Les communautés réformées et la survie du protestantisme dans les campagnes de la généralité d’Orléans au xviiie siècle
p. 93-104
Texte intégral
1Entre 1562, année que l’on considère souvent comme l’apogée de la Réforme protestante en France puisqu’elle touchait alors quelque deux millions d’adeptes, et la fin de l’Ancien Régime, les communautés calvinistes du nord de la France, peut-être beaucoup plus que celles du sud du royaume, ont connu un important déclin démographique. Ce mouvement n’a pas été régulier, mais a connu deux principales périodes d’accélération : les guerres de Religion d’une part, et les décennies qui précédèrent et suivirent la Révocation de l’édit de Nantes d’autre part1. En 1789, dans la moitié nord du royaume, à l’exception de la Normandie et des cas particuliers de l’Alsace et de Paris, les communautés réformées qui ont pu résister sont très dispersées sur le territoire et, dans de nombreux cas, le protestantisme est résiduel. L’originalité des Églises de ce Désert est la forte présence de ruraux : l’hérétique est désormais au village. Pourtant, à lire le mémoire de l’intendant d’Orléans de 1698, l’impression qui domine est que le protestantisme a quasiment disparu. Ainsi note-t-il, évoquant le commerce de la ville de Gien, que :
« Il n’en reste mesme plus du tout à Gien depuis l’année 1685 celuy de bois et de grains qu’on faisoit auparavant est tombé parce qu’il estoit entre les mains de personnes de la Religion P. R. les plus riches et plus aisées de cette ville qui sont retirez à Paris ou sortis du royaume après la Révocation de l’édit de Nantes2. »
2Il résume ensuite la situation des protestants par cette phrase : « Quant à ceux de la RPR qui estoient à Gien, Marchenoir, Blois, Vendôme et à Orléans, il n’en reste pas le tiers, le surplus est sorty du royaume3. » Pourquoi passe-t-on d’Églises réformées majoritairement composées de citadins et de notables à un protestantisme rural ? Cette évolution sociale et géographique des communautés calvinistes de la généralité d’Orléans est-elle responsable d’une transformation du protestantisme ? Comment « l’hérétique au village » est-il perçu par la majorité catholique4 ?
Des églises urbaines aux communautés rurales
3Sous le régime de l’édit de Nantes, les Églises réformées peuvent être classées dans la généralité d’Orléans en trois groupes5 :
dans la généralité, dominent les communautés réformées urbaines de notables : la dispersion des feux réformés est très faible dans les villages avoisinants. C’est le cas principalement de Vendôme, Blois, Orléans, Gien et Châteaudun. Dans l’Église de Gien, par exemple, seules dix familles semblent disséminées dans les campagnes ; nobles, bourgeois, marchands, officiers et hommes de loi représentent les 2/3 de la communauté6 ;
existent ensuite des bourgs dans lesquels l’élément populaire apparaît extrêmement minoritaire, comme à Châtillon-sur-Loing, La Charité-sur-Loire, Dangeau ou Authon-du-Perche, même si la dissémination des feux protestants est plus importante dans les campagnes voisines. À Authondu-Perche, bourgeois et nobles totalisent plus de 80 % des feux réformés et il n’y a aucun paysan protestant. Hors du bourg, résident des nobles qui jouent un rôle fondamental dans la mesure où certains d’entre eux peuvent accueillir le culte chez eux, selon l’autorisation que leur donne l’édit de Nantes. Ainsi, le temple d’Authon, construit à l’intérieur du bourg après l’édit de Nantes, doit être détruit en 1664. La communauté se replie alors dans le château de la Chauverie situé dans le village de Luigny, à quelque 12 kilomètres d’Authon, puis dans la demeure de Louis de Crémainville à Melleray, soit à 14 kilomètres du bourg7. À Dangeau, plus de 40 % des feux de l’Église sont disséminés : c’est une communauté caractérisée par l’importance de la noblesse. En effet, sur 140 familles, plus de 20 % sont issus de cet ordre, avec en particulier la famille Courcillon à laquelle appartient le marquis de Dangeau, le mémorialiste converti au catholicisme8 ;
