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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral « NAISSANCE » DU HIP-HOP AUX ÉTATS-UNIS : LUTTER CONTRE LA VIOLENCE DES GANGS LES POLITIQUES DU HIP-HOP COMME POLITIQUES PUBLIQUES LE HIP-HOP COMME SOLUTION : LA DÉMOCRATIE CULTURELLE SOUS TENSION TERRAINS, MÉTHODES ET TECHNIQUES D’ENQUÊTE Notes de bas de page

    Politique du hip-hop

    Ce livre est recensé par

    • Emmanuel Négrier, Métropoles, mis en ligne le 18 novembre 2010. URL : https://journals.openedition.org/metropoles/3770 ; DOI : https://doi.org/10.4000/metropoles.3770
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    Table des matières

    Introduction

    p. 9-21

    Texte intégral « NAISSANCE » DU HIP-HOP AUX ÉTATS-UNIS : LUTTER CONTRE LA VIOLENCE DES GANGS LES POLITIQUES DU HIP-HOP COMME POLITIQUES PUBLIQUES LE HIP-HOP COMME SOLUTION : LA DÉMOCRATIE CULTURELLE SOUS TENSION Le hip-hop comme problème et comme solution Le mode de raisonnement des politiques du hip-hop : la démocratie culturelle TERRAINS, MÉTHODES ET TECHNIQUES D’ENQUÊTE Le choix des terrains Matériau et techniques d’enquête Les outils d’investigation Notes de bas de page

    Texte intégral

    1La culture hip-hop (rap, slam, danse hip-hop, graffiti…) est aujourd’hui un phénomène mondial. Née il y a une trentaine d’années dans le ghetto du Bronx, elle a connu une diffusion internationale très rapide et s’est imposée comme une forme dominante de la « culture jeune » des grandes métropoles. Or, la France est devenue très tôt la seconde patrie du hip-hop après les États-Unis ; cette culture y a pris des traits spécifiques – notamment une proximité avec l’art savant – en raison du modèle républicain d’intégration et de la tradition d’intervention publique en matière artistique. Dans le cadre du volet culturel de la politique de la ville (Chaudoir, de Maillard, 2004), en particulier, les administrations publiques ont en effet mis en œuvre un ensemble de dispositifs à destination du hip-hop, dans la mesure où la majorité de ses pratiquants – des jeunes qui habitent en banlieue, souvent issus de l’immigration (notamment africaine et maghrébine) – ont des caractéristiques sociologiques qui les définissent comme une « population à problèmes », et donc comme une cible potentielle pour l’action publique (Faure et Garcia, 2005).

    2Les émeutes et les « violences urbaines » constituent ainsi la toile de fond des politiques publiques qui concernent la culture hip-hop. Celles-ci représentent une politique de reconnaissance des identités (Taylor, 1994), destinée à contribuer au traitement des problèmes sociaux urbains, ce qui n’est pas sans ambiguïté : à la différence des politiques de démocratisation de la culture (également appelées à « renforcer le lien social »), les politiques du hip-hop ont affaire à une culture revendiquée par ses ressortissants. L’objectif de cet ouvrage est de retracer la généalogie de cette politique, de mettre au jour ses principaux acteurs, et d’étudier en détail les tensions constitutives de ce processus de reconnaissance.

    « NAISSANCE » DU HIP-HOP AUX ÉTATS-UNIS : LUTTER CONTRE LA VIOLENCE DES GANGS

    3La culture hip-hop regroupe plusieurs formes d’expression, qui appartiennent à des registres disciplinaires différents et qui ont chacune leur histoire propre. Pourquoi sont-elles rassemblées dans la culture hip-hop ? Au-delà de proximités formelles, esthétiques, repérables entre celles-ci (Shusterman, 1991), la culture hip-hop est le résultat d’une opération d’unification doctrinale destinée explicitement à trouver une alternative à la violence des gangs aux États-Unis.

