1LE « RÔLE de l’assurance-chômage est de verser un revenu temporaire de remplacement en cas de chômage et non un revenu de complément en permanence ». Devant le tollé suscité par le protocole du 26 juin 2003 parmi les intermittents du spectacle, l’Unedic entendait ainsi rappeler sa vocation primordiale1. On ne pouvait pourtant le faire avec davantage d’ambiguïté. Le chômage des intermittents est par définition récurrent. Comment, dès lors qu’emploi et chômage sont étroitement imbriqués, faire la différence entre revenu de remplacement et revenu de complément ? Sur quelle base qualifier et donner une valeur à ces périodes hors-emploi ?

2L’enjeu de ce problème de « qualification » des périodes hors-emploi est fondamental : il détermine en effet le mode de valorisation du travail et des travailleurs hors de l’emploi. De manière plus prosaïque, il pose la question de l’assiette de l’indemnisation. L’idée du revenu de remplacement consiste à asseoir le montant de l’indemnisation sur le salaire. Mais de quel salaire s’agit-il ? Plus exactement, à quel horizon temporel ce salaire est-il lié ? Dans le régime général, si le temps de travail annuel varie entre salariés, pour un salarié donné, cette grandeur peut être considérée comme une constante (pour les salariés à l’emploi « stable »). Dès lors, il est relativement indifférent de considérer son salaire horaire, son salaire mensuel ou son salaire annuel puisque ce sont des grandeurs homogènes. Il n’en va pas de même pour les intermittents du spectacle pour qui un même salaire annuel peut être constitué de multiples combinaisons temps de travail/taux de salaire. De ce fait, le salaire journalier moyen2 et le salaire annuel sont des grandeurs hétérogènes3 qu’il est impossible de rapporter à une même échelle.

3Comment dès lors calculer l’Indemnité journalière des intermittents ? Au-delà de l’ambivalence de la notion de revenu de remplacement, le mode de calcul de leur indemnisation pose des problèmes inédits de qualification du hors-emploi qui mettent les gestionnaires de l’assurance-chômage devant la nécessité de reformuler la logique d’indemnisation chômage dans de nouveaux termes. Cette indétermination explique la grande variabilité des formules envisagées depuis 2003. Les principales formules de calcul de l’Indemnité journalière qui ont été proposées depuis la signature du protocole du 26 juin 2003 (le mode de calcul en vigueur jusqu’en 2003, le modèle adopté par l’Unedic en 2003, le contre-modèle proposé par la Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile-de-France4, la formule « Guillot »5 et la formule envisagée lors des négociations d’avril 20066) constituent notre matériau empirique, et les choix normatifs qu’ils supposent, l’objet de cette recherche.

4Après avoir montré la dynamique historique qui a conduit à la formule de 2006 par des reconfigurations successives mettant en jeu les divers acteurs du conflit des intermittents, nous montrerons comment, dans la mesure où chaque formule s’appuie sur des valeurs singulières, se joue une « qualification » et une valorisation du travail qui évolue de la figure du salarié à celle de l’employé puis à celle du travailleur. Mais nous montrerons aussi que toutes ces « qualifications » ne se valent pas et que, de l’ancien modèle aux nouveaux modes de valorisation, on glisse de la définition d’un salarié qualifié à celle d’un travailleur « sans qualité ». Il s’agira ainsi de distinguer une « qualification » prise au sens large de mesure visant à attribuer une valeur à quelqu’un ou quelque chose en fonction de critères explicites, de la qualification prise au sens restrictif de support de droits attachés au salarié qu’elle a ordinairement dans le monde du travail7. En particulier, on montrera, en analysant non plus du point de vue des principes mais de celui de la pratique, que l’ancien modèle d’indemnisation, fondé sur une qualification, était porteur d’émancipation salariale parce qu’adossé à une qualité du salarié lui-même, alors que les nouveaux modèles, adossés non plus à la personne mais au travail lui-même, laissent un travailleur sans qualité dans une situation de double hétéronomie vis-à-vis de ses employeurs et de l’assurance chômage.

Formules et contre-formules d’indemnisation des intermittents

5En s’en tenant aux déclarations et communiqués de ses protagonistes, le conflit des intermittents du spectacle a l’apparence d’une impasse totale de la négociation. En 2007, lors de la signature d’un nouveau protocole, quatre ans après le début du conflit, la Coordination moribonde et les syndicats de la Fédération du spectacle CGT, ont tous fait connaître leur opposition farouche au nouveau texte sans que – faute de force suffisante ? – le conflit ne se déclenche à nouveau dans la rue, dans les théâtres et sur les plateaux de télévision. Pourtant, en prenant le parti de ne pas centrer l’histoire de ce conflit sur les seules déclarations des protagonistes, mais en suivant le trajet parcouru par la formule de calcul de l’Indemnité journalière, en retraçant comment, au milieu des crises, revendications, négociations et expertises, elle circule d’acteurs en acteurs en se transformant, on met au jour un processus singulièrement différent. Sans qu’il y ait compromis explicite, l’évolution de la formule de calcul de l’allocation journalière montre la constitution d’un terrain d’entente inédit qui concilie pragmatiquement des valeurs et des attentes étrangères les unes aux autres. C’est ce que l’on voudrait maintenant montrer en suivant, pas à pas, le parcours de la formule d’indemnisation : sa définition initiale, sa réforme en 2003, la contre-proposition mise en avant par la CIP-IDF, la proposition du rapport Guillot, la formule adoptée en 2006-2007.

