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La Provence des rois de France

 | 
Régis Bertrand

Trois siècles et onze générations de Provençaux

Chapitre VIII. Le temps des troubles

Texte intégral

1Les guerres de Religion constituent en Provence comme dans le royaume de France une période de troubles et d’affrontements armés dont l’étude n’a guère été renouvelée que pour l’époque de la Ligue. Nous restons sinon tributaires pour l’essentiel de l’étude du docteur Gustave Lambert (Lambert, 1870). Une autre lacune concerne la situation économique, encore trop déduite des troubles, alors qu’elle fut sans doute variée selon les moments, et surtout les endroits, et point continuellement partout défavorable. En témoignent des réalisations architecturales et artistiques peu à peu réévaluées.

Le tissu religieux

2On évitera ici le classique bilan de l’état religieux à la veille de la Réforme, qui ne souligne en général que carences et défauts car il est trop souvent encore sous-tendu par l’idée implicite que la Réforme était inéluctable et aurait dû triompher si elle n’en avait été empêchée, a priori fort discutable, en particulier dans cette région où le protestantisme échouera à convaincre l’essentiel de la population et a donc connu un rejet populaire. On mesure mal combien le passage à la Réforme calviniste constituait un changement de foi, de pratiques liturgiques et sacramentelles, de doctrine du Salut et de représentations de l’au-delà, pour les catégories instruites comme pour le peuple analphabète. Un tel geste, ou au contraire son refus, échappent à tout déterminisme et relèvent d’études complexes de microhistoire ; se sont sans doute mêlés interrogations eschatologiques, convictions et décisions individuelles, phénomènes d’entraînement, de dynamique de groupe, parfois aussi coercition, stratégies personnelles et rapports de force locaux, voire curiosité qui n’est pas pour autant adhésion, en particulier vers 1559-1560, quand la nouvelle confession devient visible par ses églises.

Un catholicisme bien établi

3Le clergé provençal des débuts du xvie siècle, étudié par Claire Dolan et Marc Venard, est certes souvent de médiocre compétence et sa spiritualité peut être sommaire, voire sa moralité approximative. La portion des clercs qui est au service du siècle, les prieurs et les vicaires congruistes (voir chap. 4), est moins exigeante que celle des siècles suivants à l’égard des fidèles et a pu décevoir certains de ces derniers – en particulier alphabétisés. Mais la plupart des fidèles « attendent du clergé d’abord les sacrements et la messe ». Ils pratiquent ce que M. Venard a proposé d’appeler une « religion sacrale », très ritualisée et sacramentelle, et néanmoins sans doute très fervente : la plupart des populations peu alphabétisées du monde actuel semblent satisfaire pleinement leur religiosité de pratiques très formalistes et rituelles et y être farouchement attachées. Elle mêle encore étroitement sacré et profane à travers maintes pratiques domestiques et publiques, par exemple des fêtes comme celles de la Tarasque à Tarascon et les jeux de la Fête-Dieu à Aix, même si ces fêtes n’ont pas encore au début du xvie siècle l’ampleur, la complexité et le pittoresque qui leur seront reconnus par les auteurs du xviiie siècle (chap. 3).

4Les biens de l’Église ne paraissent pas considérables en Provence au début du xvie siècle et sont moindres qu’en d’autres régions. Les abbayes provençales sont moins riches que leurs équivalents du nord du royaume. Philippe Loupès a montré que la Provence est avec le Sud-Ouest français et la partie nord du Bassin parisien une des régions du royaume qui offrent les plus fortes densités de chapitres canoniaux, cathédraux et collégiaux. Ils semblent globalement beaucoup moins aisés que ceux du Bassin parisien. Mais ces constats quantitatifs sommaires sont peu significatifs. L’important n’est pas la richesse objective des institutions mais la façon dont elle était perçue par les populations. Au demeurant, l’anticléricalisme que pouvaient nourrir la richesse, l’incompétence ou la désinvolture du clergé aurait-il suffi à les faire passer au calvinisme, soit à une dissidence radicale par sa doctrine des fins dernières, sa théologie et sa discipline ecclésiastique ? Il est vrai que les protestants laissaient espérer aux paysans la suppression des dîmes.

5Les siècles précédents ont légué trois sites d’exception, liés aux légendes des « saints de Provence » (compagnons du Christ qui seraient venus s’installer en Provence depuis la Palestine après la résurrection du Christ et auraient évangélisé la contrée). « Notre-Dame de la Mer », où ils auraient abordé, qui prendra le nom des « Saintes-Maries », à cause des reliques qui y sont conservées (mais le pèlerinage des gitans n’est pas mentionné avant la fin du xixe siècle), Tarascon (où sainte Marthe aurait dompté la Tarasque, un dragon androphage), et surtout la Sainte-Baume, grotte où aurait vécu Marie-Madeleine. Mais là encore, il convient de se défier de l’anachronisme : l’authenticité – et l’éventuelle action miraculeuse des reliques – sont niées par principe par les protestants ; celle de la venue et du séjour de ces compagnons du Christ ne donnera lieu à controverse qu’à partir du milieu du xviie siècle – et en milieu surtout catholique. La Sainte-Baume a été visitée par François Ier en 1516, Charles IX et Catherine de Médicis en 1564 ; elle le sera encore par Louis XIV en 1660, lors du dernier grand tour du royaume effectué par un roi de France.

6Deux traits ont été souvent soulignés. L’importance des confréries d’abord (Frœschlé-Chopard et Devos, 1988 ; Bertrand, 1997). Des confréries luminaires et de métier, qui entretiennent une chapelle ou bien un autel dans une église paroissiale ou conventuelle, y font célébrer des messes ou y organisent la récitation de prières (confréries de Notre-Dame du Rosaire) et qui solennisent la fête de leur titulaire. Et surtout des compagnies de pénitents. D’origine italienne, ces fraternités masculines volontaires composées essentiellement de laïcs se sont diffusées à partir d’Avignon et Marseille dans les premières décennies du xvie siècle. Elles constituent des groupes semi-fermés, au costume spécifique (cagoule assurant l’anonymat en public). Elles offrent à leurs membres un projet global de vie et d’action, dont le but premier est de travailler à leur salut. Leurs statuts imposent à leurs membres de fortes exigences morales, des pratiques de dévotion collectives et individuelles nombreuses (messes, offices, prières). L’association apporte à chaque membre le soutien d’une émulation dans le perfectionnement moral et l’approfondissement spirituel par le contrôle mutuel, voire la crainte du jugement collectif. La solidarité confraternelle fait bénéficier chacun des prières des autres et les confrères morts de celles des vivants. L’adhésion à la confrérie leur procure des indulgences et leur permet de conduire une action en commun dans l’intensité des relations interpersonnelles (la « sociabilité ») et la discipline efficace d’un corps qui désigne sa propre hiérarchie et jouit d’une relative autonomie institutionnelle et spirituelle envers le clergé (Bertrand, 1997). Dès les années 1560, les protestants et certains évêques provençaux ont perçu la propagation en sites urbains des compagnies de pénitents comme un contre-feu à l’extension de la Réforme. Les premiers tenteront d’ailleurs d’obtenir leur interdiction.

