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Les élites rurales

 | 
François Menant
, 
Jean-Pierre Jessenne

Les élites rurales russes à l’époque moderne (xvie-xviie siècles)

André Berelowitch

Texte intégral

1Trop attentifs au face-à-face du seigneur et du paysan pour s’occuper des intermédiaires, les historiens russes n’ont guère consacré de travaux aux élites rurales. Cette lacune s’explique en partie par l’absence de sources massives, facilement exploitables. La société moscovite est une société essentiellement hiérarchique, pour laquelle ni les groupes sociaux non privilégiés, ni les mécanismes d’acquisition de la richesse ne présentent d’intérêt en eux-mêmes. C’est donc dans les recoins de la documentation fiscale ou des archives monastiques qu’apparaissent nos personnages. Mais le principal obstacle à une telle étude a longtemps été d’ordre idéologique. L’historiographie soviétique combinait en effet, d’une façon qui n’est paradoxale qu’en apparence, un attachement hautement proclamé aux dogmes marxistes-léninistes avec une soumission de fait aux critères sociaux de la monarchie du XVIIe siècle. Elle faisait grand cas des paysans enrichis qui se livraient au commerce à longue distance, parce qu’elle croyait voir en eux les témoins d’un « capitalisme » précoce dont l’existence est plus que douteuse, mais ne songeait pas à établir de rapport entre les représentants des communautés rurales, les intendants de village, les artisans ruraux, les officiers de justice subalternes, les serviteurs, parfois esclaves, des gentilshommes terriens – catégories juridiquement hétérogènes, mais que différents indices, comme j’essaierai de le montrer, autorisent à ranger dans un même groupe social. Le présent article ne représente donc qu’un début dans l’analyse de ces élites secondes : je me bornerai à en esquisser la typologie et à évoquer brièvement les voies d’ascension qui s’offraient à elles.

Sources

  • 1 A. V. Maštafarov, « Javočnye čelobitnye 1568-1612 godov iz arxiva Suzdal’skogo Pokrovskogo devič’e (...)

2Un ensemble documentaire exceptionnel, récemment publié, nous livre un tableau, forcément partiel mais très vivant, de la société rurale à la fin du XVIe siècle. Il s’agit des plaintes déposées entre 1568 et 1612 auprès de l’abbesse du couvent de l’Intercession de la Vierge (Pokrovskij) de Suzdal’, en Russie du Nord-Est. Comme le monastère servait de lieu de détention pour les impératrices répudiées et autres membres féminins indésirables de la dynastie, il jouissait des plus hautes protections et son abbesse faisait figure de garant local du bon ordre : les suppliques qu’elle reçoit ne lui demandent généralement pas d’intervenir elle-même, mais d’enregistrer à toutes fins utiles les faits qu’elles dénoncent1.

  • 2 Ibidem, no 21, p. 295 ; 22 mars 1584, ancien style.

3Le vol avec effraction, le brigandage à main armée et le meurtre qui souvent l’accompagne sont les délits les plus courants, mais on signale également des rixes après boire, parfois mortelles, elles aussi, des détournements de serfs ou d’esclaves, des refus d’obéissance aux autorités locales et des abus divers commis par ces mêmes autorités. Dans un cas au moins, c’est le seigneur du village qui prend la tête des ruraux venus malmener les magistrats urbains2. Après avoir énoncé les faits, les plaignants dressent l’inventaire de leurs pertes. Comme dans la plupart des déclarations de sinistre, les objets sont probablement surévalués ; mais il fallait bien rester dans les limites du vraisemblable, et si l’on admet une amplification à peu près uniforme, la comparaison reste praticable entre les différentes catégories.

4Ainsi se constitue, au fil des pages, un échantillonnage presque exhaustif des types sociaux de la campagne russe, dont nous pouvons reconstituer, dans les cas les plus favorables, le statut juridique, le costume, le comportement, le langage et certains aspects au moins de leurs activités. Différentes sources ponctuelles permettront soit d’élargir cette typologie, soit d’en approfondir certains aspects.

Élites paysannes

  • 3 Ibidem, no 3, p. 277-280.
  • 4 Tsar’est une déformation de « césar » et signifiait « empereur » dans la pratique de chancellerie. (...)
  • 5 Dmitrij I. Petrikeev, Krupnoe krepostnoe xozjajstvo xvii v., Leningrad, 1967, p. 171.

