Les origines et la famille
p. 49-86
Texte intégral
Le pape Innocent III était par son père Transmundus des comtes de Segni, mais par sa mère Clarina [Claricia] des nobles de la Ville (GW : 1).
Une naissance dans le Latium méridional
Lothaire, un Campanien
1Bien que l’habitude ait été prise au xxe siècle d’appeler le futur Innocent III « Lothaire de Segni » – habitude que nous conservons –, celle-ci ne correspond à aucune tradition médiévale ou moderne1. Nulle source ne situe sa naissance à Segni. Le rédacteur des Gesta, qui connaissait personnellement le pape, évoque plus ses origines familiales que réellement géographiques.
2Les premières chroniques du xiiie siècle à mentionner son lieu de naissance sont étrangères à l’Italie et font de lui un Romain de naissance (natione Romanus selon Rigord de Saint-Denis) ou de famille (genere Romanus d’après la Continuatio de Sigebert de Gembloux). Cette approche s’est perpétuée jusqu’à la fin du siècle dans les sources allemandes, ainsi dans les Annales de Stade, sans doute en raison de l’éloignement des auteurs ou de leur parti-pris pour l’Empire (cf. annexe). À partir des années 1220, sous l’influence du Chronicon de Gilbertus Romanus, un nombre important de chroniques rédigées dans l’entourage des papes et en Italie rappellent toutes ses origines campaniennes (natione Campanus). Le Chronicon de Bâle, écrit dans les milieux de la curie romaine, apporte un détail original, distinguant une naissance à Rome mais une souche familiale campanienne (natione Romanus, sed genere Campanus). Deux traditions au xiiie siècle s’opposèrent donc : pour les auteurs étrangers à la péninsule ou mal informés, la famille du pontife était romaine, tandis qu’elle était campanienne pour les sources italiennes.
3La Campanie correspondait à deux réalités géographiques : l’antique territoire constitué autour de Capoue et de Naples, appelé « Campanie napolitaine » dans le Liber Censuum (I : 352), et la petite province de la Campania romana, limitée au nord par la vallée du Sacco et au sud par le Royaume de Sicile2 (cf. carte p. 281). Bien que la documentation – et notamment le Liber Censuum – néglige souvent l’adjectif romana, l’espace auquel les sources font référence est presque toujours la Campanie romaine. La nature de cette région au xiie siècle était à la fois ecclésiastique et politique. La principale autorité politique était la papauté, malgré l’influence de la seigneurie voisine du Mont-Cassin. La Campanie regroupait aussi l’ensemble des sièges épiscopaux situés entre les Mont Lepini et les Ernici, suffragants de Rome : « Campanie, terre du seigneur pape », précise le Liber Censuum. Il s’agissait des petites cités de Segni, Alatri, Anagni, Ferentino et Veroli, parfois complétées par celles de Tivoli, Terracine, Sora, Fondi et Gaeta3.
4Le Catalogus pontificum romanorum, écrit en partie par Godefroy de Viterbe, chapelain impérial, donne une courte notice sur le passé d’Innocent III, et fournit un détail unique en fixant sa naissance à Gavignano (natus Campanie, ex castro Gaviniano). L’ouvrage, qui se concentre sur l’attitude d’Innocent III envers Viterbe, se garde de prendre position dans les querelles impériales et tend plutôt à mettre en valeur la politique du pape. Celui-ci laissait pourtant dans la ville un sentiment mitigé. En effet, il avait autorisé les Romains à lui faire la guerre (1199-1200), son frère Richard participant même aux opérations. Viterbe s’était alors soulevée en 1200 contre l’autorité pontificale. Mais, après qu’en 1207 le pape était venu sur place pour renforcer la lutte contre l’hérésie, ses relations avec la ville s’améliorèrent en même temps que son emprise sur le Latium (GW : 9-13). Après avoir ordonné la lutte contre l’hérésie dans la ville (Reg. II.1, p. 3-5), le pape multiplia les faveurs envers l’Église locale et certains de ses monastères. Ce nouveau climat explique pourquoi Godefroy ait pu avoir accès, peut-être à Rome, à des informations précises sur le pontife et ses origines latiales.
5La Sächsische Weltchronik, écrite en langue allemande à la fin du xiiie siècle, assure que Lothaire était né à Gênes, ce que rien n’indique par ailleurs4. Bartolomeo Platina († 1481), célèbre humaniste italien, fut le premier à avancer une naissance à Anagni5. Bien que sans argument, cette opinion inspira par la suite de nombreux auteurs, dont Maternus Cholinus. Il est vrai que les dons d’Innocent III en faveur d’Anagni (GW : 349) et ses nombreux séjours sur place entre 1201 et 1204, notamment pendant sa maladie, laissent supposer des liens anciens mais indémontrables. Les sources du xiiie siècle ne font donc pas de Lothaire un homme de Segni, mais se contentent de fixer sa naissance ou ses origines en Campanie. Elles situent ses attaches familiales à Rome lorsqu’elles sont extérieures à l’Italie. Toutefois, la précision du Catalogus de Viterbe laisse supposer une naissance à Gavignano, ce qu’a généralement admis l’historiographie6.
6Ancienne villa rurale durant l’Empire, Gavignano était un petit castrum – un habitat regroupé, parfois fortifié – situé sur une colline à deux mille cinq cents mètres de Segni. Une charte de privilège accordée par Lucius III à l’Église de Segni en 1182 mentionne dans la dépendance de Gavignano quatre églises paroissiales7. À mille cinq cents mètres au nord, le castrum contrôlait le monastère bénédictin de Sainte-Marie de Rosilli. Les moines desservaient une chapelle dans le bourg8. Le 10 juillet 1160, Alexandre III prit sous sa protection l’abbaye Saint-Anastase ad Aquas Salvias, non loin de la basilique Saint-Paul de Rome, et lui confirma la possession du castrum de Gavignano9. Celui-ci dépendait donc de l’abbaye, mais se trouvait sous l’autorité supérieure de l’Église romaine. Le castrum était aussi marqué à l’époque d’Innocent III par une aristocratie laïque que l’on voit tester dans certains actes pontificaux (LC, I : 496-7). Gavignano fut ainsi l’objet de tractations diplomatiques entre le Siège apostolique et les comtes de Tusculum au moment du déclin de cette famille. Le comte Tolomeo II († 1153), consul romain et ancien vassal de l’empereur Conrad, avait dû se rapprocher de la papauté et héberger Eugène III en 1149. L’homme avait eu trois fils : Jonathan, héritier de ses domaines et qui devint vassal du pape en 1155, lui donnant en gage les roccae de Faiola et Montefortino ; Raino, qui avait été contraint de céder au pape tous ses droits sur Tusculum, sa châtellenie de Lariano en échange du fief de Norma et Viculo et une hypothèque sur le castrum d’Algido ; et enfin Jordan, lequel, après la destruction de Tusculum en 1191, avait obtenu du pape des droits sur Gavignano10. Cette concession était un signe supplémentaire de la décrépitude des comtes de Tusculum depuis l’avènement de la Commune romaine. Leur seule compensation consistait dans des droits sur un petit castrum situé au cœur d’une région où l’influence d’Innocent III et de sa famille était déterminante. Le pape montra qu’il était demeuré attaché à ce lieu, puisqu’il lui fit cadeau d’une chasuble tissée de rouge et d’or (GW : 349). Lothaire naquit donc probablement dans ce modeste village de Campanie dépendant de la papauté et marqué par la présence monastique.
7Transmundus, qui avait eu auparavant un fils aîné, Richard (Riccardus), donna à son cadet le prénom de Lotarius, ainsi que lui-même l’écrit au bas des bulles du pape Célestin III11 (cf. ill. p. 301). Les Gesta, les manuscrits de ses œuvres et un grand nombre de chroniques (cf. annexe), dès les premières années du xiiie siècle, rappellent ce prénom, parfois orthographié Loterius. Les formes influencées par le grec (Heleutherius ou Eleucterius) ne sont données que par le Catalogus de Viterbe rédigé vers 1227-1228 et dans la plus ancienne copie du De missarum (Vat. Lat. 4925, f. 1r). Cette hellénisation artificielle – et précieuse – pourrait dater de son vivant. Les sources mentionnent généralement son prénom en complément, voire en opposition, à son nom de pontife : « [les cardinaux] l’appelèrent Innocent, alors qu’il s’appelait auparavant Lothaire », précisent les Gesta (GW : 3). Transmundus voulut donner à ses deux fils des prénoms germaniques comme le sien, attachement à une lointaine origine ou signe d’une allégeance impériale (Toubert, 1973 : 695-703). Si l’identité lombarde de la lignée de Lothaire de Segni est indémontrable, Transmundus était en revanche empreint de références culturelles germaniques. Ce rappel d’origines légendaires, le goût pour une forme rare ou encore un nom héroïque ou étranger, étaient des éléments de prestige fréquents dans l’aristocratie latiale et un moyen d’assurer l’identification dans le groupe. Appeler son fils Lothaire, même sous une forme grecque, n’avait donc rien d’original en Campanie au milieu du xiie siècle.
8Datée des premières années du xiiie siècle, la Chronica de Gervais de Cantorbéry, généralement bien renseignée, affirme qu’il aurait été l’un des plus jeunes cardinaux en janvier 1198. Profitant d’informations puisées à Rome, Roger de Hoveden précise que Lothaire de Segni devait à peine avoir dépassé une trentaine d’années au moment de son élection (annexe p. 246). Trois autres chroniques plus tardives font de lui un iuvenis, expression qui situe son âge entre l’adulescentia et la senecta, soit approximativement entre vingt et un et quarante-cinq ans12. Les Gesta précisent qu’au moment de son élection il n’aurait eu que trente-sept ans, ce qui donne une naissance entre le 9 janvier 1160 et le 8 janvier 116113. Lothaire ayant été nommé cardinal des Saints-Serge-et-Bacchus à vingt-neuf ans par Clément III, certains éléments laissent supposer que cette nomination aurait pu avoir lieu le 22 septembre 1190. Il serait donc né entre le 23 septembre 1160 et le 8 janvier 1161, soit approximativement à la fin de l’année 1160.
Le cadre de vie
9Lothaire de Segni a vu le jour dans le contexte des soubresauts politiques et religieux opposant le Siège apostolique à l’empereur, lequel avait des réseaux d’amitié en Campanie, tandis qu’au sud les exactions normandes ralentissaient la formation de l’État pontifical. Ces dangers et l’agitation romaine obligèrent les pontifes à installer leur cour dans les cités latiales, plus à l’écart. Eugène III fut particulièrement présent en Campanie, puisqu’il s’y installa près de deux ans, avec un long séjour entre novembre 1151 et octobre 1152 à Ferentino puis Segni. Le pouvoir pontifical sur cette partie du Latium n’était pas encore assuré, et cette période vit l’apparition – tardive par rapport à la France – d’une féodalité que les papes voulurent utiliser. Ils implantèrent un embryon d’administration grâce à la fonction de rector Campaniae, et menèrent une politique d’implantation dans des sites fortifiés. Ils achetèrent des bourgs au cœur de la Campanie et les constituèrent en castra specialia Ecclesiae. Les seigneurs rebelles étaient pardonnés et leurs terres rachetées ou placées sous suzeraineté du pape sous forme de rétrocession en fief14.
10Mais peu avant de la naissance de Lothaire à Gavignano, la rupture entre l’Empire et la papauté contraignit celle-ci à l’effacement. Les comtes de Ceccano, le plus puissant lignage de Campanie, se rangèrent aux côtés de l’empereur et l’un d’eux, Grégoire († 1162), apparaît comme l’un de ses relais les plus entreprenants dans le Latium méridional, d’après les Annales Ceccanenses (p. 285-6). Lothaire naquit peu après l’avènement d’Alexandre III (1159-1181), alors que le schisme avec Victor IV contribuait à l’aggravation de la situation. Frédéric Ier reconnut l’antipape, tandis qu’Alexandre se réfugiait en Campanie. Victor s’installa à Segni, et les deux cours pontificales se firent face, avant que l’antipape ne se retire vers le nord. Alexandre III tenait la vallée du Sacco depuis Anagni et Terracine, mais les troubles frontaliers avec les vassaux révoltés de Guillaume de Sicile rendirent vite le pays peu sûr, d’autant que le pape ne parvenait pas non plus à se maintenir à Rome15. Après la fuite d’Alexandre vers la France, la chute de Milan en 1162 et puis du Latium, la victoire de l’empereur était totale, même si quelques bourgs lui échappaient encore, dont Segni. Les papes perdirent pied en Campanie durant l’enfance de Lothaire, au moins jusqu’en 1168. Le repli pontifical mit un arrêt brutal à l’entrée du baronnage local sous suzeraineté pontificale, processus pourtant bien enclenché depuis le début du xiie siècle. Le pape, en grande difficulté financière, fut incapable de procéder à l’achat des fidélités et dut, au contraire, aliéner de nombreux territoires et même des castra specialia pour faire face à ses besoins d’argent. La multiplication des tours et roccae seigneuriales dans la vallée, la puissance des comtes de Ceccano, l’autonomie de l’évêque de Ferentino, l’hommage prêté au roi de Sicile par Simon de Sorella, sont autant de signes de cet effacement local de la papauté.
11Le rétablissement s’annonça avec le retour d’Alexandre III à Rome à partir de novembre 1165. Désormais allié des Normands, le pape quitta Bénévent et s’installa à Anagni, d’où il tenta de sauver Tusculum de la vindicte des Romains et de négocier avec l’empereur. Malgré la prise d’Albano en 1168 par le chancelier de Frédéric et l’élection du nouvel antipape Calixte III, le retournement en faveur du pape était amorcé. De Veroli et Ferentino, Alexandre III légiférait et assurait son contrôle sur la région. Ses talents diplomatiques et sa patience aboutirent à la conclusion de la paix avec les Romains (1172), quitte à sacrifier Tusculum. Face à l’échec de ses expéditions répétées en Italie, l’empereur envoya des ambassadeurs à Anagni pour préparer la paix.
12Durant les troubles, le centre de la Campanie ne fut guère touché par les troupes, qui passaient plus qu’elles ne s’arrêtaient. Les villes latiales telles que Segni, Anagni et Ferentino ne furent donc qu’exceptionnellement attaquées et jamais prises. C’est ce qui explique la présence régulière des pontifes dans ces cités, qui sont les seuls espaces restés fidèles à la papauté. Mais, plus que des refuges pendant l’époque troublée (1159-1168), ces cités constituèrent surtout des villégiatures d’Alexandre III vers la fin de son pontificat, lorsque les crises étaient passées et que le pape pouvait, par son itinérance, asseoir son contrôle et profiter du climat (Caciorgna, 2003 : 178).
13Le cadre quotidien de la famille de Lothaire était la vallée du Sacco (cf. carte p. 282) que surplombait la cité de Segni. Les hauteurs avoisinantes ne profitaient que de médiocres ressources agricoles et pastorales. En revanche, la vallée bénéficiait de l’axe terrestre majeur entre le Patrimoine de saint Pierre, le Mont-Cassin et Bénévent, enclave pontificale dans le Royaume de Sicile. Cette vallée « constituait au Moyen Âge l’artère maîtresse entre Rome et la Campanie » (Toubert, 1973 : 630). La plupart des expéditions impériales à destination du sud de l’Italie passaient par là, ainsi celle d’Henri VI en 1191. Les voies romaines y étaient toujours utilisées. À l’intérieur des limites du diocèse de Segni, la densité des communications était forte entre Montefortino, Piombinara et Valmontone, castrum qui constituait un nœud routier important, un péage convoité et une étape de la dieta, la journée de marche du chevaucheur. L’ensemble de la vallée et ses nombreux axes terrestres constituaient un enjeu majeur pour la papauté et les grandes abbayes voisines qui cherchaient à sécuriser les communications. Les routes de la plaine étaient régulièrement utilisées par les pontifes, la cour itinérante se déplaçant vite, faisant des étapes de durée très variable, entre quelques jours et plusieurs mois.
