Chapitre 6. Le collège en France : un analyseur des contradictions d’une école inégalitaire
p. 259-280
Texte intégral
Si le collège se fixe pour mission de préparer au lycée, si le baccalauréat est l’unique critère de réussite ou le seul viatique admissible, si la société peut se satisfaire des laissés-pour-compte qui n’atteindront jamais ce niveau et assumer sans état d’âme cette exclusion, il conviendra de ne changer que peu de choses aux pratiques du collège : quelques allégements d’effectifs réclamés, quelques heures d’aide et de soutien, mettre en place des structures précoces d’évitement scolaire ne manqueront pas de donner satisfaction1.
On ne peut pas véritablement choisir entre le modèle d’un collège préparant uniquement les élèves au lycée l’enseignement général, et celui d’un collège uniquement soucieux de donner la même culture à chacun. Le collège pour tous doit poursuivre ces deux objectifs, ce qui suppose une réflexion sérieuse sur les compétences et les connaissances qui doivent constituer le socle commun d’une génération2.
1Le collège unique tel qu’il fut pensé et mis en place au moins formellement par René Haby en 1975 ponctue une succession de réformes, visant tout autant à développer une scolarisation de masse dans l’enseignement secondaire qu’à répondre à des besoins économiques, dans le cadre d’un État développeur3.
LE COLLÈGE UNIQUE, ENTRE AVANCÉES ET IMPASSES
2La réforme Berthoin qui a été lancée en 1959 pour entrer en vigueur en 1967 – prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, création d’un tronc commun au collège pour les élèves de 11 à 14 ans, mise en place de paliers d’orientation en instaurant pendant les deux premières années du collège un cycle d’observation –, annonçait l’objectif de rationaliser l’offre scolaire en répondant au double défi de la réduction des inégalités sociales et de qualifier la future main-d’œuvre. La construction soutenue de collèges d’enseignement secondaire – qui remplacent les collèges d’enseignement général héritiers des cours complémentaires et des petites classes de lycée – va engendrer une gestion quantitative des flux d’élèves sans précédent. Entre 1966 et 1975, 2 354 CES sont construits. Cette gestion renforce le pouvoir de l’administration centrale et fragilise le poids des structures locales, notamment les cours complémentaires post-élémentaires qui étaient organisés par les municipalités et assuraient une relative promotion professionnelle. Les enseignements sont alors normalisés et emportent avec eux une grande partie des publics scolaires qui se confrontent à l’échec scolaire. Les réformes quantitatives, sous l’effet de fortes résistances syndicales, ne se sont guère accompagnées de réformes qualitatives, notamment au niveau des pédagogies et du mode de recrutement des enseignants du secondaire.
3André Robert use de l’expression « nébuleuse » pour qualifier la réforme Haby4 et souligner qu’elle contribue à finaliser la mise en système de l’enseignement. Les travaux préparant cette réforme avaient débuté en 1972 sous le ministre Joseph Fontanet. Le premier souci exprimé par l’équipe de ce ministre était de savoir comment prendre en compte l’hétérogénéité des élèves. René Haby, ancien enseignant, est également préoccupé par cette question et est au fait des récentes publications traitant de l’éducation. Le collège unique attise les débats, suscite des controverses et provoque souvent des polémiques. Certains lui reprochent de ne pas trop s’intéresser au sort des élèves le plus en difficulté, quand d’autres y voient le symptôme d’un système éducatif ne faisant plus la part belle au savoir et nivelant par le bas le niveau. En réalité, le collège unique n’a jamais atteint les objectifs affichés initialement. Comme l’observe Antoine Prost,
La réforme Haby est un aboutissement plus qu’une rupture. C’est un cas intéressant et classique de réforme qui s’appauvrit du projet à la loi, et de la loi aux décrets […] Haby était partisan du collège unique qu’il réalise en 1975 mais la suppression des filières qu’il décide n’est un vrai changement que pour les classes de transition, qui disparaissent comme telles5.
4Dans les faits, dans les années 1980 et 1990, le collège reste, dans 50 % des établissements, marqué par une répartition différenciée des élèves en classe de 6e et les élèves en difficulté n’y sont que 30 % à bénéficier d’un soutien.
LE COLLÈGE UNIQUE, PRÉFIGURATEUR DE L’ÉCOLE DU SOCLE ?
5En France, s’il existe un ordre d’enseignement qui a suscité tant de débats, de controverses et de polémiques le plus souvent passionnelles, ainsi que des projets visant à le reformer depuis une quarantaine d’années, c’est bien du collège qu’il s’agit. Suite à la réforme Haby qui crée le « collège unique », on ne compte pas moins de quatre rapports ou documents ayant plus ou moins directement traité du collège et de son avenir : le rapport de louis Legrand en 1983, Le Livre blanc des collèges d’Alain Bouchez en 1994, le rapport de François Dubet en 1999 et celui de Philippe Joutard en 2001. On peut aussi ajouter le rapport de la commission Thélot (2003-2004) qui affirme l’importance du « socle commun de connaissances et de compétences ». C’est que la longue histoire du collège unique a partie liée avec une certaine conception de cet ordre d’enseignement qui le considère comme partie-intégrante ou du moins préparatoire au lycée et aux études supérieures. L’accès à la « haute culture » ne peut être qu’au prix d’un attachement à cet horizon. la culture générale doit imprégner lentement l’esprit des élèves de manière à les amener de la 6e à la terminale du lycée. Le collège unique a pour genèse le projet porté par le Front populaire, et notamment par son ministre de l’Instruction publique Jean Zay. Le Plan Langevin-Wallon (1947) défendra à son tour un « tronc commun ». Mais c’est avec la réforme Berthoin et l’ordonnance du 6 janvier 1959 qui prolonge de deux ans la scolarité obligatoire au collège en la portant à 16 ans révolus – mesure qui ne sera effective qu’en 1967 –, qu’est annoncée la mise en place du « nouveau collège » en 19636. Cette prolongation de la scolarité obligatoire ne s’accompagne pas d’une redéfinition de l’instruction obligatoire et de ses contenus :
Une logique de rassemblement des filières en un même établissement, qui a pour but essentiel de faciliter une bonne orientation de tous les bons élèves en vue d’un recrutement élargi des élites, s’est substituée à la priorité de définir pour tous la bonne fin de la scolarité obligatoire allongée, l’instruction renouvelée et approfondie nécessaire à tous7.
