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Du lien marchand

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Franck Cochoy

Le lien au cœur du marché

Chapitre IV. Comment s’organise la production d’innovation en publicité ?

Le « team créatif » : étude d’un appariement singulier

Laure Gaertner

Texte intégral

[Extrait de la conception d’une campagne bancaire… ou la cuisine interne des créatifs de la publicité].
Directeur artistique (DA) : Il faut simplifier le truc, retrouver un peu de vérité par rapport à une communication sophistiquée [celle de la banque pour qui la campagne doit être trouvée].
Les créatifs font ensuite référence à des publicités (pour des banques ou d’autres services) qui pourraient servir de modèle. Concepteur-rédacteur (CR) : Ce ton-là a déjà tourné…
DA : Le client [la banque] achète des trucs surréalistes, ça serait intéressant de leur vendre une idée plus simple par rapport à l’argent.
CR : Ils aiment pas les trucs réalistes, ils veulent de l’onirique. Avec leurs campagnes ils ont l’impression d’être au sommet. Là il faut trouver un univers symbolique qui autorise une forme originale.
Ils évoquent la relation des gens avec leur banquier en faisant référence à leurs expériences personnelles. (…)
L’échange se poursuit, sans fil conducteur, de manière à faire émerger d’éventuelles idées.
DA : Tu peux faire des décalages de situations, par exemple le conseiller ange-gardien, mais ça a été beaucoup vu.
CR : Ah ouais, comme dans cette campagne (…). Mais je trouve que mettre en scène le conseiller ça incite peu à changer de banque.
Les protagonistes évoquent ensuite leur propre relation à l’argent, pour tenter d’anticiper les réactions des consommateurs.

1Le travail de création publicitaire, qui sert à produire les messages diffusés dans les médias, revient aux « créatifs » des agences de publicité. Ce travail associe deux personnes aux domaines de compétences complémentaires : le concepteur-rédacteur, responsable des textes, et le directeur artistique, responsable du graphisme. L’un et l’autre coopèrent au sein d’une mini-équipe constituée de façon quasi-permanente : « le team créatif ». Ces binômes de concepteurs chargés d’imaginer les campagnes, comme dans la scène restituée, intègrent les équipes-projets qui, au sein des agences, sont constituées pour répondre aux demandes des annonceurs.

  • 1 L’impact d’une campagne est aussi le fait de la qualité de la stratégie de moyens (c’est-à-dire l’a (...)

2L’innovation est la principale convention de qualité en publicité. Pour les professionnels, la valeur ajoutée des campagnes est censée reposer sur le caractère innovant des messages diffusés1. Les créatifs, en particulier, préfèrent cependant parler de créativité pour définir ce qui fonde la qualité d’une opération. La « captation des publics » (Cochoy, 2004a) serait d’autant mieux assurée que la campagne serait « créative », c’est-à-dire innovante, et si possible impertinente et drôle.

3Il s’agit ici de spécifier la nature des liens engendrés par le team, forme organisationnelle au service de l’innovation typique du travail publicitaire, et de voir par quoi ces liens sont structurés. Les types de coordination qui se développent au sein des équipes seront examinés sur les marchés du travail interne et externe. Doeringer et Piore (Doeringer, Piore, 1985) distinguent l’organisation comme marché du travail interne, où la concurrence est généralement limitée au profit d’une coordination par des règles et des procédures administratives, du marché du travail externe gouverné par les lois de l’offre, de la demande et par les prix (Favereau, 1989). Or la question de l’échange concerne autant la coordination sur les marchés (ici, celui du travail) que dans les organisations (Dubuisson-Quellier & Neuville, 2003). Pour étudier les liens créés par cette forme originale d’organisation du travail, il nous paraît donc important de considérer les régulations à l’œuvre sur l’ensemble des « places » où le team effectue des échanges.

  • 2 La notion de qualification, qui renvoie d’abord, en sociologie du travail, à l’apprentissage et la (...)

4Comprendre les régulations de la division du travail de création publicitaire et des échanges entre salariés et employeur nous amène à nous intéresser à l’équipement des marchés du travail publicitaire, c’est-à-dire aux dispositifs, aux normes ou encore aux réseaux qui orientent l’action des professionnels. Cette perspective de la sociologie des marchés, en mettant l’accent sur la qualification2 des travailleurs, et donc sur les intermédiations à l’œuvre sur le marché, permet de penser la question des liens en l’inscrivant dans sa double détermination sociale et marchande.

5Ce travail s’appuie sur une enquête de terrain effectuée dans le cadre d’une thèse où nous avons interrogé près de quatre vingt professionnels de la publicité, dont la moitié de créatifs, et observé leurs pratiques quotidiennes dans une grande agence. Pendant six mois, aux côtés d’un team confirmé, nous avons pu assister à toutes les étapes de la fabrication des campagnes et suivre le déroulement de leurs interactions avec leurs collaborateurs, assistant directeur artistique, directeur de création, commerciaux, producteurs. Les différentes facettes du métier — activités de travail, socialisation professionnelle, recherche d’emploi — nous ont donc été accessibles.