5Tout en bas de l’échelle, mais distingués cependant de la tourbe rurale, apparaissent les artisans du village. C’est ainsi qu’en 1578-1579 Secundus Vasil’ev, intendant du couvent de l’Intercession de la Vierge, porte plainte contre l’intendant et les paysans d’un village de la couronne, en son nom propre et au nom de ses administrés. Il cite en tête de liste parmi les victimes les « villageois non laboureurs », meunier, tailleur, cordonnier, chaudronnier, le sacristain, la confectionneuse d’hosties3. Ailleurs, il sera fait mention de palefreniers, de potiers, de corroyeurs, de vachères. Au milieu du xviie siècle, dans la Moyenne Volga, Boris Morozov, grand seigneur et favori du tsar4 Alexis, emploie des ouvriers spécialisés dans la fabrication de la potasse. Ils n’appartiennent pas au village et gagnent, nourris et logés, un salaire annuel de trois à cinq roubles, somme non négligeable : bien des gentilshommes campagnards perçoivent des gages équivalents5. Cette élite embryonnaire est encore trop modeste pour que nos documents en fassent une description détaillée.

  • 6 Maštafarov, « Javočnye čelobitnye 1568-1612… », no 37, p. 306 ; 23 mars 1587.
  • 7 Ibidem, no 19, p. 292-293 ; 6 mars 1584. L’hebdomadier était un sergent, chargé de faire comparaît (...)

6Voici cependant Lazare Lifanov, paysan du prince Basile Fedorovič Šujskij. On l’a assailli dans sa maison, et dérobé, à lui, à sa mère, à sa femme et à son serviteur, vingt-quatre roubles en espèces, sans compter les effets, bonnets de velours, colliers et boucles d’oreilles en argent rehaussés de gemmes, pelisses, capes doublées de drap anglais, camisoles de femme et chemises d’homme, vaisselle et toiles, pour une valeur de trente-trois roubles – et l’inventaire est incomplet6. L’hebdomadier de l’évêque de Suzdal’, Étienne Eremeev, se plaint qu’on ait fait évader deux de ses prisonniers, coupables d’avoir volé plus de soixante-huit roubles à une paysanne du prélat7.

  • 8 Maštafarov, « Javočnye čelobitnye 1568-1612… », no 14, p. 288. Le monastère Saint-Sauveur-Saint-Eu (...)
  • 9 N.V. Gorbušina et alii (éd.), Krest’janskie čelobitnye iz sobranija Gosudarstvennogo Istorič eskog (...)

7D’où proviennent ces sommes considérables ? Nos documents n’en disent rien, mais un acte de brigandage d’août 1583 permet de saisir l’étape intermédiaire entre l’artisan de village et le marchand rural. Désiré, fils de Théodore, est corroyeur dans un hameau appartenant au monastère Saint-Sauveur-Saint-Euthyme. Le trésorier du couvent lui a confié la somme de trente roubles pour acheter « dans les villages, les cantons, les foires, du miel, du drap, des toiles, des peaux et des toisons pour les besoins du monastère ». Des habitants de Suzdal’ l’attaquent à l’entrée de la ville, devant l’octroi, et lui prennent les trente roubles conventuels, quatre roubles qui lui appartiennent en propre, son hongre roux et une selle de veau8. On peut supposer que ces tournées de ramassage permettaient à Désiré de commercer pour son propre compte et d’accumuler ainsi un petit capital. L’usure au village peut conduire, elle aussi, à des résultats équivalents : ainsi ce paysan du Nord qui s’adresse au tsar Alexis pour obtenir le remboursement de ses créances. La communauté lui doit trois roubles 30 kopecks, et divers particuliers dix-sept roubles9.

Servage et commerce

  • 10 Publiées presque intégralement : Akty xozjajstva bojarina B. I. Morozova, Moscou-Leningrad, 1940-1 (...)
  • 11 Au terme d’une longue évolution, le servage a été institutionnalisé par l’Établissement [code légi (...)
  • 12 Akty xozjajstva bojarina…, no 75-76, vol. I, p. 140. En 1659, c’est son fils Ivan qui emprunte à M (...)
  • 13 V. G. Gejman, « Bojarin B. I. Morozov i krupnejčie ego votč innye sela Muraškino i Lyskovo », dans(...)

8Il ne s’agit encore que de gagne-petit. Les archives domaniales de Boris Morozov10, déjà cité, révèlent des paysans-marchands d’une tout autre envergure. Un cadastre seigneurial de 1624-1626 nous montre un serf11 de Muraškino, Eutrope fils de Léonce, qualifié, lui aussi, de « paysan non-laboureur ». Il s’occupe de meunerie, possède une boutique et deux entrepôts et le montant de ses redevances en argent indique des revenus importants. Un quart de siècle plus tard, il sollicite de son seigneur un prêt de mille roubles, qui lui est accordé12. C’est qu’entre-temps Eutrope s’est lancé dans le commerce du sel, qu’il fait venir d’Astrakhan pour le vendre à Nižnij Novgorod, et dans le transport fluvial : il achemine, en 1650, plus de 300 tonnes de grain à Moscou. Après lui, ses fils élargissent leurs activités au commerce du poisson et du caviar13.

