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    Plan détaillé Texte intégral Les protestants du calaisis Évaluer l’importance de la propriété protestante en CalaisisPour une approche qualitative des terres protestantes en Calaisis Notes de bas de page Auteur

    L’hérétique au village

    Ce livre est recensé par

    • Jacques Ghiloni, Lectures, mis en ligne le 30 janvier 2019. URL : https://journals.openedition.org/lectures/5941 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.5941
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    Table des matières

    La part de la propriété agricole protestante en Calaisis au xviie siècle

    Alain Joblin

    p. 81-91

    Texte intégral Les protestants du calaisis Évaluer l’importance de la propriété protestante en CalaisisPour une approche qualitative des terres protestantes en Calaisis Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1La Réforme protestante fut, à l’origine, un phénomène urbain dont la sociologie renvoie l’image d’un protestant exerçant ses activités dans le monde du commerce, de l’artisanat ou de l’office. La paysannerie aurait été, en revanche, très peu représentée au sein des communautés réformées du royaume de France. Évoquer l’existence de minorités huguenotes vivant en milieu rural semble donc pour le moins une idée saugrenue. Et pourtant, le monde réformé fut sans doute à l’Époque moderne socialement beaucoup plus complexe qu’on ne le pense. Certes, les travaux des historiens – nature des sources oblige ! –, insistent surtout sur le monde des villes mais il ne faut cependant pas oublier que la majorité de la population protestante française du XVIIe siècle était à dominante rurale. On estime que la proportion est de 60 % de ruraux pour les protestants, contre 80 % d’une manière générale pour l’ensemble de la population du royaume1. C’est ce pourcentage que retient Philip Benedict pour caractériser les communautés huguenotes vivant dans les régions septentrionales du royaume de France2. Or, nous trouvons qu’en Calaisis, vers 1650, plus de 70 % de la population protestante de ce pays vivait à la campagne. Ce pourcentage, plus élevé qu’à l’échelle du royaume, attire l’attention sur un particularisme régional parfois oublié : il faut, en effet, se rappeler qu’on rencontrait là une des plus importantes Églises protestantes existant au nord de la Loire au XVIIe siècle. Avant d’évoquer la ruralité de cette Église, commençons par en retracer les origines.

    Les protestants du calaisis

    2Rappelons, tout d’abord, sa géopolitique : le nord de la France était, vers 1650, une région divisée entre le royaume de France (Picardie, Boulonnais et Calaisis repris aux anglais en 1558) et l’Espagne alors présente dans les Flandres, en Hainaut et en Artois. Ces « Pays-Bas espagnols », d’abord soumis à l’autorité de Charles Quint puis, dès 1556, à celle de son fils Philippe II, furent pénétrés très tôt par les idées de Luther et de Calvin. Aussi, les deux souverains tentèrent-ils successivement d’enrayer les progrès de l’hérésie en s’appuyant sur l’inquisition. La répression s’accentua à partir de 1566 lorsqu’éclata une révolte qui fut tout à la fois politique et religieuse3. Nombreux furent alors les adeptes de la « nouvelle religion » à chercher refuge dans le royaume de France, en Calaisis plus particulièrement. Après 1558 et la prise de Calais et de sa région par le roi de France au détriment des Anglais, présents depuis le XIVe siècle, ces « pays conquis et reconquis » furent vidés d’une partie de leur population et les campagnes ravagées. Un document de l’époque signale que « la plupart des maisons n’étaient plus que des masures et n’avaient d’autre apparence d’avoir été habitées que par la trace des cheminées4 ». Il fallait donc réorganiser et repeupler toute la région. Le roi de France, Henri II, désigna alors quatre commissaires pour procéder à une nouvelle répartition des terres portant sur près de 43 000 mesures5. Cette politique de remembrement fut rendue possible par l’appel lancé à de nombreux colons en provenance de Picardie et surtout des Pays-Bas espagnols. Parmi les nouveaux venus qui étaient originaires de Flandres et d’Artois se glissèrent des huguenots fuyant la répression espagnole. Il est dit, ainsi, qu’après 1565 :

    « … pour un Flamand qui vient en France pour ouïr les prêches de la Religion réformée, il y en vient ordinairement plus de 100 en ces pèlerinages avec chariots et grands chevaux voire que depuis les troubles plus que jamais on les y a veu venir plusieurs chariots à la fois, et de grans seigneurs dedans6… ».