14La croissance économique des xe-xiiie siècles favorisa le développement démographique dans la vallée. La fièvre des fondations commença à ralentir autour de 1100 en Campanie pour cesser définitivement vers le milieu du siècle. Les formes d’occupation du territoire, avec le castrum comme clé de voûte, se fixèrent pour ne plus guère évoluer. Le maillage assez serré des castra, des cités et de leurs églises est un signe de la densité du peuplement. Dans le diocèse de Segni sept castra sont mentionnés dans la bulle de 1182, quatre dans la vallée (Valmontone, Montefortino, Sacco, Piombinara), trois aux abords des montagnes (Collemezzo, Montelanico, Gavignano), sans compter un semi de tours et de fortins qui n’ont laissé que des traces archéologiques16. Les principaux réaménagements du xiiie siècle concernèrent d’abord les sites de la vallée. C’est là que le monde rural et castral était le plus dynamique et les densités élevées, peut-être même plus qu’à Segni.
15À la tête de chaque castrum se tenait un groupe de « seigneurs » (domini) ou de « chevaliers » (milites) qui se partageaient les droits féodaux et les terres sur place et dans les sites des alentours. À l’inverse, des familles nobles de Campanie, mais étrangères au diocèse, avaient des biens et des droits dans les castra qui dépendaient de Segni, ce qui rendait les récupérations territoriales particulièrement lentes et complexes. C’est le cas de la grande aristocratie des comtes de Tusculum, bientôt vaincue, et celle des comtes de Ceccano. Les signatures au bas des documents pontificaux montrent que toute la noblesse campanienne ratifiait les décisions qui la concernaient, et l’on ne saurait trop souligner la multitude et l’enchevêtrement des liens au sein de cette aristocratie17. Les nobles de la région de Segni se connaissaient tous, avaient pour beaucoup des liens de famille, et n’hésitaient pas à se combattre entre eux, avant de se retrouver unis contre le pape ou aux côtés de l’empereur. En 1158 par exemple, le chevalier Lando de Valmontone fut assassiné par Jonathan, membre des Tusculani18. Les comtes de Ceccano avaient longtemps été attachés à ceux de Segni, d’Anagni, de Tusculum qu’ils avaient évincés, et aux Frangipani romains – partisans d’Alexandre III19. Mais cette logique ne survécut pas au retour de la papauté dans la vallée du Sacco, reconquête amorcée au début des années 1170 et définitivement assurée sous Innocent III.
16Sur le plan religieux, l’influence des moines cassiniens et cisterciens fut déterminante dès le xie siècle dans les castra de la région. L’évêque Brunon de Segni était lié au monastère du Mont-Cassin, et l’un de ses abbés, Oderisius, fut enterré en 1123 dans la cathédrale Sainte-Marie de Segni20. Les cisterciens et les bénédictins étaient particulièrement implantés, fondant une multitude d’ermitages, d’oratoires et de petits couvents, dont Sainte-Marie de Rosilli21. Innocent III nourrit un attachement particulier envers ces abbayes qu’il connut jeune. En effet, la liste de ses dons dans les Gesta témoigne de sa prodigalité envers les cisterciens de Fossanova et de Casamari, et beaucoup moins envers le Mont-Cassin, trop longtemps indépendant ou partisan impérial22. Au cours de la première moitié du xiie siècle, les évêques réaffirmèrent peu à peu leur contrôle sur les monastères situés dans leurs limites diocésaines, reprise en main qui s’accompagna de conflits. La charte de 1182 montre ainsi que l’évêque avait sous sa juridiction trois monastères : Sainte-Marie de Piombinara, Sainte-Cécile in Silice aux portes de Valmontone, et Sainte-Marie de Rosilli, le seul à avoir eu à la fin du xiie siècle une certaine activité pastorale.
17La famille de Lothaire de Segni vivait dans cette Campanie aux modestes possibilités économiques. En revanche, son axe de passage central mettait en relation ses habitants et ses petites places fortes avec toute l’aristocratie latiale, la cité de Rome et, plus au sud, vers le Mont-Cassin et Bénévent. L’omniprésence de la violence durant l’enfance de Lothaire, les opérations germaniques et la révolte romaine contribuèrent certainement à nourrir chez lui une certaine méfiance à l’égard des empereurs et des revendications citadines (Maccarrone, 1995 : 144).
Les parents, entre Rome et la Campanie
Les origines paternelles
18Les Gesta constituent la plus ancienne source à évoquer explicitement les parents de Lothaire : Transmundus et Clarina (ou Claricia). Seules quatre chroniques du xiiie siècle reprennent le nom de son père, sans d’ailleurs insister (cf. annexe). L’expression qu’elles utilisent est d’ailleurs toujours la même : ex patre Transmundi (ou ex patre Transmundo). Ce prénom, encore orthographié Trasimundus, était alors fort courant au xiie siècle en Italie méridionale, en Campanie et même à Rome. Entre 1124 et 1138, l’évêque de Segni s’appelait Transmundus. On retrouve des homonymes à Paliano et Anagni, notamment en la personne de Trasimundus Theobaldi de Anagnia, recteur de la ville, lequel apparaît plusieurs fois dans le Liber Censuum entre 1201 et 121523. La transmission d’un même prénom dans l’aristocratie féodale de la région du Sacco démontre les multiples contacts qui unissaient les cités entre elles, leurs élites et la noblesse soumise à la papauté. Il est toutefois illusoire de reconstruire entre ces personnages d’éventuels liens familiaux avec le père de Lothaire, simplement à cause de cette homonymie24.
19L’appartenance de Transmundus aux familles comtales de Segni est rarement évoquée dans les chroniques postérieures25. Aucun document rédigé avant 1203 ne vient corroborer cette affirmation. En 1208, Richard, frère du pape, reçut de lui le comté de Sora après avoir pris le contrôle de Valmontone, Piombinara et Sacco. Au moment où la famille d’Innocent III obtenait le titre comtal de Sora, le biographe pontifical lui attribuait aussi celui de Segni. Le parallèle est frappant. Qu’il s’agisse d’une reconstruction ou que Transmundus ait réellement été comte de Segni, les Gesta introduisaient une confusion entre deux fonctions qui n’avaient pas la même valeur. À Sora, Richard était le seul seigneur du fief, alors qu’à Segni, Transmundus appartenait à un groupe avec lequel il partageait un pouvoir déjà largement écorné par les évêques au cours du xiie siècle.
20C’est à partir de cette confusion autour des deux titres comtaux que les mémoires ont, à la fin du premier tiers du xiiie siècle, désigné la famille d’Innocent III par l’expression « Conti », forme substantivée d’un titre comtal que seul pouvait revendiquer pleinement Richard pour Sora. Si les auteurs modernes ont généralement appelé le frère du pape « Riccardo Conti », ce n’est pas le cas des sources contemporaines, qu’il s’agisse des actes pontificaux, des Gesta, du Liber Censuum ou des diverses chroniques. Dans tous ces documents, Richard n’est désigné que par son lien de sang avec Innocent III ou par l’expression de « comte de Sora26 ». Le nom de famille « Conti », qui ne fut jamais utilisé du vivant d’Innocent III, commença à être employé sous cette forme dans la décennie 1220, et ne se répandit réellement qu’à la fin des années 1230 sous Grégoire IX27.
Segni et les conflits locaux
21L’étude de l’évolution de la cité de Segni et de son environnement direct aux xe-xiie siècles dépend de mentions éparses en raison de l’incendie des archives de la ville en 1557. Les indications les plus nombreuses sont fournies par la bulle pontificale octroyée à l’évêque de Segni le 2 décembre 1182, privilège par lequel Lucius III accorde à son Église la protection du Siège apostolique : « nous consentons avec clémence à tes justes demandes, et nous prenons sous notre protectio l’Église de Segni, que tu diriges par don de Dieu28 ». Le document, qui s’inscrit dans le contexte de la reprise en main du Latium méridional par la papauté, vise à confirmer les droits religieux et fonciers de l’évêque dans les limites diocésaines. L’ensemble des privilegia accordés par Lucius III fut ensuite ratifié par Clément III en 118829.
22La position élevée du bourg ne laissait pas d’impressionner les contemporains qui évoquent l’image d’une « cité située sur une montagne30 ». Mais Segni était une ville endormie que les sources mentionnent rarement pour elle-même (cf. carte p. 283). L’ancienneté du site, son statut épiscopal et sa fidélité à la papauté ne doivent donc pas faire illusion. À l’instar de ses voisines latiales, Veroli, Alatri, Sezze et Terracine, Segni était une civitatula de quelques centaines d’habitants qui profita peu de l’essor rural et de l’économie d’échanges dans la vallée, sans comparaison avec Anagni, Palestrina ou Ferentino. Le bâti à l’intérieur des murailles était lâche, parsemé de jardins, de puits et de chènevières. Les rares activités se limitaient à l’agriculture et à un artisanat de confection domestique. L’habitat y était modeste, sans aucune mention de maisons à étage, comme il s’en trouvait à Gavignano au début du xiie siècle (Coccia, 1998).
23Outre l’antique muraille, qui ne jouait plus au xiie siècle qu’un rôle dissuasif, les sources évoquent la « porte de la cité » – l’antique Porta Maggiore – et le « palais » d’Eugène III. Situé dans la partie haute de la ville, l’édifice aurait été bâti vers 1150-1151, au moment du long exil du pape en Campanie31. C’était le premier des palais construits par la papauté pour ses besoins de villégiature estivale, demeure qu’Innocent III appréciera particulièrement. L’évêque de Segni possédait près de la cathédrale un hospitium, hébergement pour les pauvres et les pélerins, ainsi que l’atteste la Vita de saint Brunon, évêque de Segni (p. 479F). La charte de 1182 montre encore la présence de quatre églises avec leurs dépendances, toutes situées dans l’enceinte, dont trois dans la ville basse, la plus peuplée. La cathédrale Sainte-Marie, encore en travaux jusqu’en 1185, n’est pas mentionnée. Les chanoines y fêtèrent l’installation de Brunon de Segni et écoutèrent ses sermons en compagnie du populus (loc. cit. et p. 483F). Aucune autre église n’est évoquée dans les alentours proches ou dans la dépendance directe de la civitas, si bien que le peuplement suburbain paraît inexistant. Certains castra du diocèse comptent plus d’églises paroissiales que la cité épiscopale.
24La présence régulière des pontifes, de la curie et de la cour favorisa pourtant le développement économique de la ville, comme le montre la construction du palais d’Eugène III. La rédaction d’actes privés et de documents épiscopaux devait nécessiter la présence de ces notaires, scribes et autres huissiers dont on voit les signatures par ailleurs, notamment à Valmontone (Dykmans, 1975 : 119-20). Lors de ses villégiatures dans les cités latiales, le pape utilisait pour ses besoins administratifs un personnel local qui put faire carrière à Rome32.
25Sur le plan ecclésiastique, la cité était strictement soumise à l’Église romaine, dépendance signifiée par un cens symbolique. À cause de l’étroitesse des limites diocésaines et de leurs affinités, les évêques de Campanie étaient en lien avec leur homologue de Segni et la papauté (Toubert, 1973 : 802). Paul Scolari (Clément III) fut évêque de Palestrina de 1181 à 1187, et Nicolas Breakspear (Adrien IV) occupa le siège d’Albano entre 1150 et 1154. Les liens avec la papauté se manifestaient aussi par la présence régulière de la cour pontificale dans la région, itinérance qui permettait à la fois de fuir le climat malsain de Rome, d’appliquer sur place les principes réformateurs, d’obtenir la restitution des droits paroissiaux usurpés par les grands laïcs et de renforcer les attaches avec l’épiscopat et l’aristocratie locale par le lien féodal. Le pape tranchait les litiges, contrôlait les institutions ecclésiastiques, enrichissait l’économie locale par la présence de sa cour et distribuait généreusement les privilèges à ceux qui l’accueillaient (Caciorgna, 2003).
26Le modèle épiscopal à Segni était sans conteste saint Brunon (1045-1123). Toute sa vie fut relue au xiie siècle pour en faire l’exemple hagiographique parfait. Les détails de son élection sur le siège de Segni, racontés dans sa Vita, sont chargés de topoi hagiographiques, offrant une définition du candidat épiscopal tel que la papauté pouvait le concevoir vers 1183, c’est-à-dire au moment de la rédaction de la source. Le futur évêque était un personnage cultivé, humble, imprégné par l’esprit monastique, excellent prédicateur et soucieux de charité envers les pauvres. Il obéit en tout au représentant du pape, lequel influa sur les chanoines à chaque étape de l’élection, ne leur laissant guère le choix et exigeant au contraire leur unanimité (Vita : 480B). L’épiscopat de Brunon est caractéristique de ces prélats réformateurs qui restaurèrent moralement et matériellement leur diocèse et leur clergé aux dépens de l’aristocratie locale, tout en défendant les droits de la cité. L’action épiscopale assura en effet la récupération du temporel et des droits paroissiaux aliénés, ainsi que le succès de la papauté dans la région, malgré la violente opposition de certains laïcs. Trois ans après la mort de Brunon, en 1126, Honorius III prit possession de Segni et du château de Viculo33.
27Durant l’enfance de Lothaire, l’évêque qui dirigea la cité fut Jean (1138-1178), ancien chanoine de la cathédrale des Marses. On ignore son attitude durant le schisme de Victor IV (1159-1164), lequel séjourna au moins deux mois à Segni en 115934. La population de la ville resta toujours fidèle au pape légitime, malgré l’exil, et la fin du pontificat d’Alexandre III permit à Jean de lui manifester son soutien. En retour, celui-ci concéda à l’Église un « privilège de protection » (privilegium protectionis). C’est à Segni qu’Alexandre III, désormais maître de la Campanie, procéda le 2 février 1173 à la canonisation de Thomas Becket dans la cathédrale Sainte-Marie. La Vita Alexandrii III, écrite à peine trois ans plus tard par Boson, camérier du pape et témoin direct de la cérémonie, évoque la joie collective suscitée par cet événement liturgique et spirituel35. La présence de Lothaire à cette cérémonie est fort probable, d’autant qu’il montra par la suite une grande vénération pour le saint archevêque, dont il alla vénérer les reliques à Cantorbéry pendant ses études. Segni, dont les évêques avaient été victimes des pouvoirs laïcs, devenait la cité où était officialisé le culte de l’archevêque martyr de Cantorbéry, tué par son roi pour les libertés de l’Église36.
28Élu en 1179 à l’initiative du pape, le nouvel évêque, Pierre, obtint de Lucius III puis de Clément III la confirmation des privilèges accordés à son Église37. Le document instaurait – ou plutôt validait – la double autorité de la papauté sur les évêques de Segni, à la fois ecclésiastique, en tant que suffragants de Rome, et de type vassalique38. Mais il s’agit là de la formulation officielle d’une situation acquise déjà depuis Honorius II, remise en cause temporairement par la crise du milieu du siècle. Lucius III fut particulièrement favorable envers l’évêque de Segni où il résida près de quatre mois en 1183. Alors que Lothaire était en France pour ses études, le pape présida en septembre 1183 à la canonisation de Brunon dans la cathédrale Sainte-Marie, en présence de quatorze cardinaux et de nombreux évêques39. Au cours de la même cérémonie, Lucius III concéda une année d’indulgences pour tous ceux qui viendraient dans le diocèse prier le saint homme. La rédaction de la Vita de Brunon est contemporaine de ces deux événements majeurs pour l’Église de Segni que sont la charte de 1182 et la canonisation de 1183. Le dynamisme de cet épiscopat est encore démontré par les cérémonies de consécration de la nouvelle cathédrale de Segni en 1185, et par sa présence à celle de l’église Sainte-Marie de Flumine à Ceccano en 119640.
