La direction : des recteurs autonomes contrôlés par le Conseil de ville
p. 43-66
Texte intégral
1En vertu de la bulle papale donnée par Clément VIII en 1593, l’Hôtel-Dieu est exempté pour toujours de la sujétion des commandeurs du Saint-Esprit, sous laquelle était maintenu l’hôpital du Saint-Esprit1. Dès lors, il revient exclusivement au Conseil de ville de nommer les personnes destinées au gouvernement de cette maison, sous le titre de « recteurs ».
2Nous nous intéressons ici à l’organisation administrative de l’Hôtel-Dieu et plus exactement à son « bureau », terme utilisé dans les registres des délibérations pour désigner à la fois l’ensemble des recteurs, leur lieu de réunion et les réunions elles-mêmes. Il s’agit de déterminer par qui et comment l’hôpital est dirigé.
3L’Hôtel-Dieu étant un hôpital municipal placé sous la protection du Conseil de ville et de l’évêque, nous nous interrogeons sur l’implication de ces derniers dans le fonctionnement de l’établissement, ainsi que sur le contrôle qu’ils exercent sur la direction.
4Les fonctions des recteurs, leur évolution et les missions qui leur sont confiées concentrent toute notre attention. Nous souhaitons déterminer comment s’organise leur travail et ce qu’implique leur charge. Nous nous intéresserons également à leur principal adjoint : le maître d’hôtel. Le but est de déterminer quelles sont les tâches que lui confient les recteurs et quelle est sa part de responsabilité dans le fonctionnement de l’hôpital.
La composition du bureau
5Le bureau de l’Hôtel-Dieu se compose des recteurs-nés et des recteurs. Le titre de « recteur-né » est attribué d’office à l’évêque, aux consuls, puis au maire et aux échevins. Le titre de « recteur » revient, lui, aux personnes nommées par le Conseil de ville pour administrer l’hôpital. À l’exemple de ce qui se fait dans les autres hôpitaux français, tous sont bénévoles2.
6Nous nous intéressons ici à l’identité et aux attributions des différents recteurs. Il s’agit de définir leur rôle et la place qu’ils occupent au sein du bureau afin de déterminer comment et de quelle manière l’Hôtel-Dieu est dirigé.
Les recteurs-nés
7Comme dans tous les hôpitaux marseillais, l’évêque, les consuls et ensuite le maire et les échevins sont les recteurs-nés de l’Hôtel-Dieu ; c’est-à-dire qu’à partir du moment où ils entrent en fonction, ils deviennent automatiquement membres du conseil d’administration de l’hôpital. De ce fait, ils ont un droit de regard sur le fonctionnement de l’hôpital ; droit qu’ils conservent jusqu’au jour où ils quittent leur charge.
8Les recteurs-nés se rendent rarement à l’Hôtel-Dieu. Ils y vont pour des occasions bien précises ou lorsque les recteurs élus réclament leur présence. L’évêque y vient occasionnellement pour constater que le rituel est correctement appliqué, pour consacrer les autels et pour bénir les nouvelles salles3. Les échevins s’y rendent en général une fois par an : le premier janvier, jour de leur entrée en fonction4. Bien qu’ils y aient voix délibérative, les recteurs-nés ne siègent que très occasionnellement aux réunions du bureau5. Or, si les recteurs-nés se rendent peu à l’Hôtel-Dieu, ils sont tout de même tenus au courant de toutes les modifications administratives et architecturales. Les recteurs élus doivent d’ailleurs obtenir leur approbation pour mener à bien leurs grands projets. Au cas où les recteurs-nés invalident un projet, les recteurs doivent y renoncer. C’est par exemple le cas en 1676, lorsque les échevins refusent que l’Hôtel-Dieu soit déplacé alors que les recteurs y sont favorables6. En ce sens, le partage de l’autorité entre les recteurs élus et les recteurs-nés pose parfois problème. Il peut même être considéré comme un frein à l’amélioration du système de santé.
9Les fonctions des recteurs-nés consistent essentiellement à veiller à ce que la direction de l’hôpital et la célébration du culte soient confiées à des personnes qu’ils jugent de confiance. L’évêque s’impose comme le garant de la pratique religieuse. Tout ce qui se rapporte à la religion à l’hôpital relève de l’évêché de Marseille. Aucune nomination d’aumônier ne peut se faire sans son consentement. En fait, même si les recteurs choisissent les prêtres, leur choix reste soumis au contrôle de l’évêque qui s’assure que ces derniers soient de qualité, ou du moins qu’ils lui conviennent. Les échevins se positionnent comme les garants de l’administration. Il leur revient de valider les nominations des recteurs élus et de veiller à ce que l’Hôtel-Dieu soit géré de la meilleure façon possible.
10Les recteurs-nés ont donc un droit de contrôle sur le fonctionnement de l’hôpital. Toutefois, ils ne s’impliquent qu’occasionnellement dans les décisions du bureau. La direction de l’hôpital et son bon fonctionnement reposent en fait essentiellement sur les recteurs élus.
Le nombre de recteurs
11Chaque année, le Conseil de ville détermine le nombre de recteurs qui s’occuperont bénévolement de l’administration temporelle de l’hôpital.
12En 1593, six recteurs gèrent l’Hôtel-Dieu. Deux nobles et quatre bourgeois sont élus pour deux ans et renouvelés par moitié tous les ans. Il y a donc chaque année trois recteurs « vieux » ou « anciens » et trois recteurs « nouveaux » ou « modernes », comme ils se qualifient eux-mêmes. En plus des recteurs, les consuls puis les échevins élisent un trésorier qui doit servir pendant une année7.
13En 1688, les échevins autorisent le trésorier à prendre le titre de recteur après son service, pendant une année, afin de guider son successeur8. De ce fait, le nombre de recteurs passe à sept.
14En octobre 1702, les échevins décident de nommer chaque année douze recteurs élus pour deux ans, et renouvelés par moitié tous les ans9. Toutefois, en raison d’un conflit entre les recteurs et les échevins, relatif à la contribution financière qui accompagne la charge, il faut attendre 1704 pour que onze recteurs et un trésorier soient effectivement nommés.
15En août 1771, les recteurs adressent une requête aux échevins afin que quatre recteurs supplémentaires soient nommés car les douze en exercice ne réussissent pas à s’occuper de toutes les affaires de l’hôpital10. Les échevins répondent positivement à leur demande et le nombre de recteurs passe à seize11.
16En décembre 1787, les recteurs expriment le souhait de voir leur service fixé à trois ans et leur nombre augmenté à quinze, de façon à ce que le bureau soit renouvelé par tiers tous les ans12. Les échevins acceptent l’idée de la prolongation du service mais ils s’opposent à ce que le nombre des recteurs soit réduit. C’est ainsi qu’à partir de 1789, le nombre de recteurs est fixé à dix-huit et renouvelé par tiers tous les ans13.
17Le fait que les recteurs soient renouvelés par moitié tous les ans, puis par tiers, leur permet d’assurer une certaine continuité dans leur travail et de ne pas créer de rupture dans la politique de l’hôpital. À cet effet, les nouveaux recteurs sont tenus au courant des affaires de l’hôpital par les anciens. Il leur est alors possible de continuer l’action de leurs prédécesseurs et de contribuer à la réalisation des projets en cours. Les recteurs suivent ainsi la même ligne politique, donnant ipso facto une certaine cohérence à leurs propos.
Le recrutement des recteurs
18Les recteurs sont cooptés par leurs prédécesseurs. Chaque année, les anciens nomment leurs successeurs, puis transmettent leur liste au Conseil de ville pour qu’il l’approuve14.
19Jusqu’en 1694, chaque recteur prévient la personne qu’il souhaite voir lui succéder afin de savoir si celle-ci désire ou non devenir recteur. Si la personne pressentie en exprime le souhait, elle est alors nommée. Par contre, si elle ne souhaite pas occuper la charge, l’ancien recteur doit choisir une autre personne. Cette pratique cesse en octobre 1694 car les recteurs s’aperçoivent qu’« il y en a beaucoup qui s’excusent de ne pouvoir servir et qu’en suite de ce refus ils ne servent plus de leur vie sous prétexte qu’ayant refusé à un ils ne peuvent plus accorder à d’autre ». De ce fait, afin de parer à ces inconvénients, ils décident que personne ne sera plus consulté avant sa nomination15.
20Seuls des hommes occupent cette fonction. Aucune femme ne siège au bureau. Le terme de rectoresse, fréquemment utilisé dans les registres des délibérations, désigne les dames bénévoles, parfois épouses des recteurs, qui se mettent au service des malades de l’hôpital.
21Une même personne peut être nommée recteur plusieurs fois, à plusieurs années d’intervalle au cours de sa vie. Une seule restriction est édictée en 1713 : suivant l’ordonnance royale du 6 août, les débiteurs de l’hôpital ne peuvent être nommés recteurs16.
