Synthèse : des reconstitutions en effets de miroir
p. 82-108
Texte intégral
1Le but de ce chapitre interprétatif est d’offrir une synthèse des pratiques alimentaires et sociales, des goûts et des mentalités à travers des œuvres dont la plupart ont déjà été vues dans les chapitres précédents, mais qui sont ici analysées sous un autre aspect. Elles sont replacées dans leurs lieux d’origine et permettent donc de recréer le contexte et de réaliser les reconstitutions des salles à manger pour lesquelles elles étaient destinées. Elles sont étudiées en fonction du commanditaire et du lieu pour lequel elles ont été peintes. Des tableaux comme Le Déjeuner de jambon (ill. 1) de Lancret, le Déjeuner d’huîtres (ill. 2) de Jean-François de Troy, le Déjeuner de chasse (ill. 11) du même artiste ou la Halte de chasse (ill. 10) de Carle Van Loo, ont par ailleurs été choisis parce qu’ils incarnent la quintessence des repas privés de l’élite du xviiie siècle et qu’ils en sont les plus représentatifs de par leurs commanditaires et leurs destinations. L’interprétation de ces œuvres est donc ici reprise, synthétisée puis analysée de façon encore plus approfondie.
2Mais avant de procéder à ces reconstitutions, il a paru pertinent de s’intéresser plus particulièrement à Madame de Pompadour. Cette analyse en « effet de loupe gastronomique » sur les demeures de la Madame de Pompadour est complémentaire des reconstitutions qui vont suivre, car elle permet d’appréhender avec une méthodologie différente l’intérieur des demeures aristocratiques. En effet, si les reconstitutions prenant pour base le corpus iconographique sont principalement celles des demeures de Louis XV, certaines sources écrites sont particulièrement enrichissantes pour avoir une idée de ce qui se trouvait, d’un point de vue culinaire et gastronomique, dans la totalité des demeures de la favorite du roi. Et par là même, cela nous permet de reconstituer ce qui se trouvait dans une maison appartenant à l’élite du royaume.
Les arts de la table dans les demeures de la marquise de Pompadour : des communs aux objets de table
3Les sources servant à l’analyse sont l’Inventaire des biens de Madame de Pompadour1 publié et commenté par Jean Cordey et le Livre-Journal de Lazare Duvaux, marchand-bijoutier ordinaire du Roy2.
4Le premier constitue l’exemple le plus précis et le plus parlant en ce qui concerne à la fois les goûts artistiques de l’époque et la vie quotidienne. Il énumère ses biens dans les différents hôtels et châteaux et présente tout ce qui s’y trouve3. Chaque pièce est détaillée « de la cave au grenier », pour emprunter à Michel Vovelle le titre des son ouvrage : le mobilier, les accessoires, le vin, le linge, tout y est recensé.
5Le second, le Livre-Journal de Lazare Duvaux, conserve les traces des achats effectués chez le marchand-mercier parisien très en vogue à son époque. Ce journal se présente sous forme d’une liste des objets vendus par le marchand, de façon chronologique, mois par mois, où ceux-ci sont identifiés principalement de la façon suivante : numéro, quelquefois date de l’achat, nom de l’acheteur, objet(s) vendu(s) précédé(s) de la quantité, description de l’objet, selon les cas, et prix4. Parfois, des éléments de description sont donnés : lieu de provenance de la production (Saxe, Vincennes et Sèvres), la catégorie (cabaret à pagode), la forme (carrée, triangulaire, ovale, ronde), les couleurs (« fond jaune et mignature »), le type d’objet (tasse à oreilles), etc. Lazare Duvaux commerce non seulement avec Madame de Pompadour, mais également avec le roi, la famille royale et divers courtisans ; son journal constitue donc une source riche en renseignements.
Cave, communs et mobilier
6L’inventaire après décès de la marquise énumère ce qui, dans ses demeures, est lié aux arts de la table et plusieurs catégories sont visibles.
7L’une d’elles concerne « le vin », dont les crus variés et nombreux sont conservés à l’hôtel de Pompadour, au château de Saint-Ouen et au château de Ménars. Parmi ces vins, on trouve des vins de « Bourgogne », de « Champagne », de « Tokay », de « Madère », de « Chambertin », de « Moucharet », de « Mulsan », de « Chassaigne », de « Beaune », de « Rancio » ou de « Constance ».
8Une autre catégorie réunit les ustensiles et le mobilier que l’on trouve dans les différentes parties des communs des châteaux de Saint-Ouen, de Ménars, dans l’Ermitage de Versailles et dans les hôtels de Pompadour et de Belle-Isle : cuisine, office, laiterie, boucherie, rôtisserie, garde-manger. On trouve divers ustensiles : lèchefrites, broches (de différentes sortes), poêles, marmites, casseroles, coquemars, tourne-broches, grils. La cuisine et la rôtisserie de l’Ermitage de Versailles donnent une idée des ustensiles utilisés dans les communs. Cet Ermitage offre :
1367. Deux crémaillères, deux landiers, deux pelles, une pincette, un tisonnier, une lèche fritte, un dessus de four de campagne, deux broches à noix, trois autres à main, deux poelles, deux chevrettes, trois autres, un dessous de four de campagne ; prisé vingt quatre livres XXIIII lt. / 1368. Deux marmittes en timballes, trois casserolles à queues, une autre ovalle, deux braizières et leurs couvercles, un plafond, une casserolle ronde, cinq couvercles de casserolle et une petitte marmitte à potage, garny de son couvercle. Le tout de cuivre rouge ; prisé quatre vingt livres IIIIxx lt. / 1369. Un coquemard et son couvercle de cuivre rouge, deux écumoires de cuivre étamé, une cuillère à pot et deux autres à dégraisser aussy de cuivre rouge, étamé ; prisé avec quatre chandeliers de potain, vingt-six livres XXVI lt. / 1372. Un tournebroche garny de fer, poids, chaine et cordage, une broche à noix, deux autres à main, un tisonnier, deux chenets, un garde-cendre ; prisés ensemble quarante-huit livres. Cy XLVIII lt. / 1373. Deux tables et une tablette et un petit tabouret de bois de chesne ; prisé avec une pelle à four, quarante livres XL lt.
9Cette énumération montre une certaine diversité des instruments cités qui mêlent ustensiles de cuisine et autres objets domestiques avec une quantité notable d’ustensiles en cuivre (notamment en cuivre rouge et étamé dont le coût était élevé à cette époque).
10Quant au mobilier de cuisine, il est constitué de tables et de tabourets mais aussi d’armoires et de buffets. Ainsi, dans deux offices de l’Ermitage de Versailles, on peut voir par exemple :
1364. Un corps d’armoire à quatre volets par haut, et quatre par bas, fermant à clef […] / 1365. Un bas de buffet de bois de chesne, à volets fermants à clef ; une armoire en étuve, aussy de bois de chesne, à deux volets fermant à clef […].
11Le mobilier des salles à manger de l’hôtel de Pompadour et du château de Ménars est recensé : les accessoires en porcelaine y occupent une place de choix, comme l’atteste la vaisselle trouvée dans les buffets du grand vestibule du château de Ménars. L’iconographie contemporaine retranscrit d’ailleurs ce mobilier et présente de la vaisselle en métal disposée sur les étagères.
12La dernière catégorie concerne la « lingerie » de ces deux demeures. On trouve peu de diversité dans ce linge de table composé principalement de nappes et de serviettes damassées, de Venise ou à grains d’orge.
13Cependant, l’analyse de ces éléments ne permet pas de façon éloquente de mettre en valeur les pratiques alimentaires, sociales et mentales. C’est pour cette raison qu’une autre catégorie a donc été retenue et fait l’objet d’une étude plus détaillée : la « vaisselle ». Par commodité, le terme de « vaisselle » englobe ici tous les objets de table conservés dans les hôtels de Pompadour et de Belle-Isle ainsi que dans les châteaux de Saint-Ouen et de Ménars, qu’ils soient en or, argent, vermeil, porcelaine ou faïence. Ce sont des pièces séparées, des services, des déjeuners et cabarets, entre autres, présentés sur ou dans des meubles (tables, armoires, buffets). C’est sur cet échantillon des déjeuners et cabarets que l’analyse porte plus précisément.
Une étude de cas : les déjeuners et cabarets
14L’inventaire après décès de Madame de Pompadour et le Livre-Journal de Lazare Duvaux accordent une très large place aux accessoires de table. En effet, sans pour autant dresser de liste exhaustive des objets cités, on peut mentionner leur abondance et leur diversité. Service et consommation des aliments avec leurs ustensiles, service et consommation des boissons, accessoires de service et accessoires de décoration comprennent de nombreux éléments : gobelets, glacières, coquetiers, beurriers, fromagers, jattes, seaux, plateaux et plats, assiettes, compotiers, vases, chocolatières, cafetières, théières, tasses, soucoupes, sucriers, huiliers-vinaigriers, salières, moutardiers, écuelles, pots à oille, terrines, saucières, figures, saladiers, couverts de table et de service, flambeaux, girandoles, pots… pour ne citer qu’eux !
15De plus, au sein même de ces catégories d’objets, des variétés existent. En ce qui concerne les pots, on trouve, en autres, des pots à lait, des pots à eau ou encore des pots à jus. Quant aux plats, des plats « hors-d’œuvre » côtoient des plats d’entrées, des plats d’entremets, des plats à potage ainsi que des « plats à bouilly5 ».
16Au xviiie siècle, les services de table sont de plus en plus abondants dans la réalité quotidienne. Ceci vaut pour les services ordinaires (comprenant les assiettes, couverts, plats) mais également pour les services plus spécifiques tels que ceux utilisés pour le thé ou le café. Dans l’inventaire après décès de Madame de Pompadour, sont cités nombre de « déjeunés » et de « cabarets » ainsi que certains objets que l’on peut supposer être des services (avec par exemple un nombre identique de tasses et de sous-tasses6). Les ensembles cités ici ne concernent que ceux qui sont nommés « déjeuné » et « cabaret », c’est-à-dire ceux dont l’appellation est certaine.