6Avant 2003, le système d’indemnisation des intermittents du spectacle repose essentiellement sur la notion de « salaire journalier de référence ». Lorsqu’ils sont éligibles (sur la base de 507 heures dites « travaillées » sur une période de référence d’une année), les intermittents perçoivent, durant les périodes où ils ne trouvent pas en emploi, une allocation égale à la somme d’une partie fixe (PF), de l’ordre d’une dizaine d’euros, et de 31,35 % de leur salaire journalier de référence (SRJ). Ce SRJ est une moyenne des salaires calculée, non pas sur l’ensemble de l’année ou sur l’ensemble des jours ouvrés, mais sur les seuls jours d’emploi de l’année précédente. En ce sens, il constitue un tarif journalier moyen qui ne présume en rien des revenus salariaux annuels globaux. La formule d’indemnisation est ainsi :

7En 2003, cette formule est critiquée de toutes parts. Du côté des gestionnaires de l’Unedic, le système d’indemnisation est jugé trop coûteux. Deux éléments essentiels résument l’opposition du Medef (suivi sur ce terrain par la CFDT). D’une part, la barrière des 507 heures annuelles, jugée trop basse, laisse la porte ouverte à « trop d’intermittents ». D’autre part, l’assiette de calcul de l’indemnité autorise trop de comportements opportunistes. On reproche ainsi aux intermittents et à leurs employeurs de profiter d’une asymétrie d’information, en jouant de la substitution de deux métriques théoriquement indépendantes, le temps d’emploi et sa rémunération, en gonflant artificiellement le temps d’emploi de ceux qui parviennent difficilement à atteindre les 507 heures nécessaires, ou, inversement, en augmentant le salaire journalier en concentrant des sommes attribuées globalement sur un temps réduit pour ceux qui atteignent le seuil d’éligibilité sans difficulté.

8Du côté des intermittents, on admet l’existence d’« abus » et on regrette volontiers d’être contraints à ce type de calculs stratégiques. Mais l’essentiel de la critique, en particulier à la CIP-IDF, porte sur ce que représente (ou ne représente pas) le salaire journalier de référence. Ce tarif, qui fonctionne comme une qualité attribuée annuellement, est déconsidéré comme un non-sens absolu qui ne mesure rien, et surtout pas le « talent » ou la « compétence ». Serait-il un bon reflet de ce « talent », qu’il ne serait guère plus accepté par de nombreux intermittents qui considèrent comme inopportun de faire d’une telle notion la base d’un revenu hors emploi.

9Le protocole signé le 26 juin 2003 se caractérise par une transformation profonde de l’inscription temporelle de l’indemnisation des intermittents. La réforme est avant tout une réforme des temps de l’intermittence :

• Le temps de l’éligibilité à l’indemnisation. Le seuil de temps de travail est l’objet d’un rehaussement important : les 507 heures requises pour avoir droit à l’indemnisation doivent dorénavant être réunis sur une période de référence de dix mois (304 jours) pour l’annexe 8 et de dix mois et demi (317 jours) pour l’annexe 10, et non plus de douze mois8.
• Le temps de l’indemnisation. Au principe de la date anniversaire, c’est-à-dire d’un examen annuel du dossier, se substitue un système de réexamen à épuisement d’un stock de 243 indemnités journalières (dont la date devient donc assez aléatoire).
• Les temps indemnisables. Le protocole revient sur le principe selon lequel une journée non travaillée est une journée indemnisée en établissant un système de comptage plus abstrait : la « règle du décalage ». Auparavant, si un intermittent déclarait dix jours d’emploi dans le mois, il avait droit à vingt jours d’allocations ; dans le nouveau modèle, le nombre de jours indemnisables par mois dépend à la fois du nombre de jours non travaillés, du salaire obtenu pour ces « jours travaillés » et du rapport entre ce salaire et le salaire de référence.
• Le temps dans le calcul l’indemnisation. Le calcul de l’indemnité journalière n’est plus assis uniquement sur le Salaire journalier de référence (SJR) mais aussi sur le Nombre d’heures travaillées (NHT) durant la période de référence. Chaque heure travaillée dans la période t-1 augmente ainsi l’allocation journalière de la période t de 2,6 centimes d’euros.

10La formule devient ainsi :

11L’analyse des discours accompagnant la réforme montre qu’elle trouve sa justification dans une triple volonté de complexification, de professionnalisation et d’activation : il s’agit de rendre « moins certaine » cette partie du revenu des intermittents, de resserrer les contours des ayant droit aux plus « professionnels », et d’encourager « la déclaration des heures travaillées ».

