2. Valoriser la communication : l’appel téléphonique utile
p. 55-71
Texte intégral
1LE TÉLÉPHONE S’IMPOSE initialement comme un instrument de laboratoire. Association d’un microphone transmetteur et d’un récepteur, il séduit le physicien par son extrême sensibilité : ouvrant « un monde de son là où l’on croyait que régnait un silence complet », il décèle des courants dont l’intensité ne pouvait être mesurée jusqu’alors « faute d’étalon assez petit auquel on puisse les comparer »1. La fin des années 1870 initie ainsi un double chantier pour les ingénieurs des Postes et Télégraphes : l’étude de la nature des courants téléphoniques, et leur production au moyen d’appareils performants. L’identification d’un objet « téléphonique », avec la visée pratique que nous lui connaissons, résulte de leurs efforts pour discipliner les « effets téléphoniques », qui esquissent à la fin du xixe siècle les contours d’un produit économique – le service téléphonique.
2Ce produit connaît une longue série d’innovations techniques – dans les domaines aussi variés que les transmetteurs et récepteurs, les lignes et leur amplification, leurs interconnexions, la commutation, le routage – et de configurations productives, depuis l’étude de phénomènes physiques, l’exploitation minière, l’exploration sous-marine, l’art militaire, la diffusion de concerts, etc., jusqu’au réseau de communication entre abonnés. Elle mène de la découverte d’un « effet téléphonique » – un son est transporté, mais distordu et affaibli d’un point à un autre – à celle du « trafic téléphonique » – cette forme spécifique prise par la demande en communications après l’invention de l’artefact « réseau téléphonique »2.
3Les mesures élaborées par les ingénieurs, en permettant de suivre cette métamorphose des « qualités » téléphoniques, éclairent la genèse de formes d’optimisation économique. L’inventaire entre 1880 et 1938 des Annales des Postes, Télégraphes, Téléphones voit en effet les ingénieurs à la recherche d’une « valeur » du téléphone ; ils déploient des enquêtes économiques, bien avant que le secteur ne soit investi par une métrique marchande (1). Nous détaillons ici un épisode essentiel du basculement de leur cadre d’optimisation d’une économie de la « moindre perte » (2) vers une économie du produit (3), dont surgissent un « appel utile » et un client « calculable » (4). Si la Grande Crise donne un coup d’arrêt au développement du téléphone, ces premières définitions positives de sa valeur seront oubliées quand des ingénieurs fonderont quarante ans plus tard une économie des télécommunications. Mais en montrant qu’une telle élaboration peut avoir lieu au sein du cadre organisationnel, hors du contexte marchand, elles signent l’efficace de la mesure.
L’économique hors du cadrage marchand
4Les mesures offrent une entrée sur le travail d’ingénieur complémentaire aux controverses ou à la « concrétisation » technique. Nul doute que les ingénieurs du Téléphone soient amenés à justifier publiquement leurs choix, et que leur travail soit tributaire des évolutions propres à la technique. Mais il s’organise avant tout autour des équations qu’ils construisent, des schémas qu’ils tracent. Jack Goody (1977) rappelait que le calcul commence avec la taxinomie et la liste, et ne s’en émancipe jamais. Saisir l’enquête et le calcul économique depuis la « raison graphique » du ratio, c’est-à-dire à travers l’étude des instruments de calcul par lesquels sont exprimées des normes d’efficience, c’est ainsi distinguer d’emblée des évaluations et des engagements normatifs.
5Les périodes où les ingénieurs optimisent – ils savent quoi compter et comment – alternent avec celles où ils arpentent – multiplient les mesures et en inventent pour circonscrire de nouveaux phénomènes. Dans les premières, leurs choix sont guidés par une modélisation, dans les secondes, par la recherche d’une façon de calculer. Contrairement à la notion de « paradigme techno-économique », qui privilégie les « routines organisationnelles », appelant en contrepoint l’identification des « révolutions », la notion d’enquête permet d’articuler le caractère routinier du travail d’organisation et sa dimension problématique et créatrice.
