Chapitre 4. Les inégalités de réussite à l’épreuve de l’idéal républicain de l’égalité des chances et du mérite
p. 195-215
Texte intégral
Je peux nommer celle qui m’a fait découvrir Mahler, celui qui m’a montré où il y avait des cerises à grappes, ceux qui ont arraché des choses à la fluidité du monde, qui les ont isolées du reste pour les mettre au centre de mon attention, qui leur ont donné du sens à mes yeux. Je sais aussi que seules des personnes qui avaient un « certain sens » à mes yeux ont pu faire cela […] enseigner, c’est désigner, en tant que représentant d’une collectivité, les routes qui mènent aux formes supérieures du monde commun. Qu’est-ce que l’on enseigne ? On enseigne en tout premier lieu, et sans s’en rendre compte, son propre rapport passionnel à la chose qui fait l’objet de l’enseignement. Comment enseigne-t-on ? On enseigne dans le cadre et par le détour d’une institution1.
1La première enquête d’envergure menée en France et traitant du devenir de cohortes d’élèves date de 1962. Menée par Alain Girard et Henri Bastide (INED), l’enquête dite de « cheminement », s’étalant sur une période allant de 1962 à 1972, allait montrer de manière relativement fine l’influence de multiples variables sur le devenir scolaire des élèves. Portant sur le devenir d’élèves ayant achevé leur CM2, cette enquête retient les variables suivantes : les caractéristiques démographiques (sexe et âge), scolaires (niveau de réussite en CM2 et appréciations des enseignants) et sociales (le niveau scolaire des parents, leur métier, leur lieu de résidence). Le suivi de cette cohorte, représentative de l’ensemble des élèves d’une classe d’âge, a pu permettre des observations, en particulier pour saisir le processus de sélection et de « mortalité scolaire » affectant différemment les élèves. Si les enfants n’ont pas les mêmes performances en fin de CM2, ils se différencient aussi par l’âge. Celui-ci est étroitement corrélé à la réussite scolaire : plus l’âge s’élève (par rapport à l’âge moyen des élèves scolarisés dans une classe d’âge), plus les chances de réussite diminuent. A. Girard et H. Bastide (1973) relèvent aussi que les résultats scolaires n’expliquent pas totalement l’accès en 6e. Cet accès est aussi influencé par l’origine sociale. Le capital économique et surtout le capital culturel (mesuré en référence au niveau d’études des parents) expliquent fortement ces différences de parcours scolaire. C’est à partir de cette recherche pionnière que les sociologues de l’éducation vont explorer de manière plus détaillée, les processus rendant compte des inégalités scolaires face et dans l’école. Finalement, la scolarité ne prend sens que ramenée aux parcours variés qui, à chaque bifurcation, obligent à faire des choix socialement différenciés. Les enquêtes portant sur les inégalités des parcours scolaires se sont développées en France et dans les pays industrialisés dans les années 1960. L’une des plus emblématiques est celle menée aux États-Unis par James Coleman.
LE RAPPORT DE JAMES COLEMAN : DES INÉGALITÉS DE RÉUSSITE COMME EFFET DE LA SÉGRÉGATION SOCIALE
2En 1966, et suite à une requête du Congrès américain, le sociologue James Coleman publie un rapport, Equalitty of Educational Opportunity (1966) traitant des inégalités au sein du système éducatif aux États-Unis. Ce rapport tente de répondre à deux interrogations majeures : quel niveau d’inégalité des chances peut-on déterminer entre les groupes sociaux, raciaux et ethniques ? En quoi cette inégalité est-elle imputable au système éducatif ? James Coleman soutient que les inégalités de réussite, liées à l’origine sociale des élèves et constatée à l’entrée de l’école, sont confirmées durant la scolarité, de sorte que le système éducatif américain favorise l’échec. L’enquête empirique s’est étendue sur plusieurs mois, a porté sur des centaines d’écoles (plus de 4 000 et sur cinq niveaux d’étude différents) et a concerné 645 000 élèves. Les tests passés par les élèves concernaient la performance verbale, les mathématiques et des éléments de culture générale. Les variations inter-écoles et intra-écoles quant aux réussites individuelles ont été mesurées. J. Coleman observe que les variations de réussite intra-écoles sont supérieures aux variations inter-écoles et ce, pour tous les groupes sociaux et ethniques. Les différences entre les élèves s’observent dès le premier niveau – l’équivalent du cours préparatoire en France –, ce qui accréditerait le postulat d’inégalités sociales et individuelles indépendantes du type d’école fréquenté. Cette enquête met aussi en évidence le poids inégal des caractéristiques du corps scolaire – spécificités des élèves, de leurs aspirations, du groupe de pairs – sur la réussite selon l’origine sociale. Les enfants blancs et orientaux américains qui réussissent le mieux sont moins influencés par le corps scolaire. Ce sont les élèves les plus sensibles aux caractéristiques du corps scolaire qui s’avèrent être également les plus dépendants des caractéristiques du corps enseignant2. Si les ressources financières dont disposent les établissements influencent la réussite des élèves, c’est leur origine socioculturelle et ethnique qui est la plus agissante. La ségrégation scolaire se combine avec l’effet-école (School Effects) pour produire l’échec scolaire. Elle se remarque par le fait que Blancs et Noirs ne sont pas scolarisés dans les mêmes écoles. Dans les années 2000, malgré la politique de « déségrégation » entamée par les autorités de plusieurs États américains (notamment dans les États du Sud) et alors qu’elle reste minoritaire, la moitié de la population noire est scolarisée dans des