17Avant d’aller plus loin, notons la difficulté de différenciation des deux services. L’analyse lexicographique permet d’en noter les différences et ressemblances terminologiques afin de comprendre toutes les nuances. Si un déjeuner est, a priori, un service composé d’un plateau sur lequel se trouvent d’autres objets comme des tasses, des soucoupes, des pots à sucre et autres, le cabaret introduit l’existence d’un mobilier. Ainsi, pour Gilliers, auteur du Cannaméliste français en 1751, le cabaret est « un meuble d’office sur lequel on sert et porte les tasses à caffé7 » et pour le Dictionnaire de l’Académie dans son édition de 1765, il est considéré comme « une espèce de petite table ou plateau, qui a les bords relevés, & sur lequel on met des tasses pour prendre du thé, du café, & c.8 ». Si l’on suit Henry Havard, qui rédige son dictionnaire au siècle suivant, le déjeuner est « un ensemble de pièces en faïence, porcelaine, cristal argent ou vermeil nécessaire pour un petit déjeuner » qui est constitué d’un plateau, de tasses, de soucoupes, d’un sucrier, d’une cafetière, d’une chocolatière, d’un pot à lait, etc. Quant au cabaret, il le décrit comme « une sorte de petite table ou plateau sur lesquels on place tasses, soucoupes, sucrier, pot à lait, théière, etc.9 »
18Dans l’inventaire de Madame de Pompadour et dans le Livre-Journal de Lazare Duvaux il semble, quelquefois, que ces mots désignent la même chose et qu’ils sont employés l’un pour l’autre10. Ainsi, l’ambiguïté demeure et le problème reste entier. On peut prendre pour exemples un déjeuner et un cabaret de l’hôtel de Pompadour à Paris. L’un est un « déjeuné, composé d’une tasse, d’une soucoupe, une boete à sucre, un pot à l’eau sur un plateau d’ancien laque » (numéro 361) alors que l’autre est un « cabaret de huit tasses et soucoupes, une boëte à sucre de porcelaine de France, sur un plateau de laque rond, monté sur son pied verny en avanturine » (numéro 33211). Sans résoudre de façon certaine ce problème de différence entre les déjeuners et les cabarets, il semble tout de même logique de penser, qu’à l’origine, les déjeuners étaient réservés au repas qui porte ce nom alors que les cabarets étaient utilisés durant les autres moments de la journée. Cependant, une question à laquelle il est pour l’instant difficile de répondre demeure : qu’en est-il dans la réalité quotidienne ? Si l’on ne peut apporter de réponse définitive à cette interrogation on peut conclure à une interchangeabilité terminologique de ces accessoires et sans doute même une utilisation également interchangeable, ce qui permet de les étudier comme un tout.
19L’énumération de ces objets dans les deux inventaires, dont la quantité est considérable, montre à quel point ils se sont développés au cours du xviiie siècle. Leur existence est corroborée par ailleurs dans divers traités12.
20La matière dans laquelle ils sont fabriqués, la céramique uniquement (porcelaine), est d’importance car, au regard de l’inventaire après décès de Madame de Pompadour, excepté les deux déjeuners et le cabaret en cristal de roche qui sont « garnys d’or », seuls des « déjeunés » et « cabarets » en céramique sont cités. Aucun service n’est entièrement réalisé en or, argent ou vermeil. On voit donc que la porcelaine est la matière privilégiée pour la fabrication de ces accessoires. Le goût et la mode pour la porcelaine sont caractéristiques du siècle des Lumières qui voit se développer nombre de manufactures de porcelaine dont la plus célèbre est celle de Sèvres13.
21La mention de services dans l’inventaire après décès de la marquise de Pompadour montre aussi une pratique alimentaire se développant au xviiie siècle qui est celle de la consommation des boissons exotiques que sont le café, le thé et le chocolat, ainsi que l’essor des objets spécifiques à cette pratique.
22Les mémoires, relations ou journaux contemporains confirment cette assertion. Ainsi, le duc de Luynes raconte que :
La porcelaine de Vincennes continue à se perfectionner. Les couleurs, les peintures commencent à être d’une grande beauté ; mais les prix sont encore excessifs. Le Roi a donné à Mme la Dauphine un cabaret sur lequel il y a, entre autres pièces, un pot à sucre et un très-petit pot au lait ; ces deux seuls morceaux coûtent 28 louis14.
23Par ailleurs, la marquise de La Tour du Pin, dans ses Mémoires qui relatent la vie durant le règne de Louis XVI, parle d’un cadeau que lui a fait madame d’Hénin qui est :
Une charmante table à thé garnie d’un service : théière, sucrier, etc., en vermeil, avec toute la porcelaine venant de Sèvres. C’est l’objet qui m’a causé le plus de plaisir. Il avait, je crois, coûté 6 000 francs15.
24D’autres remarques peuvent être formulées sur les « déjeunés » et « cabarets. » On constate, pour ces services, l’absence totale dans l’inventaire de cafetières et chocolatières, toutefois mentionnées de façon ponctuelle ailleurs dans l’inventaire. Seules les théières sont présentes dans bon nombre d’entre eux. Ceci, bien sûr, ne signifie pas que les cafetières et chocolatières soient réellement absentes de la vaisselle de la marquise.
25Outre ces divers objets, on peut quelquefois en mentionner d’autres cités dans l’inventaire, comme par exemple des gobelets, des bouteilles, des boîtes à thé et des « pots à l’eau », généralement accompagnés de leurs cuvettes.
26De plus, que ce soit seulement pour les « déjeunés » et « cabarets » ou dans l’inventaire complet, les « pots à sucre » et « sucriers » sont distincts. Il est tout à fait probable que les récipients avec leurs couvercles soient considérés comme les pots à sucre et soient destinés à contenir le sucre en morceaux tandis que les sucriers doivent certainement contenir du sucre en poudre (saupoudroirs16).
27Pour deux « déjeunés » et un « cabaret », un problème se pose17. À l’inverse des autres services qui sont en porcelaine, ceux-ci sont en cristal de roche. Pour le « cabaret », l’inventaire précise que c’est un « cabaret à liqueurs » (dans lequel se trouvent des gobelets et une bouteille sur un plateau). Quant aux « déjeunés », l’un ne possède aucun détail, si ce n’est la présence d’un plateau, et l’autre est composé de « deux flacons couverts [et] un gobelet couvert » sans aucune autre précision. On peut en conclure que ce sont également des services à liqueurs.
28Avec cet exemple des demeures de Madame de Pompadour, on note l’abondance et la diversité des objets de table utilisés.
Mises en abyme des pratiques sociales et culinaires
29Louis XV, en 1735 et 1737, a commandé des peintures pour les salles à manger de Versailles et de Fontainebleau. Les tableaux de Nicolas Lancret, le Déjeuner de jambon (ill. 1) et de Jean-François de Troy, le Déjeuner d’huîtres (ill. 2) sont des pendants exécutés pour la première salle à manger des cabinets de Versailles en 1735. Outre la représentation d’un repas, ces deux peintures possèdent plusieurs points communs qui mettent en lumière certaines caractéristiques du xviiie siècle. Ces dernières concernent tant les notions culturelles que la table. Tout d’abord, l’ivresse, rappelée par la sculpture à l’arrière-plan du satyre mangeant une grappe de raisin dans le Déjeuner de jambon (ill. 1), est omniprésente. Nicolas Lancret montre des personnages dans un état d’ébriété assez avancé. Dans le tableau de Jean-François de Troy, bon nombre de convives sont en train de boire ou de se servir à boire. Le regard de certains convives du Déjeuner d’huîtres (ill. 2) converge vers un même point : un bouchon de bouteille. Liée à l’ivresse, la notion de libertinage, rappelons-le, est présente dans les deux tableaux. Si Lancret joint une femme au groupe de convives, de Troy ne montre que des hommes, ce qui correspond à une réalité de cour qui se tenait après les chasses de Louis XV et que l’on appelle les « soupers d’hommes ».
30Cependant, c’est avec Jean-François de Troy que les allusions à un libertinage sexuel sont les plus nombreuses de par la décoration de la pièce. Rappelons ainsi la présence d’une sculpture féminine décorant la fontaine ainsi que la coquille qui la surmonte, le petit amour qui tient le chandelier et les autres sculptures d’amours au plafond, la peinture représentant un couple, et enfin l’alcôve. C’est de cette façon que le peintre a choisi d’insérer le lien entre les plaisirs de la chère et les plaisirs de la chair. La débauche gastronomique des repas de chasse est propre à reconstituer les forces des chasseurs par la consommation de viandes. Le vin, quant à lui, sert au libertinage sexuel et « les femmes sont nécessaires à cette société bachique d’hommes […] pourvu qu’elles soient faciles18 ».
31Le contexte des repas de ces deux tableaux est donné par ce qui se trouve par terre. Le Déjeuner de jambon (ill. 1) montre des débris de vaisselle et de bouteilles tandis que le sol du tableau de Jean-François de Troy est couvert par des plats et des huîtres qui semblent être le seul mets du repas. Si les huîtres étaient déjà consommées avant le xviiie siècle, c’est à cette époque qu’elles prennent une telle place. Louis-Sébastien Mercier, environ un demi-siècle après la réalisation des peintures faites pour Louis XV, explique, dans ses Tableaux de Paris, leur expansion et révèle même que :
L’industrieuse orfèvrerie vient d’imaginer des fourchettes particulières pour manger des huîtres. Le petit couteau arrondi, propre à les détacher du frein, les accompagne. Ces joujoux d’argent font extasier les jolies femmes, qui depuis le temps aiment les huîtres à la folie, afin d’avoir en présent le petit couteau et les jolies fourchettes19.
32Bien que plus tardif, ce témoignage montre une continuité dans ce goût immodéré pour les huîtres20.
33Ces deux tableaux, de dimensions moyennes (188x123 cm pour le Déjeuner de jambon (ill. 1) et 180x126 cm pour le Déjeuner d’huîtres (ill. 2), suggèrent une intimité qui permet un comportement négligé des convives. Ceci peut être mis en relation avec le lieu pour lequel ces œuvres étaient destinées, rappelons-le une salle à manger privée royale. C’est justement dans une salle à manger privée que se déroulaient les petits soupers du roi, les repas de retour de chasse avec, à l’origine, « une quinzaine de chasseurs auxquels se joignirent quelques dames dès 173821 ». Ce qui est vrai pour Versailles l’est pour toutes les résidences royales : les petits soupers se multiplient. Barbier, avocat, les mentionne de nombreuses fois et indique même pour le mois de juillet 1740 que « dans toutes les maisons royales il y a à présent des petits appartements pour les petits soupers particuliers22 ». Ainsi, dans l’intimité de quelques personnes, le roi soupait, déchargé du poids de l’étiquette, et pouvait laisser libre cours à un certain libertinage. Les tableaux de Nicolas Lancret et de Jean-François de Troy, qui montrent justement des personnages aux manières et attitudes, sinon débauchées du moins relâchées, ne pouvaient décemment pas être accrochés dans un endroit public, à la vue de tous les courtisans. C’est un spectacle réservé à quelques privilégiés et qui rappelle le comportement des hôtes de Louis XV.