29Les pouvoirs laïcs à Segni étaient représentés par des personnages portant le titre comtal dès le début du xie siècle (Maccarrone, 1943 : 61-3). Le 18 avril 1015, sous l’abbatiat d’Atenulfus, une église et des terres situées dans le territoire de Ceccano furent données au monastère du Mont-Cassin « par Hubert et Amat, comtes de Ceccano et de Segni41 ». Les deux petites cités étaient donc liées par leur aristocratie. Le titre de comes se réfère théoriquement à l’officier recevant une délégation du ban royal, notamment sur le plan judiciaire, mais au début du xie siècle cette définition ne correspondait plus à la situation du royaume italien. Malgré les tentatives des empereurs, ceux-ci n’étaient plus en mesure de contrôler l’attribution de ces titres, devenus souvent héréditaires et collectifs dans les familles aristocratiques qui pouvaient y prétendre au nom d’un ancêtre illustre42.
30Un comte est évoqué au début de l’épiscopat de Brunon de Segni, mais le récit que fait la Vita des déprédations du personnage montre surtout les limites de son autorité. Durant l’été 1082, le comte Aynulf, « un fils de Bélial autrefois comte de la cité de Segni », emprisonna le saint évêque avec certains de ses clerici – de simples clercs ou ses chanoines ? – dans le castrum de Viculo, proche de la ville (p. 481CD). L’espoir d’une rançon de cent sous ne doit pas tromper sur les motivations politiques du comte, car celui-ci enleva l’évêque au moment même où l’empereur Henri IV assiégeait Rome et alors que Brunon revenait d’un voyage auprès du pape auquel il avait apporté son aide43. L’aristocratie locale, à laquelle s’opposa l’évêque dès son entrée en charge, jouait la carte impériale. Aynulf, « loup rapace » (lupus rapax), justifia cette captivité par sa volonté de reprendre la cité de Segni qu’il affirmait tenir de droit en son comté. Les intérêts de l’aristocratie locale rejoignaient ainsi le but de l’empereur qui était de reprendre pied dans la petite cité latiale, toujours aux mains d’un épiscopat allié à la papauté. Mais, pris de remords, Aynulf relâcha Brunon sans obtenir de rançon. Le saint homme dut même faire jurer à ses fidèles d’éviter toute représaille envers le comte, qui, par punition divine, perdit rapidement ses dernières places, dont le site fortifié de Viculo44. La signature du concordat de Worms (1122) privait encore les comtes de Segni de leur puissant allié et les laissait seuls face à la papauté qui put reprendre sans mal le contrôle de la ville. En effet, en 1126, le pape s’empara militairement à la fois de Segni et de Viculo à la mort d’un aristocrate nommé Otton45. Segni passant sous suzeraineté pontificale, les comtes perdirent leur pouvoir, tout en conservant leurs propriétés. Au début du xiie siècle, le titre comtal désignait donc les membres de l’élite aristocratique ayant une certaine autorité dans la cité, et non un personnage unique et puissant qui en aurait eu le contrôle.
31Le successeur de Brunon de Segni, Transmundus, « évêque admirable », élu en 1124 puis transféré en 1138 sur le siège de Ferentino, fut assassiné le 22 mars 114846. Des « brigands » organisèrent une conjuration (factio) pour le jeter en prison à Viculo et l’y exécuter. À l’image de saint Brunon, lui aussi enfermé dans ce château par des « fils de Bélial », Transmundus fut emprisonné et assassiné au même endroit. On ne peut s’empêcher de faire le lien entre les deux prélats et leurs ennemis. L’évêque fut victime de cette aristocratie comtale autrefois dominante à Segni et à Viculo, mais désormais réduite à une violence vaine. Sans que l’on connaisse la politique du prélat envers les pouvoirs féodaux, on devine que, dans le contexte de la restauration du Patrimoine de l’Église, l’aristocratie s’était unie pour tenter de porter atteinte à l’autorité de ses évêques. Mais son meurtre, perpétré par des seigneurs laïcs ligués, n’empêcha pas le déclin de l’ancienne aristocratie comtale auquel il avait dû contribuer.
32L’évêque représentait désormais le principal pouvoir dans la cité, ce que confirme la charte de 1182. La fin du document précise qu’en dehors de son autorité ecclésiastique sur les sept bourgs du diocèse (cf. carte p. 284), l’évêque possédait des « droits fiscaux sur des féodaux et des hommes de Segni », où il était donc le seigneur47. Comme dans la plupart des cités latiales, l’aristocratie comtale, richement dotée en domaines ruraux, perdit pied à l’intérieur des murailles au profit de la nouvelle classe des « chevaliers » (milites), ces « féodaux » (feodati) qui, groupés autour de l’évêque, prirent en charge le gouvernement de la cité, son organisation militaire et l’exercice de la justice, accompagnant ainsi la naissance de la commune latiale. Les sources très lacunaires n’évoquent aucune institution communale à propos de Segni, mais la Vita de saint Brunon, qui narre des événements du début du siècle relus à la lumière des soixante années écoulées, suggère une atmosphère communale à l’époque de Lothaire, un appel à la libertas48. L’auteur anticipait l’effacement des pouvoirs laïcs au profit de l’évêque et de la papauté, évolution qui garantissait les droits des citadins face à l’arbitraire comtal.
La puissance des Conti
33Il convient de nuancer la puissance de la famille des Conti avant le xiiie siècle. Ils appartenaient en effet à un groupe comtal qui avait perdu de son pouvoir face à la collaboration de l’évêque et de la papauté, phénomène qui touchait toute l’aristocratie campanienne49. Sans être un puissant seigneur féodal, Transmundus appartenait à une élite qui gardait un certain prestige à Segni et possédait des terres, des biens et des hommes dans la région. L’homonymie entre lui et l’un des évêques de Segni révèle peut-être des liens de sang et illustre l’autorité dont jouissait toujours la famille. On peut en trouver une preuve dans un acte du 3 mai 1226, lorsque le cardinal-diacre Étienne de Saint-Adrien, second fils de Richard, fit procéder au partage entre ses deux frères des biens de son père, sans doute mort peu avant. À Paul furent attribués les castra de Valmontone, Sacco et Piombinara avec d’autres droits situés à Lariano. Le cadet, Jean, reçut la forteresse appelée « Tour des Conti » (cf. ill. p. 299), les résidences romaines, les propriétés de Montefortino, de Viculo et une dernière près du Ponte Mammolo sur l’Aniene, ainsi que des droits à Ostie50. Enfin, le château de Poli et tous ses domaines restèrent indivis (Contelori, 1650 : 3-4). Quant au comté de Sora, il avait déjà été repris par Frédéric II en 1221 du vivant de Richard.
34Parmi l’ensemble de ces biens, il est possible d’identifier ceux que Richard obtint de son vivant, sans en hériter de son père (cf. cartes p. 286-87). Entre 1207 et 1209, il acquit Sacco, Valmontone, Piombinara, Montefortino, les comté de Sora et de Poli. Si la tour fut construite à Rome après l’avènement d’Innocent III, Richard possédait déjà auparavant des propriétés dans la ville, mais leur origine demeure incertaine. Le reste des biens mentionnés en 1226 a pu être obtenu en profitant du pontificat de son frère. Finalement, il ressort que l’énorme patrimoine des Conti fut essentiellement acquis par Richard et non hérité de son père. Au mieux peut-on attribuer à ce dernier quelques droits fonciers et féodaux épars dans les différents castra mentionnés (Valmontone, Sacco, Piombinara, Lariano), quelques biens à Segni et Gavignano, et des propriétés à Rome, notamment à l’emplacement de la tour. En revanche, ni Transmundus ni Richard n’avaient de domaines à Anagni (Montaubin, 1997 : 376).
35Le seul castrum sur lequel Transmundus a pu avoir une forte autorité et qu’il aurait transmis à son fils est celui de Viculo, au nord de la cité épiscopale, site où l’aristocratie comtale avait déjà manifesté son hostilité aux évêques dans la première moitié du xiie siècle. La Vita anonyme de Brunon de Segni est l’un des rares témoignages qui mentionne ce château où le comte Aynulf enferma Brunon revenant de Rome. La demeure du comte avait une tour servant de prison. Mais il en perdit la jouissance, signe que le château échappa au pouvoir de l’aristocratie locale au profit de la papauté. Il servit encore en 1148 comme prison pour l’évêque de Ferentino, assassiné par des conjurés. Le castrum réapparut une dernière fois le 11 octobre 1179 lorsque le pape le concéda en fief, avec quelques biens dans Segni, au comte Raino de Tusculum51. Il s’agissait là d’un maigre dédommagement pour cette famille qui avait été l’une des plus puissantes du Latium méridional. Le site fut ensuite abandonné puisque la charte de 1182 n’en mentionne l’existence qu’à travers le nom d’une église (ecclesiam S. Salvatoris de Viculo), placée sous la dépendance du bourg de Piombinara. Le castrum de Viculo étant passé dans l’héritage de Richard, il est tentant de voir dans l’assassinat de l’évêque la présence du père de Lothaire ou de sa famille. Les comtes de Segni étaient des vassaux de la papauté et leur hostilité à l’épiscopat réformateur se lit clairement dans la Vita de saint Brunon. L’attentat subi par l’évêque et la possession du château de Viculo suggèrent que les laïcs de la famille d’Innocent III avaient des fonctions militaires et des mœurs guerrières, idée d’ailleurs renforcée par l’attitude et la politique de son frère Richard.
36Si Transmundus n’était pas un seigneur puissant, sa richesse était suffisante pour envoyer son fils étudier à Paris plusieurs années. Le titre comtal participait de son prestige, renforcé par le contrôle du castrum de Viculo et une multitude de droits et de propriétés dans les villages voisins et à Segni52. C’est grâce à ce patrimoine paternel que Lothaire, devenu cardinal, fit restaurer sa diaconie, « à ses frais » (GW : 2), et que Richard entama, dès 1198, la construction de la Tour des Conti. Leur père Transmundus disparut aussi fugacement qu’il était apparu. Sa date de mort n’est pas connue. Au début du pontificat d’Innocent III, Richard apparaît comme le seul aristocrate laïc entreprenant de la famille.
37Lothaire grandit au sein d’une vieille famille de l’aristocratie campanienne, fière de ses racines lombardes, réelles ou reconstruites, solidaire des autres clans du Latium méridional, avec lesquels les liens étaient étroits, mais aussi fréquemment tendus. Durant toute son enfance, sa famille connut à la fois l’instabilité romaine et les déprédations normandes et germaniques dans la vallée du Sacco. Il fut marqué très tôt par l’influence religieuse des moines cassiniens et cisterciens, mais plus encore par la personnalité des évêques réformateurs entièrement acquis aux modèles grégoriens proposés par l’Église romaine. Les Conti appartenaient au groupe des seigneurs qui partageaient à Segni, Gavignano, et dans d’autres sites voisins, des droits féodaux, des terres et le titre comtal, lequel était surtout honorifique. Depuis leur castrum de Viculo, ils contrôlaient la Via Latina, l’accès à la route de Segni et ne se privaient pas de monter des coups de force contre l’épiscopat réformateur. Ils se révélèrent longtemps incapables d’adapter leurs stratégies au nouveau contexte latial, comme surent le faire les comtes de Ceccano. Mais leur soumission à l’Église romaine et à l’épiscopat était déjà assurée avant la naissance de Lothaire. Les carrières militaires furent des traits constants chez les Conti, et Lothaire resta imprégné par les coutumes et les valeurs de cette aristocratie latiale turbulente. Innocent III sut d’ailleurs reprendre à son compte leurs stratégies foncières et féodales afin de renforcer le Patrimoine de saint Pierre.
La mère et le mariage romain
38Seuls les Gesta offrent une courte indication sur la mère d’Innocent III, Clarina, souvent orthographiée Claricia dans l’historiographie53. Clarina appartenait aux « nobles de la Ville » (nobiles Urbis, variante : nobiles domini). La source précise que la branche maternelle intervint dans la révolte urbaine de 1202 (GW : 330) :
Ses instigateurs et auteurs [fauteurs] furent les Fils de l’Ours [les Orsini], neveux de Célestin [III], autrefois pape, enrichis par les biens de l’Église romaine. Or, jusqu’à cette époque, il y avait d’anciennes rivalités (veteres aemulationes) entre la maison de Pierre Boboni, dont ceux-là descendaient par le père, et la maison de Romanus de Scorta [Scota], dont le seigneur pape descendait par la mère54.
39Les deux extraits permettent d’associer Clarina à la famille des Scotti. Innocent III est ici rattaché à Romanus, considéré comme l’ancêtre prestigieux de la branche maternelle. On trouve déjà un Iohannes Scotto signant le 15 juin 1086 comme témoin au bas d’un acte de location en faveur de l’abbesse de Sainte-Marie in Campo Marzio55. Le même Romanus est mentionné par le Liber Censuum le 7 septembre 1109, lorsque Pascal II confia la garde des châteaux de Ponza et d’Affile à l’abbé Jean de Subiaco. L’acte fut contresigné par deux évêques, un cardinal, des aristocrates campaniens et romains, parmi lesquels Romanus Scotta (I : 407). Le 24 novembre 1115, Romanus de Scotia fut envoyé au nom de Pascal II avec un sous-diacre et sept autres « hommes prudents parmi ses grands laïcs » (alios prudentes viros de optimatibus suis) afin de fixer les limites de propriété d’un vivier contesté par Anastase, abbé du monastère des Saints-André-et-Grégoire ad Clivum Scauri56. L’expression employée semble indiquer un lien de dépendance ou de clientélisme entre eux et le pape.
40L’implantation des Scotti à Rome est difficile à localiser (cf. carte p. 293). La signature de plusieurs membres de la famille dans le registre du monastère des Saints-André-et-Grégoire indiquerait la possession de biens à proximité. Romanus, un Scotti homonyme du précédent et qui participa à l’agitation urbaine de 1202, détenait une maison et une tour au-delà du Transtévère, peut-être près du monastère Saint-Pancrace. En effet, le 8 avril 1217, Honorius III, contre l’avis de son prédécesseur, assigna à l’abbaye « la tour et la maison qui avaient été jadis à Romanus de Scocta ». Ces biens avaient échappé entre-temps aux Scotti et étaient revenus à des aristocrates laïcs dont le monastère contestait les droits. Innocent III avait d’ailleurs préféré soutenir ces derniers plutôt que les moines57. On a encore pu supposer, sans preuve concrète, que les demeures des Scotti étaient situées entre le théâtre de Pompée et la Molinora, le long du Tibre, entre l’île Tibérine et l’église Saint-Benoît de Arenula (la Trinité des Pèlerins), quartier particulièrement prisé de l’aristocratie romaine aux xie-xiie siècles (Hubert, 1990 : 287-91). Enfin, le fait que quatre Scotti entre la fin du xiie et le début du xiiie siècle aient eu leur obit inscrit auprès de la communauté féminine des Saints-Cyriaque-et-Nicolas indique un lien particulier avec cette église et son quartier. Le monastère se situait à une cinquantaine de mètres de Sainte-Marie in Via Lata et son église était de taille fort modeste58. Cette partie du quartier urbain appelé rione Pigna était une zone de domaines ecclésiastiques qui jouxtaient les propriétés des Colonna, connus pour leur hostilité envers les Conti. Au xiie siècle, un dominus Scota est inscrit sur le nécrologe des Saints-Cyriaque-et-Nicolas au 12 mars, mais il n’est pas identifié. La même source garde mémoire au xiiie siècle d’une Iohanna Scoctta qui entra comme moniale et dont l’obit est fêté le 7 décembre. Le site servait aux Scotti de monastère funéraire. Devenu pape, Innocent III versa cent livres à l’église pour sa réparation.