7Le second trait est l’importance de la croyance dans le purgatoire, qui avait connu une forte diffusion depuis l’Avignon pontificale, et dans le pouvoir rédempteur des gestes charitables, des messes et des saints intercesseurs (Vovelle, 1970 ; Venard, 1993). Au cours des derniers siècles du Moyen Âge, l’« élection de sépulture » par testament et la fondation d’une sépulture familiale dans le sous-sol des chapelles et des nefs des églises paroissiales et conventuelles ont connu une faveur croissante auprès des fidèles. Elles permettent le « repos » dans l’attente de la résurrection ad sanctos, auprès des reliques des saints et en des lieux sacrés où la messe est célébrée quotidiennement. Tout cela est nié sans ambages par la Réforme de langue française, laquelle impliquait de façon générale la destruction de larges aspects de la culture religieuse préexistante et des pratiques religieuses collectives – comme va le montrer la vague profanatrice et destructrice de tout signe du catholicisme, qui s’empare d’Orange à la fin de 1561.

Tableau du maître-autel de l’ancienne chapelle des pénitents blancs de Seyne-les-Alpes, caractéristique de l’iconographie de ces associations : la compagnie avait été fondée en 1596 sous le titre des Cinq plaies du Christ et le tableau détaille autour du Christ de pitié tous les instruments de la Passion. Deux anges introduisent auprès de lui deux pénitents en prière sous leur sac à cagoule.

Des vaudois aux réformés

8Les conflits religieux commencent tôt en Provence avec la découverte de la présence en Luberon de vaudois, adeptes de la seule « hérésie » médiévale qui ait atteint les Temps modernes où elle se fondit dans le protestantisme.

9Le mouvement des « Pauvres de Lyon », dont la fondation est attribuée à Vaudès (en latin Valdo) vers 1170, fut vite pourchassé par la hiérarchie catholique. Il dut dès la fin du xiie siècle s’organiser clandestinement et connut une diaspora européenne dans les sites refuges de la chaîne alpine, d’où il essaima ensuite de la Baltique jusqu’à la Calabre et à la Provence. Des vaudois venus surtout des Alpes dauphinoises et piémontaises s’établirent entre 1460 et 1520 à l’occasion des repeuplements sur les terres vacantes du Luberon et des rives de la Durance, formant un habitat intercalaire d’« écarts », de hameaux et bastides en une trentaine de localités de Provence et du Comtat, parmi lesquelles se détache « une sorte de bastion vaudois polynucléaire » (Audisio, 1984) constitué de seize villages ou bourgs où ils constituèrent une forte minorité, sinon la majorité, parfois la quasi-totalité des habitants (ainsi les deux Cabrières, d’Aigues et d’Avignon, Lourmarin, Mérindol, La Roque d’Anthéron). Ils formaient, par leurs origines alpines très localisées, leurs patronymes caractéristiques, leur mode de vie en familles larges, une minorité ethnique dont le particularisme religieux ne semble pas avoir été dénoncé avant 1530. G. Audisio a montré que « la participation vaudoise à l’Église (catholique) semble bien établie », qu’ils fréquentaient l’église paroissiale et en recevaient les sacrements.

10Précoces semblent avoir été les contacts entre Luther et les barbes, ces prédicateurs itinérants et clandestins des vaudois qui se déplaçaient toujours deux par deux, allant de maison en maison pour y prêcher et y tenir de petites assemblées nocturnes. Après deux ans de débats, le synode tenu par les barbes réunis à Chanforan (en Piémont, dans le Val Luserne) en 1532 marque une rupture, au moins doctrinale, par leur ralliement à la Réforme. C’est une « véritable mutation idéologique » (G. Audisio) qui est cependant une « décision d’état-major ». Elle mettra près d’une génération à se traduire dans les pratiques et la foi des fidèles.

11La présence vaudoise est découverte au début des années 1530 par les autorités civiles provençales (le président du parlement Jean de Maynier d’Oppède) et religieuses (l’archevêque d’Aix Antoine Filhol) et comtadines, soucieuses de combattre les progrès de « la secte de Luther ». Les adeptes du valdéisme sont dès lors victimes de persécutions qui culminent en avril 1545 dans un massacre qui eut un retentissement européen. Le vice-légat d’Avignon lance alors une offensive avec l’appui du roi de France contre Cabrières-d’Avignon, petite ville fortifiée comtadine à majorité vaudoise. Du 16 au 18 avril, le pays vaudois de Provence, dont la population s’est enfuie dans la montagne, est ratissé par la troupe qui pille, brûle les maisons et massacre ceux qu’elle rencontre ; puis elle fait sa jonction avec les troupes du vice-légat pour assiéger Cabrières. La ville prise le 20 avril, les habitants sont pour une large part massacrés. Les soldats ravagent ensuite Mérindol, Murs et Lacoste, déclenchant un pillage qui attire les paysans des villages voisins. Cabrières-d’Avignon est rasé à l’automne et le village, ensuite repeuplé, ne sera plus vaudois.

12Les vaudois persécutés vont intérioriser progressivement les principes de la Réforme calviniste. À la fin des années 1550, ils sortent de la clandestinité et commencent à bâtir les premiers temples (1559, La Roque-d’Anthéron) et à « dresser » (organiser) des églises protestantes dotées du consistoire et du pasteur (Mérindol, 1563). C’est alors que G. Audisio situe « la fin du valdéisme ». Leurs descendants contribueront à enraciner un protestantisme rural – à la différence de la plupart des autres communautés réformées provençales –, socialement modeste, qui débordera assez peu du pays d’Aigues et du Luberon septentrional.

L’implantation difficile et médiocre du protestantisme

13Si l’on excepte le Luberon vaudois, la Provence est une des rares régions de la France méridionale à n’avoir été que faiblement atteinte par la Réforme. 1 % de la population serait passé à la confession nouvelle (Arnaud, 1884). La Réforme ne parvient pas en particulier à conquérir les principales villes. Marseille n’aurait compté vers 1560 que 700 à 800 protestants, soit moins de 2 % de la population, qui restèrent – bien que notables pour la plupart – exclus du conseil municipal, ne pouvant ainsi exercer une influence sociale, même si leurs liens familiaux et d’affaires avec la majorité de la haute bourgeoisie restée fidèle au catholicisme a pu permettre une coexistence discrète jusqu’à la Ligue. Les consuls de Marseille s’opposeront aux mesures générales de pacification ; ils refusent d’appliquer l’édit de tolérance de janvier 1562, et plus tard l’édit de Nantes, arguant que les statuts de la ville interdisaient que des hérétiques y habitent. Il n’y aura aucun culte public réformé à Marseille avant 1791. Le petit troupeau des Marseillais convertis au protestantisme et les marchands étrangers établis dans la ville devront fréquenter le culte de bourgs voisins (Signes, Auriol) puis, au xviie siècle, le temple de Velaux, établi dans la propriété des Solicoffre (Zollicoffer), grands marchands marseillais originaires de Saint-Gall (Suisse).

14Peu de protestants également à Toulon, et apparemment à Arles au xvie siècle. En revanche la minorité réformée a occupé à Aix une place qui n’est pas négligeable dans les luttes politiques et l’archevêque, Jean de Saint-Chamond, a déclaré publiquement dans sa cathédrale son adhésion au calvinisme le jour de Noël 1566, ayant appris que le pape venait de confisquer son bénéfice – il mourra en 1578, marié et gouverneur d’Aigues-Mortes.

15Des groupes réformés vont s’avérer opiniâtres dans les villages et bourgs de l’ancienne aire du valdéisme, dont certains, où ils sont majoritaires, forment des « bastions protestants » (Borello, 2003) – ainsi Mérindol, Lourmarin, La Roque-d’Anthéron. Des noyaux protestants se sont aussi formés aux Baux et dans des bourgs proches (Mouriès fixe un foyer de protestantisme jusqu’à l’époque contemporaine), à Apt ainsi qu’au Luc et dans les vallées de la Durance et de ses affluents, où la Réforme a gagné une partie des notables de petites villes (Manosque, Sisteron, Riez, Forcalquier, Seyne-les-Alpes et sa vallée), et parfois des villages aux seigneurs convertis au protestantisme (Thoard, Espinouse, Roumoules). À la suite de l’édit de Nantes, Lourmarin sera reconnu « place de sûreté » protestante et seront institués trois lieux de culte « de baillages » (de sénéchaussées dans le cas provençal), à Manosque, Le Luc et Velaux (Bourrilly, 1956).