    4Les formes d’expression du hip-hop s’inscrivent en effet dans des histoires différentes, elles ne sont pas toutes apparues exactement en même temps : ainsi les premiers tags s’affichent à la fin des années 1960 à New York, alors que le premier disque de rap de l’histoire, Rapper’s Delight, n’est produit qu’en 1979. Pour autant, elles possèdent indéniablement des caractéristiques communes : elles sont essentiellement investies par des jeunes des « minorités ethniques », notamment les Noirs, mais aussi des immigrés hispaniques (plus spécifiquement pour le tag et le graff, en raison de la tradition muraliste), jamaïcains (pour le rap), ou portoricains (pour la danse hip-hop). De plus, la danse hip-hop et le rap s’inventent en interaction quasiment directe, dans les block parties (fêtes de quartier) des quartiers dégradés du centre-ville de New York. L’unité de la culture hip-hop repose donc avant tout sur le contexte d’apparition de ses différentes formes d’expression : le hip-hop émerge des problèmes sociaux urbains.

    5Mais au-delà, le hip-hop est bien une culture, c’est-à-dire un système de pratiques et de valeurs qui prétend proposer aux bandes rivales une alternative à la criminalité. La fondation idéologique de la culture hip-hop est, selon la légende, l’œuvre d’Afrika Bambaataa : un jeune Noir américain qui participe à un affrontement entre gangs assiste à la mort de son meilleur ami. Il quitte sa bande, devient DJ, et crée la Zulu Nation, organisation qui prône le remplacement des rixes entre bandes par des défis dans les domaines de la musique, de la danse ou du tag et du graff. La compétition pacifiée apparaît comme une sorte de sublimation de la violence1. La culture hip-hop se voit donc à l’origine théorisée comme une issue possible aux problèmes sociaux. Cette mise à distance ouvre la voie à sa mise en politiques.

    LES POLITIQUES DU HIP-HOP COMME POLITIQUES PUBLIQUES

    6Peu après son arrivée en France, au début des années 1980, la culture hip-hop est objet de l’intervention publique, tout d’abord de manière partielle et indirecte, puis de façon explicite et plus systématique. Le sens général de cette action publique est le suivant : les politiques publiques cherchent à faire du hip-hop un support pour contribuer au traitement des problèmes sociaux – le hip-hop devient ressource pour les autorités politiques.

    7Parler de politiques publiques revient à qualifier la nature de l’intervention publique vis-à-vis du hip-hop : jusqu’à la fin des années 1980, en effet, cette intervention se résume à des projets relativement circonscrits et indépendants les uns des autres qui ne font pas une politique publique. Il convient donc de montrer en quoi on a bien affaire à des politiques publiques, pour expliciter ensuite leurs objectifs et leur sens. L’intervention publique vis-à-vis du hip-hop, grosso modo à partir de 1990, possède en effet toutes les caractéristiques généralement attribuées à une politique publique (Mény, Thoenig, 1989) :

    • un contenu : un certain nombre de mesures, auxquelles sont associées des ressources, font référence au hip-hop, notamment dans le volet culturel de la politique de la ville ;
    • un programme : ces mesures ne sont plus éparses, au contraire, elles font système ; par exemple, plusieurs programmes nationaux sont mis en place au cours des années 1990 (comme l’opération « Rap dans les cités » en 1990-1991) ; derrière ces mesures qui concernent la plupart du temps toutes les disciplines du hip-hop, il y a donc bien un cadre général d’action, d’ailleurs souvent explicité dans les textes et discours officiels ;
    • un facteur de coercition : ces mesures et l’allocation de ressources qu’elles impliquent relèvent des autorités politiques ;
    • un ressort social : l’intervention publique vis-à-vis du hip-hop affecte en premier lieu la situation de ses pratiquants, mais aussi, plus largement, celle du secteur de l’animation socioculturelle et des institutions culturelles ; indirectement, elle vise également le public du hip-hop, et au-delà, les habitants des quartiers dans lesquels elle a lieu : le public potentiel varie selon l’horizon temporel considéré ;
    • une orientation normative : l’action publique vis-à-vis du hip-hop exprime des préférences : l’objectif est de soutenir, de valoriser (et éventuellement de « canaliser ») les pratiques culturelles des jeunes des quartiers populaires ; et cet objectif est lui-même subordonné à une finalité supérieure, dont il n’est en quelque sorte qu’un moyen : le traitement des problèmes sociaux urbains (ce qui étend considérablement le nombre de ressortissants). Le principe de l’action est de faire du hip-hop, qui, au départ, peut poser problème, une ressource – principe identique à celui appliqué à la jeunesse en général, lorsque « la jeunesse (…) paraît tenir un rôle actif dans la résolution de ses propres problèmes » (Vulbeau, 2001 : 10).