    3Ce courant migratoire se mit en place dès 1558 ; à titre d’exemple, sur 95 personnes condamnées à Lille pour sympathies hérétiques, une trentaine d’entre elles étaient venues chercher refuge en Calaisis entre 1558 et 15647.

    4Plusieurs facteurs favorisèrent cet afflux de protestants en provenance des Pays-Bas espagnols. La présence de lieux de culte, autorisés par les édits de pacification octroyés au cours de la seconde moitié du XVIe siècle par le roi de France, fut sans doute un élément déterminant. Ainsi, une douzaine de protestants originaires de Wambrechies, près de Lille, sont venus se marier et faire baptiser leurs enfants le 1er décembre 1584 à Alembon, village des environs de Guînes. Une grande famille de l’endroit, les Calonne de Courtebronne, avait, en effet, ouvert son château au culte réformé au cours des années 15708. Les huguenots calaisiens se firent ensuite reconnaître deux temples par l’édit de Nantes (1598), l’un à Guînes et l’autre à Marck où devait se dire le culte en langue flamande9. Tous ces protestants se retrouvaient sous la protection bienveillante de gouverneurs favorables à la « nouvelle religion », à l’exemple de Dominique de Vic, un proche compagnon d’Henri IV.

    5La possibilité de louer facilement des terres fut également un facteur déterminant pour expliquer la mise en place d’un mouvement migratoire important. Les terres étaient attribuées, en effet, à des taux très intéressants pour accélérer la remise en état d’une région ravagée par la guerre. On louait ainsi les parcelles de qualité médiocre, marécageuses dans la plupart des cas, pour 3 ou 4 sous tournois la mesure, les bonnes terres labourables étant louées 8 sous la mesure, soit deux ou trois fois moins cher qu’ailleurs en Picardie. Par ailleurs, ces terres étaient exemptées du paiement de tous droits seigneuriaux à l’exception des lods et ventes. Ces conditions avantageuses furent renouvelées par Henri IV en juillet 1599, pour une période de neuf ans, à l’intention des étrangers venant se fixer en Calaisis, les nouveaux venus s’engageant à mettre en valeur leurs biens au cours des deux ans suivant leur prise de possession. Ils acceptaient également de payer au domaine royal la dîme et le champart à raison de 10 % de gerbes ou de grains10.

    6De grands seigneurs ayant participé à la reconquête de 1558 reçurent, pour leur part, des biens qu’ils louèrent ensuite à des fermiers. Des protestants profitèrent de l’occasion ; par exemple, Jean de Monchy, sieur de Sénarpont, commandait l’armée qui investit la ville de Calais. Ce fidèle du prince de Condé, le chef militaire des huguenots français, se convertit au protestantisme comme beaucoup d’autres nobles à la fin des années 1550. Il reçut 1950 mesures réparties un peu partout en Calaisis11. Louis Lannoy de Morvilliers, gouverneur huguenot de Boulogne-sur-Mer, reçut une soixantaine de mesures sises en la paroisse d’Andres12. Des familles huguenotes s’installèrent par la suite sur certaines de ces terres, comme au lieu-dit « La Callimotte », paroisse de Sangatte où Jean de Monchy était propriétaire. Les protestants y ouvrirent un cimetière dès le début du XVIIe siècle, la terre étant exploitée par deux familles protestantes, les Dhoye et les Le Secq. Ainsi, la noblesse protestante favorisa, semble-t-il, l’installation d’une paysannerie huguenote sur ses terres calaisiennes.