  • 14 Petrikeev, Krupnoe krepostnoe…, p. 165.
  • 15 Ibidem, p. 168 ; Gejman, « Bojarin B. I. Morozov… », p. 36-37 (texte du testament).
  • 16 Petrikeev, Krupnoe krepostnoe…, p. 167.

9Leur cas n’est pas isolé. Trois paysans-marchands ont formé une compagnie pour envoyer d’Astrakhan un navire de sel vers l’amont. Le bateau étant pris dans les glaces, ils envoient leur commis honorer les dettes qu’ils ont contractées à Lyskovo : des bandits lui dérobent 765 roubles14. Un autre serf de Morozov, Zénobius fils d’Ambroise, rédige son testament en décembre 1669. Nous apprenons qu’il fait le commerce des céréales et qu’il les expédie jusqu’à Solikamsk dans l’Oural, où il entretient un commis. Ses dettes actives se montent à près de 200 roubles, ses legs et dons à l’Église (pour le repos de son âme) atteignent 230 roubles. Plus remarquable encore, il affranchit Anne, son esclave achetée, en lui léguant un pécule de cinq roubles15. De même, les fils d’Eutrope déclarent, en 1665, cinq esclaves domestiques, deux prisonniers polonais et un Tatar, ces derniers achetés16.

10Le servage de ces négociants aisés, qui ne les empêche ni de mener leurs affaires, ni de voyager d’un bout à l’autre du pays, ni de posséder eux-mêmes des dépendants, a de quoi surprendre. En réalité, il est avantageux pour les deux parties. Le seigneur y gagne, sous forme de redevances, des sommes considérables qui, contrairement aux bénéfices agricoles, ne nécessitent aucun investissement et ne sont pas soumises aux aléas climatiques. Le serf, protégé par l’immunité fiscale de son seigneur, évite ainsi les lourdes taxes et les corvées inséparables du statut de citadin.

  • 17 Les secrétariats [prikaz], au nombre de plus de soixante, étaient les départements ministériels de (...)
  • 18 N. P. Voskobojnikova, « Rod krest’jan Ščepotkinyx », Vspomogatel’nye istorič

11Sans doute entre-t-il également dans l’attitude du paysan-marchand un attachement au village natal qui apparaît bien dans le cas des Sčepotkin, paysans libres du Nord dont les archives familiales ont subsisté. Les membres du clan, que nous connaissons sur quatre générations, exercent les métiers les plus divers, depuis le négociant en fourrures, qui fait fortune en Sibérie, prête de l’argent au Trésor et finit par diriger le Secrétariat de l’Imprimerie17, jusqu’aux ouvriers qui ont bâti Saint-Pétersbourg, en passant par des exploitants de salines et des trappeurs sibériens. Pourtant, même réduits à la mendicité, ils font l’impossible pour racheter les terres et la maison familiales18. Ce dernier trait, plus peut-être que la seule résidence, autorise à faire figurer ces négociants parmi les élites rurales.

Les hommes du seigneur

  • 19 Jusqu’en 1631, ils servent non pas le souverain, mais les membres de sa famille qui ont conservé l (...)
  • 20 « Staryj gosudarev dvor v Moskve », Starina i novizna, xvii, 1914, p. 57-61.
  • 21 Entre 1485 et 1600 au moins, le fait même d’accepter une charge d’intendant entraînait l’esclavage (...)

12Tous les personnages décrits jusqu’à présent sont issus de la paysannerie et doivent leur succès à leur maîtrise des mécanismes économiques. Les représentants à la campagne de l’autorité seigneuriale appartiennent à un type social différent. Un document de 1631, qui énumère une trentaine de serviteurs des Romanov, donne une idée de ce qu’étaient, au début du xviie siècle, les « gens de l’hôtel » d’une grande famille aristocratique19. Treize d’entre eux, recrutés pour la plupart après la mort de leurs maîtres, ont servi précédemment d’autres membres de la noblesse ; un autre faisait partie de la maison de l’archevêque de Rjazan’. Trois ont servi le souverain à des titres divers : hebdomadier au Secrétariat des Esclaves, officier de bouche du tsar, gentilhomme de province à Jaroslavl’. Douze ont déjà fait office d’intendants sur les domaines de la famille, un certain nombre sont employés aux écuries20. Certains d’entre eux sont probablement esclaves, ou l’ont été21. Ces hommes, qui presque tous passent une partie de leur existence à la campagne, appartiennent de ce fait, partiellement tout au moins, aux élites rurales.

  • 22 Cf. Aleksej A. Novosel’skij, Votčinnik i ego xozjajstvo v xvii veke, Moscou-Leningrad, 1929, réimp (...)

13L’impression qui se dégage de ce document est que les clans nobiliaires recrutent leurs serviteurs privilégiés au sein d’un milieu social assez étroit. Inversement, les ministériaux semblent prêts à changer de maître et d’emploi, pourvu que leur statut demeure inchangé. C’est ainsi que les esclaves affranchis par testament (ce qui était la procédure usuelle) se hâtaient en général de trouver un nouveau maître22.

