Stratégies économiques et sociales des élites rurales dans l’Angleterre médiévale
p. 229-241
Texte intégral
1Les élites ont été traitées remarquablement au sein du débat sur la paysannerie médiévale anglaise ; cela est difficilement surprenant puisque ce sont essentiellement les élites qui occupent l’espace principal des mentions les plus importantes qui projettent de la lumière sur le paysan médiéval anglais. Il y a, dans l’historiographie anglophone, toute une série d’approches, incluant celles qui sont surtout marxistes, socio-structurales et démographiques, mais qui toutes, explicitement ou implicitement, nourrissent les débats sur les élites paysannes durant cette période1. Plus récemment, durant les deux dernières décennies, avec une montée en puissance des recherches sur le marché et le commerce dans les campagnes médiévales anglaises, des historiens ont cherché à focaliser leur attention sur le rôle des villageois dirigeants en tant que meneurs d’économies locales, régionales et même nationale. Dans ce travail relativement récent, c’est l’étude des membres de l’élite paysanne en tant qu’acheteurs et vendeurs, en tant que créanciers et accumulateurs, qui a conquis un degré de prééminence2.
2Il y a cependant plusieurs approches par lesquelles la nature de ces groupes d’élite au sein de la société rurale peut être appréhendée. Ici, bien sûr, nous parlons d’élites qui sont fondamentalement des élites paysannes et nous pouvons aborder leur étude à travers une série de paragraphes, ce qu’en fait nous tenterons plus loin dans cette contribution. Mais, avant de nous y essayer, nous devons aussi reconnaître que, pendant un intervalle de temps fort long, vers 1200-vers 1500, et dans une unité géographique raisonnablement vaste, l’Angleterre, toute caractérisation de la nature et de la qualité des élites rurales est inévitablement sujette à une série d’avertissements et de réserves. En particulier, la nature de la société rurale, dans ce contexte la société paysanne, n’était constante ni dans le temps ni dans l’espace de l’Angleterre médiévale. En conséquence, l’importance des élites rurales pouvait assurément être modifiée selon ces relations. Ainsi, les opportunités offertes à une élite villageoise d’accumuler de la terre, par exemple, ou d’influer sur la culture locale ou la politique, étaient influencées, parfois même dramatiquement, par les différences entre les régions ou le changement des circonstances. Dans cette contribution, je vais essayer d’aborder ces distinctions à la fois à travers un court panorama initial du changement dans la durée et les différences régionales, mais aussi à travers la référence à ces distinctions, tout au long de la discussion.
Panorama initial
3En premier lieu, donc, nous avons besoin d’identifier quelques traits significatifs de changement et de différence. Pour commencer par les transformations dans le temps, nous pouvons remarquer qu’entre la fin du xiie siècle et le début du xvie, la société rurale anglaise a été sujette à des évolutions significatives, comprenant une chute dramatique de la population, un déclin relatif de l’autorité de la seigneurie et une réduction concomitante de la force générale du villeinage en tant qu’institution. Nous voyons aussi, toujours de manière générale, une tendance accrue à l’accumulation de la détention de terres au sein de certains secteurs de la paysannerie, une mobilité renforcée aussi bien physique que sociale, et un degré plus grand de spécialisation régionale, comprenant un mouvement plus important d’« industries » vers les campagnes et un déclin général des cultures au profit de l’élevage. Inévitablement, il y a des différences régionales dans cette large chronologie, de sorte que, alors que la plus grande partie de ces grandes lignes s’applique plutôt étroitement à l’expérience des régions du sud et du centre de l’Angleterre, elle concorde moins bien avec l’histoire économique et sociale des régions au-delà, que nous devons caractériser comme l’Angleterre des basses terres de champagne, ou d’openfield. Dans la zone des « hautes terres », des différences de structure rurale et d’économie doivent être prises en compte3, en particulier un habitat rural plus dispersé et une économie agraire discrète dans laquelle l’élevage a toujours été plus important,
4Comment et de quelle manière les élites paysannes ont-elles répondu aux développements internes et externes de leurs économies régionales ? Voilà une question qui présuppose qu’une telle manœuvre est stratégiquement utilisée dans la poursuite d’un but particulier ou d’une série de buts. Pour les élites rurales de l’Angleterre médiévale, nous manquons d’affirmations explicites et directes des buts mais, grâce à leur action évidente et à leur association essentielle de la richesse et de la position sociale, nous pouvons au moins supposer que les élites paysannes ont recherché un degré de pouvoir et d’autorité locale ou bien, alternativement, qu’elles ont poursuivi la richesse relative et la sécurité : une conséquence d’une richesse sécurisante était un degré de pouvoir « politique ».