22Depuis la fondation de l’Hôtel-Dieu, ses statuts imposent qu’il y ait obligatoirement un noble parmi les anciens et un autre parmi les nouveaux. La présence de nobles au conseil d’administration n’est pas le propre de l’Hôtel-Dieu à Marseille. Cette obligation se retrouve à l’hôpital de la Charité17. Néanmoins, si cette règle est respectée à l’Hôtel-Dieu au xviie siècle, elle ne l’est plus au xviiie siècle. En 1706, pour la première fois, aucun noble ne siège au Conseil. Il ne s’agit cependant pas d’un choix délibéré du bureau : les deux aristocrates choisis par les échevins refusent de servir car ils ne veulent pas que les autres recteurs prennent la tête du bureau lorsqu’ils sont semainiers (en raison de leur rang ils estiment être les seuls habilités à le diriger18). À partir de 1716, plus aucun aristocrate ne siège au bureau. Les recteurs choisissent désormais leurs successeurs exclusivement parmi les bourgeois et les négociants de la ville19.
23Les membres d’une même famille occupent souvent successivement les fonctions de recteurs. Plusieurs noms, comptant parmi les grandes familles de négociants de la ville, reviennent souvent dans la liste des recteurs : Roux, de Félix, Granier, Borrely, Latil… . Ces mêmes noms se retrouvent parmi ceux des échevins : les recteurs de l’hôpital sont donc issus des mêmes familles que ceux qui dirigent la ville20. Les liens entre l’Hôtel-Dieu et le Conseil de ville s’en trouvent alors renforcés. Nous pouvons deviner ici la volonté de la bourgeoisie et des négociants, représentés par les échevins, d’accaparer toutes les charges urbaines au dépend de la noblesse. Le but est de former un contre-pouvoir dans la ville, dans la lignée du règlement royal de 1660 qui leur donne l’accès exclusif à la magistrature municipale21.
24Au xviie siècle, plusieurs recteurs appartiennent à la Compagnie du Saint-Sacrement. Cette dernière encourage ses membres à s’investir dans les administrations hospitalières. Un peu partout dans le Royaume, elle place ses hommes dans les administrations des hôpitaux afin d’en surveiller la gestion, et, l’Hôtel-Dieu de Marseille n’y échappe pas22. En 1643, la Compagnie décide qu’elle doit s’arranger pour que le Conseil de ville nomme toujours des personnes « pieuses et zélées pour être recteur »23. Jusqu’à la Révolution, les recteurs sont d’ailleurs tous catholiques.
25À partir d’octobre 1702, le choix d’hommes à l’aise sur le plan financier est inévitable car à partir de cette date, les recteurs doivent tous avancer les sommes nécessaires au fonctionnement de l’Hôtel-Dieu. Cette mesure est prise par les échevins, afin de soulager le trésorier qui, jusque-là, faisait toutes les avances24. Le montant des sommes prêtées varie en fonction des besoins de l’hôpital mais les sommes sont souvent considérables.
26Chaque recteur doit également verser une aumône à l’hôpital, destinée à acheter des lits de fer pour les malades. À l’origine, le montant n’est pas fixe et dépend de la générosité du donateur et de sa capacité financière. En 1760, cette taxe est fixée à dix louis25. Le 12 août 1773, les recteurs décident de la supprimer, arguant que le fait d’être obligé de payer une somme fixe (alors de 240 livres) n’est pas convenable et que le montant de l’aumône doit être laissé à la discrétion de chacun26.
27L’avance des sommes nécessaires au fonctionnement de l’hôpital, comme les dons imposés aux recteurs, sont des pratiques courantes dans les hôpitaux français. À l’Hôtel-Dieu de Lyon, par exemple, les statuts mentionnent les sommes avancées par les recteurs pour le fonctionnement du département dont ils ont la responsabilité et les dons qu’ils doivent effectuer lorsqu’ils sortent de charge27.
28Outre les aumônes qu’ils sont en usage de faire, les recteurs doivent pouvoir consacrer un certain nombre d’heures à l’hôpital, quitte à abandonner leurs propres affaires pour s’attacher celles de l’hôpital28. Il faut donc qu’ils bénéficient de ressources assez importantes pour se le permettre.
29Le fait d’être choisi par un ancien recteur ne suffit pas pour occuper la charge, encore faut-il que les échevins acceptent la nomination. Ces derniers n’invalident que trois fois le choix des recteurs : en 1702, 1780 et 178229. Nous ignorons pourquoi ces invalidations ont lieu. Toutefois, dans la mesure où les recteurs et les échevins sont à chaque fois en conflit au sujet du mode de financement de l’hôpital et/ou du nombre de nouveaux recteurs à mettre en place, il est envisageable que les échevins aient refusé de voir s’installer les alliés des opposants à leurs réformes, donc des personnes qui risqueraient de mettre à mal leurs projets pour l’Hôtel-Dieu. Nous pouvons donc voir ici, la volonté de la classe dirigeante de garder le contrôle sur l’une des institutions de la ville en ne nommant que des personnes acquises à leur cause.
30Les hommes nommés par le Conseil de ville sont libres de refuser le poste s’ils estiment qu’ils ne peuvent pas l’occuper correctement. Les registres des délibérations attestent ainsi que douze personnes ont refusé de devenir recteurs, soit moins de 1,4 % des nommés. Ce très faible taux signifie donc que les personnes acceptent généralement la charge. En majorité, afin de justifier leur refus, les personnes choisies arguent soit qu’elles occupent déjà une autre fonction, soit qu’elles ne peuvent physiquement pas occuper la charge, soit qu’elles ont une dispense du Roi. Les recteurs ne sont pas habilités à accepter le désistement d’une personne : seuls les échevins peuvent le faire30. Une fois le refus validé, les recteurs doivent soumettre un nouveau nom au Conseil de ville31.
31Entre 1593 et 1717, l’entrée en charge des nouveaux recteurs se fait le 30 octobre, en même temps que l’élection des officiers municipaux. Une seule exception à cette règle est faite en 1649 : en raison de l’épidémie de peste qui vient de frapper la ville, la mise en place des nouveaux recteurs est remise au 25 avril 165032.
32À partir de 1718, la prise de fonction a lieu le premier janvier de façon à ce que la mise en place des nouveaux recteurs coïncide avec celle des nouveaux officiers municipaux. Cette mesure a pour cause l’annulation des élections des officiers municipaux par le Parlement en février 1717 qui oblige les recteurs à procéder à de nouvelles élections33. C’est donc pour s’éviter d’avoir à procéder à une nouvelle élection en cas d’invalidation du Conseil de ville par le Parlement que les recteurs choisissent de reporter le moment de leur prise de fonction. En revanche, l’élection est par contre maintenue en automne34. À partir de 1765, les nouveaux recteurs ont d’ailleurs le droit d’assister aux réunions du bureau. Le but est de les préparer à assurer leur fonction car aucun pouvoir décisionnel ne leur est concédé35.
La durée de la charge
33Si tous les recteurs sont élus pour deux ans, puis pour trois à partir de 1789, un petit nombre d’entre eux n’achève pas son mandat. En effet, tout comme il leur est permis de refuser le poste, les recteurs sont également autorisés à quitter leur fonction.
34Il arrive qu’un recteur en exercice soit nommé à la charge d’échevin alors qu’il entame la seconde année de son service. Le recteur est alors exempté de sa charge pour lui permettre de siéger au Conseil de ville36.
35Outre la fonction d’échevin, l’élection à d’autres fonctions peut pousser un recteur en exercice à démissionner. En mars 1792, par exemple, Jean-Jacques Amy donne sa démission après trois mois de service car il est nommé Juge du commerce37.
36Certains des recteurs doivent quitter leur poste car leur santé ne leur permet plus d’assurer leur charge. L’abandon peut être définitif ou temporaire. Dans ce cas, une fois qu’il s’est rétabli, le recteur reprend ses fonctions38.
37Si certains recteurs sont contraints au départ, d’autres choisissent de quitter leur charge en signe de protestation. La démission est utilisée comme un moyen de pression sur l’autorité municipale lorsque les administrateurs de l’hôpital estiment qu’une décision est injuste. En 1675, par exemple, ils avertissent les échevins qu’ils démissionneront si on les oblige à poster des gardes à l’entrée de l’hôpital contre leur volonté39. Cette menace suffit à faire ployer les autorités car aucun garde n’est installé et les recteurs restent en poste. Quelques années plus tard, en 1702, la menace est par contre mise à exécution40. Lorsque les échevins refusent de revenir sur l’obligation faite aux recteurs d’avancer de l’argent à l’hôpital, les recteurs « anciens » démissionnent et laissent la direction de l’hôpital aux « nouveaux ».
38La mort fait également partie des raisons pour lesquelles les recteurs ne terminent pas leur mandat : 19 d’entre eux meurent en exercice. Dès l’annonce du décès, l’ensemble du bureau s’astreint à un cérémonial public bien précis (participation au cortège du convoi funéraire, messes…41). Ce dernier permet au reste du bureau d’honorer la mémoire des défunts, mais également de rappeler à la population le rôle qu’ils ont joué au sein de la ville. Ces rituels sont utilisés pour souligner la place que les recteurs occupent dans la collectivité42.