enfin, des bourgs ou des villages se caractérisent par une forte dissémination des feux réformés et une domination des catégories populaires : ce sont les Églises de Châtillon-sur-Loire, de Mer, de Bazoches-en-Dunois et de Marchenoir. Les deux premières communautés, situées dans la vallée de la Loire, se ressemblent. Ainsi, à Châtillon-sur-Loire, plus du quart des feux sont disséminés avec environ 200 familles dans le bourg même, mais il s’en trouve également 20 à Ousson, 5 à Bonny, 10 à Saint-Firmin, des villages proches de Châtillon-sur-Loire. La composition socioprofessionnelle est d’autre part bien différente. Si les notables ne sont pas absents, les activités artisanales et agricoles dominent, représentant les deux tiers des feux réformés, avec principalement des vignerons, des tonneliers et des artisans travaillant dans le textile. Les familles de l’Église de Mer sont dispersées entre le bourg de Mer et les villages d’Aulnay et d’Herbilly, mais avec une différentiation spatiale affirmée : notables à Mer, vignerons, tonneliers et laboureurs à Aulnay et Herbilly9.
4Dans l’Église de Bazoches-en-Dunois, les deux tiers des feux sont disséminés, et même si nous ne disposons que de peu de renseignements socioprofessionnels, il apparaît qu’à côté de la noblesse, fortement présente, laboureurs et semi-ruraux sont majoritaires. À Marchenoir, communauté de plus de 250 feux protestants, la dispersion est également très forte. L’Église est en fait constituée de deux pôles : les villages de Marchenoir et de Lorges, qui se séparent en 1666. Les familles de l’Église de Lorges habitent également dans les villages de Messas, Meung, Villeneuve ou Baule. Celles de la communauté de Marchenoir sont disséminées entre Marchenoir même et les villages de Binas et de Saint-Léonard principalement. Le taux de dispersion est ainsi supérieur à 50 %10. En 1664, lors d’une visite pastorale au cours de laquelle il s’arrête en particulier à Bazoches-en-Dunois et à Marchenoir, le doyen Sulpice Douer recense des familles protestantes dans 22 paroisses du doyenné11.
5À la veille de la Révolution, un état des lieux de la situation du protestantisme peut être dressé grâce aux registres d’état civil des non-catholiques tenus après la promulgation de l’édit de tolérance de novembre 1787. Ces registres comprennent deux types d’actes : les réhabilitations de mariages illégitimes que les couples protestants ont contractés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (ces réhabilitations permettent une légitimation des enfants nés de ces unions), et l’enregistrement des naissances, décès et mariages des membres des communautés réformées12. Le protestantisme dans la généralité d’Orléans se caractérise désormais par trois éléments. Tout d’abord, à l’exception d’Orléans où dix familles réhabilitent leur union13, c’est dans les bourgs ruraux et les villages que le calvinisme s’est maintenu. Le protestantisme a progressivement disparu dans la première moitié du XVIIIe siècle dans les villes et les bourgs de Vendôme, Blois, Châteaudun, Gien, Authon-du-Perche, Châtillon-sur-Loing et La Charité-sur-Loire14. Il se concentre désormais autour de quatre centres principaux : Châtillon-sur-Loire15, Mer16, Lorges17 et Gaubert, un hameau du Dunois dépendant du village de Guillonville, devenu le centre d’une nouvelle Église, qui n’avait pourtant aucune famille protestante à la veille de la Révocation et qui en compte 16 désormais18.