« Après les ténèbres, la lumière, 1571 » : la devise de la Réforme française, gravée au linteau d’une fenêtre des Baux, indique la demeure d’un notable protestant, peut-être comme on l’a parfois avancé, le lieu de culte réformé (temple) de la petite ville.

16Aux marges de la Provence, à Avignon, ville universitaire d’importance, les idées de Luther ont été connues dès 1519. Le passage à la Réforme était susceptible de séduire une partie de l’élite dirigeante ; certains de ses membres seront d’ailleurs peut-être un moment tentés à la fin de la décennie 1550 par la dissidence protestante dans le cadre du séparatisme d’avec Rome. Mais en 1538, deux ans avant Rome, la papauté dote Avignon d’une inquisition renouvelée et la « hantise de l’hérésie » marque les débuts de la Contre-Réforme répressive : interdiction de posséder des ouvrages hérétiques, de discuter des problèmes de la foi, recherche et condamnation des dissidents, exécution en 1562 de Perrinet Parpaille, professeur de droit à l’université (il n’est pas sûr qu’il soit à l’origine du nom de « parpaillots » donné aux réformés). Il n’y aura dans la « seconde Rome » de communauté protestante qu’à partir du xixe siècle.

Carte 10 - Présence protestante en Provence au xviie siècle

Carte 10 - Présence protestante en Provence au xviie siècle

17L’exception est constituée par Orange, enclave étrangère dépendant d’un prince devenu protestant, Guillaume Ier le Taciturne. Les calvinistes s’emparent des églises de la ville en novembre-décembre 1561. Ils y détruisent reliques et images – c’est le début de l’iconoclasme protestant qui va se déchaîner l’année suivante à travers la France – et ils y établissent leur culte en punissant de mort toute pratique du catholicisme. Orange est prise en juin 1562 par l’armée catholique, mais la ville revient sous domination calviniste dès 1563 ; elle est dès lors la « petite Genève du Midi », refuge des protestants persécutés, en particulier dans les terres pontificales voisines. En 1607, l’égalité des sujets des deux confessions y sera proclamée. Il y a alors environ deux tiers de catholiques et un tiers de protestants (Venard, 1993).

18Des recherches d’érudition pourraient augmenter le nombre des localités où quelques familles protestantes sont signalées – l’étude par P. Leclerq de Garéoult en fait ainsi apparaître huit. Mais les réformés ne paraissent guère avoir pu, hors d’Orange et du Luberon vaudois, constituer une masse critique suffisante pour contrôler des conseils de communautés, faire pièce au clergé catholique et à ses fidèles convaincus, ni tenter d’abolir le culte catholique et d’imposer des conversions. La sociologie des milieux favorables au protestantisme qui a été définie dans les autres régions de France ne se retrouve guère en Provence. Marchands et artisans de Marseille et de Grasse ont été peu réceptifs à la nouvelle religion, de même que la nombreuse noblesse d’Arles. Le protestantisme provençal a « une forte composante paysanne » à cause du valdéisme (Borello, 2003), sauf à Marseille où se manifeste la présence de marchands étrangers, tels les Sollicoffre. Dès le xixe siècle, des érudits ont avancé l’a-priori vague et parfois déprécatif de l’incompatibilité de la piété méditerranéenne des Provençaux avec la Réforme. M. Venard a montré plus précisément comment la Réforme catholique va ensuite s’épanouir dans le terreau préservé d’une religiosité foisonnante qui s’exprime à travers la multiplicité des associations pieuses, les processions, les grandes cérémonies et les pèlerinages, les dévotions spécifiques propagées par les ordres mendiants et bien d’autres facteurs qui entrèrent sans doute en jeu. Il a suggéré que le « refus populaire du protestantisme » qui se manifeste parfois de façon violente pouvait traduire un phénomène de rejet d’une dissidence qui rompt sans appel avec les traditions, les rites et les sacralités du catholicisme, multiplie les gestes blasphématoires à l’égard de la Vierge et des saints et remet en cause l’ensemble des rituels de la mort et des représentations de l’au-delà (Venard dans Joutard, 1978 et Venard, 1993).

19L’iconoclasme protestant semble avoir également scandalisé les fidèles dès lors qu’il n’était pas sous-tendu par le consensus d’une masse suffisante de notables convertis à la Réforme. C’est le cas en particulier de quelques ravages effectués par les bandes protestantes à travers la Haute-Provence pendant les guerres de Religion, destruction du clocher de Notre-Dame du Bourg à Digne ou crémation sur le bûcher du corps d’un évêque enterré dans la cathédrale à Senez. Cette désacralisation brutale imposée par une minorité a d’ailleurs suscité des réactions qui anticipent celles provoquées plus tard par la déchristianisation révolutionnaire : ainsi des reliques et des statues vénérées sont dissimulées, et il est possible que l’on n’ait point rétabli certaines des ruines ainsi provoquées pour perpétuer la mémoire du vandalisme réformé. Ces destructions furent cependant relativement modestes et affectèrent surtout quelques régions rurales (vallée du Verdon, nord du Comtat), le catholicisme urbain étant resté épargné, à l’exception d’Orange.

Les guerres de Religion

Les premières guerres

20La première flambée de violences des années 1559-1562 révèle d’emblée la pugnacité d’un protestantisme provençal très minoritaire, mais commençant à dresser ouvertement ses propres églises et confronté aux réactions violentes de la population (à Castellane, puis Draguignan, à l’encontre d’Antoine Richieu de Mauvans, 1559), auxquelles les réformés ripostent par des coups de main dévastant et pillant les églises (Paul Richieu de Mauvans, frère d’Antoine, à travers la Haute-Provence, 1560). Dès 1561, le premier consul d’Aix, Durand de Pontevès, seigneur de Flassans, et son aîné, Jean de Pontevès, comte de Carcès, sont les chefs du parti catholique. Lorsqu’en 1562, le roi met en vigueur le premier édit qui reconnaît la liberté de conscience et autorise le culte réformé, Flassans massacre les protestants de Tourves et s’enferme dans Barjols. Le gouverneur, Claude de Savoie, comte de Tende, et le chef du parti protestant, Paul Richieu de Mauvans, prennent d’assaut Barjols ; 600 catholiques auraient été massacrés et les reliques de saint Marcel brûlées. Flassans, qui a pu fuir, se réfugie à Porquerolles.