6C’est l’orientation davantage que l’accès à une culture commune qui préoccupe les politiques. Dans un contexte européen marqué par l’essor économique et la compétition scientifique, l’élargissement du recrutement des élites devait s’effectuer à partir de l’ouverture de l’enseignement secondaire aux élèves appartenant à d’autres catégories sociales, ce qui conduit à la création de deux cycles : un cycle d’observation (6e et 5e), et un cycle d’orientation (4e et 3e). Le CES comprenait trois filières ayant chacune ses enseignants, ses élèves, sa finalité :
Un enseignement général long, classique ou moderne (la voie I), est dispensé par des professeurs agrégés ou certifiés : il alimente normalement le second cycle long. Un enseignement général moderne court (la voie II) est assuré par des professeurs bivalents, c’est-à-dire enseignant au moins deux disciplines (le plus souvent des instituteurs ayant préparé le diplôme du CAP-CEG). Un enseignement terminal (la filière transition-pratique, dite voie III) est dispensé par des instituteurs en principe spécialisés8.
7Devenant une sorte de « gare de triage » pour reprendre l’expression de Claude Lelièvre, le collège n’a pour finalité que de repérer les bons élèves capables de poursuivre des études longues dans les filières générales. L’orientation y devient un enjeu et la culture élitiste l’horizon du parcours scolaire. La scolarité obligatoire, son contenu et ses finalités ne sont guère débattus. C’est le « collège unique » qui ouvre la voie au débat sur la scolarité obligatoire et par la suite aux interrogations sur « l’école du socle ». Le président Valéry Giscard d’Estaing défend dès 1974 l’idée de conjuguer à la scolarité obligatoire l’objectif de « donner à chaque Française et à chaque Français un savoir minimal », ce qui suscita la critique d’une institution scolaire voulant minimiser les savoirs ! ainsi, le collège unique ne sera pas en phase avec l’ambition affichée et de ce fait, la question de définir ce qu’il doit permettre d’acquérir comme savoirs et comme compétences à tous les élèves, en dépit de leur hétérogénéité, reste évacuée par la critique venant de droite, du centre et de gauche. Ainsi, le « savoir minimal » ou d’une culture commune de base exigible à la fin de la scolarité obligatoire laisse place à une nouvelle sémantique, celle du « socle commun de connaissance ». Il faut souligner que la crainte affichée par les opposants à ce savoir minimal s’appuie tout autant sur l’argument d’un appauvrissement de la culture scolaire et savante que sur le risque d’empêcher les meilleurs élèves de donner le meilleur d’eux-mêmes !
LA CULTURE COMMUNE ENTRE « L’EXCELLENCE POUR TOUS » ET L’ÉLITISME RÉPUBLICAIN
8L’idée de promouvoir une culture commune est inscrite dans le projet même de l’école de la IIIe République. En instituant une instruction obligatoire, gratuite et laïque, Jules Ferry a créé les conditions d’un rapprochement entre enfants du peuple et enfants de la bourgeoisie. Mais depuis 60 ans, les différentes massifications ont tout autant déstabilisé le fonctionnement du système éducatif que mis en évidence l’inadaptation de celui-ci à la diversité de ses publics, les enfants issus de milieu populaire étant le plus souvent exclus de la culture légitime censée les aider à s’émanciper intellectuellement et socialement. L’idée de défendre une culture commune, un socle commun – les termes de culture et de socle ne faisant pas l’unanimité auprès des enseignants et de leurs syndicats – se heurte à l’ancrage historique du principe selon lequel la compétition et l’émulation entre élèves seraient incompatibles avec la transmission d’un corpus de savoirs communs. Et pour s’en persuader, il suffit de rappeler la crainte récurrente des enseignants déclarant ne pas pouvoir aider tous les élèves au risque de pénaliser les meilleurs et de ne pas achever le programme. Ainsi, il ne peut y avoir de culture scolaire partagée qu’à l’aune d’une hiérarchie de l’excellence incompatible avec une « excellence pour tous ». L’élitisme républicain qui a fondé sa légitimité sur la méritocratie résiste à l’idée d’un socle désignant les savoirs, les connaissances et les compétences exigibles en fin de collège.
9C’est aussi parce que le système éducatif délivre des diplômes à la valeur hiérarchisée et que l’on peut monnayer plus ou moins efficacement sur le marché du travail, que l’égalité effective des chances se doit d’être attentive à l’accès à une culture commune. En effet, l’enjeu n’est plus seulement la qualification et l’accès aux biens scolaires (les diplômes notamment). L’enjeu est aussi le fait de doter tous les élèves de ressources intellectuelles et cognitives en vue de faire face aux échéances à venir, celles qui ont trait à la « formation tout au long de la vie ».
10L’expression d’un socle commun de connaissances et de compétences apparaît de manière explicite en 1993 dans le rapport du Conseil national des programmes. Ce rapport, mobilisant l’argument de la réactivation de l’idéal républicain, plaide pour la mise en place d’une « culture commune, d’un socle commun cohérent de connaissances et de compétences, y compris pratiques et réflexives, devant être transmis au collège ». Il insiste sur le fait que le socle s’adresse à tous les élèves, et plus spécifiquement aux « moyens-faibles », et ne saurait concerner les seuls publics en difficulté. En 1999, le rapport sur le collège rédigé par F. Dubet et M. Duru-Bellat à partir d’une consultation nationale, pointe l’importance d’un collège poursuivant sans les dissocier les deux objectifs de l’accès à un socle commun de connaissances et de compétences et de la préparation des élèves aux études en lycée9. C’est la loi d’orientation du 23 avril 2005 faisant suite au débat national sur l’avenir de l’école organisé par la commission que présidait Claude Thélot (2003-2004), qui arrime clairement le collège unique à la scolarité obligatoire et institue officiellement le « socle commun de connaissances et de compétences ». Le décret d’application du 11 juillet 2006 précise ce qu’il faut maîtriser en identifiant les grandes compétences et les publics-cibles que sont les élèves bons, moyens et faibles10. Si la loi du 11 juillet 1975 se fixait comme mot d’ordre d’amener tous les élèves à recevoir une formation commune au collège, celle du 23 avril 2005 veut s’assurer que la scolarité obligatoire garantit « à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun constitué d’un ensemble de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société ». Cet objectif politique résulte de la prise en compte des orientations européennes, elles-mêmes de plus en plus sensibles aux évaluations de l’OCDE. Le sommet de Lisbonne a adopté en 2000, le principe selon lequel « la société attend de l’éducation et de la formation qu’elles permettent d’acquérir des compétences de base nécessaires pour affronter la vie et le travail ».