Les caractéristiques des élites rurales dans l’Angleterre de la fin du Moyen Âge
5Nous pouvons identifier une série de « caractéristiques » des élites rurales/paysannes dans l’Angleterre médiévale, que nous voudrions associer à une stratégie d’accomplissement. Les caractères suivants, strictement parlant, font partie des critères les plus évidents. Ils comprennent : 1. La famille (taille et structure) ; 2. La tenure foncière ; 3. La richesse et les ressources ; 4. Le pouvoir. Cette dernière catégorie qui comprend une analyse des formes d’activités, et qui pourrait expliquer la relativité évidente entre les catégories 1 et 3, comprend une série de sous-groupes, dont les plus évidents sont : a) le pouvoir légal ; b) le pouvoir quasi légal/la violence/ une culture subalterne, et c) le pouvoir économique. Je voudrais discuter de chacun d’eux très brièvement dans le contexte de l’Angleterre de la fin du Moyen Âge, avant de revenir sur quelques conclusions relatives à la possibilité d’appliquer ces matériaux à un débat sur les stratégies des élites.
Famille et ménages – taille et structure
6On peut voir raisonnablement à partir des quelques études sur la démographie et la structure sociale, qui ont été tentées sur le village anglais du Moyen Âge central et tardif, que les familles et ménages de ceux que nous identifions comme des élites tendaient à être à la fois plus larges et potentiellement plus complexes. À un niveau simple, il est raisonnable de supposer à partir d’une évidence subsistante que certaines familles paysannes, particulièrement celles que nous associons à travers d’autres indices à des familles « élites », tendaient à être plus nombreuses. À Halesowen dans les West Midlands, selon Razi, il y avait une corrélation directe entre la richesse des familles et le nombre moyen de leurs descendants, et les familles les plus riches de la fin du xiiie et du début du xive siècle atteignaient une moyenne de plus de trois enfants par unité alors que les plus pauvres en avaient moins de deux4. Alors que la moyenne baissait dans la seconde moitié du xive siècle, il est clair encore qu’une association positive entre la taille de la famille et la position (économique) persistait, même si le taux diminuait de manière absolue5.
7Razi a également fait d’importantes distinctions, à propos des paysans du Moyen Âge, entre les ménages complexes et les réseaux complexes de parents, faisant un point utile sur « les familles fonctionnellement élargies », qui n’étaient pas complexes au niveau de l’unité familiale individuelle, mais qui pourraient être à la fois imbriquées dans des réseaux de parenté et significatives en tant que sources d’aide pour les membres de la famille/parenté. De manière importante pour nous, Razi a fait le point sur le fait qu’il y avait, au moins pour le Halesowen des xiiie et xive siècles (son sujet d’étude), une association étroite entre complexité, envergure, richesse relative et position sociale. Razi a mentionné pour le Halesowen du début du xive siècle comment 83 % des tenanciers des plus vastes tenures et 57 % des moyennes avaient plus de deux parents vivant sur place. De manière contrastée, 21 % seulement des petites tenures et seulement 2 % des cottagers jouissaient de ce niveau de parenté voisine6.