écoles accueillant surtout des Noirs (All-Black schools). Le modèle théorique adopté par J. Coleman est très proche de celui des économistes à savoir évaluer les effets induits par une variable – l’école en l’occurrence – sur une autre variable – les apprentissages scolaires –, autrement dit, appliquer le modèle de l’input et de l’output (input and output model). L’école étant une sorte de boîte noire (black-box model), on peut en mesurer les effets si l’on compare les performances des élèves à l’entrée puis à la sortie. La prise en compte de variables tels que les équipements d’école, les programmes d’enseignement, la qualification des professeurs, leurs attitudes et les caractéristiques des élèves, laisse apparaître que la réussite de ces derniers doit davantage à l’origine sociale, les inégalités observées ne sont pas corrigées par les écoles. Pour J. Coleman, la mixité sociale augmenterait les chances de réussite, davantage que les ressources éducatives dont disposent les écoles. Il cherche à défendre le principe de l’égalité des chances, un principe non défini mais que l’on peut lire en creux, puisqu’il est posé comme l’antithèse de l’inégalité des chances scolaires. Celles-ci s’identifient aux discriminations dont les minorités aux États-Unis font l’objet. L’égalité des chances peut être favorisée par l’augmentation de l’impact de l’expérience scolaire sur les apprentissages individuels. Si le rapport a suscité de nombreux commentaires et critiques, notamment parce qu’il n’analyse pas suffisamment le poids des effets institutionnels sur les apprentissages (l’effet-école reste ambigu dans la mesure où il est renvoyé aux caractéristiques sociales des élèves, et les variations inter-écoles apparemment peu agissantes comparées aux variations intra-écoles, tiendraient au choix des écoles observées qui restent assez homogènes), il a ouvert de nombreux chantiers pour penser sociologiquement et politiquement l’égalisation des chances3.
QUAND LES COMPARAISONS INTERNATIONALES METTENT L’ÉCOLE FRANÇAISE EN EXAMEN
3Il serait hâtif de penser que la comparaison entre les systèmes d’éducation ne date que d’aujourd’hui. En 1817, le révolutionnaire Marc-Antoine Jullien, publie dans le Journal d’éducation une « esquisse d’un ouvrage sur l’éducation comparée ». Il se fixe comme projet de découvrir des invariants de la réussite scolaire en comparant les établissements d’éducation de toute l’Europe. Dans une époque marquée par l’essor des sciences de la nature et du positivisme, la comparaison devenait un outil intellectuel permettant de soumettre à examen et à observation, à une échelle réelle et de manière quasi-expérimentale, des objets d’études pour en dégager des enseignements pratiques.
4En 2005, le Haut Conseil de l’évaluation de l’école (HCEE) a estimé que la France devait davantage tenir compte des comparaisons internationales pour conduire de nouvelles politiques scolaires. La recherche en éducation ne doit plus être l’affaire des seuls spécialistes mais devra aussi servir la prise de décision politique. Les deux modes de comparaison auxquels les pays ont recours sont d’une part l’enquête PISA qui est organisée par l’OCDE, et d’autre part les indicateurs internationaux de comparaison des systèmes éducatifs que l’OCDE publie tous les ans. Si ce second mode de comparaison, non exempt de biais méthodologiques, fait souvent consensus, le premier, parce qu’il analyse non pas l’organisation des systèmes éducatifs mais la performance des élèves est beaucoup plus sensible et prête à polémique. La question de l’évaluation des acquis des élèves n’est pas non plus nouvelle. L’International Association for the Evaluation of Educational Achievement (IEA), créée en 1961, va mettre au point des outils permettant de comparer les données recueillies quant aux acquis d’élèves de différents pays, notamment en mathématiques et en sciences. La mondialisation économique et des échanges entre les nations n’a pas manqué d’ériger la question éducative au rang des préoccupations premières tant les liens entre niveau d’éducation et développement économique paraissent étroits. Dans les pays occidentaux, la culture de l’évaluation, bien que variable d’un pays à l’autre, se répand et les comparaisons des performances d’élèves deviennent tout autant un indicateur de la qualité des systèmes éducatifs que des choix politiques entrepris. Les évaluations PISA montrent que la France est l’un des pays dont le système éducatif est des plus inégalitaires puisque les différences de performance entre élèves doivent davantage à l’école qu’à l’origine sociale qui, elle, reste des plus déterminantes du parcours scolaire. Dit autrement, au lieu de les réduire, le système éducatif français renforce les inégalités sociales préalables en créant davantage d’écarts de performance entre élèves issus de milieu favorisé et élèves issus de milieu populaire. Pourtant, ce système français ne connaît pas que des « ratés » puisqu’il a contribué à élever le niveau de compétences depuis 40 ans, en mobilisant des investissements publics lourds et conséquents, et en allongeant le temps de scolarisation de génération en génération (de l’école maternelle à l’enseignement supérieur). L’élévation du niveau de compétences se remarque dans la part des jeunes accédant à l’enseignement supérieur. Ainsi, en France, 40 % des 25-34 ans sont diplômés du supérieur quand c’est le cas de 32 % de leurs parents. L’État français alloue près de 63 milliards d’euros à son système éducatif. Il faut noter néanmoins qu’entre 2008 et 2011, les dépenses d’éducation ont augmenté de 2 % quand les dépenses publiques globales ont progressé de 5 %.
