus simplement encore, c’était les syndics qui contrôlaient tout ce qui relevait de l’enceinte. En tout cas, à Arles, n’existait aucune magistrature attachée aux portes, comme ce fut le cas ailleurs.
37Il n’est pas possible de connaître le nombre exact des portes, car certaines ont pu porter simultanément ou successivement plusieurs noms, sans qu’on le sache de façon explicite. On peut énumérer les portes suivantes :
- au nord, en allant d’est en ouest : la porte de la Milice ou de la Cavalerie, celle de Saint-Cile ou Saint-Isidore ;
- à l’ouest, sur le Rhône en allant de l’amont vers l’aval : les portes de Portaurosa, del Capont, de Saint-Pierre-du-Poids, de Lamanon, de Montpellier, de l’Escalier, du Pel-del-Port, de Palhada ;
- au sud, en allant d’ouest en est : les portes de Sainte-Claire ou de Gaudemara, de Den Simon, du Marché-Neuf ou de Mollegès, de Laura ;
- à l’est, du sud au nord : les portes de la Redoute, de Porte Agnel.
38Quelques autres portes sont signalées, mais elles font peut être double emploi avec d’autres citées plus haut : portes de la Trouille, du Port-Vieux, de Matteo Bernini à l’ouest, des Chanoines au sud.
39Ces appellations sont diverses :
- les unes sont liées à la présence d’un monument romain : la porte de la Redoute correspond au « Castellum Rotundum » des xie et xiie siècles installé sur la porte décumane, la porte de la Trouille s’appelle ainsi à cause de la proximité du palais de la Trouille, nom médiéval du bâtiment correspondant aux Thermes de Constantin ou à l’ancien palais impérial ;
- d’autres à la proximité d’une église paroissiale : Saint-Pierre-du-Poids, Saint-Isidore ; ou d’un établissement religieux : Sainte-Claire (Clarisses), Milice ou Cavalerie (Templiers), Mollegès (Couvent des moniales cisterciennes du Mollegès), Chanoines (Chapitre Saint-Trophime) ;
- d’autres à une activité économique (Port-Vieux, Pel-del-Port, Marché-Neuf) ou à la présence d’une catégorie sociale (la Porte Agnel se trouve à l’extrémitié de la rue Porte Agnel où sont groupés les éleveurs, nourriguiers et pastres) ;
- d’autres à une particularité topographique : del Escalier ;
- d’autres à la présence d’une famille : Lamanon, Palhade. À la fin du xive siècle, le marchand florentin Matteo Benini habite à proximité du port dans la paroisse Saint-Martin, la rue autour de laquelle se trouve rassemblées ses maisons aboutit sur le quai du Rhône, à une petite porte : « portaletum Mathei Benini » ;
- l’une à une route : la porte de Montpellier correspond à la voie menant en Languedoc ;
- quelques appellations sont plus difficilement explicables : Laura, Den Simon, Capon.
40L’enceinte d’Arles est donc percée d’une bonne quinzaine de portes qui sont loin d’avoir la même importance dans la vie de la ville. Le vocabulaire apporte déjà un premier témoignage puisqu’il distingue : « portale » et « portaletum ». Un acte de 1401 révèle que le Florentin Matteo Benini possède un groupe d’immeubles situé entre deux rues dont l’une mène « ad portale ubi dudum solebat esse portus Rodani » et l’autre « ad portaletum vocatum Mathei Benini »30. Quelques-uns des portails jouent un rôle particulier : au sud, ceux de Laura, du Marché-Neuf et de Sainte-Claire, à l’ouest celui qui s’ouvre sur le « portus », le bac qui traverse le Rhône, à l’est la Porte Agnel. Indiscutablement, une porte l’emporte de loin sur les autres : la porte de la Milice ou de la Cavalerie. Elle est à la fois la porte des entrées royales (les comtes de Provence, rois de Naples, entrent toujours par cette porte et suivent toujours le même itinéraire en direction de Saint-Trophime) et celle des relations avec Avignon (la vie économique d’Arles est dans une large mesure tournée vers la ville des papes). Le rôle secondaire de certains portails se manifeste dans le fait qu’ils sont en période de danger fermés, que la ville refuse de les faire ouvrir à nouveau, sinon aux frais de particuliers lésés par la mesure. En 1437, Trophime Pons alias Terrier et ses voisins obtiennent l’autorisation d’ouvrir à leurs frais le portail du Capon à condition de s’engager à le fermer, à leurs frais aussi, en cas de nécessité. En 1447, la porte de Saint-Pierre-du-Poids ayant été murée au préjudice d’Honorat Bernard, celui-ci pourra la faire ouvrir et y faire mettre des battants de bois sur ses propres deniers31.