8Pour ce qui est de la famille et de la parenté, une caractéristique des élites semble non seulement se trouver dans la taille et la complexité, mais aussi dans une durabilité relative. À Kibworth Harcourt dans le Leicestershire, manoir tenu par le Merton College d’Oxford, on a pu analyser le renouvellement des familles depuis la fin du xiiie s jusqu’au xviiie siècle ; à Kibworth Harcourt la permanence et la persistance au fil des générations durant les xiiie et xive siècles cèdent le pas à l’impermanence et une relative discontinuité dans les générations après l’arrivée de la Peste Noire7. Si des familles étaient capables de montrer quelque évidence de stabilité dans les périodes anciennes et quelque continuité persistante à la fin du xive et au xve siècle, il est raisonnable de présumer que les familles d’élites paysannes auraient très vraisemblablement manifesté cette capacité. Certainement, à Halesowen, comme Razi l’a également montré, la persistance des familles plus nombreuses de villeins au xve siècle est, selon lui, une histoire comparable à celle de Kibworth Harcourt, tout autant qu’à celle des manoirs de l’abbaye de Ramsay dans l’est des Midlands8. Il argumente que c’est un recul précipité du servage au cours du xve siècle qui a favorisé un recul des « familles nombreuses de villeins de la terre9 ».
Tenure
9Évidemment, la majorité de ceux que nous pourrions identifier comme une élite rurale occupait une plus grande proportion de la terre disponible. Dans l’Angleterre « traditionnelle » d’openfield, une élite villageoise occupait, comme villeins ou serfs, des unités de terre indispensables à la subsistance d’une famille paysanne simple (terra unius familie), avec les obligations dues au seigneur comme la rente et, souvent, la corvée de travail. Ces unités, fréquemment citées comme virgates, yardlands ou bondlands, étaient nécessairement tenues par des tenanciers villeins importants, puisque c’était eux qui possédaient le capital et les ressources capables de supporter les catégories d’activité économique et socio-politique compatibles à la fois avec les attentes du seigneur et celles de leurs propres communautés.
10Cependant, en termes d’unités de tenure héritées, les tenanciers plus importants dans l’Angleterre des midlands ou d’openfield, spécialement durant les décennies d’avant le milieu du xive siècle, tenaient des superficies relativement vastes, ayant typiquement de 30 à 40 acres. La plus grande part de cette terre était tenue comme arable10. Une caractéristique de cette période est que ces unités ont subi quelques transformations majeures à la fin du Moyen Âge, comprenant le fractionnement de la traditionnelle terra unius familie et de ses obligations associées. Vers la fin du xive et au xve siècles, de nouvelles occasions s’offraient aux tenanciers plus importants pour accumuler de nouvelles tenures, souvent construites de morceaux ou bien de l’intégralité d’unités plus anciennes de tenures11. Ailleurs, comme par exemple dans l’est de l’Angleterre, il n’y a pas de liaison aussi étroite entre la tenure et la prééminence dans l’économie locale et la société. Dans l’East Anglia, densément peuplée, il n’était pas rare que les villageois plus importants tiennent la terre en unités relativement petites, avec cependant, en apparence, peu ou pas de conséquence sur leur distinction comme figures dirigeantes de la communauté locale12.
Richesse et consommation
11Il n’est également pas surprenant que les élites villageoises tendaient à être les villageois les plus riches. Là où nous trouvons des indices utiles de richesse, souvent dans des documents subsidiaires de nos sources principales, nous pouvons associer la richesse des individus avec d’autres traits discernables de leur activité enregistrée. Ainsi, par exemple, les estimations et listes pour la taxation, qui apportent un indice assez utile bien que rudimentaire de richesse relative dans les communautés, tendent à révéler la richesse à un niveau généralement important en relation avec les activités enregistrées de ces personnes comme jurés, comme accumulateurs de terre, etc.13. À Hinderclay, manoir du Suffolk de l’abbaye Saint Edmonds, une tendance prononcée au marché de la terre et à l’activité procédurière à la cour du manoir, était en relation avec la richesse taxable14. Quand nous sommes, dans quelques rares occasions, en présence d’une information détaillée sur la richesse documentée des individus et leurs ressources, nous nous rendons compte encore de la concordance entre une relative richesse et la position sociale locale. Pour citer un exemple de plus en plus fameux, William Lene, un villein prospère de Walsam-le-Willows (Suffolk) détenait, à sa mort en 1329, une tenure importante tout comme une série de biens comprenant le luxe relatif de nappes et de couvertures, de cheptel et de valeurs. Ses biens étaient suffisants pour lui permettre de disposer de ses possessions d’assez belle manière en legs à sa famille, à sa communauté locale, à la paroisse et à l’église, tout comme pour le bien de son âme. Cette distribution finale montrait chez William Lene la possibilité de re-affirmer sa position politique et sociale, évidente au cours de sa vie à travers son rôle comme créancier local et accumulateur de possessions15.