39Qu’ils partent ou qu’ils meurent, il revient aux recteurs restants de nommer un remplaçant, mais tout comme pour les nominations, leur choix doit être validé par le Conseil de ville43. Le remplaçant est souvent choisi parmi les recteurs qui doivent sortir de charge ou qui en sont récemment sortis, ce qui explique que certains recteurs restent trois ou quatre années en poste au lieu de deux.
40Si certains recteurs prolongent leur service pour parer à l’absence de l’un de leurs confrères, d’autres y sont contraints par la situation. Cas unique que celui du Sieur Pierre Gouffre qui est le seul à avoir occupé pendant dix ans la charge de recteur. Entre 1752 et 1761, il assure sans discontinuer la fonction de « recteur sur la bâtisse », puis de « recteur trésorier de l’agrandissement » (à partir de 175344). C’est peut-être parce que personne n’a souhaité (ou n’a pu) le remplacer, en raison de la lourde contribution financière imposée au trésorier, que son mandat a été aussi long.
41En raison de la peste qui frappe la ville en 1720, les échevins ne procèdent pas cette année-là à l’élection de nouveaux recteurs. De ce fait, les recteurs nommés pour servir en 1720 doivent également servir en 1721, à l’exception de Bruno Garnier et de Thomas Boyer qui succombent lors de l’épidémie45. Lors de l’élection des nouveaux recteurs en novembre 1721, seuls les anciens, en place depuis 1719 sont remplacés46. Par la suite, en raison de la rechute de 1722, le bureau décide qu’il ne sera « fait aucune élection des recteurs de cet hôpital pour la présente année »47. Les recteurs sont contraints de prendre cette décision par le Roi qui ordonne aux officiers municipaux de servir « jusqu’à nouvel ordre ». Ils tentent tout de même de demander au Secrétaire d’État d’intercéder en leur faveur auprès du Roi afin que celui-ci nomme leurs six successeurs, mais leur demande reste sans effet48. Ils doivent donc servir jusqu’à la fin de l’année 1723 ; l’arrivée des nouveaux recteurs mettant un terme à un service de quatre années.
La répartition des tâches
42L’ensemble des recteurs est élu pour gérer et administrer l’Hôtel-Dieu. La responsabilité de l’hôpital leur est confiée pendant toute la durée de leur mandat et il est de leur devoir de le faire fonctionner correctement. Au cours du xviie siècle, l’ampleur de la tâche est telle que le bureau éprouve le besoin de se structurer. En plus de la comptabilité, déjà confiée au trésorier, les recteurs décident de créer des départements et la fonction de semainier afin de se répartir les tâches. Nous nous proposons ici de détailler l’organisation administrative de l’hôpital afin de comprendre comment les recteurs le font fonctionner, quelles sont les attributions de chacun et qu’est-ce que leur service implique en termes de responsabilité.
Les différents départements
43Lors de la fondation de l’Hôtel-Dieu, il est établi que les recteurs s’occuperont conjointement de toutes les affaires de l’Hôtel-Dieu. Or, en 1642, dans un souci d’organisation, le bureau décide de se répartir les tâches49. Six départements sont créés (un pour chaque recteur) : un premier pour la surveillance des procès et des reconnaissances de dettes, un second pour la gestion du blé, de la farine et des lits des malades, un troisième pour les réparations, les visites des biens et de la cave, un quatrième pour le linge, les lessives, les orphelins et les défunts, un cinquième pour la gestion de la viande, de la pharmacie, des médecins et des chirurgiens et un sixième pour la gestion du bois, de l’huile, du charbon et des chandelles50.
44Par la suite, des modifications surviennent. En 1650, « le recteur sur le blé » est également chargé de la gestion de la viande et du vin qui est ainsi ôtée au recteur en charge des médecins, des chirurgiens et de l’apothicaire51.
45À la faveur de l’augmentation du nombre de recteurs, le nombre de départements s’accroît. En 1707, on compte neuf départements : le premier « sur le bois et le charbon », le second « sur les ustensiles de la cuisine et les cours des malades », le troisième « sur le linge », le quatrième « sur le paiement des nourrices », le cinquième « sur le pain », le sixième « sur les affaires et procès de la maison », le septième « sur les réparations », le huitième « sur les archives et délibérations du bureau » et le neuvième « sur le vin et la pharmacie52 ».
46En 1711, le nombre de départements est réduit à sept : la gestion du pain est confiée au recteur chargé du bois et du charbon tandis que les affaires et procès de la maison sont attribués au recteur chargé de la conservation des délibérations53. Dans la mesure où il y a plus de recteurs que de départements, un même département est souvent confié à deux d’entre eux.
47En 1714, le nombre de départements est réduit et fixé à six : les affaires relatives aux réparations de la maison étant désormais confiées au recteur en charge de l’inspection des filles et des nourrices, des cours des hommes et des femmes malades, des biens à la campagne et de la distribution des habits, bas et souliers54.
48En 1720, le soin de l’église et de ses ornements est regroupé avec l’achat des denrées. De ce fait, jusqu’en 1738, il ne reste plus que cinq départements55.
49En 1739, un nouveau département voit le jour chargé du secret des expositions d’enfants et des accouchements des femmes dont les enfants sont déposés à l’Hôtel-Dieu56.
50Un septième département fait son apparition en décembre 1745. Les recteurs décident de créer un département des directes57. Ce dernier est actif jusqu’en décembre 1753, date à laquelle il est supprimé. Désormais, les directes sont placées sous la responsabilité du « recteur sur le département des affaires ». Cette suppression permet de créer un nouveau département destiné à la gestion des recettes et des dépenses inhérentes à l’agrandissement58.
51La distribution des départements se fait en début d’année, après la mise en place des nouveaux recteurs. Chacun se voit confier des tâches précises en fonction du département dont il a la responsabilité. Si les recteurs doivent gérer un certains types d’affaires, ils n’en sont pas pour autant les seuls responsables. Chacun d’eux doit rendre compte à ses confrères des problèmes qui se posent. Ils sont également obligés de discuter tous ensemble des travaux à effectuer dans l’hôpital, sous peine, en cas contraire, de devoir les payer de leurs propres deniers59. Les décisions ne sont donc pas unilatérales mais collégiales.
Le trésorier
52En plus des recteurs attachés aux différents départements, tous les ans, un trésorier est choisi en même temps que l’ensemble du bureau pour s’occuper de la gestion financière de l’hôpital.
53Depuis 1593, et pendant tout le xviie siècle, le trésorier est choisi et nommé par le Conseil de ville. En novembre 1702, les échevins décident de modifier le règlement et de confier le choix du trésorier aux recteurs. Ce dernier est désormais sélectionné parmi l’un des nouveaux recteurs, lors de la distribution des départements en début d’année60. Cette mesure est prise en même temps que celle qui oblige l’ensemble des recteurs à avancer les sommes nécessaires à l’hôpital. Il est alors possible que le trésorier soit choisi exclusivement en fonction de ses capacités financières, puisqu’il est alors le seul à prêter de l’argent à l’hôpital. Par la suite, à la faveur de la réforme de 1702, tous les recteurs doivent être en mesure de le faire. Dès lors, il n’est plus nécessaire aux échevins de choisir une personne plus fortunée que les autres et ils peuvent donc laisser les recteurs choisir l’un des leurs pour occuper le poste.
54Le trésorier n’a pas de pouvoir décisionnel, son rôle est exclusivement financier. Il réclame les rentes et les revenus dus à l’hôpital, paye les mandats61 et conserve l’argent et les papiers relatifs aux recettes62. Chaque semaine, lors des bureaux, il rend compte des dépenses63. Toutefois, s’il y assiste, il n’a pas voix de délibération. Il ne peut pas être nommé semainier. Il lui est également interdit d’autoriser la réception d’un malade64.
55À la fin de son mandat, les comptes sont examinés par le bureau afin de vérifier qu’aucune erreur n’a été commise et d’évaluer les montants dus par l’hôpital au trésorier65.
Le recteur-semainier
56Depuis 1619, la gestion quotidienne de l’hôpital est confiée à l’un des recteurs appelé recteur-semainier car il n’occupe sa charge qu’une semaine avant de passer la main à l’un de ses confrères66.
57Le semainier est le seul représentant de l’administration quotidiennement présent à l’hôpital. Les autres recteurs ne se rendent à l’hôpital qu’une fois par semaine pour assister aux réunions. Au cas où l’un des recteurs ne peut pas s’acquitter de sa charge, il est remplacé par celui qui doit faire la semaine suivante67.