41D’ailleurs même les « portalets » les plus modestes, situés sur le quai du Rhône, ont un rôle dans l’économie et la vie quotidienne des Arlésiens. Le grain récolté dans les domaines de Camargue, le bois coupé dans les îles du Rhône et dans les ségonaux est transporté par voie d’eau et déchargé sur le quai, en face de l’une des portes. Les contrats de coupe et de fourniture de bois prévoient toujours la livraison de celui-ci soit « à l’un des portails du Rhône », soit à l’un de ceux-ci désigné en particulier : portail de Montpellier, portail de Lamanon, portail de l’Escalier, portail de la Trouille...
42Les liens sont étroits entre les portes et la géographie économique et soiciale d’Arles.
43À la fin du xive siècle, les marchands les plus importants résident dans la paroisse Saint-Martin, à proximité des portes donnant sur le quai et le « portus » (fig. 6).
44Tous les pêcheurs et la plus grande partie des « ripayres » habitent dans le Vieux Bourg, eux aussi à proximité des portes et du quai. Ils ont comme voisins les laboureurs et brassiers travaillant sur les terres de Camargue (fig. 4).
45Les éleveurs sont dans la paroisse de la Major, dans la rue de la Porte Agnel et dans les rues adjacents (fig. 6).
46Les auberges sont groupés à proximité des portes de la Cavalerie, au nord et du Marché-Neuf, au sud (fig. 7).
47Les immigrants s’installent de préférence dans le premier quartier qu’ils traversent, une fois le mur franchi : les Savoyards dans le Bourg-Neuf près de la porte de la Cavalerie, les Camarguais d’Albaron et des Saintes-Maries dans le Vieux-Bourg, les Crauens à l’est dans l’Auture.
48Les portes jouent un rôle décisif dans la géographie humaine d’Arles comme dans celle des autres villes médiévales. Le sentiment qui domine, au terme de cette présentation de ses portes et de ses murs, est celui d’une absence d’originalité. Forteresses urbaines et centres de pouvoir aux xie et xiie siècles, les portes ont perdu ce rôle entre le milieu du xiie siècle et le milieu du xiiie siècle avec l’établissement du consulat, le triomphe du comte et l’extension topographique de l’agglomération. Aux derniers siècles du Moyen Âge, les portes ne jouent qu’un rôle défensif. Ce rôle, elles l’assurent efficacement contre les ennemis, Routiers ou Catalans, contre les gens qui arrivent des régions touchées par la peste, contre les travailleurs saisonniers qui, à la fin du xve siècle, menacent de massacrer les juifs. Une seule fois cette fonction protectrice n’a pas été assurée : en 1384, une bande de Tuchins à réussi à pénétrer dans la ville parce que des complices arlésiens lui ont ouvert une porte. Cet événement tragique est l’exception qui confirme la règle : murs et portes ont efficacement protégé Arles.
491re édition : paru dans Fortifications, portes de villes, places publiques dans le monde méditerranéen, Cultures et civilisations médiévales IV Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1985, p. 237-253.
Notes de bas de page
1 E. Deprez, « Jérôme Münzer et son voyage dans le Midi de la France en 1494-1945 », Annales du Midi, 1936, p. 53-69.
2 L.-A. Contans, Arles antique, Paris, 1921 ; F. Benoit, Arles, dans Villes épiscopales de Provence, Aix, Arles, Fréjus, Marseille et Riez de l’époque gallo-romaine au Moyen Âge, Paris, 1954, p. 15-21 ; R.-E.-M. Wheeler, The roman walls of Arles. Journal of roman studies, 1926, p. 174-193 ; C. Bruhl Palatium und civitas. Band I : Gallien. Cologne-Vienne, 1975 et P.-A. Février, Le développement urbain en Provence de l’époque romaine à la fin du xive siècle, Paris, 1964.