    8Au tournant des années 1980 et 1990, une politique publique du hip-hop se met donc en place : la mise sur agenda du hip-hop est principalement la conséquence de l’émergence renouvelée des banlieues comme problème public2. Notamment dans le cadre de ce qu’on appelle désormais la politique de la ville, les pouvoirs publics misent sur la culture hip-hop pour qu’elle devienne le support du traitement des problèmes sociaux, précisément parce qu’elle en est issue. Pour résoudre ce qui ressemble à un paradoxe, il s’agit alors d’expliciter l’orientation normative de cette politique, ce qui implique de mettre en évidence la théorie du changement social qui en constitue le soubassement, c’est-à-dire les hypothèses sur lesquelles elle se fonde.

    LE HIP-HOP COMME SOLUTION : LA DÉMOCRATIE CULTURELLE SOUS TENSION

    Le hip-hop comme problème et comme solution

    9Comment la culture hip-hop peut-elle être à la fois un problème et une solution pour l’action publique ? La question de la cohérence de l’orientation normative se pose dès lors que les autorités politiques tentent de faire du hip-hop un support pour l’action publique. Cette ambiguïté se retrouve dans les politiques de la jeunesse en général : en effet, « l’action publique en direction de la jeunesse obéit à un “mouvement pendulaire” hésitant entre deux paradigmes, celui de la “jeunesse ressource” et celui de la “jeunesse danger” (…). Ces modèles peuvent d’ailleurs ou coexister à une même époque ou se succéder » (Bier, 2001 : 65). Plus précisément, une même politique peut se situer simultanément dans ces deux registres : une dimension de contrôle social n’est donc pas nécessairement étrangère à (ce qui se présente comme) une politique de soutien aux pratiques culturelles des jeunes. Ainsi, les politiques du hip-hop menées sous l’impulsion de la politique de la ville peuvent être considérées comme un moyen de « canaliser » la jeunesse des quartiers populaires : « les dispositifs d’occupation des adolescents régulent la violence en leur proposant une activité – généralement physique et s’insérant dans la culture virile de la rue – qui les détourne momentanément de la “rouille” potentiellement pourvoyeuse d’occasions de pratiques délinquantes » (Juhem, 2000 : 65), et, de surcroît, à peu de frais. La volonté des autorités politiques de faire du hip-hop une solution manifeste une ambiguïté constitutive des politiques de jeunesse en général : le soutien aux pratiques culturelles des jeunes se situe souvent à la limite entre mise en valeur et mise sous tutelle.

    Le mode de raisonnement des politiques du hip-hop : la démocratie culturelle

    10Quelle est la théorie du changement social sous-jacente aux politiques publiques du hip-hop ? Le concept qui en constitue le cœur est la démocratie culturelle. Elle peut être définie comme la reconnaissance de toutes les cultures, notamment des cultures considérées jusqu’alors comme spécifiques à des groupes sociaux – groupes sociaux qui, en l’occurrence, sont dominés. Il s’agit alors, pour les politiques publiques, de « revitaliser les rites, coutumes, savoirs et savoir-faire, les formes collectives d’expression symbolique qui ont pour enjeu la construction, ou la reconstruction, des identités socioculturelles » (Moulin, 1997 : 91). L’idée générale est que la mise en valeur des pratiques culturelles propres à des groupes dominés favorise leur intégration sociale. Ainsi, les politiques publiques soutiennent ces formes d’expression dans la mesure où elles permettent aux membres de ces groupes de se construire une identité positive : « les projets culturels de quartier [sont] exemplaires d’un souci de réparation identitaire. La volonté de l’État de réparer une injustice faite à des personnes, déconsidérées par la société » (Leveratto, 2000 : 105), est manifeste.