5Il n’empêche que l’élévation des niveaux de formation et de la part des jeunes poursuivant plus longtemps leurs études cache des disparités entre ceux qui sont issus de milieu favorisé et ceux qui proviennent de milieu populaire. Les principaux bénéficiaires de l’allongement de la scolarité, notamment dans l’enseignement supérieur, ne sont pas ceux dont les parents sont les moins qualifiés. Quand un élève a des parents diplômés du supérieur, il a six fois plus de probabilité d’accéder à son tour à ce niveau d’enseignement, comparé à l’élève dont les parents n’ont pas atteint le niveau du secondaire ou du baccalauréat.
L’ÉCLAIRAGE DES ENQUÊTES PISA
6Les enquêtes PISA (Programme for International Student Assessment, traduit en Programme international pour le suivi des acquis des élèves) se sont rapidement imposées comme la figure idéale-typique de l’évaluation internationale des élèves. Si ces enquêtes éclairent fortement sur les acquis des élèves, c’est parce qu’elles sont constamment soumises à des débats scientifiques, débats qui puisent leur origine dans les évaluations antérieures, notamment celles menées par l’IEA (International Association for the Evaluation of Educational Achievement). L’écho de PISA tient à la richesse des données collectées et notamment pour ce qui est des caractéristiques sociales et démographiques des élèves, de leur milieu familial, des ressources dont ils disposent, du rapport à l’école, de leur manière de travailler ainsi que de leurs projets. Les épreuves PISA évaluent des domaines de compétences (compréhension de l’écrit, mathématiques, sciences) conçus par des experts et des spécialistes mondiaux organisés en comités. Très complète, l’évaluation de la compréhension de l’écrit mesure la capacité de prélever des informations, de les interpréter en en dégageant les implicites et le sens, et de les évaluer (capacité à émettre un jugement). Les épreuves de PISA sont plus en phase avec les compétences assurant une adaptation des élèves à la vie. Il s’agit de voir si l’école est capable de « doter les élèves de capacités qui les aident à vivre dans le monde, à porter des jugements de façon autonome4 ». Des données plus contextuelles sont également recueillies telles les caractéristiques des établissements scolaires, leurs moyens financiers et matériels, leurs configurations pédagogiques et les modes de recrutement des élèves.
Une progressive prise en compte des enquêtes PISA par les politiques en France
7Mais le programme PISA, piloté par l’OCDE, a pour originalité d’évaluer des performances et leurs scores individuels en scrutant les capacités des élèves à mobiliser des connaissances dans des situations ordinaires, celles de la vie quotidienne. L’adhésion aux évaluations PISA ne fut pas sans résistance, car la culture de l’évaluation en France reste très scolaire et peu tournée vers l’appréciation des capacités des élèves à mobiliser des connaissances et des compétences dans la vie réelle (ou extra-scolaire). La seule exception reste l’enseignement professionnel et dans une moindre mesure l’enseignement technique (devenu technologique). Comme le souligne Christian Forestier,
Si la France avait eu jusqu’à PISA une politique chaotique en matière de participation aux évaluations des acquis des élèves, c’est qu’il y avait quelques difficultés à accepter l’idée qu’il était possible de comparer le « niveau » des élèves à un moment donné d’un cursus scolaire, cela signifiant que ce fameux « niveau » soit mesurable autrement que par une note comprise entre zéro et vingt. Une idée qui ne fait pas partie de la culture de la communauté éducative française, même au pays d’Alfred Binet. Mais depuis 1997, c’est-à-dire depuis le lancement de PISA, la France « joue le jeu5 ».
8On peut dire que c’est surtout à l’issue des évaluations PISA 2009, que les résultats sont scrutés avec la plus grande attention. La réception des enquêtes PISA n’allait pas de soi car elle supposait l’existence de configurations politiques spécifiques, liées notamment à la place qu’occupe l’éducation sur les agendas politiques. C’est ce que montre une analyse mêlant sociologie de l’éducation, sociologie de l’action publique et de la connaissance. Traitant de la réception de l’enquête PISA en France dans le débat public national entre 2001 et 2008, Nathalie Mons et Xavier Pons rappellent que
La « réception » ne désigne pas ici une simple transmission verticale de messages du niveau international vers le niveau national, mais une activité cognitive au cours de laquelle des messages sont perpétuellement acceptés, refusés ou renégociés6.
9Ce sont des configurations spécifiques, faites d’interdépendances entre des acteurs du débat public – comme l’actualité de la politique éducative, les intérêts portés par des groupes professionnels, les experts et leur rôle notamment dans la légitimation de l’évaluation – qui concourent à favoriser plus ou moins la réception des évaluations PISA. Ainsi, lors de la publication des résultats de PISA en décembre 2001, elle a reçu peu d’écho à la veille d’une élection présidentielle, celle de 2002, d’autant plus que le bilan était défavorable aux politiques scolaires conduites entre 1997 et 2002. De plus, les tensions entre le ministre de l’époque, Claude allègre, et les enseignants étaient telles que faire appel aux enquêtes internationales aurait pu être considéré comme une provocation politique. La donne évolue à partir de 2004, quatre ans après la stratégie de Lisbonne. Les pays membres de l’Union européenne définissent ainsi de nouvelles priorités à leurs systèmes éducatifs dans le cadre de la formation tout au long de la vie. En France, l’entrée en vigueur en 2006 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) oblige les différents ministères à établir un état des lieux quantitatif et à engager des audits en vue d’améliorer les résultats. Ainsi, la loi d’orientation, votée en juillet 2005, prévoit d’instituer un nouveau mode de pilotage, appuyé sur des indicateurs précis. Ce contexte favorise la prise en compte des enquêtes PISA par les pouvoirs publics ainsi que la participation grandissante des experts français aux instances de conception des épreuves administrées. Dans le même temps, c’est aussi une sorte de politisation de PISA qui est observée :
les responsables politiques de droite s’emparent progressivement de l’outil pour légitimer les changements en cours et, à partir de 2006, préparer les élections présidentielles de 2007, en insistant sur les facteurs de réussite que mettraient clairement en évidence les comparaisons internationales, comme la qualité des enseignants, leur liberté pédagogique ou l’autonomie des établissements7.