6Après avoir exposé les raisons d’une telle division du travail en publicité et les conditions d’appariement des co-équipiers, nous étudions, dans la deuxième partie de cette contribution, la carrière des créatifs en team. Quel type de liens se noue entre un directeur artistique et un concepteur-rédacteur qui collaborent de façon pérenne ? L’étude des modalités de coordination qui se déploient dans une équipe, et en particulier la coordination par l’intérêt, permet de mieux comprendre ce qui est analysé ensuite : les avantages que cette forme organisationnelle, dominante mais non exclusive, procurent aux salariés sur les marchés du travail interne et externe.

Directeur artistique/concepteur-rédacteur : le noyau dur de la conception publicitaire

Le team créatif, forme privilégiée d’organisation du travail

  • 3 La réflexion stratégique est devenue centrale sur des marchés souvent très concurrentiels et intern (...)
  • 4 Le concept de qualification s’applique aussi bien aux personnes qu’aux produits. On peut le définir (...)

7La création (ou conception) publicitaire désigne le travail qui consiste à imaginer le message d’une campagne, à partir d’un cahier des charges (appelé brief créatif ou copy strategy) rédigé par les équipes commerciales. Le document précise la demande du client et le dispositif prévu pour y répondre : une stratégie de communication incluant une ou plusieurs pistes de message, une population « cible », des supports de communication « média » et « hors média »3. Ce travail de conception nécessite le plus souvent la contribution de deux personnes, un concepteur-rédacteur et un directeur artistique (DA). Tous deux s’emploient à traduire les axes de communication choisis en une idée de publicité qui puisse être déclinée dans les différents formats attendus (film, affiche, annonce de presse ou radiophonique, bandeau ou vidéo Internet, éventuellement prospectus, habillage de stand, etc.). Les créatifs transmettent leurs propositions, sous forme de maquettes, au directeur de création dont le rôle est de contrôler la qualité du travail. Les maquettes sont ensuite soumises aux commerciaux qui coordonnent les projets et en assurent la vente aux annonceurs. Ces intermédiaires marchands participent aussi à la qualification des campagnes4 en rédigeant le brief, mais aussi en présentant, parfois avec l’appui du directeur de création, les versions successives des maquettes au client. Ce dernier ne validant jamais un projet en l’état, le rôle du commercial consiste à tenter de le convaincre de la pertinence des propositions de l’agence, mais aussi à obtenir l’entière coopération des créatifs pour faire aboutir le projet dans des délais acceptables. En effet, ces derniers ne sont pas toujours enclins à effectuer des modifications telles qu’elles sont demandées par l’annonceur (Gaertner, 2007).

  • 5 La division du travail est beaucoup moins approfondie dans les agences de moins de cinquante salari (...)

8Les services de création des grandes agences fonctionnent avec des équipes (DA et concepteur-rédacteur) constituées de manière permanente et avec des individus qui s’apparient au gré des projets5. Ces derniers travaillent de façon alternée en équipe de deux, ou bien isolés lorsque la publicité ne nécessite pas les compétences associées des deux types de créatifs. Par exemple, un script pour la radio mobilise les savoir-faire du concepteur-rédacteur, tandis qu’une annonce de presse constituée uniquement d’images, comme il en existe beaucoup dans le domaine du luxe, où l’on exige un minutieux travail de l’image, est du ressort du DA. Les situations de travail isolé concernent en priorité les créatifs débutants, à qui l’on confie la conception d’opérations de moindre envergure ou la déclinaison d’une campagne sur un seul support. Le secteur du luxe est cependant un cas particulier car il peut faire l’objet d’une spécialisation (pas forcément exclusive mais dominante) en avançant dans la carrière. Les dispositifs de communication combinant généralement plusieurs types de supports, les créatifs travaillent souvent en binôme. Ils insistent d’ailleurs sur la fécondité du dialogue rédacteur/DA pour concevoir des idées.

  • 6 Pour imaginer des scénarios, une part de l’activité des créatifs consiste en effet à se raconter de (...)

9L’analogie avec la partie de ping-pong est communément faite pour présenter à autrui le travail de conception publicitaire, où il s’agit d’envoyer des idées qui reviennent transformées par le partenaire, afin de progresser dans la réflexion6. Cette collaboration dialogique est d’autant plus aisée que les créatifs sont habitués à travailler ensemble. La coopération prolongée permet effectivement une connaissance des aptitudes et des limites implicites de chacun, mais aussi une spontanéité dans l’interaction qui favorise l’humour, convention de qualité importante pour les créatifs. La coopération prolongée favorise également un apprentissage en commun qui enrichit, de projet en projet, les façons de penser et de traduire les problématiques des annonceurs. Enfin, une connaissance partagée du mode d’organisation de l’agence où le travail est effectué se construit. Ces éléments favorisent une meilleure coordination qui rend l’aboutissement du travail plus aisé, et donc une meilleure efficacité productive. Parce que les compétences du directeur artistique et du concepteur-rédacteur habitués à travailler ensemble représentent plus que la somme des compétences des deux individus, le travail en team stable est privilégié par les créatifs et par les directeurs de création. Mais comment se font les rencontres aboutissant à une collaboration pérenne ?

La constitution des équipes : trois modalités d’appariement7

  • 7 Harrison White considère le marché comme une structure relationnelle (qu’il nomme « arène ») caract (...)
  • 8 Par exemple, une campagne de lancement d’un jeu vidéo à destination des jeunes sera plus favorable (...)