21Les offensives se poursuivent dans le contexte de la première guerre de Religion qui fait alors rage dans le royaume (ces « guerres » successives distinguées par les historiens anciens à partir des édits qui les scandent ne sont évidemment que des repères traditionnels, inégalement pertinents en Provence ; le terme de « guerre de Religion » a été créé par les historiens du xixe). Le fils de Tende, Honoré de Savoie, comte de Sommerive, catholique convaincu, à la différence de son père et de la seconde épouse de ce dernier, protestante, est nommé lieutenant général ; avec l’appui des troupes pontificales, il reprend Orange en 1562 – en représailles, le baron dauphinois des Adrets massacre les catholiques de Mornas. Puis il assiège en juillet Sisteron où son père et Mauvans se sont enfermés avec l’appui de troupes du Dauphinois François de Bonne de Lesdiguières – ils s’enfuiront de nuit avec une partie de la population peu avant la prise de la ville (6 septembre 1562), mais la garnison sera massacrée. Le calme revient momentanément avec la paix d’Amboise (mars 1563), que le parlement refuse d’abord d’enregistrer puis qu’il applique si mal que Charles IX doit le remplacer momentanément par une commission de justice. Catherine de Médicis organise le « tour de France royal » de 1564-1566 pour faire connaître à ses sujets son fils Charles IX, désormais majeur. La cour visite la Basse-Provence occidentale de septembre à décembre 1564. La postérité retiendra surtout que la reine consulta Nostradamus à l’étape de Salon. Sommerive, devenu gouverneur à la mort de son père en 1566, maintient à peu près la paix, au prix d’un second siège de Sisteron, porte du Dauphiné, jusqu’à sa mort en 1572. À la différence des autres parties du Midi, la Provence échappe aux deuxième, troisième et quatrième guerres de Religion, auxquelles participent certains de ses chefs catholiques et protestants avec leurs troupes. En 1568, Mauvans est tué près de Périgueux et Sommerive se fait remarquer à la bataille de Jarnac. En 1572, il n’y a pas de réplique dans la Provence urbaine du massacre de la Saint-Barthélemy. La Provence ne participe pas non plus au vain projet séparatiste de « Provinces-unies du Midi » nourri par des protestants méridionaux en 1573, à la différence de portions du Dauphiné et du Languedoc. (J. Garrisson, Protestants du Midi, Toulouse, Privat, 1980).

22En 1572 Jean de Pontevès-Carcès reçoit la charge de grand sénéchal, mais non celle de gouverneur : il devient lieutenant général du gouvernement. Le maréchal Gaspard de Saulx-Tavannes, nommé gouverneur en 1573 par Henri III, est remplacé dès l’année suivante par Albert de Gondi, comte de Retz, lequel entre vite en conflit avec Carcès. Les Provençaux se partagent progressivement entre Razats (les « dépouillés, volés [par Carcès] », protestants et catholiques modérés soucieux de fidélité au roi) et Carcistes (catholiques intransigeants ralliés à Pontevès-Carcès). Ce dernier conserve le contrôle des troupes. Les protestants ayant repris les hostilités en Haute-Provence en 1574 à la faveur de la cinquième guerre de Religion et surpris plusieurs villes, dont Riez, Digne et Seyne, il remporte plusieurs succès sur eux, assiège longuement et prend la place forte de Ménerbes. Mais ne peut leur reprendre Seyne, que l’édit de pacification de Beaulieu reconnaît aux protestants en mai 1576 comme place de sûreté, avec Mérindol. Pour suppléer Retz, malade, le roi dépêche en Provence avec titre de commandant en chef le « Grand Prieur », Henri d’Angoulême, bâtard d’Henri II et grand prieur de France de l’ordre de Malte. Mais il nomme ensuite gouverneur François de La Baume, comte de Suze, qui ne s’impose guère et s’enfuit au début de 1579. À noter que le parlement autorise la réunion en décembre 1578 d’une « assemblée particulière des communautés » qui préfigure nettement leur future Assemblée générale, d’autant que pendant les années suivantes l’habitude se prend de la réunir pour voter des subsides en urgence (Hildesheimer, 1935, voir chap. 2). Des opérations complexes opposent dans le plat pays pendant la sixième guerre de Religion les bandes des Razats, des Carcistes, celles de Suze ; s’ajoute une jacquerie partie de Calas que les Razats auraient dirigée vers les possessions de Carcès et de ses alliés. Tout s’arrête en 1579. La reine-mère, Catherine de Médicis, qui a entrepris un voyage de pacification dans le Midi, obtient que les deux partis cessent le combat. Elle est aidée par la rude peste de 1580 et son retour de 1582. La Provence évite du moins les opérations confuses de la septième guerre de Religion.

Le temps de la Ligue et de l’intervention étrangère

23Après la peste, la lutte se mue en guerre civile lorsqu’en 1584 Henri de Bourbon, roi de Navarre et prince protestant (le futur Henri IV), devient l’héritier potentiel du trône à la suite de la mort du duc d’Anjou, dernier frère d’Henri III. La Ligue, formée en particulier de Carcistes, fait de rapides progrès. Carcès étant mort en 1582, elle est dirigée par Hubert de Vins, son neveu, jusqu’à sa mort en 1589. Elle va se heurter aux « Bigarrats » (on peut traduire par « ceux qui sont religieusement ou politiquement mixtes »), qui unissent Razats et « Politiques » (catholiques légalistes) en un parti royaliste. Ces partisans du roi se groupent tour à tour autour du Grand prieur, Henri d’Angoulême, nommé gouverneur en mai 1579, puis du duc Jean-Louis de Nogaret d’Épernon, nommé gouverneur lorsque le Grand prieur est tué dans un duel en 1586. Dans le cadre de la huitième guerre de Religion et du traité de Nemours par lequel Henri III, pressé par la Ligue parisienne, interdit le culte protestant, Épernon soumet en 1587 Seyne, tenue par les protestants, dont il fait pendre les chefs. Il doit retourner ensuite à la cour pour y jouer auprès d’Henri III un rôle de premier plan, laissant en Provence son frère, Bernard de Nogaret de La Valette, lieutenant général.

24En mai 1588, après la Journée des Barricades, Paris est passée à la Ligue. La même année et la suivante, la Ligue se rend maîtresse de l’essentiel des villes de Basse-Provence occidentale, y compris Marseille et Aix où le parlement s’attribue le « commandement » de la Provence. La Valette et les Bigarrats tiennent Pertuis, où siègent sept conseillers au parlement fidèles au roi (ils se replieront ensuite à Sisteron puis à Manosque) et où il convoque une assemblée des États qui se réunira ensuite à Riez. Le parlement ligueur en organise une à Marseille avec les procureurs du pays, consuls d’Aix. Dès lors les institutions centrales de la Provence sont dédoublées.

25L’assassinat d’Henri III le 1er août 1589 fait d’Henri de Bourbon le prétendant au trône. Seuls les Bigarrats le reconnaissent ; les Ligueurs proclament roi, à l’instar de Paris, le cardinal de Bourbon sous le nom de Charles X, qui meurt dès 1590. La situation provençale est spécifique dans la France du Sud : dans les autres régions, où s’étaient esquissées les Provinces-Unies du Midi et où la présence protestante était plus forte, Henri de Bourbon pouvait compter sur des villes et de larges portions de territoires qui lui étaient favorables, selon J. Garrisson, qui a également souligné la défection d’Épernon, lequel espère, selon elle, « se tailler dans son gouvernement de Provence une principauté autonome ».