6Par ailleurs, la dispersion des feux réformés est très grande. À l’exception de la communauté de Châtillon-sur-Loire qui a plutôt connu un resserrement de la communauté dans le bourg, la dispersion des feux réformés, constatée un siècle plus tôt, ne fait que se confirmer. L’Église de Gaubert, outre les 16 familles qui font réhabiliter leur union en 1788 et qui résident dans le hameau, comprend, dans un rayon de 10 kilomètres, 4 familles de Cormainville, 2 de Patay, 3 de Villeneuve-sur-Conie, 3 de La Chapelle-Onzerain, 2 de Bazoches-en-Dunois, 4 de Tournoisis, 1 de Courbehaye et 3 de Bourneville (hameau de Pruneville), soit 38 feux au total. On peut probablement ajouter une dizaine de familles demeurant dans des villages situés plus près d’Orléans, comme Bricy, Coinces ou Saint-Péravy-la-Colombe. La communauté totalise donc quelque 200 fidèles. La dissémination des feux protestants est comparable autour de Lorges, avec des familles demeurant à Lorges même, Josnes, Baule, Meung, Villemuzard, Saint-Laurent-des-Bois ou Saint-Léonard-en-Beauce.

7Enfin, l’élément populaire est désormais prédominant : les notables ont quasiment disparu. C’est le cas de l’Église de Mer dominée par les vignerons et les tonneliers. Autour de Josnes, on note la présence de trois maréchaux de forges, trois vignerons, deux charrons, un couvreur, un tonnelier, un boulanger, un cabaretier et un scieur de long. C’est le cas, enfin, autour de Gaubert. L’exception notable est la communauté de Châtillon-sur-Loire dont la composition socioprofessionnelle change peu au cours du XVIIIe siècle : si la noblesse protestante a disparu, comme partout ailleurs dans cette généralité, marchands et bourgeois représentent le tiers de la communauté et les vignerons plus de la moitié.
Des facteurs d’explication
8Comment expliquer cette résistance et ce maintien de l’hérésie au village, alors qu’elle disparaît dans de nombreux autres endroits ? Si on compare les différentes provinces ou généralités du nord de la France, on peut trouver des points communs entre certaines d’entre elles, mais la diversité des comportements est très grande19.
9Un premier élément à prendre en compte est un moindre affaiblissement des Églises rurales par l’émigration. En effet, les communautés populaires sont moins touchées par l’exode que celles des villes. Même si l’intendant exagère quand il évoque l’émigration des protestants de Gien, ce mouvement est une réalité. Toutefois, il faut bien différencier deux mouvements : une émigration intérieure et une vers les pays du Refuge. La première a été sous-estimée, mais elle est importante tout en n’étant pas nouvelle : les communautés des principales villes de l’axe ligérien et la communauté parisienne se nourrissent depuis le XVIIe siècle d’individus ou de familles venant de ces communautés de la généralité d’Orléans20. Même si les ruraux ne sont pas absents de l’émigration, le poids des notables dans ces départs est prédominant21.
10Un des facteurs essentiels pour comprendre cette évolution du protestantisme est l’attitude des intendants dans les généralités, beaucoup plus que celle du pouvoir central, même si la région que l’on étudie est proche de Versailles. C’est pourquoi prendre comme cadre géographique la généralité paraît pertinent. Les sources permettent d’étudier la répression menée par les intendants principalement entre la Révocation de l’édit de Nantes et les années 1720, puis après 1760. Les intendants de la première période, Jean de Creil, Jubert de Bouville et son fils, sont attentifs à l’application de la répression voulue par le roi ; même s’ils traquent et répriment les assemblées clandestines, ils souhaitent avant tout s’en prendre aux élites et les convertir au catholicisme22. Selon eux, en raison de l’influence exercée par les notables, cela faciliterait la conversion des catégories populaires. On constate ainsi la mise en œuvre de mesures spécifiques concernant ces familles de notables de Blois, d’Orléans ou de Gien, comme l’enlèvement des enfants et leur enfermement dans les hôpitaux généraux ou plus souvent dans les couvents de Nouvelles catholiques ou des Nouveaux catholiques, que ce soit à Blois ou à Auxerre23. Les communautés rurales sont ainsi plus épargnées par cette forme de répression que les autres. Or, si cette pratique est assez courante de la part des intendants des autres généralités, certains d’entre eux, jusque dans les années 1750, voire 1760, n’hésitent pas, lors de véritables rafles, à enlever et à enfermer des enfants issus de tout milieu social, comme le font les intendants d’Alençon et de Caen24.