10Progressivement, ce sont différents acteurs et groupes sociaux qui se saisissent des enquêtes PISA, tels la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), les syndicats d’enseignants, l’inspection générale de l’éducation nationale, mais également les journalistes. Assez rapidement, c’est la référence au système éducatif finlandais qui, au vu de ses meilleures performances, s’impose de manière récurrente. Mais la réception de PISA a donné lieu à de nombreuses critiques, notamment par des acteurs de la DEPP, organe central du ministère de l’éducation nationale en charge des enquêtes quantitatives. PISA évalue des compétences qui peuvent potentiellement comporter des biais culturels (notamment au niveau des compétences en lecture) mais de son côté, la DEPP impose des modes de recueil de données qui s’avèrent limitatifs (par exemple en ne prenant pas en compte les élèves des établissements privés hors contrat, en refusant d’administrer un questionnaire de contexte aux chefs d’établissement parce que les différents groupes d’élèves ne seraient pas représentatifs de leur type d’établissement, etc.).
Les évaluations PISA et la remise en cause de l’égalité des chances
11À raison d’enquêtes menées tous les trois ans, PISA évalue trois domaines dont l’un est considéré comme majeur : ce fut le cas de la compréhension de l’écrit en 2000 et en 2009, de la culture mathématique en 2003 et 2012 et de la culture scientifique en 2006. PISA cible des élèves d’une même classe d’âge, ceux âgés de 15 ans révolus, ce qui permet de créer des conditions favorables à la comparaison entre les pays, la plupart ayant fixé l’âge retenu comme étant celui de la fin de la scolarité obligatoire. Mais dans la mesure où tous les élèves, selon les pays, ne connaissent pas le même parcours temporel, il est possible d’évaluer indirectement certaines politiques scolaires. Par exemple, en France, le redoublement est davantage pratiqué, ce qui suppose que les élèves évalués ont connu une légère sélection dont on peut supposer un effet sur la réussite aux items. PISA cherche ainsi à identifier l’efficacité et l’équité des systèmes éducatifs. L’idée d’effectuer un suivi des acquis des élèves tous les trois ans suppose que les pays participants sauraient dégager des enseignements de l’évaluation, et mettre en œuvre des politiques scolaires bien au fait des lacunes et des modalités pour y remédier. D’un point de vue pratique, PISA procède par des questions exigeant des réponses à des items, par l’estimation des valeurs plausibles ainsi que par une définition des échantillons d’élèves selon des variables contextuelles (prise en compte de la taille des établissements) et de normalisation (notamment en s’assurant de la validité des items et du codage des réponses). PISA met en évidence de grandes disparités quant à la réussite scolaire entre les pays de l’OCDE. La France occupe une position peu satisfaisante puisque son système éducatif s’avère plus inéquitable que la moyenne des pays à niveau de développement économique comparable. Si l’autonomie des établissements semble avoir des effets bénéfiques sur la réussite des élèves, elle est relativisée par les stratégies parentales qui produisent, selon le degré de régulation par les politiques éducatives, des inégalités de parcours. Georges Felouzis et Samuel Charmillot (2012) montrent comment les enquêtes PISA mettent en évidence une baisse des compétences des élèves en France dans le domaine de la compréhension de l’écrit, un renforcement des inégalités sociales de réussite et une amplification de la ségrégation sociale et académique visible à l’échelle des établissements.
12C’est la culture mathématique qui a constitué le domaine majeur de l’évaluation de 2012 menée dans les 65 pays, dont 34 de l’OCDE et 31 de pays ou provinces dits à « économies partenaires ». Ce sont près de 510 000 élèves, représentatifs des 28 millions d’élèves âgés de 15 ans et scolarisés dans les 65 pays et économies participants, qui ont passé les épreuves.
13Les élèves concernés en France sont majoritairement scolarisés en seconde générale et technologique, seconde professionnelle et en troisième. Il ne s’agit pas d’évaluer des acquis stricto sensu scolaires mais des compétences tant cognitives que motivationnelles, susceptibles d’être mobilisées dans la vie quotidienne et sociale. Ainsi, la compréhension de l’écrit est définie ainsi : « Comprendre l’écrit, c’est non seulement comprendre et utiliser des textes écrits, mais aussi réfléchir à leur propos et s’y engager. Cette capacité devrait permettre à chacun de réaliser ses objectifs, de développer ses connaissances et son potentiel, et de prendre une part active dans la société. » Les compétences mesurées se distinguent selon qu’elles dépendent de la situation même de l’évaluation ou des connaissances dont dispose l’élève. Ainsi, trois compétences distinctes sont évaluées : pouvoir accéder à l’information et la localiser, intégrer et interpréter, réfléchir et évaluer. La troisième compétence exige que l’élève articule les informations issues des épreuves à des connaissances antérieures et qu’il prenne position en portant un jugement sur la situation (ou le texte) proposés.