    11Il reste cependant que le mode de raisonnement inclus dans le concept de démocratie culturelle semble relever au moins autant de la foi que d’une « logique d’argumentation rationnelle » (Duran, 1999 : 170). De façon plus générale, le rôle dévolu à la culture dans les quartiers populaires suscite en effet une interrogation fondamentale : « pourquoi l’action culturelle fait-elle ainsi l’objet d’un tel investissement professionnel, politique et militant, au point de présenter les traits d’une quasi-religion civile chargée, sinon d’opérer le ré-enchantement du monde (urbain) (…), du moins de produire du sens et de l’échange, des valeurs et du lien social, du symbole et de la communication, du rite et de la solidarité ? » (Palard, 1994 : 15). Il convient également de poser d’emblée une question d’une certaine façon plus radicale, au sens où elle concerne le fondement de l’action : que peut la culture ?

    12Dans l’action culturelle, la relation entre identité et intégration est ainsi médiatisée par le politique, plus précisément par les politiques publiques. Cependant, ce biais nécessaire, inhérent à la démocratie culturelle, risque fort d’aboutir à une aporie pour l’action publique : en effet, « tout protocole d’identification, de publication, de reconnaissance des “attentes”, des “aspirations”, des “expressions” des “habitants” est susceptible de constituer une notification, voire comme une imposition de modèles idéologiques étrangers, dans leur logique normative, à la cohérence des groupes qu’il prétend interpréter et représenter » (Assier-Andrieu, 2000 : 230). Or, dans le même temps, si elle n’opère pas cette reconnaissance, l’action publique tombe sous le coup de l’accusation initiale d’injustice. Le pouvoir de légitimation de l’action publique conduit à une situation de double contrainte.

    13Le mode de raisonnement qui sous-tend les politiques publiques du hip-hop consiste donc en une politique de reconnaissance des identités destinée à favoriser l’intégration de ses ressortissants. Mais cette idée se heurte à un obstacle de taille : parce qu’elle provient de ce qui est perçu comme une instance de légitimation, cette politique a toutes les chances d’être vécue par les publics visés comme une injonction, voire, dans ses effets, comme une forme d’aliénation3, dans la mesure où « le geste même de reconnaissance implique la désolidarisation de ce qui est reconnu vis-à-vis de l’espace social et culturel originel d’où il tire sa signification première » (Assier-Andrieu, 2000 : 230). Autrement dit, c’est à nouveau le lien entre le hiphop et les problèmes sociaux qui est en question : en effet, ce lien – consubstantiel, à l’origine – entre la culture hip-hop et son contexte se défait dans l’opération de reconnaissance.

    14Les politiques publiques du hip-hop reposent donc sur un paradoxe. Ancrée à l’origine dans un territoire et dans un groupe social, la culture hip-hop doit s’en détacher pour que cette politique puisse fonctionner ; les problèmes sociaux urbains dont elle est issue doivent être mis à distance pour être « combattus ». Mais en même temps, les politiques publiques du hip-hop impliquent un processus de séparation entre art et social qui risque de limiter leur efficacité et de les couper d’une partie importante de leurs ressortissants : car si la culture hip-hop s’éloigne trop de sa forme originelle, et si ses artistes se détachent trop du groupe social dont ils sont issus, alors le public initial du hip-hop – c’est-à-dire les jeunes des quartiers populaires – ne s’y retrouve plus.

