Dîme et féodalité en Catalogne : le diocèse de Gérone et le Livre Vert (1362-1371)1
p. 127-144
Texte intégral
1L’intégration des terres catalanes dans l’Empire carolingien explique que l’histoire de la dîme aux IXe et Xe siècles y fut plus proche des modèles carolingiens que de ce que l’on sait sur le reste des territoires hispaniques, y compris pour ceux qui ne furent pas occupés par les musulmans. De fait, les premiers témoignages sur la dîme en Catalogne, au dernier quart du IXe siècle, concernent la création et la dotation économique des chapitres des cathédrales catalanes : c’est le cas de Gérone, où l’évêque Téotaire, en 887, donna aux nouveaux chanoines les dîmes de quatorze églises des alentours de la ville2. Ainsi débuta, associée à la création des paroisses rurales, la diffusion de la dîme dans les campagnes géronaises et dans le reste des comtés catalans.
La dîme dans le diocèse de Gérone, xe-xiie siècles
2Grâce aux actes de consécration et dotation d’églises3, on a pu signaler les formes, les manifestations et les phases de la multiplication des paroisses dès le Xe siècle. Paroisse et dîme étaient si étroitement liées que le verbe aparrochiare était utilisé en 904, à la Bisbal d’Empordà, pour désigner le fait d’associer au nouveau sanctuaire un groupe de villae et villares préexistants sur lesquels on levait la dîme, et qui se trouvaient, par cet acte, intégrés dans le nouveau territoire paroissial4. Les évêques semblaient donc disposer librement des dîmes et des autres droits paroissiaux cédés à la nouvelle église. Pourtant, le patronage laïque n’avait pas disparu. Dans les Pyrénées, les comtes de Pallars et Ribagorça accordaient des dîmes à leurs fidèles et aux grands monastères des comtés ; et de la même façon, les comtes de Barcelone structuraient les terres conquises au sud du fleuve Llobregat à partir des châteaux et de leurs districts, inféodés à leurs vassaux avec la dîme qui y était levée5. Dans le diocèse de Gérone, le plus éloigné de la frontière, les comtes de Barcelone et les vicomtes de Gérone possédaient également des églises, qu’ils offraient parfois, avec leurs dîmes et leurs prémices, aux monastères ou au chapitre géronais6.
3L’appropiation laïque des églises montre ainsi que le Xe siècle fut une période clef, au moins à Gérone, et que la paroisse, nouveau cadre spatial et lieu d’exercice du pouvoir, joua un rôle important dans les débuts du processus de féodalisation7. Au XIe siècle, les résultats de ce processus se manifestent par la diffusion des sanctuaires romans, par la création des sagreres dans l’espace d’asile entourant les églises, et surtout, par l’installation des demeures seigneuriales (qui deviendront ensuite des châteaux) à l’intérieur même de leur périmètre8. En revanche, nous n’avons que des indices indirects sur les dîmes en mains laïques. Il s’agit de deux conciles célébrés à Gérone, dans les années 1068 et 10789. Dans le premier, présidé par le cardinal et légat pontifical Hughes Candide, on dénonça la possession et les ventes de dîmes par des laïcs. Dans le second, au contraire, on renonça à lutter contre les seigneurs qui contrôlaient des églises et des dîmes : il leur fut interdit de recevoir les offrandes des messes et des autels, les prémices et les droits de sépulture et de baptême, mais ils conservèrent leurs dîmes.
4Bien que l’évêque Berenguer, juste après le concile de 1078, ait entrepris une intense, mais brève, campagne de consécrations d’églises10, les effets des conciles réformateurs n’apparaissent qu’à plus long terme. Aux XIIe et XIIIe siècles, près de 60 églises, avec leurs dîmes, furent cédées par des laïcs pour venir grossir le patrimoine de certains monastères et, surtout, du siège de Gérone11. En 1156, le comte de Barcelone accorda à l’évêque géronais « omnes ecclesias et earum capellanias quas tu prefate episcope a nostris militibus iniuste et contra omnem rationem in servitute detineri iustissime conquerebaris […] salvis decimationibus quas milites tenent per me12s Malgré ses limites, il est possible que cet engagement du comte ait aidé les évêques à imposer leur contrôle sur certaines églises, les vicarie, possédées par des laïcs qui y levaient des dîmes et y nommaient les desservants13.
Une nouvelle politique épiscopale sur les dîmes, xiiie-xive siècles
5Les nouvelles directives pontificales, diffusées à partir du IVe Concile de Latran (1215), et reprises en Catalogne lors du Concile de Lleida de 1229, fournirent aux évêques géronais l’appui nécessaire pour redresser l’organisation ecclésiastique du diocèse14. Pour ce qui concerne les dîmes, cependant, le changement de la politique épiscopale semble antérieur de quelques années. En la matière, les évêques géronais ont peut-être suivi l’exemple de leurs voisins d’Elne qui, depuis le XIIe siècle, recevaient des hommages et des serments de fidélité en raison des dîmes paroissiales que détenaient certains nobles roussillonnais15. Mais ils profitèrent aussi d’une conjoncture historique particulière. En 1226, pour ne pas être envahi par l’armée croisée que Louis VIII lançait contre les cathares du Languedoc, le comte Hughes IV d’Empúries se soumit à l’évêque Allemand d’Aiguaviva pour expier les fautes qui l’avaient fait excommunier. Par la suite, toute la noblesse du comté d’Empúries et du diocèse de Gérone semble avoir suivi son exemple, et reconnu l’autorité des évêques en leur prêtant hommage pour les fiefs, rentes et possessions qu’ils détenaient, dont les dîmes bien évidemment16. Ainsi, entre mars et décembre 1227, les nobles Arnau de Navata, Gilabert de Cruïlles, Ramon de Palou, Pere d’Orriols, Galzeran de Mont-roig et le vicomte Dalmau de Rocabertí signèrent des hommages semblables. Plus tard, c’est-à-dire juste après la conquête de Mallorca et le concile de Lleida, l’évêque Guillem de Cabanelles poursuivit la tâche de son prédécesseur, avec plus d’intensité encore (figure 1).