    Évaluer l’importance de la propriété protestante en Calaisis

    7Le mouvement migratoire, qui porta vers la France les huguenots fuyant la répression espagnole aux Pays-Bas, transforma donc le Calaisis en terre « protestante ». On l’a dit, cette migration forcée fut à l’origine de la naissance d’une des plus importantes Églises réformées vivant au nord de la Loire au XVIIe siècle. On évalue, en effet, cette communauté à près de 3 000 personnes sur les quelque 15 000 habitants que comptait le Calaisis vers 1650, soit près de 20 % de la population du pays (la moyenne des protestants pour le royaume de France est de 4 %). Ces huguenots vivaient sur 27 des 34 paroisses couvrant le Calaisis, les « Pays conquis et reconquis » et l’Ardrésis. La population protestante put représenter jusqu’au tiers, voire près de 40 %, des habitants de certaines de ces paroisses comme, par exemple, à Balinghem, Hames, Coulogne, Marcq ou Guînes où se trouvait le temple principal. Ce peuplement protestant pouvait devenir massif lorsque plusieurs familles huguenotes se regroupaient sur certains quartiers comme ce fut le cas à Guînes : les artisans des métiers du cuir, les paysans et les petites gens étaient concentrés sur le quartier Saint-Blaise à l’extérieur du bourg.

    8Cette population offrait un large éventail socioprofessionnel avec une nette dominante de la paysannerie soit, sur 418 métiers repérés sur le registre du temple de Guînes13, 216 laboureurs auxquels il faut ajouter 78 manouvriers. Tous ces paysans n’étaient pas propriétaires des terres qu’ils cultivaient ; les plus gros propriétaires terriens du pays, catholiques et huguenots confondus, étaient des marchands protestants, résidant pour la plupart d’entre eux à Calais ou à Guînes.

    9L’étude de l’exploitation agricole protestante pose des questions de méthode, étant donné l’importance du faire-valoir indirect dominant ; toutefois, elle peut être tentée à partir de deux sources. La première se présente sous la forme de roolles dressant l’état des biens confisqués aux protestants qui quittèrent le royaume après la Révocation de l’édit de Nantes en 168514. Les documents dressés pour la Picardie recensent 559 noms de fugitifs propriétaires, dont 322 pour le seul Calaisis. Cette source fait tout naturellement silence sur les biens des huguenots qui se convertirent et restèrent en France, ce qui en limite la portée. Il faut donc compléter l’information en se reportant aux actes dressés par les notaires de Calais et surtout par ceux de Guînes. Le fonds guînois est, à première vue, très intéressant car chacun des quatre notaires en exercice au XVIIe siècle dressait près de 200 actes par an. Mais, là encore, l’utilisation de cette source est limitée car les différentes pièces ne précisent pas si on avait affaire à des catholiques ou à des protestants15.

    10La base de notre étude repose donc, pour l’essentiel, sur l’état des biens ayant appartenu aux huguenots fugitifs. Les protestants calaisiens abandonnèrent 217 fermes couvrant près de 5 400 mesures dont plus de 5 000 mesures de terres labourables, le reste étant composé de prés et de marécages – le Calaisis n’était pas une région boisée, hormis la forêt de Guînes pour laquelle Jérôme Bignon, intendant de Picardie à la fin du XVIIe siècle, signalait que, si elle était qualifiée ainsi, elle ne méritait pas « d’être appelée forêt », en précisant que « le bois [était] très cher dans toute la province16 ». Les protestants fugitifs enregistrés par les services de l’intendance de Picardie ne représentaient que 3 % de la population calaisienne mais possédaient 5 000 mesures, soit 15 % environ des terres labourables du Calaisis vers 1685. Ce pourcentage n’était pas négligeable au regard des 40 % du pays considérés comme incultes17. On peut, par ailleurs, considérer qu’avant 1685, la part des terres détenues par les protestants dans le pays était beaucoup plus importante, car il ne faut pas oublier les propriétés possédées par les protestants qui se convertirent au moment de la Révocation de l’édit de Nantes.