26Dans ce contexte pour lui favorable, Vins s’efforce de prendre Grasse et y est tué en novembre 1589. Le mouvement ligueur se scinde alors en deux factions : son neveu, Gaspard de Pontevès-Carcès, poursuit la lutte avec ses parents, Jean de Castellane-La Verdière, Balthazar de Castellane-Ampus et Honoré-Louis de Castellane-Bezaudun. Mais la belle-sœur d’Hubert de Vins, Chrétienne d’Aguerre (1553-1611), veuve de François-Louis d’Agoult, comte de Sault, dont Vins avait épousé la sœur, s’était imposée à ses côtés à la tête de la Ligue provençale, depuis qu’elle s’était installée en Provence et établie à Aix, au début de l’année (biographie par C. Allag, L’Harmattan, 1995). Elle fait appel à Charles-Emmanuel, duc de Savoie, neveu d’Henri II, gendre du roi d’Espagne Philippe II de Habsbourg, prétendant éventuel au trône de France et qui peut aussi nourrir le dessein de repousser les frontières de ses possessions jusqu’au Rhône. Ses troupes passent le Var en juillet 1590 et s’avancent jusqu’à Signes et Riez, où les partisans d’Henri de Bourbon tentent en vain de l’arrêter ; puis elles entrent dans Aix en novembre. Le parlement d’Aix refuse de le reconnaître comme comte de Provence. Il occupe Berre, y place un de ses lieutenants, puis Arles, passée à la Ligue et tenue par le lieutenant de la sénéchaussée Pierre de Biord, mais échoue à entrer dans Marseille et est battu le 15 décembre 1591 à la bataille des Plaines de Vinon par les troupes royalistes de La Valette. Il repasse finalement le Var en mars 1592, son armée occupant Cannes et Antibes jusqu’à l’année suivante. Le chef des Ligueurs provençaux devient alors Gilbert Génébrard, archevêque d’Aix.

27La mort en février 1592 de La Valette devant Roquebrune provoque le retour en Provence d’Épernon, à la tête de mercenaires gascons, qui commettent des atrocités (pendaison des soixante soldats et de leurs capitaines du bourg ligueur de Montauroux). Il reprend Cannes et Antibes, mais semble jouer un jeu personnel dans la situation confuse où est le royaume. Il gagne à sa cause la comtesse de Sault, laquelle ne parvient pas à lui faire ouvrir les portes d’Aix, tenue par Gaspard de Pontevès-Carcès. Épernon commence en juin 1593 le siège de la ville et fait esquisser la construction sur les hauteurs qui la dominent d’une nouvelle capitale, « Aix supérieur » ou « Ville Valette » – en hommage à son frère.

28En juillet 1593 Henri de Bourbon abjurait le protestantisme et était sacré à Chartres le 27 février 1594. Le parlement d’Aix se ralliait à lui dès le 5 janvier 1594, le premier du royaume, de même que la noblesse aixoise, réunie par Pontevès-Carcès. Épernon maintint cependant son siège, sans doute perméable, jusqu’au printemps. Bien que privé de sa charge par Henri IV, il persista à tenter de tenir avec ses Gascons un vaste périmètre autour d’Aix jusqu’en mai 1596, au prix de maints saccages. Le nouveau roi obtiendra alors à prix d’argent qu’il se retire. Épernon avait fait appel au duc de Savoie, dont les troupes viennent occuper Antibes, Grasse, Vence et Saint-Paul. Dans le cadre de la reconquête de son royaume, Henri IV offre près de 4 millions de livres et le gouvernorat de Provence à Charles de Lorraine, duc de Guise, en échange de sa fidélité et du ralliement de Reims, qu’il tenait, et de la Champagne. Le fils d’Henri le Balafré, chef de la Ligue parisienne, assassiné à Blois le 23 décembre 1588, devint donc gouverneur. Il force les Savoyards à repasser le Var. Au terme d’une évolution politique complexe, le conseil d’Arles, où « l’effervescence ligueuse s’évapore » (B. Bourjac, dans Rouquette, dir., Arles, 2005), reconnaît Henri IV en octobre 1595. Restait à résoudre le problème de la république marseillaise.

La république de Marseille

29À Marseille, passée à la Ligue pendant l’été 1588, Charles de Cazaulx, descendant d’une vieille famille marchande, s’appuyant sur un réseau de parents et d’amis qui lui confère une assise de « tribun populaire » (F. Reynaud), s’était emparé de l’hôtel de ville le 20 février 1591 par une journée révolutionnaire en partie fomentée de l’extérieur par les partisans du duc de Savoie, mais à large participation marseillaise puisque toute la ville se serait couverte de barricades. Cazaulx a soin de rappeler à l’hôtel de ville des membres du conseil qu’il venait de renverser, tout en faisant bannir ou emprisonner ceux qu’il savait être ses ennemis, ce qui lui permet d’être élu premier consul. Il règne dès lors en dictateur (avec le viguier Louis d’Aix) sur une ville qu’il parvient à protéger du nouveau gouverneur, le duc d’Épernon, et du duc de Savoie, lequel était pourtant soucieux de s’assurer un port qui lui aurait offert une liaison directe avec l’Espagne. Sa tentative paraît illustrer jusqu’à un point extrême un des thèmes de l’idéologie ligueuse – le retour à une vie urbaine indépendante, un « État-ville », une « petite république catholique maîtresse de son destin » (F. Braudel) – alimenté localement par le souvenir prestigieux de la cité grecque et celui de la très large autonomie médiévale antérieure aux Chapitres de paix de 1257 qui avaient reconnu l’autorité du comte Charles d’Anjou. Des aspects de son œuvre seront durables : organisation des archives communales, réorganisation du système hospitalier par la fusion en 1593 des deux hôpitaux médiévaux du Saint-Esprit et de Saint-Jacques de Galice pour créer l’Hôtel-Dieu (l’édifice actuel ne conserve rien de cette époque), établissement d’une imprimerie.

30Cazaulx est vite confronté aux problèmes spécifiques d’une ville qui, à la différence de Gênes ou de Venise, est dépourvue d’arrière-pays et reçoit par la mer une large part de son ravitaillement – lequel vient en partie d’Arles, qui cesse ses envois. À la montée des prix céréaliers s’ajoutent les problèmes financiers posés par un état d’alerte continuel, qui l’obligent à instituer de nouveaux impôts et un emprunt forcé. Aux négociants proscrits se joignent ceux qui transfèrent leurs comptoirs dans les villes voisines, Marseille étant coupée du reste de la France. En 1592, le port est réduit au tiers de son trafic (Kaiser, 1991).

31Les progrès d’Henri IV et le fait que le roi ait déclaré la guerre à l’Espagne en janvier 1595 incitèrent Cazaulx à solliciter l’aide espagnole, qui se borna à quatre galères arrivées dans le port en décembre 1595. Henri IV sut mettre à profit les lenteurs de Philippe II, le « roi prudent » à qui Cazaulx avait proposé de prendre Marseille sous sa protection. Grâce à des Bigarrats incarcérés par Cazaulx, il obtint la complicité de Pierre Bayon (Baglione) dit « Libertat », principal lieutenant de Cazaulx, qui tua son maître de son épée par surprise le 17 février 1596. La reddition de la ville à l’armée royale suivit presque aussitôt ; douze galères espagnoles arrivées peu après dans la rade rebroussèrent chemin. « C’est maintenant que je suis roi de France », aurait alors dit Henri IV, s’il faut en croire la tradition historique provençale. Mais à cette date, Henri IV n’a pas encore recouvré tout son royaume ; ainsi des villes bretonnes ligueuses résistent toujours. Si la phrase est authentique, elle traduit l’importance qu’avait à ses yeux la principale ville-port du Sud-Est.

32Le grand-duc Ferdinand de Toscane, allié d’Henri IV, avait pris en 1591 l’archipel du Frioul, que Cazaulx ne contrôlait pas, en gage des prêts qu’il lui consentait et il l’occupa jusqu’à son remboursement en 1598, renforçant les défenses du château d’If par une enceinte bastionnée édifiée à la hâte, toujours visible. Charles-Emmanuel de Savoie parvint à conserver la place fortifiée de Berre jusqu’à la paix de Vervins en mai 1598, qui mettra fin à la guerre avec le roi d’Espagne.