11La répression est néanmoins présente dans la généralité jusque dans les années 1760-1770. Elle semble le fait du pouvoir central et de l’Église catholique plus que de l’intendant. Deux exemples sont à cet égard significatifs. Ainsi, le 26 octobre 1767, une ordonnance de police avertit que :
« Plusieurs cabaretiers de la paroisse de Guillonville donnent à boire pendant le service divin et à des heures indues, que dans lesdits cabarets, certaines personnes, au mépris de la Religion catholique, apostolique et romaine, professent des blasphèmes et, par des paroles scandaleuses, tâchent de détourner les vrais chrétiens des devoirs de leur religion25. »
12Le 15 décembre suivant, plusieurs habitants du hameau de Gaubert sont condamnés à une amende pour ne pas avoir respecté les consignes contenues dans l’ordonnance de police. Il s’agit de la veuve de Jean Marchand, laboureur, de Jean Morize, autre laboureur, de Pierre Girault, de Louis Guillon, laboureur, et de Jacques Haillaire, journalier, batteur dans les granges de Jean Joseph26. Tous sont protestants. Dix ans plus tard, le pouvoir s’inquiète à nouveau du comportement des protestants de la région, mais ne sait comment agir, comme le montre cette lettre du secrétaire d’État à la Maison du Roi adressée à Cypierre, l’intendant d’Orléans :
« Les défenses qui leur ont été faites n’ont pas produit tout l’effet que nous pourrions désirer et qu’il est nécessaire d’employer des moyens plus efficaces pour réprimer leur entreprise et les empêcher de continuer à faire un exercice aussi public qu’ils le font depuis quelque temps du culte extérieur de leur religion. Mais le choix des moyens exige beaucoup de prudence et dépend surtout de la connaissance de la disposition actuelle des esprits et de quelques autres circonstances locales, faute de quoi l’on connaît les risques d’aggraver le mal au lieu de l’éteindre ou de le diminuer. Votre subdélégué de Châteaudun propose de commencer par rendre une ordonnance qui défendrait aux religionnaires de s’assembler et de la faire publier et afficher. Mais une pareille ordonnance ne produirait, suivant les apparences, que bien peu d’effet à Guillonville et aux environs, et pourrait avoir des conséquences dangereuses dans plusieurs autres endroits. L’on ne peut douter puisque tous les religionnaires du royaume s’entretiennent entre eux et surtout avec ceux du Languedoc27. »
13Devant les protestations du curé de Guillonville contre les assemblées tenues par les réformés, le secrétaire d’État à la Maison du Roi donne comme conseil à l’intendant d’Orléans « de s’attaquer à ceux qui seront les plus capables d’ôter aux religionnaires cette idée de tolérance qui paraît être le principal motif de leur conduite actuelle28 ». Les assemblées ne réuniraient pourtant que de 12 à 40 personnes, mais deux hommes sont arrêtés en août 1778 : Jean Girault et Cyprien Morize, qui sont condamnés à 8 jours de prison29. L’année suivante, Noé Piau, « qui faisait le prédicant et tenait école publique », est à son tour emprisonné30.