12À ce point, le conflit semble opposer des positions absolument inconciliables. La Coordination et la Fédération CGT concentrent leurs critiques sur l’élévation des seuils d’éligibilité mais ils considèrent aussi ce protocole comme injuste (d’après la CIP, la professionnalisation voulue par les tenants du nouveau modèle se traduit essentiellement par un creusement des inégalités) et comme irrationnel (au sens où il ne serait pas à même d’atteindre un de ses objectifs : éradiquer les « abus »). De plus l’aléa introduit par le système de 2003 est vu comme une étape supplémentaire dans la précarisation des intermittents.

13Pourtant, il est significatif que noter que ce n’est pas l’introduction dans la formule d’un élément nouveau (le Nombre d’heures travaillées), mais le maintien d’un élément ancien (le Salaire journalier de référence), qui a suscité l’opposition radicale de la CIP. La critique est ainsi tout sauf conservatrice ; le travail de construction d’une proposition alternative par la CIP montre d’ailleurs sa volonté d’établir un système qui se démarque tant du modèle de 2003 que du modèle antérieur.

14Si la contre-proposition de la Coordination privilégie un retour à la situation antérieure pour le mode d’affiliation et le nombre de jours indemnisés (seuil des 507 heures sur douze mois pour ouvrir droit à douze mois d’indemnisation et principe d’indemnisation de tous les jours hors-emploi), elle propose une innovation majeure en ce qui concerne le calcul de l’Indemnité journalière. La formule de la CIP se caractérise en effet par la disparition du Salaire journalier de référence et par l’introduction en lieu et place du « Salaire annuel de référence » (SAR) couplé au Nombre d’heures travaillées. On a alors la formule suivante :

15La revendication de la CIP trouve son origine dans le sentiment très partagé parmi les intermittents qu’il est anormal que ceux qui bénéficient des meilleurs salaires bénéficient aussi des meilleures allocations ; soit, vu selon l’angle de la trajectoire individuelle, que les indemnités dont ils bénéficient soient plus importantes lorsque leur situation professionnelle est favorable et plus faible ou inexistante lorsqu’elle est défavorable. La critique par les organisations d’intermittents de la prise en compte du salaire journalier dans la formule d’indemnisation ne doit pas, en revanche, masquer l’absence totale de critique de l’esprit de la nouvelle formule : sa vocation d’incitation à l’activité. La logique de lutte contre les abus les incite notamment la CIP à reprendre à son compte le principe d’une indemnisation croissante avec le Nombre d’heures travaillées.

16Ce premier rapprochement entre les parties en conflit sur la définition de la formule d’indemnisation ne tarde pas à être suivi d’un second, à l’initiative cette fois-ci des gestionnaires de l’Unedic. Suite au mouvement social, les pouvoirs publics avaient désigné un rapporteur, Jean-Paul Guillot, pour émettre des propositions. Celui-ci, outre deux rapports importants, a soumis une formule d’indemnisation très fortement inspirée de celle de la CIP La même assiette est retenue : l’indemnité, indexée sur le Smic, est une combinaison linéaire du Salaire annuel de référence (SAR) du Nombre d’heures travaillées (NHT) et d’une partie fixe. Elle garantit un niveau-plancher, fonction du SMIC-jour puis croît en fonction du salaire annuel et du nombre d’heures travaillées.

17Or, à peu de choses près, la formule Guillot fut reprise par les gestionnaires de l’Unedic lors de la négociation du 18 avril 2006. On aboutit alors à la formule suivante, effectivement entrée en vigueur en 2007 :

18Outre un paramétrage différent, cette dernière formule se distingue des précédentes par son indexation sur une Indemnité journalière minimale et par l’adjonction d’un dispositif de « doubles pentes », qui remplace par un seuil, la progressivité prévue par les intermittents. Passés les seuils de 12000 euros et de 600 heures d’emploi, la croissance de l’Indemnité journalière en fonction du salaire de référence et du nombre d’heures travaillées est plus lente.

19Au terme de ce parcours, force est de constater qu’au-delà du conflit de discours, quelques lignes de convergences ont guidé l’évolution de la formule. Certes le nouvel accord ne revient pas sur les règles décriées d’éligibilité et d’épuisement des droits et maintient une limitation importante des jours indemnisables. Certes la Coordination et la CGT ont dénoncé publiquement le nouveau protocole. Il n’en reste pas moins que celui-ci entérine une proposition émanant de la CIP. Comment expliquer cette convergence inattendue ?

20Il est difficile de répondre en s’en tenant à une analyse des justifications et des rhétoriques des divers acteurs. C’est en passant d’une analyse externe à une analyse interne des dispositifs que l’on peut comprendre pourquoi des motivations différentes et des conceptions de la justice hétérogènes ont pu donner lieu à un mode de calcul satisfaisant pour les deux parties. Au-delà des justifications locales sur tel ou tel élément du dispositif, on peut montrer qu’il y a compatibilité entre leurs conceptions des modes légitimes d’attribution de valeur au hors-emploi.