Pouvoir
12Une manifestation significative de la position sociale en tant qu’élite est, bien sûr, l’autorité. Ceci peut être abordé par un bon nombre de points de vue. Ici, mon intention est d’illustrer les moyens par lesquels le pouvoir pouvait être discerné dans le village médiéval, encore une fois comme prémisse à un débat conclusif sur les stratégies des élites.
Légal
13Des historiens intéressés par les élites paysannes dans le village médiéval ont cherché à se concentrer sur la détention de fonctions par les paysans comme un indice de leur prééminence particulière au sein de leurs communautés. Les fonctions significatives de l’Angleterre rurale médiévale, comprenant les fonctions manoriales principales (administrateur, bailli) et les fonctions de la juridiction locale et manoriale (évaluateur des amendes et juré à la cour manoriale, chef de groupes de « dizaine », inspecteur de marché, agent de police) étaient tenues certainement par les villageois plus importants. En fait, quelques-unes de ces fonctions, notamment celle de chef de dizaine, étaient directement associées à la tenure pendant que d’autres, comprenant les responsabilités principales d’administrateur, bailli, juré étaient également tenues par des villageois pris dans le groupe des tenanciers importants16.
14Alors que la détention de fonctions manoriales était assurément une obligation, et parfois une obligation que les individus cherchaient à éviter, elle apportait aussi opportunités et autorité. À un niveau simple, elle garantissait que certains villageois exerçaient quelque contrôle sur les activités de leurs pairs, mais elle permettait aussi à des individus d’établir ou d’aider à établir un climat moral au sein des communautés. Cela est clair, par exemple, dans l’imposition d’une règle locale de législation tout comme à travers l’exercice de fonctions ultérieures, également tenues par des hommes locaux prééminents, comprenant celles de clerc de paroisse ainsi que de villageois cooptés pour les activités du gouvernement central national. Dans cette dernière catégorie, nous pouvons inclure les villageois employés comme assesseurs locaux de taxation et comme représentants d’absents dans les cours de comté17. Nous pouvons inclure aussi ici ceux qui assumaient des charges administratives locales et des fonctions quasi spirituelles au niveau de la paroisse, comprenant les clercs de paroisse et les détenteurs d’offices laïcs mineurs comme les clercs de l’eau bénite.
15Alors qu’il est assez certain que de telles responsabilités étaient des fardeaux, et pas toujours désirées, il est également évident que quelques villageois recherchaient de telles opportunités et étaient prêts à rivaliser avec leurs pairs pour les détenir. La détention de fonction au niveau manorial, au sein de l’église paroissiale et comme intermédiaire entre la communauté locale et l’État, apportait des avantages comportant un niveau d’autorité et de position sociale, l’accès à des ressources et aussi à d’« autres » opportunités, comprenant un discret climat intellectuel et politique/moral. Nous pouvons, par exemple, inclure ici l’introducton sur des marchés plus lointains, l’accès à la loi et une connaissance plus sophistiquée de celle-ci, comme traits de cet engagement à un niveau relevé, présenté entre autres par la détention de fonctions. De telles opportunités discrètes ont dû aider une élite des villageois à se constituer à part de leurs voisins, montrant qu’ils avaient un capital intellectuel et moral capable d’être utilisé au niveau local18.
Quasi légal
16Si la détention de fonctions et une position officielle offraient aux élites des occasions pour consolider et exploiter leurs avantages relatifs, il apparaît clairement dans nos sources que les paysans plus importants du village médiéval pouvaient employer des tactiques pratiquement légales pour protéger leurs desseins à la fois contre les seigneurs et contre leurs voisins19. Les exemples de violence entre familles, enregistrés dans les cours locales, illustrent, pour les familles plus importantes, la tendance à utiliser la force contre les familles moyennes ou plus pauvres. Des délits violents et des méfaits, comprenant de menus larcins, pouvaient aussi impliquer les descendants et les domestiques des villageois les plus éminents, et ils agissaient en apparence comme fermes soutiens ou protecteurs de la prééminence locale de leurs parents ou maître. De la même manière, des membres des élites locales pouvaient aussi souhaiter diriger à leur avantage des aspects de ce que nous pouvons considérer comme une culture subalterne, comprenant le commérage. Mais ceci, en tant que pouvoir largement hors de leur contrôle, pouvait être vraiment trop difficile à maîtriser20.