  • 23 Cf. André Berelowitch, La hiérarchie des égaux, Paris, 2001, p. 177-181.
  • 24 Richard Hellie, Slavery in Russia 1450-1725, Chicago et Londres, 1982, p. 467-474.

14Leurs fonctions pouvaient être très diverses. Tout possesseur de terre, que celle-ci fût patrimoniale ou concédée en fief à titre précaire, était tenu de fournir au tsar des combattants armés et montés, à proportion des superficies dont il avait la jouissance, quelquefois jusqu’à plusieurs dizaines de cavaliers23. Les esclaves, dont beaucoup connaissaient le métier des armes, composaient pour l’essentiel ces contingents d’appoint, dont l’effectif total se montait peut-être à 25 000 hommes24. En temps de paix, ils pouvaient être utilisés comme hommes de main.

  • 25 Cf. Horace W. Dewey, Muscovite judicial texts 1488-1556, Ann Arbor, 1966.

15Lorsqu’un noble était nommé à des fonctions d’administration locale, ses gens, esclaves ou libres d’ailleurs, étaient tout désignés pour remplir auprès de lui les fonctions de sergents. C’étaient les représentants de l’autorité le plus directement en contact avec la population rurale. Leurs interventions étaient tarifées et la loi limitait strictement leurs incursions dans les campagnes25, ce qui ne les empêchait pas de vivre sur l’habitant.

  • 26 Novosel’skij, Votčinnik i ego xozjajstvo…, p. 55, 58-59.

16Les serviteurs dont la mission était d’avancer les affaires du seigneur dans le labyrinthe des bureaux de la capitale ne nous concernent pas ici, puisque leur expertise consistait précisément dans une connaissance approfondie du who’s who de la bureaucratie moscovite. Certains d’entre eux étaient apparentés aux gens des bureaux et vendaient leurs services aux amis de leur maître, avec ou sans la permission de celui-ci26.

Les intendants

  • 27 Petrikeev, Krupnoe krepostnoe…, p. 73-74.

17Une des principales fonctions de ces ministériaux était de représenter leur seigneur, dont ils étaient l’œil et le bras, dans ses domaines ruraux. Morozov était si riche que ses intendants étaient organisés hiérarchiquement, avec des responsables régionaux, des inspections périodiques et un bureau central à Moscou. Les grands monastères employaient des « serviteurs » laïcs, dont le statut était comparable. Les uns et les autres se voyaient octroyer des domaines à titre précaire, les paysans qu’ils administraient leur fournissant une main-d’œuvre gratuite27 ; les uns et les autres vivaient dans une relative aisance.

  • 28 Maštafarov, « Javočnye čelobitnye 1568-1612… », no 20, p. 294 ; 18 mars 1584.
  • 29 Secundus dit en avoir compté 300 et en désigne nommément soixante.

18On peut en juger par l’inventaire (non exhaustif) de ses biens que dresse Secundus Vasil’ev, serviteur du couvent de l’Intercession28. Basile Zalomov, fils d’Éleuthère, intendant de Dunilovo, village de la couronne, accompagné de « ses gens » (esclaves ?) et d’un nombre incroyable de paysans, ses administrés29, lui a dérobé cent roubles appartenant à l’Intercession (c’est l’argent du beurre) et pour 102 roubles d’effets personnels, bijoux, vêtements de prix, trois selles turques, un alambic, etc.

  • 30 Un noble de rang moyen, titulaire du grade de « gentilhomme de Moscou » dans le Rôle de la cour de (...)
  • 31 Trente-quatre ans plus tard et à 2500 km de là, Sonnet de Courval, ou peut-être Angot de l’Esperon (...)
  • 32 Maštafarov, « Javočnye čelobitnye 1568-1612… », no 41, p. 309.

19Une plainte de mars 1588 évoque des images plus concrètes. Elle nous montre les « gens » de Diomède Ivanovič Čeremisinov30 chevauchant dans la neige, porteurs d’une cassette scellée que l’abbé du monastère Saint-Sauveur-Saint-Euthyme expédie à leur maître. Les quatre cavaliers sont attaqués en chemin. Leur chef Athanase, à moitié nu, se rend à la ville pour alerter les autorités. On lui a pris une cape de drap anglais bleu avec des aiguillettes pourpres et une casaque de cheval verte, ornée de dentelle de soie vermillon. Ses compagnons sont tout aussi hauts en couleur : capes de drap anglais blanc, bleu ciel, vert foncé, houppelandes de taffetas vert ou rouge, jaquettes d’hiver de drap anglais vermillon, bleu foncé ou vert, bonnet de renard sur drap rouge ou violet31. Les bandits leur ont également pris leurs armes (ils avaient tous sabre, poignard, arc et carquois), leurs chevaux et la mystérieuse cassette32.