Trois modes d’attribution d’une valeur au hors-emploi

21Dans chaque formule d’indemnisation, en particulier parce qu’il faut bien asseoir son calcul sur des variables pertinentes, se joue une qualification du travail. Par qualification nous entendons ici, de la manière la plus large possible et sans référence pour l’instant à ce qu’on entend ordinairement par qualification dans le monde du travail, toute mesure visant à attribuer une valeur à quelqu’un ou quelque chose en fonction de critères explicites. Une telle formalisation implique qu’on réponde très précisément à la question : qui mérite quoi ? Sur quelles « qualités » choisit-on d’asseoir la valeur du hors-emploi ? Cette partie entend montrer que l’on peut dégager des formules successives proposés pour l’indemnisation des intermittents du spectacle trois modes d’attribution de la valeur au hors-emploi : la qualification de salariés par leur salaire (tarif) dans l’ancien modèle, la qualification d’employés par leur performance d’emploi dans le modèle de 2003, la qualification de travailleurs par leur revenu, dans le modèle auquel aboutit finalement le conflit social en 2006.

22L’ancien modèle : la qualification de salariés par leur salaire (direct). Dans l’ancien modèle, le calcul de l’Indemnité journalière est fondé sur le Salaire journalier de référence. Il s’agit ainsi de valoriser le temps hors emploi à hauteur de la « valeur » économique du salarié calculée sur la base de son tarif moyen. Ce que vaut le salarié hors-emploi correspond, dans cette logique, à ce qu’il vaut dans l’emploi. En termes de modes de répartition de la ressource, l’ancien modèle consiste donc essentiellement en une translation du salaire direct sur le salaire indirect. Ce calcul de l’indemnité pose pour équitable une répartition qui reproduit exactement la hiérarchie des taux de salaire moyens perçus dans l’emploi. Une partie de l’indemnité journalière étant proportionnelle au salaire journalier, les intermittents ayant de bons salaires ont de bonnes indemnités, à hauteur de la valeur de leur tarif. Bien sûr, cette logique est encadrée par des dispositifs de régulation (carences, franchises ou plafonds) qui limitent l’accès à la ressource au-delà de certains seuils de salaire journalier ou annuel. En outre, la partie fixe de l’indemnisation assure une base égalitaire au dispositif. Mais fondamentalement, entre minima et maxima, l’indemnité journalière se veut neutre vis-à-vis de la hiérarchie des « valeurs » salariales. Elle reproduit, pour ceux qui présentaient un quota d’heures suffisant, cette hiérarchie. Dès lors, à moins de considérer tout transfert de ressource comme de la redistribution (limitant les inégalités), force est de constater que le régime d’indemnisation de l’intermittence n’a pas, avant 2003, la « fonction d’amortisseur égalitaire » (Menger, 2003)9 qu’on lui accorde généralement. Si l’ancien modèle ignore tout fondement contributif, il n’est pas pour autant « égalitaire ».

23Le modèle de 2003 : la qualification d’employés par leur performance d’emploi. Le modèle mis en place en 2003 est porteur d’une révolution des modes de valorisation des travailleurs hors emploi. La « qualité » qui prime est désormais l’employabilité ou, plus exactement, la capacité d’emploi non pas en puissance, mais en acte. Ce que vaut l’intermittent hors emploi n’est plus fonction d’une mesure de sa « valeur » économique dans l’emploi, c’est-à-dire de son tarif moyen, mais de sa performance en termes d’emploi. À côté de l’indemnisation à la valeur qui subsiste, le modèle de 2003 introduit une indemnisation fonction du nombre d’heures travaillées. Autrement dit, plus on travaille, plus l’indemnisation est forte. C’est encore le professionnalisme qui est mis en avant mais selon un sens assez différent. Est professionnel dans ce modèle celui qui a recours le plus rarement possible à l’indemnisation chômage. Autrement dit, est professionnel celui qui travaille beaucoup. C’est ainsi la figure du professionnel à l’emploi et aux salaires réguliers et fréquents qui est valorisé par cette modalité de calcul de l’indemnité journalière.

24Contre-proposition et réforme de 2006 : la qualification de travailleurs par leur revenus. Le mode de valorisation du hors-emploi est fondamentalement modifié dans la contreproposition de la CIP-IDF, dans celle proposée par Jean-Paul Guillot ou dans le modèle d’indemnisation finalement adopté en 2006 : on ne qualifie pas un salarié par sa « valeur » mais par son revenu global. Ces trois formules distinguent les intermittents qui « tournent bien » de ceux qui connaissent d’importantes difficultés financières, ceux qui tirent de leur activité des revenus confortables, de ceux qui ne parviennent que difficilement à vivre de leur métier. L’intérêt de cette nouvelle variable est ainsi de pouvoir constituer un terrain d’entente entre deux logiques de qualification tout à fait hétérogènes : d’un côté, elle convient à ceux qui considèrent qu’être un bon professionnel c’est réaliser un bon « chiffre d’affaires » ; de l’autre, elle convient à ceux qui considèrent que la fonction de l’indemnisation est d’abord de répondre à des « besoins sociaux », en prenant en considération les revenus globaux des personnes. Le critère de revenu – la ligne « riches-pauvres » – se constitue ainsi en axe structurant. L’éventuelle opposition qui peut s’exprimer entre les parties en conflit sur le degré de « redistribution » légitime10, ne doit pas cacher un accord totalement nouveau entre elles dans la prise en compte de ce nouveau critère. De plus, une telle opposition ne touche qu’au paramétrage du modèle et non à sa logique fondamentale. Il est de toute manière évident pour tous qu’un tel système a vocation à être redistributif : dans chacune des formules proposées, l’indemnité croît en fonction du revenu même si cette croissance est de plus en plus faible11. En considérant la situation financière de l’intermittent comme la caractéristique centrale à prendre en compte par le système de valorisation du hors-emploi, on rend possible à la fois la mise en valeur du professionnalisme par le chiffre d’affaires réalisé et la redistribution des plus riches vers les plus pauvres. Ce principe rend possible, par voie de conséquence, un accord implicite entre les parties en conflit : les gestionnaires de l’Unedic qui entendent « professionnaliser » les intermittents d’une part, leur adversaires (syndicat CGT et coordination) qui défendent une logique redistributrice d’aide aux plus pauvres.