Guillaume du Vair et la remise en ordre (1596-1616)

33Au sortir des guerres de Religion, la Provence et en particulier Marseille sont confiées par Henri IV à un de ses fidèles, Guillaume du Vair (1556-1621), conseiller-clerc au parlement de Paris, humaniste, auteur de traités de philosophie où il s’efforçait de concilier la morale stoïcienne et la foi chrétienne (R. Descimon et W. Kaiser, dans B. Petey-Girard et A. Tarrête, éd., Guillaume du Vair, parlementaire et écrivain, Droz, 2005). Le roi l’envoya dès 1596 en Provence comme intendant de justice pour surveiller la chambre pour la Justice souveraine, mise momentanément en place à Marseille afin de respecter le privilège de non extrahendo des habitants (droit d’être jugés sur place). Lorsque cette institution temporaire fut dissoute en 1599 dans le parlement, Henri IV le nomma premier président du parlement, et même évêque de Marseille en 1603 (mais il ne fut jamais sacré). Il organisa le bureau du commerce de Marseille fondé en 1599, doté d’un rôle d’organisation et de conseil des affaires maritimes auprès du conseil de la communauté et de l’administration royale, qui est l’ancêtre de la chambre de commerce, la plus ancienne de France. Du Vair était doté de pouvoirs vagues mais très larges pour faire passer le pays à l’état de paix. Il travaillait « à l’aveugle », (W. Kaiser) dans une province dont il signalait au roi « l’extrême pauvreté » et l’endettement. Il jouait un rôle de conciliation, d’arbitrage entre les jeux d’influence et savait atténuer dans la correspondance avec le roi les difficultés et conflits qu’il rencontrait. Il vient à bout en 1600 du refus du parlement d’Aix d’enregistrer l’édit de Nantes, en particulier parce que les protestants provençaux dépendraient de la chambre de l’Édit (mi-partie catholique et protestante) du parlement de Grenoble.

34En 1611, dans l’angoisse collective suscitée par l’assassinat d’Henri IV, il joue comme premier président un rôle important dans la condamnation au bûcher de Louis Gaufridy, vicaire des Accoules à Marseille, accusé de sorcellerie par une de ses pénitentes, Madeleine de Demandolx-La Palud – c’est le principal procès provençal en sorcellerie (Mandrou, 1968).

35Du Vair occupa en 1616 la charge de garde des Sceaux et celle d’évêque de Lisieux ; il quitta alors la Provence, non sans être parvenu à y faire nommer évêques deux de ses neveux clercs, Pierre du Vair à Vence et Guillaume Aleaume à Riez (ce dernier lui succédera ensuite à Lisieux). Le don considérable à sa mort de 36 000 lt à l’Hôtel-Dieu de Marseille, dont R. Descimon observe qu’il compensait les pensions dont il avait joui sur les revenus de l’évêché, allait lui valoir un grand cénotaphe maniériste et un souvenir fort louangeur chez les historiens provençaux.

Deux générations de difficultés et de création

Une économie inégalement perturbée

36Bien que des registres paroissiaux aient été tenus (sauf en temps d’épidémie) et souvent conservés, la démographie de la seconde moitié du xvie et des débuts du xviie n’a guère fait l’objet d’études. La peste de 1580 et ses retours des années suivantes ont sans doute été très meurtriers, mais restent encore mal connus. P. Leclercq estime dans le cas de Garéoult que la population de ce village urbanisé serait passée de 548 à 708 hab. entre 1572 et 1586, avant d’être l’année suivante fortement atteinte par la peste. Les effets économiques des guerres de Religion sont difficiles à mesurer, faute d’études, d’autant qu’ils ont pu être contrastés d’une localité à l’autre et que le malheur d’une communauté pillée peut profiter à ses voisines, si leurs habitants disposent de réserves et de capitaux pour en tirer parti. L’exemple du Muy est significatif : le bourg, situé sur une grande route, avait le privilège exclusif de « faire toutes sortes de mesures » dans la viguerie et même au-delà, et il était siège d’un grenier à sel. Il est assiégé, pris et ravagé par le duc d’Épernon en 1592. Draguignan usurpe le privilège du mesurage et le grenier à sel est rétabli à Fréjus. La communauté est très endettée et, en 1612, la chambre de Justice liquide ses dettes par la vente de ses équipements collectifs et de son défens et la mise à contribution des possédants-biens. Ont été particulièrement atteintes les campagnes proches des villes et situées sur les grands axes de circulation. La Basse-Provence, la moyenne Provence des grands axes routiers, le val de Durance ont été marqués par les mouvements et stationnements de troupes. Villes et bourgs urbanisés se sont très onéreusement mis en défense en réparant et complétant leurs enceintes, mais leurs faubourgs ont été mis à mal. Les communautés sont endettées, mais ce n’est point forcément le cas de tous leurs habitants.

37De plus, les années 1564-1603 se caractérisent par « une véritable crise environnementale » selon G. Pichard, qui observe que l’hiver 1564-1565 connaît la première des vagues glaciales, qui frappa les contemporains par la mortalité des orangers et des oliviers et le retard des vendanges (Pichard, 1999). Les décennies suivantes sont ensuite marquées par les nombreuses crues de la Durance et du Rhône, allant jusqu’au changement de cours du bras principal du fleuve à son embouchure en 1587 et à la formation d’une barre. Même phénomène au débouché de la Siagne, avec dans les deux cas des conséquences très négatives sur la fertilité des terres, la salubrité (par la formation de marais, la basse Siagne sera pour trois siècles un vide démographique), et en fin de comptes la baisse des récoltes céréalières des plaines de Fréjus ou Hyères, jusqu’alors greniers à blé. Entre 1568 et 1572, le froid hivernal intense a pu provoquer une première mortalité d’oliviers « universelle » (c’est-à-dire observée dans toute la Provence). Au terroir d’Arles, perturbé de surcroît par les événements politiques, la récolte chute de plus de moitié entre 1573 et 1598. Les années 1611-1615 sont ensuite marquées par des attaques de sauterelles.

38Le xvie siècle européen est marqué par une inflation séculaire, que l’on a imputée à l’arrivée des trésors d’Amérique, augmentant considérablement les stocks monétaires, et qui avait aussi sans doute d’autres causes – l’augmentation de population rendant le prix du grain très sensible aux mauvaises récoltes et aux ravages des guerres, l’insécurité conduisant aux stockages de précaution et aussi à la spéculation. Le prix du blé quadruple à Aix entre 1570 et 1592. Il triple entre 1540 et 1590 à Garéoult (Leclercq, 1979). La hausse des prix conjuguée aux troubles fait nombre de victimes : les travailleurs des champs et des villes, tous les habitants des villages situés sur le passage qui ont dû subir le cantonnement des troupes : est menacé de déclassement quiconque ne produit pas totalement sa nourriture et doit de surcroît payer les redevances seigneuriales, les impôts royaux en augmentation, voire doter des filles. Ces temps ont aussi des bénéficiaires : tous ceux – clercs, nobles, bourgeois, marchands, gros ménagers – qui ont des surplus de grains et autres provisions à vendre au meilleur moment et ont su les mettre à l’abri de la soldatesque – d’où l’importance des enceintes. Les inégalités sociales se sont accrues. Des domaines se sont arrondis ou constitués. Cette période voit même la réalisation de la branche d’Arles du canal de Craponne, à travers la Crau. Elle est autorisée par la cour des comptes en 1581 et achevée en 1585 par les frères Ravel, entrepreneurs des branches précédentes, associés au frère d’A. de Craponne (Soma-Bonfillon, 2007 ; Jean, 2011).