34Ces deux tableaux mettent également en relief une caractéristique essentielle d’une catégorie de représentations de repas au xviiie siècle : ce qu’on pourrait appeler une « Trinité » intimité-ivresse-libertinage. Ces trois éléments sont indissociables et complémentaires les uns des autres dans ce contexte particulier. À la mort de Louis XIV, libérée de la vie austère prescrite par Madame de Maintenon, veuve morganatique du roi, la Cour voit, avec le Régent, une évolution, sinon une révolution, de ses mœurs. Cette évolution se poursuit sous Louis XV qui était possédé par une furieuse passion pour la chasse, les femmes et la cuisine23. Tout a donc été mis en œuvre pour que converge et se développe tout ce qui pouvait assouvir ses passions. On peut en prendre pour preuve les manuscrits des menus des repas qui se sont déroulés au château de Choisy : dans une résidence à caractère cynégétique, le roi mange avec sa maîtresse et quelques rares autres élus de la cour. Ces repas présentent un intérêt supplémentaire par rapport aux autres soupers privés de Louis XV car ces manuscrits qui nous sont parvenus sont des témoignages des mets consommés. Même si cette évolution est sans doute la cause principale du développement de la « Trinité » indiquée précédemment, une autre hypothèse peut également intervenir. Celle-ci n’est pas en opposition avec la précédente mais complémentaire. En effet, Louis XV a pu ressentir le besoin d’échapper au cérémonial de la cour et au caractère solennel des repas publics et officiels. Ceci s’inscrirait dans une sorte de tradition historique : Louis XIV, qui pourtant souhaitait une étiquette rigide, se rendait au château de Marly de plus en plus souvent vers la fin de sa vie, et plus tard, à la fin du xviiie siècle, Marie-Antoinette a fait construire le Hameau de Versailles pour y vivre comme une simple bergère. Quoi qu’il en soit, c’est une intimité voulue, désirée, qui participe à cette libéralisation des mœurs que connaît le règne de Louis XV. Ainsi, l’iconographie traduit une certaine banalisation du dérèglement des sens qui se développe. On pourrait même dire que, dans un premier temps, elle correspond à un besoin de libération des mœurs. Les deux tableaux exécutés pour la salle à manger de Versailles peuvent être appréhendés à la fois comme un miroir de ce qui se déroule et comme la réponse à une attente.
35Les conclusions tirées de l’étude de ces tableaux ont été faites à partir de la méthodologie d’analyse panofskyenne qui découpe l’examen d’une œuvre selon trois phases : la description pré-iconographique, l’analyse iconographique et l’interprétation iconologique. Il serait cependant intéressant d’interpréter ces œuvres selon une autre méthode issue des sciences sociales : l’analyse immanente expliquant les règles de fonctionnement théorisée par Roman Jakobson :
Le destinateur envoie un message au destinataire. Pour être opérant, le message requiert d’abord un contexte auquel il renvoie (le référent) ; ensuite, le message requiert un code commun ou tout au moins en partie au destinataire et au destinateur (décodeur et encodeur du message). Enfin, le message requiert un contact, un canal physique et une connexion psychologique entre le destinateur et le destinataire24.
36Dans l’art, un premier problème se pose : celui du destinateur et du destinataire. En effet, si le destinataire est ici le commanditaire, le destinateur, lui, peut être à la fois l’artiste et ce même commanditaire qui a voulu le tableau25. Il peut ainsi y avoir un équilibre, pour ne pas dire une fusion entre destinateur et destinataire. Lorsque c’est le cas, c’est-à-dire lorsque le destinateur et le destinataire sont une seule et même personne, le message peut donc être faussé sachant que le destinataire a souhaité ce message. Le problème étant posé, on peut poursuivre l’analyse. Jakobson explique que le message requiert un contexte, un contact et un code pour être opérant. Le contexte est un ensemble de références qu’ont en commun le destinateur (ici l’artiste) et le destinataire (le commanditaire). Dans le cas présent, ce contexte est constitué de plusieurs éléments : le vin consommé rappelé par le satyre mangeant la grappe de raisin dans le tableau de Nicolas Lancret, les différentes allusions à un libertinage sexuel citées plus haut chez Jean-François de Troy ou encore les aliments et accessoires que le destinataire (commanditaire ou convives) connaît car il les consomme ou les utilise. Le contact sert à retenir l’attention et c’est ici le fait que les tableaux soient des effets de miroir. Le code qui nécessite une culture commune, des valeurs partagées, est constitué des notions culturelles qui sont récurrentes dans l’iconographie du xviiie siècle : intimité, dérèglement des sens, libertinage. Ces éléments permettent de réfléchir le message suivant : ce que vous voyez dans ces œuvres est le reflet de ce que vous faites.
37Deux ans après la réalisation des tableaux pour la salle à manger des petits appartements de Versailles, c’est-à-dire en 1737, le roi commande à nouveau des tableaux destinés à orner une salle à manger, ici la grande salle à manger (dite aussi salle des Buffets) des Petits appartements du roi à Fontainebleau. Cette commande comporte quatre tableaux : le Déjeuner de chasse (ill. 11) et la Mort d’un cerf26 réalisés en pendants par Jean-François de Troy, la Halte de chasse (ill. 10) de Carle Van Loo et la Halte de grenadiers de la Maison du roi de Charles Parrocel également en pendants27. Ces deux derniers étaient disposés de façon symétrique sur le mur face aux fenêtres et les tableaux de Jean-François de Troy complétaient le décor de boiseries28. Le Déjeuner de chasse (ill. 11) de Jean-François de Troy et la Halte de chasse (ill. 10) de Carle Van Loo figurant des scènes dont les personnages sont sans aucun doute issus de la cour présentent un intérêt supplémentaire. La première remarque que l’on peut faire est la proximité entre les convives et les serviteurs. Cette remarque vaut également pour le Déjeuner d’huîtres (ill. 2) réalisé pour la salle à manger de Versailles. Dans ces tableaux, les domestiques sont mélangés à leurs maîtres ce qui montre que l’étiquette stricte des repas officiels, ici, n’a pas lieu d’être. Ceci n’est permis que grâce à l’intimité qui s’installe de plus en plus durant le siècle des Lumières. En effet, on assiste à une raréfaction de la présence des domestiques lors des repas, notamment à partir de la seconde moitié du siècle. En témoignent, on l’a déjà dit, le buffet mécanique du château de La Muette et la création de tables volantes qui permettent aux convives de se servir sans avoir recours à un domestique. Il est évident que dans les tableaux de Carle Van Loo et Jean-François de Troy le besoin d’intimité n’est pas présent comme dans les soupers du roi, mais ce sont des exemples assez significatifs.
38Toutefois, le point le plus important concernant de ces deux tableaux est leur sujet : ce sont des repas de chasse. En effet, depuis le livre de chasse de Gaston Phoebus (1343-1391), la chasse est un thème iconographique apprécié. Cela se vérifie avec les chasses de l’empereur Maximilien Ier de Habsbourg (1459-1519) reproduites en tapisserie et, même si quelques repas de chasse peuvent être représentés, c’est surtout la chasse elle-même qui intéresse. Avec Louis XV, même si cet aspect est toujours plus présent, on assiste à un rééquilibre de ces deux types de représentations. La commande royale pour la grande salle à manger des Petits appartements de Fontainebleau en est la preuve : il y a une chasse et deux représentations de repas qui servent d’ailleurs souvent à cacher la violence de la chasse. Le fait que trois des quatre tableaux commandés soient liés à la cynégétique est un point crucial. En effet, l’amour immodéré de Louis XV pour la chasse est sans cesse attesté. Le témoignage de Barbier est on ne peut plus éloquent à ce sujet :
Madame la comtesse de Mailly continue toujours d’être regardée comme la favorite du Roi. Il y a à présent de fréquents soupers, soit à La Muette, au bois de Boulogne, soit chez Mademoiselle à Madrid ; le Roi commence à prendre goût aux plaisirs ordinaires. Il n’y a pas grand mal qu’il se défasse peu à peu de la fureur qu’il avoit pour la chasse, qui, répétée tous les jours en tous temps et en toutes saisons ne pouvoit qu’altérer son tempérament et lui rendre l’esprit sombre et sauvage : le commerce des femmes et des plaisirs lui prendra moins de temps et lui formera mieux le génie et les sentiments29.
39Malgré ce, il semble que le roi ait réussi à allier parfaitement ses deux passions, ainsi qu’on le constate un peu plus loin dans le témoignage de Barbier :
Il [le roi] va quelquefois coucher à Choisy, qui devient la maison de campagne favorite pour faire les petits soupers. On vit partir ces jours-ci madame de Mailly, très-parée, dans une chaise de poste du Roi avec deux pages de l’écurie à cheval et des flambeaux. Tous les jours, nouvelle partie de chasse où le Roi se fatigue beaucoup30.
40Ces quatre tableaux font partie d’un programme d’ensemble correspondant au lieu de résidence de chasse qu’est Fontainebleau. Un dernier aspect est à prendre en compte : à l’inverse du Déjeuner de jambon (ill. 1) de Nicolas Lancret et du Déjeuner d’huîtres (ill. 2) de Jean-François de Troy, aucune des œuvres ne présente un comportement sinon débridé, du moins fort relâché, de la part des personnages. Si les tableaux présentent une plus grande décence, c’est en raison du lieu auquel ils sont destinés ; ce sont des tableaux pour la grande salle à manger, c’est-à-dire visibles lors de repas moins privés, à l’inverse des tableaux de la salle à manger de Versailles.
41Si l’on étudie le Déjeuner de chasse (ill. 11) de Jean-François de Troy et la Halte de chasse (ill. 10) de Carle Van Loo selon la méthode structuraliste de Jakobson, on s’aperçoit que certains éléments restent identiques (le destinateur, le destinataire et le contact) alors que le contexte et le code varient. Ainsi, les références communes au destinateur et au destinataire sont les fusils et les chiens, deux exemples parmi d’autres, utilisés pour la chasse et le code devient la sociabilité des repas de chasse qui est importante dans ce xviiie siècle. Malgré ces deux changements, le message principal reste le même. Ce qui varie est le comportement selon le degré d’intimité.
42D’un point de vue gastronomique, ceci vaut également pour les mets disposés sur les tables dans les tableaux susdits. Les plats de rôt, les pâtés, jambons, huîtres, etc. reflètent les mets connus et souvent consommés, surtout lors des repas de chasse, et d’un autre côté ils participent à une excitation des sens : leur illustration incite à leur consommation. On retrouve cette coexistence des rôles imitatif et incitatif dont il est difficile de déterminer la prédominance de l’un par rapport à l’autre.
43La Venaison piquée pour mise en broche (ill. 20) d’Alexandre-François Desportes confirme cette assertion. Dezallier d’Argenville, dans son Abrégé de la vie des plus fameux peintres (Paris, 1762), nous apprend qu’elle fait partie d’un ensemble de trois tableaux commandés par le Régent pour sa cuisine personnelle du Palais-Royal. Il explique :
L’un est un amas de gibier en plume placé sur la cheminée, les deux autres servent de dessus-de-porte, représentant des légumes et de la viande piquée prête à mettre en broche : on ne peut rien désirer de plus convenable à la nature du lieu31.