14En 1780, le curé de Châtillon-sur-Loire dénonce la tenue d’assemblées qui ne sont plus clandestines. Le subdélégué de Gien, Villiers, se rend alors à Châtillon-sur-Loire pour interroger le curé et certains membres de la communauté réformée. Malgré la forte pression du curé et de l’archevêque de Bourges, dont dépend le bourg, l’intendant Cypierre, sur les conseils de Villiers, ne prend aucune mesure contre les réformés. Villiers explique ainsi aux protestants de Châtillon-sur-Loire :
« Je ne viens point ici porter l’alarme et la terreur. L’intention du roi n’est pas que la paix et la douceur des sociétés soit troublée, la conscience de ses sujets prétendus réformés tourmentée31. »
15Si, à la fin du XVIIIe siècle, l’archevêque de Bourges souhaite utiliser la répression, son attitude ne reflète pas vraiment celle de l’ensemble du clergé, tant les positions sur cette question apparaissent diverses. À la fin du XVIIe siècle, l’évêque de Chartres, Paul Godet des Marais, écrit :
« On pourrait se faire scrupule de contraindre les hérétiques à vivre en catholiques si on les pressait avec de grandes violences, pour chaque action en particulier, si, par exemple, des officiers envoyés par le prince les conduisaient avec force, chaque dimanche, dans l’église, et leur tenant pour ainsi dire le pistolet sur la gorge, les obligeaient à y rester pendant la messe32. »
16Cependant, comme pour de nombreux autres prélats, cela n’exclut pas une attitude très ferme à l’égard des nouveaux convertis. Il ajoute en effet :
« Je ne crois pas aussi qu’il faille relâcher des voies qu’on a prises en Languedoc et ailleurs pour porter les NC [nouveaux convertis] à faire leurs devoirs depuis leur abjuration. Ils ne manqueraient pas d’en abuser et de concevoir des espérances qu’à la fin une résistance opiniâtre obtiendra leur liberté. »
17Toutefois, dans les années 1730, l’archevêque de Bourges, François-Jérôme de Roye de La Rochefoucauld, publie des Avis les plus importants sur la conduite que M. le curé de Chastillon sur Loire et son vicaire doivent tenir tant entre eux qu’à l’égard des nouveaux convertis. Il recommande de réfuter les « erreurs » des protestants « sans aigreur et sans invectives », d’expliquer l’Écriture sainte pour laquelle les nouveaux convertis « témoignent beaucoup d’attrait » et de ne pas exiger de leur part une participation à des « pratiques pour lesquelles ils ont quelquefois de l’éloignement33 ». Cette attitude du clergé conduit à s’interroger sur les rapports entre « l’hérétique au village » et le catholique. Comme sous le régime de l’édit de Nantes, les tensions confessionnelles existent souvent en raison du comportement intolérant des ecclésiastiques et non des fidèles catholiques. La communauté villageoise apparaît plus forte que les différences religieuses de ses membres.
Une organisation autonome du culte réformé
18Dans la généralité d’Orléans, comme dans de nombreuses autres provinces, des assemblées clandestines sont organisées peu de temps après la Révocation de l’édit de Nantes, dès lors que les dragonnades qui ont sévi à la fin de l’année 1685 et au début de 1686 sont achevées. Les archives judiciaires permettent de relever un certain nombre d’assemblées clandestines surprises et dénoncées. À Blois, un procès est organisé en novembre et décembre 1688 contre des protestants de Mer qui sont accusés d’avoir assisté à de telles réunions34. Les réformés de Châtillon-sur-Loire s’assemblent dès 1686, selon la correspondance que reçoit le secrétaire d’État à la Maison du roi. D’après le témoignage du curé de Châtillon-sur-Loire :
