Introduction
p. 11-14
Texte intégral
1COMMENT CARACTÉRISER le lycée professionnel ? C’est un lieu commun de dire qu’il accueille surtout des élèves en échec scolaire, issus pour la plupart de milieu populaire. C’est également une évidence de souligner que le lycée professionnel (LP) attire peu l’attention tant des chercheurs en sciences sociales que des médias, comme si les « vrais enjeux » de la scolarité étaient limités au collège, au lycée général et désormais à l’université. Pourtant, le LP a non seulement ouvert l’accès à des diplômes professionnels pour les nouvelles générations, mais il constitue aussi une « deuxième chance » pour un public ayant largement éprouvé l’échec scolaire en collège, voire dès l’école primaire.
2Il est donc légitime de se demander comment cette institution en est venue à endosser l’image d’une voie de relégation que rejoignent tous ceux qui ont « raté » la voie générale. Or la réalité est plus complexe : le statut peu valorisé du lycée professionnel en fait en même temps une institution dont le défi est de mobiliser un public réfractaire à la forme scolaire classique. Dès lors, comment les acteurs du LP, au premier rang desquels les enseignants, peuvent-ils parvenir à contrer les difficultés des élèves et leur ressentiment à l’égard du système scolaire ? Il faut aussi s’interroger sur le paradoxe de l’institution scolaire dans sa globalité, qui crée l’échec tout en inventant les conditions d’une réhabilitation des « vaincus » de la voie générale. Ce paradoxe est d’autant plus affirmé que c’est au moment où les contenus des formations deviennent plus scolaires que le LP accueille les élèves les plus en difficulté.
3Par ailleurs, se limiter au seul processus de massification – qui a vu changer les élèves comme les professeurs exerçant en LP – sans tenir compte de l’évolution générale de la classe ouvrière, de la tertiarisation des emplois et de la croissance du chômage, ne saurait permettre de prendre toute la mesure de ce qui affecte aujourd’hui le lycée professionnel et ses missions.
4La faible attention accordée à l’enseignement professionnel par la sociologie de l’éducation contraste avec l’ambition de ce livre : celle de proposer une sociologie du lycée professionnel à l’heure où il connaît de profonds changements, révélateurs des mutations d’ensemble du système scolaire. Parce que le LP scolarise plus de 700 000 élèves, qu’il a contribué, avec la création du baccalauréat professionnel, à accompagner le projet d’amener 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat et qu’il est l’institution du secondaire la plus ouverte sur le marché du travail, il incite le sociologue à réfléchir aux missions générales de l’institution scolaire – notamment la finalité des études, le lien entre qualification et insertion professionnelle, etc. – et invite à analyser la tension constante entre massification et démocratisation de l’enseignement.
5Construire une sociologie du lycée professionnel implique de ne pas négliger les effets socio-historiques induits par la scolarisation de masse et ses paradoxes, notamment sur le plan de la dévalorisation de l’orientation vers les filières professionnelles. Mais il serait très réducteur de penser cet ordre d’enseignement sous le seul angle d’une approche « structurelle », au risque d’ignorer la complexité des expériences que vivent les élèves et les enseignants de LP.
6Les connaissances construites par les rares recherches sociologiques classiques traitant de l’enseignement technique court demeurent pertinentes aujourd’hui, notamment pour tout ce qui concerne la dévalorisation du LP sur fond de hiérarchisation « culturelle » des filières. Lorsque l’on y regarde de près, l’expérience scolaire et le travail des enseignants de LP font apparaître des formes de résignation chez les uns, de résistance chez les autres, parfois même le sentiment d’être rabaissé, et la volonté de s’émanciper de « sa » condition. Or la perception de cette condition tient doublement à la nature des savoirs enseignés – à leur sens, à leurs finalités – et au quotidien des élèves et des enseignants. C’est pourquoi la sociologie du lycée professionnel telle que nous la concevons est d’abord une sociologie de l’expérience, articulée à une sociologie du rapport aux savoirs et aux études. Penser le lycée professionnel à partir du rapport aux savoirs des élèves et des pratiques pédagogiques des enseignants suppose donc de tenir compte de la place institutionnelle occupée par cet ordre d’enseignement.
7Enquêter sur le LP, c’est aussi et peut-être avant tout s’interroger sur le rapport entre le chercheur et son terrain. Il s’agira donc d’identifier les raisons qui nous ont amené à étudier cette filière éducative et de voir quelle forme particulière a pris la relation au terrain. Mais l’enquête ne suffit pas pour saisir toute l’ampleur des changements qui affectent le LP : le détour par l’histoire de la formation professionnelle des ouvriers et leur scolarisation permet de mettre en évidence les raisons historiques de la relégation du lycée professionnel.
8La hiérarchie des spécialités, la répartition sexuée des élèves constituent une première caractéristique du LP. Mais ce sont aussi les savoirs enseignés qui en font la spécificité – savoirs qui recouvrent à la fois une forme scolaire et une forme professionnelle. Or ces deux formes ne structurent pas l’expérience scolaire indépendamment des interactions entre élèves et enseignants. Ces deux groupes connaissent d’ailleurs des évolutions qu’il convient de mettre en évidence. En tant qu’expérience scolaire éclatée, le quotidien des élèves révèle une diversité des modes d’affiliation aux études qui débouche sur des rapports très spécifiques aux savoirs. C’est par le lien qui unit la situation personnelle des élèves et la confrontation aux contenus scolaires que se construit le sens de ces savoirs et, partant, la possibilité de s’affranchir de l’échec scolaire. L’effort cognitif à déployer semble suspendu à la manière dont les sujets parviennent à articuler les différentes dimensions de l’expérience, mais aussi à la façon dont les enseignants œuvrent pour mobiliser leurs élèves.
9De son côté, la condition enseignante est marquée par des ambivalences où le souci de formation des jeunes se heurte à un certain découragement, allant parfois jusqu’au mépris. Le discrédit des parents et la méfiance à l’égard des entreprises dans lesquelles les élèves effectuent des stages peuvent entrer en contradiction avec le projet politique d’un « lycée des métiers » en phase avec le marché du travail. La survie des PLP ne semble alors possible qu’au prix de stratégies pédagogiques variées, aux effets plus ou moins efficaces.
10Quel est l’avenir du lycée professionnel en France ? Peut-il contribuer à assurer une promotion sociale, alors même qu’il est le théâtre de maints dysfonctionnements ? Les enseignements sociologiques peuvent à coup sûr éclairer ces questions centrales. Cet ouvrage invite donc le lecteur à découvrir cet univers méconnu, à en saisir le fonctionnement et les mutations. Il ambitionne également d’identifier les possibles marges d’action qui existent pour rendre plus attractif et plus efficace le lycée professionnel.
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La mobilité sociale dans l’immigration
Itinéraires de réussite des enfants d’origine algérienne
Emmanuelle Santelli
2001