11Mais concrètement, le collège visant à promouvoir un socle commun de connaissances et de compétences reste à inventer car on ne note guère de changement dans les pratiques pédagogiques, dans l’organisation des classes, et la réflexion sur les pratiques d’évaluation reste souvent à la porte des établissements quand certaines disciplines résistent à l’approche curriculaire et évaluative par compétences. Claude Lelièvre souligne que dans la mesure où le corps enseignant du secondaire a connu des divisions – entre PEGC d’un côté, dont une part importante étaient des instituteurs, certifiés et agrégés de l’autre –, cela a exacerbé les tensions et l’incapacité des politiques à créer un véritable collège unique : « les deux corps enseignants s’affrontent en vue d’assurer chacun leur hégémonie dans ce degré d’enseignement. » Le corps du primaire (avec son primaire supérieur et son syndicat dominant, le SNI-PEGC) considère que c’est lui qui doit encadrer les élèves du collège dans le cadre d’une école obligatoire unifiée de la maternelle à la fin du collège (selon son projet, « l’école fondamentale », paru en 1973). Le corps des enseignants du secondaire (avec ses certifiés et agrégés, et son syndicat dominant qu’est le SNES) considère qu’il a vocation à assurer l’encadrement des élèves du collège dans le cadre traditionnel du secondaire d’un seul tenant (et de son projet d’« école progressiste11 »).
12Le collège unique, bien qu’il peine à atteindre ses objectifs, a été le théâtre, ces deux dernières décennies, d’avancées remarquables. Les scolarités secondaires des élèves entrés en 6e en 1995 se sont nettement améliorées comparées à celles de leurs camarades entrés au collège en 1989. Mais près de 15 % des élèves arrivés en fin de 3e ne maîtrisent pas les compétences générales attendues, quand dans le même temps, 30 % d’autres élèves ont des difficultés importantes12. Les difficultés des élèves, majoritairement issus de milieu populaire, font face au découragement d’une partie des enseignants ne sachant pas quelles solutions apporter et remettant en cause, pour certains d’entre eux, le projet d’un collège unique. Et comme l’avance J.-P. Delahaye, « Dans une période où les problèmes sociaux font massivement irruption à l’école, il n’est pas indifférent de constater que 70 % des actes de violence signalés par les établissements scolaires le sont par les collèges13 ». C’est le projet d’un tronc commun, mis en balance entre ceux qui défendent une démocratisation de l’accès au savoir pour tous et ceux qui n’y voient qu’une propension à un égalitarisme nivelant « par le bas », qui devient une question éminemment politique.
DES RAPPORTS DÉFENDANT L’IMPORTANCE DE LA PÉDAGOGIE DIFFÉRENCIÉE
13C’est à la rentrée 1977 que les classes de 6e devaient être hétérogènes en accueillant les élèves, dans le cadre d’un « tronc commun de formation ». Mais ce collège unique continuera à répartir des élèves dans des classes hétérogènes entre elles par le jeu des options ; il restera marqué par le maintien d’une rupture à l’issue de la 5e puisque les élèves en difficulté étaient répartis dans des CPPN et des CPA ou encore, ils entraient en 4e préparatoire au sein d’un LEP afin de préparer un CAP. Défendant un collège unique qui ne sera ni « uniforme », ni « ségrégatif » mais plutôt « diversifié », Alain Savary confie une mission à Louis Legrand afin qu’il propose une rénovation du collège. Celui-ci rend un rapport en 1983 Pour un collège démocratique dans lequel il fait différentes propositions comme la constitution de groupes de niveaux assurant un suivi pédagogique par matière mais distincts des classes traditionnelles, et mobilisant des enseignants travaillant en équipe. L. Legrand défend aussi la pédagogie de contrat permettant à chaque élève de choisir, avec l’aide d’un professeur tuteur, son orientation. Pédagogie différenciée, polyvalence des professeurs, autonomie des collèges et organisation pédagogique des enseignements tenant compte des réalités locales sont défendues dans ce rapport. Et c’est ainsi qu’en 1985, le décret du 30 août transforme les collèges et les lycées en EPLE (établissements publics locaux d’enseignement). Les contenus d’enseignement de ce « collège de la réussite » doivent être redéfinis et c’est l’expression de « noyau commun de connaissance » qui est utilisée. En 1994, et suite au rapport rédigé par Alain Bouchez et intitulé Le Livre blanc des collèges14, une nouvelle concertation est lancée par le ministre François Bayrou. Le collège doit s’adapter à chaque élève et à cet effet, son organisation doit être plus souple. C’est ainsi qu’est mise en place en 6e une grille horaire flexible afin de permettre aux élèves de consolider leurs acquis. Le collège est, en 1995, organisé en trois cycles, entérinant la disparition du palier d’orientation en fin de 5e. La prise en compte de l’hétérogénéité suppose de proposer aux élèves des « parcours diversifiés », ce qui peut paraître contradictoire avec l’idée d’un collège unique. En 1998, Ségolène Royal, ministre déléguée à l’enseignement scolaire, organise un nouveau débat en s’appuyant sur le rapport dirigé par F. Dubet. Ce rapport montre que le collège a atteint certains de ses objectifs puisque 89 % des enfants d’ouvriers parviennent en 3e (contre 58 % en 1980). Mais les pratiques pédagogiques comme les manières dont sont organisées les classes créent des inégalités. Les auteurs de ce rapport défendent la nécessité d’amener les collégiens à maîtriser un minimum commun. l’élitisme républicain qui ne vise qu’une excellence définie par la réussite dans les disciplines académiques pour réussir au lycée puis dans l’enseignement supérieur, laisse en suspens le problème du devenir des élèves les moins brillants et surtout, la question de leurs acquisitions scolaires :
Le principe de l’élitisme républicain n’est pas celui du mélange des groupes sociaux et de l’égalité des chances, c’est un mode de sélection des élites invitant les maîtres à distinguer et aider les meilleurs des élèves issus du peuple pour en faire des collégiens boursiers, plus rarement des lycéens15.