    TERRAINS, MÉTHODES ET TECHNIQUES D’ENQUÊTE

    Le choix des terrains

    15Le travail d’enquête qui est à l’origine de ce livre a été mené dans deux grandes agglomérations urbaines : Bordeaux et sa banlieue d’une part, Marseille d’autre part. Un élément a été déterminant dans le choix d’une analyse localisée : le poids des collectivités locales, et notamment des (grandes) villes, dans le financement public de la culture. Il faut en effet rappeler « une donnée fondamentale du paysage culturel national (…) : les collectivités locales sont devenues les premiers financeurs des politiques publiques de la culture en France » (Poirrier, 2002 : 10), loin devant le ministère de la Culture.

    16Ensuite, Marseille et l’agglomération bordelaise présentent un certain nombre de traits singuliers qui ont joué un rôle majeur dans leur sélection, et qui, d’emblée, les distinguent. Ainsi, Bordeaux se caractérise par sa politique culturelle de prestige : la ville-centre de l’agglomération fait depuis longtemps la part belle à la culture – et notamment à la « grande » – au point que Bordeaux est une des villes françaises qui dépensent le plus pour la culture (en pourcentage de son budget) ; la question des relations entre culture hip-hop et action publique s’y pose donc avec une acuité particulière. Inversement, Marseille peut être considérée comme l’autre capitale du rap français (à côté de Paris et sa banlieue) : plus précisément, la cité phocéenne est la seule ville qui rivalise avec Paris et la région parisienne en termes de production et de diffusion (Cachin, 2000) ; ainsi, Marseille est identifiée au niveau national comme une ville de rap, voire comme la ville du rap en France, ce qui n’est pas le cas de Paris. Dans la géographie française du hip-hop, Marseille constitue un phénomène exceptionnel sur lequel il paraissait intéressant de se pencher, afin d’examiner le rôle des autorités politiques dans la construction de cette identité.

    Matériau et techniques d’enquête

    17À Marseille comme dans l’agglomération bordelaise, la recherche a consisté à recenser et, autant que possible, à suivre les manifestations culturelles (concerts, ateliers, accueil en résidence, etc.) qui incluaient au moins une discipline de la culture hip-hop, à condition qu’elles impliquent, d’une manière ou d’une autre, des relations avec les pouvoirs publics4. En conséquence, l’enquête de terrain porte essentiellement sur des projets qui, à un moment ou à un autre de leur réalisation, directement (par des subventions) ou indirectement (via l’accès à un équipement culturel subventionné par exemple), ont bénéficié d’un financement public. Cependant, analyser les rapports entre culture hip-hop et action publique nécessite également d’examiner l’investissement de l’espace public par la danse hip-hop, le tag et le graff, par exemple, ou encore les textes de rap, que la puissance publique intervienne ou pas.

    Les outils d’investigation

    18Le matériau empirique comporte plusieurs aspects : entretiens, documents, observations. L’utilisation concomitante de plusieurs techniques d’enquête permet de croiser les sources et de recouper les informations recueillies, de manière à vérifier celles-ci. Ainsi, plus d’une trentaine d’entretiens semi-directifs par terrain ont été effectués, auprès de trois types d’acteurs : d’une part, les fonctionnaires des administrations déconcentrées de l’État et assimilées et les fonctionnaires ou les chargés de mission des collectivités locales concernées, à un titre ou à un autre, par la culture hip-hop5 ; d’autre part, les opérateurs et les animateurs qui travaillent dans des structures susceptibles de porter des projets hip-hop (institutions culturelles, centres d’animation, équipements socioculturels, associations culturelles généralistes…) ; enfin, les acteurs du hip-hop : artistes, pratiquants, membres d’associations spécialisées dans la promotion et la diffusion de la culture hip-hop.