    11Seize paroisses ont fait l’objet d’une étude plus précise. Les propriétaires huguenots fugitifs en 1685 y possédaient 16 % des terres labourables. Cette part pouvait atteindre, voire dépasser, les 20 % comme à Ardres, à Balinghem ou à Coquelle, 25 % à Guînes, 32,5 % à Guemps, 36 % à Nouvelle-Église et près de 40 % à Vieille-Église. Cette part pouvait être aussi beaucoup moins importante : de 9 à 10 % à Marcq et à Hames, 8,5 % à Saint-Pierre, 6 % à Coulogne et à Oye, 4,75 % à Hervelinghen. Les situations semblent donc très diverses, aussi faudrait-il, pour bien apprécier la valeur de ces chiffres, connaître le nombre exact de propriétaires pour chaque paroisse. Pierre de le Becque, par exemple, semble avoir été le seul propriétaire terrien de religion protestante à Hermelinghen. Il possédait à lui seul 4,75 % du terroir paroissial. À Marcq, ils étaient 26 propriétaires huguenots, soit, 1,55 % de la population paroissiale à se partager la propriété de 9,8 % du terroir. Ils étaient également 26 à Guînes (1,14 %) mais, cette fois-ci, ils occupaient 25 % des terres de la paroisse. À Vieille-Église, 8 réformés (4,3 %) possédaient près de 40 % du territoire. Malgré la variété des situations, il appert qu’une minorité religieuse possédait une part non négligeable d’un terroir : 1,14 % de la population totale des 16 paroisses retenues était constitué de protestants propriétaires de 16 % de l’ensemble des terroirs paroissiaux.

    Pour une approche qualitative des terres protestantes en Calaisis

    12Précisons, en premier lieu, que les propriétés tenues par les protestants se trouvaient essentiellement situées dans le Haut Pays, réputé pour concentrer les meilleures terres de labour du Calaisis, à la différence du Bas Pays où se trouvaient en grand nombre des terres impropres à l’agriculture. Évaluons maintenant la taille de l’exploitation agricole protestante en Calaisis. Elle était légèrement supérieure à la moyenne régionale : une trentaine de mesures contre 2618, mais 55 % des exploitations étaient inférieures à 10 mesures (5 ha). À titre de comparaison, à la fin du XVIIe siècle, Vauban évaluait la rentabilité d’une exploitation à 12 mesures19. L’éventail était cependant très ouvert, allant de la demi-mesure (une quarantaine d’ares) possédée par Abraham du Vinage à Balinghem, passant par les 6 mesures de Pierre Hovinne, marchand-drapier à Guînes, pour atteindre les 104 mesures de Jean Hays à Marcq. Ces terres étaient d’un seul tenant, mais, dans bien des cas, les propriétaires possédaient des terres dispersées sur une seule ou plusieurs paroisses. Pierre de Cassel, par exemple, marchand-drapier de Calais, était propriétaire, vers 1650, de plus de 200 mesures réparties sur 7 exploitations ; la plus grande, de 65 mesures, et la plus petite, de 6 mesures, se trouvaient sur la paroisse de Marck. Les autres étaient situées à Offequerque, à Saint-Pierre et à Vieille-Église. Son fils, Jacques, sut faire fructifier l’héritage pour le porter à 328 mesures. Les frères Hays, bourgeois marchands de Calais, se partageaient plusieurs propriétés : 104 mesures, nous l’avons vu, à Marcq, auxquelles il faudrait ajouter 18 mesures au lieu dit « les Attaques », 42 mesures à Guemps, 13 mesures en trois pièces « sur le chemin de Calais à Gravelines » et 73 mesures en un lieu indéterminé. Gilles Andouche était, quant à lui, propriétaire de la ferme du « Petit Colombier » à Saint-Pierre, près de Calais. Cette ferme, d’une contenance de 100 mesures, rassemblait des terres à usage de labour, des prés, des pâtures et des jardins répartis en deux terroirs, l’un de 80 mesures et l’autre de 20 mesures. La ferme était bâtie sur la première parcelle et se composait d’une « cuisine, [d’une] chambre à côté, une autre petite chambre, une dépendance, un grenier, une écurie, une étable à vaches bâtie de briques, une grande, un fourny, une étable à porcs et un pigeonnier dessus basty de briques20 ». Le dernier pasteur de Calais, Pierre Trouillart, en résidence à Guînes, possédait lui-même 38,5 mesures de terres sises sur la paroisse d’Oye, auxquelles s’ajoutaient 45 mesures à Offequerque et 6,5 mesures à Saint-Pierre. Autre exemple : dans la paroisse de Guemps, trois protestants s’associèrent en 1667 pour acheter 78 mesures de terre (dont 52 mesures labourables)21.