14L’élargissement du nombre de collégiens s’opère en même temps que le collège effectue un tri, une sorte de classement préalable aux études en lycée.
15En 2001, le recteur Philippe Joutard fait au ministre Jack Lang des propositions dans son Rapport sur l’évolution du collège16. Défendant un « collège républicain », Ph. Joutard souligne le défi à relever à savoir « l’unité des exigences et la pluralité des parcours ». La difficulté scolaire doit être traitée dans « le cadre des enseignements communs », mais aussi à travers des « actions spécifiques » (ciblant les élèves les plus faibles). Le collège sera alors l’objet de propositions et d’évolutions fondamentalement centrées sur la préoccupation suivante : amener tous les élèves à maîtriser un socle commun de connaissances et de compétences et faire en sorte que soit proposé à chacun d’eux un parcours adapté. Mais à bien des égards, nombre de ces parcours, arrimés à des dispositifs, apparaissent comme une modalité déguisée de rompre avec l’idéal du collège unique17. Le problème du collège réside dans la coupure classique entre le premier degré et le second degré. La mise en place par le décret du 11 juillet 2006 du socle commun de connaissances et de compétences, avec de nouveaux programmes entrés en vigueur à la rentrée 2008, s’appuie sur l’organisation en trois cycles du collège. Ce décret a cherché à rompre avec les deux cycles précédents qui renforçaient les inégalités de parcours et de réussite à l’issue de la classe de 5e. En 2013, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, crée un « conseil école-collège », ayant pour objectif de mettre en place des actions de coopération, d’enseignement et des projets pédagogiques communs. L’accompagnement personnalisé proposé en 6e de l’ordre de deux heures hebdomadaires doit aider les élèves à acquérir une autonomie notamment dans les méthodes de travail.
UN BILAN MITIGÉ DES RÉFORMES SUCCESSIVES : LES ACQUISITIONS SCOLAIRES RESTENT FORTEMENT INÉGALES
16Quarante ans après la réforme Haby, le bilan est mitigé : si le collège a bien participé à l’élévation des niveaux de formation et amené davantage d’élèves vers le second cycle du secondaire, il continue à accueillir un nombre conséquent d’élèves en échec scolaire. Ces difficultés qui sont parfois renforcées par le collège montrent un problème majeur, celui de la difficile prise en compte de l’hétérogénéité – de niveau et de dispositions cognitives – des élèves. Et bien que le taux de redoublement ait enregistré une forte baisse – il passe, en 6e, de 12,1 % en 1997 à 5,5 % en 2008 –, il reste encore supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE et touche essentiellement les élèves issus de milieu populaire. Et comme le souligne Jean-Paul Delahaye, « le collège est le lieu du passage de l’enfance à l’adolescence, et ce passage est compliqué à gérer. Il y a bien plus de différences entre un jeune de 6e et de 3e qu’entre un jeune de 3 et un jeune de terminale18. »
17Les inégalités de réussite observées au collège, pour être fortement dépendantes de l’origine sociale, restent étroitement corrélées au niveau des élèves évalué à l’entrée en 6e. Une enquête de la DEPP (2015) montre que ce niveau est fortement prédictif de l’avenir scolaire de l’élève :
Plus les scores obtenus aux évaluations standardisées de fin de sixième sont élevés, plus ceux obtenus en fin de troisième le sont aussi. Ainsi, en mathématiques, en traitement de phrases lacunaires et en mémoire encyclopédique, plus de 60 % des élèves les plus performants en sixième (4e quartile) le sont aussi en troisième. À l’inverse, pour ces mêmes compétences, moins de 5 % des élèves les plus faibles en sixième (1er quartile) parviennent à se hisser parmi les élèves les plus performants en troisième.
18Le suivi d’un panel d’élèves entrés en 6e en 2007, évalués à deux moments différents – en 6e et en 3e – montre que non seulement le collège n’atténue pas les inégalités sociales de réussite mais aussi, il les renforce en mathématiques et dans l’acquisition du vocabulaire scolaire (mémoire encyclopédique). Les inégalités se maintiennent dans la compréhension de textes courts, la maîtrise syntaxique et le raisonnement logique (celui-ci a été évalué de manière déconnectée de tout contenu scolaire, via de cartes à jouer). « Une première approche descriptive des résultats obtenus aux évaluations standardisées passées par les élèves du panel 2007 en fin de classe de troisième montre que les performances varient selon l’origine sociale et l’environnement culturel. Ainsi, environ un tiers des enfants d’origine sociale défavorisée ne dépassent pas le premier quartile de scores aux évaluations standardisées, c’est-à-dire figurent parmi le quart des élèves qui réussissent le moins bien. À titre de comparaison, cette proportion se situe autour de 10 % chez les enfants d’origine sociale très favorisée pour toutes les épreuves sauf en raisonnement sur cartes à jouer où elle atteint 16 % ». Cette enquête montre aussi l’importance du capital culturel des parents sur la maîtrise de la mémoire encyclopédique. Ainsi, une différence tranchée est observée entre les élèves disposant de moins de 30 livres à domicile et ceux qui disposent d’au moins 200 livres19 : 45 % des premiers obtiennent un score se situant dans le premier quartile contre 9 % des seconds. La conclusion de cette enquête est très pessimiste sur les acquisitions des élèves puisqu’elle met en évidence que les inégalités sociales ne sont pas corrigées par le collège, et qu’elles le sont encore moins s’agissant des épreuves élaborées à partir d’un contenu strictement scolaire. En mathématiques, les résultats sont en phase avec l’enquête PISA 2012 puisque « la relation entre le niveau socio-économique des élèves et leurs performances est la plus grande. De même, les dernières évaluations en mathématiques effectuées dans le cadre du dispositif CEDRE en fin de collège pointent un accroissement des inégalités sociales entre 2008 et 201420 ».