6Ainsi, l’« effet téléphonique » est obtenu initialement grâce à un transmetteur, dont la « force » doit vaincre la « résistance » de la ligne. Les efforts de conception se portent sur l’émetteur, et la ligne téléphonique est si négligée qu’un adage énonce que « pour les lignes de téléphone, tout est assez bon ». Or ce cadre de calcul n’est plus opérationnel lorsque surgissent des cas de signaux « forts » et néanmoins inaudibles3. L’hétérogénéité croissante des installations amène des bruits et des distorsions ; et l’invention des amplificateurs, qui règle le problème de la « force » du signal, introduit simultanément des problèmes inédits de qualité d’audition. Comment définir alors les termes d’une « exploitation économique »4 ? La ligne est reconfigurée : elle n’est plus ce qui « affaiblit l’intensité du courant » (ibid.), mais est identifiée à l’affaiblissement du son transmis5. Si la première Conférence internationale des techniciens des Administrations des Télégraphes et des Téléphones envisage encore en 1910 des mesures électriques, elle mentionne déjà la nouvelle mesure qui va les déclasser : les « essais de conversation ». Cette mesure auditive, qui procède par comparaison avec une longueur équivalente en « mètre de ligne étalon », résume les diverses propriétés électriques en une seule variable : l’affaiblissement. Mesurer celui qu’introduit dans une liaison entre deux interlocuteurs chacun de ses éléments, du cordon au bureau téléphonique, c’est calculer une « qualité d’audition ».
7Les méthodes successives inventées par les ingénieurs pour circonscrire et dénombrer les « qualités » du téléphone président aux métamorphoses de l’activité téléphonique. Inventer une mesure6, c’est définir un cadre où l’ensemble des choix relève d’un calcul d’optimisation, sur la base d’une économie naturelle des « instances » téléphoniques7. Si le rapport au produit précède et conditionne tout possible rapport au marché, la construction de formes d’équivalence et d’optimisation commence ainsi dès l’espace productif. Avant d’être saisis par une métrique marchande, les produits sont façonnés par des métrologies organisationnelles variées. Suivre leur genèse8, c’est alors saisir le travail des valeurs ou l’économie morale qui les trame.
8Mais de quelle « économie » s’agit-il ici ? Les ingénieurs des Postes et Télégraphes du début du xxe siècle n’ont guère de « culture économique » au sens académique du terme. Leurs écrits ne font référence ni aux auteurs de l’économie politique, ni à ses outils. Si la pauvreté des justifications économiques entourant la monopolisation en 1889 des réseaux par l’État a été soulignée9, c’est seulement dans les années 1980 qu’apparaît une « économie des télécommunications » ou « des réseaux ». Évitons donc l’anachronisme : le téléphone comme transport du son reste longtemps disjoint de toute idée de fonctionnement en réseau. De plus, tant que les activités tertiaires ont été pensées comme le dédoublement des activités primaires ou secondaires, sans dynamique propre, les messages n’étaient que des doublures, non un bien économique per se nommé « information ». La littérature a bien traduit l’image futile, voire frivole, qui marque le téléphone jusqu’aux années soixante : il « n’est vraiment utile qu’aux hommes qui font de grosses affaires ou aux femmes qui ont quelque chose à dissimuler » (Colette, Gigi, 1943). Les notions d’« information » et de « performativité » ne seront formulées qu’à partir des années 1950. Avant les travaux de C. Shannon, la valeur du téléphone tient aux « messages téléphonés » qu’il permet de transmettre, non à un contenu en termes d’information10. Mobiliser cette notion, conçue par les laboratoires Bell pour faire disparaître des problèmes d’ingénierie, interdirait ainsi de comprendre le travail antérieur des ingénieurs, aux prises avec les problèmes qu’elle dissout. En particulier, la notion de « message » ne dit rien de l’avantage du téléphone sur le télégraphe, c’est-à-dire de l’intérêt de la mise en communication directe et d’une réponse immédiate. La facturation sera ainsi longtemps opérée à la conversation et non au temps. Sans autre définition qu’empirique, ce terme de « conversation » va toutefois revenir nourrir la réflexion des ingénieurs lorsque leur cadre d’optimisation sera mis en défaut. Comment justifier, en effet, la taxation d’une durée alors que la conversation est encore comparée à un échange de télégrammes ? Plus bas, nous présenterons les détours qui voient la durée, avant même toute réflexion sur ce qu’elle produit, connaître une première taxation : parce qu’elle coûte.
9Loin de dépeindre les ingénieurs du Téléphone en économistes – pas plus qu’ils n’entendent édifier une théorie économique, ils ne poursuivent une théorie de la valeur – nous allons découvrir des praticiens de la valeur économique. En quête d’effets « utiles », leurs articles utilisent le langage caractéristique de l’enquête économique : « la vie » et le « coup d’œil ». Le coup d’œil signe l’efficacité de l’icône :

Figure 1. L’inscription primitive du son : l’inscription pressent l’ordonnancement d’un phénomène qui échappe encore.