41La famille parvint à s’établir en dehors de Rome avant le milieu du xiie siècle. Le 13 octobre 1148, Pierre, abbé du monastère des Saints-André-et-Grégoire, loua le castellum Vetulus, situé dans le territoire de Nepi, à tous les fils mâles nés ou à naître de neuf aristocrates romains. Parmi eux figuraient quatre personnages de la famille des Duranti, mais surtout un certain Stultus de Scotto. La charte fut signée en présence d’un Frangipani, d’un Crescenzi et d’un notaire de l’Église romaine59. Enfin, un homme de la famille, Iohannelli de Scotta, possédait en 1196 une demeure à Proceno, non loin d’Orvieto, c’est-à-dire aux limites du Latium pontifical (LC, I : 553-5).
42Les Scotti réapparaissent le 31 mai 1188 lorsque le Sénat romain ratifia l’accord passé avec Clément III, instaurant la paix dans la ville après une grave période de troubles. L’historiographie a longtemps retenu que le succès et le prestige des Scotti avaient été accrus par les liens de sang avec Clément III. Paul Scolari aurait été en effet un oncle de Clarina ou un parent proche, et aurait ainsi voulu favoriser son neveu en le nommant cardinal-diacre des Saints-Serge-et-Bacchus en 1190, titre qu’il avait lui-même tenu. Mais cette parenté ne peut être démontrée par aucun document60. Clément III put signer l’accord de 1188 grâce à ses origines romaines et à ses contacts dans la noblesse urbaine (LC, I : 373-4). L’acte, daté de l’an 44 du Sénat, fut ratifié « par ordre des sénateurs conseillers », soit dix personnes, et par ordre « des sénateurs », c’est-à-dire quarante-six personnes (Thumser, 1995 : 45-51). Dans le premier groupe, on relève la signature suivante : Bobonis donne Scotte. Les sénateurs jurèrent fidélité à l’Église romaine, promirent de protéger le pape, de restituer les regalia et les églises, en échange des gratifications coutumières, d’une partie des profits tirés de la monnaie et de la déchéance de Tusculum. La famille maternelle d’Innocent III appartenait donc à l’élite communale de Rome. Il n’est peut-être pas fortuit que, peu après la naissance de la Commune, Stultus de Scotto ait reçu des droits sur Vetulus.
43La rénovation du Sénat en 1144, à la suite des nombreuses révoltes dans la ville, aboutit à l’affirmation d’une nouvelle élite dans la seconde moitié du siècle. Issue du Latium, profitant de sa stratégie matrimoniale, de ses activités financières ou militaires, la noblesse sénatoriale remplaça peu-à-peu les anciens lignages romains, comme les Pierleoni, les Frangipani ou les Boboni, lesquels parvinrent toutefois à être représentés au Sénat61. Les élites communales, dont les origines, le prestige et le patrimoine étaient fort divers, restèrent concurrentes des pontifes jusqu’à leur ralliement progressif à l’Église romaine, laquelle accéléra leur ascension sociale et bientôt leur domination sur la ville, notamment en offrant à leurs fils des carrières ecclésiastiques au sein de la curie. La présence des Scotti à Rome est attestée dès le début du xiie siècle, ce qui montre leur appartenance à la noblesse installée depuis longtemps dans la ville mais ayant rejoint la Commune. Le fait que Romanus Scotti souscrive au bas d’une bulle concernant des châteaux campaniens indique encore que sa famille avait des intérêts dans la région, ce qui la rapprocherait géographiquement des Conti.
44Bobone Scotti ayant été sénateur-conseiller en 1188, il appartenait au conseil restreint de la ville, dont les membres étaient élus pour un an parmi les notables. Depuis la révolte de 1144, c’était le Sénat qui signait les accords, déclarait la guerre, faisait les lois, les appliquait et contrôlait l’exercice de la justice. Il dépendait théoriquement du parlement, mais celui-ci s’avérait une assemblée de citoyens facilement manœuvrable. L’influence politique des Scotti dans la ville est donc certaine, d’autant que Bobone occupa cette fonction l’année du compromis avec Clément III et signa la charte de 1188. L’engagement des Scotti dans le mouvement communal explique qu’on puisse les comparer aux groupes en pleine ascension qu’étaient les Colonna, les Orsini et les Savelli, sans toutefois atteindre le prestige d’anciennes maisons comme les Frangipani ou les Pierleoni.
45Les Gesta indiquent que la maison de Romanus Scotti était depuis longtemps en conflit avec celle de Pierre Boboni, au moins depuis le début du xiie siècle62. Pierre était en effet le père du cardinal Hyacinthe Bobo (1144-1191), devenu pape sous le nom de Célestin III (1191-1198). Les Boboni – ou Boveschi – étaient une famille influente à Rome au début du siècle. Sous la direction d’Orso († c. 1202), neveu de Hyacinthe Bobo, marié à une Crescenzi, une branche se sépara des Boboni sous le nom des « Fils de l’Ours », les Orsini. Au début du xiie siècle, les Crescenzi contrôlaient une partie du rione Ponte (ou Parione), mais ils laissèrent la place aux Orsini. Ceux-ci construisirent un palais fortifié sur les ruines du Théâtre de Pompée. Leur puissance s’accrut dans la seconde moitié du xiie siècle grâce à Célestin III. Le pape les fit profiter de multiples dons et permit l’entrée dans le collège cardinalice de trois parents, aussi craignirent-ils à l’avènement d’Innocent III de perdre les terres qu’ils tenaient de l’Église romaine (GW : 330). L’animosité avec les Scotti n’est expliquée nulle part, mais la proximité de leur patrimoine romain devait nourrir entre eux des querelles foncières. Il ne s’agissait d’ailleurs que d’aemulationes, c’est-à-dire de tensions ou de jalousies ; les luttes sanglantes étaient exceptionnelles. Les deux familles appartenaient au même groupe social, à des lignages implantés à Rome avant la Commune, et ils n’étaient pas sans liens de parenté63.
46Leur querelle traversa pourtant le siècle et les Orsini participèrent aux troubles de 1202 contre les Scotti. À l’automne 1202, alors que le pape était à Velletri, des émeutiers lancés par les Orsini pénétrèrent dans les demeures des Scotti à Rome et les expulsèrent avec leurs femmes. À son retour, Innocent III convoqua les fauteurs de trouble, les malefactores, « les Orsini, leurs parents et leurs amis », devant son tribunal où ils jurèrent, ainsi que les Conti, de respecter un accord de paix. Mais Pandolphe de Suburre, sénateur unique (1199-1204) et fidèle du pape64, ne se contentant pas de leur promesse, expulsa les deux clans hors de la ville, les Scotti au-delà du Latran et les Orsini au-delà du Vatican. Il prit en gage leurs tours et se mit à démolir celle des Orsini. Loin d’en rester là, la famille maternelle du pape assassina Theobaldus Benedicti Odonis, cousin des Orsini, lesquels rentrèrent à Rome, soulevèrent la population et envahirent les demeures des Scotti et les tours tenues par le sénateur. Mais Innocent III parvint peut-être à réconcilier les deux clans, puisque les Orsini ne participèrent pas aux troubles de 1204 contre lui et sa famille.
47Le mariage entre Transmundus et Clarina répondait à des stratégies matrimoniales qu’il est possible de reconstituer65. La branche paternelle appartenait à une aristocratie comtale et militaire dont le rapprochement avec la papauté lui laissait entrevoir de nouvelles ambitions en dehors de la vallée du Sacco. Les Scotti, eux, étaient des optimates ; ils représentaient une noblesse remarquée à Rome dès le xie siècle, sans toutefois être parmi les plus prestigieuses. Riches, profitant de quelques biens dans le Latium, ils avaient acquis au xiie siècle une certaine influence politique, en partie grâce à leur engagement dans la Commune romaine. L’union de ces deux lignées autour du milieu du siècle offrait à Transmundus et à sa famille une position dans la ville, une promotion au sein de la vieille noblesse et des entrées dans la curie et l’administration pontificale. Aussi est-il tentant de considérer ce mariage comme l’aboutissement d’une stratégie ambitieuse de la part de Transmundus, laquelle lui permettait de commencer à jouer un rôle à Rome. Du côté des Scotti, l’alliance avec l’aristocratie de Campanie élargissait leurs possibilités patrimoniales, apportait un soutien armé et contribuait à assurer leur sécurité, au moment où Rome était agitée par les violences politiques et la prédication d’Arnaud de Brescia, troubles qui poussèrent Eugène III à quitter la ville et à s’installer à Segni.
48Il est probable que Transmundus se soit installé dans la cité après son mariage, transfert qui expliquerait à la fois le titre de « citoyen romain » porté par Richard et la naissance romaine souvent retenue à propos de Lothaire66. Dans les faits, son père était en relation avec la Campanie et Rome à la fois. L’union entre les Conti et les Scotti apporta à Transmundus ou à ses fils une grande aisance financière. D’après les Gesta, durant les quatre premières années du pontificat d’Innocent III, Richard, désormais chef de la famille, fit une série de dépenses impressionnantes (GW : 327-35). Il commença les travaux de construction de la tour à Rome, prêta mille livres à la Commune pour faire la guerre à Viterbe, salaria des troupes privées lors des troubles de 1203-1204. Il racheta encore toutes les créances des seigneurs de Poli en 1203 et put ainsi récupérer leurs vastes domaines hypothéqués67. Les capitaux nécessaires à cette politique ambitieuse ne pouvaient provenir uniquement du népotisme et des déprédations sur les églises romaines et le trésor pontifical, comme les contemporains l’en accusèrent (GW : 338-9). En effet, ce n’est qu’entre 1207 et 1208 qu’Innocent III confia à son frère de vastes seigneuries – Valmontone, Sacco, Piombinara, Sora –, le faisant ainsi profiter de sa position. Entre 1198 et 1203, il semble que ce soit Richard qui soutint son frère à Rome, plutôt que l’inverse. À cette époque, il mena ses ambitions dans la ville avec ses propres ressources. Si les fruits de la corruption sont à envisager, on ne peut expliquer une telle fortune uniquement par la concussion et la spoliation des biens d’Église. Les ressources familiales, surtout du côté maternel, devaient donc être particulièrement importantes, avant même l’avènement d’Innocent III sur le trône de Pierre.
49C’est finalement par sa lignée maternelle que des chroniques italiennes et germaniques du xiiie siècle font de Lothaire de Segni un noble romain et non un Campanien. En effet, il est « d’origine romaine », « de famille romaine », ou encore « né de nobles romains » (cf. annexe). Leur point de vue extérieur aux contexte latial et leur manque d’information précise expliquent cette préférence pour une origine romaine. Quoi qu’il en soit, Lothaire fut habitué très tôt aux mœurs aristocratiques du Latium méridional et au cadre de vie romain.
Les réseaux familiaux
Richard, comte de Sora et frère de Lothaire
50Innocent III eut au moins un frère68. Né avant 1160, Richard (Riccardus ou Richardus) est considéré comme le fils aîné de Transmundus. Avant l’avènement de son frère, le personnage n’est mentionné par aucun document. Il hérita les biens de son père, mais le titre comtal de Segni ne lui fut pas transmis. Il est toutefois tenu comme le chef de famille et les chroniques, qui font le lien entre lui et son frère, lui donnent le titre de comte de Sora, mais jamais de Poli ni de Segni. Une vente dans le castrum de Sacco, datée du 3 mars 1226, le nomme : « Richard, frère germain du seigneur Innocent, éminent chevalier de Sora » (Dykmans, 1975 : 50). Il se maria à une femme du nom de Luciana, laquelle appartenait à l’aristocratie romaine et eut son obit inscrit au 8 décembre sur le nécrologe des Saints-Cyriaque-et-Nicolas, monastère funéraire des Scotti69.
51Son ascension, détaillée dans les Gesta, commença à partir de 119870. À cette date, Richard entama l’édification de la Tour des Conti et l’agrandissement de la maison familiale à Rome. La forteresse, achevée en 1203, fut l’objet de vives luttes lors des troubles urbains. Les fouilles archéologiques et la rapidité de la construction de la tour suggèrent qu’il existait avant 1198, au même endroit, un premier complexe architectural daté du ixe siècle, et déjà aux mains des Conti bien avant le début des travaux71. La tour, associée à un palais attenant, était localisée à la limite orientale de l’abitato, entre les pentes du Viminal et de l’Esquilin, dans le rione Monti. L’ensemble était probablement entouré de logements pour les familiers du lignage et protégé par une enceinte (Hubert, 1990 : 188-200). D’ici, les Conti pouvaient avoir un regard sur les processions pontificales passant près du forum de Nerva, et se rapprocher du patrimoine de leurs alliés Annibaldi, près du Colisée. Pandolphe de Suburre, leur principal soutien pendant les troubles de 1202-1204, était lui-même établi au sud de l’Esquilin, près de Magnanapoli, et avait des maisons près du Latran et une tour près du Colisée (GW : 338). La proximité de l’église des Saints-Serge-et-Bacchus, dont Lothaire fut cardinal-diacre à partir de 1190, assurait encore un meilleur contrôle sur toute cette zone. Il est d’ailleurs possible que les Conti aient utilisé cette diaconie comme point d’appui pour leur implantation à Rome.
52Les travaux de la tour sont en général attribués par les chroniques du xiiie siècle au pape, et non à son frère, ainsi dans les Annales de Ptolémée de Lucques (annexe p. 252). Durant la guerre entre la Commune et Viterbe (1199-1200), Richard aida au financement des troupes romaines72. Il soutint Innocent III dans l’affirmation de son pouvoir sur la ville et profita de son pontificat pour se constituer un vaste patrimoine. En 1203, spéculant sur l’endettement tragique de la famille comtale de Poli, il noua une alliance avec Odon, fils de Grégoire de Poli. Il paya leurs dettes en échange d’une hypothèque sur leurs nombreux domaines et, pour céler l’accord, proposa la main de son fils Jean à Constance, fille d’Odon73. Mais celui-ci se ravisa et, soutenu par les Orsini, ennemis de la branche maternelle des Conti, souleva la population romaine contre Richard et le pape. En avril 1203, durant les cérémonies pascales, le sénateur unique et soutien du pape, Pandolphe de Suburre, fut assiégé dans le Capitole. La Tour des Conti, que Richard venait de bâtir, fut en partie incendiée et occupée, l’obligeant à fuir. En mai, Innocent III l’imita et partit pour Ferentino. En 1204, les deux factions s’affrontèrent encore violemment dans les rues de la ville durant la Guerre des Tours, mais Innocent III parvint à rallier les grandes familles de son côté et put rentrer dans la cité en mars 1204. Il confia à quatre arbitres le soin de décider du mode de nomination des sénateurs, finalement attribuée au pape. Richard obtint alors officiellement la dévolution du comté de Poli, en contrepartie de son soutien armé et financier à l’Église romaine. Maître du château de Guadagnolo, il tint la position stratégique des Monts Prenestini, non loin du sanctuaire de la Mentorella. Il retrouva alors en 1205 la pleine propriété de sa tour, en partie détruite, et en acheva la restauration en 1209 (Cusanno, 1991 : 43-4).
53Le 6 octobre 1208, Richard reçut les fiefs pontificaux de Sacco, Piombinara et Valmontone qu’il fortifia et où il commença l’édification d’un palais74. Le ralliement de la petite aristocratie encore en place dans ces châteaux fut peu à peu garanti par une série d’hommages qu’on lui prêta entre 1213 et 1219 (Dykmans, 1975 : 26). Enfin, on ignore à quelle date et selon quelles modalités Richard prit en main une partie des castra de Lariano et de Viculo, qui appartenaient à l’Église romaine et que mentionne le partage de 1226. Le premier site avait été cédé par Clément III à ses neveux en 1187. En quelques décennies, les Conti récupérèrent donc une grande partie des droits sur ce castrum. Quant à Viculo, Richard l’avait hérité de son père et en avait la garde au nom de la papauté. C’est à cette époque que les Conti devinrent une famille incontournable en Campanie, à la fois par leurs domaines et par leur soutien à la politique pontificale. Au nom de l’Église romaine, vers l’est du Latium, Richard contrôlait la Via Valeria, les Monts Prenestini et tout le sud de la vallée de l’Aniene. Dans le Latium méridional, il tenait l’entrée de la vallée du Sacco, le nord de la Campanie et les principaux axes de communication entre Rome et le Royaume de Sicile, notamment la Via Labicana et la Via Latina.