19L’hétérogénéité des élèves, si elle a pu donner lieu à des innovations pédagogiques, n’a guère été jugulée notamment pour la part des publics le plus en difficulté. Aussi, ce n’est pas tant l’échec du collège unique qu’il faut pointer que l’absence de sa réalisation, alors même que l’idée qui lui a présidé est des plus progressistes. Ainsi, on estime à près de 20 % des élèves de collège qui en sortent sans disposer des connaissances et des compétences minimales exigées en fin de parcours. Car l’enjeu est tout autant pédagogique que sociétal – au sens où il s’agit de penser l’école obligatoire comme une modalité particulière et centrale de former des citoyen pour « faire société ». En effet, enseigner à des élèves en les dotant de compétences et de savoirs assurant leur intégration sociale et économique, exige de repenser les pratiques pédagogiques et la relation entre enseignement et apprentissage. Mais le collège a aussi pour mission de préparer à une culture commune qui assure la solidarité et l’apprentissage de la liberté et de son exercice dans l’espace public. Et dès lors que l’on abandonne le collège au choix des parents éclairés, c’est la ségrégation qui prédomine21 et le contraste entre le niveau des élèves, saisi à l’aune de la comparaison entre établissements, offre une réalité bien éloignée du projet politique d’un collège unique (mais non uniforme). La culture commune ne signifie pas l’ignorance de la diversité des parcours mais plutôt l’attention portée à des apprentissages communs, assurant à chacun la possibilité de poursuivre des études et de s’adapter aux exigences intellectuelles et symboliques. Cela suppose une volonté politique de former des enseignants de manière à ce qu’ils soient capables tout autant d’enseigner des savoirs, d’aider les élèves à construire des compétences et de pratiquer une pédagogie différenciée qui exige à son tour un apprentissage professionnel. Cela nécessite également d’ouvrir la pédagogie sur des enjeux sociétaux en partant des élèves et de ce que l’avenir exige comme compétences, de manière à ce que les ressources intellectuelles dont ils disposent leur assurent une vie meilleure. Dubet et Duru-Bellat considèrent que « la priorité démocratique, c’est de définir la culture commune non pas en fonction de ce que les professeurs peuvent offrir, mais en fonction de ce dont les jeunes ont besoin pour vivre pleinement leur vie22. »
20Afin d’apprécier les évolutions affectant le collège – baisse du taux de redoublement et suppression des classes spécialisées – sur l’éventuelle réduction des inégalités de réussite, J.-P. Caille a identifié cinq caractéristiques à savoir le niveau d’acquis, l’âge à l’entrée en sixième (caractéristiques scolaires), l’origine sociale, le sexe et l’origine migratoire (caractéristiques sociodémographiques). L’enjeu des cinq caractéristiques retenues est de voir si elles exercent la même influence sur les choix d’orientation alors que le collège a connu des évolutions. On constate que la part des élèves les plus faibles double pratiquement en l’espace de 12 ans parmi ceux qui arrivent de la 6e à la seconde générale et technologique sans avoir redoublé, ni accusé un retard à l’école primaire. Mais ce que l’étude met en évidence, c’est qu’en dépit de l’homogénéisation des trajectoires en collège, l’orientation en fin de 3e reste marquée par le poids de l’origine sociale et par le sexe, les écarts de trajectoire linéaire (sans avoir redoublé, ni accusé de retard avant le collège) entre élèves issus de milieu enseignant et ceux dont les parents sont inactifs restant assez stables. Ainsi :
Dans le panel 1995, 64 points séparaient les enfants d’enseignants de ceux d’inactifs sur les chances de connaître une trajectoire 1 [accès direct en seconde GT], et 15 points les filles des garçons ; douze ans plus tard, ces écarts se sont presque reproduits à l’identique puisqu’ils sont encore respectivement de 63 et 13 points23.
21Comparées aux garçons, les filles connaissent un cheminement plus linéaire au collège et au lycée :
C’est principalement au début du collège que les écarts entre filles et garçons semblent se creuser : les seconds redoublent plus fréquemment que les premières la sixième et la cinquième, et ils sont aussi plus souvent orientés vers une classe spécialisée avant la troisième24.
LES ÉLÈVES INTÉGRANT LA VOIE PROFESSIONNELLE SONT DE PLUS EN PLUS « À L’HEURE » MAIS CONNAISSENT DAVANTAGE DE TAUX DE REDOUBLEMENT QUE LES AUTRES ÉLÈVES
22On constate que la part d’élèves qui entrent dans la voie professionnelle sans avoir redoublé ni fréquenté une classe spécialisée
a quasiment doublé en douze ans : elle passe de 11 % à 21 % […] Mais les parcours des élèves qui appartiennent à cette trajectoire n’échappent pas aux mutations récentes du collège. La part d’entre eux qui ont redoublé reste élevée, mais diminue significativement : les trois quarts des élèves entrés en sixième en 1995 qui avaient connu cette trajectoire avaient redoublé au moins une fois contre seulement un élève sur deux aujourd’hui25.
23Les élèves qui empruntent cette voie sont plus jeunes, même si globalement, et comparés à ceux qui rejoignent la voie générale et technologique, ils sont plus âgés. Les part des élèves âgés de 15 ans entrant soit en lycée professionnel, soit en apprentissage a fortement progressé, passant de 21 % en 2002 à 42 % en 2014. On note néanmoins que si « les redoublement avant la troisième diminuent de moitié, tombant de 51 % à 25 %26 », les redoublements de la troisième s’accroissent, passant de 4 % à 8 %, comme si à ce niveau, refaire une année s’avérait crucial afin de choisir son orientation.