6Tout au long des XIIIe et XIVe siècles, les archives épiscopales se remplirent d’actes similaires, actes par lesquels des laïcs avouaient posséder des dîmes en fief de l’évêque de Gérone. Une bonne partie des documents originaux sont classés dans les tiroirs 1, 2, 3 et 4 du patrimoine de l’évêché, mais on en conserve aussi des copies dans le manuel du notaire Pere de Capmany, dans le Cartulaire des Rubriques Rouges, dans deux autres volumes du fonds de la Mitre et dans la deuxième partie du Cartulaire de Charlemagne17. L’ensemble des données sur les dîmes laïques du diocèse de Gérone est donc tout à fait remarquable, puisqu’il est ainsi composé de 835 documents antérieurs à 1360. Après quelques décennies d’une relative inactivité, les évêques Bernat de Vilert, Bernat et Guillem de Vilamarí ont en effet renoué l’intérêt que leurs prédécesseurs accordaient aux dîmes des seigneurs laïques. Pere de Rocabertí, en dépit de la brièveté de son épiscopat (1318-1324), renforça encore la politique de contrôle des décimateurs laïques en exigeant des reconnaissances de fiefs ou en accordant sa licence à leur détention. Le mouvement se poursuivit dans les décennies suivantes, jusqu’à ce que l’évêque Berenguer de Cruïlles ordonnât, en 1362, la rédaction du Livre Vert des Fiefs.
7Mais pourquoi déployait-on tant d’efforts pour mettre par écrit les droits épiscopaux sur les dîmes ? Si les évêques de Gérone portaient grand intérêt à ces informations, il semble que ce soit surtout parce qu’elles leur étaient indispensables au moment d’exiger des seigneurs laïques le versement des taxes – laudemium, foriscapium, tercium – perçues sur les transactions concernant des dîmes, comme sur toutes les mutations foncières. Or ces taxes étaient très lourdes. En 1369, le vicaire général de l’évêque certifia qu’il était de coutume, partout dans le diocèse, que soit versé, pour les biens fonds possédés en fief qui étaient vendus ou donnés, 30 % du prix de la transaction (soit, pour 100 sous, 25 sous de medium tercium et 5 sous de medium laudimium)18. Dans la pratique, nous avons pu constater, après une première enquête (tableau 1), que les sommes reçues pour les lods et ventes de dîmes variaient de 5 à 150 livres par transaction, ce qui n’était pas négligeable, puisque les taux appliqués étaient toujours supérieurs à 10 % du prix, et pouvaient même approcher les 30 %.
Figure 1. Le contrôle des dîmes laïques dans le diocèse de Gérone, 1221-1360

Tableau 1. Les chiffres des lods et ventes sur les transactions des dîmes laïques, 1317-1362

8Afin de connaître la situation des dîmes laïques dans chaque paroisse du diocèse, les évêques faisaient donc appel aux prêtres paroissiaux. En 1256, l’une des premières constitutions synodales de Gérone obligeait les curés « ut inquirant diligenter quis percipit decimam parrochiarum suarum, et pro ipsa decima teneatur, et quot domini sint in ea » ; en 1335, l’évêque Arnau de Mont-rodon rappella aux prêtres qu’ils devaient lui communiquer « omnes venditiones, permutationes, obligationes et alias quascumque alienationes actenus de decimis infra suam parrochiam19 ». Enfin, la fonction de vigilance dont étaient investis les prêtres ruraux apparaît encore une fois dans la visite pastorale de 1329, puisque les visiteurs épiscopaux leur demandaient les noms des décimateurs laïques, les parties de la dîme qu’ils recevaient, leur valeur économique, et s’inquiétaient même de savoir si l’on utilisait la dîme pour garantir des dots ! À la même époque, on sait que l’évêque envoya quelques lettres aux curés de certaines paroisses, voire dans tout le diocèse, pour leur rappeller l’obligation de l’informer des changements de titulaires des dîmes20.
Le livre vert des fiefs (1362-1371)
9Dans l’histoire des dîmes géronaises, la confection du Livre Vert marque de toute évidence une étape essentielle21. On ne saurait ici en faire la description. On se limitera donc à dire qu’il était consitué pour l’essentiel de 248 feuillets (de 289 par 213 mm) introduits par un petit cahier de 4 feuillets : un index des paroisses intitulé Tabula parrochiarum. Hormis quelques annotations des XVIIe et XVIIIe siècles, l’ensemble est de la même main, celle de Guillem Bernat de Perles, prêtre de Gérone.