44Cette phrase est particulièrement intéressante puisqu’elle indique l’adéquation parfaite entre le sujet représenté et le lieu auquel il est destiné. Les remarques faites précédemment sont également valables ici, le cas étant similaire. Une nature morte représentant un intérieur de cuisine orne une cuisine, mais pas n’importe laquelle : la cuisine personnelle où « travaillait » le Régent. Dans les peintures ornant les salles à manger de Versailles et de Fontainebleau, le message noté est marqué par le reflet de l’attitude des convives et la volonté d’inciter le spectateur en érigeant des œuvres comme des modèles, des archétypes. Concernant les natures mortes de Desportes, la nature du sujet change la teneur du message qui ne concerne plus le comportement des personnages, mais seulement les victuailles d’une cuisine. Le message qui ressort reflète le goût du commanditaire (destinateur-destinataire) pour ce genre de mets consommés (et dans un sens plus large le goût pour la chasse dont Desportes, avec Oudry, est l’un des peintres les plus représentatifs), mais aussi la volonté, par une mise en scène esthétique, d’exciter les sens, dont la vue est le premier sollicité.
Mises en abyme des goûts
45Les repas ne sont pas que des actes quotidiens de la vie à la cour. Ils font partie des loisirs aristocratiques du xviiie siècle. La consommation de boissons exotiques en famille ou en société et les repas en plein air, qu’ils soient ou non liés à la chasse, trouvent une place de choix dans les activités quotidiennes du roi, de sa cour et de l’aristocratie de façon générale, ainsi que dans l’iconographie commandée par ces mêmes personnes. Si le roi est l’un des commanditaires de ce genre de figurations, d’autres personnages aiment à les posséder et à les observer. La famille de Bourbon-Conti, branche cadette des Bourbons, incarne aussi ces amusements aristocratiques. Des membres de cette famille ont commandé, à près de trente ans d’intervalle, deux ensembles concernant les représentations de loisirs aristocratiques : les tableaux de la Petite Singerie de Chantilly (1735) et ceux du salon du château de l’Isle-Adam (1766).
La Petite Singerie de Chantilly : une mosaïque amusante et satirique des plaisirs de la « cour » du duc de Bourbon
46La Petite Singerie du château de Chantilly a été peinte en 1735, certainement par Christophe Huet, pour le duc de Bourbon32. Cette série de peintures est composée de six tableaux mettant en scène, non pas des hommes mais des singes, dans des activités récréatives de la vie quotidienne humaine. Ces panneaux représentent la Toilette, le Bain, la Promenade en traîneau sur les étangs gelés, le Jeu de cartes, la Cueillette des cerises et la Halte de chasse (ill. 21)33.
47Ce dernier tableau est intéressant puisqu’il représente une collation de chasse. La scène est entourée d’un décor relativement réduit d’arabesques auquel se mêlent les attributs d’une scène de chasse : dans la partie supérieure du décor on peut voir un trophée composé d’une tête de cerf à laquelle pendent divers objets utiles à tout chasseur (cors, fusil, gibecière, chapeau). Ce trophée rappelle la scène qu’elle surmonte et qui représente deux « femmes-singes » assises en amazone sur des chevaux qui arrivent au lieu de rendez-vous du repas. Sur la table se trouvent les apprêts d’un repas (bouteilles, verre, pain). Cet endroit est l’une des « tables » qui existaient dans la forêt de Chantilly, dont la plus connue est celle qui est appelée tout simplement « La Table ». Les témoignages confirment l’existence de ces lieux de rendez-vous. Ainsi, le Mercure mentionne des chasses durant lesquelles une halte est faite en ce lieu. En août 1721, l’ambassadeur turc et son fils sont présents à Chantilly où ils participent à une chasse durant laquelle les chasseurs s’y arrêtent :
Après le repas on alla au rendez-vous de Chasse à la Table : près de là le Cerf fut lancé ; l’Ambassadeur suivit la Chasse en Caleche, & son fils à cheval ; ce jeune Turc pique parfaitement bien. Le Cerf se laissa prendre aux Etangs : on en courut un second qui fut pris à la porte de la Menagerie. En repassant par la Table les Chasseurs trouverent une belle Collation, où l’on prodigua les liqueurs & les eaux glacées34.
48L’année suivante, lors de son voyage à Reims pour y être sacré, Louis XV effectue un séjour à Chantilly durant lequel il participe à une chasse où
Le rendez-vous étoit au lieu nommé la Table, qu’on dit être justement le milieu de la forêt de Chantilly. Cette Table, qui peut servir à des Altes de chasse, fait le milieu d’une étoile, d’où partent douze grandes allées à perte de vûë, toutes de près d’une lieuë de longueur35.
49Ce lieu de rendez-vous, ainsi que les autres « tables », comme on les appelle, de la forêt de Chantilly, est utilisé durant tout le xviiie siècle. Ainsi, lorsque Dezallier d’Argenville publie en 1779 ses Voyages pittoresques des environs de Paris, il décrit « la Table » d’une manière quasiment identique à celle du Mercure, ainsi qu’un autre lieu de rendez-vous :
La forêt de Chantilly contient sept mille six cens arpens. Au milieu est une grande place ronde, nommée la Table, qui sert à des haltes de chasse, & qui fait le centre d’une étoile d’où partent douze allées de près d’une lieue de longueur. Elle est, dit-on, l’ouvrage du Connétable de Montmorency, ainsi que la principale avenue en face du château, appelée la route du Connétable, qui aboutit à un carrefour où se rendent huit allées. Au milieu est une table ronde, plus petite que la première36.
50Quelle que soit la table représentée par Huet, il est certain que ce que l’auteur a voulu montrer est une activité courante ayant lieu dans le château.
51Cette représentation de la vie quotidienne est incarnée par des singes, ce qui donne à ce tableau, et aux autres compositions de la Petite Singerie, un caractère ludique et satirique. La présence de singes en lieu et place d’êtres humains entraîne une variation de l’interprétation. L’analyse de ce procédé se fonde sur l’une des règles appartenant à l’analyse structuraliste : la règle de commutation. La commutation, en linguistique, sert à vérifier si l’introduction d’un changement dans le signifiant entraîne un changement dans le signifié (que l’on change une lettre ou un mot). Ici, on peut étudier la singerie de Huet selon cette même perspective. Si les singes avaient été des hommes (changement dans le signifiant), l’interprétation de la série peinte (signifié) aurait-elle été la même ? La réponse est évidemment négative. De fait, la représentation d’humains aurait eu comme conséquence interprétative la simple imitation d’une activité de la vie courante, un effet de miroir avec comme principale et récurrente question : la nature imitative de l’œuvre prédomine-t-elle sur l’intention incitative ou inversement ? Dans la Petite Singerie, si cette question peut être posée, elle n’est pas primordiale. La présence de ce qu’on pourrait appeler des « singes humanisés » entraîne plutôt une interprétation amusante, parodique et critique de l’œuvre et de la série dans son ensemble. Les singes, habillés à la mode de l’époque, adoptant les mêmes comportements et attitudes que les gens de qualité de cette première moitié du xviiie siècle, remettent dans une perspective caricaturale les loisirs dont jouissent les aristocrates : ces activités semblent futiles, grotesques. À travers cette commande, le duc de Bourbon, en quelque sorte, se moque de lui-même et de « sa cour ». Cependant, cette série contenant une interprétation parodique et satirique ne peut être présentée à la vue de tout le monde. La Petite Singerie doit être destinée à un public restreint qui nécessite une certaine intimité. Elle s’adresse donc à des spectateurs avertis, capables de s’amuser d’eux-mêmes sans pour autant s’humilier.
52Cette interprétation ludique d’une scène de la vie quotidienne correspond aux goûts de l’époque pour le décor de singeries que l’on voit fleurir ça et là. Elle coexiste cependant avec des œuvres dont le message est plus ou moins sérieux (par exemple les tableaux peints pour les salles à manger de Fontainebleau et de Versailles), du moins plus humanisé.
Le salon du Château de l’Isle-Adam : une reconstitution des loisirs aristocratiques du xviiie siècle
53Si le salon du Château de l’Isle-Adam ne présente pas de nouveauté particulière quant à son interprétation liée aux effets de miroir, il présente un intérêt supplémentaire.
54Ce salon est orné de peintures commandées par Louis-François de Bourbon, prince de Conti, à Michel-Barthélémy Ollivier en 1766. Ces tableaux, aujourd’hui conservés au château de Versailles, sont au nombre de quatre et représentent diverses scènes. Deux d’entre elles sont liées au thème de la chasse et représentent une Hallali au cerf et la Collation offerte en 1766 par le Prince de Conti au prince héréditaire de Brunswick-Lunebourg en forêt de Cassan à l’Isle-Adam (ill. 9). Les deux autres peintures d’Ollivier représentent le Thé à l’anglaise dans le salon des quatre glaces au Palais du Temple en 1766 à Paris (ill. 8) et le Souper du Prince de Conti au Temple (ill. 22).
55La collation dans la forêt de Cassan à l’Isle-Adam (ill. 9) est un repas de chasse : les cors, les fusils et les chiens au premier plan le montrent. Ce repas se déroule en extérieur au rond-point de la Table37. Une grande table rectangulaire, recouverte d’une nappe blanche sur laquelle sont disposés accessoires et mets, est abritée sous une tente. Parmi les personnes attablées se trouve le prince de Brunswik-Lunebourg38. Tous discutent, s’amusent avec un animal ou participent à la collation : l’un des personnages masculins tient une tasse et sa sous-tasse. Ce rapprochement, cette familiarité entre les personnages montre, si ce n’est une absence, du moins une simplification de l’étiquette. Par-delà l’événement décrit, l’artiste représente une scène de la vie courante : les voyages du prince de Conti à l’Isle-Adam sont la résultante d’une passion liée à la cynégétique. Les haltes de chasse dans cette forêt et à cette « table » sont donc fréquentes. Ce tableau n’est pas le seul de la série à représenter un événement précis. En effet, et selon toute logique, la chasse au cerf qui a eu lieu lors du voyage du prince de Brunswik-Lunebourg est peinte par Ollivier. L’artiste illustre à travers ces deux tableaux une journée particulière.
56Cette commémoration d’un événement est également présente dans le Thé à l’anglaise dans le salon des quatre glaces au Palais du Temple en 1766 à Paris (ill. 8). L’œuvre montre une assemblée de personnes de qualité en train de prendre le thé, à l’anglaise, et écoutant les musiciens jouer. Parmi eux, se trouve un enfant jouant du clavecin, qui n’est autre que Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) ; en 1766, le jeune prodige effectue son second voyage en France. Si, là encore, cette œuvre dépeint un événement qui s’est réellement déroulé chez le prince de Conti, au-delà de l’aspect historique, c’est une scène courante qui est représentée : la « cour du Temple » a l’habitude de se réunir avant le souper et d’écouter un concerto39.
