Version classiqueVersion mobile

Le quartier Mazarin

 | 
Ines Castaldo

Données architecturales

Places à bâtir

Typologies et aménagement de l’espace

Texte intégral

  • 1 Les hôtels de Boyer d’Éguilles (rue Espariat) et Grimaldi-Régusse (rue de l’Opéra) possèdent une co (...)

1Les maisons de la vieille ville, qui avaient conservé leur héritage médiéval, étaient bâties sur des terrains exigus, souvent sans jardin. Dans le cas des hôtels particuliers, on opta pour un petit jardin situé à l’arrière de la maison ou pour une cour intérieure. La cour d’honneur était rare et limitée1. Le projet de Michel Mazarin, qui agrandit la ville de plus d’un tiers de sa superficie, permit aux nouveaux propriétaires l’édification de maisons spacieuses. Les bâtisseurs, en prenant intelligemment compte de l’orientation de leur lot, aménagèrent un espace habitable convenable, avec communs, écuries et jardins ornés de magnifiques fontaines. Ils remédièrent aux problèmes d’insalubrité et d’humidité grâce à l’édification de maisons saines, plaisantes et particulièrement bien éclairées.

2Les acheteurs modulèrent leurs terrains par le nombre ; une place à bâtir équivalait à trente-deux cannes carrées, au gré du futur acquéreur d’en acheter selon la taille de la maison souhaitée. Les lots dépendaient donc des moyens de chacun : ils n’avaient pas été délimités lors du tracé des rues, c’est le statut social des nouveaux habitants qui en détermina l’envergure. Dans les premiers temps de la spéculation immobilière, les nouveaux acheteurs avaient eu à disposition un large choix. Plus tard, ils avaient dû composer avec un parcellaire déjà loti et articuler leurs nouveaux logements, parfois plus petits et irréguliers.

  • 2 ADBRA, 309 E 1238, fo 1308. Jean Boyer, « L’hôtel de Boisgelin », Congrès du pays d’Aix, Paris, 198 (...)
  • 3 BMA, fonds ancien, Ms 1574 (1439), « Livre de raison de monsieur François de Boniface-Leydet ».

3Les hôtels particuliers du quartier Mazarin présentent une typologie d’habitation récurrente : une façade principale orientée sur la rue et une autre façade à l’arrière donnant sur un spacieux jardin intégrant au fond les communs. La superficie du jardin et des écuries est même parfois plus importante que la surface habitable. Le besoin de commodité prime : une vaste demeure, un très grand espace vert planté d’arbres ombrageux, agrémenté d’une fontaine et d’écuries. Peu de documents livrent des informations sur les aménagements de ces jardins. Nous savons néanmoins qu’en 1661, l’hôtel de Boisgelin (11, rue du Quatre-Septembre) bâti par Louis Blanc, possédait un jardin à la française très fleuri, planté de buis, de lauriers, d’arbres fruitiers et de vignes2. Dans son jardin, François de Boniface-Leydet fit placer en 1718 des « filarias », des orangers et des marronniers venus d’Inde (10, cours Mirabeau3).

  • 4 L’hôtel Maurel de Pontevès (38, cours Mirabeau) ne possède pas de communs au fond du jardin mais un (...)

4L’orientation des maisons du nouvel agrandissement est bien étudiée : la plupart du temps, la façade sur rue donne au nord et la façade sur jardin donne au sud. Grâce au principe d’une distribution double en profondeur, on disposait d’appartements chauds en hiver (côté jardin) et d’appartements frais en été (côté rue). L’organisation des rues en damier permit ce procédé. Les demeures possédaient donc un accès sur deux rues différentes. À l’arrière du bâtiment, une porte cochère donnait accès direct aux communs. Elle permettait l’arrivée des domestiques et l’entrée des carrosses. Les maisons bâties à l’angle d’un ilot ajoutaient parfois un beau portail le long du jardin : tel est le cas pour les hôtels Maurel de Pontevès, de Forbin et de Villars (38, 20 et 4, cours Mirabeau). Sur le cours à carrosses, le jardin et les écuries donnent sur la rue Mazarine4, dans la rue Mazarine, ils donnent sur la rue Goyrand (les numéros 8, 10, 12 et 14, rue Mazarine), dans la rue Goyrand, ils ouvrent sur la rue Cardinale (les numéros 3, 5, 7, 9, 11, 13, 15 et 17, rue Goyrand), dans la rue Cardinale, ils accèdent à la rue Roux-Alphéran (les numéros 15, 17, 37 et 39 de la rue Cardinale) et dans la rue Roux-Alphéran, ils débouchent sur la rue Sallier (les numéros 9, 13, 23, 25, 27, 33, 35, 37, 39, 43 et 45, rue Roux-Alphéran). Le numéro 7 de la rue Sallier traverse également tout son îlot. Cette disposition fut réglée par le tracé du cours à carrosses. Si les habitants avaient eu le choix, peut-être auraient-ils préféré une façade principale orientée au sud. La vue perspective du cours, un jardin ensoleillé et intimiste semblent avoir primé sur le reste.

5Dans la rue du Quatre-Septembre, les maisons sont moins spacieuses et sont orientées est/ouest. Nombre d’entre elles avait été bâti par des artisans. À la place de jardins spacieux, elles possèdent des arrière-cours ou de très petits espaces verts. Les numéros 6, 8, 20, 22, 26, 28 et 32 de la rue du Quatre-Septembre disposent de petits jardins orientés à l’ouest. Les numéros 1, 3, 5, 15, 17, 19, 21, 25, 27 et 29 sont agrémentés de petites cours ou de modestes jardins qui donnent à l’est. Côté oriental du quartier, la Langue de Provence avait vendu ses terrains à bâtir à des personnes de condition modeste : artisans, ouvriers ou marchands. Les édifices y sont composés d’un simple corps de bâtiment sur la rue et d’une petite cour arrière.