« Les NC [nouveaux convertis], malgré toutes les défenses et les déclarations de Sa Majesté s’assemblent tous les dimanches, tant dans la ville que dans la campagne où ils preschent, chantent des pseaumes, font la Cène et tout l’exercice de leur religion sur les avis qui m’en ont été donnés. Je suis allé chercher le dimanche quatriesme de may pendant vespres assisté de sept ou huit témoins. Je les surpris dans la campagne assemblés au nombre de près de 200. Je leur ai demandé le sujet de telles assemblées et leur ai représenté qu’elles étaient défendues par le Roy, qu’ils devaient venir à l’église pour y faire leurs prières et pour écouter la parole de Dieu, ils me répondirent effrontément qu’ils étaient là pour prier Dieu et pour y chanter ses louanges. […] Ils continuent de s’assembler jour et nuit. L’impunité les rend insolents35. »
19Or, ceux qui sont condamnés à la suite de ces assemblées sont issus des catégories populaires. Les notables paraissent absents de ces assemblées clandestines après la Révocation de l’édit de Nantes. En effet, lors de la réunion surprise près de Mer le jour de Pâques 1688, sont arrêtés et jugés Daniel Martin, tonnelier, Daniel Maingourd, tailleur de pierre, Jacques Héritier vigneron, et Anne Louvet. Ils sont tous les quatre condamnés à mort, mais la peine à l’encontre d’Anne Louvet est transformée en enfermement à l’hôpital général à perpétuité36. Ces assemblées sont dirigées non par des pasteurs – le curé de Châtillon se trompe probablement quand il écrit que la cène y est célébrée – mais par des prédicants issus des milieux populaires. C’est le cas de deux hommes condamnés à Châtillon-sur-Loire en 1709. L’un d’eux, Pierre Mercier, tonnelier de 51 ans, explique :
« J’ai lu des sermons, j’ai chanté des psaumes de Marot, cela est vrai ; ces sermons étaient imprimés, non manuscrits. Je n’ai fait la Cène ni aucun autre exercice de la religion. »
20Le second inculpé est Jean Dussaule, un vigneron :
« J’ai vu les fléaux dont Dieu affligeait le peuple par la famine, par la guerre et par la mortalité. J’ai pensé qu’il était bon de s’assembler afin de prier Dieu pour la paix et pour l’apaiser. Je n’ai pas cru que la lecture de quelques chapitres de la Bible et du Nouveau Testament et celle de quelques sermons imprimés de ministres fussent un mal. Quant à la Cène, je ne l’ai célébrée. Nous avons simplement chanté les louanges de Dieu37. »
21Cela ne signifie pas que les notables protestants ne résistent pas, mais qu’ils le font différemment. S’ils participent à des assemblées clandestines dans les années qui suivent la Révocation de l’édit de Nantes, ce sont plutôt des assemblées privées. Or, par leur présence dans les consistoires, ce sont ces familles qui souvent dirigeaient les Églises avant 1685. Elles se sont donc repliées sur elles-mêmes et, dans cette généralité au moins, des réformés issus de milieux plus populaires ont pris le relais.
22La réorganisation des Églises réformées se fait ici très tardivement. En effet, jusqu’à la Révolution, on peut considérer que les pasteurs sont très discrets, à la différence d’autres provinces du royaume : ils n’apparaissent véritablement que dans les années 1770 et leur présence n’est qu’épisodique38. Basés à Orléans, ils visitent peu les communautés les plus éloignées. Toutefois, le protestantisme de ces communautés est peu connu. Ainsi, du fait des persécutions, de l’absence des ministres et de l’isolement des communautés, le protestantisme de la seconde moitié du XVIIIe siècle peut apparaître différent de celui des décennies précédant la Révocation de l’édit de Nantes. Aucun sermon, aucun témoignage précis ne permet de montrer réellement cette évolution. Cependant, lors de sa visite à Châtillon-sur-Loire en 1780, Villiers, le subdélégué de Gien, pose la question suivante : « Se rendent-elles [les personnes de la communauté réformée] toutes à vos assemblées ? » Quétin du Marois, le représentant de l’Église réformée, répond : « Non. La moitié tout au plus y a paru. Les autres vivent dans l’ignorance de toute religion, ou plutôt dans l’irréligion. » Il semble donc que la période du Désert a détaché de nombreux protestants des pratiques du culte réformé, sans pour autant qu’ils rejoignent l’Église catholique. Par leur mémoire et par leur histoire, ils se disent avant tout protestants39.