57Les soupers qui se déroulent au Temple ont lieu chaque lundi. Ollivier présente l’un d’eux (ill. 22) où l’on peut voir deux tables : l’une dans l’alcôve qui est la table princière (à laquelle sont attablés les convives sur trois côtés seulement) et l’autre qui réunit d’autres personnes de qualité et des musiciens. Ces soupers se déroulent à la clochette, c’est-à-dire que l’on sonne les domestiques lorsque l’on en a besoin.
58Ces deux aspects, le mélange des convives et la raréfaction voire l’absence des domestiques, marquent une certaine intimité dans ce groupe. Bien que le nombre de convives puisse être élevé, on assiste ici à la représentation d’un repas en petit comité. De plus, la réunion de ces invités crée un moment de sociabilité : ces personnes, appartenant à un groupe, se rassemblent pour un temps autour d’une table afin d’y passer un agréable moment.
59Là encore, l’artiste dépeint la même journée en deux tableaux : il illustre ces moments de façon autonome, ce qui constitue une nouveauté par rapport aux œuvres en effets de miroir que l’on a pu voir. Comme pour une pièce de théâtre, l’action est divisée en tableaux.
60Cet ensemble décoratif est un « cycle » peint en effets de miroir : les peintures reflètent ce qui se passe ponctuellement ou quotidiennement chez le prince de Conti. Les notions de sociabilité et d’intimité transparaissent : le cercle de convives est plus ou moins réduit, les domestiques sont souvent absents et les œuvres sont destinées à un salon privé, donc à un public restreint. Elles dépeignent également, de façon fractionnée, les activités qui se déroulent dans les deux résidences de Louis-François de Bourbon : la consommation de boissons exotiques (par un cercle de personnes de qualité), un repas en plein air, qui est ici un repas de chasse, et un souper intime qui se déroule dans les appartements privés du prince.
L’omniprésence de la cynégétique : reconstitution des salles à manger du château de Choisy
61La reconstitution d’un repas dans les salles à manger du château de Choisy, qui est par essence une résidence liée à la cynégétique, est particulièrement édifiante. Malgré l’importance des repas consommés par le roi, sa (ses) maîtresse(s) et quelques courtisans, l’iconographie n’en conserve aucune représentation. Pourtant, une reconstitution peut être réalisée grâce à des témoignages indirects à travers des descriptions plus tardives des lieux, des objets de table conservés et, bien sûr, les menus exécutés uniquement pour cette résidence de villégiature.
62Le château de Choisy, qui a été construit en 1680 par Jacques II Gabriel pour la duchesse de Montpensier, a été acheté en 1739 par Louis XV pour sa maîtresse Madame de Mailly. La salle à manger du « Grand Château40 », relate Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville dans ses Voyages pittoresques des environs de Paris, « est ornée de six vues des Maisons Royales, exécutées par Martin et d’un très-grand plan de la forêt de Senaar41 ». En réalité, cette décoration a été réalisée en deux temps. Tout d’abord, Pierre-Denis Martin a exécuté les dessus-de-porte représentant des vues de Versailles, du Grand Trianon, de Marly, de Meudon, de Chambord et de Fontainebleau. Ces tableaux ornaient déjà la salle à manger lors de son acquisition par Louis XV, qui décide d’agrandir l’aile Conti (en 1741-1742) dans laquelle se trouve la salle à manger et en modifie la décoration. Il conserve les tableaux de Martin et en commande deux autres, l’un à Oudry, figurant la forêt de Sénart et l’autre à Marin, montrant la forêt de Rougeau. Quant à la salle des Buffets, qui est contiguë à la salle à manger, sa décoration originelle est composée d’animaux et de fruits. Là encore, une modification intervient et Dezallier d’Argenville la décrit ainsi :
On voit dans la salle des buffets un tableau de dix pieds, peint par Oudry. Il représente une fontaine vue par l’angle, avec des pampres qui s’étendent dessus, & dans le bas un sanglier & un chevreuil : d’un côté un barbet qui surprend un héron dans des roseaux, de l’autre, deux chiens couchans, un faisan & un liévre attachés, & dans le coin des paniers remplis de gibier. Les dessus de porte de ce côté-ci sont de la même main, ainsi que les portraits de deux chiens couchants faits d’après nature. Vis-à-vis, est un autre morceau de la grandeur du premier, peint par Desportes, et représentant un cerf aux abois. On voit sur les portes deux tableaux du même, où sont des oiseaux des Indes42.
63Vers 1754-1757, afin de retrouver une intimité perdue par la multiplication des courtisans dans le « Grand Château », Louis XV fait construire un petit château, un pavillon, le « Château Neuf » dans lequel il logera très souvent. Dans ces nouveaux appartements se trouvent deux salles à manger, dont l’une est celle de la table mouvante. L’autre « offre deux grands tableaux de M. Bachelier ; savoir, un ours de Pologne, arrêté par des chiens de forte race, & un lion d’Afrique combattu par des dogues43 ». Il est à noter que les peintures de chasse ne sont pas réservées aux seules salles à manger. En effet, dans le « Château Neuf », ce sujet est également présent dans les chambres à coucher du roi et de Madame de Pompadour ainsi que dans d’autres pièces, notamment dans
Un pavillon donnant sur la cour [qui] renferme un joli appartement. On voit dans la chambre à coucher deux ovales de Desportes, représentant du gibier, & au-dessus de la glace placée sur la cheminée un tableau d’Oudry : c’est le portrait d’un daim étranger, moucheté de blanc, peint, dit-on d’après nature à la ménagerie de Versailles44.
64Avec la description donnée par Dezallier d’Argenville, on constate une fois de plus à quel point le roi aime à s’entourer d’œuvres qui lui rappellent la vénerie. Ceci est vrai pour le château de Choisy mais l’est également pour les autres maisons royales45.
65Si la chasse tient une place tellement importante dans la décoration du château de Choisy, c’est qu’elle est présente dans la vie quotidienne des résidents. De fait, l’activité de la chasse se déroule presque tous les jours et elle est omniprésente sur la table, et ce de plusieurs manières.
66Tout d’abord, l’alimentation utilise quelquefois les produits de la chasse ; les hécatombes sont souvent le fait des chasses de Louis XV dans ses diverses résidences royales et la consommation immédiate du gibier est la première des utilisations, qu’il soit à la table du roi, à d’autres tables ou revendu aux regrattiers46. Les chasseurs font preuve d’une émulation ; la « course aux records » et les hécatombes sont par ailleurs synonymes d’abondance. Le menu du souper du mardi 16 août 1746 indique au demeurant, pour des plats de rôt, la consommation de perdreaux et de cailles « de la chasse du Roy ».
67Ensuite, la décoration de la table comporte, sans doute aucun, des accessoires de table liés à la chasse. Même si l’on ne conserve pas de témoignage direct de ce genre d’accessoires utilisés pour la table du roi au château de Choisy, l’existence d’une vaisselle dont le sujet est la cynégétique (réalisée pour le roi, pour d’autres souverains, mais également pour des aristocrates) est attestée par certaines pièces conservées. Durant tout le xviiie siècle, divers objets (dont principalement des terrines), d’orfèvrerie ou de céramique, sont zoomorphes ou ornés de sujets de chasse. Cependant, l’accessoire le plus caractéristique est le surtout ou le dormant. Il s’agit d’un accessoire quelquefois appelé, dans les sources, « machine » qui prend sa place au milieu de la table et qui reste durant tout le repas. Il existe toutefois quelques variations, d’un point de vue théorique, entre les deux objets. Dans la pratique, il peut être difficile de les différencier. Gilliers, dans Le Cannaméliste français explique que le surtout
Est une machine d’argent que l’on met dans le milieu d’une table pendant tous les services : on la garnit ordinairement d’huiliers, de sucriers, de citrons & de bigarades47.
68Le Dictionnaire de Trévoux, dans son édition de 1752, explique que le surtout est
une piéce de vaisselle d’argent, ou du moins de cuivre doré, que l’on sert sur la table des Grands, & où l’on place le sucrier, le poivrier, le vinaigrier, les salières, le fruit. Le surtout a aussi plusieurs bobêches à proportion de sa grandeur, dans lesquels on place des bougies48.
69En 1749, Roëttiers a réalisé un surtout qui est décrit par le duc de Luynes :
Le roi a vu ces jours-ci un ouvrage du Sieur Roettiers, orfèvre fameux, que l’on dit extrêmement digne de curiosité. C’est un très-grand surtout d’argent pour l’électeur de Cologne. L’électeur a mandé à Roettiers qu’il avoit pris un cerf sur la maison d’un paysan, et ne lui a pas marqué d’autre détail ; il a dit qu’il désiroit que cette chasse fut représentée dans un surtout ; Roettiers a composé un dessin admirable. Le milieu du surtout représente la chasse de cerf, autant dans le vrai qu’elle peut être dans un ouvrage d’orfèvrerie ; les deux côtés représentent deux autres chasses. Le même ouvrier a fait, pour accompagner ce surtout, quatre flambeaux, qui sont quatre chênes parfaitement bien exécutés. Il a dit au Roi que le surtout et les flambeaux étoient du prix de 10 000 écus, seulement pour la matière et le contrôle, et qu’il en demandoit 2 000 louis de façon49 ».
70En 1734-1735, Roëttiers avait déjà réalisé un surtout pour le duc de Bourbon, aujourd’hui conservé au musée du Louvre (ill. 23). Le sujet principal en est également une chasse : les pieds sont constitués par des têtes de sanglier qui supportent un plateau où se trouvent deux animaux, dont un loup, la patte gauche prise dans un piège. Dans la partie supérieure, on assiste à une chasse au cerf, avec un chien et le cerf sur le point de s’affronter. Le dormant a la même fonction que le surtout, mais il est monté à l’office à l’aide de jattes, gobelets, et autres. C’est un objet caractéristique de l’art éphémère qui est dressé pour chaque repas et en partie détruit par la suite. Il s’inspire de la sculpture et de l’art des jardins. On se servait de figurines de porcelaine, que l’on pouvait réutiliser, pour les décorer. Ces figurines de porcelaine, souvent de Saxe ou de Sèvres, présentent des chasseurs isolés ou des groupes et des scènes de chasse50. Lors d’une exposition, « La table du chasseur », qui a eu lieu au château de Chambord en 2002, une table a été reconstituée (ill. 24) sur laquelle est placé un milieu de table. Celui-ci est constitué d’un plateau en porcelaine assorti au reste du service (assiettes, saucières, corbeilles, etc.) sur lequel sont disposées des corbeilles de fruits (une sur chaque côté) entre lesquelles des biscuits représentent des scènes de chasse. Accessoires et figurines se reflètent sur la glace qui recouvre le plateau. Cette décoration est donc exclusivement inspirée d’un sujet à caractère cynégétique. Aussi, l’existence et l’utilisation de tels objets confirment l’hypothèse selon laquelle ce type de décor orne la table du roi à Choisy, et même plus à Choisy que dans certaines autres résidences, puisque c’est un lieu de rendez-vous de chasse. Notons cependant que la décoration d’une table dont les sujets sont liés à la chasse n’est pas nouvelle. En octobre 1600, c’est-à-dire plus d’un siècle avant le règne de Louis XV, la table du mariage d’Henri IV et de Marie de Médicis présentait déjà ce type de décoration51. Cependant, c’est un exemple isolé et la décoration de chasse sur une table ne se développe qu’à partir du xviiie siècle.