  • 33 S’il ne les vêt pas à ses propres frais. Čeremisinov en a certainement les moyens : entre 1578-157 (...)

20La tenue des hommes de Čeremisinov prend tout son sens si on la compare à celle des paysans, leurs voisins : surtouts de bure blanche, grise ou brune et pelisses de mouton, inventaires limités à quelques roubles. L’homme du seigneur marque son appartenance à une élite par une consommation ostentatoire, où les textiles d’importation jouent un rôle de premier plan. Il y va également du prestige de son maître, qui veille probablement à ce que ses gens fassent bonne figure33. Ils doivent trancher sur le commun des villageois à la fois par leurs habits luxueux et par leur allure militaire.

Les élus des communautés

21Une troisième catégorie regroupe les responsables élus de la communauté villageoise. Au xviie siècle, elle est omniprésente dans les campagnes, aussi bien dans celles du Nord où la paysannerie s’administre elle-même (sous l’œil vigilant des bureaux de Moscou) que dans les seigneuries laïques et ecclésiastiques qui se partagent à peu de chose près le reste du pays.

  • 34 Voir note 23.
  • 35 Cf. Sergei Bogatyrev, « Localism and Integration in Muscovy », dans S. Bogatyrev (éd.), Russia tak (...)

22Partout, sous la contrainte de l’administration, les communes élisent, pour un an, des syndics, des jurés, chargés de la perception de l’impôt, de la gestion des cabarets (monopole d’État) et des octrois. Elles rémunèrent le scribe cantonal, entretiennent les bâtiments publics (maison commune, église, prison, siège de l’administration provinciale). Dans certaines régions, elles assurent la justice et la police34, sous la présidence d’un gentilhomme local, élu lui aussi, le lieutenant criminel35.

  • 36 D’une façon qui rappelle à bien des égards la France d’Ancien Régime, cf. Edmond Esmonin, La taill (...)
  • 37 Sur l’auto-administration du Nord, voir en dernier lieu : Elena N. Švejkovskaja, Gosudarstvo i kre (...)

23Dans le Nord, où l’administration communale coexiste et collabore avec les fonctionnaires impériaux, ce sont encore les élus qui procèdent à la répartition de l’impôt au niveau du district, puis du canton, enfin de la paroisse36. Les comptes, que les élus tiennent scrupuleusement, et qui nous sont parvenus en grand nombre, sont soumis au contrôle de commissaires aux comptes, dont les rapports ont été quelquefois conservés37.

  • 38 Voir à ce sujet les hypothèses intéressantes de Steven L. Hoch, Serfdom and Social Control in Russ (...)
  • 39 Zoja A. Timošenkova, « Obščina v votčine Iverskogo monastyrja vo 2-oj polovine xvii-načale xviii v (...)

24En pays de seigneurie, les serfs ne jouissent pas d’une liberté comparable, mais la commune est d’autant plus présente qu’elle constitue une courroie de transmission indispensable entre l’intendant et la masse paysanne38. Malheureusement, ses archives ont disparu, à une seule exception près : les serfs des monastères. Ceux du couvent d’Ibérie, réunis six ou sept fois par an en assemblée plénière, élisent leurs syndics. On distingue trois niveaux de responsabilité : syndics généraux, dont la compétence s’étend à tous les domaines du monastère, syndics locaux, dont le ressort coïncide avec celui de l’intendant nommé par le chapitre, et syndics spécialisés, représentant une catégorie de paysans qui s’estime lésée ou qui est préposée à une tâche particulière (syndic des fours à chaux, par exemple). Choisis parmi les paysans connus pour leurs qualités morales et suffisamment aisés, ces élus doivent obtenir, comme dans le Nord, le quitus des commissaires aux comptes. Ils ont assez de poids, d’autorité et de moyens pour envoyer, aux frais de la commune, leurs émissaires à Moscou solliciter le retour des terres monastiques aux domaines de la couronne39.

  • 40 Châtiment légal couramment employé pour le recouvrement des créances, la bastonnade a été décrite (...)
  • 41 Voir note 37.

25Ainsi se constitue une élite locale d’administrateurs qui, à leur sortie de mandat, rejoignent les rangs d’une sorte d’aréopage informel, au sein duquel sont choisis notamment les commissaires aux comptes et qui contrôle officieusement la bonne marche de l’institution. Les Ščepotkin, dont bon nombre de membres ont exercé, à un moment ou à un autre, des fonctions électives sont un exemple de ce type de notables. Entre ces responsables et le personnel administratif subalterne, les hommes du gouverneur local en particulier, les contacts sont quotidiens. Ils peuvent être conflictuels : les arriérés d’impôts, surtout lorsque Moscou insiste, signifient pour le syndic, qui n’en peut mais, la bastonnade quotidienne jusqu’au règlement de la dette40. Le plus souvent, elles sont pacifiques, voire amicales, entre ces gens qui pratiquent le même métier. Ils se réunissent pour banqueter en l’honneur du saint patron des uns ou des autres, ils marient leurs enfants, jetant ainsi des passerelles entre les deux groupes : qui s’assemble finit par se ressembler41.