14De même, les mathématiques ne sont pas évaluées selon la perspective strictement scolaire mais au regard de leurs usages dans le monde par un individu citoyen :
La culture mathématique est l’aptitude d’un individu à identifier et à comprendre les divers rôles joués par les mathématiques dans le monde, à porter des jugements fondés à leur propos, et à s’y engager, en fonction des exigences de sa vie présente et future en tant que citoyen constructif, impliqué et réfléchi8.
15La même conception de ce qu’il convient d’évaluer concerne la culture scientifique :
La culture scientifique est le fait de pouvoir utiliser des connaissances scientifiques, d’identifier les questions et de tirer des conclusions fondées sur des faits, en vue de comprendre le monde naturel et de prendre des décisions à son propos, ainsi que de comprendre les changements qui y sont apportés par l’activité humaine9.
16La performance des élèves en mathématiques situe la France au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE (le score moyen est de 495 points contre une moyenne de 494). La comparaison avec les évaluations antérieures montre une dégradation des scores : en 2003, la moyenne des élèves en France était de 511 points quand celle des pays de l’OCDE était de 495. Cette dégradation est observée dès 2006. La part des élèves très performants s’est presque maintenue quand celle des élèves en difficulté s’est amplifiée. Les élèves français sont proportionnellement plus nombreux à douter de leurs compétences en mathématiques et à moins persévérer afin de résoudre des problèmes. Davantage que dans la majorité des autres pays de l’OCDE, les filles se sentent en France moins sûres d’elles pour résoudre des problèmes de mathématiques et plus anxieuses que les garçons.
17Pour ce qui est de la compréhension de l’écrit et en sciences, la France se situe au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE (le score en 2012 est de 505 points en compréhension de l’écrit, pour une moyenne de 496 dans les pays de l’OCDE). Ce score est en progression par rapport aux évaluations de 2003 et de 2006. Pourtant, les écarts de performance se sont renforcés entre élèves très performants et élèves peu performants (la part des premiers a augmenté de 4 points quand celle des seconds s’est accrue de 4 points).
18Les améliorations observées en compréhension de l’écrit doivent surtout aux résultats des filles : si entre 2000 et 2012, la part des élèves très performants augmente de 2 % chez les garçons, elle progresse de 6 % chez les filles. Au niveau de la culture scientifique, la France se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE (la moyenne de ces pays est de 501 points contre 499 points pour la France). « En France, la corrélation entre le milieu socio-économique et la performance est bien plus forte que dans la plupart des autres pays de l’OCDE, et pourtant le score obtenu en mathématiques demeure quant à lui au niveau de la moyenne des pays de l’OCDE10. » Le système éducatif français est efficace avec les élèves les plus favorisés socialement. À l’inverse, il est largement moins performant avec les élèves socialement défavorisés, de sorte que l’on peut observer qu’il est plus inégalitaire que ne le sont les inégalités sociales. En effet,
lorsque l’on compare lors du cycle PISA 2012 uniquement les performances en mathématiques des élèves les plus favorisés (ceux du 1er quartile de l’indice), la France se classe en 13e position sur les 65 pays et économies participants, soit bien au-dessus de la moyenne de l’OCDE et de son classement global aux évaluations PISA 2012. En revanche, si l’on compare uniquement les performances en mathématiques des élèves les plus défavorisés (ceux du dernier quartile de l’indice), la France n’arrive qu’en 33e position, soit 20 places de moins, ce qui représente l’écart le plus marqué de tous les pays et économies participant au cycle PISA 201211.
19Si les comparaisons internationales éclairent sur les inégalités de performance des systèmes éducatifs, elles ont aussi pour vertu de montrer que la réussite ou l’échec scolaire obéissent à des catégories de perception sociale et de définition institutionnelle culturellement situées :
La réussite ou l’échec scolaire sont des notions relatives. Chaque pays classe ses élèves, et étiquette certains comme bons ou mauvais, mais cette définition est située : les jeunes Japonais classés parmi les 25 % les moins performants en mathématiques ont obtenu des scores supérieurs à ceux des 25 % les plus performants des jeunes Portugais, espagnols, Grecs ou Islandais ; néanmoins, ils peuvent se sentir en échec, puisqu’ils n’atteignent pas le niveau considéré comme normal dans leur propre pays12.
20Le modèle républicain français, supposé être plus égalitaire et plus juste, laisse apparaître, au terme de nombreuses recherches et analyses, une grande distance entre les principes et la réalité. Ainsi, Bertelsmann, fondation allemande, a comparé 28 pays européens en retenant 35 critères référés aux six domaines que sont l’éducation, l’emploi, la pauvreté, la santé, la cohésion sociale et l’égalité intergénérationnelle. La France se classe douzième, soit à la moyenne mais ce que la fondation observe, c’est l’impact déterminant des inégalités sociales sur les inégalités scolaires, de sorte que le domaine « éducation » s’avère être le moins juste et le plus éloigné des principes du modèle français comparé aux autres domaines étudiés. La France se classe 26e sur les 28 en matière de justice scolaire. Cela confirme les études PISA et celles de l’OCDE. Les inégalités scolaires liées à l’origine sociale sont renforcées par le système éducatif et génèrent des effets d’exclusion (notamment des moins favorisés socialement, des territoires concentrant l’exclusion…). Cette étude montre aussi que le degré de cohésion sociale n’est pas corrélé à un niveau de développement économique élevé : « la République tchèque, la Slovénie et l’Estonie montrent que, malgré une performance économique médiocre, un relatif haut niveau de justice sociale est possible13.» ainsi, les inégalités de performance entre élèves selon l’origine sociale se sont creusées en France mais sous l’effet amplificateur du fonctionnement même du système scolaire. Autrement dit, ces inégalités doivent aux effets combinés de l’origine sociale et des modes d’enseignement-apprentissage, de sorte que la dégradation observée contraste avec les résultats relevés à la fin des années 199014.