71Enfin, un dernier aspect de la décoration de chasse sur la table au château de Choisy en fait une exception par rapport aux autres résidences royales (comme Compiègne ou Fontainebleau) : les menus. Comme on l’a vu, la décoration de ces menus est variée et parmi les différents sujets, une place est accordée à la chasse : onze menus et deux logements présentent ce sujet sur les menus conservés entre 1745 et 1755 avec une nette prédominance pour l’année 175152. Rappelons que les menus représentant des scènes de chasse de cette année-là sont réalisés sur le même modèle : le menu est entouré d’une décoration végétale au milieu de laquelle sont présentées des chasses, de cerf ou de sanglier généralement. Dans le menu du souper du lundi 21 juin 1751 (ill. 12), en haut et en bas de la décoration, se déroulent deux chasses au sanglier. Les chiens se précipitent sur les sangliers et les chasseurs portent des lances, des cors de chasse ou tirent sur leurs proies. Les décorations liées à la cynégétique des menus des autres années sont en fait des trophées. Ainsi, la décoration du menu du 4 septembre 1755 présente, dans sa partie inférieure, une tête de cerf et, sur les côtés pendent des lances, fusils, cors de chasse et animaux morts. Un menu, plus « exotique », est lié à la chasse mais sans présenter de scène de chasse ou de trophées comme dans le menu précédent. Il s’agit du souper du 6 avril 1745 dont le support est un trophée à lui seul : il représente une peau de lion tendue sur laquelle le menu est inscrit.
72Le château de Choisy est un exemple permettant d’appréhender, d’une façon plus générale et harmonieuse, les effets de miroir. Le sujet est ici traité différemment : les scènes sont des chasses et non des repas. Le roi et sa cour baignent dans cet univers où la cynégétique est omniprésente ; ils sont entourés de tout ce qui rappelle la passion de Louis XV. Le château de Choisy est, en réalité, l’archétype d’une résidence de chasse dans son ensemble, c’est-à-dire dans toutes ses formes (alimentaires et artistiques) : décoration murale, déroulement de la chasse, gibier tué, cuisiné et servi à la table du roi et décoration de la table (accessoires et menus). On assiste à des jeux d’échos et de miroir et à des changements d’échelle entre œuvres de grand et de petit formats : la résidence est centrée sur la cynégétique, la décoration murale et la table (aliments et objets), le sont aussi.
73Les effets de miroir, encore une fois, rythment la table et les repas. Ceci est d’autant plus marquant lorsque la décoration du lieu est en rapport avec le repas qui se déroule dans ce même lieu. Ceci est également à prendre en considération car un lien existe entre la décoration du lieu et la forme de la table. La table est elle aussi marquée par ce jeu de va-et-vient dans tous ses aspects. Dans le cas du château de Choisy, on assiste à une concordance parfaite, à une harmonisation de tous ces éléments. Les allusions à la chasse sont omniprésentes, de la décoration du lieu aux menus, chaque partie fait écho à une autre, et cet ensemble est voulu comme une multitude de miroirs se reflétant les uns les autres à l’infini.
Mises en abyme des mentalités
74Parmi les décorations des résidences royales, les peintures de la petite salle à manger de l’appartement de Louis XV à Fontainebleau et le cabinet du roi à La Muette présentent un intérêt particulier. Bien que faisant partie d’un programme décoratif d’ensemble, deux tableaux sont des figurations de repas qui étaient destinées à des pièces par la suite détruites et qui aujourd’hui ont disparu ou ont été déplacées. Ces œuvres ont des points communs : elles ont été réalisées pratiquement en même temps, à seulement un an d’intervalle (1737 et 1738). Elles ont été peintes par le même artiste, Nicolas Lancret, et les personnages sont issus d’un milieu autre que celui de la cour.
La petite salle à manger de l’appartement du roi à Fontainebleau (1737) : variation sur le thème du repas de noces
75Lors du réaménagement du château de Fontainebleau, à la suite d’un projet décidé en 1735, l’appartement du roi a été doté de deux salles à manger : la grande salle à manger (dite également salle des Buffets) et la petite salle à manger qui lui est contiguë53. La décoration de la première a déjà été étudiée précédemment, c’est donc la décoration de la seconde qui nous intéresse ici. En effet, pour cette pièce, le roi a commandé des dessus-de-porte à Charles Natoire (une Fontaine où plusieurs personnes viennent se reposer et la Pêche) et à François Boucher (Deux femmes, l’une portant un panier, l’autre des poissons) ainsi qu’un tableau de plus grandes dimensions à Nicolas Lancret. Comme l’indique le livret du Salon, il a été présenté durant cette exposition en 173754.
76Ce tableau, aujourd’hui disparu55, est une Nopce de village :
Le curé à table avec la jeune mariée, semble luy donner des leçons ; Charpentier, excellente musette, au coin de la table joüe de son instrument pour y faire danser un berger et une bergère sur un fond de paysage ; ayant de hauteur 7 pieds un pouce sur 5 pieds un pouce ; cintré haut et bas56.
77Si l’on ne conserve pas le tableau de cette Nopce de village, on peut avoir une idée de sa composition grâce à deux tableaux. En effet, même si leur forme est différente, on en conserve une version au musée d’Angers (ill. 25) et l’autre à Waddesdon Manor. Dans la première version, au premier plan à droite, des personnages sont en train de danser. L’homme tient dans sa main droite une bouteille. Au centre de la composition, plusieurs personnages, assis ou debout, sont autour d’une table dressée. Sur l’un des côtés, une femme, assise sur un banc en bois, tourne le dos au spectateur. Les autres convives sont principalement assis en face d’elle. À côté des mariés se trouvent, d’une part, une jeune femme et le prêtre qui a célébré la bénédiction nuptiale et qui discute avec la mariée ; de l’autre sont placés trois convives, dont un lève son verre et va boire à la santé des mariés. À gauche, un personnage joue d’un instrument de musique. Derrière lui, un homme tente d’embrasser une jeune fille, mais il est retenu par une femme qui le tire par les épaules. Dans cette œuvre, l’artiste semble s’intéresser à l’attitude des personnages plus qu’au repas lui-même. Les accessoires et les mets ne sont pas aisément identifiables. On distingue des assiettes et des plats, peut-être en argent ; quant aux boissons et aliments, certains verres sont remplis de vin rouge et un plat contient des fruits. Au premier plan, à gauche de la composition, on peut noter des assiettes jonchant le sol, dont certaines contiennent des reliefs du repas.
78Dans cette œuvre se trouve également une représentation d’assiettes jetées à terre, véritable topos de ce début du xviiie siècle que l’on retrouve dans d’autres œuvres, comme en témoignent les assiettes brisées du Déjeuner de jambon (ill. 1) de Nicolas Lancret57. La littérature romancée, notamment les romans libertins, présente également ce topos. Godard d’Aucour, dans Thémidore ou mon histoire et celle de ma maîtresse, relate un repas dans lequel
Une heure se passa à badiner, à faire partir les bouchons, et à casser des verres et quelques porcelaines. C’est le goût des femmes de condition : depuis le départ des officiers pour l’armée, elles font les petites-maîtresses et se plaisent dans les soupers où l’on fait carillon ; elles trouvent un esprit infini à briser un miroir ou une table, ou à jeter des chaises par les fenêtres58.
79Dans cette toile de Nicolas Lancret, la notion de libertinage est omniprésente au travers de plusieurs éléments. Tout d’abord, le sujet du tableau laisse déjà supposer un certain laisser-aller des personnages, principalement du point de vue des attitudes. Ensuite au premier plan à gauche de la composition, deux chiens, qui semblent manger les restes du repas, se trouvent à côté de plusieurs assiettes qui jonchent le sol. Cette image se retrouve d’ailleurs dans La collation de Jean-Baptiste Pater, ce qui peut en faire un topos. Dans le Déjeuner de jambon (ill. 1), de Nicolas Lancret, les assiettes en faïence ou en porcelaine sont, quant à elles, cassées. Enfin, l’ivresse et la présence de couples accentuent cette notion. Il est à noter que dans un grand nombre d’œuvres, les repas dans lesquels se retrouve un certain libertinage sont souvent des repas galants.
80La seconde version conservée à Waddesdon Manor, est plus large que haute et sa composition est inversée ; elle présente des variantes plus ou moins importantes par rapport au premier tableau. Au premier plan, à droite, des personnages sont assis à même le sol en lieu et place des assiettes jetées par terre. Les attitudes des convives varient et la table à laquelle sont assis les invités est dressée sous une étoffe tendue entre deux arbres.
81La comparaison entre ces deux versions est intéressante quant à son interprétation. Ces œuvres, comme celles de la Petite Singerie de Chantilly, peuvent être étudiées à partir de la règle de commutation. Ici, les variations iconographiques (signifiant) ne changent pas totalement mais entraînent une variation iconologique (signifié). Le tableau conservé à Angers est marqué par la galanterie et le libertinage qui transparaissent à travers les divers couples dansant, se regardant, s’embrassant et ces aspects sont renforcés par la présence des assiettes qui jonchent le sol. Le tableau conservé à Waddesdon Manor, s’il montre également des couples, présente une interprétation moins libertine : l’allusion au plaisir érotique est moins affichée, elle est plus discrète. En revanche un aspect est mis en relief de façon plus appuyée : la consommation des repas en plein air d’un usage fréquent à cette époque. Les personnages assis par terre et l’étoffe tendue entre les arbres en sont la preuve. La présence de cette étoffe est un rappel des tentes que l’on peut utiliser lors de repas pris en extérieur dont on conserve les témoignages (iconographiques ou écrits). À travers ces œuvres, on observe que si le thème est le même, la façon dont il est traité par l’artiste et les variations iconographiques entraînent une interprétation dirigée vers un aspect plutôt que vers un autre.