    19Il faut immédiatement préciser qu’il était impossible d’interviewer tous les acteurs. Dès lors, l’objectif étant d’étudier les projets les plus significatifs par rapport à la problématique proposée, les acteurs du hip-hop interrogés sont donc, pour la plupart, déjà engagés dans des relations avec les institutions, notamment des artistes professionnels ou en voie de professionnalisation ; de même, parmi les acteurs publics, ceux qui ont été choisis en priorité travaillaient depuis un certain temps sur des projets hip-hop. Cependant, pour ne pas se cantonner aux acteurs du hip-hop qui ont « réussi », ce qui constituerait un biais, les relations entre hip-hop et action publique ont aussi été examinées dans leur phase initiale, par exemple lorsqu’une nouvelle association hip-hop se crée et qu’elle s’adresse pour la première fois aux institutions, de manière à mieux comprendre la mise sur agenda ; dans cette optique, les acteurs du hip-hop qui refusent d’avoir des relations avec les institutions ont également été interviewés6.

    20La collecte de sources écrites, ensuite, a deux fonctions essentielles : elles permettent d’établir des données factuelles, mais aussi d’étudier la présentation des événements et des projets, les rhétoriques de justification des acteurs, etc. ; autrement dit, ces sources fournissent de l’information, mais leur examen critique nous renseigne au moins autant sur les producteurs d’information : elles doivent donc être considérées comme des documents à analyser en tant que tels. Il est possible de distinguer plusieurs types de sources : la presse locale (elle sert à repérer les acteurs en présence, et les éventuels conflits), les documents administratifs (Contrats de Ville7, conventions, budgets, rapports d’activité, etc.), la communication officielle des collectivités locales (magazines d’information des municipalités, du Conseil Général et du Conseil Régional), la communication culturelle (affiches, prospectus, flyers, fanzines, programmes d’institutions culturelles). Enfin, l’observation ethnographique de spectacles, de débats publics et de réunions de travail complète le travail de recueil de données : la présence lors de manifestations de hip-hop permet à la fois d’analyser les œuvres et d’identifier le public, son comportement, ses réactions par rapport à ce qui lui est présenté ; observer des réunions ou des débats publics est utile pour voir les problèmes qui sont soulevés, mais aussi pour repérer les alliances ou les oppositions entre les acteurs.

    ***

    21Ancrée dans un territoire, la culture hip-hop est aussi ancrée dans une politique : la politique de la ville. Elle définit le cadre initial de l’action publique qui est menée vis-à-vis du hip-hop, et par la suite, ce cadre ne subira que des modifications mineures. Portée à l’origine par des militants, la politique de la ville est le lieu d’une mobilisation qui vise à mettre en œuvre la démocratie culturelle, dans un sens qui est donc favorable à la culture hip-hop. Cette mobilisation s’effectue en lien avec l’animation socioculturelle, soutien historique et indéfectible des pratiques culturelles des jeunes, parce que la culture hip-hop représente pour les travailleurs sociaux un outil qui leur permet de remplir leur mission. Cependant, l’ancrage du hip-hop dans la politique de la ville est également susceptible d’engendrer certains effets pervers : le volet culturel de cette politique apparaît ainsi comme un marché de la subvention concurrentiel, dans lequel les associations spécialisées dans le hip-hop sont relativement dominées. De plus, cet ancrage peut aussi produire de la stigmatisation, au risque d’éloigner une partie des acteurs du hip-hop des financements de droit commun et des politiques culturelles plus « classiques », en contradiction flagrante avec les objectifs affichés (chapitre 1).

    22La politique de la ville contribue également, malgré tout, à « déterritorialiser » la culture hip-hop, même partiellement : peu à peu, la culture hip-hop se déplace, et sort de la périphérie pour gagner le centre des villes. Très tôt, les acteurs du hip-hop cherchent à investir les espaces publics centraux, mais d’abord « en douce » ou par effraction, car la culture hip-hop représente une forme de culture de rue qui déroge aux usages habituels de l’espace urbain, et qui, à ce titre, n’est pas toujours acceptée. Puis les autorités politiques adoubent la culture hip-hop, d’une certaine manière, en l’intégrant à des grandes manifestations artistiques qui parcourent la ville. La culture hip-hop accède aussi progressivement aux équipements culturels traditionnels, y compris les plus prestigieux : la déterritorialisation du hip-hop et son entrée dans les institutions culturelles classiques s’accompagnent d’un déplacement (vers le haut) dans la hiérarchie artistique (chapitre 2).