10En prêtant à une entité une économie naturelle, l’analogie vitale la situe à l’horizon d’une exploration indéfinie – celle ici de la « vie téléphonique », propre à une ligne (Fig. 1), un circuit, ou une conversation, et des « mécanismes qui, par leur souplesse et le nombre sans cesse accru des combinaisons qu’ils permettent de réaliser, deviennent presque comparables à des organismes vivants, et sont comme eux en état d’évolution permanente »11. Au motif vital, répond la réduction iconographique : la nécessité de saisir « d’un coup d’œil », au moyen d’une courbe, d’un chiffre, d’un artefact aisément manipulable, etc. Comment rendre le téléphone « calculable » ?
Une économie de forces : l’appareil, la ligne et l’opératrice
11Bernard Grall (2004) désigne par l’expression d’« économie de forces » le cadre de pensée des ingénieurs du xixe siècle qui, issu de la mécanique industrielle, érige le « travail » en « monnaie mécanique » selon la formule du physicien Claude-Louis Navier (Vatin, 1993, p. 58). François Vatin a montré que cette formalisation dans les années 1820 du concept physique de travail a une vocation d’emblée économique : elle associe la visée d’un effet utile et une norme économique – la transmission parfaite du travail. À cette aune, les phénomènes mécaniques sont thématisés comme des transformations imparfaites : les forces appliquées produisent leur effet moyennant un certain ratio de pertes. Il s’agit alors de lutter contre les frottements inutiles, qui dissipent de l’énergie dans les machines.
12Les ingénieurs du téléphone déploient une telle économie des pertes : maximiser le ratio du travail utile sur le travail dépensé, c’est minimiser les pertes d’énergie dans les appareils, puis dans les lignes téléphoniques. La domestication des « effets téléphonique », nécessaire à l’introduction de l’appareil dans la pratique, s’est d’abord focalisée sur la « force » du transmetteur : « Toute personne qui a eu un téléphone à sa disposition a cherché un moyen d’augmenter la puissance de cet instrument »12. Nous avons présenté le saut conceptuel qui les voit passer ensuite de l’analyse des courants électriques à une mesure auditive de la qualité des lignes. Il les voit dessiner un espace d’arbitrages possibles entre le coût de la ligne et la qualité d’audition. Les pertes ne relèvent donc plus seulement d’une économie naturelle des lignes, mais d’une visée gestionnaire, qui impose ses propres exigences à des lignes devenues commensurables.
13Dans un cadre marchand, cet espace d’équivalence servirait à explorer la demande, afin de déterminer la qualité offrant le meilleur rapport entre gains et coûts. Les ingénieurs du téléphone visent, quant à eux, un standard de qualité de service à la fois acceptable pour le public et compatible avec leur budget ; autrement dit, une « bonne transmission » à un « coût minimum ». Reste que l’« économie de la ligne » est bien la première figure d’un produit : les ingénieurs identifient la valeur économique à la minimisation des pertes le long des lignes. La standardisation saisit là toutefois un produit encore évanescent dans la France des années 1920, l’enjeu restant la possibilité même d’une « exploitation économique » du téléphone à grande distance.
14Au-delà de la mise au point des postes, les premiers pas d’un service téléphonique sont marqués par le coût d’infrastructure des lignes. La répartition de cette ressource rare suscitant d’importants coûts d’exploitation, les ingénieurs étendent l’« économie de forces » aux opératrices (Bidet, 2005b). Comme pour la ligne, ils cherchent à établir une relation de proportionnalité entre le travail dépensé, qui justifie une taxe unitaire, et le travail utile : « tout écourtement du temps indispensable à l’établissement et même à la rupture des communications est un gain »13. Le souci d’organiser rationnellement le travail des opératrices identifie ainsi le rendement optimal à la suppression des gestes et paroles inutiles ; et le critère de l’utile renvoie à la facilitation du service – la minimisation des frais de main-d’œuvre.
Au-delà des mesures en travail : créer de l’utilité ?
15Avec le début de réalisation que connaissent, dans les années 1920, les premiers programmes de construction de réseaux téléphoniques, cette « économie de forces » va être troublée. L’apparition dans le paysage téléphonique de nouvelles entités, les circuits interurbains14, relance alors le travail des ingénieurs pour « calculer » le téléphone.
16L’exploitation interurbaine pertube leur cadre de calcul en s’imposant d’abord par défaut : « la longueur des lignes auxiliaires n’est plus négligeable » ; « l’importance du trafic entre deux localités ne justifie pas l’application des méthodes d’exploitation urbaine »15. De plus, contrairement aux réseaux urbains, les frais liés aux longs circuits interdisent de les multiplier pour disposer de « plus de 999 chances sur 1000 » d’en trouver un libre.