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23Il faut souligner l’importance du protestantisme rural au XVIIIe siècle dans la généralité d’Orléans. S’il y a des hérétiques dans les campagnes avant la Révocation de l’édit de Nantes, progressivement, les hérétiques s’implantent au village. Cette évolution touche plus généralement le nord de la France : le protestantisme survit également en Berry grâce aux communautés rurales de vignerons de Sancerre et d’Asnières-les-Bourges, en Brie à Nanteuil-lès-Meaux où ils sont également en majorité vignerons, ou enfin en Vermandois et en Thiérache, où ce sont principalement des ouvriers du textile.
Notes de bas de page
1 D. Boisson, H. Daussy, Les protestants dans la France moderne, Paris, 2006.
2 J. Boissière, C. Michaud, L’intendance d’Orléans à la fin du XVIIe siècle, Paris, 1989, p. 124.
3 Ibid., p. 134. Les communautés réformées sont présentes au XVIIe siècle principalement dans la vallée de la Loire (Blois, Mer, Orléans, Gien, Châtillon-sur-Loire et La Charité-sur-Loire) ; il existe aussi des « oasis » protestantes, c’est-à-dire des communautés dispersées entre le Perche (Authon-du-Perche, Vendôme), la Beauce (Marchenoir, Dangeau), le Dunois (Châteaudun, Bazoches-en-Dunois), le Gâtinais (Châtillon-sur-Loing) et la Sologne (Romorantin).
4 Les communautés protestantes de la généralité d’Orléans appartiennent principalement, avant la Révocation de l’édit de Nantes, à la province synodale d’Orléanais-Berry, selon le découpage de la France protestante qui a été fait au XVIe siècle. Les principales études sur ces Églises réformées sont : Y. Guéneau, Protestants du Centre, 1598-1685 (ancienne province synodale d’Orléanais-Berry), thèse de 3e cycle, université de Tours, 1982 ; D. Boisson, Les protestants de l’ancien colloque du Berry de la Révocation de l’édit de Nantes à la fin de l’Ancien Régime, ou l’inégale résistance de minorités religieuses (1679-1789), Paris, 2000. On peut compléter par quelques monographies : H. Lehr, La Réforme et les Églises réformées dans le département actuel de l’Eure-et-Loir (1523-1911), Chartres, 1912 ; T. Fourrier, La minorité protestante de Blois : de l’entourage de la Cour au Refuge, thèse de 3e cycle, université de Tours, 1994 ; P. de Félice, Mer, son Église réformée. Etablissement. Vie intérieure. Décadence. Restauration, Paris, 1885.
5 Une Église réformée est une communauté organisée autour d’un temple et de son pasteur et dirigée par un consistoire. Le nombre de fidèles et la superficie sont très variables. Une Église peut comprendre seulement une ville ou un bourg, ou bien une ville ou un bourg et les villages voisins, comme elle peut s’étendre sur une zone beaucoup plus vaste, en particulier dans le nord de la France ; les fidèles peuvent avoir à effectuer vingt ou trente kilomètres pour se rendre au temple.
6 Y. Guéneau, Protestants du Centre…, p. 134-135.
7 A. Duchemin, La communauté protestante d’Authon-du-Perche au XVIIe siècle : de l’apogée à la résistance, maîtrise dactyl., université d’Angers, 2003.
8 Y. Guéneau, Protestants du Centre…, p. 143-144.
9 Ibid., p. 133-134, 138.
10 Ibid., p. 143.
11 R. Sauzet, « Le problème protestant dans les visites pastorales chartraines du XVIIe siècle », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1972, p. 683-695.