25Un exemple simple et fictif permet de résumer les enjeux comparatifs de ces trois grandes manières de « qualifier » le travail. Soient un catcheur et une danseuse. Dans la même période, le catcheur – un peu « cachetonneur » – travaille 200 fois pour un tarif de 50, alors que la danseuse – plus soucieuse de privilégier la qualité à la quantité – travaille 50 fois à un tarif de 200. Leur revenu (en termes de salaire direct) est ainsi identique sur la période : ils ont, tous les deux, perçu 10 000. Une qualification de salariés par leurs salaires (tarif) revient à considérer que la danseuse et le catcheur, lorsqu’ils sont hors emploi, doivent percevoir des indemnités qui demeurent dans le même rapport que dans l’emploi. Dans un tel schéma le hors-emploi de la danseuse vaut quatre fois plus (200/50) que celui du catcheur. Une qualification d’employés par leur performance d’emploi combine leur capacité à obtenir des emplois bien rémunérés et surtout de nombreux emplois. Dans cette dernière perspective, le catcheur, qui a une quantité d’emploi quatre fois plus élevée que la danseuse devra être privilégié dans l’attribution d’un revenu hors-emploi12. Enfin, une qualification des travailleurs par leurs revenus aboutit au principe d’un traitement égal entre le catcheur et la danseuse, dans la mesure où leur revenu (en termes de salaire direct) est identique.

26L’analyse de l’évolution des régimes d’indemnisation montre ainsi que la figure valorisée par le système est mouvante. On adjoint d’abord à une métrologie du salaire comme tarif, une métrologie du temps de travail pour passer ensuite à une métrologie du revenu salarial. On peut bien sûr lire dans ces réformes une évolution de la figure du « bon » professionnel : celui dont la valeur est reconnue parce qu’il est bien payé, celui qui est reconnu parce qu’il travaille régulièrement, ou celui qui est reconnu parce qu’il gagne convenablement sa vie et qu’il jouit par conséquent d’une certaine forme d’autonomie justifiant une allocation marginalement décroissante.

27Cependant, est-il pertinent de considérer ces trois dispositifs de façon homogène ? La mesure d’objets qui ne sont susceptibles que de variations marginales est-elle comparable à celle d’objets dont le simple fait d’être mesurés tend à susciter des pratiques qui les modifient ? Le tarif salarial moyen est à l’évidence une variable moins susceptible d’être contrôlée par les intéressés que le temps de travail ou le revenu salarial global sur une période donnée. Le dernier emploi occupé et le dernier salaire perçu n’ont ainsi qu’une influence minime (et de sens indéterminé) sur le tarif salarial annuel moyen. Au contraire, la durée d’emploi ou le revenu sont directement et positivement affectés par un emploi supplémentaire. Autrement dit, la perspective statique et ex post qui consiste à jauger ces métrologies comme de simples sanctions valorisant telles ou telles figures est insuffisante. Il convient d’y adjoindre, dans une perspective dynamique, une analyse ex ante des incitations ou des injonctions contenues dans les différents dispositifs.

28Dès lors, on peut se demander si l’indemnisation en fonction du tarif salarial journalier d’une part, l’indemnisation en fonction du volume d’emploi ou du revenu annuel de l’autre, ne correspondent pas à deux logiques irréductibles. Dans le premier cas, la mesure sert à caractériser un objet à peu près fixe, de l’autre elle agit comme une incitation. D’un coté on appuie une qualification sur une « qualité », de l’autre on appuie une qualification sur une « quantité » toujours susceptible de variations fonction des vicissitudes du hic et nunc. L’ancien modèle tend ainsi à qualifier des états alors que les deux nouveaux modèles proposent un système d’incitations. On peut ainsi faire l’hypothèse du passage d’un système fondé sur la proportion (en proportionnant les ressources distribuées à une qualification de son destinataire) à un système fondé sur la compensation (en incitant à adopter un comportement en échange d’une compensation). Davantage qu’un simple déplacement d’objet de la valorisation, ces réformes n’engagent-elles pas des modes de valorisation appartenant à des régimes de justice irréductibles ?