    23Dès lors, il convient d’étudier plus spécifiquement l’intégration du hip-hop dans les politiques culturelles. L’arrivée et le développement du hip-hop en France coïncident en effet avec un profond bouleversement au sein même du ministère de la Culture : la montée en puissance du principe de démocratie culturelle, consécutive au constat d’échec de la politique de démocratisation de la culture menée depuis Malraux. Ainsi, les Directions Régionales des Affaires Culturelles (DRAC) jouent un rôle majeur dans la multiplication de projets artistiques autour du hip-hop. Cependant, l’esthétisation du hip-hop passe également par l’adoption de codes de l’art savant ; elle implique un changement de nature de l’activité qui élargit considérablement le public du hip-hop, mais qui est diversement apprécié par les premiers acteurs de cette culture, et qui conduit notamment au retrait partiel des jeunes hommes des quartiers populaires. Condition de la mise à distance des problèmes sociaux, l’esthétisation du hiphop s’avère donc contradictoire, dans une certaine mesure, avec les objectifs de son institutionnalisation (chapitre 3).

    24La culture hip-hop constitue une prise de parole d’un groupe dominé dans l’espace public : les acteurs du hip-hop sont généralement très critiques à l’égard du monde politique tel qu’il est, et ils préfèrent se tenir à distance de celui-ci. Ils dénoncent les inégalités et les discriminations dont ils sont victimes. D’une certaine manière, les politiques publiques du hip-hop consistent en un traitement de cette prise de parole : elles représentent une forme d’institutionnalisation du conflit particulièrement ambivalente. D’un côté, les autorités politiques cherchent à favoriser la mixité sociale des espaces publics et des équipements culturels, et les acteurs du hiphop accèdent au moins en partie à un statut d’expert qui fait d’eux des interlocuteurs légitimes des administrations. D’un autre côté, les politiques publiques du hip-hop possèdent une dimension de contrôle social, et l’esthétisation peut aussi être considérée comme une façon de faire « rentrer » dans la catégorie d’art quelque chose qui l’excède : une prise de parole. Ainsi, les acteurs du hip-hop ne jouent plus le jeu dès lors qu’ils ont le sentiment d’avoir été dupés, soit parce que le hiphop est utilisé pour occuper les jeunes dans une optique de régulation de la violence, soit, à l’inverse, parce que ceux qui ont réussi sont présentés comme des modèles d’intégration (chapitre 4).

    25Le traitement des problèmes sociaux urbains ne constitue pas pour autant l’unique horizon des politiques publiques du hip-hop : les politiques culturelles sont en effet de plus en plus soumises à des logiques d’image. Les stratégies municipales vis-à-vis du hip-hop dépendent donc fortement de la volonté et de la capacité des maires à inscrire cette culture dans la politique d’image de leur ville. À Marseille, la culture hip-hop devient ainsi un élément de la stratégie municipale de retournement du stigmate. Inversement, les maires des communes stigmatisées de la rive droite de l’agglomération bordelaise redoutent les effets négatifs éventuels qui pourraient résulter de l’identification de leurs territoires avec une culture liée aux problèmes sociaux. Enfin, Bordeaux procède à une intégration mesurée du hip-hop : la municipalité cherche à faire du hip-hop un élément moteur de sa politique culturelle et urbaine, qui participe au renouvellement et au rajeunissement de l’image de la ville (chapitre 5).

    Notes de bas de page

    1 Le parallèle est frappant avec le rôle de régulation de la violence que Norbert Elias et Eric Dunning (1998) attribuent au sport moderne.

    2 La banlieue redevient, en 1990-1991, un problème public aigu à la suite d’une série d’émeutes qui ont lieu dans la banlieue lyonnaise, mais aussi et surtout en région parisienne (à Sartrouville, Mantes-la-Jolie, etc.).