10Sur ce personnage, le premier feuillet du volume nous apprend que l’évêque Berenguer de Cruïlles, en 1362, le nomma procureur « ad […] petendum et levandum omnia jura decimarum et aliorum feudorum dignitati episcopali infra diocesis Gerundensis pertinencium ac etiam ad requirendum tenetores et possidentes dicta feuda ut ipsa feuda et decimas deberent dicto domino episcopo recognoscere et capudbreviare. » Il entreprit alors un long travail de collecte d’informations et de documents qui devait le mener à la rédaction du Livre Vert, mais le conduisit également à participer à la rédaction d’autres registres portant sur les droits des évêques et les dîmes en mains laïques et ecclésiastiques22. Pour en finir, il fallut que l’évêque Jaume de Trilla (1369-1374) lui intima l’ordre d’achever la rédaction de son registre23, ce qui fut fait peu après l’été 137124. Guillem Bernat de Perles n’y rajouta que quelques annotations marginales en 137225.
11Depuis, le Livre Vert n’est jamais sorti des archives épiscopales. On l’a souvent consulté, du XIVe au XIXe siècle, afin de résoudre des conflits à propos de la dîme26. Après l’abolition de celle-ci en 1837, il perdit toute utilité jusqu’à ce que certains historiens locaux le consultent à propos de paroisses géronaises27. Plus récemment, Christian Guilleré a essayé de l’utiliser pour quantifier la valeur de la dîme dans la seconde moitié du XIVe siècle, et analyser ainsi sa répartition entre seigneurs laïques et institutions ecclésiastiques dans les doyennés de Gérone et de la Selva28. C’est dire combien il reste à faire, tant il semble clair que l’enquête de 1362 dessine parfaitement le rôle de la dîme dans la structuration de la hiérarchie féodale du diocèse de Gérone.
La dîme d’après le livre vert
12Le Livre Vert produit 402 déclarations qui décrivent la manière dont la dîme était partagée dans les 419 paroisses du diocèse de Gérone, paroisses réparties entre les archidiaconés ou doyennés de Gérone (100 paroisses), Empúries (101), la Selva (67) et Besalú (151) (carte 1)29. La paroisse était la base territoriale sur laquelle on levait la dîme. Mais d’autres unités mineures – voisinages, mas, parcelles – pouvaient être prises en compte dans des secteurs où la dîme était levée sur une autre base. Dans 35 déclarations, la paroisse était tout simplement ignorée parce que l’on prenait en compte des voisinages – vicinatus, territorium, locus – ou des manses. Enfin, dans 17 autres déclarations, la dîme était levée sur 2, 3 et même 4 paroisses à la fois.
Carte 1. Le diocèse de Gérone au XIVe siècle

13Les déclarations suivaient un schéma général, adapté en fonction des circonstances : sur la marge de gauche, un titre indiquait le nom des paroisses. Les 514 informateurs, dont 66,7 % étaient des prêtres paroissiaux, énuméraient ensuite les dîmes mineures, celles qui pesaient uniquement sur une petite partie de la paroisse – des terres, des mas, des voisinages – ou qui grevaient les produits secondaires – chanvre et lin, légumes, produits de l’élevage et de la mer. Venait ensuite la phrase clef (« De tota vero alia decima […] ») qui introduisait la description de la dîme majeure, son produit annuel (en livres), et l’inventaire des parts possédées par des laïcs. Étaient énumérés, enfin, tous les produits sujets à la ponction décimale, parce que ce n’étaient jamais les mêmes selon les paroisses (mis à part, évidemment, les céréales et le vin) qu’il s’agisse du lin, du chanvre, des légumes ou du produit des jardins, et moins encore lorsqu’il était question des olives et autres produits plus rares30.
14Le Livre Vert ne précise que rarement le taux de la dîme. Mais le fait que toutes les précisions apparaissent dans des cas d’exception semble confirmer que la dîme était normalement perçue à la decima mensura31. En revanche, on connaît pour 280 paroisses (66,8 % du total) la valeur annuelle des portions des dîmes majeures qui étaient en mains laïques. Or, comme par ailleurs ces portions sont toujours exprimées en fractions, il est possible de calculer la valeur totale de la dîme majeure pour plus de deux tiers des paroisses du diocèse32. En cartographiant ces données (carte 2), on se rend compte ainsi que les dîmes les plus productives se trouvaient au centre de la plaine de la Selva (où les paroisses étaient plus étendues, et où la céréaliculture l’emportait sur le reste des productions), dans les vallées de Camprodon (où l’élevage transhumant avait un très fort poids économique), et dans les principales agglomérations (Besalú, Banyoles, Peralada). Il est possible ainsi d’évaluer la valeur globale des grosses dîmes de ces 280 paroisses à 14 174 livres annuelles. Par extrapolation, cela conduirait, pour les paroisses du diocèse de Gérone, à un total de de 21 360 livres annuelles levées pour la dîme (tableau 2). Certes, il faudrait y ajouter la valeur des dîmes mineures, mais nous ne disposons pas à leur propos d’évaluations monétaires suffisantes, non plus que d’indications sur leur valeur par rapport au produit des dîmes majeures33.