10Les créatifs qui arrivent sur le marché du travail sont généralement isolés. Ils débutent leur apprentissage comme assistant d’un directeur artistique ou comme concepteur-rédacteur. Dans ce dernier cas, ils travaillent seuls ou associés à un directeur artistique. Les appariements au sein des agences sont décidés par le directeur de création, assisté par le service trafic, chargé d’organiser l’emploi du temps des équipes. Les individus sont appariés en fonction de leur disponibilité, de leur expérience et de leur capacité supposée à bien travailler ensemble. L’allocation des projets n’est pas sans importance pour les créatifs, puisque la nature du travail confié offre des possibilités plus ou moins grandes de valoriser la créativité telle qu’elle est définie par le groupe professionnel. Ainsi, le type de projet traité, c’est-à-dire à la fois le niveau de budget investi par le client, son secteur d’activité, les objectifs de sa campagne et la nature des relations qu’il entretient avec l’agence sont des paramètres déterminants dans le déroulement des négociations sur le contenu des publicités8.

11La distribution des dossiers consiste à tester les débutants sur leurs capacités à produire un travail créatif. Ce système assure le repérage du potentiel de chaque personne, qui va déterminer la répartition du travail :

« Quand vous débutez on vous donne pas les plus beaux budgets, il faut prouver sur des petits budgets que vous êtes capable de faire des choses. » (directeur de création retraité).

12Selon leur évaluation du travail accompli, les directeurs de création peuvent confier des projets plus valorisants, c’est-à-dire plus complets, voire plus susceptibles d’être primés que d’autres. Leur satisfaction les conduira ensuite à confier d’autres projets du même type aux équipes. L’ajustement des appariements se fait au cours d’un processus d’évaluation continue, au cours duquel le niveau d’exigence s’élève avec le niveau d’expérience. Il faut préciser que les projets convoités pour les opportunités qu’ils offrent de valoriser la créativité ne sont pas assez nombreux pour que tous les créatifs qui donnent satisfaction à un moment donné en reçoivent. C’est pourquoi entre en jeu, dans la sélection des meilleurs, une logique de pari sur le talent créatif, dans un but de rationalisation marchande. C’est ce que laisse entendre une directrice de création, expliquant pourquoi elle attribue à certaines équipes de meilleurs projets qu’à d’autres :

« Ce qui est difficile quand on est directeur de création c’est qu’on a un bateau à diriger. Si on a l’impression qu’il y a des meilleurs rameurs, on va se concentrer sur eux. Vous avez envie d’amener votre bateau quelque part et vous avez l’impression que c’est ce type de créatifs qui rament le plus dans ce sens. » (Directrice de création).

13L’attribution des dossiers peut aussi se faire par la mise en concurrence des équipes, ce qui offre au directeur de création un choix plus large de pistes de conception. C’est particulièrement le cas lorsque l’annonceur établit un appel d’offre et met en compétition plusieurs agences. La reconnaissance va alors aux créatifs dont la proposition est retenue par le client. La sélection des équipes mises en concurrence répond toujours à l’objectif de rentabilité maximale. Sont donc appelés en priorité les plus expérimentés, et selon les caractéristiques du projet, ceux que l’on souhaite tester ou récompenser, sachant que l’opportunité de participer à une compétition où les enjeux pour l’entreprise sont grands est une forme de reconnaissance.

14En initiant des collaborations entre DA et concepteurs-rédacteurs, directeurs de création et services trafic jouent le rôle « d’entremetteurs » au sein des agences. La distribution des projets est solidaire d’un système de gestion des compétences qui organise la concurrence entre les individus en pariant sur le talent créatif, afin de sélectionner les meilleurs. Les débuts professionnels sont pour les DA et les concepteurs-rédacteurs l’occasion d’un repérage des personnes disponibles, avec qui ils pourraient débuter une collaboration pérenne. Les individus qui n’ont pas constitué d’équipe stable, qu’ils soient débutants ou pas, relatent les difficultés qu’ils ont à trouver « la bonne personne » :

« J’ai commencé avec Hervé, puis je travaille plus avec Éric aujourd’hui, je préfère. Il a une vision différente de la pub, on a plus les mêmes envies. C’est très dur de trouver la bonne personne. Les gens qui se trouvent et qui restent en team longtemps… je pense qu’il faut tourner. » (directeur artistique, 28 ans)

  • 9 Le taux de remplacement moyen des salariés des agences de publicité est de 30 %, tandis qu’il ne dé (...)
  • 10 Le Festival international de la publicité de Cannes décerne les prix qui ont le plus grand pouvoir (...)