    3 Au sens premier de la dépossession de soi, de devenir étranger à soi-même, c’est-à-dire au sens du jeune Marx des Manuscrits de 1844 (Entfremdung), et non du Marx du Capital (Entäusserung). Pour Karl Marx, le travail artistique constitue d’ailleurs la forme suprême du travail libre (Menger, 2002).

    4 J’ai notamment examiné une série de projets autour du hip-hop, de leur mise sur agenda à leur réalisation, entre 1999 et 2004.

    5 C’est-à-dire respectivement la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC), la Direction Régionale et Départementale de la Jeunesse et des Sports (DRDJS), le Secrétariat Général aux Affaires Régionales (SGAR)/Délégation Interministérielle à la Ville (DIV), la Délégation Régionale du Fonds d’Action Sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles (FAS), etc., et les services culture, jeunesse, vie associative, politique de la ville, etc., des collectivités locales – les dénominations et les attributions varient souvent d’une collectivité à l’autre.

    6 De fait, ce sont souvent des acteurs qui ont participé à des projets soutenus par les administrations publiques et qui « coupent les ponts » à un moment donné de leur carrière.

    7 Le Contrat de Ville est le dispositif majeur de la politique de la ville au niveau local, pour la période étudiée. Le CUCS (Contrat Urbain de Cohésion Sociale) lui a succédé en 2006.

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    1 Le parallèle est frappant avec le rôle de régulation de la violence que Norbert Elias et Eric Dunning (1998) attribuent au sport moderne.

    2 La banlieue redevient, en 1990-1991, un problème public aigu à la suite d’une série d’émeutes qui ont lieu dans la banlieue lyonnaise, mais aussi et surtout en région parisienne (à Sartrouville, Mantes-la-Jolie, etc.).

    3 Au sens premier de la dépossession de soi, de devenir étranger à soi-même, c’est-à-dire au sens du jeune Marx des Manuscrits de 1844 (Entfremdung), et non du Marx du Capital (Entäusserung). Pour Karl Marx, le travail artistique constitue d’ailleurs la forme suprême du travail libre (Menger, 2002).

    4 J’ai notamment examiné une série de projets autour du hip-hop, de leur mise sur agenda à leur réalisation, entre 1999 et 2004.

    5 C’est-à-dire respectivement la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC), la Direction Régionale et Départementale de la Jeunesse et des Sports (DRDJS), le Secrétariat Général aux Affaires Régionales (SGAR)/Délégation Interministérielle à la Ville (DIV), la Délégation Régionale du Fonds d’Action Sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles (FAS), etc., et les services culture, jeunesse, vie associative, politique de la ville, etc., des collectivités locales – les dénominations et les attributions varient souvent d’une collectivité à l’autre.

    6 De fait, ce sont souvent des acteurs qui ont participé à des projets soutenus par les administrations publiques et qui « coupent les ponts » à un moment donné de leur carrière.

    7 Le Contrat de Ville est le dispositif majeur de la politique de la ville au niveau local, pour la période étudiée. Le CUCS (Contrat Urbain de Cohésion Sociale) lui a succédé en 2006.

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    Ce livre est cité par

    • Seca, Jean-Marie. (2013) Sociology of Crime, Law and Deviance Music and Law. DOI: 10.1108/S1521-6136(2013)0000018008
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    • (2022) 40 ans de musiques hip-hop en France. DOI: 10.3917/deps.hammo.2022.01.0213
    • Niang, Abdoulaye. (2013) Hommes et sociétés Les arts de la citoyenneté au Sénégal. DOI: 10.3917/kart.diouf.2013.01.0327
    • Jesu, Louis. (2017) La transmission du hip-hop. Agora débats/jeunesses, N° 77. DOI: 10.3917/agora.077.0027
    • Jesu, Louis. Nazareth, Cyril. (2016) Encadrer les jeunes de cités par le football et le rap. Genèses, n° 104. DOI: 10.3917/gen.104.0073
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