Carte 2. La valeur des dîmes majeures des paroisses du diocèse de Gérone, 1362

Tableau 2. La valeur des dîmes majeures du diocèse de Gérone, 1362

Tableau 3. Nombre des décimateurs majeurs et mineurs par doyennés, 1362

15Près de la moitié (47,5 %) des dîmes mineures étaient levées par des prêtres paroissiaux, alors que ceux-ci ne percevaient que 19,5 % des grosses dîmes, d’une valeur bien supérieure, de toute évidence34 (tableau 3). Au contraire, le groupe des chevaliers, des citoyens et autres laïcs, ne recevait qu’un quart des dîmes mineures, mais obtenait 45,3 % des dîmes majeures. Enfin, les clercs et les institutions ecclésiastiques extraparoissiales (le siège de Gérone et quelques monastères, principalement) recevaient entre 25 et 30 % des dîmes mineures et majeures, tandis que les grands nobles et les seigneurs de châteaux n’en percevaient qu’entre 2 et 6 %35.
L’évêque de Gérone, seigneur des dîmes du diocèse
16Le Livre Vert, rédigé à la demande des évêques de Gérone, permet de constater que ceux-ci percevaient finalement très peu de dîmes : toutes celles de la paroisse de Matajudaica, la moitié des dîmes majeures de la Bisbal et Bàscara, guère moins à Vila-romà et Vall-llobrega, un sixième de la dîme de Paret Rufí, et des dîmes mineures à Fontajau, la Pera, Corçà et Sant Sadurní36. Quel était donc, pour les évêques géronais, l’intérêt de cette longue enquête sur les dîmes du diocèse ? Nous l’avons déjà suggéré : il s’agissait vraisemblablement de contrôler et de taxer les transactions sur les dîmes en mains laïques. Pourtant, notre manuscrit ne fait aucune référence directe à cette pratique37, alors même que l’on sait l’existence de cette taxe de mutation, et sa valeur rien moins que négligeable.
17En revanche, le Livre Vert enregistre tous ceux qui avaient droit de percevoir des lods et ventes lors des changements de titulaires des dîmes inféodées, ce qui permet de vérifier l’importance de cet enjeu, et de décrire un dense réseau de dépendances vassaliques reposant sur la possession des dîmes (figure 2). On découvre ainsi, tout d’abord, que presque toutes les dîmes cédées en fief (88 à 95 % selon les doyennés) étaient possédées par des chevaliers ou d’autres laïcs. On peut noter ensuite, surtout dans les terres de Gérone, Empúries et Besalú, qu’une proportion importante des dîmes des chevaliers et autres laïcs (41 à 50 %) étaient des fiefs tenus de seigneurs châtelains, nobles, vicomtes et comtes. Et il faut souligner, enfin, que l’évêque de Gérone occupait le sommet de la pyramide féodale des dîmes laïques et du réseau de fidélités et hommages : selon les doyennés, 29 à 41 % des dîmes inféodées étaient sous la dépendance directe de l’évêque, alors que 48 à 60 % d’entre elles relevaient d’un seigneur intermédiaire qui, lui-même, les tenait en fief du prélat géronais. En somme, les évêques de Gérone contrôlaient 86,5 % des dîmes inféodées dans le doyenné de Gérone, 84,5 % de celles d’Empúries, 97,2 % de celles de la Selva et 89,9 % de celles de Besalú. Ces liens plaçaient ainsi l’évêque au sommet des chaînes de pouvoir : en tant que chef de l’Église, il avait autorité sur tous les ecclésiastiques réguliers et séculiers, et en tant que seigneur majeur des dîmes laïques, il pouvait en outre imposer sa seigneurie sur la plupart des nobles et des chevaliers du diocèse38.
Figure 2. La pyramide féodale des dîmes du diocèse de Gérone, 1362

18Reste à préciser un point. La valeur des taxes de mutation pesant sur les transferts de dîmes était si importante que les évêques redoutaient d’en perdre le bénéfice. Ils craignaient, notamment, que ces dîmes échouassent en mains ecclésiastiques, leur interdisant ainsi la perception de lods et ventes. Ils imposèrent donc des cens fixes (en argent) aux prêtres qui bénéficiaient de donations laïques, afin de compenser la perte des lods et ventes qui ne seraient plus perçus sur les aliénations de dîmes. Le Livre Vert n’en donne qu’un seul exemple. Blanca de Maura levait un tiers de la dîme majeure de la paroisse de Foixà, estimée à 15 livres annuelles. Mais le manuscrit précise que, du temps de sa rédaction, cette portion de dîme fut achetée par le prieur de la chapelle de Foixà, lequel « facit de censu in recompensacione foriscapiorum domino episcopo quolibet anno in festo Natalis Domini · LV· solidos ». Pourtant, la pratique de conversion des lods et ventes en cens fixes est attestée depuis le XIIIe siècle39, et elle était encore valable en 1362, puisque l’on peut compter 53 cens annuels versés par des prêtres en raison des dîmes qui leur avait été données par des laïcs et 11 exemples de redevances monétaires versées à l’évêque in novitate clerici. Cette dernière taxe, d’une valeur plus élevée que celle des cens annuels, était une sorte d’abonnement des lods et ventes estimé entre 10 et 25 % de la valeur annuelle de la dîme. On trouve une preuve de l’importance de ces cens dans le fait qu’en 1366, l’évêque Ènnec de Vallterra ordonna la rédaction d’un volume (conservé aujourd’hui encore par les Archives épiscopales de Gérone) enregistrant les reconnaissances effectuées par les ecclésiastiques qui payaient des cens aux évêques en compensation des lods et ventes40.