    Les communautés protestantes en Calaisis, Pays conquis et reconquis, Ardrésis au XVIIe siècle

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    13Une autre observation s’impose sur l’approche qualitative de cette propriété paysanne huguenote : tous les propriétaires terriens de religion réformée n’étaient pas obligatoirement des paysans, la plus grande partie des terres étant exploitée en faire-valoir indirect. Le constat vaut pour tout le royaume de France aussi bien pour les protestants que pour la majorité catholique – en Cambrésis ou dans le pays de Caux, par exemple, près de 80 % du terroir était possédé par des non-exploitants22 – comme pour le Calaisis. À Guînes, en 1685, 26 fugitifs possédaient des terres, or seulement 5 laboureurs sont recensés dans le registre des BMS du temple, et parmi eux, 2 étaient propriétaires (familles Delamarre et Sy). Ce décalage entre laboureurs, laboureurs-propriétaires et propriétaires terriens se retrouve pour 7 autres des 16 paroisses. Dans la plupart des cas, le propriétaire type était, on l’a dit, un marchand huguenot vivant surtout à Calais et à Guînes, à l’exemple des de Cassel ou des Hays. Ces observations attirent ainsi l’attention sur la location des terres, la question étant de savoir à qui les propriétaires protestants louaient leurs biens. Le décalage entre le nombre des laboureurs et celui des propriétaires laisse supposer que des catholiques purent prendre en location des terres protestantes. L’étude reste ici à préciser.

    14Certaines des plus grandes exploitations calaisiennes étaient baillées, par ailleurs, à des fermiers de la religion réformée. Gédéon Lejeune, par exemple, louait dans les années 1620 la ferme de La Walle à Guînes. La location fut reprise ensuite, dans les années 1660-1670, par la famille Delamarre dont certains membres quittèrent le royaume après 1685. Cette ferme était la propriété d’une grande famille catholique boulonnaise, les Patras de Campaigno, à laquelle appartenait le sénéchal du Boulonnais, commandant la nombreuse noblesse de ce petit pays voisin du Calaisis. La ferme de La Walle renfermait 107 mesures de terre. Celle dite du Tourne-Puits, également située sur la paroisse de Guînes, appartenait à Samuel de Flin, « escuier sieur de Bauthelun », capitaine d’une compagnie pour « Messieurs des États de Hollande ». On peut légitimement penser qu’il s’agissait d’un protestant, peut-être de « nation » hollandaise. Le locataire vers 1650, Simon Coquet, était également adepte de la « nouvelle religion ». La ferme se composait de 121 mesures de terre en 4 soles, respectivement de 58, 52, 8 et 3 mesures. L’inventaire des biens fait apparaître un important cheptel : 5 chevaux, 9 poulains, 23 vaches à lait et une génisse, 7 veaux, 64 porcs, 23 bœufs et 240 « bestes à laine ». S’y trouvait également du matériel : 3 charrues, 6 herses, 3 chariots, des perches pour les houblonnières et 2 chaudrons en airain pour la fabrication de la bière. Simon Coquet possédait, en effet, une brasserie à Guînes. L’inventaire dressé pour cette ferme renseigne également sur le travail de la terre. On labourait à 4 ou 2 sillons selon la qualité de la terre, alors qu’ailleurs en Picardie on labourait à 10, voire 20 « raies ». Cette technique de labourage aéré s’expliquait sans doute, en Calaisis, par la nécessité de prévoir le drainage des terres dans un pays qui était en grande partie poldérisé.

    15Les loyers payés pour ces fermes étaient élevés : 1 200 livres par an pour la ferme de La Walle et 2 200 livres pour celle du Tourne-Puits. Des paysans « rendant » annuellement des loyers de 950 livres, voire 1 360 livres, à leurs propriétaires étaient en Beauvaisis au XVIIe siècle, selon Pierre Goubert, de très gros fermiers23. Simon Coquet et ses confrères étaient donc des paysans très aisés. Quant à la production, les inventaires des fermes abandonnées par les protestants après 1685 montrent qu’elle était prioritairement céréalière. On trouva, par exemple, chez André Lenoir, laboureur huguenot à Vieille-Église, 980 gerbes de baillard (orge de printemps), 712 gerbes de warats (un mélange de seigle, de pois, de vesces et de fèves), 450 gerbes de seigle, 1 375 gerbes d’avoine et 2 780 autres gerbes indéterminées soit, au total, 6 779 gerbes évaluées à 536 livres. Par ailleurs, certains agriculteurs protestants surent faire preuve d’esprit d’initiative en introduisant dans le pays, par exemple, la culture du colza. Ainsi, Pierre Clinquemeure, laboureur à Balinghem, construisit le seul moulin à huile de colza de la région. Ce moulin se trouvait à la sortie de Guînes sur le chemin menant du lieu dit « Le bois au roi » vers Hermelinghen.