58Il incombe au semainier de veiller au bon fonctionnement de l’hôpital, de vérifier les comptes et les inventaires des biens de l’hôpital, de veiller à ce que l’ordre règne et de rapporter au bureau tous les problèmes qu’il a rencontrés68. Fort de son expérience de la semaine, il lui revient de présider le bureau qui suit sa semaine de service. En cas de problème majeur, il est tenu de convoquer au plus vite l’ensemble des recteurs à l’hôpital pour en discuter lors d’un « bureau extraordinaire69 ». Le semainier s’occupe de toutes les affaires concernant les malades individuellement, tandis que le bureau gère les dossiers concernant tout l’hôpital. Par exemple, lorsqu’il s’agit de prévenir la famille d’un malade de son décès, c’est le semainier qui s’en charge ; mais, s’il convient d’écrire aux autorités au sujet d’un problème de financement, c’est l’ensemble du bureau qui y pourvoit.
59En l’absence des autres recteurs, rien ne peut se faire sans l’accord du semainier. Au cours de sa semaine, il est le seul à prendre les décisions concernant l’hôpital. Il est le seul à pouvoir autoriser les malades et les visiteurs à pénétrer dans les salles70. Il est également le seul habilité à décider si le corps d’un malade défunt peut faire l’objet d’une dissection71. Son accord est indispensable aux membres du personnel, s’ils souhaitent sortir de l’hôpital72. Il doit surveiller les repas des malades et veiller à la bonne qualité des vivres achetés et préparés73. Il doit veiller à ce qu’il y ait assez de vivres dans l’hôpital pour pourvoir aux repas et faire l’avance des frais lorsque quelque chose doit être acheté74. À partir de 1634, il lui est également enjoint d’assister à la distribution de l’aumône des prisonniers qui a lieu le vendredi. Avec l’aide des soignants, le semainier doit vérifier qu’aucune maladie contagieuse ne se répand dans l’hôpital. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, au cas où un décès paraît suspect, le chirurgien procède à une autopsie. Si une maladie épidémique est effectivement à l’origine de la mort, le semainier doit en référer au bureau. En cas de problème, les recteurs l’envoient prévenir les échevins et le Lieutenant général de police pour que les mesures adéquates soient prises75.
60La charge de semainier est très prenante. Dans leur rapport sur l’Hôtel-Dieu du 28 juin 1790, les recteurs précisent que le semainier se rend tous les matins à 6 heures à l’hôpital « pour assister au pansement des blessés, à la visite des médecins, examiner si les malades sont bien soignés, veiller sur toutes les provisions et faire observer le bon ordre. À midi, il se retire chez lui et retourne à 14 heures pour remplir les mêmes fonctions que le matin et il demeure jusqu’à 19 heures ». D’après cet extrait, le semainier passe 12 heures par jour à l’Hôtel-Dieu, soit 84 heures par semaine76.
61Soulignons que depuis 1718, le rôle du semainier ne se cantonne pas au fonctionnement de l’Hôtel-Dieu, mais est étendu au service de l’hôpital Saint-Jacques-des-épées, réuni à l’Hôtel-Dieu en 1696. C’est ainsi qu’en février 1718, le bureau décide que « le recteur qui sortira de semaine prendra la peine de visiter pendant la semaine suivante l’hôpital Saint-Jacques-des-épées afin que toutes choses se passent dans le bon ordre77 ».
62Grâce aux contacts fréquents avec les malades et les membres du personnel, la fonction de semainier offre finalement aux recteurs la possibilité de se confronter à la réalité de la vie hospitalière. Chacun à leur tour, ils doivent gérer le quotidien du service de santé et les problèmes qui peuvent survenir. Cette semaine de travail leur permet de connaître de façon précise les améliorations qu’ils doivent apporter. Elle les aide à prendre conscience des modifications nécessaires.
63La répartition des tâches permet donc non seulement aux recteurs de se partager les dossiers, mais également d’appréhender la réalité de leur hôpital. Grâce à elle, ils peuvent se faire une idée précise et concrète de son fonctionnement. Ils sont ainsi plus à même d’apporter des solutions aux problèmes de l’hôpital et de répondre à ses besoins. La répartition des tâches apparaît alors comme un moyen de gouverner au mieux l’établissement.
Les activités du bureau
64La principale activité des recteurs consiste à gérer les affaires de l’hôpital et à en discuter au cours de leurs assemblées. Toutefois, leur rôle ne s’arrête pas là. Ils doivent également participer à la vie officielle de la cité en se conformant à un protocole précis. Ce sont l’ensemble de ces tâches que nous nous proposons d’étudier afin de comprendre en quoi consiste la fonction de recteur et de quelle façon ils participent à la vie de la ville.
Les réunions
65En 1597, il est établi que les recteurs se réuniront une fois par semaine pour « discuter des affaires de l’hôpital78 ». Par la suite, le 11 mai 1602, la cour du Parlement décide qu’il n’y aura plus qu’une assemblée tous les quinze jours79. Toutefois, en 1605, les recteurs décident de reprendre les réunions hebdomadaires mais sans que cela ne soit suivi d’effet. En réalité, depuis 1597, les recteurs ne se donnent pas souvent la peine de se rendre à l’hôpital. Les registres des délibérations attestent en effet de la rareté des réunions, voire de leur absence, certaines années. En moyenne, entre 1597 et 1637, les recteurs ne s’assemblent qu’entre deux et trois fois par an. Or, d’après le Lieutenant général du Roi, l’hôpital en pâtit. En septembre 1638, il ordonne que le bureau se réunisse chaque dimanche sous peine de se voir infliger une amende de 300 livres80. Même si une légère amélioration a lieu (6 bureaux en 1739 et 11 en 1741 comme en 1742), cette mesure ne bouleverse pas vraiment les habitudes des recteurs. Il faut attendre 1664 pour voir un net changement apparaître. Cette année-là, les recteurs manifestent un regain d’intérêt pour l’Hôtel-Dieu, et, pour la première fois, ils se plient au règlement de l’hôpital en se réunissant une fois par semaine. Par la suite, et jusqu’à la fin du xviiie siècle, ils gardent l’habitude de se réunir hebdomadairement, les exceptions coïncidant souvent avec les périodes de guerre ou d’épidémie.
66Aucune explication n’est donnée à ce changement dans les archives. Faut-il y voir la volonté des nobles qui dirigent alors le bureau de continuer à participer activement à la vie de la cité, après avoir été exclus du Conseil de ville en 1660 ? Devons-nous y deviner l’influence de la Compagnie du Saint-Sacrement ? Du fait de la disparition des registres des délibérations de la Compagnie marseillaise, cette hypothèse ne peut être vérifiée81.
67Entre 1597 et 1648, les réunions ont habituellement lieu le dimanche après-midi82. Or, à partir de 1649, elles se déroulent le jeudi, afin de faire les comptes car il est impossible de les faire le dimanche pour raison religieuse83. Au cas où le jour de la réunion tombe un jour de fête religieuse, les recteurs ne s’assemblent pas84.
68Le 18 novembre 1696, les recteurs décident de tenir un second bureau tous les dimanches85. Toutefois, cette décision n’est pas appliquée : les registres des délibérations n’attestent d’aucune réunion dominicale régulière. En 1725, une décision similaire est prise86, mais une fois encore, les administrateurs ne tiennent pas un compte rigoureux de cette décision et une seule séance hebdomadaire est généralement organisée ; le semainier continuant à gérer les affaires quotidiennes et les cas les plus urgents. Pour autant, l’idée d’une seconde réunion n’est pas abandonnée. En 1754, les recteurs décident de s’assembler tous les seconds et quatrièmes dimanches du mois pour discuter du fonctionnement de l’hôpital87. Cette décision prend effet dès le dimanche suivant, mais peu à peu, les recteurs recommencent à ne plus se réunir qu’une fois par semaine et, à partir de la fin du mois d’avril 1755, plus aucune réunion ne se tient le dimanche en dehors des bureaux extraordinaires88. Notons toutefois qu’à partir de 1759, le dernier bureau de l’année se tient le 31 décembre, quel qu’en soit le jour de la semaine et quelle que soit la date de la dernière assemblée, afin que le semainier « puisse rendre compte de ce qui s’est passé pendant le courant de sa semaine et prendre congé avec ses collègues de ceux qui doivent rester89 ».
69Les assemblées des recteurs commencent par des prières comme cela se pratique dans d’autres hôpitaux du Royaume tels que les Hôtels-Dieu de Paris et Lyon90. Le semainier rend ensuite compte de l’état de l’hôpital pendant sa semaine et de l’exécution des délibérations antérieures. Il est ensuite débattu des affaires générales, avant que chaque recteur expose celles de son département91.
70Les bureaux extraordinaires ont lieu lorsque le semainier doit faire face à de sérieux problèmes qu’il estime ne pas pouvoir régler seul. Par exemple, en mai 1744, en pleine guerre de succession d’Autriche, devant le risque d’une possible invasion des Anglais, le semainier convoque l’ensemble des recteurs afin de décider des mesures à prendre au cas où elle deviendrait effective92.