39Dans le cas de Marseille – selon les tentatives d’estimation de J. Billioud (dans Rambert, 1951, t. iii) à partir des statistiques du ravitaillement – la population agglomérée serait de 30 000 vers 1554 et ce nombre n’aurait guère varié dans les décennies suivantes, en dépit de la grande peste de 1580 et des troubles de la Ligue. En 1599, Marseille aurait de nouveau 30 000 hab., au prix sans doute d’un certain renouvellement de population. La production de cotonines (toile à voile), stimulée au milieu du siècle par les commandes de la flotte d’Henri II, se développe. Le Vénitien Luigi Drera a apporté en 1570 le secret de la teinture des draps à l’écarlate. Il a créé avec des capitaux marseillais et lyonnais la Compagnie de l’écarlate aux productions destinées au Levant. Une société rivale apparaît vite. Toutes deux vont prospérer avant d’être emportées par la crise suscitée par la république de Casaulx. Marseille crut pouvoir secouer le joug des grandes compagnies italiennes qui tenaient les marchés du Levant et s’emparer de ces derniers lorsqu’elle fut, entre juillet 1570 et avril 1573, le seul grand port neutre de la Méditerranée occidentale dans la guerre de Chypre, qui opposait la Sainte Ligue aux Ottomans. Le port connut un véritable « boom commercial » (J. Billioud). Mais Venise se hâta de signer une paix séparée avec les Turcs avant que les Marseillais n’aient ébranlé sa suprématie. Un artisanat pour l’heure éphémère mais d’avenir, le raffinage du sucre, a été tenté avec les cassonades brésiliennes venues de Lisbonne, dont l’approvisionnement était cependant trop irrégulier. Georges Bronnenmayer, marchand d’Augsbourg, dont le nom est écrit Prunemoyr à Marseille où il s’établit, crée en 1577 une savonnerie où il fait produire par des ouvriers d’origine italienne ou espagnole du savon de qualité supérieure, dit « de Paris ». Elle doit cependant fermer dès 1585. Au sortir des années très difficiles de la Ligue et de la dictature de Cazaulx, et lorsqu’en 1598 les Toscans quittent le château d’If, se produit une reprise rapide des activités du port, en dépit d’un retour de peste et de la recrudescence de la piraterie barbaresque.

40Le règne d’Henri IV remodèle l’organisation portuaire de la Provence centrale : l’effacement des fonctions maritimes d’Hyères, où le projet de création d’un port n’aboutit pas, et l’accélération du comblement du port de Fréjus vont promouvoir Saint-Tropez et surtout Toulon. Après divers projets inaboutis, la ville est tardivement entourée, entre 1585 et 1597, d’une enceinte bastionnée, prolongée à la fin du règne par deux « tenailles », môles fortifiés qui délimitent un port (l’actuelle vieille darse ou « darse Henri IV »). Un arsenal y est établi pour la construction et la réparation des galères royales. Cet aménagement suscite aussi l’essor de la flotte de pêche et de commerce – cette dernière a peut-être connu son apogée dans la première moitié du xviie siècle.

41Il est plus difficile de suivre les activités artisanales, très dispersées. Parmi les petits centres potiers ou tuiliers qui exploitent les poches d’argile, les pignatiers et olliers (fabricants de marmites et pots de terre) de Biot commencent à se spécialiser dans les jarres qui feront la célébrité du bourg.

Un écho provençal du maniérisme ?

42Le bilan de ces deux générations ne doit pas être simplifié : ces temps de guerre civile ont été difficiles et parfois dévastateurs. Ainsi Gaspard de Forbin-Janson connaît en 1560-1562 la mise à sac de son château féodal de Villelaure, son fils Melchion, de retour de la cour, fait construire à partir de 1579 à l’emplacement d’une de ses bastides un élégant château, dans le goût de l’Île de France, revu par le modèle proche de La Tour-d’Aigues ; il sera ruiné encore en chantier en 1590 par les troupes du duc de Savoie allant au siège de Pertuis – son propriétaire est violemment anti-ligueur –, et dès lors reconverti en exploitation agricole. Mais J.-J. Gloton a raison d’observer qu’« au plus fort de la tourmente, on a continué de peindre et de sculpter ».

43La campagne de restauration et de modernisation des fortifications a fait naître d’intéressantes réalisations : ainsi, outre le fort carré d’Antibes, la tour ronde de « San Giovani » de Pomègues, conçue par le Florentin Alessandro Pieroni sur cette île de l’archipel du Frioul en 1597, qui a été rasée au xixe siècle. Il s’agissait d’une « œuvre fulgurante, à la pointe de l’innovation architecturale de la Renaissance » (N. Faucherre, Marseille, 2009 : 224). Raymond de Bonnefons « ingénieur pour le roi en Provence, Dauphiné et Bresse », complète ensuite les défenses du Frioul et travaille sous le règne d’Henri IV aux enceintes d’Antibes et de Toulon, à la citadelle de Saint-Tropez et au fort de Bouc.

44Nombre de monuments furent construits ou reconstruits au cours de ces décennies : le magnifique portail du château de La Tour-d’Aigues (1571) marque une campagne de remise au goût du jour parisien d’un bâtiment majeur, à peine achevé. Pourrait y être intervenu le jeune Ercole Negro (parfois Nigra), né en 1541 à Cental (Centallo) dans le fief piémontais de son maître d’ouvrage, Nicolas Laurens de Bouliers, qui fera ensuite une carrière d’ingénieur militaire en Provence puis au Piémont. Chrétienne d’Aguerre, qui hérite de la seigneurie, fera ensuite restructurer et couvrir d’ardoise le donjon en 1608-1611. Ont survécu quelques maisons des champs aristocratiques, « mas » de la Brune à Eygalières (1572), pavillon de Valabre à Gardanne, et aux Baux l’édicule dit « de la reine Jeanne », élevé en fait vers 1575 par Jeanne de Quiqueran de Beaujeu, élégante fabrique de jardin qu’au xixe siècle Frédéric Mistral fera copier au cimetière de Maillane pour son tombeau. Contemporaine est la chapelle funéraire des Estienne de Saint-Jean, accolée au chevet de la cathédrale d’Aix (1576), dont la coupole à lanternon fut reprise dans les années suivantes dans le même édifice pour la reconstruction du couvrement du baptistère paléochrétien, sans doute par leur architecte commun (Antoine Laurens ?). On peut également rapporter aux décennies 1570-1580 nombre de maisons qui subsistent dans les bourgs de Basse-Provence, ainsi à Jouques, ou bien la maison seigneuriale des Luxembourg à Lançon.

Coupole du baptistère de la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix, vers 1580. Les huit colonnes antiques du baptistère paléochrétien reçoivent vers 1580 un tambour à deux étages surmonté d’une coupole à huit pans, ensemble sans doute inspiré des traités illustrés de l’architecte italien Serlio. Deux étages d’oculi et le lanternon central l’inondent de lumière.

45J.-J. Gloton a proposé, sans être toujours suivi, de nommer « maniérisme provençal » le décor de diverses réalisations de la fin du xvie siècle et surtout des temps d’Henri IV et Louis XIII, sans dissimuler que ce maniérisme est très tardif, souvent rustique, inspiré en général de gravures lorsqu’il se traduit dans la peinture (Simon de Châlons) et en général sans commune mesure avec celui de l’Italie, de Flandres ou de Fontainebleau. Il se manifeste sous une forme diluée dans l’architecture et la sculpture d’ornement de maisons de notables (château de l’Armellière en Camargue, maison dite « de la reine Jeanne » à Pertuis, portail à colonnes torses de l’hôtel de Lauzière à Arles, hôtels de Croze-Peyroneti et de Lacépède d’Aix) et dans le décor de gypserie de cages d’escalier aixoises. Il a aussi régné dans les décors d’architecture éphémères (arcs de triomphe) réalisés lors des entrées royales et de hauts personnages dans les villes – ainsi pour la venue de Louis XIII à Aix en 1622. Cet écho assourdi de la seconde Renaissance perdure à Aix jusqu’au milieu du xviie siècle, en particulier dans les réalisations attribuées à Jean Lombard (vers 1580-1656).