24Mais ce que cette étude pointe, c’est que les élèves qui intègrent la voie professionnelle, parce qu’arrivant en fin de 3e avec des acquis fragiles, ont aujourd’hui un plus faible niveau. Cette faiblesse est plus marquée en 6e lorsqu’on compare le niveau de ces élèves avec celui de leurs camarades il y a 12 ans. Les trajectoires 2 (un accès direct en seconde professionnelle à l’issue du collège sans redoublement) et 5 (une orientation consentie vers la voie professionnelle)
rassemblent, dans le panel 2007, les deux tiers des élèves parvenus en sixième avec un niveau d’acquis les plaçant parmi le quart de collégiens les moins performants et plus de sept élèves âgés de 12 ans sur dix. Ces trajectoires comptent aussi un enfant d’ouvriers non qualifiés ou d’inactifs sur deux et plus du tiers des garçons, contre seulement moins d’un enfant de cadres ou d’enseignants sur dix et une fille sur quatre27.
25L’étude de J.-P. Caille souligne qu’en dépit de leur plus jeune âge par rapport à l’ancienne cohorte, les élèves entrés en 6e en 2007 et intégrant la voie professionnelle n’ont pas de meilleurs acquis scolaires, ce qui attesterait du maintien de la faible attractivité de cette orientation. La réforme du bac pro en 3 ans ne paraît donc pas avoir exercé un effet d’attractivité – notamment sur les élèves ayant connu une trajectoire linéaire – mais comme l’observe Caille, le renforcement de la part des élèves ayant un niveau d’acquis faible au sein de la voie professionnelle constitue « le signe de progrès de scolarisation non négligeables en direction des jeunes qui connaissent les situations scolaires les plus vulnérables au début des études secondaires28 ». Aussi, l’attention doit être apportée aux élèves les plus fragiles scolairement à l’entrée en 6e de manière à mieux les préparer aux études dans la voie professionnelle. Cela est d’autant plus nécessaire que les risques de décrochage parmi ce public sont élevés :
l’abandon des études cinq ans après l’entrée en collège est un événement qui reste beaucoup plus fréquent quand l’élève est arrivé en sixième avec un retard scolaire : respectivement 16 % des élèves du panel 2007 âgés de 13 ans à leur entrée en 6e et 6 % de ceux qui avaient 12 ans sont sortis précocement alors que moins de 1 % des élèves « à l’heure » ou en avance connaissent une telle situation scolaire29.
26Par ailleurs et à résultats scolaires comparables – notamment lorsqu’ils ont connu une trajectoire qui les prédisposerait à effectuer ce choix, de faibles acquis et un retard d’au moins un an à l’arrivée en 6e –, les filles et les enfants d’immigrés manifestent des réticences pour la voie professionnelle. « Entre 1996 et 2011, les redoublements de la cinquième ont été divisés par six, ceux de la sixième et de la quatrième par trois, tandis que ceux de la troisième diminuaient de moitié30 ». Cette étude s’interroge sur les effets de cette baisse du redoublement et de la suppression des quatrièmes d’aide et de soutien quant à l’équité du système éducatif. La comparaison de trajectoires d’élèves au cours du premier cycle de l’enseignement secondaire et ce, de deux cohortes à savoir le panel 1995 et 2007, apporte des réponses. Le collège unique, malgré l’homogénéisation des parcours, continue à être marqué par une dualité des trajectoires, entre élèves parvenant en fin de troisième sans retard ni difficultés scolaires et élèves qui connaissent « des cheminements scolaires plus tortueux, affectés par des redoublements ou des orientations plus ou moins voulus31 ». L’étude met en lumière le poids plus déterminant du diplôme des parents et notamment celui de la mère. Quand celle-ci détient un diplôme élevé, l’enfant a davantage de chances de parvenir, selon un parcours linéaire, en seconde générale et technologique.
LES ATTENDUS DE LA RÉFORME DU COLLÈGE EN 2016 : UN SOCLE PLUS AMBITIEUX
27Faisant suite à la concertation organisée par le ministre Vincent Peillon en 2012 et ayant débouché sur la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013, la réforme du collège entrant en vigueur à la rentrée 2016 innove sur plusieurs points, et ponctue les réformes engagées antérieurement autour du Socle commun. Le rapport issu de la concertation a plaidé pour un « collège repositionné » en pointant ses dysfonctionnements et ses insuffisances :
Pour gérer l’hétérogénéité scolaire, le collège unique, devenu au cours des années largement une fiction, doit assumer la continuité avec l’école primaire. Il faut en finir avec la multiplication des systèmes optionnels et la ségrégation croissante entre collèges afin de construire une réelle mixité scolaire, bénéfique pour la réussite de tous. Les objectifs du collège doivent clairement s’inscrire dans la double logique du socle commun de la scolarité obligatoire et de la poursuite d’études dans le second cycle. Il doit préparer à toutes les voies du lycée, grâce à une pédagogie renouvelée et une attention portée au développement de l’enfant, en mariant cadrage national fort (contenu des programmes, horaires disciplinaires, formes de certification, référentiels de formation initiale des personnels…) et souplesse dans la mise en œuvre pédagogique. Il doit, enfin, se soucier du développement des enfants et adolescents qui lui sont confiés32.
28Alors que la loi de 200533 avait affirmé que le socle commun définissait le minimum auquel chaque élève avait droit, la dernière réforme fait de ce socle le cadre de référence ponctuant la scolarité obligatoire. Devenant l’horizon de cette scolarité, tous les contenus enseignés, les programmes, comme les enseignements complémentaires (enseignements pratiques interdisciplinaires et accompagnement personnalisé) doivent être au service du socle. Les enseignements optionnels n’ont alors plus de sens puisqu’ils contribuaient à renforcer les inégalités d’acquisitions entre élèves et sous-entendaient que seule une partie du public pouvait bénéficier de l’exigence scolaire. Les enseignements complémentaires ne complètent, en réalité, aucun enseignement puisqu’ils sont partie-intégrante des enseignements obligatoires. L’objectif du ministère est d’amener les professeurs à enseigner et à évaluer autrement. La réforme vise à faire correspondre socle et programmes. C’est le socle commun de connaissances, de compétences et de culture qui est le moyen et l’horizon de la scolarité obligatoire34. Les enseignements dits complémentaires ont pu susciter des réserves chez les enseignants, car ils apparaissaient comme extérieurs aux disciplines – et comme susceptibles d’en affaiblir le volume d’enseignement dispensé – alors qu’ils sont constitutifs des programmes. Cette loi de 2013 ajoute la notion de « culture » à celle de socle commun et institue le fait que les éléments de celui-ci, comme les modalités de son acquisition, sont fixés par décret et après avis du Conseil supérieur des programmes35. Amener l’élève « au meilleur niveau de maîtrise possible » du socle, comme l’affirme le décret du 19 mai 2015, contraste avec l’idée d’un minimum commun36.