71Lorsqu’une affaire pose problème, les recteurs n’hésitent pas à prendre des renseignements auprès des administrateurs des autres hôpitaux du Royaume. En 1673 et 1692, ils écrivent par exemple aux recteurs de l’Hôtel-Dieu de Lyon afin de leur demander comment ils gèrent les problèmes engendrés par les chirurgiens et les apothicaires gagnants-maîtrise93. Notons que les recteurs n’échangent pas avec les autres hôpitaux qu’en cas de difficultés. Il leur arrive également de leur demander des renseignements sur leur organisation administrative, leur système de santé ou leur architecture. En 1750, par exemple, peu de temps avant que les travaux d’agrandissement soient entrepris, les recteurs écrivent aux recteurs des hôpitaux de Toulouse et Lyon afin de leur demander les plans et les dimensions de leurs bâtiments jugés « très vastes et très bien distribués94 ». Notons que ces échanges sont basés sur le système de la réciprocité. Les recteurs des Hôtels-Dieu des autres villes n’hésitent pas non plus à écrire à l’Hôtel-Dieu de Marseille afin d’obtenir des renseignements sur son fonctionnement, de faire part de leur manque de personnel ou, à l’exemple de l’hôpital d’Arles, de demander aux recteurs de leur acheter des drogues95. Les hôpitaux établissent donc des réseaux d’entraide qui permettent de faire circuler les informations. Ces derniers témoignent de la construction d’un « savoir-faire hospitalier » dans le Royaume auquel l’Hôtel-Dieu de Marseille participe activement.
72Tous les recteurs sont censés assister aux réunions. Dans les faits, au xviie siècle, il est rare de voir tous les administrateurs réunis lors de chaque assemblée. Le règlement prévoit d’ailleurs que les délibérations pourront se faire avec seulement la moitié du bureau96. Même si les registres des délibérations attestent que les recteurs sont plus assidus au xviiie siècle, il arrive tout de même qu’ils ne se rendent pas aux réunions et que leur trop petit nombre les empêche de pouvoir prendre des décisions. Parfois, aucun des recteurs ne peut assister au bureau et la réunion est supprimée.
73Outre les recteurs, lors de la fondation de l’Hôtel-Dieu, il est établi que les bureaux se tiendront en présence « des conseillers qu’il plaira à la cour ordinaire [la cour du Parlement], du Lieutenant général ou particulier de Marseille, du Substitut de Monsieur le Procureur général du Roi » et que « le Lieutenant députera un sergent pour servir par mois chacun à leur tour aux affaires de l’hôpital et faire observer les ordonnances97 ». Par la suite, en 1619, il est affirmé que « Monsieur le Lieutenant et Procureur du Roi assistera perpétuellement au bureau de trois en trois mois et plus fréquemment si besoin est pour éviter les longueurs du palais98 ». Le Lieutenant ne doit assister au bureau que pour traiter des affaires de justice ; la direction de l’hôpital restant entre les mains des recteurs99. D’après les relevés des délibérations, le Lieutenant général assiste effectivement aux bureaux, de façon régulière, jusqu’au 3 février 1651100. Selon François-Paul Blanc, sur le plan juridique, cette tutelle judiciaire n’est pas fondée en titre : aucun édit, aucune ordonnance n’a autorisé les officiers du Parlement et ceux du siège de la sénéchaussée à présider le Collège des directeurs. Cette ingérence est donc purement coutumière et n’a pu prendre naissance qu’à la faveur de la désorganisation de l’administration marseillaise, conséquence de la chute de Charles de Casaulx en 1596. Il faut en effet attendre les lettres patentes données le 12 décembre 1698 pour que le Premier Officier de justice devienne, dans toutes les villes du Royaume, recteur-né des différents hôpitaux de son ressort101.
74En 1670, alors que le Lieutenant général ne siège plus au bureau depuis près de vingt ans, le Lieutenant général de Beausset demande à assister aux réunions, comme ses prédécesseurs avaient coutume de le faire. Les recteurs acceptent et cela est effectif jusqu’en 1674102. Après cette date, les recteurs sont libérés de tout contrôle lors de leurs délibérations. Ils sont alors seuls à choisir la façon dont l’hôpital doit être administré. Cependant, même s’ils gagnent en autonomie, ils restent tout de même soumis aux décisions de l’évêque et du Conseil de ville.
Les obligations protocolaires
75Outre la gestion de l’hôpital, les recteurs doivent respecter le protocole mis en place par leurs prédécesseurs. Pour le connaître, ils se référent aux vieux registres des délibérations où les anciens ont consignés la façon dont ils ont participé à tel ou tel événement et ce qu’ils ont dû faire.
76Chaque année, après le premier bureau, les recteurs réunissent les membres du personnel afin de se présenter et de les exhorter à bien faire leur travail.
77À chaque fois qu’un nouvel officier royal prend ses fonctions à Marseille, les recteurs se doivent d’aller se présenter à lui.
78La participation aux funérailles de l’évêque de la ville est également l’une des obligations des recteurs. Ces derniers assistent ainsi aux obsèques de tous les évêques de Marseille morts au cours de leur exercice. Cette obligation concerne l’ensemble des recteurs des hôpitaux marseillais103. Outre les évêques, le protocole prévoit également que les recteurs assisteront aux obsèques des échevins104.
79Les recteurs se doivent donc de représenter leur hôpital dans la ville.
80Le titre de recteur n’est donc pas purement honorifique. La fonction exige un travail important, un dévouement complet à l’hôpital lors de la semaine de service et souvent une contribution financière. Les recteurs doivent en outre répondre aux obligations protocolaires que leur impose leur charge et se rendre disponibles dès qu’un problème important se pose dans leur établissement. Les recteurs se définissent eux-mêmes comme des hommes œuvrant pour le bien de l’humanité et affichent leur désintéressement financier105. Il y a cependant certains avantages à être nommé recteur. Outre le prestige de la charge, ce poste est parfois un préalable à l’accès au rang d’échevin. Le passage par l’administration hospitalière fait alors figure d’étape dans une carrière municipale comme cela est le cas à Lyon par exemple106. En mettant en parallèle la liste des noms des recteurs et celle des échevins dressée par Octave Teissier, des similitudes apparaissent107. Par exemple entre 1660 et 1690, 11 échevins sur 60 semblent avoir occupés ultérieurement la charge de recteurs soit 18,3 % d’entre eux. Dans la mesure où les prénoms des recteurs ne sont pas toujours indiqués, notre liste n’est sans doute pas exhaustive. Comme Jean-Pierre Gutton le souligne, les carrières des recteurs sont d’ailleurs difficiles à reconstituer car ce ne sont pas des administrateurs professionnels, mais des bénévoles qui donnent de leur temps et de leur argent à l’établissement dont ils s’occupent108. Dans l’Encyclopédie des Bouches-du-Rhône, Maurice Raimbault affirmait que les recteurs des hôpitaux sont souvent de droit les anciens membres du Conseil de ville, et, que la fonction de recteur apparaît fréquemment comme l’aboutissement du cursus honorum municipal109. Cette thèse, reprise par de nombreux historiens, est peut-être valable dans d’autres cités provençales et dans d’autres hôpitaux marseillais, mais ne semble pas l’être à l’Hôtel-Dieu de Marseille110. En reprenant notre sondage sur les années 1660-1690, seuls 2 échevins sur les 60 (3,3 %) deviennent recteurs quelques années après leur mandat. Il semblerait donc que la charge de recteur de l’Hôtel-Dieu ait été un préalable à la fonction d’échevin plus souvent que l’inverse.
Le principal adjoint des recteurs : le maître d’hôtel
81La gestion de l’hôpital demande beaucoup de temps et il est impossible au recteur-semainier de veiller seul à l’application de toutes les délibérations. Un salarié, le maître d’hôtel est chargé de le seconder en veillant au respect du règlement intérieur. En tant que chef du personnel, il sert de relais entre les recteurs qui prennent les décisions et les employés qui doivent les exécuter. En outre, en l’absence du semainier et des recteurs, il devient le seul responsable de l’hôpital111.
82Nous nous intéressons, ici, à la façon dont il est recruté, à ses conditions de vie et à la définition de son poste en temps « normal » comme en temps de peste. L’objectif est de déterminer en quoi il participe au bon fonctionnement de l’hôpital et qu’est-ce qu’implique son service.
Le recrutement et les conditions du service
83La fonction de maître d’hôtel est occupée par des ecclésiastiques jusqu’au début du xviiie siècle, puis par des laïcs sans que les raisons de ce changement ne soient communiquées par les recteurs. Dans la mesure où l’approbation et le contrôle du personnel religieux dépendent de l’évêque, l’on peut supposer que les recteurs aient souhaité se défaire d’une partie de sa tutelle. En effet, à partir du moment où des laïcs sont recrutés, l’évêque n’intervient plus dans le choix du maître d’hôtel. De ce fait, les recteurs gagnent en indépendance : désormais, le maître d’hôtel n’est plus soumis à aucune autorité extérieure et les recteurs sont libres de choisir la personne qui va les seconder.