15« Tourner » signifie multiplier les occasions de changer de partenaire de travail en interne, dans le cadre de la répartition des budgets au sein d’une agence, ou via la mobilité externe, relativement élevée dans le secteur9. Intégrer une nouvelle agence permet d’être en contact avec d’autres personnes qui souhaitent constituer une équipe. On vient de montrer que les appariements étaient tributaires du fonctionnement des organisations. Les échanges sont régulés par l’autorité conférée par des positions dans la division du travail (celles des personnes du trafic et des directeurs de création). Mais les créatifs peuvent aussi faire savoir avec qui ils souhaiteraient travailler. Leurs choix sont alors gouvernés par deux dimensions interdépendantes, sur lesquelles nous allons revenir : des affinités et des intérêts mutuels. À cet égard, le type de campagnes antérieurement conçues est important pour évaluer la qualité d’un partenaire. Une proximité d’expériences (qui est fonction du domaine des produits publicisés — alimentaire, automobile, beauté etc. — et du type d’opérations mises en place — campagnes locales ou nationales, média et/ou hors média) favorisera l’envie de s’apparier. Lorsque les créatifs recherchent une progression professionnelle, la valeur potentielle de l’individu partenaire sur le marché du travail externe entre aussi en jeu. Celle-ci est fonction de la qualité des réalisations et des récompenses symboliques obtenues. Ces prix publicitaires sont octroyés lors de concours sanctionnant la qualité créative des campagnes, indépendamment de leur efficacité, c’est-à-dire indépendamment de leur contribution à la notoriété du client ou à la vente de ses produits. Ils confèrent une réputation sur les marchés du travail locaux ou nationaux et peuvent être classés sur une échelle de cotations10.

  • 11 Les indépendants, dont le statut peut avoir été choisi, mais plus souvent imposé par un revers de p (...)

16Les contacts se nouent également entre créatifs de différentes agences. Les informations sur l’état des besoins du marché du travail (d’abord ceux des directeurs de création, décisionnaires en matière de recrutement, et ceux des créatifs en recherche d’un partenaire) circulent dans le groupe professionnel. Elles circulent d’autant mieux que chaque créatif, compte tenu de l’encastrement réticulaire de ce marché du travail, a tout intérêt à constituer un réseau de collègues et à l’entretenir, au-delà de l’agence qui l’emploie à un instant t. Mais comment s’apparier lorsqu’on est employé par deux agences concurrentes, ou quand l’un des intéressés est au chômage ? Les premières collaborations s’effectuent en pratiquant des « free lance ». Ces commandes ponctuelles émanent des directeurs de création pour pallier une surcharge de travail ou éventuellement s’allouer un talent particulier. Elles bénéficient d’abord aux créatifs membres du réseau d’interconnaissance du directeur de création, qui sont souvent des salariés d’autres agences, parfois d’anciens salariés au chômage, et plus rarement des professionnels indépendants11. Un créatif peut donc demander à son directeur de création de faire travailler ponctuellement un partenaire potentiel. C’est par l’exercice professionnel que les individus jugent le mieux de leur adéquation. Ces expériences en commun permettent ainsi de décider ou pas de prolonger la collaboration.

17Si les créatifs souhaitent constituer une équipe pérenne, la difficulté est alors d’obtenir l’embauche définitive de celui qui n’est pas salarié. Les intéressés ont alors la charge de convaincre le directeur de création que c’est ensemble qu’ils concevront les meilleures campagnes, mais aussi que le profil du candidat au recrutement va enrichir les compétences du service. À cet égard, peu de périodes de chômage et de bonnes expériences professionnelles sont de nature à créer la confiance. L’outil d’évaluation de la qualité du candidat est le « dossier professionnel », un book qui présente les campagnes précédemment conçues. La encore, la nature des réalisations et les prix obtenus fonctionnent comme des « dispositifs de confiance » (Karpik, 1996) qui renseignent sur la qualité des personnes. Enfin, la formation initiale peut être un temps propice à la constitution du team, lorsqu’elle est menée dans le seul établissement d’enseignement supérieur, Sup de Création, qui forme spécifiquement des concepteurs-rédacteurs et des directeurs artistiques de publicité. Dans cette école, située à Roubaix, des ateliers préparent les étudiants dans des conditions de travail similaires à celles qui existent dans les agences. En privilégiant le travail pratique en team, sur des briefs professionnels, la formation est conçue de façon à favoriser la constitution d’équipes.

18Chaque année, une vingtaine de créatifs de publicité sont formés aux méthodes de travail valorisées par les grandes et moyennes agences, qui sont celles dans lesquelles les individus peuvent espérer la plus forte progression professionnelle. Quatre personnes, parmi celles que nous avons interrogées dans l’enquête, sont issues de cette école. Elles se sont présentées en team sur le marché du travail, ce qui leur a permis d’être embauchées sans passer par une période d’assistanat. Celle-ci dure généralement deux à trois ans et se révèle moins avantageuse, sur les plans de la rémunération et du statut, que le poste de créatif. La constitution d’une équipe créative résulte donc d’une rencontre, jamais fortuite puisqu’elle est organisée par les agences, provoquée par les créatifs ou favorisée par un établissement scolaire.

La carrière en team

Entre affinités électives et choix « rationnel »

  • 12 Ce système de solidarité interne est étudié par E. Hughes dans « Des erreurs dans le travail » (Hug (...)