    ***

    16Les protestants tenaient donc une part non négligeable du terroir calaisien. La propriété protestante était constituée, pour l’essentiel, de terres labourables dans une région où les terres impropres à l’agriculture couvraient près de 40 % de la superficie. La mise en valeur de cette propriété relevait d’un faire-valoir indirect ; les propriétaires huguenots étaient, dans la plupart des cas, de gros marchands vivant à Calais ou à Guînes. Ces marchands propriétaires siégeaient au consistoire de l’Église locale. On était donc bien en présence de personnalités de la plus haute importance. Les paysans protestants du pays n’étaient certes pas tous de gros propriétaires. Il y eut aussi de pauvres manouvriers, à l’exemple du dénommé Baicut que la communauté aida en lui fournissant le fer nécessaire pour fabriquer les roues de son « beniau » (tombereau)24. Mais, nous l’avons vu, sur les quelque 418 métiers relevés sur le registre du temple de Guînes, 216 données renvoyaient au statut de « laboureur », ce qui laisse entendre qu’on avait affaire à cette époque à une paysannerie réformée plutôt aisée.

    17La Révocation de l’édit de Nantes en 1685 jeta sur les routes de l’exil un grand nombre de ces huguenots : 30 % des protestants calaisiens quittèrent le royaume (la moyenne française des protestants en exil étant d’environ 22 %). Ces départs furent si massifs qu’ils laissèrent le pays « presque dépeuplé » comme le déclarent les responsables de la ville de Guînes en 170725. Ces départs désorganisèrent donc durablement l’économie calaisienne, l’agriculture en particulier, comme le laissent supposer les exemples relatés. Le contrecoup du départ des huguenots se lit aussi à travers les registres des notaires de Guînes : de 500 à 600 actes passés chaque année avant 1685 on tomba, de 1690 à 1700, à 350 actes relatifs, dans la plupart des cas, à des transferts de patrimoine foncier26. Les biens délaissés par les fugitifs furent, par ailleurs, soit repris par leurs parents catholiques, soit mis en location par le roi qui s’en attribua la possession. Ce transfert de propriété n’alla pas sans poser quelques problèmes lorsque l’exilé décidait de faire amende honorable et de retourner au pays. Isaac Roussé, par exemple, quitta le royaume en 1687 pour trouver refuge en Hollande puis à Canterbury en Angleterre où il s’installa comme laboureur. Il décida de regagner en 1697 le Calaisis à l’âge de 68 ans et demanda à recouvrer la propriété de 60 mesures de terre qu’il avait abandonnées à Guemps et 18 mesures à Balinghem. La loi l’autorisait à le faire car il souhaitait se faire catholique « et d’en professer la religion27 ». Or, ces terres avaient été reprises par un officier des troupes boulonnaises, d’une part et, d’autre part, par un certain Du Laye. Nous ne savons pas comment se termina cette affaire, mais on devine, derrière tout cela, les imbroglios juridiques nés de la fuite inopinée des huguenots. Il faudra des décennies à l’agriculture calaisienne pour se remettre de cet exode.

    Notes de bas de page

    1 D. Ligou, Le protestantisme en France de 1598 à 1715, Paris, 1968.

    2 P. Benedict, « La population réformée française de 1600 à 1685 », Annales ÉSC, 1987, p. 1433-1459.

    3 A. Lottin, P. Guignet, Histoire des provinces françaises du Nord de Charles Quint à la Révolution française (1500-1789), Arras, 2006.

    4 B.M. Calais, ms. 54 : Papier terrier du domaine du Roy en la Ville de Calais et Pays reconsquist. Ce terrier est connu sous le nom de son auteur : Pierre de Miraulmont, conseiller au Trésor royal.

    5 La mesure calaisienne est égale à une quarantaine d’ares.

    6 A. D. Pas-de-Calais, Fonds Rodière, ms. 12J/MS 230.

    7 C. Frossard, L’Église sous la croix pendant la domination espagnole : chronique de l’Église réformée de Lille, Paris, 1857.