17Un « long circuit » n’est pas défini par sa longueur, mais par le type de calcul qui s’y applique. La barre est placée à 100 kilomètres : en deçà, « le point capital n’est pas la perte de temps à éviter mais les frais de main-d’œuvre »16 ; au-delà, l’amortissement du capital investi exige de subordonner l’optimisation des frais de main-d’œuvre au rendement des circuits. Ce déplacement de l’exigence de rendement, de l’opératrice vers le circuit, engage à « ne donner à l’opératrice qu’un très faible nombre de circuits à desservir » : « l’augmentation de rendement que l’opératrice peut obtenir ainsi compensant, et au-delà, les frais supplémentaires de personnel et d’équipement ». C’est une procédure pratique « qui permet, par tâtonnements, cette détermination »17. Des expériences ont été menées en 1910 sur les six circuits qui relient Paris à Lille : il s’agit de diminuer le nombre de circuits confiés à une opératrice à l’heure chargée, afin d’accroître le nombre moyen de communications données par circuit, tant que « la plus-value des recettes » reste supérieure à l’augmentation des dépenses de personnel, alors assimilées à un coût fixe.
18Le nombre de circuits à confier à une opératrice n’est donc plus déterminé par le temps moyen mis à établir une communication, mais par le rendement du circuit selon sa charge de travail : « les frais supplémentaires d’exploitation qui en résultent sont minimes comparativement au manque à gagner occasionné par un service défectueux »18. La gestion des circuits interurbains – « capital immobilisé considérable » – amène ainsi les ingénieurs à se dégager de la seule figure du coût, pour définir en creux la valeur du service.
19Si le regard change, c’est qu’il s’applique à « un autre régime d’inscriptions et de traces » (Latour, 1985, p. 15). Le « manque à gagner » apparaît ainsi sur le graphique suivant. Si la représentation idéale de chaque circuit téléphonique par une droite continue, faisant fide la discontinuité des appels, est propre à l’optimisation du rendement des circuits, la résistance du réel se marque par le caractère discontinu de la représentation :

Figure 2. Détail. Enregistrement graphique du temps d’occupation des lignes d’un groupe de lignes auxiliaires (reproduction dans les Annales en 1921 d’un document d’AT & T, 1918)19
20Chaque horizontale représente l’occupation d’un circuit dans le temps ; les traits correspondent aux appels qui leur ont été affectés, avec leur numéro d’ordre. L’intervalle entre deux traits verticaux représente cinq minutes. La matérialité de cet artefact gestionnaire le dote d’une efficace propre (Bayart, 1995) : il naturalise un certain nombre de choix. Le graphique témoigne en particulier d’un implicite de l’« économie des circuits » : les appels successifs démarrent avec un décalage qui correspond à leur traitement successif par une même opératrice. Autrement dit, les appels ne sont pas traités au moment de leur demande. Pour qu’améliorer la disponibilité des opératrices puisse accroître le rendement des circuits, il faut en effet supposer qu’elles disposent d’une population d’appels à mettre en série. Or, la demande d’appels n’a ces propriétés qu’en vertu du mode d’exploitation en vigueur, et plus précisément d’une « contrainte technique » qui lui est propre : la durée d’attente, couramment de plusieurs heures pour l’interurbain dans les années 1920. Au départ, elle est un fait d’observation : « la durée moyenne d’attente dépend de l’excès des demandes qui peuvent se produire dans une période donnée sur la capacité d’écoulement des circuits ». La « nécessité de rappeler » le demandeur, et pour cela de « prendre note » des demandes afin d’en établir l’« ordre chronologique », n’en est que la conséquence (ibid.). Les ingénieurs font ensuite de cette « contrainte technique » un objet de gestion. Soumise à un travail explicite d’organisation, la durée moyenne d’attente devient alors une norme : calculée à partir d’un optimum mesurable de la file d’attente, elle maximise la valeur produite par le remplissage des circuits.
21Le « rendement des circuits » illustre ainsi la genèse pratique d’un objet d’optimisation, marquée par le primat de l’exploration des contraintes et des régularités de l’activité téléphonique. Une donnée « technique » ne présente pas d’intérêt en tant que telle ; seule importe sa relation avec un produit, et la possibilité d’en dériver une optimisation. Immédiatement économique (Vatin, 2008b), celle-ci la consacre en retour parmi les « contraintes », non plus subies, mais posées ex ante. Faire de nécessité vertu : voilà qui marque l’ancrage pratique de l’enquête et de ses investissements de forme très explicites. Le service en vient à reposer sur la calculabilité de la durée d’attente, qui prescrit la charge des opératrices, de même qu’elles indiquent une durée probable d’attente à l’usager.