19Les créatifs associés de façon permanente conçoivent leur équipe de façon singulière par rapport au reste du groupe. Le team est pour eux une structure relationnelle porteuse d’engagement mutuel et de solidarité. Ce mode productif suscite en effet une bienveillance coopérative, qui passe par la défense des erreurs éventuelles commises par le partenaire et qui permet la construction d’un système de justifications communes contre le monde profane, en l’occurrence les commerciaux et les annonceurs qu’ils représentent12. La collaboration prolongée renforce donc les capacités de négociation de la valeur de leur travail auprès des commerciaux, notamment au cours des réunions où les propositions de maquettes sont discutées et amendées pour tenir compte des remarques du client. Pour les créatifs, le team est également porteur de risques de rupture. Les considérations affectives ont toute leur place, puisque les enquêtés recourent de façon récurrente à la métaphore du couple pour exprimer la nature des liens qui les unissent.

  • 13 Sur le régime du contrat, cf. Favereau, 1989.

20L’un des enquêtés évoque ainsi le mariage pour signifier la dimension de contrat qui lie les partenaires. L’engagement est effectivement de l’ordre du contrat noué par consentement mutuel sur la base de règles tacites, telle que la fidélité ou la prise des décisions en commun13. Un autre relate avec humour les infidélités de son co-équipier, lorsque ce dernier est amené à travailler avec un autre créatif. Le service trafic, qui doit distribuer de façon optimale la force de travail en fonction des projets qui se présentent, peut en effet apparier un créatif déjà en team avec un autre dit « volant », pour lui confier du travail supplémentaire ou l’utiliser pendant le temps de vacances du co-équipier. Dernier exemple témoignant de la place de l’affect dans ces relations de travail, un directeur de création fait référence au sentiment amoureux pour caractériser les mécanismes qui président à l’appariement :

« C’est comme l’amour, un coup de foudre, on se rencontre, il y a des prémisses, on se tourne autour, on fait d’abord des petites campagnes. » (Directeur de création).

21Lorsque la coopération se déroule bien, c’est toute une partie du parcours professionnel qui peut s’effectuer en commun. Les relations qui se tissent au fil de la carrière débordent bien souvent les relations de travail, comme le dit ce DA retraité à propos de « son » concepteur-rédacteur :

« Nous étions amis, j’ai passé plus de temps avec lui qu’avec ma femme. J’ai bossé vingt deux ans avec lui, on s’est jamais engueulé malgré son sale caractère ! » (DA retraité).

  • 14 Il est l’un des quatre modes de l’action distingués par Luc Boltanski, dans lequel le rapport aux a (...)

22Des affinités intellectuelles, des tempéraments similaires ou complémentaires, une même façon d’appréhender les choses, en somme une bonne entente, sont des conditions du maintien d’une coopération privilégiée. Le régime d’agapè14 ne saurait toutefois régir les relations entre collègues, a fortiori dans un monde professionnel où la compétition est vive. Pour tenir, l’équipe a aussi besoin d’avoir des intérêts communs, c’est-à-dire des aspirations professionnelles similaires. Ce type de coordination est d’ailleurs premier. Elle est souvent provoquée par l’encadrement, qui assure les appariements en fonction des caractéristiques des individus et de leur capacité supposée à bien travailler ensemble. C’est ainsi que peuvent naître des intérêts communs, qui sont au départ le ciment de l’équipe :

« On nous a mis ensemble ici. En arrivant dans cette agence il fallait tous les deux qu’on fasse nos preuves, donc on a trouvé une motivation commune. » (Directeur artistique, 32 ans).

  • 15 Cette théorie, selon laquelle l’action se fait en vertu d’un calcul pour maximiser ses gains, est a (...)

23Comme nous l’avons dit, c’est aussi la coordination par l’intérêt qui domine lorsque les individus ne se connaissent pas mais souhaitent collaborer ensemble et tester leur adéquation. Dans un second temps peut naître l’affect, qui est nécessaire au maintien de l’appariement, sans pour autant faire disparaître la coordination par l’intérêt. Celle-ci se déploie dans les choix de parcours que les individus peuvent faire ensemble pour tenter de valoriser leurs compétences. Nous voyons ainsi que l’action réciproque des créatifs ne se fait pas en régime d’agapè, mais n’est pas non plus mue par la seule rationalité instrumentale, comme le conçoit le paradigme du « choix rationnel »15. La relation du DA et du concepteur-rédacteur mêle inextricablement comportement axiologique et comportement intéressé.

Les opportunités de valorisation des compétences

24Examinons maintenant en quoi le travail en équipe stable procure des avantages en termes de progression professionnelle, et donc pourquoi les créatifs ont intérêt à maintenir cette modalité de collaboration. En interne, la distribution du travail par projet selon une logique marchande favorise le transfert des projets potentiellement les plus profitables aux créatifs en team déjà constitué. En effet, pour des motifs exposés précédemment, cette forme organisationnelle est considérée comme étant la plus efficace, c’est-à-dire la plus susceptible de produire de l’innovation créative. Pour la même raison, le travail en équipe stable favorise la mobilité externe. Les directeurs de création ont tout intérêt à embaucher des équipes qui savent travailler ensemble et qui ont des objectifs communs. Or la mobilité externe choisie est un accélérateur de la carrière des créatifs de publicité. Elle sert à diversifier les expériences, à élargir le réseau professionnel, mais surtout à intégrer les meilleures agences du marché, c’est-à-dire celles qui misent le plus sur la créativité pour valoriser leurs services. Ces quelques grandes agences, une petite dizaine sur la place parisienne, sont celles qui obtiennent la majorité des récompenses symboliques et celles dont les salariés, quelques-uns en tous cas, figurent dans les palmarès des concours et font partie des jurys.