82Si le tableau réalisé pour la petite salle à manger de Fontainebleau a disparu, on peut certainement le rapprocher de la version du musée d’Angers plutôt que de celle de Waddesdon Manor d’après la description qu’en donne Engerand qui parle d’un curé discutant avec la mariée et d’un joueur de musette au coin de la table. Bien que sa forme soit différente, c’est-à-dire cintrée en haut et en bas et non pas rectangulaire, la composition est proche et varie peu. Il pourrait s’agir du modello servant à la composition du tableau de Fontainebleau. Ceci paraît d’autant plus probable que la touche de Lancret est rapide, vive. De fait, contrairement aux peintures qu’il exécute habituellement, dans ce tableau, on note que l’attention portée aux mets et aux accessoires n’est pas aussi précise qu’elle l’est par ailleurs, ce qui aurait tendance à confirmer cette hypothèse.
83Ces deux versions ont un pendant, le Cortège de fiançailles (appelé également la Danse de noces ou la Danse de village), ce qui n’est pas le cas du tableau original. Ceci donne à penser que la version réalisée pour le roi est comme « extraite » pour être insérée dans un autre ensemble. Aussi, ce qui semble ressortir de l’œuvre sont les aspects champêtre, pastoral et galant figurant dans cette salle à manger.
Le cabinet du roi à La Muette (1738) : un déjeuner champêtre ou une « allégorie de cour » ?
84Présentée au Salon de 1738, la série peinte pour le cabinet du roi au château de La Muette est un ensemble de quatre tableaux représentant les quatre saisons59. Dans cette série, l’œuvre qui présente un intérêt pour notre sujet est la représentation de l’Automne (ill. 26).
85La scène se situe dans une forêt. À gauche, le paysage se déploie dans le lointain. Quelques personnages se trouvent derrière l’homme accompagné d’un âne. Au premier plan, la composition pyramidale met en valeur le groupe de personnages, installé autour de la nappe, dont la femme, debout, constitue le sommet ainsi que le centre du tableau. À droite, un couple parle et se désintéresse de la scène principale. Cette dernière, centrée sur le repas, est constituée principalement d’un homme et de deux femmes. Tandis que les personnages situés à gauche et à droite de la nappe s’intéressent à ce qui est posé sur celle-ci, le troisième est dans une attitude passive. Sur cette nappe de dimensions moyennes sont posés un certain nombre d’accessoires et de mets. On peut voir la présence d’assiettes plates, d’un accessoire qui peut être un rafraîchissoir, des gobelets et un plat. Cette vaisselle de table est en métal. Concernant les mets, notons des morceaux de pain ainsi qu’une pâtisserie dans le plat disposé au centre de la nappe. À droite, une assiette contient un mets et à côté se trouve une grande bouteille remplie de vin. Dans cette œuvre comme dans beaucoup d’autres de sa production, Nicolas Lancret accorde une attention particulière au repas grâce à la composition, à l’agencement des personnages, à la lumière et à l’opposition des couleurs. Les couleurs sombres des vêtements des personnages et du repas contribuent également à le mettre en valeur ; la nappe blanche étalée avec soin, les accessoires et les mets peints avec précision sont un lieu commun chez l’artiste.
86De la même façon qu’il met en scène des villageois dans le Repas de noces (ill. 25), Lancret utilise, pour cette œuvre, des personnages d’un rang qui n’est pas celui des personnes qu’il figure habituellement : les vêtements sont ainsi moins riches. Dans cette œuvre, l’âne remplace les chevaux, les costumes sobres remplacent les habits luxueux et les villageois prennent la place des aristocrates. Le choix de représenter un milieu moins élitiste est en partie dû au fait que ces tableaux étaient destinés à un public restreint : le roi et quelques rares privilégiés. La salle à manger de Fontainebleau n’est pas une salle à manger d’apparat et le cabinet du roi de La Muette est une pièce que l’on pourrait qualifier d’intime qui n’est pas non plus censée posséder une fonction officielle.
87À travers l’Automne (ill. 26), ressortent la notion de galanterie et le goût pour le repas en plein air. Ce repas est un repas champêtre mais, dès l’origine, il est commandé afin de représenter l’une des quatre saisons. C’est donc une sorte d’allégorie, mais une allégorie civile et contemporaine. En effet, l’artiste utilise une activité de la vie quotidienne dont les personnages sont, pourrait-on dire, costumés, déguisés en villageois en dépit de la présence d’accessoires en matériau riche. Nicolas Lancret utilise là un détour allégorique « païen » pour représenter une scène habituelle de cour dans laquelle le roi et ses commensaux peuvent se retrouver.
88Ces tableaux de Lancret sont donc empreints de la vie de cour : les attitudes des personnages, bien qu’ils soient d’un rang inférieur, sont identiques, les accessoires et les mets sont ceux utilisés et consommés à la cour, les repas sont des repas en plein air et la notion de galanterie, voire de libertinage, est présente. Lancret utilise les personnages populaires pour représenter les repas intimes de la cour. Ces repas populaires s’inspirent des aristocrates, de la cour, alors que plus tard (avec Greuze notamment) ils vont refléter l’idée que les aristocrates se font d’une certaine « bourgeoisie », ce qui est dû à un changement du public. Lancret est un peintre du roi, de la cour et il représente les personnes qui lui commandent les œuvres, même d’une façon détournée. Le reflet des œuvres délivre le message suivant : voici ce que vous êtes ou ce que vous faites, la façon dont vous vous percevez et l’opinion que vous avez de vos habitudes et attitudes. Les œuvres reflètent les comportements, les attitudes, les goûts, les pratiques alimentaires des convives spectateurs. Mais à cela s’ajoute la question de la place et des influences d’autres formes artistiques : danse, théâtre, littérature qui n’ont pas un moindre ascendant sur les représentations.
Notes de bas de page
1 Jean Cordey, Inventaire des biens de Madame de Pompadour, rédigé après son décès, Paris, 1939.
2 Louis Courajod, Livre-Journal de Lazare Duvaux marchand-bijoutier ordinaire du Roy, 1748-1758, Paris, 1873.
3 La publication n’est pas complète. En effet, il est quelquefois précisé que les meubles et objets présents dans une pièce ne possèdent pas beaucoup d’intérêt et ne sont donc pas mentionnés par Cordey.
4 C’est le même principe qui se retrouve dans l’inventaire après décès de la marquise sans le nom de l’acquéreur ni, selon toute logique, la date d’achat.
5 Dans l’inventaire des biens de la couronne de Louis XIV, on trouve des « assietes d’entremets » ou des « assiettes pour les ragoûts ». Jules Guiffrey, Inventaire du Mobilier de la Couronne sous Louis XIV (1663-1715), Paris, 1885. Dans l’inventaire des biens de Louis XV (conservé aux Archives nationales) on trouve des « assiettes potagères ».
6 Ainsi, on trouve dans l’hôtel de Pompadour à Paris « Huit tasses, huit soucoupes, une boete à sucre, un pot à lait, une teyere garnye d’or. Prisé deux cens soixante livres. »
7 Gilliers, Le Cannameliste français ou nouvelle instruction pour ceux qui désirent apprendre l’Office, rédigé en forme de dictionnaire, contenant les Noms, les descriptions, les usages, les chois, & les principes de ce qui se pratique dans l’Office. Par le sieur Gilliers, chef d’office & distillateur de Sa Majesté le Roi de Pologne, Duc de Lorraine & de Bar, Nancy, chez l’auteur, 1751, p. 24.
8 Dictionnaire de l’Académie françoise, Paris, chez les Libraires Associés, 1765, p. 158.
9 Henry Havard, Dictionnaire de l’ameublement et de la décoration, Paris, Maison Quantin, s. d.
10 Cet emploi imprécis est également à mentionner dans d’autres sources. Le comte Remacle décrit, le 1er juillet 1782 le Salon de compagnie du pavillon de Louveciennes où il remarque sur une table « un petit cabaret ou déjeuner de porcelaine de Sèvres à quatre tasses avec quatre cuillères en or et, autour, six vases d’or : le pot à lait, la théière, la cafetière, deux sucriers d’une contenance d’environ une chopine, et un réchaud aussi en or, le tout travaillé et ciselé, ainsi que les couvercles, avec une recherche artistique de la plus grande beauté. » Comte L. Remacle, Voyage de Paris en 1782. Journal d’un gentilhomme breton, Vannes, 1900, p. 23.
11 Jean Cordey, Inventaire des biens de Madame de Pompadour, op. cit.
12 On peut citer Le bon usage du thé, du caffé et du chocolat de Nicolas de Blégny (1687), l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751-1772) et enfin Gilliers qui, dans son traité, représente un cabaret qui illustre la définition qu’il donne de cet objet (Gilliers, Le Cannameliste français, op. cit.).
13 Déjà, dès le xviie siècle fleurissent, dans le royaume de France, des manufactures de faïence (dont certaines après avoir acquis une renommée dans la faïence s’essayent à la réalisation de porcelaines). Si Louis XV protège la manufacture de Sèvres, les Condé et plus tard les frères de Louis XVI en font de même pour d’autres fabriques. Partout ailleurs en France, on va également assister à une multiplication des manufactures.
14 Duc de Luynes, Mémoires du duc de Luynes sur la cour de Louis XV (1735-1758), Paris, Firmin-Didot, 1860, 17 volumes, tome XII, janvier 1754, p. 129.
15 Marquise de La Tour du Pin, Journal d’une femme de cinquante ans, 1778-1815, Paris, Mercure de France, Firmin-Didot, 2003, p. 82.
16 Quelquefois du sucre pilé se trouvait dans les pots et dans ce cas on utilisait une cuillère.
17 « 430. Un déjeuné de cristal de roche, sur son plateau garny d’or, dans son étui de marqueterie. Prisé six cens livres VIc lt. »
« 464. Un petit cabaret à liqueurs garny de six gobelets, et une bouteille de cristal de roche, sur un plateau de laque, le tout garny d’or. Prisé deux cens cinquante livres IIc L lt. »
« 1347. Un déjeuné sur un plateau de Saxe en mignature, deux flacons couverts, un gobelet couvert, les trois cristal de roche, le tout monté garny d’or, dans une boeste de marqueterie de bois des Indes ; prisé trois cens livres IIIc lt. »
18 Philippe Salvadori, op. cit, p. 249.
19 Louis-Sébastien Mercier, Tableaux de Paris (1782-1783), in Nicolas Rétif de la Bretonne, Les nuits de Paris ou le Spectateur nocturne, Paris, Robert Laffont, 1990, p. 309.
20 Reynald Abad, Le grand marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2002.
21 Béatrix Saule, « Tables royales à Versailles, 1682-1789 », in Versailles et les tables royales, musée national du château de Versailles et de Trianon, 3 novembre 1993-27 février 1994, Paris, Réunion des musées nationaux, 1993, p. 58.