22Revenons au graphique (Fig. 2) pour apercevoir la conséquence inattendue de ce nouveau cadre d’optimisation : toutes les conversations y sont courtes, atteignant rarement et ne dépassant jamais l’écart entre deux lignes verticales, c’est-à-dire dix minutes. Ceci est le produit du travail des opératrices, appelées à veiller au respect de la durée standard des conversations – six minutes, au-delà desquelles la conversation est « coupée » si d’autres demandes sont en instance. C’est que, sans cette durée standard de conversation, « l’indication de la durée probable d’attente serait illusoire » : la durée moyenne d’attente ne serait tout simplement pas calculable. Le cadre d’optimisation que se sont donnés les ingénieurs n’est applicable qu’à condition de « couper » les conversations. Ils relèvent eux-mêmes le paradoxe de ce mode d’optimisation qui « coupe » les communications : « cette condition n’est pas favorable au rendement, car plus un abonné cause longtemps sur un circuit et mieux le circuit est occupé ».
23À travers ce choix, s’atteste la performativité des constructions économiques des ingénieurs. S’il s’impose, c’est aussi qu’il n’est guère possible de lui opposer à l’époque une objection solide : les communications sont conçues comme échange de messages, sans qu’une valeur propre ne soit attachée à leur durée, l’essentiel du service étant localisé au niveau de la mise en communication ; en outre, s’oppose aux communications longues un principe d’ordre public propre à une économie de pénurie : « Au point de vue général, il est impossible de laisser un abonné monopoliser un circuit au-delà d’un certain temps ; la limitation [de la longueur des conversations] permet de satisfaire un plus grand nombre d’abonnés et d’éviter un mécontentement excessif de la clientèle ».
24Or, la taxation restant unitaire, « couper » les communications fait correspondre la taxe à une durée d’occupation du circuit. Dès lors, il devient profitable d’optimiser leur utilisation. Bien que ce soit au départ ici le coût qui légitime le revenu, la rationalisation du calcul de ce dernier tend donc à déplacer l’attention des ingénieurs vers la considération d’un « gain ». Que la distance « rapporte », avec la modification de la facturation au-delà de 100 kilomètres, incite à faire disparaître davantage encore des équations toute trace de coûts concurrents. La mise en place d’un tarif ou d’un mode exploitation est performative : issue d’une localisation de la valeur/du coût, une fois instaurée, elle l’incarne et la transforme en donnée de gestion.
25Les circuits rares et coûteux doivent « rendre » et ce « revenu dépend du nombre des communications données »20. Le taux d’exploitation des circuits, en particulier des « quelques grands circuits à grand trafic » et à taxe unitaire élevée, devient l’objet d’un suivi « minute par minute » : il faut « que les conversations se succèdent presque sans interruption » pour « élever le revenu des lignes » et augmenter « la période d’occupation payante des circuits »21. En concevant la taxe comme la rémunération d’un capital, les ingénieurs déploient un nouvel espace de ratios monétaires22. Les évaluations en « francs » scandent alors une enquête qui tend à dissocier l’utile d’une modulation de l’inutile : si les « minutes productives » sont par nature distinctes des « minutes perdues », c’est le maniement du calcul monétaire qui dote la figure du gain d’une consistance propre en définissant leur différence – les « minutes productives » sont « payantes ». Les exploitants en viennent ainsi à associer les circuits à une production d’utilité et de revenu, coextensive à la durée des communications : l’utilité du service est confortée ex post par sa valorisation marchande.
26Pourtant, nulle émergence ici d’un « esprit de gain ». Thématiser le « rendement financier » ne conduit aucun des ingénieurs de la période à envisager une réponse marchande à la situation de pénurie que connaît de façon chronique le téléphone. Pour autant, cette possibilité est mentionnée dès 1887, dans la première contribution des Annales à la téléphonie interurbaine, où un ingénieur, en écho au débat sur les tarifs qui oppose alors les ingénieurs des chemins de fer, s’attache à dissiper le « mirage » des taxes basses : seule une taxe élevée « en chassant les correspondants qui n’ont qu’un intérêt insignifiant à communiquer, permettrait d’obtenir un service régulier », propice à une « exploitation véritablement commerciale »23. Il s’agit ici d’un raisonnement inspiré de Jules Dupuit : la valeur d’une communication n’étant pas la même pour tous les agents, la fixation d’un niveau de prix permet de distinguer ceux pour qui la communication atteint une valeur donnée. Mais c’est là un usage paradoxal de Jules Dupuit. Ce dernier, en effet, ne posait pas le problème de la rareté de la ressource : il entendait mettre en place une tarification différentielle pour que chacun puisse accéder au bien au prix qu’il est prêt à le payer. Ici, au contraire, l’offre étant fixe, il faut établir le prix qui détermine la demande correspondante ; on peut ainsi ajuster l’affectation des ressources par le prix et non par la file d’attente24.