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19Les évêques géronais avaient anticipé avec beaucoup d’à-propos. À partir des années 1380, les sources révèlent de nombreux achats de dîmes laïques par des institutions ecclésiastiques de la ville de Gérone, des monastères, des prêtres, des fondations pieuses, qui profitèrent ainsi des difficultés économiques de la petite noblesse rurale41. Ces difficultés avaient débuté avant 1362 ; et ce sont elles, très probablement, qui conduisirent les évêques de Gérone à commanditer les enquêtes de Guillem Bernat de Perles et la rédaction du Livre Vert des Fiefs. En l’occurrence, le but des évêques était celui de tous les seigneurs qui ordonnaient la rédaction d’un capbreu – ou terrier42 –. Il s’agissait d’enregistrer les transactions portant sur des dîmes afin de percevoir les lods et ventes afférents lesquels n’avaient pas été versés, bien souvent, en raison des catastrophes démographiques postérieures à 134843. Les fortes mortalités de cette période entraînèrent en effet un surcroît de ventes et d’héritages, qui concerna également les dîmes laïques44. Après 1348, en outre, la production agraire diminua et, avec elle, la valeur des dîmes chuta jusqu’à être réduite de moitié parfois45. Cela pourrait suggérer de donner un autre sens à l’enquête dirigée par Guillem Bernat de Perles. En butte au refus de versement des lods et ventes, les évêques de Gérone décidèrent peut-être de réviser les valeurs annuelles des revenus des décimateurs géronais, afin d’imposer des prélèvements plus proches de leurs possibilités économiques ; ils en profitèrent sans doute pour exiger les taxes non versées sous peine de saisie de la dîme correspondante46.
20L’énorme tâche entreprise par Guillem Bernat de Perles et ce qu’elle révèle sur le partage des dîmes dans plus de 400 paroisses (1 600 portions de dîmes majeures et mineures, et plus de 14 000 livres perçues pour seulement 60 % des paroisses du diocèse) sont autant d’éléments qui permettent de découvrir le grand dynamisme du marché des dîmes laïques dans le diocèse de Gérone. Le Livre Vert donne une idée de ce marché, parce qu’il dévoile l’intérêt des évêques pour les taxes de mutation des dîmes. Pour aller plus loin, il conviendrait d’étudier les fonds documentaires de plusieurs institutions ecclésiastiques ayant bénéficié de donations de dîmes laïques. Ces fonds conservent toutes les transactions préalables réalisées par les laïcs au cours des XIIIe et XIVe siècles47. Or, si l’on pouvait remonter à l’origine de toutes les dîmes en mains ecclésiastiques, on découvrirait très probablement qu’au XIe siècle, la grande majorité des dîmes du diocèse de Gérone appartenaient aux seigneurs des châteaux. Le Livre Vert de 1362 permet néanmois de découvrir ce qui ressemble fort à des hiérarchies féodales organisées autour des dîmes, des dépendances fossilisées par les hommages entre chevaliers et seigneurs, des dépendances remontant à des temps bien antérieurs48.
21Le cas du diocèse de Gérone permet donc de confirmer que la dîme était, au XIVe siècle encore (et sans doute bien plus auparavant), le revenu par excellence des chevaliers, généralement tenu en fief de seigneurs châtelains. Encore faut-il noter ce fait étrange, remarquable et presque choquant : nos informations, en la matière, découlent essentiellement des efforts que déployèrent les évêques de Gérone (et des clercs de la cour épiscopale) pour imposer leur seigneurie éminente sur la dîme, afin d’en obtenir un profit économique indirect. Les évêques de Gérone s’employèrent à percevoir des taxes sur les transactions concernant les dîmes, alors même que ces dîmes auraient dû constituer une part importante des revenus des chevaliers. Et c’est ainsi, paradoxalement, qu’il est permis de découvrir ce que fut réellement, à l’âge féodal, l’usage des dîmes en Géronais.
Notes de bas de page
1 Cet article s’intègre dans un projet de recherche sur le Livre Vert des Fiefs de l’évêque de Gérone, mené grâce à la Bourse de Sciences Sociales octroyée en 2007 par le Patronat Francesc Eiximenis de la Diputació de Gérone. L’édition complète du manuscrit, avec étude préliminaire et index onomastiques est en voie de publication (Elvis Mallorquí, El Llibre Verd del bisbe de Girona (1362-1371). El delme i l’estructura feudal de la diòcesi de Girona al segle xiv, Gérone, sous presse).
2 Ramon Martí, Col·lecció diplomàtica de la Seu de Girona (817-1100), Barcelone, 1997, n. 17 (887) ; Xavier Puigvert, « La introducció del delme a la Marca d’Hispània », Acta Historica et Archaeologica Mediaevalia, n. 13, 1992, p. 121-123.
3 Ramon Ordeig, Les dotalies de les esglésies de Catalunya (segles ix-xii ), Vic, 1993-2002. Pour le diocèse de Gérone, on dénombre 18 actes de consécration et 3 notices fragmentaires pour le xe siècle, soit nettement moins que les 66 actes du diocèse d’Urgel ; voir Elvis Mallorquí, Parròquia i societat rural al bisbat de Girona, segles xiii i xiv, thèse doctorale, Gérone, 2007, p. 83-85 (en ligne : http://www.tdx.cat/TDX-0619107-123843).
4 Jaime Villanueva, Viage literario a las iglesias de España, Madrid, 1803-1852, vol. 13, n. 8 (904) ; R. Ordeig, Les dotalies…, n. 29.