21Les inégalités de réussite scolaire sont plus fortes que les inégalités sociales en France et l’origine sociale exerce, plus qu’ailleurs, un poids déterminant quant aux performances des élèves. Autrement dit, c’est la conjugaison de ces deux variables – PCS d’appartenance des élèves et écarts de réussite renforcés par l’école, entre les meilleurs et les plus faibles – qui sont mis en évidence par les comparaisons internationales. Le système éducatif ne parvient alors pas à corriger les inégalités sociales, mais il les amplifie. Le mérite des comparaisons internationales est d’éclairer sur les mécanismes favorisant la réduction des inégalités de réussite, même si la pluralité des facteurs ne permet pas de dire aujourd’hui quel modèle éducatif serait le plus pertinent pour une réelle démocratisation du système éducatif français. On peut cependant souligner que l’impact des comparaisons et des évaluations internationales est de susciter une prise de conscience politique des inégalités sociales à l’école, et de contribuer à légitimer la nécessité de réformer celle-ci. Comme le souligne à juste titre Christian Forestier,
Si l’idée de comparer le fonctionnement et les performances des systèmes éducatifs est ancienne, ce n’est que très récemment que l’OCDE a pu convaincre l’ensemble de ses membres et notamment la France, qu’il était possible et souhaitable de pouvoir évaluer et comparer les compétences acquises par les élèves. Même si l’on n’est qu’au début d’un processus, ces évaluations ont déjà eu une influence réelle sur les systèmes éducatifs des pays concernés ; s’agissant de la France elles nous éclairent sur certaines caractéristiques de notre école, et sont un élément essentiel dans la mise en place du socle commun des connaissances et des compétences15.
22Les conclusions de l’OCDE quant à la contribution du système éducatif français à l’égalité des chances sont implacables :
Le système d’éducation français est plus inégalitaire en 2012 qu’il ne l’était 9 ans auparavant et les inégalités sociales se sont surtout aggravées entre 2003 et 2006 (43 points en 2003 contre 55 en 2006 et 57 points en 2012). En France, lorsque l’on appartient à un milieu défavorisé, on a clairement aujourd’hui moins de chances de réussir qu’en 200316.
23L’analyse des réponses des élèves des différents pays montre que si les élèves français éprouvent davantage de plaisir à apprendre les mathématiques, « ils sont également parmi les plus anxieux. Ainsi, avec un niveau d’anxiété resté stable entre 2003 et 2012, la France compte toujours en 2012 parmi les pays de l’OCDE où le niveau d’anxiété est le plus élevé17 ». L’enquête met également en évidence des problèmes d’ordre pédagogique et une certaine indifférence de l’institution scolaire vis-à-vis de la manière dont les élèves français vivent leur scolarité. Les établissements français sont ceux qui s’intéressent le moins au retour ou au regard des élèves sur les leçons, les enseignants et sur les ressources. C’est aussi en France que le tutorat des élèves par les enseignants est le moins développé. L’évaluation PISA éclaire par ailleurs sur les effets de la préscolarisation. En effet, « Dans quasiment tous les pays, préscolarisation et performance en mathématiques sont étroitement liées18 ».
DES ÉVALUATIONS DES APPRENTISSAGES QUI METTENT EN ÉVIDENCE DES INÉGALITÉS DÈS L’ÉCOLE PRIMAIRE
24Dans le cadre des évolutions curriculaires ayant amené l’institution scolaire à penser davantage les compétences acquises que les savoirs à restituer, la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005 a instauré un socle. L’acquisition du socle est censée être progressive et validée par un livret personnel de compétences qui couvre la période de la scolarité obligatoire. L’évaluation des élèves en 2012, portant sur la compétence 1 (la maîtrise de la langue française) et la compétence 3 (les principaux éléments de mathématiques, la culture scientifique et technologique), s’est effectuée sous forme de QCM à la fin des paliers 2 et 3. L’analyse des résultats a permis de définir un seuil à partir duquel les élèves sont considérés comme maîtrisant les compétences du socle. « En fin de CM2, 78,4 % des élèves maîtrisent la compétence “maîtrise de la langue française” et 69,1 % la compétence “les principaux éléments de mathématiques, la culture scientifique et technologique”. En fin de troisième, ils sont respectivement 78,6 % et 74,7 %19. »
25De son côté, l’enquête PIRLS (Progress in International Reading Literacy Study) est pilotée par l’IEA, une association de chercheurs située à Amsterdam. Cette enquête évalue la « compétence en lecture » des élèves scolarisés en quatrième année d’école obligatoire (le CM1 en France) et âgés de 10 ans en moyenne. L’échantillon de chaque pays concerne 4 438 élèves issus de 174 écoles (291 709 élèves et 10 539 écoles et 58 pays et provinces concernés en tout). La France occupe un rang moyen au terme de l’évaluation de 2011, bien en deçà des moyennes des 25 pays de l’OCDE. Elle obtient un score moyen de 520 (alors que la moyenne des pays de l’OCDE est de 538). On note une stabilité au sein des écoles relevant de l’éducation prioritaire tandis que l’on constate une baisse des performances chez les publics scolarisés hors EP.