27Le développement d’une rhétorique marchande (clientèle, revenu, bénéfices, francs, etc.), à la faveur de l’« économie des circuits », signe ainsi pour partie la valeur du calcul lui-même. Pour ces ingénieurs, calculer c’est emprunter une voie connue, économe et sûre, radicalement distincte de la « recherche des nombres » auxquels ils retournent ponctuellement face aux limites de leurs modèles. La « tendance au repos de la pensée »25, plus que la passion du gain ou l’amour de la connaissance, fait la valeur du calcul. Au terme d’une enquête qui les a fait passer de la minimisation de résistances physiques à la maximisation de recettes monétaires, l’« économie des circuits » leur permet ainsi temporairement de « calculer ».
L’apprentissage d’une loi de demande
28La performativité de cette « économie » rencontre toutefois ses limites, si bien que les stabilisations successives de la mesure ne s’émancipent jamais d’une dynamique d’enquête26.
29Maximiser le rendement des circuits confronte en effet les ingénieurs à une observation inattendue : « La mesure [des résultats d’une augmentation du nombre d’opératrices] eut aussi pour effet de mettre en relief un phénomène économique que nous avons vu se produire bien des fois : les communications étant données avec une attente moindre et établies plus sûrement, il y a eu plus de demandes et la moyenne journalière augmenta encore rapidement pendant un temps »27. Il y a là un effet de l’optimisation qui crée, à partir d’une gestion de pénurie, une abondance relative ; mais aussi de la mesure elle-même, qui équipe le regard et rend sensible à des dimensions jusqu’alors inaperçues. Les ingénieurs constatent aussi que « la mise en service d’une nouvelle ligne provoque un « accroissement de trafic »28. De telles observations, en suggérant l’existence d’une demande prévisible, qui pourrait être autre chose qu’une « gêne » pour le service, réduisent alors les objections financières opposées au développement des câbles souterrains : « L’audition est toujours bonne et l’on peut compter sur les communications établies. L’absence de bruits parasites est si complète que la compréhension est grandement facilitée. On augmente la confiance du public, qui fait un usage plus fréquent du téléphone, ce qui améliore beaucoup l’utilisation des circuits et par suite les recettes. Les circuits de réserve deviennent vite nécessaires et leur inutilisation est de courte durée »29.
30Mais le mode d’exploitation propre à l’« économie des circuits » devient aussi obsolète. Avec le remplacement d’artères aériennes par des câbles souterrains à nombreux conducteurs, la durée d’attente diminue, et les opératrices ne disposent plus d’appels en instance en nombre suffisant pour assurer une préparation régulière et une alimentation constante des circuits. En perdant sa pertinence, l’« économie des circuits » perd sa capacité de performation : « Il est illogique d’imposer à la clientèle une durée d’attente évitable, dans le seul but d’augmenter le rendement des circuits en service, puisqu’il existe, à côté de ceux-ci, des circuits dont le rendement est nul et dont les frais d’amortissement et d’entretien sont, à très peu de choses près, équivalents »30. Le « il est illogique » marque l’effort nécessaire pour s’affranchir du cadre existant : ce qui était logique cesse de l’être lorsque ce cadre n’est plus pertinent. Mais le fait est là : avec l’abondance de circuits, leur rendement n’a « plus d’influence sensible sur le montant des recettes puisque aucune demande ne risque d’être annulée du fait de l’encombrement des lignes ».
31La durée d’attente ne permettant plus d’organiser une file d’attente optimale, les ingénieurs vont alors construire un nouvel optimum, correspondant à la suppression de cette file d’attente : « Les méthodes d’exploitation doivent alors, non pas augmenter le rendement des circuits, mais diminuer la durée d’attente de façon à satisfaire davantage de clientèle et augmenter le nombre de demandes »31. Ils ne visent plus un optimum stable de « rendement maximum », mais une croissance dynamique du rendement des circuits via l’accroissement du trafic, qui devient la nouvelle variable à maximiser. Cette première intuition d’une « loi de demande » suscite au début des années 1930 l’essor d’un mode d’exploitation dit « à trafic direct », sur le modèle du « no delay service » américain32.