  • 16 Les créatifs doivent cependant avoir connu suffisamment d’épreuves qui les ont « grandis » et des é (...)

25Le changement d’entreprise est d’autant plus profitable que le dossier professionnel des candidats a de la valeur, c’est-à-dire qu’il présente des campagnes récentes, jugées créatives, et mieux encore des campagnes qui ont reçu la consécration des pairs16. Les candidats peuvent alors prétendre intégrer l’une des meilleures agences et négocier le type de budgets qui leur est confié. En effet, à côté des projets alloués au fur et à mesure qu’ils se présentent, quelques dossiers, souvent pour de gros clients, sont pris en charge par certaines équipes confirmées. Ce qui ne les empêche pas de traiter par ailleurs des demandes ponctuelles, comme l’ensemble des créatifs.

  • 17 C’est également ce que montre Pierre-Michel Menger (2002) sur les marchés artistiques.

26La validité temporaire des réputations encourage des comportements opportunistes de la part des salariés comme des entreprises. Les créatifs ont en effet tout intérêt à s’engager dans une stratégie de mobilité externe lorsqu’ils viennent de réaliser des bonnes campagnes. La capacité à activer un réseau de relations professionnelles s’avère alors utile, puisqu’elle permet d’être informé des postes vacants ou de solliciter un entretien avec un directeur de création. Les grandes agences pratiquent pour leur part une « chasse aux bons créatifs », selon l’expression d’un concepteur-rédacteur. Elles cherchent en particulier à s’attirer les individus considérés à un moment donné comme les meilleurs sur le marché du travail. À cet égard, la publication des résultats des concours dans les revues professionnelles et le bouche-à-oreille au sein des réseaux favorisent la circulation de l’information dans le milieu. Les créatifs n’ont pas besoin de faire savoir qu’ils ont reçu des prix. Les appariements sélectifs par niveaux de réputation entre salariés et entreprises, mais aussi dans l’allocation interne des projets, créent donc des inégalités de positions sur le marché du travail. En effet, les mécanismes de valorisation des individus tendent à renforcer les positions professionnelles dominantes17. Ces positions, si elles ne sont jamais définitives, concernent en priorité les créatifs en équipe stable.

  • 18 Dans la même perspective que la théorie des « actifs spécifiques » d’Olivier Williamson, Pierre-Mic (...)

27La mobilité en team, originale en soi, se double d’une particularité supplémentaire sur le marché des grandes agences de publicité : la mobilité collective, c’est-à-dire celle de plusieurs équipes, dans le sillage d’un directeur de création. Ceux qui ont le plus grand « capital réputationnel »18 peuvent être appelés par une agence concurrente pour redynamiser son département de la création. Dans une revue professionnelle, la presse se faisant l’écho de ces transferts de personnel, le P. D. G. d’une agence leader sur le marché français ne cache pas les raisons qui l’ont conduit à débaucher d’une entreprise concurrente son directeur en charge de la création :

« Nous sommes conscients que nous ne sommes pas l’agence la plus créative du moment. Or il s’agit clairement de remonter le niveau créatif, de générer des prix. » (« Paris s’arrache les dresseurs de Lions », CB News, no 756, juillet 2003, p. 8).

28Dans ces cas de transfert, pour reconstituer une équipe avec qui il a l’habitude de coopérer, le directeur appelé choisit généralement de s’adjoindre deux ou trois teams appartenant à son ancien service. Il sélectionne alors les personnes qu’il juge les plus à même de participer à la valorisation de la créativité qu’on attend de lui. La mobilité collective via le directeur de création, c’est-à-dire le transfert de plusieurs binômes de concepteurs vers la même agence, constitue pour ces équipes une reconnaissance de leurs qualités professionnelles. Là encore, il est bien plus probable de changer d’agence lors de transferts collectifs lorsque les individus travaillent dans des équipes pérennes.

29Le team, cette forme organisationnelle en couple, fournit donc aux créatifs une série d’opportunités pour faire valoir leurs compétences. C’est même la forme la plus appropriée pour occuper les positions les plus convoitées sur les marchés du travail interne et externe. Elle est à ce titre recherchée par les individus, le plus le plus tôt possible dans le parcours étant donné le fait que les débuts professionnels sont déterminants pour l’orientation et la progression de la carrière.

  • 19 C’est ce que montre la sociologie économique des réseaux, qu’ils soient étudiés à l’intérieur des f (...)