29Alors que certaines voix s’élèvent, au sein du monde médiatique comme chez des syndicats enseignants pour dénoncer le « nivellement par le bas » que le collège unique favoriserait, et pour défendre un retour à une orientation à mi-parcours du collège, les observations objectives mettent en évidence que les inégalités d’acquisition chez les élèves sont plus fortes quand les structures d’enseignement opèrent une sélection précoce lors de la période de scolarité obligatoire. Par ailleurs, et les enquêtes PISA le confirment, plus les établissements accueillent des publics scolairement homogènes – soit, dans l’absolu, des établissements n’accueillant que des bons élèves et des établissements n’accueillant que des élèves en difficulté –, plus les inégalités scolaires se creusent. Avec l’école du socle, on peut dire qu’à défaut d’avoir réalisé une véritable démocratisation scolaire, la réforme du collège – qui prolonge aussi celle de l’enseignement primaire dont le cycle 3, CM1-CM2-6e, constitue avec le collège le trait d’union – marque une mutation : elle tente de faire basculer le modèle de l’égalité des chances vers celui de l’obligation de résultats.
30L’âge de l’obligation scolaire est toujours fixé, depuis le début de la Ve République à 16 ans. Pourtant, et dans les faits, la majorité des élèves poursuivent leurs études à l’issue du collège. L’accueil des élèves dans les lycées a connu des transformations sensibles dont la plus significative est bien celle de la diversification des filières préparant au baccalauréat. Ce titre scolaire constitue aujourd’hui moins un diplôme de fin de scolarité du secondaire qu’un bien symbolique permettant la poursuite d’études dans l’enseignement supérieur. L’exemple le plus emblématique de cette évolution est incarné par le baccalauréat professionnel. Créé en 1985 en vue d’élever les niveaux de qualification et pour répondre à de nouveaux besoins du marché du travail, ce diplôme, en consacrant « l’ouvrier bachelier37 », favorise chez ses titulaires une propension à la poursuite des études dans l’enseignement supérieur38. Ce faisant, ce sont les missions même du lycée professionnel qui s’en trouvent modifiées alors que dans le même temps, les enseignants de collège restent surtout rivés sur le devenir des seuls élèves entrant en seconde générale et technologique.
Notes de bas de page
1 Bouchez, 1994.
2 Dubet et Duru-Bellat, 2000.
3 Charlot, 1994.
4 Robert, 1998, p. 87
5 Prost, 2013, p. 191.
6 La réforme Capelle-Fouchet institue, via le décret du 3 août 1963, le collège d’enseignement secondaire (CES).
7 Lelièvre, 2012, p. 12.
8 Lelièvre, 2012, p. 57.
9 Jean-Paul Delahaye observe que la conception qui a prévalu et qui explique tant de résistances au collège unique, à savoir son statut de propédeutique au lycée et à la culture générale, s’est renforcée de la minoration de la place de l’enseignement de la technologie, considérée comme peu « utile » et surtout comme ne concernant pas l’élite scolaire : « Parce que l’on a choisi le “secondaire inférieur”, le premier cycle des lycées donc, et non une voie intermédiaire entre l’école primaire et le lycée comme matrice pour le collège unique, les élèves qui ne se destinent pas à l’enseignement général du lycée sont devenus, à des degrés divers, des élèves en difficulté “à orienter”. En prenant cette option, on a ainsi gommé tout ce qui pouvait ressembler à la mise en place d’un tronc commun portant en germe toutes les diversifications à venir pour maintenir, coûte que coûte, l’hégémonie du seul enseignement général de disciplines préparant à des études longues. Les obstacles rencontrés depuis 1975 pour élaborer un socle commun ou encore l’histoire de la disparition de l’enseignement technique dans le tronc commun du collège, car de fait considéré comme inutile pour les futurs bacheliers de l’enseignement général, sont à cet égard exemplaires. Ne retenir dans le tronc commun du collège que les contenus disciplinaires qui préparent à l’enseignement général des lycées, ce n’est pas construire l’école moyenne pour tous mais c’est faire comprendre à une partie des élèves que le collège qui les accueille n’a pas été pensé pour eux ». (Delahaye, 2007, http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/pages/analyses_79_accueil.aspx).
10 Une lecture hâtive des différentes réformes du système éducatif sous l’angle d’une sociologie de l’action publique pourrait conduire à surestimer les discours de rupture tenus par les femmes et les hommes politiques, attachés à marquer leurs différences avec les majorités et les gouvernements précédents. En réalité, lorsqu’on se penche sur les différents textes et lois des 40 dernières années, on observe une certaine régularité et continuité dans les objectifs assignés à la scolarité obligatoire. Ainsi, et pour ne prendre que l’exemple des lois du 10 juillet 1989 et celle du 23 avril 2005, on repère de fortes similitudes comme l’observe Sylvie Aebischer (2010) : « Une lecture attentive du texte de la loi de 2005 et de son rapport annexé nous invite à la prudence : derrière les affirmations pédagogiques, nous retrouvons des considérations sur l’organisation de l’école et sa nécessaire adaptation aux transformations de la société très proches du projet réformateur de 1989. Ainsi l’ouverture de l’école est réaffirmée au travers d’une “éducation concertée” avec les parents, d’une concertation avec les associations, les collectivités locales, les entreprises. La dimension internationale et européenne de l’enseignement est soulignée. Le projet d’établissement est reconduit et les établissements conquièrent une nouvelle autonomie pédagogique : la création des “conseils pédagogiques”, présidés par le chef d’établissement et réunissant les professeurs principaux ainsi que des représentants de chaque discipline enseignée dans l’établissement, appelle à la réflexion pédagogique au sein de l’établissement, notamment pour nourrir le projet d’établissement et mettre en cohérence les différentes démarches initiées au sein des équipes enseignantes. Enfin l’article 34 de la loi de 2005 prévoit la possibilité d’expérimentations pédagogiques pour les établissements, sous réserve de validation par les autorités académiques. »