22 Barbier, Chronique de la Régence et du règne de Louis XV (1718-1763) ou Journal de Barbier, avocat du Parlement de Paris, Paris, Charpentier, 1857, p. 209.
23 Louis XV est initié à la cuisine par Lazur dans les appartements de Versailles. Alden R. Gordon (traduit de l’anglais par Jacques Demarcq), « L’influence du marquis de Marigny sur Madame de Pompadour », in Xavier Salmon (sous la direction de), Madame de Pompadour et les arts, musée national des châteaux de Versailles et Trianon, 14 février-19 mai 2002, Kunsthalle des Hypo-Kulturstifung, Munich, 14 juin-15 septembre 2002, National Gallery, Londres, 16 octobre 2002-12 janvier 2003, Paris, Réunion des musées nationaux, 2002, p. 70.
24 Louis Marin, « Corps. La sémiotique du corps », in Encyclopaedia Universalis.
25 Le destinataire peut également concerner les invités, les convives, qui « reçoivent » le message exprimé dans l’œuvre.
26 Ce tableau a aujourd’hui disparu mais on dispose d’une esquisse conservée dans la Wallace Collection de Londres.
27 Ce tableau est le seul de la salle à manger à ne pas représenter une scène de chasse. On peut tout de même noter que les deux repas, de chasse et des grenadiers, sont pris à l’extérieur avec un arbre qui ferme la composition à gauche pour van Loo et à droite pour Parrocel ce qui laisse suggérer un équilibre et une correspondance entre les deux compositions.
28 Jean-Pierre Cuzin, « Le déjeuner de chasse de Jean-François de Troy (1679-1752) peint pour Fontainebleau », in Revue du Louvre, mars 1991, no 1, p. 45-46.
29 Barbier, Chronique de la Régence et du règne de Louis XV (1718-1763) ou Journal de Barbier, avocat du Parlement de Paris, Paris, Charpentier, 1857, janvier 1739, p. 153-154.
30 Ibidem, mai 1740, p. 206.
31 Sabine Coron, dir., Livres en Bouches. Cinq siècles d’art culinaire français du xive siècle à la fin de l’Ancien Régime, Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 21 novembre 2001 – 17 février 2002, Paris, coédition Hermanna, Bibliothèque nationale de France, 2001, p. 178.
32 Christophe Huet est un peintre habitué à représenter ce type de décors. Ainsi, à la National Gallery of Arts de Washington est conservé un dessus-de-porte représentant un Déjeuner champêtre au cours de la chasse mettant en scène des singes en costume d’époque.
33 Chantilly, Peintures xviiie siècle du musée Condé, Paris, Réunion des musées nationaux, 1995, p. 79-80.
34 Le Mercure, août 1721, p. 167-168.
35 Le Mercure, novembre 1722, p. 110.
36 Antoine Joseph Dezallier d’Argenville, Voyages pittoresques des environs de Paris ou Description des Maisons Royales, châteaux & autres lieux de plaisance & autres lieux situés à quinze lieues aux environs de cette ville, 4e édition, Paris, chez Delune l’aîné, 1779, p. 408-409.
37 Xavier Salmon, notice du catalogue dans Versailles et les tables royales en Europe, xviie-xixe siècles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, 3 novembre 1993 – 27 février 1994, Paris, Réunion des musées nationaux, 1993, p. 268.
38 Le prince de Brunswik-Lunebourg effectue un voyage en France entre le 22 avril et le 23 juin 1766 durant lequel il est reçu par le prince de Conti pour une chasse.
39 Mozart a séjourné avec sa famille à Paris du 10 mai au 9 juillet 1766. Le 12 juin, il compose un kyrie destiné à une messe qui restera, en définitive à l’état de projet (numéro 33 selon la classification de Köchel) et qui dure une minute et trente secondes. T. de Wyzewa, G. de Saint-Foix, Wolfgang Amadeus Mozart. Sa vie musicale et son œuvre, Paris, Robert Laffont, Bouquins, 1986 (édition originale, 1936). Bertrand Dermoncourt, dir., Dictionnaire Mozart, Paris, Robert Laffont, Bouquins, 2005.
40 Ce terme de « Grand Château » est celui qui est donné dans les menus pour le distinguer du « Château Neuf ».
41 Antoine Joseph Dezallier d’Argenville, Voyages pittoresques des environs de Paris ou Description des Maisons Royales, châteaux & autres lieux de plaisance & autres lieux situés à quinze lieues aux environs de cette ville,4e édition, Paris, chez Delune l’aîné, 1779, p. 325-328.
42 Antoine Joseph Dezallier d’Argenville, op. cit., p. 325.
43 Ibidem, p. 328.
44 Ibidem, p. 329.
45 On peut prendre quelques exemples. À Compiègne se trouvent des « cartes » de forêts comme celle de Sénart. À Versailles, les tableaux de la galerie des petits appartements « offrent différentes chasses, en usage dans les pays étrangers. L’un est une chasse aux taureaux, de Parrocel ; un autre aux léopards, par Lancret ; le troisième, une chasse aux lions, par de Troy ; le quatrième, à l’ours, par Carle Vanloo ; le cinquième est une chasse à l’autruche par le même ; le sixième aux tigres, par Boucher, gravé par Flipart. Celle aux éléphants est de Parrocel ; celle du crocodile de Boucher. » Ibidem, p. 102. Enfin, dans la salle à manger du château de La Muette se trouvent « six tableaux d’Oudry, dont quatre dessus de porte : le premier représente deux coqs qui se battent ; le second, un chien qui se jette sur des canards dans des roseaux ; le troisième, une buse qui culbute un liévre ; & le quatrième, un renard sur un faisan. Dans les deux autres morceaux, qui sont beaucoup plus grands, on voit deux chasses, l’une au loup, l’autre au sanglier. » Ibidem, p. 18-19. À ces quelques exemples, on peut ajouter les tableaux qui ornent, comme on l’a déjà vu, la salle à manger des petits appartement du roi à Versailles (1737).
46 Le mot hécatombe n’est pas exagéré. D’après le duc de Luynes, le 6 août 1737, « Le Roi tua [dans la plaine de Saint-Denis] cent vingt pièces de gibier, et il y en eut en tout plus de neuf cents de tuées, le Roi ayant permis à tous ceux qui avoient l’honneur de le suivre de tirer. » Duc de Luynes, Mémoires du duc de Luynes sur la cour de Louis XV (1735-1758), Paris, Firmin-Didot, 1860, 17 volumes, tome I, p. 317. Plus loin, le 19 août de la même année, il explique que « S. M. ne tua que quatre-vingt-dix pièces ; mais comme elle avoit permis de tirer à tous ceux qui avoient eu l’honneur de le suivre, il y eut mille sept pièces de gibier rapportées. » Ibidem, tome II, p. 224.
47 Gilliers, Le Cannameliste français ou nouvelle instruction pour ceux qui désirent apprendre l’Office, rédigé en forme de dictionnaire, contenant les Noms, les descriptions, les usages, les chois, & les principes de ce qui se pratique dans l’Office. Par le sieur Gilliers, chef d’office & distillateur de Sa Majesté le Roi de Pologne, Duc de Lorraine & de Bar, Nancy, chez l’auteur, 1751, p. 227.
48 Dictionnaire universel françois et latin, vulgairement appelé « Dictionnaire de Trévoux », Paris, s. n., 1752, 7 volumes, tome IV, p. 1930.
49 Duc de Luynes, Mémoires du duc de Luynes sur la cour de Louis XV (1735-1758), Paris, Firmin-Didot, 1860, 17 volumes, tome 8, juillet 1749, p. 442.
50 Les figurines en porcelaine sont, assez rapidement, associées au surtout et permettent de le développer. Ainsi, lors du « Diner-souper dans la grande Salle de l’Hôtel de Ville, ordonné par M. le Prévôt des marchands, & c. pour Mrs les Officiers du Châtelet & du Corps de Ville », ces accessoires sont associés : « Le milieu de la Table, sur sa longueur, étoit occupé par un Filet dormant de 30 pieds de long, dont le magnifique Surtout d’Orfévrerie, appartenant à la Ville, marquoit le milieu. Aux côtés du Surtout, étoient placés, en figures de ronde-bosse ». Mercure de France, juin 1739, p. 1444-1445.
51 « La table de la reine fut recouverte d’une chasse de tous animaux, avec de grands arbres, partie faits de sucre et partie de linge ployé. » Pierre de l’Étoile, Journal d’un bourgeois de Paris sous Henri IV (1598-1610), Union générale d’éditions, Paris, 1964, p. 23.
52 Ces menus datent des 6 avril et 16 septembre 1745, du 20 avril 1746, des 21, 22, 23 juin, 16, 18, 19 août et 3 septembre 1751, du 4 septembre 1755. Les deux logements sont ceux du 21 juin et du 16 août 1751.
53 Jean-Pierre Cuzin, « Le Déjeuner de chasse de Jean-François De Troy (1679-1752) peint pour Fontainebleau », in Revue du Louvre, 1991, no 1, p. 43-48.
54 « Un Festin de Nôces de Village ceintré haut & bas, par M. Lancret, Conseiller de l’Académie. » Jules Guiffrey, Collection des livrets des anciennes expositions depuis 1673 jusqu’à 1800, Nogent le Roi, Jacques Laget, 1990, p. 19.
55 Pendant longtemps, ce tableau a été considéré comme le tableau original. C’est Guillaume Faroult qui a réfuté cette hypothèse comme l’explique Christine Besson, dans la notice consacrée à ce tableau. (Florilège. De Watteau à Fragonard. Peintures du xviiie siècle du musée d’Angers, Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, 30 mars – 2 septembre 2001).
56 Fernand Engerand, Inventaire des tableaux commandés et achetés par la direction des bâtiments du roi, Paris, 1901, p. 266.
57 Au xviie siècle, le motif de la vaisselle cassée symbolisait la brièveté de la vie alors qu’au xviiie siècle, il renvoie à la notion de débauche, ou dans certains cas, de perte de la virginité.
58 Godard d’Aucour, Thémidore ou mon histoire et celle de ma maîtresse (1745), in Romans libertins du xviiie siècle, Paris, Robert Laffont, 1995, p. 290.
59 Les tableaux décorant la salle à manger du château ont pour sujet la cynégétique, c’est-à-dire qu’ils sont réalisés dans l’esprit de la résidence qui est un lieu de rendez-vous de chasse même si le roi « y demeure quelquefois plusieurs jours » comme l’explique Dezallier d’Argenville dans la description qu’il fait de cette demeure. Dezallier d’Argenville, Voyage pittoresque des environs de Paris ou Description des Maisons royales, châteaux & autres lieux de plaisance, situés à quinze lieues aux environs de cette ville,4e édition, Paris, chez Delune l’aîné, 1779, p. 18-19.
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