54Innocent III alla plus loin puisqu’il confia à Richard la possession du comté de Sora, sur la frontière méridionale du Latium (Maccarrone, 1972 : 181-205). Le château avait été dévolu à Conrad de Marlenheim par Henri VI en 1191, mais le Siège apostolique le considérait comme sien en raison des concessions de Charlemagne. En février 1208, les troupes pontificales, commandées par Richard lui-même et Étienne, camérier du pape, parvinrent à chasser Conrad, avec le soutien de l’abbé Roffredus du Mont-Cassin. À cette occasion, il joua même le rôle de banquier du pape en avançant mille onces d’or pour permettre l’achat par l’Église romaine de Rocca d’Arce, non loin de Sora75. Après avoir officiellement reçu le titre comtal du roi de Sicile, le 18 juin 1208, Richard fut investi en octobre pour ce comté par Innocent III qui, le 28 février 1209, lui garantit l’ensemble de ses domaines. En octobre 1215, il obtint même la reconnaissance du comté de Sora par Frédéric II76.
55La mort de son frère en 1216 ne signa pas tout de suite la fin des ambitions de Richard. Au contraire, Honorius III confirma ses fiefs, lui rendit en septembre 1217 Rocca de Rivivi, château retenu sans droit par deux nobles, et intégra son fils Étienne au collège cardinalice77. Richard intervint la même année comme arbitre, afin de dégager le pape des dettes contractées envers le sénateur Pandolphe del Giudice (LC, I : 259-60). Cependant, en 1221, Frédéric II décida de lui reprendre le comté de Sora, tandis que la papauté lui remboursait les mille onces d’or avancées pour Rocca d’Arce78. Les relations avec le pape se tendirent, jusqu’à dégénérer en 1225 en lutte ouverte avec la famille du pape79. Les Conti avaient été favorisés durant tout le pontificat d’Innocent III, alors que le cardinal Cencius, le futur Honorius III, était resté dans l’ombre. Une fois au pouvoir, il fit profiter les Savelli – dont il était peut-être parent – de sa position éminente et reprit peu à peu les privilèges accordés aux Conti et à leurs alliés par Innocent III (Paravicini Bagliani, 1993 : 531). Perdant la confiance du pape et le contrôle d’une partie de ses possessions au sud du Latium, Richard vit aussi les terres gagées en sa faveur près de la côte lui échapper, le pape remboursant en avril 1226 les dettes contractées par l’Église d’Ostie80. Richard avait acheté des terres littorales à Octavien de Monumento, fils du consul Léon et parent du cardinal Octavien. Ses domaines autour d’Ostie semblent avoir été particulièrement importants, puisqu’il y contrôlait la rive et le Tibre, depuis l’embouchure jusqu’à la Ripa Romea, c’est-à-dire le Pont Cestius de Rome, ce qui lui donnait un dangereux pouvoir sur tout le sud-ouest de la cité. Richard de Sora mourut quelques temps plus tard81. Peu après, ses domaines furent divisés entre ses deux fils laïcs, entraînant la fragmentation de son héritage et le déclin provisoire de la famille.
56La fortune de Richard est indissociable du pontificat de son frère, même s’il ne faut pas négliger les domaines hérités de ses parents. Avant 1198, il partageait en Campanie avec d’autres nobles des droits féodaux sur quelques castra qui surveillaient la vallée du Sacco : Valmontone, Sacco, Piombinara et Lariano. Il avait surtout le contrôle, au nom de la papauté, du castrum de Viculo. Sa solidarité avec l’aristocratie campanienne ne fait pas de doute, notamment avec les comtes de Ceccano. À Segni, où il conservait quelques domaines, son autorité n’était qu’un héritage de l’ancienne aristocratie comtale vaincue par la papauté et l’évêque. À Rome, il était considéré comme citoyen de la ville et possédait des terres et des maisons dans le rione Monti et déjà un palatium, près duquel il commença la construction de sa tour dès 1198. Le patrimoine de la diaconie de son frère complétait avantageusement ces domaines et lui permettait d’avoir un regard vers le Capitole. Il avait donc déjà une certaine influence politique. Ayant mis ses ardeurs guerrières et féodales au service d’une indéniable ambition, Richard fut le bras armé de son frère et de l’Église romaine, laquelle lui procura en retour un vaste patrimoine. Le népotisme dont il bénéficia attira sur lui et son frère l’hostilité des familles romaines concurrentes, assagies et ralliées à partir de la seconde moitié du pontificat (Carocci, 1999 : 111-6). Les méthodes employées pour arriver à ce résultat mêlèrent la ruse, les achats de terres et le service fidèle de la papauté. Les sources, même proches du pape comme les Gesta, ne taisent pas une certaine brutalité. L’Anglais Matthieu Paris rendit au milieu du xiiie siècle dans sa Chronica maiora un jugement sévère sur Richard et son frère (Abel), accusés de corruption pour construire une nouvelle Babel, la tour de la discorde (p. 118) :
Quelqu’un, au cours de ce concile [de Latran IV], se leva à propos de la noble tour que le pape Innocent avait construite pour son frère, le comte Richard, avec les deniers des églises volées. Il dit :
Grâce au vice, Jézabel se dresse à Rome sur une nouvelle citadelle,
Abel est damné à cause de son frère qui tient Babel.
La sœur et l’alliance avec les Annibaldi
57La présence des Conti en Campanie et à Rome fut renforcée par le mariage entre une sœur de Lothaire et un membre de la famille Annibaldi. Le 5 décembre 1202, Innocent III écrivit à un certain « Annibaldo, notre parent (sororius) et sénéchal » afin de le remercier des travaux réalisés et des dépenses faites pour le Siège apostolique. À la demande des habitants de la commune de Giulianello, il l’investit seigneur de Rocca Massima et l’autorisa à y construire une forteresse contre un cens modique. Le 22 juillet 1211, il le nomma seigneur et recteur de Cori, à la demande des consuls et du populus de la cité, afin d’assurer leur défense82. L’homme était un sororius de Lothaire, un parent par la sœur, c’est-à-dire le mari ou le fils de celle-ci. Dans ce cas précis, il semble bien qu’il s’agisse d’un beau-frère, comme il le confirma en 1216 en s’intitulant domini papae cognatus83.
58L’origine du personnage est inconnue. Une tradition tardive créa un lien fictif entre les Annibaldi et Hannibal le Carthaginois84. Le 17 février 1171, un certain Anibaldus senator participa comme témoin à la vente d’une chènevière à Rome, signe de l’influence des Annibaldi dans la Commune, mais on ne peut déterminer le degré de parenté avec le beau-frère du pape85. Cette famille sénatoriale paraît assez récente dans l’histoire de Rome, et sa fortune ne devint sensible qu’à partir du pontificat d’Innocent III et le mariage avec les Conti. L’union entre Pierre et la sœur de Lothaire eut vraisemblablement lieu avant l’avènement de ce dernier en 1198, sûrement dans les années 1180-119086. Pierre Anibaldi – orthographié Annibaldi dans l’historiographie – fut rapidement nommé sénéchal (senescalus) par son beau-frère, puisqu’il l’était déjà en 1202. Mais cette fonction palatiale était devenue cérémonielle et ne conférait à Pierre qu’une prééminence honorifique.
59Le personnage obtint vite d’autres fiefs grâce à son parent : Rocca Massima en 1202, Rocca del Circeo en 1203 gardant l’approche de Terracine soumise aux Frangipani, et enfin Cori en 1211. Grâce à la vassalité pontificale, les Annibaldi purent sortir de Rome et se constituer un patrimoine important en Campanie, à l’ouest des Monts Lepini. Devenu riche, Pierre joua lui aussi les banquiers, ainsi en 1206 envers l’église Saint-André de Valmontone87. Mais sa position éminente à Rome fut surtout manifeste au cours des événements de 1204, durant la guerre entre les barons et la révolte contre Innocent III (cf. carte p. 285). Très apprécié des Romains (eum plurimi diligebant), il se rangea au côté du pape, menacé par la faction de Jean Capocci. Les Gesta décrivent les rudes combats urbains qui opposèrent les deux clans88 :
Mais Pierre Annibaldi, beau-frère du seigneur pape, commença à construire [édifier] des ponts, tous à côté du Colisée, et une tour de l’autre côté, après avoir éloigné Jacques Frangipani et la veuve de Raimo [Raino] Frangipani, en les empêchant de lancer des pierres et des flèches autant qu’ils pouvaient depuis le Colisée et la tour de Raimo [Raino]. Lui, au contraire, ne cessait de résister depuis ce bâtiment. Mais beaucoup de ceux qui suivaient (Jean), changèrent de camp, parce qu’ils aimaient beaucoup l’autre, et ainsi, résistant violemment à Jean, ils le repoussèrent virilement. À partir de ce moment-là, Pierre Annibaldi commença à bien mener son affaire, grâce à quoi son parti, avec des renforts, commença à l’emporter […].
60Ainsi, les Frangipani tentaient d’incendier ou de détruire les fragiles fortins de Pierre depuis l’amphithéâtre ou de la tour Cartularia, située près de l’arc de Titus, tour appartenant à la veuve d’un Frangipani. Alliés aux Boboni, les Frangipani étaient une ancienne famille romaine, sans doute la plus puissante au début du xiie siècle avec les Pierleoni, et impliqués tardivement dans la Commune. Depuis le xie siècle, ils s’étaient implantés entre Sainte-Marie-la-Neuve et le Colisée, ainsi que sur la pente sud du Palatin, autour de Sainte-Marie in Pallara (Carocci, 1993 : 171). Ils avaient aussi édifié une série de résidences et de forteresses – presque une dizaine de tours – qui leur permettaient de contrôler les voies d’accès au Latran. La tour des Annibaldi devait se situer entre le Colisée et l’arc, à laquelle il faut rajouter certains domaines à l’intérieur de l’amphithéâtre et d’autres près du Latran89. Cette localisation du patrimoine romain de Pierre est confirmée le 24 septembre 1228. Un acte des archives du monastère de Sainte-Marie-la-Neuve le donne comme propriétaire d’une crypta au Colisée, près de la rue. Un second acte du 1er septembre 1232 attribua la propriété à ses héritiers, preuve que le personnage était mort entre-temps. Peu avant le décès d’Innocent III, il apparaît en tête d’un acte du 13 mai 1216 par lequel la cité de Narni renonçait à ses droits sur Stroncone. Il s’y exprima sous la formule : « nous, Pierre Annibaldi, beau-frère du seigneur pape et podestat de Narni90 ». Le 24 mai suivant, sur un nouvel acte qui confirmait cette décision, figurent les héritiers de Pierre Scotti, parent de la mère de Lothaire. Les différentes branches de la famille avaient ainsi pu s’implanter dans la même région, grâce au soutien d’Innocent III.
61Le devenir de Pierre Annibaldi après la mort du pape en 1216 n’est pas certain, et les sources induisent des confusions avec ses fils (Salimei, 1935 : 66). Certains actes datant d’Honorius III laissent penser qu’il aurait conservé un rôle important entre les années 1220 et 1230, comme sénateur de Rome. Il accorda en 1224 un privilège aux chanoines de Saint-Pierre, défendant leurs prérogatives. En février 1231, « gouvernant le Sénat » (Annibaldo regente senatum) et en l’absence du pape, il fit voter deux édits, le premier renforçant la lutte contre l’hérésie dans la ville, le second obligeant les sénateurs à promettre d’appliquer le précédent lors de leur entrée en fonction91. Mais la même année, le 23 juillet, Grégoire IX écrivit aux recteurs de Rome à propos de « son cher fils le noble A[nnibaldus], sénateur de la Ville, notre sénéchal », le menaçant de ne plus entreprendre de constructions qui nuiraient aux églises. L’homme était donc entré en conflit avec le pape, pourtant de sa parenté. Il est possible toutefois que ces dernières sources se réfèrent non pas au beau-frère d’Innocent III, mais plutôt à son fils, Annibaldo Annibaldi. La mort de Pierre Annibaldi aurait eu lieu autour des années 1220-1230 (Carocci, 1993 : 7).
62L’alliance entre les Conti et les Annibaldi renforçait celle déjà nouée avec les Scotti à la génération précédente. Si les domaines de cette famille près des Monts Lepini datent surtout d’Innocent III, en revanche elle profitait d’un patrimoine romain important, situé au pied de l’Esquilin, près du Colisée et de Sainte-Marie-la-Neuve. Très populaires, ils avaient déjà sans doute des partisans et des capitaux qui leur permirent de mener plusieurs mois durant la Guerre des Tours dans la cité. Le mariage entre la sœur de Lothaire et Pierre Annibaldi consolidait donc la position des Conti à Rome. L’union des deux lignages profita à Innocent III, qui put ainsi compter sur un clan influent dans la ville, mais aussi aux Annibaldi qui obtinrent des charges dans l’administration de l’Église romaine et des domaines dans le Latium méridional. La cohésion entre les trois branches de la parenté d’Innocent III s’avérait toutefois fragile car elles reprirent leur indépendance après sa mort en 1216. À part quelques rares souscriptions associant l’un ou l’autre, les trois groupes restèrent autonomes. Il n’y eut donc pas, à proprement parler, de tribu autour des Conti du vivant de Lothaire, mais plutôt un tissu d’alliances et de soutiens, lesquels s’avérèrent particulièrement efficaces lors des troubles romains.
Les soutiens aristocratiques
63Les trois branches de la famille de Lothaire de Segni et, à travers elles, une partie de l’aristocratie latiale et romaine, appuyèrent sa carrière jusqu’au pontificat (cf. schéma p. 279).
64Richard avait eu des enfants, dont un seul était en mesure de jouer un rôle avant 1198 et de participer aux réseaux du cardinal Lothaire. Étienne, le fils aîné, s’était lancé dans la carrière ecclésiastique. Il était appelé « notre neveu » par Innocent III. Le 7 juillet 1208, le pape réclama pour lui un canonicat dans l’Église de Bayeux92. Il obtint une prébende à Notre-Dame de Paris où son nom figure dans le nécrologe, et fut nommé le 5 mars 1216 cardinal-diacre de Saint-Adrien, diaconie toute proche des possessions familiales à Rome et de l’église des Saints-Serge-et-Bacchus dont Lothaire avait été titulaire. Engagé aux côtés de son oncle dans la lutte contre Frédéric II, il accompagna Innocent III dans son dernier voyage en Ombrie et Toscane. Après la mort de son père, Étienne régla les problèmes de succession entre ses deux frères par le partage de 122693. Sa carrière stagna sous Honorius III, puis il retrouva des fonctions plus prestigieuses sous son parent Grégoire IX, lequel le promut cardinal-prêtre de Sainte-Marie au Transtévère en 1228. Il mourut en 1254.
65Le second fils de Richard, Paul, semble quasi inexistant du vivant de son oncle, sans doute à cause de son jeune âge. Il est possible qu’il ait été l’objet d’une proposition de mariage faite à Innocent III par des ambassadeurs impériaux qui avaient suggéré de faire la paix avec la papauté en unissant un des fils du comte de Sora avec Beatrix, la fille de Philippe de Souabe. Mais le pape ne voulut pas en entendre parler94. Il mourut vers 1255. Jean, le troisième enfant de Richard de Sora, tout aussi absent des sources sous Innocent III, devint comte d’Alba et seigneur de Poli.