17Comme l’a montré bien plus d’une étude, les membres des élites rurales exerçaient un contrôle selon d’autres moyens, et pas des moindres, comme chefs de la résistance à des pressions externes. Dans de telles occasions – occasions incluant une série d’activités qui allaient de la plainte en justice contre le seigneur à la cour du roi jusqu’à la marche à la tête d’insurrections – on peut débattre de l’importance avec laquelle les élites ont conduit des mouvements plus larges ou ont simplement trouvé des opportunités pour articuler leurs propres intérêts. Mais leur participation comme figures de proue de la résistance est tout à fait évidente21.
Économique
18Nous sommes parvenus maintenant à l’exemple le plus immédiat et typiquement le plus évident de l’activité de l’élite : l’usage du pouvoir économique. L’emploi du pouvoir économique par les élites rurales est manifeste dans de très nombreuses situations au Moyen Âge central et tardif, comprenant l’embauche de main-d’œuvre supplémentaire, la redistribution de ressources à l’avantage des membres de la famille et d’autres personnes (comprenant des voisins, le seigneur, l’Église, l’État). Le pouvoir économique offre également d’autres opportunités au sein de la place marchande. Elles incluaient la possibilité de s’investir dans la production marchande, à la fois comme producteur et consommateur, et de profiter d’un surplus qui pouvait être remployé au sein du marché, à la fois comme crédit et comme garantie. Un tel pouvoir économique relatif permettait aussi d’autres formes d’accumulation, comprenant une éducation à l’efficacité dans les affaires, l’emploi de la loi et les mécanismes de l’échange. Tous ces avantages, obtenus au sein et, ce qui est plus important, au-delà de la communauté immédiate pouvaient être exploités au sein des communautés locales à l’avantage des villageois importants, mais parfois au désavantage significatif de leurs voisins.
19Nous avons déjà vu qu’une caractéristique des élites rurales était leur richesse, à la fois en termes de richesse matérielle et de ressources mobilisables, comprenant la taille de la famille et l’accès aux fonctions. Il est clair également qu’un trait tout aussi important de la position sociale des élites dans le village médiéval, et qui peut difficilement être séparé des autres aspects, est la tenure, et principalement son étendue, et le degré d’autorité dont jouissaient les élites paysannes par son usage et sa transmission.
20En termes d’usage de la terre, la plupart des villageois, au moins depuis les dernières décennies du xive siècle, étaient sous la contrainte des pressions de la seigneurie, de la famille, de la communauté et, bien sûr, de l’environnement. Très manifestement, en cette période appelée de high farming, des villageois importants détenteurs des unités plus vastes de tenure, terres fixées par la coutume et connues comme virgates, n’étaient malheureusement pas capables de changer l’orientation de leur gestion sauf à un très faible degré. Mais quelques petits changements, comprenant un investissement très légèrement supérieur en terre per capita ou l’emploi de serviteurs ou de parents « en plus » dans la réalisation de la rente en travail, pouvaient conduire à un surplus significatif22. Très évidemment, au xve siècle, quand les pressions de la seigneurie baissèrent, des paysans furent capables de faire différents choix dans l’usage de la terre, de sorte que, au moins dans la perspective d’un mouvement vers une économie agraire plus largement pastorale, c’était le marché et la spécialisation qui déterminaient cet usage, plus que le seigneur ou la communauté.