11 Lelièvre, 2012, p. 62-63.
12 Cf. Haut conseil de l’éducation, Recommandations du Haut conseil de l’éducation pour le socle commun, 23 mars 2006.
13 Delahaye, 2013, p. 175.
14 Cf. Le Livre blanc des collèges, rapport remis à F. Bayrou, ministre de l’Éducation nationale, 1994.
15 Dubet et Martuccelli, 1998, p. 150.
16 Cf. Joutard, 2001, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/014000307.pdf.
17 Parmi les dispositifs, il y a : l’introduction de l’alternance en classe de 4e, dans le cadre des « dispositifs d’aide et de soutien » (2003), les élèves effectuent des stages en entreprise ; la classe de 3e d’insertion, qui permet aux élèves d’effectuer des stages tout en suivant des enseignements, l’objectif étant de construire un projet personnel et professionnel en vue de préparer un CAP ; l’apprentissage junior, possible à la rentrée 2006, concerne les élèves âgés d’au moins 14 ans, qui peuvent sous statut scolaire dans un premier temps (en collège, LP ou CFA) suivre des stages d’initiation aux métiers, puis dans un second temps, dès l’âge de 15 ans, de signer un contrat d’apprentissage ; les dispositifs relais, destinés aux élèves en risque de décrochage et ayant un besoin d’une aide en vue de se remobiliser sur les études, parfois via une sortie temporaire du collège en partenariat avec des structures éducatives relevant du travail social, avec le ministère de la justice, les collectivités territoriales, etc.
18 Conférence au Haut Conseil de l’éducation, 21 janvier 2010.
19 Il s’agit bien de données quantitatives qui ne renseignent ni sur le lien entre le nombre de livres possédés par la famille et la lecture, ni sur la manière dont un capital culturel objectivé est ou non approprié par le lecteur. Des observations sociologiques plus qualitatives mettent en lumière le fait qu’un capital culturel peut rester à l’état de patrimoine mort. Voir Bernard Lahire, 1998.
20 PISA, 2012, p. 4.
21 Van Zanten, 2009.
22 Dubet et Duru-Bellat, 2000, p. 174-175.
23 Caille, 2014, p. 13.
24 Caille, 2014, p. 18.
25 Caille, 2014, p. 9-10.
26 Caille, 2014, p. 11.
27 Caille, 2014, p. 19.
28 Caille, 2014, p. 19.
29 Caille, 2014, p. 34.
30 Caillé, 2014, p. 5.
31 Caille, 2014, p. 7.
32 Refondons l’école de la République », rapport de la concertation, MEN, 2012, p. 35. http://www.Éducation.gouv.fr/archives/2012/refondonslÉcole/wp-content/uploads/2012/10/refondons_l_École_de_la_republique_rapport_de_la_concertation1.pdf.
33 Le rapport de la Commission du débat national sur l’avenir de l’école présidée par Claude Thélot et qui a inspiré la loi de 2005 indique que « Ce socle commun ne constitue pas la totalité de ce qui est enseigné à l’école et au collège, mais doit contenir ce qui est indispensable pour réussir sa vie au xxie siècle » (cf. Thelot, 2004).
34 S’agissant de la définition du socle commun à atteindre en fin de scolarité obligatoire, l’article l 122-1-1 du code de l’éducation indique qu’il doit « garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l’ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité. ». Il précise également que « le socle doit permettre la poursuite d’études, la construction d’un avenir personnel et professionnel et préparer à l’exercice de la citoyenneté. Les éléments de ce socle commun et les modalités de son acquisition progressive sont fixés par décret, après avis du Conseil supérieur des programmes ».
35 L’article D 332-2 (loi de 2013) stipule que « le collège dispense à chaque élève, sans distinction, une formation générale qui lui permet d’acquérir, au meilleur niveau de maîtrise possible, le socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini en application de l’article L. 122-1-1 et dont l’acquisition a commencé dès le début de la scolarité obligatoire. »
36 La réforme a suscité des résistances et parfois des oppositions notamment parce qu’elle conduirait à diminuer les heures d’enseignements disciplinaires au profit d’enseignements interdisciplinaires. Hormis le fait que ces enseignements contribuent aussi à développer les compétences disciplinaires, ce qu’ils doivent d’ailleurs viser, ils supposent aussi des évolutions dans les pratiques pédagogiques des enseignants, ce qui ne va pas toujours de soi. Par ailleurs, les critiques à l’égard de cette réforme ont souvent pris comme argument l’affaiblissement de la place des langues anciennes puisque le latin et le grec risquent d’être bien minorés, et c’est en partie sur les dotations horaires qui leur étaient consacrées que les collèges vont puiser afin de mettre en place les enseignements complémentaires (enseignements pratiques interdisciplinaires et accompagnement personnalisé). Si les langues anciennes ne disparaissent pas pour autant, il convient de rappeler qu’elles étaient surtout choisies par les élèves issus de milieu social favorisé. Une enquête de la DEPP montre, en 2015, que « l’étude du latin demeure fortement liée à l’origine sociale. Ainsi, en classe de cinquième, seulement 12,5 % des élèves d’origine sociale défavorisée apprennent le latin, contre 31,0 % des élèves d’origine très favorisée. Le constat est le même en classe de troisième : 9,8 % des élèves de milieu défavorisé étudient le latin, contre 24,9 % des élèves de milieu favorisé » (DEPP, RERS, 2015, p. 126).
37 Eckert, 1999.
38 Jellab, 2015a.
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La mobilité sociale dans l’immigration
Itinéraires de réussite des enfants d’origine algérienne
Emmanuelle Santelli
2001