66Richard eut enfin une fille dont l’existence n’est connue qu’à travers le projet de mariage avec le fils d’Odon de Poli, union qui aurait permis l’alliance des Conti et des Poli. Le cardinal d’Ostie Octavien, oncle d’Odon (patruus suus), joua les intermédiaires en vain (GW : 332). Ce projet matrimonial devait être l’aboutissement d’un rapprochement déjà ancien entre les deux familles. Un ancêtre homonyme d’Odon de Poli, qui avait arraché plusieurs castra au monastère des Saints-André-et-Grégoire in Clivo Scauri, s’était fait représenter en 1139 au tribunal pontifical par Lando de Valmontone – peut-être son fils – lui-même proche de l’aristocratie de Segni95. À travers Octavien qui, de toute évidence, était un Poli, les Conti renforçaient aussi leurs liens avec les Monumento.
67Léon de Monumento de Anguillaria († 1200), consobrinus du cardinal, avait été un partisan de l’empereur. Le personnage eut une influence politique majeure dans les années 1180-1190. Noté comme consul romain en novembre 1186 avec ses fils Jean et Octavien, puis sans eux en 1187, il suivit la cour impériale en Italie durant toute l’année 1186. Il souscrivit à de nombreux actes d’Henri VI, aux côtés du sénéchal Markward d’Anweiler et d’autres aristocrates romains engagés pour l’empereur, dont le préfet de la ville Pierre de Vico et Odon Frangipani96. Il obtint de Frédéric Ier puis d’Henri VI la concession en fief de la cité de Sutri le 27 novembre 1186, puis de Carinola en 1194 (« à notre fidèle, le noble Léon de Anguillaria, consul romain »)97. En 1189, il servit d’intermédiaire entre le pape Clément III et l’empereur, et fut chargé de l’échange de leurs lettres98. Durant le pontificat d’Innocent III, les liens entre Richard et les Monumento se renforcèrent, et des relations avec les Scotti purent même être nouées99.
68Un dernier Conti apparaît suffisamment âgé pour avoir commencé une carrière politique avant 1198. Étienne Romano Carzoli était un cognatus du pape, peut-être l’époux d’une seconde sœur inconnue. Il est cité le 30 juin 1203 comme « recteur du Patrimoine apostolique en Tuscie » auquel le pape attribua en fief le château de Montefiascone, autrefois tenu par une garnison allemande et dont la noblesse était encore insoumise à la papauté100 :
Par conséquent, puisque nous avons une confiance hors de doute dans la pureté de ta foi, et que nous avons une connaissance éprouvée du zèle de ton discernement, nous décidons de te confier la garde et le gouvernement de cette même forteresse et du castrum, aussi longtemps qu’il plaira à nous ou à nos successeurs, comme notre fidèle et vassal […].
69Le pape nommait un parent, mais en considérant ses vertus. La fonction de recteur du Patrimoine était devenue une institution importante de l’État pontifical sous Innocent III, avant d’être généralisée par Honorius III. Elle assurait dans chaque province la lutte contre l’hérésie et exerçait la souveraineté du pape dans les cités (Lackner, 1987 : 191-7). Étienne fut encore l’un des quatre arbitres nommés en 1204 par le pape pour régler la question de la dévolution du fief de Poli, bientôt attribué à Richard. Le personnage mourut avant 1212.
70Quelques témoignages permettent d’étoffer la branche des Scotti telle qu’elle était du vivant d’Innocent III. Il s’agit d’hommes qualifiés de consanguineus (parent au sens vague), consobrinus (cousin par la mère), ou de cognatus (beau-frère ou neveu). La plupart jouèrent un rôle actif lors des événements de 1202-1204 à Rome.
71À l’automne 1202, alors que le pape était à Velletri, des émeutiers lancés par les Orsini pénétrèrent dans les demeures des Scotti et les expulsèrent avec leurs femmes. Parmi les victimes se trouvaient « les fils de Jean Odolina, parents du seigneur pape » (GW : 330-1). Ce citoyen romain avait récupéré le 5 juillet 1202 à son profit une partie des droits sur le château de Ninfa contre les Frangipani101. En quelques années, le site passa entièrement sous contrôle de la papauté et de sa famille. L’acte de composition le qualifie de « maréchal et cousin du seigneur pape Innocent III ». La vente est contresignée par des membres de l’aristocratie romaine, un Boboni, un Theobaldi, mais surtout par Stephanus Petri Romanus Carzoli, beau-frère de Lothaire de Segni dans la branche des Conti, ainsi que par Romanus de Scotta, un Scotti mal identifié mais homonyme de l’ancêtre de la famille. Les différentes branches du clan manifestaient ainsi leur solidarité à travers ces actes de vente. Jean Odolina est encore appelé « Jean Odon, notre cousin » par Innocent III qui lui attribua le 24 juin 1204 le château de Montorio dans le nord du Latium, peut-être en récompense de ses services pendant les troubles102. Les deux fils de Jean Odolina voulurent venger leur humiliation et assassinèrent en 1202 Theobaldus Benedicti Odonis, du clan des Orsini, sur le chemin entre le Latran et la cité, c’est-à-dire non loin des possessions familiales et de celles de Pandolphe de Suburre (GW : 331). Ce fut peut-être son fils Jean (Iohannes de Scocto) qui testa au bas d’un acte de l’abbesse de Sainte-Marie in Campo Marzio le 19 septembre 1191. D’après son obit inscrit auprès du monastère des Saints-Cyriaque-et-Nicolas, il serait mort le 7 mars 1210 ou 1225103.
72Jacques, l’autre fils de Jean Odolina, fut nommé « maréchal » comme son père avant le 7 décembre 1199, date à laquelle il est paré de ce titre pour la première fois. S’adressant au peuple de Capoue à propos des affaires du Royaume de Sicile, Innocent III mentionna ledit Jacques en compagnie d’un Romain, Odon de Palombara, les décrivant comme « des hommes nobles et prudents, attachés à nous par la ligne de la parenté104 ». Ce second personnage fut parmi les premiers nobles ralliés à Innocent III en février 1198. Le lendemain de la consécration du nouveau pontife, suivant l’exemple du préfet de la ville Pierre de Vico, Odon de Palombara prêta l’hommage lige105. Jacques apparaît encore le 9 juin 1204 comme garant de l’inféodation de Montorio à Jean Odolina. En tant que maréchal du pape, Jacques mena plusieurs expéditions dans le sud et participa activement à la lutte contre Markward106. En récompense de ses services, il reçut en 1202 le comté d’Andria et un tiers du château de Ninfa, puis l’ensemble des droits sur ce site en fief viager. Le 14 septembre 1202, le pape lui écrivit afin d’organiser le départ et le financement des troupes pontificales vers le sud, et l’intitula à cette occasion « le noble Jacques, notre cousin et maréchal, maître justicier et commandant de toute l’Apulie et de Terra di Lavoro107 ». L’homme avait quasiment les pleins pouvoirs pour faire cesser la révolte et mâter les soldats allemands. Le 21 août 1213, en écrivant au podestat et au peuple de Viterbe, Innocent III vanta les mérites de son cousin et maréchal, « recteur du Patrimoine de saint Pierre en Tuscie108 ». À partir de 1205, l’autorité ayant été rétablie en Italie du Sud, Jacques fut promu à la charge de recteur de Tuscie, peut-être à la suite de son cousin Étienne Romano Carzoli. L’homme se manifeste à deux reprises en 1226. Après sa mort, son nom fut inscrit dans le nécrologe du monastère des Saints-Cyriaque-et-Nicolas, à la date du 22 juillet109.
73Lando de Montelongo est le dernier consobrinus mentionné. Dès le début du pontificat, il fut nommé recteur en Campanie. En mai 1199, Innocent III s’adressa au « noble L[ando] de Montelongo, notre cousin » et loua sa discretio avant de lui demander de récupérer des fonds appartenant à l’Église romaine. Il l’envoya peu après avec des troupes et de l’argent afin d’aider San Germano et le Mont-Cassin à se défendre contre Markward d’Anweiler110. Dans sa lettre du 14 juin 1213, Innocent III sollicita pour Grégoire, fils de Lando, un canonicat à l’Église de Verceil111.
74D’autres Scotti sont encore mentionnés sans que leurs liens de sang avec Innocent III soient précisés. Le 24 mai 1216, les citoyens de Narni renoncèrent à leurs créances sur ceux de Stroncone, les libérant de toutes leurs dettes, « en votre faveur et faveur des héritiers de Pierre Scotti » (LC, I : 460-1). La famille s’était donc établie sur la frontière nord du Latium. On trouve pour terminer une certaine Angela de Scotta entrée comme moniale dans le monastère fondé à Rome par saint Dominique avec le soutien du pape et inauguré en 1221112.
75La branche maternelle de Lothaire de Segni fut donc toujours active sous son pontificat. Ses membres s’étaient dès 1198 associés en tant qu’aristocrates laïcs à sa politique de récupération et de défense du Patrimoine de l’Église, tout en bénéficiant de nombreux postes dans l’administration des États du pape. Loin de n’être que purement honorifiques, les fonctions exercées donnaient aux Scotti un poids militaire et politique de premier plan, particulièrement dans le nord du Latium, dans cette Tuscie encore mal contrôlée113. On ne relève aucune grande carrière ecclésiastique dans cette branche. Étant donné l’âge des différentes personnalités mentionnées, toutes étaient déjà actives avant l’élection d’Innocent III. Qu’il s’agisse de Jean Odolina ou de ses fils, de Lando de Montelongo, d’Odon de Palombara ou encore de Pierre Scotti, tous contribuèrent au prestige des Scotti à Rome, mais aussi en dehors de la ville. Même si leur puissance doit être attribuée au pontificat de leur parent, ces aristocrates formés à la guerre et à la politique étaient dès avant son avènement impliqués dans les affaires du Latium et participaient aux réseaux d’entraide de la noblesse romaine et latiale.
76Dans le cas des Annibaldi, Lothaire ne pouvait compter sur les enfants de Pierre, qui n’étaient pas en mesure de jouer un rôle avant 1198. Son fils aîné, Annibaldo, né entre 1180 et 1190, fut sénéchal du pape comme son père. Le second fils, Richard, a pu naître vers 1200-1210 et devint cardinal-diacre de Saint-Ange en 1238 après avoir été chanoine de Notre-Dame de Paris. Ses deux derniers fils, Pierre et Transmundus, ne furent politiquement actifs que dans les années 1230-1240114. Enfin, Pierre Annibaldi eut une fille, Maccalona, laquelle épousa Landolphe de Ceccano, unissant ainsi par mariage toute la parenté de Lothaire de Segni et la puissante famille comtale du Latium méridional, avec laquelle des liens avaient déjà été établis auparavant115. Les Annibaldi n’eurent guère d’influence tant que vécut Innocent III, et tout au plus peut-on remarquer que Pierre donna à deux de ses fils des prénoms issus de la branche des Conti avec laquelle il s’était lié par son mariage. Le soutien que Lothaire de Segni pouvait attendre de cette famille se limitait donc à la personne de Pierre lui-même.
77Les sources font encore état d’un nombre important de neveux, cousins et parents éloignés dont il est difficile d’établir les liens de sang avec Lothaire de Segni, de sorte qu’on a pu croire, sans le prouver, à l’existence d’un autre frère.
78Jean fut chapelain pontifical jusqu’à sa promotion comme cardinal-diacre de Sainte-Marie in Cosmedin durant l’été 1200. Devenu chancelier en décembre 1205, il signa la plupart des bulles d’Innocent III, participa à la réforme de certains monastères cisterciens à Viterbe et Rome, avant de mourir vers juin 1213 (Maleczek, 1984 : 136-7). Neveu du cardinal et d’Innocent III, Léonard était un clerc romain pour lequel le pape chercha à obtenir une prébende dans le chapitre de Laon le 31 mai 1213. Il fit la même démarche envers le chapitre d’Évreux, le 14 juin suivant116. Le personnage paraît avoir vécu au moins jusqu’en 1264. Cardinal lui aussi, mais sans lien apparent avec le précédent, Octavien, cousin du pape, fut consacré sous-diacre en 1199 et affecté à la Chapelle du pontife. La même année, Innocent III l’envoya avec le cardinal-prêtre Jordan de Sainte-Pudentienne, dans le Royaume de Sicile pour soutenir la défense de Capoue et du comte de Celano contre Markward117. L’auteur des Gesta range le consobrinus d’Innocent III parmi les « familiers » qu’il aida et dont il favorisa la carrière. De fait, entre juin 1200 et avril 1204, Octavien en devint le camérier puis, en mai 1206, il fut nommé cardinal-diacre des Saints-Serge-et-Bacchus. C’est donc un proche parent qui reprit la diaconie de Lothaire de Segni, jamais occupée depuis son élection en 1198. L’église et tous ses biens alentours restaient ainsi dans le domaine de la famille des Conti. Une fois cardinal, Octavien suivit fidèlement Innocent III dans toutes ses pérégrinations, même s’il laissa après sa mort en 1234 le souvenir d’un homme ignare et sans intelligence118.
79Transmundus, homonyme de l’ancêtre de la dynastie, fut lui aussi considéré comme un cousin d’Innocent III. Le 11 mai 1206, le pape écrivit à Élena, fille du défunt Barisone, juge de Gallura († 1203), au nord-ouest de la Sardaigne, à propos de son mariage avec « le cher fils, T[ransmundus], notre cousin », qu’il décrit comme un « homme particulièrement considéré pour sa noblesse, remarquable par la prudence, actif par la force et paré de bonnes mœurs119 ». Dans le tableau du parfait serviteur laïc de la papauté, la noblesse et la vertu de prudence étaient des qualités récurrentes. Ce projet de mariage avorté visait à installer un allié de la papauté en Sardaigne, soumise au pouvoir de Pise.
80Les sources sont moins prolixes sur les autres membres de la famille d’Innocent III. En septembre 1210, le pape demanda à l’évêque de Paris que soit accordée une prébende par le chapitre à un certain « Benoît, notre parent (consanguineo nostro), puisqu’il est un jeune homme (adolescencti) de bon caractère, qui n’est pas le dernier dans ces signes de vertus que l’on voit poindre à l’âge tendre120 ». Bien que le terme adulescens renvoie à un âge approximatif entre dix-sept et trente ans, la description qu’en fait le pape invite plutôt à rapprocher Benoît de la limite basse. La jeunesse du garçon imposait ainsi au pape de compenser son inexpérience par la description de ses qualités morales, inhabituelles à son âge. Benoît était donc certainement né avant l’accès au pontificat, mais il est difficile d’en faire le troisième fils de Richard de Sora (Gatto, 2003 : 629).
81Concernant le pape Grégoire IX, des doutes ont été émis sur sa parenté réelle avec Innocent III121. Pourtant la Vita Gregorii Papae IX, bien que tardive (xive siècle), est sans ambiguïté (LC, I : 18) :
Il était en effet Campanien d’origine (natione), d’Anagni, la cité la plus noble de cette province, des comtes de Segni par son père, attaché par le troisième degré de parenté au seigneur pape Innocent III, d’heureuse mémoire, et issu par la mère des plus puissants d’Anagni.