3 Ce plan d’arles de 1796 se trouve à la Bibliothèque municipale de la ville. Sur ce point voir F. Benoit, « Essai de quadrillage d’un plan d’Arles », Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Comptes-rendus, 1941, p. 92-100.
4 M. G. H. Cassiodore Variae, Auctorum antiquissorum. t. XII, Berlin, 1894, p. 100-102.
5 Ces tours sont mentionnées dans l’enquête de Charles d’Anjou de 1258 (E. Baratier, Enquêtes sur les droits et revenus de Charles Ier d’Anjou en Provence, Paris, 1969, p. 298), et dans des enquêtes comtales de 1293 et 1333... « quadam turri vocata “turris nova” scita in parrochia Principali juxta carreriam Mejani et juxta andronam et juxta menia ». « quadam turri vocata “turris bossata” scita in parrochia Sancti Martini juxta carreriam del Mejan », « medietas cujusdam turris in qua est domus nobilis guillelmi Porcelleti... in parrochia Sancti Martini... » Bibliothèque Méjanes, Aix, Ms 899 « Cartularium Arelatense » et déjà dans le « Livre Noir » de l’archevêché... « in carreriam que ducit ab Burgum et inde dirigitur in turrem Joffredi, fratris mei, et inde rursus convertitur usque in murum antiquum civitatis »... Archives départementales des Bouches-du-Rhône (ADB), III G 16, F.
6 J.-P. Poly, La Provence et la société féodale 879-116. Contribution à l’étude des structures dites féodales dans le Midi. Paris, 1976, La présentation de l’Arles des xie et xiie siècles est tirée de cet ouvrage.
7 ADB, III G 17, Cartulaire autoraphe, p. 17-18.
8 J.-M. Rouquette, L’établissement des Trinitaires à Arles au xiiie siècle. Mémoire complémentaire de DES, Faculté des Lettres d’Aix, 1954.
9 Anibert, Mémoires historiques et critiques sur l’Ancienne République d’Arles. T. I, Yverdon, 1779, p. 179, indique l’année 1263 comme date de l’achèvement de l’enceinte.
10 Les procès-verbaux des délibérations communales sont conservés à partir de 1426, Archives communales d’Arles (ACA), BB1 à BB6). La série des comptes trésoraires commence en 1407 et elle est presque continue pour le xve siècle.
11 ACA, CC150 : comptes de l’année 1432 ; et EE1 : procès-verbal de la visite des murailles d’Arles par Jean, fils aîné du comte René, en 1440.
12 ACA, EE 15, no 1.
13 ACA, EE 15, no 4.
14 ACA, EE 15, no 6.
15 ACA, EE 15, no 5.
16 ACA, BB 1, 7 avril 1432.
17 ACA, EE 1.
18 ACA, EE 15, no 3.
19 ACA, EE 15, no 9.
20 ACA, BB 1, 2 février 1432 et BB 2, 4 décembre 1435.
21 Idem.
22 Roure (baron du), notes pour servir à l’histoire ecclésiastique d’Arles, Bulletin de la Société des Amis du Vieil Arles. 2e année no 3, 1905, p. 107-116, 155-171 ; 3e année no 1, 1906, p. 23-37, 137-184 et ADB, XXVI F 37 : transaction entre la ville et les Clarisses du 19 janvier 1366.
23 Bibliothèque municipale d’Arles (BMA), Manuscrit 151, fo 88 et suiv.
24 M. de Bouard, Manuel d’archéologie médiévale. De la fouille à l’histoire, Paris, 1975, p. 51.
25 Dr. P. Pansier, Histoire de la langue provençale à Avignon du xiie au xixe siècle, t. III, Avignon, 1927, p. 51.
26 ACA, EE 13, fo 3, acte du 26 novembre 1372.
27 ACA, EE 1.
28 Idem.
29 ACA, BB 2, 1er mai 1435.
30 Le juif Astruguet de Toulon s’engage à remplacer le bourrelier Johan Nègre pour la garde sur les murs. Cette garde est à assurer une fois par semaine. ADB, 405 E 5, 15 janvier 1387 ; 405 E 14, fo 105 ; 405 E 16, fo 118 vo ; 405 E 20, fo 87 vo ; 405 E 19, fo 136 ; 405 E 20, 21 janvier 1398.
31 ADB, 405 E 24, fo 2 et 62.
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