De la qualification à l’échange

29L’approche en termes de répartition est partielle : si les situations peuvent être variables d’un salarié à l’autre, et si la manière de distribuer le revenu entre tous est essentielle, chaque salarié peut lui-même connaître des situations fort variables. Les principes d’équité doivent donc être analysés sous l’angle de la situation individuelle. Quelles sont les injonctions que le système d’indemnisation émet envers l’individu ? Comment structure-t-il l’accès à la ressource de chacun ? L’élément le plus simple − et le plus important − de cette structuration des situations individuelles est la condition d’ouverture de droits de 507 heures travaillées dans une période de référence. Elle structure la situation individuelle de chaque intermittent de manière binaire : en être ou pas, disposer d’une garantie de revenu ou pas. Ce seuil de 507 heures fonctionne ainsi comme une incitation (ou une injonction) du système d’indemnisation envers les possibles allocataires13.

30Mais opposer une approche en termes de répartition à une approche en termes d’incitation ne relève pas simplement du changement de regard. On voudrait montrer dans cette partie que l’évolution de l’indemnisation elle-même correspond à une inflexion de l’indemnisation d’une logique de répartition à une logique d’échange (consenti ou non) et d’incitation. Il y a une solution de continuité entre l’ancienne formule et les nouvelles : là où la première agissait en répartissant la richesse en fonction d’une qualification (au sens fort d’attribution d’une qualité) et relevait par conséquent d’une justice distributive, les secondes privilégient une justice fondée sur un échange ou un rapport d’incitation qui s’établit entre l’assuré social et l’assurance-chômage. Le premier régime de justice est fondamentalement géométrique (en visant à proportionner la distribution des richesses aux « qualités » reconnues aux individus). Il répond à la question « qui mérite quoi » ? Le second, qu’il relève d’un échange librement consenti ou d’une intention de « contrôle social », pose la question : « combien faut-il pour que A obtienne de B une modification de son comportement ? » ou « quel niveau est nécessaire pour compenser les désutilités que B subit en acceptant les injonctions de A ? ». En ce sens, il est fondamentalement arithmétique (un plus est « proposé » pour compenser un moins).

31En outre, la neutralité du premier modèle, fondé sur une logique d’attribution d’une qualité à un individu (sur laquelle il n’a hic et nunc qu’une prise faible) était le fondement d’une autonomie salariale. Inversement, dans les modèles postérieurs, prédomine une logique d’accumulation (de l’emploi ou du revenu) dans laquelle chaque action a une influence directe sur l’indemnisation journalière, ce qui met en cause l’autonomie du salarié directement en tant qu’il se trouve en bute aux injonctions de l’assurance chômage, et indirectement en tant qu’on lui retire le support qui lui assurait une émancipation vis-à-vis de la subordination salariale. En d’autres termes, à un quasi-statut assuré par une quasi-qualification se substitue un double système d’échange asymétrique : échange avec l’employeur et échange avec l’assurance-chômage.

32Quelles injonctions ou incitations les différents systèmes d’indemnisation émettent-ils envers les intermittents ?

33Les niveaux d’indemnisation se différencient, dans l’ancien modèle, selon une seule dimension : celle du Salaire journalier de référence. De ce fait, le mécanisme d’incitation est simple : la seule manière de se garantir un flux de revenu élevé est de s’assurer le meilleur Salaire journalier possible. Dès lors que le seuil d’éligibilité est atteint, le fait d’accepter ou de refuser un engagement n’a pas en soi d’influence sur la garantie assurée par l’indemnisation chômage dans la période suivante. Le système est insensible au fait de savoir si l’intermittent travaille 507, 600 ou 1500 heures… Il y a là une spécificité de la logique de salaire fondée sur la mesure d’une valeur qui qualifie le salarié : l’acceptation ou le refus d’un emploi ne remet pas en cause la garantie de revenu que constitue l’indemnisation pour la période suivante. Même si l’on peut considérer, en amont, que la méthode de calcul de cette qualité que constitue le tarif est injuste ou inappropriée, elle permet, en aval et d’un simple point de vue pragmatique, d’assurer une déconnexion entre les comportements hic et nunc et le flux de revenu de l’indemnisation. En d’autres termes, l’avantage d’un principe de qualification (même « mauvais » dans sa construction, c’est-à-dire fondée sur une qualité contestable) est de permettre une certaine autonomie dans les choix quotidiens (de travailler ou pas, de travailler pour ce tarif ou pas, de travailler pour cet employeur ou pas) dans la mesure ou ces choix n’ont qu’une incidence très marginale sur le futur.