Type d’école | Score moyen en 2001 | Score moyen en 2006 | Score moyen en 2011 |
France entière | 525 | 522 | 520 |
Public hors ZEP | 533 | 525 | 523 |
Privé | 527 | 536 | 531 |
Public ZEP | 477 | 478 | 480 |
Scores moyens globaux à l’enquête PIRLS (Évaluation des compétences en lecture) selon le type d’école
26L’enquête PIRLS met également en évidence le manque de confiance chez les élèves français, ce que confirme l’enquête PISA :
Comme en 2001 et 2006, les élèves français expriment un grand manque d’assurance et très peu de confiance en leurs propres capacités en lecture. Ils sont aussi les plus nombreux, au sein des pays européens, à s’abstenir de répondre. Ils sont aussi les plus nombreux à ne pas terminer les épreuves qui leur sont proposées. L’ampleur du problème est importante : 7,7 % des réponses attendues ne sont pas fournies par les jeunes français20.
27L’évaluation CEDRE (Cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillon) permet d’apprécier les performances des élèves dans des disciplines précises. CEDRE a porté en 2006 et en 2012 sur l’histoire-géographie et l’éducation civique et a concerné des élèves de fin d’école élémentaire et de fin de collège. Cette évaluation permet d’apprécier l’évolution des performances sur un intervalle de 6 ans. Même si l’on relève dans l’école élémentaire une progression de la part des élèves en retard, le score moyen reste stable. C’est en fin de collège que les performances des élèves enregistrent un affaiblissement. Les inégalités de réussite exercent un effet déterminant sur la scolarité ultérieure et notamment au collège et au lycée. Or ces inégalités sont, dès l’école primaire, fortement corrélées à l’origine sociale : « Seulement 24 % des enfants d’ouvriers et d’inactifs parviennent en 6e sans redoublement alors que c’est le cas de 65 % des enfants de cadres, d’enseignants et de chefs d’entreprise21 ». Le Conseil économique, social et environnemental met l’accent sur le fait que les disparités sociales à l’entrée à l’école élémentaire se creusent d’année en année à tel point que 80 % de ces écarts étaient matérialisés à l’issue de la scolarité primaire. « Le collège aggrave encore ces inégalités liées à l’origine sociale des élèves et, surtout, il les révèle au grand jour, au moment où les élèves entrent dans l’adolescence et se rapprochent des premiers choix d’orientation22. »
28Le code de l’éducation affirme à l’article L111, modifié par la loi no 2013-595 du 8 juillet 2013, que
L’éducation est la première priorité nationale. Le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement. Pour garantir la réussite de tous, l’école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale. Elle s’enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative.
29L’égalité des chances continue à incarner l’idéal démocratique à la lumière duquel est jugé le système éducatif. Elle reste néanmoins au centre d’une tension à savoir la capacité de l’école à la rendre effective quand les inégalités sociales restent aussi criantes en France. De fait, c’est la méritocratie elle-même qui devient bien suspecte.
UNE ÉGALITÉ MÉRITOCRATIQUE DES CHANCES QUI RESTE HYPOTHÉTIQUE ET THÉORIQUE
30L’égalité des chances est un principe, une valeur qu’il est difficile de définir. Si l’on s’en tient au « rapport Coleman » (1966), elle peut être identifiée à une égalité des ressources dont disposent les écoles fréquentées (par exemple la dépense par élève, la composition socio-démographique de l’établissement, les compétences des enseignants) ou à une égalité des résultats entre élèves issus de milieux sociaux différents. Une égalité des chances en amont de la compétition scolaire ou une égalité des chances en termes de résultats ne réfère pas aux mêmes enjeux puisque dans le premier cas, l’institution s’assure d’une égalité de départ, chaque élève disposant des mêmes ressources, tandis que dans le second cas, c’est l’égalité effective qui est attendue. Par ailleurs, la responsabilité de la réussite ou de l’échec revient à l’élève dans le premier cas, tandis qu’elle incombe à l’école dans le second cas.
31L’égalité des chances pour les libéraux tels que Friedrich Hayek ou Milton Friedman renvoie d’abord à l’égalité devant la loi mais elle ne devrait en aucun cas entraver les libertés individuelles et l’expression des « talents ». « La carrière doit être ouverte à tous les talents », et donc, c’est la liberté qui doit primer sur l’égalité effective. L’égalité des chances est inséparable de l’organisation et du fonctionnement des sociétés démocratiques. Voilà pourquoi l’approche strictement libérale de l’égalité se heurte à la nécessité de penser les rapports sociaux comme condition préalable à tout projet visant l’égalité des chances. En suivant le raisonnement de Patrick Savidan (2010), on peut dire que l’égalité des chances a de fortes probabilités d’être effective lorsqu’elle s’inscrit dans des rapports sociaux qui ne la rendent pas impossible.
32Dès 1918, de jeunes enseignants militent pour une école méritocratique, dans laquelle chacun puisse réussir selon ses capacités et non selon ses origines sociales. L’idée d’une « école unique » voit le jour, et préfigure le Plan Langevin – Wallon (1947). Ce plan insiste sur la nécessité d’une orientation tardive et de l’élévation « continue du niveau culturel de la nation23 ». Ce plan s’inscrit dans le mouvement de promotion de l’éducation populaire en y intégrant une dimension « professionnelle », légitimée par l’ouverture de l’école sur la vie. Ainsi, on peut lire que « l’organisation nouvelle de l’enseignement doit permettre le perfectionnement continu du citoyen et du travailleur. En tout lieu, des agglomérations urbaines jusqu’aux plus petits hameaux, l’école doit être un centre de diffusion de la culture24. » Le projet politique partagé par les membres de la commission du Plan Langevin-Wallon est de préparer de manière complète chaque élève à un métier. Ce sont notamment les élèves se destinant aux professions manuelles qui sont visés puisque l’école préparait déjà aux professions intellectuelles.