30En étudiant la structure des relations qui se développent au sein des « teams publicitaires », et par voie de conséquence les formes de coordination sur les marchés du travail publicitaire interne et externe, nous avons mis l’accent sur la « dimension relationnelle de l’analyse du marché » développée par la sociologie économique (Steiner, 2005). La coopération entre les directeurs artistiques et les concepteurs-rédacteurs peut être considérée comme une forme de coopération entre concurrents — ou « coopétition » (cf. le chapitre d’Isabelle Bruno dans le présent ouvrage). Elle facilite le déploiement de processus sociaux comme la solidarité, l’apprentissage collectif, le contrôle social ou la régulation, qui sont indispensables pour mener à bien les activités19. Le travail en équipe stable présente en outre un ensemble d’avantages pour l’activité quotidienne et pour la carrière. Il est ainsi considéré par les créatifs comme le mode de travail idéal. En effet, il rend plus aisée et plus plaisante l’activité de conception des campagnes. Sur le marché interne, il favorise l’allocation de projets intéressants et donc la construction d’un bon dossier, qui fonctionne comme un signal positif pour les recruteurs ; sur le marché externe, il facilite la mobilité, qui est un facteur décisif de progression professionnelle. Cette forme spécifique d’appariement modifie donc la qualification des personnes sur les marchés du travail publicitaire. La présence d’une dimension émotionnelle dans les relations d’équipe et les avantages à collaborer de façon permanente limitent les risques de défection opportuniste de l’un des partenaires, par exemple pour changer de poste à de meilleures conditions. Cette dépendance mutuelle rend chacun des membres de l’équipe difficilement substituable.

  • 20 Ce constat rejoint la position défendue par James S. Coleman (1990), qui montre que la cohésion et (...)

31Cependant, l’appariement ne dure que tant qu’il est « payant ». Nous avons montré que calcul et affect étaient ici dans une relation d’interdépendance qui rend difficile l’imputation des causes et des conséquences d’une rupture. Si l’équipe n’obtient pas de bons résultats, le problème peut être source de mésentente et, inversement, la mésentente peut en être la cause. Quoiqu’il en soit, le coût de la séparation et de la reconstruction d’une autre équipe peut s’avérer moindre que celui du choix du statu quo. La stabilité de l’équipe, qu’on peut associer à la fermeture d’un mini-réseau, facilite l’action en favorisant une meilleure coopération. La fermeture du réseau semble donc la plus performante dans le groupe des créatifs sur les marchés interne, mais aussi externe, comme en témoigne l’importance des réseaux d’inter-connaissance dans le recrutement des équipes20.

32La performance de la fermeture du réseau vaut également quel que soit le degré d’avancement des individus dans la carrière. Certains directeurs de création préfèrent même continuer à exercer leur métier en team. « Ça les rassure », dit l’un des directeurs de création interrogés, montrant bien la fonction de protection que peut jouer la cellule créative. Ce résultat de recherche entre en contradiction avec certains travaux qui soutiennent que la relative fermeture du réseau permet aux subordonnés un meilleur contrôle de leur activité, tandis que des personnes ayant une bonne maîtrise de leur travail et une connaissance des organisations tendent à tirer profit de réseaux ouverts. Dans son étude sur les artisans du bâtiment, Catherine Comet (2007) analyse la performance de la structure du réseau en tenant compte du contexte de l’action, mais sans considérer le type de secteur d’activité. Elle généralise son propos, or il semble qu’en publicité, les réseaux fermés soient privilégiés quel que soit le niveau d’expérience professionnelle. La division du travail publicitaire et les mécanismes de qualification des travailleurs créent ainsi des formes de liens inédites dans le groupe des créatifs, où intérêt, confiance et affect sont indissociablement liés.

Notes

1 L’impact d’une campagne est aussi le fait de la qualité de la stratégie de moyens (c’est-à-dire l’articulation des supports des messages) et du plan média (la répartition des temps d’antenne et des volumes d’espaces dans la presse, sur les réseaux d’affichage ou encore sur Internet). Cependant, nous nous intéressons ici aux acteurs de la production des contenus.

2 La notion de qualification, qui renvoie d’abord, en sociologie du travail, à l’apprentissage et la socialisation, s’est enrichie d’une perspective constructiviste puis des approches de l’économie des conventions et de la sociologie des réseaux socio-techniques (Musselin & Paradeise, 2002).

3 La réflexion stratégique est devenue centrale sur des marchés souvent très concurrentiels et internationaux, où les annonceurs peinent à différencier des produits standardisés. Les projets de grandes campagnes mobilisent d’autres personnes que les commerciaux pour élaborer la stratégie : des planneurs stratégiques ou des experts par secteurs, ainsi que des spécialistes des supports, qui viennent alimenter une réflexion dite à « 360 degrés ». Elle permet de penser un système de communication dans son ensemble, en intégrant en priorité les possibilités offertes par les supports digitaux, moins coûteux que les supports média classiques.

4 Le concept de qualification s’applique aussi bien aux personnes qu’aux produits. On peut le définir comme l’identification et l’évaluation des attributs de la qualité par une série de mises en équivalence, dont l’aboutissement est un prix.

5 La division du travail est beaucoup moins approfondie dans les agences de moins de cinquante salariés. Lorsque le service de la création est réduit à quelques personnes, les créatifs sont rarement en team et différents modes d’organisation peuvent exister. Les DA sont généralement plus nombreux que les concepteurs-rédacteurs et prennent aussi en charge les fonctions des maquettistes ou des assistants. Le directeur de création peut être lui-même concepteur-rédacteur et collaborer avec les DA sous sa responsabilité. À titre indicatif le marché des agences est caractérisé par sa concentration : les grands groupes internationaux (les dix premiers emploient près d’un tiers des effectifs du secteur, selon l’Association des Agences Conseil en Communication) cohabitent avec un segment de marché atomisé où les entreprises emploient en moyenne six salariés.