21Tout comme l’usage de la terre, le pouvoir économique en relation avec celle-ci est également évident à propos des transferts de terre. Comme pour l’« usage », les historiens tendent à décliner une chronologie des changements suggérant une plus grande liberté des transferts vers la fin de la période. Un modèle général de l’histoire, au Moyen Âge central et tardif, des transferts de terre consiste à identifier une période ancienne de transactions foncières dominées par le transfert successoral (post-mortem), ouvrant la voie à une période de portée relative vers le transfert inter-vivos. Alors que c’est très certainement le cas de quelques régions du pays et dans quelques types particuliers de seigneurie23, il est clair également qu’un trafic assez développé de terre existait dans les régions de l’est de l’Angleterre depuis au moins le xiiie siècle. Là où un marché de la terre est mis en évidence, on peut montrer que les élites paysannes ont exploité un tel marché, vraisemblablement en utilisant les surplus commercialisables pour investir dans des terres supplémentaires ou pour offrir des garanties à d’autres acheteurs éventuels. De manière pas totalement différente, le transfert post-mortem pouvait servir aussi à renforcer la sécurité et la persistance des élites au sein de leurs communautés, quoique selon des moyens qui pouvaient demander quelque redistribution de la terre transférée par héritage.
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Stratégies des élites
22Les élites jouissaient d’« opportunité » comme un résultat de leur position sociale. Cette opportunité était relative à leurs pairs, bien sûr, et était limitée dans le contexte de cette période. Mais elle était d’une réelle extension, ce qui permettait quelque accumulation, un niveau de sécurité et un degré de privilège. Nous nous sommes demandé, dans cette partie du livre, selon quelle ampleur ces élites rurales opéraient leurs stratégies. Mais des stratégies pour quoi ? Pour l’accumulation, pour la sécurité, pour le privilège ? Il est possible de supposer, à partir des actions, ce qui dénote les motivations et, après avoir assumé ce que nous pouvons identifier comme motif, pouvons-nous aussi identifier les stratégies déployées pour parvenir aux fins envisagées ?
23Il est certain que de rares éléments sont tout à fait contradictoires avec les traits manifestes de la position sociale des élites rurales durant cette période. Cependant, les traits du pouvoir que nous avons identifiés, comprenant l’emploi de la légalité et des procédés extra-légaux, peuvent raisonnablement être associés à d’autres traits de la position sociale, comportant l’autorité économique, des ressources plus grandes, une certaine accumulation de la détention de terre. Selon d’autres manifestations, non discutées ici, nous pouvons déceler d’autres traits relatifs à la position sociale, volontairement atteints ou pas. Cela inclut un degré de permanence dans les communautés et la nécessaire qualité concomitante d’être capable de surmonter avec une relative aisance les crises des xiiie, xive et xve siècles. Alors que la période avançait et que les contrôles sur la population des xiiie et xive siècles amélioraient la situation pour les survivants, il est certainement possible que la force motrice pour les habitants des campagnes en général et les élites rurales en particulier, ait subi quelques changements, ou au moins des ajustements d’échelle. On peut concevoir qu’une aspiration raisonnable du xiiIe s. – la sécurité – ait cédé la place, pour une plus grande part de la population, à une ambition plus grande au xve siècle, disons la mobilité sociale24. En ce sens également, nous pouvons prévoir que les élites paysannes des campagnes de la fin du Moyen Âge étaient obligées en conséquence d’entreprendre quelque changement dans leurs propres programmes sociaux. Les préoccupations apparentes, et sans doute croissantes, de contrôle social et de programmes moralisateurs, évidentes dans les documents locaux et ecclésiastiques de l’Angleterre du xve siècle, peuvent refléter quelque contestation des liens de la position sociale de l’élite paysanne à la fois vers le haut et vers le bas25.