46On doit ajouter des opérations d’urbanisme réalisées selon un tracé régulier, aux rues rectilignes, qui contraste fortement avec le noyau médiéval. À Toulon, un premier tracé de ce type semble avoir été tôt imposé par les consuls dans la première moitié du xvie siècle au faubourg Saint-Jean. C’est nettement le cas à Aix plus tard, avec la création du quartier Villeneuve à l’est en 1583 – la ville y installe le collège avec l’aide des États (actuel lycée de Provence des jésuites) –, puis du quartier Villeverte à l’ouest (1605), qui sont autant d’extensions de la ville enclose.

Aix, Impasse Silvacane, rez-de-chaussée d’une maison non identifiée, vers 1615-1625. Le déclin social qu’a dû entraîner cette localisation au fond d’une voie très étroite et sombre a préservé pour l’essentiel de toute modernisation ce décor caractéristique du « maniérisme provençal ».

Une culture française et provençale

47Certains des grands représentants du roi, tels le « Grand prieur », Henri d’Angoulême, ou bien Guillaume du Vair, ont tenu à s’entourer d’une cour de beaux esprits. Ainsi le Normand François de Malherbe (1555-1628) arrive-t-il à Aix en 1577 comme secrétaire d’Angoulême. Il s’y marie en 1581 avec Madeleine de Coriolis, y vit jusqu’au décès de son protecteur en 1586. Il est de retour de 1595 à 1605 auprès de Du Vair, y revient encore en 1616 et 1622, et reste ensuite en contact épistolaire avec des Aixois. La mort prématurée de Marguerite Dupérier, fille d’un juriste membre de ce petit groupe, lui inspire en 1598 son célèbre poème, la Consolation à M. Dupérier pour la mort de sa fille (« Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses… »). Son ami Jean de La Ceppède (1548 ou 1550-1623), conseiller au parlement puis premier président de la cour des comptes, est avec ses Théorèmes spirituels l’un des principaux auteurs français de poésies sacrées du début du xviie siècle. Fait aussi partie de ce groupe l’arquin (A. Brun a proposé de traduire par « drille », « lascar ») Louis Bellaud de La Bellaudière (1532, ou plutôt 1543 ?-1588), auteur de sonnets en provençal, « le père de la littérature provençale moderne » selon Robert Lafont. La poétesse marseillaise Marseille d’Altovitis (1577-1606) eut une grande réputation locale, autant pour sa beauté (elle fut la maîtresse du duc Charles de Guise, le gouverneur) que pour son talent littéraire. Mais ses œuvres, qui n’accédèrent pas à l’impression, sont perdues.

48En 1603, Henri IV avait créé une nouvelle université sous le nom de Collège royal de Bourbon, qui dépendrait financièrement des États, et non de la ville. Le collège municipal avait été uni à sa faculté des arts. Les docteurs de l’université préexistante lui opposèrent diverses formes de résistance. La nouvelle faculté des arts disparut en 1621, lorsque le collège fut confié aux jésuites et les trois autres facultés furent progressivement absorbées par la vieille institution (Belin, 1896).

49Quand la Provence entre dans les possessions des Valois, le royaume de France est déjà doté de deux centres d’impression : Paris (1470) et Lyon (1473). L’imprimeur lyonnais P. Rohault s’établit à Avignon de 1497 à 1502 puis un autre Lyonnais, J. de Channey, installe l’imprimerie à demeure dans la ville en 1510. Dès 1500, Aix figure – avec Bordeaux – parmi les rares sièges de cours souveraines ou d’université qui n’ont pas encore de presses. C’est à Lyon et à Paris que seront éditées les œuvres du célèbre médecin-astrologue de Salon Michel Nostradamus. L’imprimerie ne s’installe à Aix que tardivement, lorsqu’en 1575 les consuls y appellent l’Avignonnais Pierre Roux pour imprimer un ouvrage anti-protestant ; encore faut-il attendre 1595 pour que le Lyonnais Jean Tholozan s’y établisse avec son matériel et amorce une impression de qualité. La même année, on le sait, le libraire avignonnais Pierre Mascaron s’établit à Marseille, le temps d’éditer l’œuvre de L. Bellaud de La Bellaudière car il quitte la ville après l’assassinat de Cazaulx. Ce n’est qu’en 1641 que les consuls y attirent Claude Garcin, apparemment imprimeur expérimenté puisqu’il édite dès l’année suivante l’Histoire de la ville de Marseille d’Antoine de Ruffi. Alors que le grand commerce lyonnais avait su tôt miser sur l’essor du livre, occupant dès la fin du xve siècle, par l’édition en langue « vulgaire » française, une part du marché du royaume et se faisant une spécialité du droit romain, intéressante marchandise d’exportation, les marchands de Marseille ont opté pour d’autres produits. L’imprimerie ne s’est établie en Provence que lorsque l’imprimé fut suffisamment entré dans les mœurs pour exiger des presses de proximité, aptes à éditer, au besoin, des livres importants, mais surtout les occasionnels, affiches, mandements épiscopaux, factums des procédures judiciaires et tarifs dont l’impression permettait la diffusion à exemplaires multiples. Aix et Marseille ne seront que des centres secondaires de publications dans le royaume de France. À Aix, la principale famille d’imprimeurs sera aux xviie-xviiie siècles celle des David. En 1647 François Mesnier, d’abord installé en 1641 à Marseille, s’établit à Arles et y fonde une dynastie encore active au moment de la Révolution. Les consuls de Toulon attirèrent en 1650 dans leur ville le Lyonnais Benoist Collomb qui y créa un atelier (Billioud, 1962).

Table des illustrations

Légende Tableau du maître-autel de l’ancienne chapelle des pénitents blancs de Seyne-les-Alpes, caractéristique de l’iconographie de ces associations : la compagnie avait été fondée en 1596 sous le titre des Cinq plaies du Christ et le tableau détaille autour du Christ de pitié tous les instruments de la Passion. Deux anges introduisent auprès de lui deux pénitents en prière sous leur sac à cagoule.
URL http://books.openedition.org/pup/docannexe/image/13493/img-1.jpg
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Légende « Après les ténèbres, la lumière, 1571 » : la devise de la Réforme française, gravée au linteau d’une fenêtre des Baux, indique la demeure d’un notable protestant, peut-être comme on l’a parfois avancé, le lieu de culte réformé (temple) de la petite ville.
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Titre Carte 10 - Présence protestante en Provence au xviie siècle
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Légende Coupole du baptistère de la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix, vers 1580. Les huit colonnes antiques du baptistère paléochrétien reçoivent vers 1580 un tambour à deux étages surmonté d’une coupole à huit pans, ensemble sans doute inspiré des traités illustrés de l’architecte italien Serlio. Deux étages d’oculi et le lanternon central l’inondent de lumière.
URL http://books.openedition.org/pup/docannexe/image/13493/img-4.jpg
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Légende Aix, Impasse Silvacane, rez-de-chaussée d’une maison non identifiée, vers 1615-1625. Le déclin social qu’a dû entraîner cette localisation au fond d’une voie très étroite et sombre a préservé pour l’essentiel de toute modernisation ce décor caractéristique du « maniérisme provençal ».
URL http://books.openedition.org/pup/docannexe/image/13493/img-5.jpg
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