6 Pour imaginer des scénarios, une part de l’activité des créatifs consiste en effet à se raconter des histoires, lors d’échanges conversationnels tout à fait libres, où se trame un travail représentationnel qui mêle intuitions et jugements (Gaertner, 2010).

7 Harrison White considère le marché comme une structure relationnelle (qu’il nomme « arène ») caractérisée par l’appariement. Sur un marché, la coordination entre offre et demande s’effectue par les prix. Le concept d’arène invite à s’intéresser aux mécanismes sociaux d’appariement qui les structurent, et ainsi à redonner aux phénomènes marchands toute leur épaisseur sociale (pour une étude comparée de différentes « arènes », cf. Steiner, 2008).

8 Par exemple, une campagne de lancement d’un jeu vidéo à destination des jeunes sera plus favorable à l’expression de la créativité publicitaire qu’une campagne promotionnelle pour la grande distribution (Gaertner, 2007).

9 Le taux de remplacement moyen des salariés des agences de publicité est de 30 %, tandis qu’il ne dépasse pas 5 % dans l’industrie, selon les revues professionnelles (CB News, 2003, no 746, p. 32 et Stratégies, 2002, no 1258, p. 64). Ce taux se situe autour de 25 % par an (23 à 27 % selon les années considérées) dans l’agence où la monographie a été effectuée. Environ un tiers des salariés quitte cette entreprise après démission ou après un transfert dans une autre société (Bilan social 2005). Les données ne fournissent malheureusement pas la répartition par catégories de métiers. On voit toutefois que la mobilité voulue est en moyenne élevée.

10 Le Festival international de la publicité de Cannes décerne les prix qui ont le plus grand pouvoir de consécration. Mais la consécration est limitée dans le temps, puisque les prix sont remis en jeu annuellement et que le monde publicitaire n’a pas la mémoire des épreuves passées.

11 Les indépendants, dont le statut peut avoir été choisi, mais plus souvent imposé par un revers de parcours, travaillent seuls et évoluent plutôt sur le marché des petites agences.

12 Ce système de solidarité interne est étudié par E. Hughes dans « Des erreurs dans le travail » (Hughes, 1996, p. 89).

13 Sur le régime du contrat, cf. Favereau, 1989.

14 Il est l’un des quatre modes de l’action distingués par Luc Boltanski, dans lequel le rapport aux autres écarte les choses, pour ne reconnaître que les personnes en tant que telles. « l’agapè possède des propriétés singulières, comme la préférence pour le présent, le refus de la comparaison et de l’équivalence, le silence des désirs, ou encore l’absence d’anticipation dans l’interaction » (Boltanski, 1990, p. 223).

15 Cette théorie, selon laquelle l’action se fait en vertu d’un calcul pour maximiser ses gains, est appliquée à l’étude des réseaux sociaux par des auteurs comme James S. Coleman (1990) et Ronald S. Burt (1992). Leurs positions divergent toutefois à propos des mécanismes (ouverture ou fermeture) qui rendent ces réseaux plus efficaces.

16 Les créatifs doivent cependant avoir connu suffisamment d’épreuves qui les ont « grandis » et des épreuves dont le pouvoir de consécration est suffisamment élevé, pour que la réputation qui leur est conférée à un moment donné se traduise par une mobilité ascendante.

17 C’est également ce que montre Pierre-Michel Menger (2002) sur les marchés artistiques.

18 Dans la même perspective que la théorie des « actifs spécifiques » d’Olivier Williamson, Pierre-Michel Menger considère la réputation comme un capital faisant l’objet de stratégies d’accumulation, qui confèrent un pouvoir à son détenteur, en l’occurrence un artiste, pour orienter ses choix de projets et d’équipes (Menger, 2002, p. 46).

19 C’est ce que montre la sociologie économique des réseaux, qu’ils soient étudiés à l’intérieur des firmes ou entre firmes (Lazega & Mounier, 2002).

20 Ce constat rejoint la position défendue par James S. Coleman (1990), qui montre que la cohésion et la fermeture facilitent l’action collective.

Auteur

Chercheuse associée au laboratoire Institutions et Dynamiques Historiques de l’Économie (IDHE) de l’université Paris Ouest Nanterre la Défense, où elle a soutenu sa thèse en 2008. Spécialiste du champ publicitaire, elle croise les sociologies économique, du travail et des professions pour étudier les mécanismes de légitimation et de valorisation économique des services publicitaires. L’entrée d’analyse de sa thèse par le métier de créatif de la publicité lui a permis de questionner en particulier l’articulation des valeurs marchandes et des valeurs esthétiques comme enjeu économique. Un contrat post-doctoral avec le Centre de Sociologie des Organisations (Sciences Po-CNRS) l’a amenée à étudier la régulation des pratiques publicitaires liées au développement durable, en s’intéressant au processus de gouvernance qui s’est déployé au moment du Grenelle de l’Environnement. Elle participe à un autre projet ANR (via le Centre Maurice Halbwachs) consacré à la communication et à la multi-activité au travail, où elle approfondit son étude des processus de création au travail.

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