84Dans la plupart des cas, l’homme qui souhaite occuper ce poste se présente lui et si ces dernières les contentent, ils le recrutent, parfois de lui-même au bureau. Les recteurs prennent ensuite des informations sur après une période d’essai de quelques jours112. Seuls deux maîtres d’hôtel sont recrutés sur recommandation de tiers113. Les recteurs procèdent également à des recrutements internes : à plusieurs reprises, le maître d’hôtel est choisi parmi les officiers de l’hôpital.
85La majorité des maîtres d’hôtel reste en poste entre un et trois ans. Si les périodes de travail les plus courtes ne sont jamais inférieures à une année, la plus longue dure 21 ans114.
86Le maître d’hôtel est nourri et logé par l’hôpital. Il dispose d’une chambre individuelle, située depuis 1668, à côté de la grande porte de l’hôpital115. Il reçoit également une rémunération. Au début du xviie siècle, son salaire est par exemple fixé à 75 livres par an, avant de passer à 120 livres au milieu du siècle et à 150 au début du xviiie siècle116. Comme tous les employés, il n’est pas libre de sortir de l’hôpital. Lorsqu’il souhaite s’absenter, il doit en demander la permission au semainier, si celui-ci se trouve dans l’hôpital, ou à l’un des prêtres en son absence « pour avoir soin de la maison jusqu’à son retour117 ».
Les fonctions du maître d’hôtel
87Le maître d’hôtel est responsable de la nourriture, du linge, des meubles et des ustensiles qui se trouvent dans l’hôpital. Il doit en connaître la qualité et la quantité118. Il est chargé d’acheter les denrées périssables utilisées quotidiennement par l’hôpital pour les repas des employés et des malades119. Chaque dépense qu’il fait doit être consignée dans un registre particulier. Il doit veiller à ce que le cuisinier utilise la bonne quantité de viande afin d’éviter le gaspillage. Il gère également la distribution du bois, du charbon, des cendres puis du savon pour les lessives, du pain, du vin et de l’huile, toujours en vue d’éviter une surconsommation120. À partir de la seconde moitié du xviiie siècle, le maître d’hôtel doit tenir le compte de la consommation de pain, vin et viande dans un registre réservé à cet effet121.
88Le maître d’hôtel est responsable du personnel. Il doit s’assurer que les employés se comportent bien, qu’ils fassent correctement leur travail, qu’ils reçoivent la portion de nourriture à laquelle ils ont droit et qu’ils mangent aux heures prévues par le règlement. Il doit vérifier qu’aucun d’entre eux ne sorte de l’hôpital ou ne passe la nuit à l’extérieur de l’hôpital sans autorisation122. Il doit veiller à ce que les portes de l’hôpital soient ouvertes et fermées aux heures prévues par le règlement, c’est-à-dire « depuis le mois de mai jusqu’au mois de septembre à 21 heures et ouvertes à 5 heures, et depuis le mois de septembre jusqu’en mai fermées à 20 heures et ouvertes à 6 ». Le portier doit lui remettre les clefs chaque soir et les reprendre le matin. Les portes ne doivent s’ouvrir pendant la nuit qu’au cas où un malade se présenterait à la porte où qu’un enfant y serait déposé123.
89Concernant les malades, le maître d’hôtel récupère l’argent et le linge qu’ils laissent en dépôt lors de leur admission. Il les conserve jusqu’au jour de leur départ124. Au cas où les malades viennent à décéder, le maître d’hôtel remet leur argent au bureau125. Il visite les cours des malades le matin pour vérifier que ces derniers ont bien été soignés pendant la nuit. Il assiste aux repas des hospitalisés et vérifie qu’ils bénéficient de tous les soins nécessaires. Il prend garde à ce que les prêtres fassent correctement leur travail126.
90Le maître d’hôtel assiste ainsi quotidiennement le semainier et apparaît comme le second garant du bon fonctionnement de l’hôpital.
Le suppléant des recteurs en temps de peste
91Lors des trois grandes épidémies de peste que connaît Marseille en 1629, 1649 et 1720, l’hôpital est soumis à des règles spécifiques, quasiment similaires d’une épidémie à l’autre127. À chaque fois, le maître d’hôtel se voit confier l’administration de l’hôpital par les recteurs, alors que ces derniers s’empressent de quitter la ville. L’organisation de l’hôpital au moment de la rechute de 1722 fait exception. Bien que ne se réunissant plus hebdomadairement, les recteurs continuent à diriger l’hôpital par le biais du semainier.
92En période de peste, l’hôpital est fermé au public car le règlement interdit la réception de malades contagieux128. Si les échevins tolèrent cette fermeture, ils obligent tout de même l’Hôtel-Dieu à contribuer aux soins des pestiférés. L’hôpital doit ainsi fournir du linge et du mobilier aux hôpitaux les accueillant129.
93Dès que l’épidémie se déclare dans la ville, les recteurs se rendent à l’hôpital en compagnie des médecins et des chirurgiens pour visiter les malades. Les hospitalisés pouvant sortir sont congédiés, tout comme la majeure partie du personnel. Seuls quelques employés restent pour s’occuper des orphelins et soigner les malades qui n’ont pas pu partir. À leur intention, les recteurs stockent des vivres ainsi que du bois et des médicaments. Deux hommes, logés à l’extérieur de l’hôpital, sont chargés de l’approvisionner en produits frais. L’administration de l’hôpital est confiée au maître d’hôtel. Ce dernier doit gérer les stocks de nourriture et vérifier que l’hôpital fonctionne correctement. Si la peste s’infiltre à l’Hôtel-Dieu, il a le devoir d’en avertir les consuls (puis les échevins), tout comme il doit prévenir les recteurs lorsque l’établissement est hors de danger130.
94Malgré les précautions prises par l’administration, en 1720, la peste s’introduit à l’Hôtel-Dieu. D’après les recteurs, les échevins sont en partie responsables de cette situation. Ces derniers ont en effet décidé d’ignorer les précautions prises par les administrateurs et d’envoyer des pestiférés à l’hôpital, sans doute parce qu’ils espèrent qu’ils pourront y être soignés, ou du moins isolés du reste de la population131. Il s’agirait alors pour eux de circonscrire un espace où le mal serait contenu, où il serait recensé par une administration132.
95D’après le médecin Jean-Baptiste Bertrand, la contagion est portée par une femme qui se présente à l’hôpital pour y être hospitalisée.
Soit que son mal ne s’est pas encore manifesté, soit qu’il a donné le change à ceux qui la visitent, ils ne la croient atteinte que d’une fièvre ordinaire et ils la reçoivent. Deux des filles de la maison destinées au service des malades sont mandées pour soutenir cette malade et la conduire à l’appartement des femmes. La mère infirmière la change de linge, selon la coutume, et la fait coucher à la manière ordinaire. Le lendemain ces deux filles tombent malades et meurent presque subitement, c’est-à-dire en 6 ou 8 heures de maladie ; le jour d’après, la mère infirmière est aussi prise, et meurt aussi promptement que ces filles. De ces quatre malades, la contagion se répand dans toute cette maison133.
96Le maître d’hôtel décède le 12 septembre 1720 et l’aidant recruté pour le seconder à la fin du mois d’août 1720 doit lui succéder134. Ce dernier assure alors seul la direction de l’hôpital jusqu’à la fin de l’épidémie135.
97Début octobre 1720, la vocation première de l’Hôtel-Dieu qui est de recevoir les malades et les enfants abandonnés est détournée. À la mi-septembre 1720, les échevins décident de transformer l’hôpital général de la Charité en hôpital de peste et de transférer les pauvres qui s’y trouvent à l’Hôtel-Dieu. Selon le docteur Bertrand ce dernier est alors « vide, par la mort de tous les malades qui y sont et par celle de presque tous les enfants trouvés136 ». Toutefois, d’après le Procureur du Roi, Pichatty de Croissainte, s’il y a effectivement de la place en suffisance à l’Hôtel-Dieu, il y reste tout de même plus de cinquante pestiférés à évacuer avant de désinfecter l’hôpital et de pouvoir y installer les pauvres venus de la Charité. Il est alors décidé par les échevins de porter les pestiférés de l’Hôtel-Dieu « dans une chapelle de pénitents tout près137 ». Il faut ensuite attendre le 4 octobre pour que l’Hôtel-Dieu se transforme en structure d’accueil pour les pauvres. Par la suite, en raison de l’absence des registres des entrées pour cette période, nous ignorons quand les malades y sont à nouveau reçus. Au regard des registres des délibérations, il est possible que l’hôpital ait retrouvé sa vocation médicale à partir du moment où les recteurs réintègrent leur poste, soit vers le mois de janvier 1721.