    8 Ibid., p. 117-121. On peut supposer que ces seigneurs profitaient des édits de pacification (celui de Saint-Germain du 8 août 1570 par exemple) octroyés par le roi de France. Ces édits permettaient d’ouvrir les châteaux au culte réformé.

    9 A. Joblin, « Le protestantisme en Calaisis aux XVIe-XVIIe siècles », Revue du Nord, 1998, p. 599-618.

    10 A. M. Calais, Administration communale, ms. BB 5 f° 29.

    11 J.-B. Lefebvre, Histoire générale et particulière de la ville de Calais et du Calaisis ou Pays reconquis, Paris, 1766.

    12 B.M. Boulogne-sur-Mer, ms. 695F, f° 24.

    13 Il s’agit du registre sur lequel étaient enregistrés les baptêmes, mariages et décès pour la période 1668-1685 : W. Minet, R. Chapman, Registers of the Church of Guînes, 1668-1685, The Publications of the Huguenot Society of London, vol. III, 1891.

    14 A.N., TT 261 XXX, f° 951-1052. A. Monsang, Les biens confisqués aux protestants de Picardie (Généralités d’Amiens et de Soissons) après la Révocation de l’édit de Nantes (1685-1716), maîtrise, université Paris IV-Sorbonne, oct. 1987, dactyl.

    15 Avec là encore une limite car le fonds est actuellement en cours de classement aux Archives départementales du Pas-de-Calais. Seul le fonds De Noeufville est pour l’instant exploitable.

    16 B.M. Boulogne-sur-Mer, ms. no 572F : Mémoire de l’Intendant de Picardie, Jérôme Bignon, 1698.

    17 F. Verhaeghe, Le Calaisis au début du XVIIIe siècle : aspects démographiques, économiques, sociaux et religieux, mémoire de Master I, université d’Artois, juin 2009, dactyl.

    18 J.-A. Foucault, « L’évolution de la propriété foncière dans le Calaisis à la fin du XVIe siècle », Bulletin de la Société des Antiquaires de la Morinie, t. 21, année 1967-1972, p. 430-438.

    19 F. Braudel, E. Labrousse (dir.), Histoire économique et sociale de la France (1660-1789), t. II, Paris, 1970.

    20 A. D. Pas-de-Calais, ms. 1 J 275.

    21 C. Landrin, Tablettes historiques du Calaisis, Calais, t. I, 1888, p. 67-69.

    22 S. Bianchi, M. Biard, A. Forrest, E. Gruter, J. Jacquart, La terre et les paysans en France et en Grande-Bretagne du début du XVIIe à la fin du XVIIIe siècle, Paris, 1999.

    23 P. Goubert, 100 000 provinciaux au XVIIe siècle, Paris, 1968.

    24 A. Joblin, « Protestantisme et assistance en Calais au XVIIe siècle », Bulletin historique et artistique du Calaisis, no 154-155-156, décembre 1997, p. 287-305.

    25 M. Naert, Les Huguenots du Calaisis au XVIIe siècle, Lille, 1912.

    26 É. Buy, S. Curveiller, J. Louf, Guînes. Des origines à nos jours, Balinghem, 2007.

    27 A. N., TT 457 L XIX.

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    • Alain Joblin
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    1 D. Ligou, Le protestantisme en France de 1598 à 1715, Paris, 1968.

    2 P. Benedict, « La population réformée française de 1600 à 1685 », Annales ÉSC, 1987, p. 1433-1459.

    3 A. Lottin, P. Guignet, Histoire des provinces françaises du Nord de Charles Quint à la Révolution française (1500-1789), Arras, 2006.

    4 B.M. Calais, ms. 54 : Papier terrier du domaine du Roy en la Ville de Calais et Pays reconsquist. Ce terrier est connu sous le nom de son auteur : Pierre de Miraulmont, conseiller au Trésor royal.

    5 La mesure calaisienne est égale à une quarantaine d’ares.

    6 A. D. Pas-de-Calais, Fonds Rodière, ms. 12J/MS 230.

    7 C. Frossard, L’Église sous la croix pendant la domination espagnole : chronique de l’Église réformée de Lille, Paris, 1857.