32On passe d’une gestion discrète (appel par appel) à une gestion continue (de flux) : le trafic ne désigne plus une donnée, mais une variable à optimiser. La valeur du service n’est plus située au niveau du coût du travail de l’opératrice, mais à celui de l’évaluation monétaire de la « demande ». Aussi, sa promotion en objet de gestion voit les ingénieurs se pencher sur le comportement et la satisfaction du demandeur. Maîtriser le flux du trafic, c’est en effet prendre en compte la capacité d’apprentissage du public : on escompte les effets d’une « confiance » grandissante dans le service, de « l’habitude d’être rapidement servi », d’une bonne audition, etc. La promotion du « point de vue des recettes » ne se saisit donc pas de l’abonné à des seules fins de légitimation : elle a besoin d’un « client » calculable.
33L’entrée par la mesure complète une sociologie économique restée tributaire du cadrage marchand hérité de la science économique (Bidet, 2008b ; Bidet et Vatin, à paraître). Suivre le fil du produit et de ses mesures, c’est ne plus réduire « l’économique » à l’exigence de coordination33, ni même aux performations de l’économie-discipline (MacKenzie et al., 2007). Des calculs économiques ont bien lieu en l’absence de prix de marché qui, quand ils existent, tendent plutôt à « abréger » le calcul – comme le montre l’examen comparé des rationalisations routière et ferroviaire mené par Bernard Grall (ibid.)34. L’étude des pratiques d’ingénieur amène ainsi à s’émanciper de la distinction wébérienne entre activité économique et activité technique (Vatin, 2008a ; Bidet et Vatin, 2008). L’entrée métrologique, en rappelant à la matérialité des opérations de mise en équivalence, permet de suivre les enquêtes économiques indigènes, qui puisent plus au souci d’optimalité qu’à la seule orientation marchande.
34Elle pointe en particulier deux ressorts de ces enquêtes : l’incomplétude et la performativité. Mais il ne s’agit pas de « montrer à l’œuvre le mesureur, à la recherche d’une précision de plus en plus sûre comme de plus en plus fine » (Dagognet, 1993, p. 76). Si la mesure est intrinsèquement évolutive, sa dynamique engage plutôt un « redoublement de l’abîme », par lequel l’objet à mesurer impose le renouvellement permanent du calcul, à mesure que ses « capacités réactionnelles » connaissent une réduction iconographique. C’est dire que la médiation métrologique ne jouit pas seulement d’un pouvoir « unificateur », mais aussi « fixateur » et « révélateur ». Sa « tâche fixatrice » et ses effets de « mise en visibilité » ont une valence à la fois normative et pragmatique : « ce qui est saisi est délesté de l’inutile, de l’encombrant », et projeté « sur un support favorable à un langage opérationnel » (ibid., p. 167). Dans son étude historique, Witold Kula relevait déjà ce double ancrage des façons de mesurer dans ce qui fait « valeur », et dans la nature concrète des activités humaines35. En stabilisant de nouvelles entités, les mesures ouvrent des possibilités inédites d’action, de pensée et d’enquête.
35En ramenant la question du calcul et de la rationalité économique à la « raison graphique » du ratio, l’entrée par la mesure invite aussi à reformuler la question de la rationalisation à partir des inscriptions graphiques des acteurs, de ce « processus d’accroissement cumulatif et systématique du savoir » propre à la logique de l’écriture (Goody, ibid., p. 252). En soulignant le pouvoir unificateur, fixateur et révélateur de la mesure, François Dagognet la situe à la pointe de cette « raison graphique ». Par la mesure, toute chose n’est plus livrée à elle-même, mais inscrite dans un ensemble homogène, autorisant une mise en rapport systématique ; par sa relative clôture, la mesure affranchit les choses du monde que nous formons avec elles et qui nous empêche de les saisir ; enfin, en offrant des possibilités inédites de manipulation, elle rend visibles de nouvelles entités et alimente ainsi la dynamique d’une enquête « rationalisatrice », sans jamais préjuger de ses registres évaluatifs.
Notes de bas de page
1 « Du téléphone et des phénomènes physiques qui s’y rattachent », extrait d’un mémoire de W. H. Preece (Philosophical Magazine), traduit dans les Annales des Postes et Télégraphes en 1878.
2 Pour une vue d’ensemble : Bidet (2005a).
3 Cette ambiguïté est propre à la physique de l’époque, construite pour penser la conservation de l’énergie, tandis que les techniques de télécommunication dépendent de la conservation des variations d’énergie.
4 Le premier article caractéristique à cet égard est celui de l’ingénieur M. Cahen en 1901 : « La téléphonie à longue distance et l’utilisation économique des lignes pour les communications téléphoniques ».