98Quelques mois plus tard, en mai 1722, la ville connaît une période de rechute. Cette fois-ci l’hôpital n’est pas complètement fermé. Pour la première fois, les recteurs ne s’en désengagent pas totalement. Certes pendant près de deux mois, ils ne se réunissent plus, mais chacun d’eux assure à tour de rôle la fonction de semainier. En cas de besoin, il est prévu que des assemblées extraordinaires pourront être organisées. Les fonctions du maître d’hôtel ne sont pas bouleversées et les recteurs continuent à se charger de la direction de l’hôpital. Il est possible que ce changement d’attitude soit lié au fait que l’épidémie n’ait pas été aussi virulente que la précédente (elle ne dure que trois mois en 1722 contre huit mois en 1720). En effet, en 1720, les recteurs ne prennent la décision de quitter l’Hôtel-Dieu qu’à partir du mois d’août, soit deux mois après le début de l’épidémie, au moment où elle atteint son paroxysme138. Le fonctionnement de l’hôpital diffère également des autres périodes de peste. Au mois de mai 1722, le médecin et le chirurgien de service procèdent à une inspection et vérifient qu’aucun des hospitalisés n’est atteint de la peste. Dès lors, les salles sont fermées et tous les nouveaux admis sont reçus dans les appartements de l’hôpital construits juste avant l’épidémie, exclusivement réservés à cet usage, à condition toutefois d’être « porteur d’un billet de l’un des médecins de la ville préposé par Messieurs les échevins qui atteste que le malade n’a aucun soupçon de contagion ». Cette partie de l’hôpital est isolée du reste. Les employés qui y sont affectés (un chirurgien gagnant-maîtrise, un prêtre, deux infirmiers et des domestiques) y vivent reclus et ne doivent en aucun cas communiquer avec les employés restés dans les parties plus anciennes de l’édifice139. En juillet 1722, en raison du trop grand nombre de malades présents dans la nouvelle bâtisse, les recteurs décident que les malades qui ne présentent aucun signe de contagion pourront être placés dans les salles du vieil hôpital140. En août, les risques d’épidémie étant écartés, l’hôpital reprend son fonctionnement habituel.
99L’administration de l’hôpital repose donc presque entièrement sur les recteurs : ils prennent toutes les décisions concernant les malades ou le personnel. Afin de les seconder, les recteurs peuvent compter sur le maître d’hôtel. Véritable lien entre l’administration et les employés, son rôle consiste essentiellement à veiller à ce que les règles édictées par les recteurs soient respectées. En s’occupant des stocks alimentaires et de la surveillance du personnel, il permet aux recteurs de se concentrer sur les tâches administratives et de travailler au mieux à la gestion de l’hôpital. En temps de peste, son rôle devient prédominant car l’entière responsabilité de l’hôpital lui est confiée. Il passe alors du statut d’adjoint à celui de recteur suppléant.
100Telle qu’elle est présentée ici, l’administration de l’Hôtel-Dieu ne se différencie pas de celle des autres grands hôpitaux du Royaume. La départementalisation des tâches, les fonctions de trésorier et de semainier se retrouvent dans d’autres hôpitaux à l’exemple des hôpitaux de Toulouse, Lyon et Paris141. Par ailleurs, si l’existence d’un maître d’hôtel n’est pas avérée dans tous les hôpitaux, là où elle existe (Toulouse, Avignon, etc.), la définition du poste est quasiment identique à celle donnée à l’Hôtel-Dieu de Marseille142. Elle correspond également à la définition donnée en 1690 par le Dictionnaire Universel de Furetière, à savoir celle d’un officier « qui a soin d’ordonner les dépenses de la maison, de servir sur table, et de commander les officiers143 ».
101Finalement, comme le souligne Marie-Claude Dinet-Lecomte, gérer un hôpital à l’époque moderne signifie à la fois le diriger, l’administrer et le gouverner, chacune de ces trois fonctions correspondant à un niveau de pouvoir différent144. À l’Hôtel-Dieu de Marseille, la direction est confiée aux recteurs-nés, c’est-à-dire à l’évêque et aux consuls, puis au maire et aux échevins, l’administration à une équipe de recteurs laïcs et le gouvernement au maître d’hôtel.
102Si en apparence les recteurs décident seuls du fonctionnement de l’hôpital, en réalité, les recteurs-nés exercent sur eux un contrôle étroit. Ces derniers apparaissent comme leurs supérieurs hiérarchiques, donc comme les véritables responsables de la politique menée par l’Hôtel-Dieu. Si les échevins et l’évêque s’impliquent peu dans le fonctionnement de l’Hôtel-Dieu, ils ont tout de même un droit de regard sur les décisions du bureau. Ils interviennent dans les affaires de l’hôpital, quitte à imposer leurs choix aux recteurs. Il revient ainsi au Conseil de ville de valider la nomination des nouveaux recteurs et si les personnes ne leur conviennent pas, ils se réservent le droit de nommer celles qu’ils souhaitent. Les recteurs sont ainsi choisis en fonction des rapports qu’ils entretiennent avec les échevins. Ce lien se trouve d’ailleurs renforcé, à partir de 1716, lorsque les recteurs ne nomment plus aucun noble au sein du bureau. Dès lors, l’Hôtel-Dieu et la ville sont tous deux administrés par des hommes issus du même milieu socio-culturel, voire souvent des mêmes familles, donnant de ce fait plus de poids à la classe dirigeante dans le paysage politique marseillais. Ainsi, en tant qu’alliés, les recteurs de l’Hôtel-Dieu permettent aux échevins d’affirmer leur position de dominant.
Notes de bas de page
1 AD, 6 HD B 1.
2 J.-P. Gutton, dir., Les administrateurs d’hôpitaux dans la France de l’Ancien Régime, PUL, Lyon, 1999, p. 8 ; J. Imbert, Le droit hospitalier... op. cit., p. 217.
3 AD, 6 HD E 15 fo 146, 6 HD E 17 fo 129 et 6 HD E 18 fo 27-30.
4 AD, 6 HD E 15 fo 134.
5 AD, mémoire sur l’établissement du 16 février 1750, 6 HD E 14.
6 AD, 6 HD E 1 fo 410-411.
7 AD, « Acte d’union de l’hôpital du Saint-Esprit avec celui de Saint-Jacques de Galice… », 6 HD A 1.
8 AD, 6 HD E 1 fo 5.
9 AD, 6 HD E 8 fo 164.
10 AD, 6 HD E 18 fo 134 et 136.
11 AD, 6 HD E 18 fo 144.
12 AD, 6 HD E 21 fo 23.
13 AD, 6 HD B 15 fo 67 et 6 HD E 21 fo 49.
14 AD, 6 HD E 1 fo 4.
15 AD, 6 HD E 8 fo 47.
16 Barrigue De Montvallon, Précis des ordonnances, édits, déclarations, lettres patentes, statuts et règlements dont les dispositions sont le plus souvent en usage dans le ressort du Parlement de Provence, Aix, 1752, p. 200.
17 AD, « Recueil des statuts et règlements de l’hôpital de la Charité », 7 HD E 65.
18 AD, 6 HD E 9 fo 180.
19 AD, lettres des recteurs du 24 décembre 1722 (6HD B 300) et du 6 décembre 1762 (C 2608).
20 Octave Teissier, J. Laugier, Armorial des échevins de Marseille de 1660 à 1790, Marseille, Société anonyme de l’imprimerie marseillaise, 1883.
21 R. Pillorget, « Destin de la ville d’Ancien Régime », in E. Baratier, dir., Histoire de Marseille… op. cit., p. 189.
22 Alain Tallon, La Compagnie du Saint-Sacrement, 1629-1667, spiritualité et société, Paris, Éd. du Cerf, 1990 ; J.-P. Gutton, Dévots et société au xviie siècle. Construire le ciel sur la terre, Paris, Belin, 2004, p. 172.
23 Raoul Allier, La Compagnie du Très Saint-Sacrement d’autel à Marseille, Paris, Champion, 1909, p. 54.
24 AD, 6 HD E 8 fo 164.
25 AD, 6 HD E 17 fo 82.
26 AD, 6 HD E 19 fo 1-2.
27 Auguste Croze, Histoire du grand Hôtel-Dieu de Lyon des origines à 1900, Lyon, Audin, 1924, p. 138.
28 AD, 6 HD E 15 fo 134 et lettre des recteurs du 24 décembre 1722 (6 HD B 300).
29 AD, 6 HD E 8 fo 164 et 6 HD E 20 fo 11 et 66.
30 AD, 6 HD E 20 fo 177.
31 AD, 6 HD E 8 fo 149.
32 AD, 6 HD E 3 fo 191.
33 AD, 6 HD E 10 fo 64-65.
34 AD, 6 HD E 10 fo 94.
35 AD, 6 HD E 18 fo 4.
36 AD, 6 HD E 4 fo 104.
37 AD, 6 HD E 21 fo 159.
38 AD, 6 HD E 10 fo 77.
39 AD, 6 HD E 5 fo 152.
40 AD, 6 HD E 8 fo 164-165.
41 H. Alezais, « Cérémonial suivi au xviiie siècle aux obsèques des recteurs de l’Hôtel-Dieu morts en exercice », Bulletin officiel du Musée du Vieux Marseille, Marseille, 1932, no 8, p. 1-5.