33L’égalité des chances a bien substitué les inégalités de carrières scolaires aux inégalités d’accès aux études. Ce faisant, elle a non seulement généré un échec scolaire plus conséquent mais aussi, elle l’a rendu inacceptable. La valorisation du mérite concomitante à la promotion du principe de l’égalité des chances, conduit à rendre l’élève responsable de son échec. Or c’est bien là l’effet majeur d’un système massifié qui, en hiérarchisant les filières, définit le destin des élèves en les répartissant dans des formations plus ou moins valorisées. En se massifiant, le système éducatif a non seulement accueilli – et de manière plus longue – de nouveaux publics, dont les parents n’ont été que peu socialisés à l’enseignement secondaire (au premier cycle dans un premier temps, au second cycle et à l’enseignement supérieur plus tard) mais aussi, il s’est heurté à des difficultés inédites. Au lendemain de la première massification des années 1960,
La difficulté d’enseignement s’accroît. Les nouveaux programmes sont plus abstraits, plus difficiles, alors que les nouveaux élèves, issus de milieux plus éloignés de la culture scolaire, grandis dans une société médiatique où les savoirs ont perdu beaucoup de leur crédit, n’ont guère le désir d’apprendre25.
Notes de bas de page
1 Caillé, 2006.
2 J. Coleman souligne que le niveau académique des enseignants pèse aussi sur les apprentissages des élèves. Plus les enseignants maîtrisent le vocabulaire, disposent d’un niveau scolaire élevé, sont issus d’un milieu familial favorisé et où la mère est instruite, plus leur poids sur la réussite des élèves est tangible.
3 Une analyse très fine de ce rapport est proposée par Nathalie Bulle. Elle conclut son propos en écrivant que « l’effet majeur du rapport Coleman sur l’opinion publique a été de nourrir une vague de pessimisme sur les effets potentiels des écoles sur l’égalisation des chances scolaires. Au tournant des années 1980, une série de recherches importantes, dont certaines menées par Coleman lui-même, sont opposées à cette interprétation des résultats du rapport qui n’en représente qu’une généralisation abusive. Ces recherches confrontent, à des niveaux nationaux et internationaux, différents types de structures scolaires afin de déterminer dans quelle mesure et à quelles conditions les écoles sont susceptibles de devenir des vecteurs effectifs de l’égalisation des chances scolaires. » (Bulle, 2000, p. 270) C’est aussi dans la mesure où des effets spécifiquement scolaires, tenant au fonctionnement des écoles et des établissements sont identifiés, qu’il est possible de donner aux politiques publiques et éducatives une place centrale dans la réduction des inégalités de réussite.
4 Meuret et Lambert, 2011, p. 86.
5 Forestier, 2007, p. 112.
6 Mons et Pons, 2013, p. 10.
7 Mons et Pons, 2013, p. 12.
8 OCDE, 1999.
9 OCDE, 1999, p. 68.
10 OCDE, 2012, p. 10.
11 OCDE, 2012, p. 12.
12 Duru-Bellat, 2000, p. 323. « au terme de son enquête, la cour des comptes observe tout d’abord que l’enseignement scolaire est un des domaines de l’action publique où les comparaisons internationales se sont le plus imposées depuis dix ans, avec une force telle qu’elles ont modifié de façon radicale l’approche de l’évaluation des résultats observés. Celui-ci ne peut plus se contenter d’une approche isolée et est désormais contraint à une mesure comparative des compétences acquises par les élèves au terme de leur scolarité. À cet égard, la France se situe dans une position moyenne, tant sur le plan des résultats que des coûts de son système scolaire. Mais elle a surtout pour caractéristique d’être hors d’état d’atteindre simultanément les trois objectifs qui lui sont assignés par la nation : la France est le pays de l’OCDE où le retard scolaire à 15 ans est le plus important – dix fois plus que dans les pays qui obtiennent les meilleurs résultats –, un de ceux où les écarts de résultats entre élèves se sont le plus accrus entre les deux dernières enquêtes de l’OCDE, et celui où l’impact de l’origine sociale sur les résultats des élèves est le plus élevé. La France ne peut pas laisser perdurer une situation qui entraîne inévitablement une plus faible aptitude à produire des qualifications et à délivrer des diplômes, sans compter le coût social induit par l’échec scolaire, qui pèse lourdement sur la société française tout entière ». (Cf. Cour des comptes, 2010, p. 165). http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapportspublics/104000222.pdf
13 Cité par Le Monde, 2014.
14 Duru-Bellat, 2000.
15 Forestier, 2007, p. 123.
16 http://www.oecd.org/france/PISa-2012-results-france.pdf, p.2.
17 OCDE, 1999, p. 3.
18 OCDE, 1999, p. 18.
19 MENS-DEPP, 2012, p. 48.
20 MENS-DEPP, 2012, p. 50.
21 Conseil économique, social et environnemental, 2011, p. 10.
22 Conseil économique, social et environnemental, 2011, p. 10.
23 Wallon, 1947, p. 183.
24 Cité par Meirieu, 2004.
25 Prost, 1993, p. 171.
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La mobilité sociale dans l’immigration
Itinéraires de réussite des enfants d’origine algérienne
Emmanuelle Santelli
2001