Notes de bas de page
1 Pour les approches marxistes des élites paysannes, voir par exemple R.H. Hilton, « Peasant movements in medieval England », Economic History Review, 2nd ser., II, 1949 ; idem, The English Peasantry in the later Middle Ages, Oxford, 1975 ; idem, Bond Men made Free. Medieval Peasant Movements and the English Rising of 1381, London, 1973 ; C. Dyer, « The social and economic background to the rural revolt of 1381 », dans R.H. Hilton, T.H. Aston, (éd.), The English Rising of 1381, Cambridge, 1984, rééd. dans C. Dyer, Everyday Life in Medieval England, London, 1994, p. 191-220, auquel de notables références sont prises ; également S. Justice, Writing and Rebellion. England in 1381, California, 1996. Les approches structuralistes sociales comprennent : G.C. Homans, English Villagers of the Thirteenth Century, Harvard, 1941 ; J.A. Raftis, Peasant Economic Development within the English Manorial System, Stroud, 1997 ; idem, Tenure and Mobility. Studies in the Social History of the Medieval English Village, Toronto, 1964 ; E.B. Dewindt, Land and People in Holywell-cum-Needingworth. Structures of Tenure and Patterns of Social Organization in an East Midlands Village, 1252-1457, Toronto, 1971 ; E. Britton, The Community of the Vill, Toronto, 1977 ; S. Olson, A Chronicle of all that Happens. Voices from the Village Court in Medieval England, Toronto, 1996. Les perspectives démographiques des élites paysannes proviennent principalement de M.M. Postan, et en particulier dans Carte Nativorum : a Peterborough Cartulary of the Fourteenth Century, dans C.N.L. Brooke, M.M. Postan (éd.), Northamptonshire Record Society, 20, 1960. L’introduction de cette édition est rééditée dans M.M. Postan, « The charters of the villeins », dans idem, Essays on Medieval Agriculture and General Problems of the Medieval Economy, Cambridge, 1973. Voir aussi M.M. Postan, « Medieval Agrarian society in its prime. England. F. The village rich », dans M.M. Postan, (éd.), The Cambridge Economic History of Europe. I. The Agrarian Life of the Middle Ages, Cambridge, 2nd ed., 1966, p. 624-8 ; idem, The Medieval Economy and Society, London, 1972, p. 150-159.
2 Voir, par exemple R.H. Britnell, The Commercialisation of English Society, 1000-1500, Cambridge, 1993 ; C.C. Dyer, Standards of Living in the later Middle Ages, Cambridge, 1989 ; idem, An age of Transition ? Economy and Society in England in the later Middle Ages, Oxford, 2005, p. 168-70 et passim ; J. Masschaele, Peasants, Merchants and Markets. Inland Trade in Medieval England, 1150-1350, Basingstoke, 1997, c. 2.
3 Pour un survol récent et effectif de ces développements, voir C. Dyer, Making a Living in the Middle Ages. The People of Britain, 850-1520, Yale, 2002, spécialement les chapitres 4, 5, 7, 8 et 10.
4 Z. Razi, Life, Marriage and Death in a Medieval Parish. Economy, Society and Demography in Halesowen, 1270-1400, Cambridge, 1980, p. 74, 84-85. De manière intéressante pour nous, Razi définit une richesse relative selon une série de « variables » qui sont « la taille de la tenure, le cheptel, la balance des transactions foncières, l’emploi de servantes et de laboureurs, les dettes, la consommation de bière, la participation au gouvernement du village, la mise en gage et certains délits », ibid., p. 74.
5 Ibid., p. 142-144.
6 Z. Razi, « The myth of the immutable English family », Past and Present, no 140, 1993, p. 10.
7 C. Howell, Land, Family and Inheritance in Transition. Kibworth Harcourt, 1270-1800, Cambridge, 1983, p. 240-242.
8 Razi, « Myth of the immutable English family… », p. 34-36.
9 Id., p. 41.
10 Voir par exemple Dyer, Standards of Living…, p. 109-116.
11 Voir par exemple R.H. Hilton, The Economic Development of some Leicestershire Estates in the Fourteenth and Fifteenth Centuries, Oxford, 1947, p. 94-105.
12 Masschaele, Peasants, Merchants and Markets…, p. 50-51.
13 Voir par exemple ib., p. 50 et sq.
14 P.R. Schofield, « Dearth, debt and the local land market », Agricultural History Review, 47, 1997, p. 1-17.
15 The court rolls of Walsham-le-Willows, ed. R. Lock, Suffolk Records Society, XLI, 1998, p. 135. Sur la consommation paysanne, voir spécialement les travaux de C. Dyer et surtout Dyer, Standards of living…, chapitre 6 ; id., An Age of Transition ?…, p. 134-139.