5 Pierre Bonnassie, La Catalogne du milieu du xe à la fin du xie siècle. Croissance et mutations d’une société, Toulouse, 1975-1976, vol. 1, p. 314 ; Carolina Batet, « L’església i les esglésies en els inicis del domini comtal a la marca de Barcelona », dans I Congrés d’Història de l’Església Catalana des dels orígens fins ara, Solsona, 1993, vol. 1, p. 247-254 ; Jaume Oliver, « Senyors capturats ? El delme a la documentació de Pallars i Ribagorça anterior al s. xii », dans Philippe Sénac (éd.), Histoire et archéologie des terres catalanes au Moyen Âge, Perpignan, 1995, p. 152-155.
6 Elvis Mallorquí, « Parròquia i feudalització a la Catalunya Vella. Reflexions a partir del cas del comtat de Girona, segles ix-xi », dans Jean-Pierre Barraqué (dir.), Habitat et peuplement dans les Pyrénées au Moyen Âge et à l’époque moderne, Toulouse, sous presse.
7 Ramon Martí, « Territoris en transició als Pirineus medievals (segles v-x) », dans La vida medieval als dos vessants del Pirineu. Actes del 3r curs d’arqueologia d’Andorra 1991, Andorra, 1995, p. 71. La paroisse a été presque oubliée dans les discussions sur la féodalisation en Catalogne, puisque la plupart des historiens ont suivi les thèses de Pierre Bonnassie sur le rôle essentiel des châteaux dans la féodalisation catalane ; malgré cela, il avait écrit quelques pages sur les églises et paroisses ; voir P. Bonnassie, La Catalogne…, vol. 1, p. 177-178, p. 337-340 et p. 482-487, et vol. 2, p. 550-554 et p. 653-662.
8 Ramon Martí, « L’ensagrerament : l’adveniment de les sagreres feudals », Faventia, n. 10, 1988, p. 166-179 ; Ramon Martí, « L’alou a la documentació catalana d’època comtal : solució d’un problema historiogràfic genèric », dans La vida medieval als dos vessants del Pirineu, 1997, p. 41-45 ; Ramon Martí, « L’ensagrerament : utilitats d’un concepte », dans Víctor Farías, Ramon Martí, Aymat Catafau, Les sagreres a la Catalunya medieval, Gérone, 2006, p. 192-201.
9 J. Villanueva, Viage literario…, vol. 13, n. 26 (1068) ; Gener Gonzalvo, Les constitucions de Pau i Treva de Catalunya (segles xi-xiii ), Barcelone, 1994 : n. 7 (1078).
10 Du 31 décembre de 1078 au 30 janvier de 1079 l’évêque de Gérona consacra deux paroisses et trois églises secondaires ; cf. R. Ordeig, Les dotalies…, n. 235, 237, 238, 239 et 240.
11 Josep M. Salrach, « Disputes i compromisos entre l’Església de Girona i la noblesa : notes d’unes difícils relacions (segles xi i xii) », Anuario de Estudios Medievales, vol. 29, 1999, p. 941-955 ; Josep M. Marquès, Cartoral, dit de Carlemany, del bisbe de Girona (s. ix-xiv ), Barcelone, 1993 ; Josep M. Marquès, Escriptures de Santa Maria de Vilabertran (968-1300), Figueres, 1995.
12 Montserrat Jiménez, « Una part de la gestació del poder i el patrimoni. L’adquisició de capellanies a la seu de Girona durant l’època medieval », Annals de l’Institut d’Estudis Gironins, vol. 38, 1996-1997, p. 1557.
13 J.M. Marquès, Cartoral…, n. 287, 294, 296, 298, 360, 368 et 397. Encore, en 1272, le noble Gilabert de Cruïlles levait la dîme de Peratallada et devait y nommer les clercs puisqu’il paya la decima ecclesiastica en 1279 pro sacristia et capellania ; voir J.M. Marquès, Cartoral…, n. 493 ; José Rius, Rationes Decimarum Hispaniae (1279-1280), Barcelone, 1946, vol. 1, p. 96.
14 Sur le concile de Lleida de 1229, voir Josep M. Pons Guri, « Constitucions conciliars Tarraconenses (1229 a 1330) », dans Josep M. Pons Guri, Recull d’estudis d’història jurídica catalana, Barcelone, 1989, vol. 2, p. 223-251. Dans les conciles de Tarragone des années 1239, 1243, 1244, 1246 et 1330, on rappelait que les laïcs ne pouvaient pas gouverner des églises ; J.M. Pons Guri, « Constitucions… », p. 259, 273, 275, 280, 353.
15 Aymat Catafau, « Un inventaire des fiefs tenus pour l’évêque d’Elne (fin xiie siècle) », dans Hélène Débax (dir.), Les sociétés méridionales à l’âge féodal. Hommage à Pierre Bonnassie, Toulouse, 1999, p. 331-337 ; Aymat Catafau, « Les évêques d’Elne, leurs fiefs et leurs vassaux, xie-xive siècles », dans Marie Grau, Olivier Poisson (dir.), Elne. Ville et territoire. Hommage à Roger Grau, Elne, 2003, p. 148-149.
16 Pere Benito, « La submissió del comte Hug IV d’Empúries i de la noblesa emporitana a l’Església de Girona (1226-1229) : una repercussió de la croada albigesa liderada per Lluís VIII, rei de França, a Catalunya », dans Església, societat i poder a les terres de parla catalana, Valls, 2005, p. 139-154.