34Les analyses se sont centrées sur une incitation non-voulue qui dérive de ce système : celle de la « sous-déclaration ». De fait, seule la variabilité des salaires autour de la moyenne encourage à la sous-déclaration. Un intermittent qui aurait tout le temps le même tarif n’a pas intérêt à travailler plus ou à travailler moins. Simplement, s’il travaille à un tarif inférieur à la moyenne des tarifs, il fait baisser cette moyenne et, par conséquent, le niveau de sa garantie future. Apparaît ici un deuxième « effet pervers ». Il existe dans le cadre de ce régime d’emploi flexible certaines marges de manœuvre pour transformer des heures en salaire ou inversement. En s’entendant avec leurs employeurs, les intermittents peuvent déclarer davantage d’heures pour un taux de salaire plus faible ou, à l’inverse, déclarer moins d’heures pour un taux de salaire supérieur, et tout cela pour un revenu identique. Autrement dit, pour un même revenu, il est possible, pour certains, de minimiser le Nombre d’heures travaillées afin d’optimiser le salaire journalier et par conséquent leur Indemnité journalière. Inversement, il est avantageux, pour d’autres, de minimiser le salaire journalier pour parvenir au seuil d’éligibilité. En dehors de ces configurations polaires (qui, dans la réalité, peuvent être vécues par les mêmes intermittents et donc s’annuler partiellement) qui prennent leurs sources dans la variabilité des tarifs autour d’une moyenne, l’ancien système n’émet de signal incitatif clair, sinon celui d’être le mieux rémunéré possible lorsqu’on est en emploi.

35Les nouvelles formules (celle de 2003 comme celle de 2006, mais aussi la contre-proposition de la CIP-IDF) introduisent, à l’inverse, une logique incitative forte qui prend la forme d’une injonction à la mise au travail. La formule de 2003, en introduisant le Nombre d’heures travaillées dans l’assiette de l’indemnisation journalière, tend à corriger les « effets pervers » du modèle précédent. Mais, en neutralisant partiellement les « effets pervers » de l’ancien modèle, elle introduit de fait une toute autre logique. Le raisonnement précédent était un raisonnement à la marge : on répondait à la question « comment faire qu’un emploi supplémentaire moins bien rémunéré que la moyenne de tous les précédents ne fasse pas baisser l’indemnisation journalière sur toute la période suivante ? ». Mais, en modifiant le calcul de l’indemnité pour répondre à ce problème marginal (au sens mathématique et non au sens d’une faible fréquence de la pratique), on redessine une toute autre logique globale de l’indemnisation. Dans le modèle de 2003 comme dans les suivants, le Nombre d’heures travaillées n’est pas pris en compte à la marge mais pour tous les emplois. Ce sont toutes les heures travaillées qui entrent dans le calcul et non pas seulement l’heure « supplémentaire » responsable de l’effet pervers dans l’ancien régime.

36Si, d’un point de vue statique et ex post, le mode de calcul de 2003 peut être lu comme qualifiant de « vrais » professionnels (ceux qui n’ont pas de problème d’employabilité), on peut considérer, d’un point de vue dynamique et ex ante, qu’il constitue une incitation au « cachetonnage ». À ce titre, il peut être rangé aux côtés des mesures visant à « l’activation des dépenses passives ». Pour un même Salaire journalier de référence, un intermittent a tout intérêt à beaucoup travailler. Chaque heure travaillée pendant la période de référence représente exactement un gain de 2,6 centimes d’euros de garantie journalière pendant la période d’écoulement des 243 Indemnités journalières.

37La logique de mise au travail est encore accentuée par le contre-modèle de la CIP et le modèle adopté en 2006-2007. Ces formules reprennent explicitement le Nombre d’heures travaillées dans leur assiette. Toutes installent donc une prime à l’emploi (plus ou moins variable, plus ou moins progressive). Mais, contrairement au protocole de 2003, ces systèmes ne se contentent pas de contrebalancer la logique du Salaire journalier de référence par l’introduction dans l’assiette du Nombre d’heures travaillées. Ils sont structurés par le temps de travail parce qu’au-delà de l’introduction du Nombre d’heures travaillées dans l’assiette de l’indemnisation, ils se fondent sur le salaire annuel (ou équivalent) qui intègre dans sa définition même une quantité de travail : quels que soient les taux de rémunération, davantage d’emploi est toujours synonyme de davantage de revenu salarial. Le temps de travail intervient donc directement et indirectement dans le calcul de l’indemnité journalière : il s’agit donc d’une double prime à l’emploi.

38La réforme de 2003 constitue un tournant important qui fait de la quantité de travail un élément structurant du calcul de l’indemnité journalière et entame la rupture avec la logique de salaire de l’ancien système. Dans une logique de « prime à l’emploi », l’assurance chômage fonctionne comme un redoublement du marché du travail, tentant de récompenser les comportements « vertueux » en termes d’emploi. Dans cette perspective l’assurance chômage est conçue comme une béquille du marché du travail qui lui permet d’assurer que l’emploi « paye » (« making work pay » ou « travailler plus pour gagner plus »). Les dernières formules, loin de s’éloigner de ce système l’accentuent.