16 La détention de fonctions comme indice de la position sociale est un classique des études, avec inter alia, Raftis, Dewindt, Olson, dont l’approche a été associée à l’« Ecole de Toronto » ; pour un tel exemple, assez récent, de cette approche, qui renvoie également au besoin d’une lecture nuancée de cette affirmation, voir Olson, A Chronicle of all that Happens…, p. 104-110, et chapitre 3, passim. Sur la détention de fonction et les dizaines, voir aussi P.R. Schofield, « The late medieval frankpledge system : an Essex case study », dans Z. Razi, R.M. Smith (éd.), Medieval Society and the Manor Court, Oxford, 1996, p. 408-449.
17 J.R. Maddicott, « Magna Carta and the local community, 1215-1259 », Past and Present, no 102, 1984, p. 32-33.
18 Voir par exemple P.R. Schofield, « The social economy of the medieval village », Economic History Review, à paraître.
19 Voir par exemple C. Dyer, « Power and conflict in the medieval English village », dans id., Everyday Life in Medieval England, p. 7-10.
20 Au-delà sans doute le contrôle plus caractéristique exercé au travers de débouchés plus formels, comme la paroisse. Sur le commérage et la culture subalterne, voir par exemple C. Wickham, « Gossip and resistance among the medieval peasantry », Past and Present, no 160, 1998 ; le commérage dans le contexte de la cour manoriale anglaise et du village médiéval est discutée dans P.R. Schofield, « Peasants and the manor court : gossip and litigation in a Suffolk village at the close of the thirteenth century », Past and Present, no 159, 1998.
21 Hilton, Bond men made free…, p. 180-181 ; Dyer, « Social and economic background to the rural revolt of 1381… », p. 211-14 ; également M. Muller, « The aims and organisation of a peasant revolt in early fourteenth-century Wiltshire », Rural History, no 14, 2003, p. 1-20.
22 Sur les conséquences variables de la main-d’œuvre embauchée et coutumière en tant qu’indication de la conséquence de changements relativement limités et de leur impact sur les surplus, voir D. Stone, « Medieval farm management and technological mentalities : Hinderclay before the Black Death », Economic History Review, 2001, p. 626-628.
23 Voir par exemple Hilton, Economic Development of some Leicestershire Estates, p. 94 et suivantes ; C. Dyer, Lords and Peasants in a Changing Society. The Estates of the Bishopric of Worcester, 680-1540, Cambridge, 1980, p. 301-305 ; B.F. Harvey, Westminster Abbey and its Estates in the Middle Ages, Oxford, 1977, chapitre 10 passim. L’accessibilité relative à la terre est également remarquée dans le cas de location de domaines dans la période : voir par exemple F.R.H. Du Boulay, « Who were farming the English demesnes at the end of the middle ages ? », Economic History Review, 2nd ser., xvii, 1964-1965 ; B.F. Harvey, « The leasing of the abbot of Westminster’s demesnes in the later middle ages », Economic History Review, 2nd ser., xxii, 1969.
24 C’est certainement pour cela que les déclarations du gouvernement sur la mobilité sociale ont crû en fréquence à la fin du xive et au xve siècle, suggérant que les paysans, et plus spécialement les villeins, étaient en train d’explorer les fissures du plafond. À cet égard, voir les récentes ouvertures de C. Given-Wilson, « The problem of labour in the context of English government, c. 1350-1450 », dans J. Bothwell, P.J.P. Goldberg, W.M. Ormrod (éd.), The Problem of Labour in Fourteenth-Century England, York, 2000, p. 85-90 ; idem, « Service, serfom and English labour legislation, 1350-1500 », dans A. Curry, E. Matthew (éd.), Concepts and Patterns of Service in the Later Middle Ages, Woodbridge, 2000, p. 21-37.
25 M.K. McIntosh, Controlling misbehavior in England, 1370-1600, Cambridge, 1998 ; pour de semblables pressions dans une période plus ancienne, voir la discussion intéressante dans M. Spufford, « Puritanism and social control », dans A. Fletcher, J. Stevenson (éd.), Order and Disorder in Early Modern England, Cambridge, 1985.
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