Les voies de la réussite

  • 42 Maštafarov, « Javočnye čelobitnye 1568-1612… », no 33, p. 303.

26Revenons une dernière fois aux suppliques de Suzdal’. L’une d’elles, du 26 août 1586, mentionne au passage un certain Simonet Butrimov, alors intendant dans un village de la couronne42. Il se trouve que ce personnage a laissé suffisamment de traces pour qu’il soit possible de le situer socialement et de mesurer, du même coup, l’ampleur de sa réussite.

  • 43 Daniil N. Al’šic (éd.), Spisok oprič nikov Ivana Groznogo, Saint-Pétersbourg, 2003, p. 97, f. 29.
  • 44 rgada (Archives d’État des Actes anciens de Russie), fonds 1209, registre no 5970, f. 351-368v . J’ (...)

27En 1573, il est échanson à la « cour réservée » d’Ivan le Terrible43. Il fait donc partie de ces serviteurs du Palais dont la fortune est liée à la proximité du souverain. Peu avant sa mort, en juillet 1606, il dicte un testament dont la copie a été enregistrée par le Secrétariat des Fiefs44.

28Une partie des biens qu’il lègue à sa famille échappe à l’estimation : des esclaves (sept adultes et des enfants) ; des icônes revêtues d’argent, manière de thésauriser, mais avant tout objet de dévotion que l’on se transmet de père à enfants ; le domaine dont il jouissait en précaire, et qu’il laisse à ses fils – ce qui est légal, car eux aussi servent le souverain ; les chevaux de guerre et de labour, gros et petit bétail, grain en terre et grain battu. L’hôtel de Moscou, où Simon vivait, la terre patrimoniale près de Vladimir sont simplement mentionnés, car ils appartiennent à ses fils. Enfin, Butrimov affranchit le reste de ses esclaves, sans préciser leur nombre.

  • 45 Dons anciens (480 r.), legs à l’Église (220 r.), à sa femme et à ses filles (150 r.), une douzaine (...)

29Il est possible, en revanche, de chiffrer les legs à sa femme et à ses deux filles mariées (cinquante roubles chacune) et surtout les dons qu’il fait à l’Église. C’est au total 220 roubles, tant en espèces qu’en céréales, qui seront distribués à une quinzaine de bénéficiaires, depuis le patriarche de Moscou jusqu’à d’obscures églises de village en passant par le monastère de la Tolga, à charge pour eux de célébrer des offices pour le repos de son âme. En y ajoutant les 480 roubles offerts précédemment, on arrive à l’énorme somme de 700 roubles que Butrimov aura consacrée à son salut éternel. Ses biens au moment du décès valent à peu près autant, ce qui signifie que ce simple intendant aura amassé au cours de sa vie 1 300 roubles au bas mot45. La fortune de Simon Butrimov n’est pas sans exemple, mais elle est sans commune mesure avec son statut.

30Ses enfants, ses neveux, ses parents servent comme nobles dans la cavalerie, ou comme secrétaires dans la bureaucratie impériale. Ses gendres, ses débiteurs, ses exécuteurs testamentaires appartiennent à ce même cercle des élites secondes : serviteurs laïcs de l’Église, domesticité du Palais, petite noblesse, grades subalternes de l’administration. C’est donc un milieu plutôt urbain dans l’ensemble, même s’il garde toujours un pied dans la campagne. Rien d’étonnant à cela : l’ascension sociale passe nécessairement par le service du tsar.

***

31Certes, il ne s’agit pas de nier l’existence de gradations entre les multiples groupes et sous-groupes qui composent les élites rurales de la Russie. Le prestige du gouverneur rejaillit sur ses gens, mais les serfs du monastère d’Ibérie ont aussi leur amour-propre : ils refusent d’être représentés par des non-paysans. Les hommes libres regardent les esclaves de haut, les paysans-marchands écrasent les intendants de leur richesse. Pourtant, les liens qui les unissent sont plus forts que la vanité de caste.

32C’est d’abord leur aisance matérielle qu’ils s’efforcent d’étaler au grand jour : des habits plus colorés et plus luxueux que le reste de la population rurale, des serviteurs esclaves, de l’argent en quantités surprenantes, de la terre enfin, synonyme de pouvoir et source de prestige dans une société avant tout agraire. Ce sont ensuite des compétences communes : presque tous maîtrisent l’écrit et sont en mesure de mener une comptabilité au moins élémentaire. Tous sont capables, dans des sphères et à des degrés divers, d’exercer des fonctions d’encadrement et de commandement. C’est enfin le rôle crucial qu’ils jouent dans une société archaïque certes si on la compare à celles d’Europe occidentale, mais étonnamment moderne par bien des aspects. Peut-être est-ce justement cette transition qu’elle vit entre le Moyen Âge et les Temps modernes, entre l’oral et l’écrit, qui rend indispensables les élites rurales.