42 R. Bertrand, Les Provençaux et leurs morts... op. cit., p. 223.
43 AD, 6 HD E 10 fo 127.
44 AD, 6 HD E 15 fo 76.
45 J.-B. Bertrand, Relation Historique... op. cit., p. 110.
46 AD, 6 HD E 11 fo 27.
47 AD, 6 HD E 11 fo 62.
48 AD, lettre des recteurs du 24 décembre 1722, 6 HD B 300.
49 AD, 6 HD E 5 fo 41.
50 AD, 6 HD E 3 fo 145 et 155.
51 AD, 6 HD E 3 fo 202, 210 et 217.
52 AD, 6 HD E 9 fo 50.
53 AD, 6 HD E 9 fo 145.
54 AD, 6 HD E 9 fo 461.
55 AD, 6 HD E 10 fo 223 et 6 HD E 13 fo 78.
56 AD, 6 HD E 13 fo 110.
57 AD, 6 HD E 14 fo 76.
58 AD, 6 HD E 15 fo 75.
59 AD, 6 HD E 4 fo 39.
60 AD, 6 HD E 8 fo 167.
61 AD, 6 HD E 4 fo 32 et 110.
62 AD, mémoire sur l’administration de l’Hôtel-Dieu de Marseille du 7 août 1775, 6 HD B 294.
63 AD, 6 HD E 8 fo 77.
64 AD, 6 HD E 4 fo 32.
65 AD, 6 HD E 4 fo 172, 6 HD E 8 fo 14 et 6 HD B 307 fo 496-506.
66 AD, 6 HD E 1 fo 1.
67 AD, 6 HD E 9 fo 25.
68 AD, 6 HD E 1 fo 1, 6 HD E 8 fo 91, 6 HD E 9 fo 50, 179, et 6 HD E 17 fo 30.
69 AD, mémoire sur l’administration de l’Hôtel-Dieu de Marseille du 7 août 1775, 6 HD B 294.
70 AD, 6 HD E 5 fo 19 et 6 HD E 6 fo 133-134.
71 AD, 6 HD E 8 fo 5.
72 AD, 6 HD E 9 fo 23.
73 AD, 6 HD E 13 fo 34.
74 AD, 6 HD E 1 fo 21.
75 AD, 6 HD E 20 fo 110.
76 AD, 6 HD B 307 fo 496-506.
77 AD, 6 HD E 10 fo 107.
78 AD, 6 HD E 2 fo 1 et 55.
79 AD, 6 HD E 1 fo 1.
80 AD, 6 HD E 3 fo 95.
81 R. Allier, La Compagnie… op. cit., p. IX.
82 AD, 6 HD E 2 fo 1.
83 AD, 6 HD E 3 fo 180 et 182.
84 AD, 6 HD E 6 fo 169 et 6 HD E 7 fo 105.
85 AD, 6 HD E 8 fo 84.
86 AD, 6 HD E 11 fo 127.
87 AD, 6 HD E 15 fo 91.
88 AD, 6 HD E 15 fo 102.
89 AD, 6 HD E 17 fo 44.
90 Marcel Fosseyeux, L’Hôtel-Dieu de Paris au xviie et au xviiie siècle, Paris, Berger-Levrault, 1912, p. 66 ; A. Croze, Histoire du grand Hôtel-Dieu de Lyon… op. cit., p. 141.
91 AD, mémoire sur l’administration de l’Hôtel-Dieu de Marseille du 7 août 1775, 6 HD B 294.
92 AD, 6 HD E 14 fo 52.
93 AD, 6 HD E 5 fo 65 et 6 HD E 8 fo 2.
94 AD, lettre aux recteurs de l’Hôtel-Dieu de Lyon du 15 juillet 1750 et lettre aux recteurs de l’hôpital de Toulouse du 23 juillet 1750, 6 HD B 302.
95 AD, lettres des recteurs d’Arles du 11 septembre 1743 (6 HD B 316) et du 30 juin 1751 (6 HD B 318).
96 AD, 6 HD E 4 fo 104.
97 AD, 6 HD E 2 fo 1.
98 AD, 6 HD E 1 fo 1.
99 AD, 6 HD E 2 fo 55.
100 AD, 6 HD E 3 fo 205.
101 F.-P. Blanc, Les enfants abandonnés… op. cit., p. 128-129.
102 AD, 6 HD E 4 fo 195.
103 AD, 6 HD E 15 fo 103-104.
104 AD, 6 HD C 9 fo 437.
105 AD, 6 HD E 15 fo 134-135.
106 A. Croze, Histoire du grand Hôtel-Dieu de Lyon… op. cit., p. 139.
107 O. Teissier, J. Laugier, Armorial... op. cit.
108 J.-P. Gutton, dir., Les administrateurs d’hôpitaux dans la France… op. cit., p. 8.
109 Maurice Raimbault, « Les institutions communales de 1481 à 1789 », in P. Masson, dir., Les Bouches-du-Rhône, Encyclopédie départementale, Marseille, 1928, t. 3, p. 620.
110 Michel Vovelle, « Le grand renfermement en Provence », Provence historique, t. 32, Juillet-septembre 1982, p. 275 ; F.-X. Emmanuelli, « Les œuvres d’assistance dans la France méditerranéenne », in J.-P. Gutton, dir., Les administrateurs d’hôpitaux dans la France… op. cit., p. 125.
111 AD, 6 HD E 9 fo 228.
112 AD, 6 HD E 2 fo 137, 6 HD E 9 fo 100 et 6 HD E 17 fo 148.
113 AD, 6 HD E 3 fo 223 et 6 HD E 8 fo 87.
114 AD, 6 HD E 13 fo 40 et 6 HD E 15 fo 160.
115 AD, 6 HD E 4 fo 175.
116 AD, 6 HD F 17 fo 1, 6 HD E 3 fo 147 et 6 HD E 9 fo 100.
117 AD, 6 HD E 8 fo 88.
118 AD, 6 HD E 3 fo 147-149.
119 AD, 6 HD E 4 fo 41.
120 AD, 6 HD E 8 fo 31.
121 AD, règlement pour le maitre d’hôtel du 10 juillet 1760, 6 HD E 17.
122 AD, 6 HD E 6 fo 49.
123 AD, 6 HD E 8 fo 88.
124 AD, 6 HD E 1 fo 112.
125 AD, 6 HD E 6 fo 84 et 150.
126 AD, 6 HD E 8 fo 88.
127 AD, 6 HD E 3 fo 61, 182 et 6 HD E 10 fo 253.
128 AD, 6 HD E 10 fo 253.
129 AM, « Divers effets livrés par l’Hôtel-Dieu par ordre de Messieurs les échevins pour les hôpitaux de pestiférés », 1720, GG 380.
130 AD, 6 HD E 3 fo 61 et 182 et 6 HD E 10 fo 253.
131 AD, 6 HD E 10 fo 253.
132 J. Revel, J.-P. Peter, « Le corps. L’homme malade et son histoire », in Pierre Nora, Jacques Le Goff, dir., Faire de l’Histoire, Paris, Gallimard, 1986, t. 3, p. 178.
133 J.-B. Bertrand, Relation Historique... op. cit., p. 106-109.
134 AD, 6 HD F 37 fo 82 et 93.
135 AD, 6 HD E 11 fo 28.
136 J.-B. Bertrand, Relation Historique... op. cit., p. 266.
137 Journal du Procureur du Roi et de police Pichatty de Croissainte intitulé Journal abrégé de ce qui s’est passé en la ville de Marseille depuis qu’elle est affligée de la contagion. Fait à Marseille le 10 décembre 1720, Archives de la chambre de commerce de Marseille liasse G 18.
138 Michel Signoli, Olivier Dutour, « Corps médical et condition hospitalière durant l’épidémie de peste de 1720-1722 à Marseille », Revue Prévenir, no 32, Marseille, 1997, p. 228.
139 AD, 6 HD E 11 fo 42-44.
140 AD, 6 HD E 11 fo 45-46.
141 M. Fosseyeux, L’Hôtel-Dieu de Paris... op. cit., p. 67-70 ; A. Croze, Histoire du grand Hôtel-Dieu de Lyon... op. cit., p. 135 et 142-143.
142 Michel Ibert, Contribution à l’étude de l’hôpital Sainte-Marthe d’Avignon (1670-1740), Marseille, Faculté de médecine, 1979, p. 488 ; Anne Casteran, L’hôpital général Saint-Joseph de la Grave de Toulouse aux xviie et xviiie siècles (1647-1796), Thèse d’histoire, Université de Toulouse II, 1999, p. 108.
143 Antoine Furetière, « Maître d’hôtel », Dictionnaire universel, La Haye, chez Arnoult et Reinier Leers, 1690, réimpression Paris, SNL Le Robert, 1984.
144 M.-C. Dinet-Lecomte, « Les hôpitaux sous l’Ancien Régime, des entreprises difficiles à gérer ? », Histoire, économie et société, 18e année, no 3, 1999, p. 529.
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