17 J.M. Marquès, Cartoral…, p. 18-20, 29 ; Josep M. Marquès, Pergamins de la Mitra (899-1687). Arxiu Diocesà de Girona, Girona, 1984, p. 7 ; Josep M. Marquès, El Cartoral de Rúbriques Vermelles de Pere de Rocaberti, bisbe de Girona (1318-1324), Barcelona, Fundació Noguera, 2009. Pour le reste de documents des Archives Diocésaines de Gérone (ADG), voir : http://www.arxiuadg.org.
18 adg, Lettres, vol. U-52, f. 126v (1369). Ces chiffres sont répétés, mot à mot, dans le xxve chapitre des Coutumes de Gérone ; voir Tomàs Mieres, Costums de Girona (Antoni Cobos, éd.), Gérone, 2001, p. 122-129. Sur l’importance des lods et ventes dans la gestion des seigneuries catalanes, voir : Lluís To, « Le marché de la terre et la seigneurie dans la Catalogne médiévale », dans Laurent Feller, Chris Wickham (éd.), Le marché de la terre au Moyen Âge, Paris, 2005, p. 479-542.
19 Tomàs Noguer, Josep M. Pons Guri, « Constitucions sinodals de Girona de la primera compilació », Anales del Instituto de Estudios Gerundenses, vol. 18, 1966-1967, p. 112, 121 ; Santiago Bueno, El derecho canónico catalán en la baja Edad Media : la diócesis de Gerona en los siglos xiii y xiv, Barcelone, 2000, p. 347-350.
20 adg, Visites Pastorales, vol. P-9 (1329) ; adg, Lettres, vol. U-2, f. 40r (1326) et vol. U-11, f. 29v (1347).
21 adg, Mitre, tiroir 5, vol. 3 (1362). À côté de ce nom, utilisé aux xviie et xviiie siècles, on connaissait ce manuscrit sous le titre de Llibre de dècimes de 1362.
22 adg, Mitre, tiroir 12, vol. 13 Capbreu de delmes amortitzats (1366-1369) i tiroir 5, vol. 5 Capbreu de delmes, f. 1r-20v (1369-1385).
23 « Ad memoriam huiusmodi in futurum de predictis habendam fecit et ordinavit librum istum per capitula et per parrochias et loca clare et distincte. »
24 L’usage du même papier filigrané, le classement des feuillets en cahiers réguliers, le dessin de la réglure, la numérotation des feuillets et l’élaboration parallèle de la Tabula parrochiarum prouvent que la rédaction du Livre Vert fut rapidement et parfaitement exécutée. Le contenu du manuscrit peut nous aider à mieux le dater : des 258 documents cités au long des pages, il y en a 15 de la période 1362-1371 avec la même écriture et encre que le reste du manuscrit, et 5 d’autres, datés de mars à septembre de 1372, de la même main que celle du volume, mais avec une autre encre.
25 Malgré tout, les travaux sont restés inachevés : on a pu dénombrer 22 déclarations incomplètes – signalées par l’annotation vide en marge du texte – et 129 déclarations avec des blancs réservés aux noms de certains laïcs qui recevaient des dîmes.
26 On peut prouver cela grâce aux textes des feuillets de garde et des feuillets détachés des pages du manuscrit.
27 Celestí Pujol, Pere Alsius, Nomenclátor geográfico-histórico de la provincia de Gerona desde la más remota antigüedad hasta el siglo xv, Gérone, 1883. Voir aussi certains travaux de Jaume Marquès, Joan Pagès et Joan Calzada.
28 Christian Guilleré, « Criteris medievals per a l’estudi comarcal : el cas de la Selva a través de les enquestes episcopals », Quaderns de la Selva, vol. 2, 1990, p. 85-101 ; Christian Guilleré, Girona al segle xiv, Barcelone, 1993-1994, vol. 1, p. 343-347 ; E. Mallorquí, Parròquia…, p. 671-748.
29 Les doyennés de Besalú et Empúries s’accordent, presque parfaitement, avec les comtés homonymes du Haut Moyen Âge, lorsque ceux de Gérone et la Selva, unis, se recoupent avec le comté de Gérone.
30 Quelquefois, on fait mention des baillis chargés de lever la dîme, des cens versés par les décimateurs et de certains aspects qui n’avaient pas été résolus pendant la rédaction du texte.
31 T. Mieres, Costums…, p. 152-153.
32 La valeur minimale de la dîme majeure d’une paroisse est de 3,75 livres (Sant Pere Sacosta), et le maximum s’élève à 600 livres (Peralada). La valeur des dîmes laïques devait être évaluée à peu près de la même manière que celle des bénéfices ecclésiastiques par les marguilliers paroissiaux dans les visites pastorales de la deuxième moitié du xive et du xve siècle ; voir C. Guilleré, « Les visites pastorales en Tarraconaise à la fin du Moyen Âge (xive-xve s.). L’exemple du diocèse de Gérone », Mélanges de la Casa de Velázquez, vol. 19, 1983, p. 144-145 ; Joaquim M. Puigvert, Lluís Monjas, Xavier Solà, Eugeni Perea, Les visites pastorals. Dels orígens medievals a l’època contemporània, Gérone, 2003, p. 67.