Notes

1 A. V. Maštafarov, « Javočnye čelobitnye 1568-1612 godov iz arxiva Suzdal’skogo Pokrovskogo devič’ego monastyrja », Russkij diplomatarij, t. 9, 2003, p. 273-338. Tous les documents sont des originaux.

2 Ibidem, no 21, p. 295 ; 22 mars 1584, ancien style.

3 Ibidem, no 3, p. 277-280.

4 Tsar’est une déformation de « césar » et signifiait « empereur » dans la pratique de chancellerie. Il est donc légitime de parler d’« administration impériale » avant même l’adoption par Pierre le Grand du titre d’imperator.

5 Dmitrij I. Petrikeev, Krupnoe krepostnoe xozjajstvo xvii v., Leningrad, 1967, p. 171.

6 Maštafarov, « Javočnye čelobitnye 1568-1612… », no 37, p. 306 ; 23 mars 1587.

7 Ibidem, no 19, p. 292-293 ; 6 mars 1584. L’hebdomadier était un sergent, chargé de faire comparaître les parties et les témoins devant le tribunal et d’assurer la détention en cas de prise de corps. Les hebdomadiers exerçaient leurs fonctions à tour de rôle, en se relayant toutes les semaines, d’où leur nom (Scott Seregny, « The Nedel’shchik : Law and Order in Muscovite Russia », Canadian-American Slavic Studies, 9, 1975, p. 168-178). Ils pouvaient être nommés par les autorités ou élus par la communauté locale. Il arrivait également que leur office fût affermé (M.B. Bulgakov, Organizacija melkix otkupov v Rossii pervoj poloviny xvii stoletija, Tjumen’, 1997, p. 14-15).

8 Maštafarov, « Javočnye čelobitnye 1568-1612… », no 14, p. 288. Le monastère Saint-Sauveur-Saint-Euthyme est l’autre grand monastère de Suzdal’.

9 N.V. Gorbušina et alii (éd.), Krest’janskie čelobitnye iz sobranija Gosudarstvennogo Istorič eskogo muzeja, Moscou, 1994, no 285, p. 219-220 ; avant le 26 février 1661.

10 Publiées presque intégralement : Akty xozjajstva bojarina B. I. Morozova, Moscou-Leningrad, 1940-1945.

11 Au terme d’une longue évolution, le servage a été institutionnalisé par l’Établissement [code législatif] de 1649.

12 Akty xozjajstva bojarina…, no 75-76, vol. I, p. 140. En 1659, c’est son fils Ivan qui emprunte à Morozov la somme énorme de deux mille roubles (ibidem, no 371-372, vol. II, p. 80-81). À titre de comparaison, les gages annuels de Morozov lui-même avaient été fixés, en 1645, à 900 roubles (M.P. Lukič ev et alii (éd.), Bojarskaja kniga 1639 goda, Moscou, 1999, p. 20, f. 3), à 1200 roubles en 1646-1647 (V.A. Kadik (éd.), Bojarskaja kniga 1658 goda, Moscou, 2004, p. 120, f. 1). Et c’était alors le tout premier personnage de la cour impériale !

13 V. G. Gejman, « Bojarin B. I. Morozov i krupnejčie ego votč innye sela Muraškino i Lyskovo », dans Xozjajstvo krupnogo feodala-krepostnika xvii v., vol. II, Moscou-Leningrad, 1936, p. 34-36.

14 Petrikeev, Krupnoe krepostnoe…, p. 165.

15 Ibidem, p. 168 ; Gejman, « Bojarin B. I. Morozov… », p. 36-37 (texte du testament).

16 Petrikeev, Krupnoe krepostnoe…, p. 167.

17 Les secrétariats [prikaz], au nombre de plus de soixante, étaient les départements ministériels de l’ancienne Russie.

18 N. P. Voskobojnikova, « Rod krest’jan Ščepotkinyx », Vspomogatel’nye istorič

eskie discipliny, XV, p. 129-143.

19 Jusqu’en 1631, ils servent non pas le souverain, mais les membres de sa famille qui ont conservé l’ancien hôtel de la rue Varvarka, à Moscou.

20 « Staryj gosudarev dvor v Moskve », Starina i novizna, xvii, 1914, p. 57-61.

21 Entre 1485 et 1600 au moins, le fait même d’accepter une charge d’intendant entraînait l’esclavage (Viktor M. Panejax, Xolopstvo v xvi -načale xvii veka, Leningrad, 1975, p. 10-11).