39L’incitation à la mise au travail transforme profondément la logique d’assurance sociale en passant d’une logique de qualification assurant une autonomie salariale à une logique d’échange porteuse d’une double hétéronomie. La première hétéronomie provient du fait que cet échange entre l’intermittent et l’assurance chômage est asymétrique. Dans les formules de la CIP, de Jean-Paul Guillot et dans celle adoptée par l’Unedic en avril 2006, plus encore que dans la formule de 2003, le salarié intermittent est confronté, dès lors que l’accumulation de temps de travail devient l’élément structurant du système d’indemnisation, à une injonction contradictoire. Il est placé dans une situation d’arbitrage inter-temporel assez inédite. Le fonctionnement d’un tel système incite en effet à ne pas jouir de la garantie qu’il est censé s’être assuré sous peine de voir se détériorer cette garantie : le meilleur moyen de pouvoir s’assurer contre l’absence d’emploi dans le futur est de ne surtout pas percevoir le revenu que l’on s’était garanti durant la période précédente ! L’intermittent ne peut jouir effectivement, à une période donnée, de la garantie qu’il s’est construite par l’accumulation d’emploi dans la période précédente, qu’au prix du sacrifice de la garantie de revenu pour la période suivante. On retrouve – dans des termes certes inédits – les mécanismes classiques d’épargne individuelle. On réintroduit de l’arbitrage inter-temporel là où la logique de salaire permettait de faire évoluer de conserve l’indemnisation et le salaire. Dans les trois dernières formules présentées, plus encore que dans le protocole décrié de 2003, le travail devient un moyen d’épargne dans lequel on investit pour s’assurer une garantie de revenu pour l’avenir. On adopte ainsi une logique du donnant-donnant, du bonusmalus, c’est-à-dire une logique de conditionnalité du revenu qui prend la forme d’un échange entre l’assurance sociale et l’allocataire mais dont les termes sont unilatéralement fixés par l’assurance-chômage.

40Dans de tels systèmes, les intermittents, combinent leur ancienne condition de travailleur à la tâche à un nouveau statut d’assuré social à la tâche. L’assurance-chômage, quant à elle, prend la forme d’un pouvoir tutélaire qui vient redoubler et non plus contredire la logique de subordination des salariés à leurs employeurs.

41Suivre les modalités de calcul de l’indemnité permet de comprendre, au-delà des discours et des enjeux du conflit social, une évolution des modes de valorisation du hors-emploi des intermittents. Le mode de calcul de 2003 d’un côté, les formules de la CIP, de Jean-Paul Guillot et de la négociation d’avril 2006 sont d’inspirations très différentes. Mais ils se distinguent encore davantage du mode d’indemnisation qui prévalait depuis le début des années 1980. On peut en effet dégager quelques tendances communes :

• La disparition de toute référence à l’idée de valeur salariale caractérise à divers degrés ces quatre formules. Jusqu’en 2003, parce que l’indemnisation de l’intermittence était fondée sur le Salaire journalier de référence c’est une logique de salaire qui dominait. Même si ses modes de fixation était assez frustres, le rôle que tenait le salaire journalier dans l’indemnisation était bien celui d’une quasi-qualification des individus : il attribuait, pour un an, une « valeur » et, surtout, une garantie effective de revenu. Cette logique est largement contournée dans le protocole de 2003 et totalement abandonnée dans les propositions de la CIP et de Jean-Paul Guillot.
• L’activation des intermittents-chômeurs, c’est-à-dire l’incitation qui leur est faite de plus travailler (ou de plus déclarer leur travail) est une deuxième tendance marquée. Le protocole de 2003, en durcissant de manière extrêmement importante les paramètres d’éligibilité, en est la principale illustration. Mais la mise en place d’une prime à l’emploi dans le mode de calcul de l’indemnisation (qu’on retrouve dans toutes les formules depuis 2003) participe aussi de cette logique. Celle-ci peut être présentée comme l’établissement d’un système d’échanges entre la caisse d’assurance-chômage et les intermittents : la présence du Nombre d’heures travaillées dans l’assiette de l’indemnité journalière fonctionne comme un système classique de bonus-malus.
• Enfin, la logique « d’encouragement à l’emploi » est accentuée par le passage d’une logique de salaire distributive à une logique de revenu commutative ou compensatoire. En termes de répartition, abandonner le salaire journalier au profit du salaire annuel permet à la Coordination des intermittents et précaires de penser un système de redistribution entre les plus « riches » et les plus « pauvres ». En termes de structuration des situations individuelles, ce mouvement conditionne le niveau du droit à ressource à un processus d’accumulation. Dans les formules de la CIP, de Jean-Paul Guillot ou dans celle de l’Unedic d’avril 2006, chaque euro perçu et chaque heure travaillée augmentent le montant de l’allocation garantie. Dans la mesure où la durée de la période de référence est fixée, chaque journée non travaillée et chaque euro non perçu contribuent (négativement) à fixer le niveau du flux de revenu garanti par l’assurance-chômage. Autrement dit, en rendant effective la garantie de revenu qu’il s’est construite en accumulant des salaires et des heures de travail, l’intermittent qui touche une Allocation journalière met en cause d’autant sa garantie future…

42Ces tendances montrent bien que la qualification du travail au sens le plus large peut avoir des effets tout à fait différents : le fait d’attribuer une qualité au salarié (la qualification au sens strict) et d’indexer une partie de son flux de revenu sur cette qualité, c’est l’émanciper pour partie d’une relation d’échange asymétrique avec ses employeurs. Mais, à l’inverse, fonder la valorisation du hors-emploi non plus sur la qualification de la personne mais sur une qualification de son travail subordonné (qu’il s’agisse d’une mesure de l’emploi ou d’une mesure de la situation financière qui en résulte) c’est précisément renforcer la subordination en la redoublant.