33 On ne connaît que la valeur annuelle de 90 des 816 portions des dîmes mineures, dont 80 étaient inférieures à 10 livres par an. Il existe, néanmoins, une grande exception : la dîme des poissons pêchés dans la mer et l’étang de Castelló d’Empúries apportait 100 livres annuelles aux comtes d’Empúries.
34 De toute façon, les clercs complétaient leurs revenus avec les dîmes des novalia et avec les prémices, qu’ils avaient presque exclusivement ; voir T. Mieres, Costums…, p. 152-153.
35 Des 14 274 livres des dîmes majeures, plus de la moitié (53,1 %) était perçue par des chevaliers, des citoyens et autres laïcs et les 10,1 % seulement allaient aux mains des clercs paroissiaux. Les ecclésiastiques extraparoissiaux recevaient 23,9 % de la valeur des dîmes majeures, et les seigneurs châtelains 12,8 %.
36 Par ailleurs, les évêques de Gérone possédaient, dans 12 paroisses seulement, des domaines sur des terres et des manses qu’ils avaient inféodées à des chevaliers et d’autres laïcs.
37 Cf. en marge de la déclaration de la paroisse de la Garriga, le texte suivant : nota de laudemiis quando sunt plures domini medii. Ceci renvoie au texte où l’on explique le cas de Francesc de Fortià qui possédait un tiers de la dîme majeure en fief pro monasterio de Vilanera et dictum monasterium pro domino episcopo et ecclesia Gerundensi, de telle façon que dictum monasterium est dominus medius tocius dicte decime et dominus episcopus dominus major. Quand la dîme changeait de titulaire, il fallait donc partager, par moitié, les lods et ventes entre le seigneur moyen (le monastère de Vilanera) et le seigneur majeur (l’évêque).
38 Christian Guilleré, « Ville et féodalité dans la Catalogne du bas Moyen Âge », dans Jaume Portella (éd.), La formació i expansió del feudalisme català. Estudi General, vol. 5-6, 1985-1986, p. 449. Pendant la guerre civile catalane de 1462-1472, l’évêque Joan Margarit essaya de profiter de la conjoncture pour exiger des seigneurs laïques qui avaient des dîmes en fief de l’église de Gérone une aide militaire, sous peine de privation des fiefs ; voir Santiago Sobrequés, « L’afer dels delmes de Girona durant la guerra civil catalana de 1462-1472 », dans Homenaje a Jaime Vicens Vives, Barcelona, 1965, vol. 1, p. 625-649. Les conclusions de cette guerre mirent un terme à son rêve de modifier tout le système des dîmes. D’après Sobrequés, la dîme était alors la clef de voûte de toute la structure des serments et fidélités féodo-vassaliques du diocèse de Gérone.
39 Dans le Cartulaire de Rubriques Rouges, on enregistra 22 copies des documents de la fin du xiiie siècle et, surtout, des années 1319-1323, dans lesquels des prêtres s’engageaint à verser des cens aux évêques pour les dîmes qu’ils avaient reçues des laïcs ; voir Josep M. Marquès, El Cartoral de Rúbriques Vermelles…, n. 61, 80, 81, 88, 97, 142, 150, 152, 156, 157, 159, 160, 161, 162, 164, 166, 167, 169, 178, 182, 183 et 184.
40 adg, Mitre, tiroir 12, vol. 13 Capbreu de delmes amortitzats (1366-1369), 39 f. Ce manuscrit fut cité dans le Livre Vert comme le libro feudorum antico domini Enneci, episcopi Gerundensis.
41 Ch. Guilleré, « Ville… », p. 465.
42 Ll. To, « Le marché… », p. 520-525.
43 Ce même but était partagé par le roi Alphonse IV d’Aragon, qui créa une commission pour ordonner les rentes des châtellenies (castlanies) royales et exiger le versement des lods et ventes pendants pour les dîmes qui avaient changé de titulaire ; voir Flocel Sabaté, « Les castlanies i la comissió reial de 1328 », dans Manuel Sánchez (comp.), Estudios sobre renta, fiscalidad y finanzas en la Cataluña bajomedieval, Barcelone, 1993, p. 206-217.
44 Pendant les années 1348-1362, quatre membres de la lignée chevaleresque des Roca-Salva ont possédé la même portion de la dîme de la paroisse des Encies, dans le doyenné de Gérone.
45 Grâce aux déclarations de 6 paroisses enregistrées dans le Livre Vert, on peut constater cette réduction de moitié de la valeur des dîmes entre la période d’avant 1348 – ante mortalitates, in bono tempore – et les années de rédaction du manuscrit – modo.
46 Il reste à savoir, pour le moment, comment les données du Livre Vert ont été employées dès 1370, ce qui permettrait de vérifier si l’enquête de 1362 avait été conçue pour faciliter le calcul du montant des lods et ventes.
47 On a conservé, par exemple, 17 actes – ventes, donations, définitions et fermages – sur les dîmes de Riudellots de la Selva pour la période 1236-1292, et 10 autres actes sur ceux des paroisses voisines de Vila-romà et Vall-llobrega, pour la période 1208-1319.
48 Ce qui se passait dans le diocèse de Gérone n’est pas si éloigné de la situation de la dîme au sud de la Catalogne, où la dîme était un prélèvement associé aux châteaux féodaux et inféodé aux castlans qui gardaient les forteresses ; voir C. Batet, « L’església… », p. 247-254 ; F. Sabaté, « Les castlanies… », p. 191-194.
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