82Hugo (Hugolinus) était né vers 1160-1170 à Anagni. Étudiant à Paris dans les années 1190, il fut intégré dans la Chapelle pontificale dès l’avènement de Lothaire de Segni. Devenu auditeur à la curie en 1198, il fut bientôt nommé cardinal-diacre de Saint-Eustache – le second cardinal créé par Innocent III – et signa sa première bulle le 4 janvier 1199. Durant l’été 1199, le pape l’envoya avec le cardinal d’Ostie comme ambassadeur à Veroli pour négocier avec Markward d’Anweiler122. Légat dans le Royaume de Sicile entre août et septembre 1202, il fut promu cardinal-évêque d’Ostie et Velletri en 1206 avant d’être à nouveau dépêché comme légat dans l’Empire entre 1207 et 1209. La rapidité de ses promotions à partir de l’avènement d’Innocent III, ainsi que ses origines, suggèrent effectivement une parenté entre lui et Lothaire. On remarquera toutefois que ni les Gesta – qui le classent parmi les familiares du pape – ni les registres ne font état de liens de sang quelconques, sources pourtant généralement précises sur ces rapports.
83Il faut enfin relever les parentés indirectes établies par mariage123. Au bas de l’acte de partage de 1226 entre les fils de Richard signèrent comme témoins des parents par alliance, dont Odon Frangipani, Jean Capocci et Pandolphe de Suburre (Thumser, 1995 : 52-5). La puissante et prestigieuse famille des Frangipani fut associée aux Conti tardivement, lorsque la fille de Paul de Valmontone, petite-fille de Richard, épousa le fils d’Odon Frangipani, nécessairement avant 1226. Le sénateur Jean Capocci paraît avoir lui aussi épousé une Conti ou marié sa fille à un Conti124. D’une noblesse récente, Jean avait été consiliator Urbis en 1184, sénateur unique entre 1193 et 1194, consul de Rome en 1201 et podestat de Pérouse la même année. Le succès de cette petite famille, établie dans le quartier de Suburre, sur les pentes de l’Esquilin, avait été acquis grâce à un engagement sans faille pour l’autonomie communale. Les réseaux de Jean étaient étendus, puisqu’on le voit signer en mars 1187 pour une location entre deux églises de Rome aux côtés de membres connus de l’aristocratie romaine125. L’homme resta longtemps hostile à Innocent III, menant la révolte contre lui juste après son élection en janvier 1198, puis durant la guerre contre Viterbe (1199-1200). L’autre meneur populaire était Jean Pierleoni Rainier, parent de Jean Pierleoni, ancien sénateur unique et dont la famille était installée dans le théâtre de Marcellus (Thumser, 1995 : 182-3).
84Le partage de 1226 donne enfin la signature de Pandolphe de Suburre, parent de la famille, sans autre précision. Sénateur romain, établi non loin des possessions de Richard, Pandolphe est présenté dans les Gesta comme un fidèle d’Innocent III. La Vita Gregorii Papae IX évoque son nom parmi les plus hauts dignitaires du Sénat et de la ville de Rome (LC, I : 22-3). Très actif aux côtés des Conti durant les troubles de 1202-1204 à Rome, il participa à la lutte contre la faction de Jean Capocci (GW : 331, 336 ss) :
Lorsque Jean Capocci se fût approché de la colline [de Pandolphe], armé avec ses partisans, Pandolphe, alors qu’il était attaqué par un petit nombre, leur fit prendre la fuite et les poursuivit jusqu’à Saint-Quirique, en les frappant de coups abondants. Et puisqu’on s’était battu ce jour-là en divers endroits, il céda davantage au parti de Pandolphe, lequel louait grandement Dieu d’avoir humilié le superbe qui n’avait pas gagné d’honneur en ce jour saint [de Pâques]. À partir de là, son parti commença à perdre et Pandolphe à se renforcer. En effet, Richard, frère du seigneur pape, le secourait généreusement par ses dépenses, et ils firent des tours de bois où ils n’en avaient pas en pierres, des levées de terre et des fossés, fortifiant les thermes, transformant en forteresses les églises.
85Les fonctions occupées par les membres de la parenté de Lothaire de Segni après 1198 montrent que la plupart d’entre eux avaient commencé une carrière ecclésiastique ou politique sous les précédents papes. Beaux-frères, cousins et neveux participaient aux mêmes cercles d’entraide et purent profiter de l’indéniable népotisme déployé par Innocent III (Carocci, 1999 : 111). Alors qu’il n’était encore que cardinal, chaque branche de sa parenté avait son domaine d’action et ses zones d’implantation, lesquelles toutefois se complétaient. Les Scotti s’orientèrent dès avant 1198 vers des fonctions militaires ou politiques. Les Conti firent de même, mais se diversifièrent aussi dans des carrières ecclésiastiques à la curie et au sein de la Chapelle pontificale. Leurs objectifs étaient de développer leurs relations au sein des services du Latran, de choisir la Commune pour asseoir leur autorité à Rome, et de renforcer leur position en multipliant les alliances avec des lignages d’importance secondaire, comme les Scotti et les Annibaldi. Les stratégies dynastiques des Conti copiaient donc celles de leurs ennemis.
86L’extension du patrimoine de l’ensemble des branches de la parenté est impressionnant à la mort d’Innocent III en 1216, date à laquelle sa famille comptait parmi les plus puissantes de Rome (cf. cartes p. 286-87). Cette situation privilégiée était loin d’être acquise au moment de son élection. En effet, ses réseaux familiaux étaient incapables en 1198 de rivaliser avec les lignages dominants que sa parenté tentait d’imiter. Le dynamisme de ses proches compensait toutefois leur position moindre au sein de l’aristocratie urbaine, laquelle pouvait ainsi autoriser un Conti à monter sur le trône de saint Pierre. Leur fortune n’était pourtant pas négligeable, puisque le cardinal Lothaire avait des parents installés en Campanie, contrôlant une partie de la vallée du Sacco, et dans les marches de la Tuscie. À l’intérieur de la ville de Rome, ils dominaient une grande partie du rione Monti, les accès au Forum, le Colisée et le Marché de Trajan. La diaconie des Saints-Serge-et-Bacchus renforçait leur contrôle sur l’est de l’abitato, déjà occupé par les Annibaldi et Pandolphe de Suburre.
87C’est ce patrimoine qui déclencha la Guerre des Tours (cf. carte p. 285), laquelle marqua l’échec des groupes hostiles présents dans cet espace, dont les Frangipani et les Capocci, lesquels durent s’effacer autour du Colisée devant les Annibaldi, ou faire alliance avec les Conti. Toutefois, en dehors du rione Monti, la famille de Lothaire n’exerçait qu’une influence limitée dans le reste de la ville. Aux conflits politiques se greffaient donc des antagonismes fonciers pour le contrôle de certains quartiers de Rome. Les lignages hostiles, les Pierleoni, les Frangipani et les Boboni, appartenaient tous aux anciennes dynasties romaines dont la puissance avait été rognée par l’autorité pontificale après l’avoir été par la Commune au milieu du siècle. Parmi les familles plus récentes, les Conti et les Scotti comptaient autant d’alliés que d’ennemis. Les Annibaldi, Pierre Alexis et Pandolphe de Suburre étaient déjà de leur côté. On relève en outre des liens fréquents entre la famille de Lothaire et les Monumento dès la fin du xiie siècle. Si l’amitié avec les Poli se brisa en 1203, elle devait être ancienne, puisqu’un mariage avait été prévu et un accord financier déjà conclu. Contre ce clan nobiliaire, d’autres familles s’associèrent avant 1198 : les Orsini, les Baroncelli, les Capocci et les Savelli, mus par d’anciennes querelles (cf. schéma p. 277). Ainsi préparés et regroupés, ils purent s’opposer violemment à Innocent III dès son avènement et garder l’initiative à Rome pendant les premières années de son pontificat.
88À son entrée dans l’adolescence, le milieu latial qui avait vu naître Lothaire offrait de nouvelles possibilités pour un garçon issu de l’aristocratie comtale. Grâce à la victoire pontificale dans la région, des relations étroites s’étaient nouées entre le diocèse de Segni et l’Église romaine. La papauté, dont le développement administratif nécessitait le recours à un personnel formé, avait mis en place des réseaux de recrutement dans les cités du sud du Latium. Ceux-ci profitaient aux enfants de l’aristocratie laïque, laquelle pouvait convoiter les postes de chanoines, d’évêques et de cardinaux. La grande unité de la noblesse campanienne et ses liens fréquents avec la curie facilitaient les promesses de carrière d’un cadet tel que Lothaire (Falco, 1988 : 419-24). La papauté de son côté avait tout intérêt à promouvoir un jeune aristocrate de Segni dont les comtes étaient prêts à collaborer avec elle. Sa famille pouvait désormais songer à le placer dans une institution qui lui prodiguerait son éducation cléricale.
Notes de bas de page
1 Aucune source des xiiie-xve siècles ne mentionne son nom sous cette forme (Lotharius Signinus), mais seulement « Lothaire » ou « cardinal Lothaire ». À partir de la Renaissance, les érudits eurent tendance à substantiver en « Conti » le titre de son père transmis par les Gesta (de comitibus Signiae, p. 1). C’est le cas par exemple de M. Cholinus, Opera Innocentii III, Colonia, 1575, p. IVr (« il tire ses origines de l’illustre famille des Conti »). À partir du xviiie siècle, Innocent III fut appelé « Lotario dei Conti di Segni », expression bientôt simplifiée par la suppression du « Conti ».
2 L’ambiguïté géographique du nom Campania explique peut-être pourquoi la Chronica Vincentina, p. 150, rédigée dans l’entourage impérial autour de 1240, propose une naissance à Capoue.
3 Les définitions de la Campania varient dans les différents parties du LC, t. I, p. 12-5 ; p. 363 ; t. II, p. 105. Deux manuscrits du xive siècle (ASV, Miscellanea Armadio XV.1, f. iir ; XXXV.18, f. 6rv) donnent une même liste des sièges épiscopaux, liste différente de l’édition Fabre-Duchesne : Segni, Anagni, Ferentino, Alatri, Veroli, Terracine. Cf. Giulio Battelli, Rationes decimarum Italiae, nei secoli XIII e XIV, Latium, Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, 1946 ; G. Falco, t. I, 1988, p. 397-404.
4 Innocencius de III was van Jenue, MGH SS, Deutsche chroniken, t. II, p. 273.
5 « Innocent III, d’Anagni par sa patrie », p. 226-7, mais aucune autre source ne confirme cette implantation des Conti avant la fin du xiie siècle.
6 La Vita Innocentii III des Flores chronicorum de Bernard Gui (1311) le fait naître de castro Savivani (Limoges, BM, 204, f. 196r), site confondu avec Gavignano, cf. M. Maccarrone, 1943, p. 67 (qui lit de castro Saumani).
7 Le document, édité par F. Ughelli, t. I, 1717, 1237-8, et repris sous une forme tronquée dans les lettres de Lucius III, PL 201, 1158-60, orthographie : castrum Gabinianum. La charte de 1188 de Clément III donne : Gabilianus, no 102, PL 204, 1413-4.
8 La charte de Lucius III précise que le monastère avait des libertates que la papauté s’engageait à défendre. En 1221, le monastère paie un cens à la papauté, LC, t. I, p. 59.
9 Registre du monastère, éd. I. Giorgi, ASRSP, 1, 1878, p. 59-60, cf. G. Silvestrelli, 1970, p. 163.
10 Chronica monasterii Casinensis, p. 563, 791, 840 ; LC, t. I, p. 399, 404-5, 422-3. Le site de Montefortino était partagé entre eux et les Colonna (op. cit., p. 382-3). Sur Tusculum et son aristocratie au xiie siècle, cf. G. Silvestrelli, 1970, p. 166 ; V. Beolchini, 2006, p. 31-101 ; J. Doran, 2008, p. 57-60.
11 Le double prénom Giovanni Lotario ne correspond à aucun document avant le xviie siècle. La première mention repérée de la forme Johannes Lotharius se trouve chez Claude du Molinet († 1687) dans sa courte vie de Jean de Toucy (Bibliothèque Sainte-Geneviève, 1840, f. 14v).
12 Continuatio Aquincinctina (aetate iuvenis) ; Gesta episcoporum Halberstadensium (iuvenis quidem aetate) ; Annales Stadenses (iuvenus).
13 Gesta, § 5, p. 3 ; M. Maccarrone, 1943, p. 67 ; H. Tillmann, 1980, p. 2. Une bulle d’Honorius III assure qu’il serait mort à cinquante-cinq ans, le 16 juillet 1216 (Potthast, no 5317, p. 468).
14 P. Toubert, 1973, p. 1127-35 ; S. Carocci, 1993, p. 17 ss ; Castelli del Lazio meridionale, 1998, p. 3-16.
15 Annales Romoaldi, p. 430, 433, 440 ss ; Liber Pontificalis, p. 403-4 ; Annales Casinenses, p. 311 ss ; Annales Ceccanenses, p. 285 ss.
16 Concernant ces sites, cf. P. Toubert, 1973, p. 305-67, 657-9, et les études archéologiques de S. Coccia, F. Colaiacomo et de G. Giammaria.
17 Lorsque Richard de Sora jure fidélité au pape le 6 octobre 1208 pour les castra de Valmontone, Sacco et Piombinara, souscrivent des nobles romains, le seigneur Lando de Montelongo, Lando de Collemezzo et Guido de Collemezzo (LC, t. I, p. 9-10*). Lorsque Fumone est reconnue en location aux seigneurs du castrum, souscrivent des chevaliers de Ferentino, de San Germano, de Ceccano et le cardinal Étienne de Fossanova (ibid., p. 341).
18 Annales Ceccanenses, p. 284.
19 Op. cit., p. 275 ; Chronica Casinensis, p. 648. Les Frangipani étaient les créanciers du pape.
20 Op. cit., p. 783 ; Castelli del Lazio meridionale, 1998, p. 6 ss. ; P. Montaubin, 1997, p. 304 ss.
21 G. Giammaria, 2003 ; Santi e culti del Lazio, dir. Sofia Boesch Gajano, Enzo Petrucci, Roma, Presso la Società alla Biblioteca vallicelliana, 2000 (MSRSP 41).
22 GW, p. 348-9, 353-5 ; G. Baaken, 1997, p. 313-4 ; G. Loud, 2007, p. 221.
23 T. I, p. 469-70, 484-8, 495-6, 562-3 ; Acta pontificum, éd. Pflugk-Harttung, t. III, 1884, p. 231.
24 R. Ambrosi de Magistris, t. II, 1889, p. 201, voit dans Transmundus de Zancate le père de Lothaire.
25 Giovanni Colonna confirme son lien à l’aristocratie comtale de Segni, au contraire de la Chronica d’Erfurt qui le relie à la noblesse romaine. Bartolomeo Platina est plus vague : « d’Anagni par sa patrie, d’une famille de comtes par son père Transmundus » (p. 226-27).
26 Comes Sorae, comes de Sora, comes Sorana, comes Ricardus. Voir annexe pour les chroniques ; Reg. XII.5, PL 216, 13-5 ; LC, t. I, p. 9*, 13*.
27 Op. cit., p. 18. Les archives Sforza-Cesarini montrent qu’après le milieu du xiiie siècle tous les membres de la famille portent le nom de « Conti » (ex. : P 46 no 36 ; A 1 no 18). M. Dykmans, 1975, p. 50-1.
28 F. Ughelli, t. I, 1717, 1237 ; PL 201, 1158.
29 Lettre no 202, PL 204, 1413-4 ; Sacco orthographié de façon erronée : Lacus.
30 Vita sancti Brunoni, p. 479EF.
31 Liber Pontificalis, t. II, p. 387. Anna Maria Voci, « I palazzi papali del Lazio », Itineranza pontificia, 2003, p. 211-50.
32 S. Carocci, 1999, p. 29-33 ; M. T. Caciorgna, 2003, p. 188.
33 Annales Ceccanenses, p. 282 ; Liber Pontificalis, t. II, p. 379 ; M.-T. Caciorgna, 2003, p. 182.
Concernant Viculo, cf. Bruno Navarra, San Bruno Astense, vescovo di Segni e abate di Montecassino, Roma, Centro di Studi del Lazio, 1980, p. 252-62 ; F. Colaiacomo, 2008, p. 271-2.