    8 Ibid., p. 117-121. On peut supposer que ces seigneurs profitaient des édits de pacification (celui de Saint-Germain du 8 août 1570 par exemple) octroyés par le roi de France. Ces édits permettaient d’ouvrir les châteaux au culte réformé.

    9 A. Joblin, « Le protestantisme en Calaisis aux XVIe-XVIIe siècles », Revue du Nord, 1998, p. 599-618.

    10 A. M. Calais, Administration communale, ms. BB 5 f° 29.

    11 J.-B. Lefebvre, Histoire générale et particulière de la ville de Calais et du Calaisis ou Pays reconquis, Paris, 1766.

    12 B.M. Boulogne-sur-Mer, ms. 695F, f° 24.

    13 Il s’agit du registre sur lequel étaient enregistrés les baptêmes, mariages et décès pour la période 1668-1685 : W. Minet, R. Chapman, Registers of the Church of Guînes, 1668-1685, The Publications of the Huguenot Society of London, vol. III, 1891.

    14 A.N., TT 261 XXX, f° 951-1052. A. Monsang, Les biens confisqués aux protestants de Picardie (Généralités d’Amiens et de Soissons) après la Révocation de l’édit de Nantes (1685-1716), maîtrise, université Paris IV-Sorbonne, oct. 1987, dactyl.

    15 Avec là encore une limite car le fonds est actuellement en cours de classement aux Archives départementales du Pas-de-Calais. Seul le fonds De Noeufville est pour l’instant exploitable.

    16 B.M. Boulogne-sur-Mer, ms. no 572F : Mémoire de l’Intendant de Picardie, Jérôme Bignon, 1698.

    17 F. Verhaeghe, Le Calaisis au début du XVIIIe siècle : aspects démographiques, économiques, sociaux et religieux, mémoire de Master I, université d’Artois, juin 2009, dactyl.

    18 J.-A. Foucault, « L’évolution de la propriété foncière dans le Calaisis à la fin du XVIe siècle », Bulletin de la Société des Antiquaires de la Morinie, t. 21, année 1967-1972, p. 430-438.

    19 F. Braudel, E. Labrousse (dir.), Histoire économique et sociale de la France (1660-1789), t. II, Paris, 1970.

    20 A. D. Pas-de-Calais, ms. 1 J 275.

    21 C. Landrin, Tablettes historiques du Calaisis, Calais, t. I, 1888, p. 67-69.

    22 S. Bianchi, M. Biard, A. Forrest, E. Gruter, J. Jacquart, La terre et les paysans en France et en Grande-Bretagne du début du XVIIe à la fin du XVIIIe siècle, Paris, 1999.

    23 P. Goubert, 100 000 provinciaux au XVIIe siècle, Paris, 1968.

    24 A. Joblin, « Protestantisme et assistance en Calais au XVIIe siècle », Bulletin historique et artistique du Calaisis, no 154-155-156, décembre 1997, p. 287-305.

    25 M. Naert, Les Huguenots du Calaisis au XVIIe siècle, Lille, 1912.

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    • (2021) Les campagnes françaises à l'époque moderne. DOI: 10.3917/arco.charp.2021.01.0333
    • (2012) Books Received. Speculum, 87. DOI: 10.1017/S0038713412000711

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    Joblin, A. (2011). La part de la propriété agricole protestante en Calaisis au xviie siècle. In P. Chareyre (éd.), L’hérétique au village (1‑). Presses universitaires du Midi. https://doi.org/10.4000/books.pumi.9339
    Joblin, Alain. « La part de la propriété agricole protestante en Calaisis au xviie siècle ». In L’hérétique au village, édité par Philippe Chareyre. Toulouse: Presses universitaires du Midi, 2011. https://doi.org/10.4000/books.pumi.9339.
    Joblin, Alain. « La part de la propriété agricole protestante en Calaisis au xviie siècle ». L’hérétique au village, édité par Philippe Chareyre, Presses universitaires du Midi, 2011, https://doi.org/10.4000/books.pumi.9339.

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    Chareyre, Philippe, éditeur. L’hérétique au village. Presses universitaires du Midi, 2011, https://doi.org/10.4000/books.pumi.9291.
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