  • 5 Lors du procès verbal dressé par la Général Guidy, suite à la demande d’alignement de la maison de (...)

6 Certains composèrent avec une orientation et un parcellaire différents. Les façades qui ont une entrée dans les rues perpendiculaires au cours Mirabeau sont orientées à l’est et à l’ouest (les rues Peyssonnel, du Quatre-Septembre et Joseph-Cabassol). Dans ce cas, d’intelligentes stratégies architecturales permirent l’ensoleillement. Un plan d’édifice en forme de L rendit possible l’orientation d’une des façades au sud. La façade principale, orientée à l’est ou à l’ouest, était alors augmentée d’une aile en retour, qui donnait au sud sur un jardin ensoleillé. Les hôtels d’Olivari (10, rue du Quatre-Septembre), de Villeneuve d’Ansouis (9, rue du Quatre-Septembre) ainsi que les numéros 20, 23 et 30 de la même rue, présentent encore cette disposition. Le numéro 23 de la rue du Quatre-Septembre occupe un parcellaire en forme de T, placé au milieu d’autres parcelles, ce qui permit à son bâtisseur d’orienter une façade en retour vers le sud et de disposer d’un vaste jardin agrémenté d’écuries donnant sur la rue Sallier. La place des Quatre-Dauphins aurait pu également constituer une sorte de handicap pour la disposition des édifices, à cause de sa forme carrée. Louis Blanc prit au contraire le parti d’en tirer un avantage (11, rue du Quatre-Septembre). Tandis que les façades qui entourent la place donnent directement sur la rue, l’hôtel de Boisgelin adopte un plan de bâtiment en forme de L ouvert. L’édifice est tourné sur la rue et est précédé d’une cour d’honneur judicieusement fermée par un mur d’enceinte5.

  • 6 Cécile Dabé, op. cit.

7D’autres cas particuliers concernent des maisons construites au xviiie siècle, suite à la démolition d’édifices ou ensembles religieux. Leurs formes sont plus originales et en adéquation avec l’époque à laquelle elles appartiennent. Édifié en 1715, l’hôtel de Caumont (rue Joseph-Cabassol) possède une distribution unique, le plan en quinconce. Le bâtiment, élaboré selon les plans de l’architecte parisien Robert de Cotte, fut conçu selon un parcellaire quadrangulaire, divisé en quatre parties carrées identiques : la cour d’honneur, le corps de logis, les communs et le jardin. Ce dernier, disposé au sud, procurait les mêmes avantages qu’aux propriétaires des hôtels particuliers disposés entre rue et jardin. L’architecte n’hésita pas à jouer entre les vides : la cour d’honneur et le jardin, et les pleins : les communs et le corps de logis, qui se répondent de manière diagonale6. En 1769, la destruction du couvent de la Merci, qui occupait une large parcelle entre les rues du Bœuf et Cardinale, permit l’édification de trois nouveaux bâtiments, les numéros 25 et 27, rue Fernand-Dol et le no 34 de la rue Cardinale. Les deux maisons de la rue Fernand-Dol suivirent l’ancien tracé du couvent : grâce à la juxtaposition de deux bâtiments en forme de L, elles épousent la forme de l’ancien jardin des religieux. Le no 34 de la rue Cardinale remplaça l’ancienne chapelle. Il présente un bâtiment sans espace vert, ni à l’avant, ni à l’arrière, mais une cour d’honneur, précédée d’un portail d’entrée. Autre exception : l’hôtel Bonnet de la Baume (2, rue Goyrand), entièrement construit avant la Révolution, dont la large façade principale est orientée au sud et précédée de deux espaces distincts : à gauche, un portail monumental qui donne accès à une cour d’honneur et à droite, un jardin clôturé.

Notes

1 Les hôtels de Boyer d’Éguilles (rue Espariat) et Grimaldi-Régusse (rue de l’Opéra) possèdent une cour d’honneur mais pas de jardin. L’hôtel d’Albertas (place d’Albertas) possède un jardin et l’hôtel de Chateaurenard (rue Gaston-de-Saporta) dispose d’une cour intérieure.

2 ADBRA, 309 E 1238, fo 1308. Jean Boyer, « L’hôtel de Boisgelin », Congrès du pays d’Aix, Paris, 1988.

3 BMA, fonds ancien, Ms 1574 (1439), « Livre de raison de monsieur François de Boniface-Leydet ».

4 L’hôtel Maurel de Pontevès (38, cours Mirabeau) ne possède pas de communs au fond du jardin mais une fontaine sculptée adossée au mur d’enceinte qui donne sur la rue Mazarine. Il fit édifier des écuries dans un bâtiment à part, à côté du couvent des Pères Feuillants (18, rue Mazarine).

5 Lors du procès verbal dressé par la Général Guidy, suite à la demande d’alignement de la maison de Louis Blanc en 1659, le dessein du propriétaire fut exposé : « procéder à l’alignement d’une maison qu’il prétend construire dans la nouvelle enceinte de ceste ville d’avoir permission de fere un balcon et advancement dans la rue au devant de la galerie qu’il a dessain de fere bastir et tout au long de la basse cour qui sera au devant de ladite maison ». ADBRA, C 5068.

6 Cécile Dabé, op. cit.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search