22 Cf. Aleksej A. Novosel’skij, Votčinnik i ego xozjajstvo v xvii veke, Moscou-Leningrad, 1929, réimpr. 1968, p. 53-54.

23 Cf. André Berelowitch, La hiérarchie des égaux, Paris, 2001, p. 177-181.

24 Richard Hellie, Slavery in Russia 1450-1725, Chicago et Londres, 1982, p. 467-474.

25 Cf. Horace W. Dewey, Muscovite judicial texts 1488-1556, Ann Arbor, 1966.

26 Novosel’skij, Votčinnik i ego xozjajstvo…, p. 55, 58-59.

27 Petrikeev, Krupnoe krepostnoe…, p. 73-74.

28 Maštafarov, « Javočnye čelobitnye 1568-1612… », no 20, p. 294 ; 18 mars 1584.

29 Secundus dit en avoir compté 300 et en désigne nommément soixante.

30 Un noble de rang moyen, titulaire du grade de « gentilhomme de Moscou » dans le Rôle de la cour de 1588-1589 (Aleksandr L. Stanislavskij, Trudy po istorii gosudareva dvora v Rossii xvi - xvii vekov, Moscou, 2004, p. 218).

31 Trente-quatre ans plus tard et à 2500 km de là, Sonnet de Courval, ou peut-être Angot de l’Esperonnière, décrit les jeunes « éventés » à la mode : « En roquets, en manteaux, en casaque, en roupille, Jaunes, verts, orangers, incarnats, gris et blancs. » (Louise Godard de Donville, Signification de la mode sous Louis xiii , Aix-en-Provence, 1978, p. 127).

32 Maštafarov, « Javočnye čelobitnye 1568-1612… », no 41, p. 309.

33 S’il ne les vêt pas à ses propres frais. Čeremisinov en a certainement les moyens : entre 1578-1579 et 1588-1589, il effectue des achats répétés de terre dans la région, pour un montant total de 810 roubles. Cela sans compter le village qu’il achète 150 roubles en viager au monastère Saint-Sauveur-Saint-Euthyme, auquel il reviendra à sa mort pour la commémoration de son clan, ni les vingt roubles que lui doit l’archevêque de Suzdal’ (S.N. Kisterev, L.A. Timošina (éd.), Akty Suzdal’skogo Spaso-Evfim’eva monastyrja 1506-1608 gg., Moscou, 1998, no 188-189, 208, 215, 226, 237-239, 241).

34 Voir note 23.

35 Cf. Sergei Bogatyrev, « Localism and Integration in Muscovy », dans S. Bogatyrev (éd.), Russia takes Shape. Patterns of Integration from the Middle Ages to the Present, Saarijärvi, 2005, p. 59-127.

36 D’une façon qui rappelle à bien des égards la France d’Ancien Régime, cf. Edmond Esmonin, La taille en Normandie au temps de Colbert, 1661-1683, Paris, 1913, réimpr. Genève, 1978, chapitre III.

37 Sur l’auto-administration du Nord, voir en dernier lieu : Elena N. Švejkovskaja, Gosudarstvo i krest’jane Rossii. Pomor’e v xvii veke, Moscou, 1997, chapitres 4 et 5.

38 Voir à ce sujet les hypothèses intéressantes de Steven L. Hoch, Serfdom and Social Control in Russia. Petrovskoe, a Village in Tambov, Chicago et Londres, 1986, qui traite, il est vrai, du début du xixe siècle.

39 Zoja A. Timošenkova, « Obščina v votčine Iverskogo monastyrja vo 2-oj polovine xvii-načale xviii v. », Rossijskoe gosudarstvo v xiv - xviii vv. [mél. Ju. G. Alekseev], Saint-Pétersbourg, 2002, p. 533-540.

40 Châtiment légal couramment employé pour le recouvrement des créances, la bastonnade a été décrite par le capitaine Margeret, Estat de l’Empire de Russie et Grande Duché de Moscovie […], à Paris, chez Mathieu Guillemot, 1607, f. 37-v .

41 Voir note 37.

42 Maštafarov, « Javočnye čelobitnye 1568-1612… », no 33, p. 303.

43 Daniil N. Al’šic (éd.), Spisok oprič nikov Ivana Groznogo, Saint-Pétersbourg, 2003, p. 97, f. 29.

44 rgada (Archives d’État des Actes anciens de Russie), fonds 1209, registre no 5970, f. 351-368v . J’envisage de le publier prochainement.

45 Dons anciens (480 r.), legs à l’Église (220 r.), à sa femme et à ses filles (150 r.), une douzaine d’esclaves (200 r. au moins), le cheptel (100 r.), les icônes (100 r.), les vêtements (50 r.)

© Presses universitaires du Midi, 2007

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