12 D. Boisson, H. Daussy, Les protestants dans la France moderne…, p. 269-273.
13 A.N., U 1338.
14 D. Boisson, Les protestants de l’ancien colloque du Berry…, p. 439-450.
15 A.N., U 1338 et A. M. Châtillon-sur-Loire, BMS.
16 A.D. Loir-et-Cher, I 43.
17 A.D. Loir-et-Cher, I 43.
18 Les réhabilitations ont lieu à Janville (A.D. Eure-et-Loir, B 1024), à Blois (A.D. Loir-et-Cher, I 43) et à Orléans (A.N., U 1338).
19 D. Boisson, C. Lippold, « La survie religieuse des communautés protestantes du centre de la France et du Bassin parisien de la Révocation de l’édit de Nantes à l’édit de tolérance (1685-1787) », Annales HSC, 2002, p. 227-256 ; D. Boisson, « Étouffement et résistance du protestantisme dans la généralité d’Alençon de la Révocation de l’édit de Nantes à la Révolution (1685-1789) », Bulletin de la Société Historique et Archéologique de l’Orne, 2007, p. 5-23.
20 Un des cas les plus intéressants est celui de Blois. Des protestants de cette ville s’installent au cours du XVIIe siècle à Tours ou à Paris, comme Jacques et Isaac Du Candal qui s’intègrent dans la finance parisienne. Ce sont aussi des horlogers, des orfèvres ou des marchands de vin. T. Fourrier, La minorité protestante de Blois…
21 Sur cette question : D. Boisson, Les protestants de l’ancien colloque du Berry…, p. 268-334.
22 Jean de Creil (1644-1709) est intendant de Moulins en 1684, puis d’Orléans jusqu’en 1694. Michel-André Jubert de Bouville (1645-1720) a été intendant à Limoges, Moulins, Alençon et à Orléans de 1694 à 1709. Son fils Louis-Guillaume (1677-1741) a exercé à Alençon puis à Orléans de 1713 à 1731.
23 A.D. Loir-et-Cher, 56 H 3. Arch. départ. Yonne, G 1627.
24 A. Galland, Essai sur l’histoire du protestantisme à Caen et en Basse-Normandie de l’édit de Nantes à la Révolution, Paris, 1898, rééd. Paris, 1991. D. Boisson, « Étouffement et résistance… », p. 5-23. Dans la généralité d’Alençon, cette pratique des enlèvements d’enfants dans toutes les catégories de la société réussit à affaiblir considérablement les communautés réformées, en particulier dans le village de Crocy.
25 A.D. Eure-et-Loir, B 472.
26 A.D. Eure-et-Loir, B 473.
27 A.N., O1 474, lettre du 2 avril 1778.
28 A.N., O1 474, lettre du 24 mai 1778.
29 A.N., O1 474, lettre du 20 août 1778.
30 A.N., O1 475, lettre du 6 novembre 1779.
31 J. Doinel, « Les assemblées du désert à Châtillon-sur-Loire », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1886, p. 3-7 et 49-57.
32 J. Lemoine, Mémoires des évêques de France sur l’attitude à tenir à l’égard des réformés (1698), Paris, 1902.
33 Abbé Gitton, « Le ministère du clergé auprès des nouveaux convertis de Châtillon-sur-Loire au XVIIIe siècle », Bulletin de la Société Historique, Archéologique et Artistique du Giennois, no 7, 1952, p. 12-16.
34 A.D. Loir-et-Cher, 1 B 633.
35 J. Doinel, « Les assemblées du Désert… », p. 329-332.
36 A.D. Loir-et-Cher, 1 B 633.
37 J. Doinel, « Les assemblées du Désert… », p. 329-332.
38 D. Boisson, Les protestants de l’ancien colloque du Berry…, p. 392-394 ; Y. Krumenacker (dir.), Dictionnaire des pasteurs dans la France du XVIIIe siècle, Paris, 2008.
39 J. Doinel, « Les assemblées du Désert… », p. 329-332.
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