34 Romoaldi Annales, p. 433. H. Tillmann, 1980, p. 14, suppose que l’antipape était parent avec les Conti.
35 Liber Pontificalis, t. II, p. 426 ; Pontificum romanorum vitae, t. II, 1882, p. 420.
36 M.-T. Caciorgna, 2003, p. 180-2. Les comtes de Ceccano suivirent eux aussi cet exemple en fondant un oratoire à Thomas Becket à Carpineto, Regesta Honorii III, t. I, p. lxxxiii-iv.
37 F. Ughelli, t. I, 1717, 1237-8 ; lettre no 102, PL 204, 1413-4.
38 Le vocabulaire utilisé comporte des formules vassaliques : protectio, concessio, concedere, subiacere.
39 Vita, p. 475-6 ; ASV, Arm. LIV, no 4, f. 44rv. Cf. O. Krafft, 2005, p. 160.
40 Annales Ceccanenses, p. 293-4.
41 Chronica monasterii Casinensis, p. 648. En 1124, à Anagni, est signée une vente par « Littefrid, fils du noble seigneur Amat, qu’on appelle Komite », R. Ambrosi de Magistris, t. II, 1889, p. 44, 78, 83-91.
42 Sur l’aristocratie comtale, cf. G. Falco, 1988, p. 405-9 et 424-5 ; S. Carocci, 1993, p. 371 ; M. Thumser, 1995, p. 75. En Italie méridionale, comes n’a pas de valeur territoriale, cf. Jean-Marie Martin, « Aristocraties et seigneuries en Italie méridionale aux xie et xiie siècles : essai de typologie », Journal des savants, janvier-juin 1999, p. 228-9.
43 Herbert E. Cowdrey, The age of abbot Desiderius : Montecassino, the papacy and the Normans in the eleventh and early twelfth centuries, Oxford, Clarendon Press, 1986, p. 219-21.
44 Vita, p. 482BC ; R. Grégoire, 1965, p. 30-1.
45 Liber Pontificalis, t. II, p. 379 ; Annales Ceccanenses, p. 282 : « 1126, quatrième indiction, le pape Honorius prit Segni et Viculo, après la mort d’Otton ». Ce dernier appartenait au même groupe comtal qu’Aynulf, privé après la mort de Brunon de l’essentiel de ses forts, cf. M.-T. Caciorgna, 2003.
46 Annales Ceccanenses, p. 283 ; F. Ughelli, t. I, 1717, 674-5 et 1236-7.
47 […] libertates quoque rationabiles, quas habes in feodatis et hominibus tuis de Signia (PL 201, 1160A) ; G. Falco, 1919, p. 564-93.
48 Vita, p. 484D ; R. Grégoire, 1965, p. 12-4. M.-T. Caciorgna, 2003, p. 182, propose de remonter la rédaction de la Vita à 1178-1181. F. Colaiacomo, « L’antico Palazzo », 2003, pense que la charte de 1182 est la preuve d’un mouvement communal.
49 Ainsi lorsque Lucius III confirme le 8 juin 1184 l’accord passé au profit des évêques de Segni et des Marses contre le comte de Celano (ASV, AA Arm. IX, caps. I. no 42). Cf. M. Dykmans, 1975, p. 24-5 ; S. Carocci, 1993, p. 372 ; L. Gatto, 2003, p. 613-5. Nous renvoyons aux prosopographies de M. Thumser, 1995.
50 La Tour des Conti n’est jamais désignée par ce patronyme avant la seconde moitié du xiiie siècle (ex. : Ptolémée de Lucques, p. 90). Matthieu Paris l’appelle « la tour noble » (p. 118).
51 Annales Ceccanenses, p. 283 ; LC, t. I, p. 404 ; cf. V. Beolchini, 2006, p. 94-5, 420 et 425.
52 S. Carocci, 1993, p. 373, pense que les Conti n’avaient qu’une partie des droits sur Montefortino et Viculo.
53 L’orthographe de son prénom a été corrigée en Claricia par André Duchesne (BnF, Lat. 5150), modification reprise par Étienne Baluze. Felice Contelori, 1650, p. 1, a conservé la forme originale (Vat. Lat. 12111 ; BnF, Lat. 5151 ; Lat. 5152 ; Vallic. E.2).
54 Variantes de Vallic. E.2, f. 150r. W. Imkamp, 1983, p. 18, écrit Scorta ; M. Dykmans, 1975, p. 22, et M. Maccarrone, 1943, p. 65, orthographient Scotta.
55 Cartario di S. Maria in Campo Marzio, no 22, p. 48.
56 Éd. Bartola, no 34, p. 128-31.
57 ASV, Reg. Vat. 9, f. 130v ; Gesta, § 135, p. 331. Cf. L’origine della Campana romana, 2004, p. 133-4.
58 Necrologi della città di Roma, t. I, p. 4, 19, 21, 49, 79 ; Gesta, § 149, p. 353-4 ; C. Hülsen, 1927, p. 243-5.
59 Éd. Bartola, no 82, p. 381-3.
60 M. Maccarrone, 1943, p. 65 ; P. Zerbi, 1980, p. 15-7 ; J. Petersohn, DBI, vol. XXVI, 1982, p. 188-92.
61 S. Carocci, 1993, p. 18-28. Entre 1134 et 1216, vingt-trois des cinquante-six consulats ont été exercés par des Frangipani et dix-sept par des Pierleoni, cf. M. Vendittelli, 2006, p. 226-9.
62 S. Carocci, 1993, p. 387-422 ; M. Thumser, 1995, p. 45-51.
63 Lors des troubles en 1202, Theobaldus Benedicti Odonis, consobrinus des Orsini, tenta de négocier la paix en cachette avec Romanus de Scorta, genere suo, mais il fut assassiné (GW : 331).
64 […] qui per omnia domino pape favebat (GW : 331).
65 É. Hubert, 1990, p. 256-7 ; S. Carocci, 1993, p. 24-5.
66 M. Maccarrone, 1943, p. 64 ; M. Dykmans, DBI, vol. XXVIII, 1983, p. 466-8.
67 Reg. VII.133, p. 215-9.
68 En avril 1203, une révolte nobiliaire à Rome exige que la terre de Poli – fief de l’Église romaine – soit cédée à la commune ; Innocent III proteste publiquement per quosdam fratrum suorum, dont Richard (GW : 333).
69 Necrologi della città di Roma, t. I, p. 79. Son prénom s’est transmis par la suite à sa petite-fille, épouse de Bohémont V d’Antioche (contrat de mariage du 20 mai 1232, archives Sforza-Cesarini, A 1 no 14).
70 S. Carocci, 1993, p. 372-3 ; M. Thumser, 1995, p. 78-87.
71 F. Tomassetti, 1990, p. 174-83 ; A. M. Cusanno, 1991.
72 GW, p. 56-7 ; Reg. VII, 133, p. 215-9.
73 GW, p. 332-6 ; A. Luchaire, 1903, p. 232-40.
74 LC, t. I, p. 9*. ; lettre d’Innocent III à son frère, février 1209, Reg. XII.5, PL 216, 13.
75 Annales Casinenses, p. 319, 396-7.
76 Reg. XII.5, PL 216, 13-5 ; LC, t. I, p. 428-9.
77 Il s’agit de Roccavivi sur le Liri, cf. lettre d’Honorius III, II.614, Reg. Vat. 9, f. 152r. Richard est appelé : « notre cher fils, le noble homme Richard comte de Sora », Regesta Honorii Papae III, éd. Pietro Pressutti, t. I, Roma, Typographia Vaticana, 1888, no 768 p. 132.
78 Annales Casinenses, p. 340 ; Richard de San Germano, Chronica, p. 340 ; LC, t. I, p. 13* ; Regesta Honorii III, t. I, p. liv, no 38.
79 Chronica sancti Martini Turonensi, p. 471, cf. M. Dykmans, 1975, p. 48.
80 Le 5 avril 1226, le pape Honorius III paie les dettes de l’Église d’Ostie et précise que Richard y avait des biens loués ; LC, t. I, p. 466 ; Registre d’Honorius III, t. II, p. 414, no 5886.
81 M. Dykmans, 1983, p. 468 ; S. Carocci, 1993, p. 373.
82 Reg. XIV.86, PL 216, 448.
83 LC, t. I, p. 459-60. Le terme cognatus désigne dans le Latium le mari d’une sœur (Toubert, 1973 : 706).
84 Ernst Batzer, Zur Kenntnis der Formelsammlung des Riccardo von Pofi, Heildelberg, 1919, p. 133. Pétrarque se fait l’écho de cette tradition, Epistolae, II.12, Bâle, 1581, p. 98.
85 Tabularium S. Mariae Novae, no 99, p. 40-1 ; cf. Francis Roth, « Il cardinale Riccardo Annibaldi, primo Protettore dell’Ordine Agostiniano », Augustiniana, 2, 1952, p. 26-60 ; M. Thumser, 1995, p. 28-9.
86 S. Carocci, 1993, p. 311 ; Daniel Waley, DBI, vol. III, 1961, p. 340-2.
87 Archives Sforza Cesarini, A 1 no 9, cf. S. Carocci, 1993, p. 311.
88 Gesta, § 139, p. 338 (variantes entre crochets) ; 85-89, p. 174-189.
89 Emma Amadei, Le torri di Roma, Roma, Fratelli Palombi Editori, 1969, p. 30 et 91-4 ; F. Tomassetti, 1990, p. 149. Sur les possessions des Annibaldi, cf. A. M. Cusanno, 1991, p. 14-5 ; É. Hubert, 1990, p. 195 ; S. Carocci, « Baroni in città », 1993, p. 172.
90 LC, t. I, p. 459-60 ; M. Dykmans, 1975, p. 27-8.
91 LC, t. II, p. 22 ; Les registres de Grégoire IX, no 540-1, t. I, p. 352-4, et 720, p. 450.
92 Reg. XI.123/128, p. 193-4. W. Maleczek, 1984, p. 195-201 ; id., DBI, vol. XXVIII, p. 475-8.
93 Son obit est inscrit dans le Liber annualium de Saint-Esprit in Sassia, hôpital fondé par Innocent III, Necrologi della città di Roma, t. I, p. 62.
94 Chronicon de Burchard d’Ursperg, MGH SS Rer. Germ., t. XVI, p. 88-9.
95 Annales camaldulenses ordinis sancti Benedicti, éd. Johanne-Benedicto Mittarelli, Anselmo Costadoni, t. IV, Venezia, 1759, no 3, 614-20. L’abbé Pierre reçut le soutien des Frangipani – ennemis des Annibaldi –, et des Pierleoni, en lutte contre les Conti. En 1152, les chanoines du Latran louent Valmontone à Lando et à son père Odon (Archives Sforza-Cesarini, A 1 no 5 ; Regesta Honorii III, t. I, p. lxxx-i). L’aristocratie du castrum était liée aux Annibaldi (A 1 no 9) et à Richard de Sora (LC, t. I, p. 8* ; Reg. XII.5, PL 216, 13B). Lando fut tué en 1158 par un noble de Tusculum, or les Conti étaient hostiles aux Tusculani.
96 Éd. Böhmer, no 12, 15, 16, 19, 22, 28, 31, p. 13-16, 19-20.
97 Op. cit., no 27, p. 19 ; Gesta, § 23, p. 23 ; Annales Romani, Liber Pontificalis, t. II, p. 349 ; M. Vendittelli, 2006, p. 227-9 ; Vittorina Sora, « Sul diploma di Enrico VI per Leone de Monumento », ASRSP, 29, 1906, p. 369-71.
98 Éd. Böhmer, no 84, p. 39.
99 Comme les Scotti, Léon a un obit au monastère des Saints-Cyriaque-et-Nicolas, Necrologi della città di Roma, t. I, p. 37. On relève en 1213 un hommage prêté à Richard par Theobaldus de Monumento pour Valmontone, cf. F. Contelori, 1650, p. 3 ; M. Thumser, 1995, p. 132-5.
100 Reg. VI.105, p. 171 ; M. Maccarrone, « La politica di Innocenzo III di Ricuperazione del Patrimonio di S. Pietro », id., 1972, p. 20.
101 ASV, AA Arm. I-XVIII, no 3677r. Il apparaît en 1204 comme témoin de la vente au pape du même château, LC, t. I, p. 256-7.
102 Reg VII.102, p. 165.
103 Cartario di S. Maria in Campo Marzio, no 59, p. 110 ; Necrologi della città di Roma, t. I, p. 19.
104 Reg. II.236/245, p. 452 ; V.50/51, p. 98.
105 Reg. I.23, p. 34-5.
106 Reg. VII.102, p. 165 ; Gesta, § 37-38, p. 52-5.
107 Reg. V.85, p. 167 ; VII.124, p. 197.
108 Reg. XVI.95, PL 216, 894D.
109 Lettre no 296 d’Honorius III, MGH, Epistolae saeculi XIII e regestis pontificum Romanorum selectae, t. I, p. 218 ; Necrologi della città di Roma, t. I, p. 49.
110 Reg. II.62, p. 110 ; Gesta, § 23, p. 21.
111 Reg. XVI.60, PL 216, 861A. En 1203, il est exécuteur d’une sentence entre un chevalier et l’Église d’Anagni (Archivio capitolare d’Anagni, no 401) ; P. Montaubin, 1997, p. 353.
112 M. Maccarrone, « Riforme e innovazioni di Innocenzo III nella vita religiosa », id., 1972, p. 277-8.
113 Ibid., « La politica di Innocenzo III… », id., 1972, p. 19-24 ; A. Paravicini Bagliani, 1993, p. 602-3.
114 M. Dykmans, 1975, p. 33-4 ; S. Carocci, 1993, p. 317.
115 M. Dykmans, DBI, vol. XXVIII, p. 467. Le comte Jean de Ceccano prête hommage au pape en 1200.
116 Reg. XVI.54, PL 216, 857A ; XVI.60, PL 216, 860D.
117 Gesta, § 23, p. 21, et 147, p. 352 ; Reg. I.554/557-555/558, p. 804-8. Voir en 1204 l’acte de vente de Ninfa au pape où Octavien agit en tant que consobrinus et camerarius d’Innocent III, LC, t. I, p. 256-7.
118 Giraud le Cambrien, De iure, éd. John S. Brewer, t. III, London, 1863, p. 250.
119 Reg. IX.68, p. 134 ; VII.103-106, p. 166 ss ; X.117, p. 202.
120 Reg. XIII.130, PL 216, 318A.
121 Giuseppe Marchetti Longhi, « Ricerche sulla famiglia di Gregorio IX », ASRSP, 77-78, 1944, p. 275-307.
122 Gesta, § 23, p. 23 ; Chartularium Universitatis Parisiensis, no 95, t. I, p. 147. W. Maleczek, 1984, p. 126-33 ; P. Montaubin, 1997, p. 341, 371-4.
123 La parenté du cardinal Jean d’Anagni (1196), est très douteuse, cf. W. Maleczek, 1984, p. 70-1 ; H. Müller, 1997, t. II, p. 10.
124 Sur l’implantation des Capocci, cf. S. Carocci, 1993, p. 27-8, 334-5 ; V. Saxer, 2001, p. 205 et 234-7. Innocent III apaisa les relations avec les lignages hostiles à sa famille : il attribue le cardinalat à Guido Pierleoni (1204), à Giovanni Colonna (1206), il compose avec les Crescenzi et sans doute avec les Orsini, absents des troubles de 1204. Lorsque, en 1232, Bohémont d’Antioche dressa le contrat de mariage avec Luciana, petite-nièce d’Innocent III, témoignèrent d’anciens ennemis : Odon Frangipani, Odon Pierre de Colonna et Jean Capocci (archives Sforza-Cesarini, A 1 no 14).
125 ASV, Collectanea Miscellanea Garimpi, no 596.
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