5 Soulignons que l’ingénieur de l’époque dispose seulement de la mesure d’une perte de signal, l’affaiblissement de la ligne, et non pas comme aujourd’hui d’une définition positive du signal. Nous sommes en amont de la rupture introduite au milieu du xxe siècle par la théorie mathématique de l’information : les messages et les perturbations ne sont pas encore symétrisés et mesurés statistiquement comme information et entropie.
6 Dans son « programme pour une sociologie de la mesure », Jean-Yves Trépos (1998) défend déjà une acception large de la notion de mesure, à même d’englober la grande diversité des opérations cognitives associées aux procédures de mise en équivalence.
7 Nous empruntons le terme d’« instance » pour souligner la dimension de facto législatrice pour l’activité des opérateurs de tout élément, humain ou non humain, intervenant dans le fonctionnement d’un ensemble technique (Dodier, 1995).
8 Alexandre Mallard en a déjà souligné la nécessité dans le champ métrologique : à défaut d’une approche génétique de la « qualité métrologique », attentive à ce « travail de construction collectif considérable », « il semble que la qualité mesurable soit l’autre de la « qualité qualitative », celle dont l’évaluation requiert des montages particuliers qui ont récemment attiré l’attention des sociologues » (Mallard, 2003, p. 93).
9 « Alors que la mécanique de l’élasticité-prix était souvent évoquée, on ne trouve que peu de traces d’une quelconque réflexion sur la notion de réseau et d’économie d’échelle », note Véronique Leroux (1991). Or l’idée était bien présente chez Jules Dupuit qui justifie le principe de la nationalisation de toutes les entreprises en réseau par le principe du « monopole naturel », qu’il emprunte à Rossi et qui correspond précisément à la notion d’économie d’échelle : quand le système productif est tel que l’efficacité augmente avec la taille, le marché conduit « naturellement » à la constitution d’un monopole. Cf. Vatin, 2002. Cela n’empêche pas les ingénieurs d’appeler, quand l’occasion s’en présente, à l’édification du « service téléphonique satisfaisant que le public réclame à juste titre comme un indispensable outil de développement national et comme une arme nécessaire dans la concurrence industrielle, commerciale et agricole entre les nations ». Cf. « Le téléphone en France et à l’étranger. Progrès technique, organisation rationnelle », 1923.
10 Précisions que l’histoire ne s’achève pas avec la notion d’information. Le téléphone portable a vu se multiplier les appels très courts (amoureux ou de localisation, ainsi que des pratiques de « bippage », non facturées) dont la valeur ne se laisse pas mesurer en « quantité d’information transmise ». Ces phénomènes seraient sans doute mieux saisis dans le cadre d’une pensée de la « performativité ».
11 « L’autonomie financière des PTT et les méthodes modernes de comptabilité », par E. Julhiet (ingénieur civil des Mines), 1925.
12 « Le téléphone. Extrait du rapport de la commission spéciale chargée de l’étude du téléphone et des services qu’il peut rendre à l’exploitation télégraphique », 1878.
13 Milon, Henri, La téléphonie automatique, Gauthier-Villars, Paris, 1914. Cet ingénieur est en charge de la « direction de l’exploitation téléphonique » (créée en 1909) durant toutes les années 1920.
14 La première liaison interurbaine relie en 1885 Paris, Rouen et Le Havre. En 1890, la France compte onze lignes interurbaines.
15 Milon, Henri, Principes généraux d’exploitation téléphonique, 1925.
16 « La préparation télégraphique des communications téléphoniques et le rendement des grands circuits interurbains », 1926.
17 En l’absence de représentation graphique ou d’équation, l’optimum comme égalisation d’un coût et d’un gain marginal reste implicite. « Moyens d’augmenter le rendement financier des grandes lignes téléphoniques », 1922.
18 « Le rendement des lignes téléphoniques en Allemagne », 1913 (nous soulignons).
19 « Mission de fonctionnaires des Postes et Télégraphes aux États-Unis », 1921, no 3.
20 « Méthode d’exploitation des lignes téléphoniques interurbaines », 1916.
21 Ibid. ; et « La contribution des ingénieurs français à la téléphonie à grande distance par câbles souterrains. Vaschy et Barbarat », 1917.
22 La réforme comptable et budgétaire de 1923 consacre cette identification de l’amortissement et institue la distinction entre les frais et les recettes d’établissement et ceux d’exploitation.
23 La perspective est dynamique ; les recettes doivent en effet permettre de financer de nouvelles lignes, qui autoriseront alors un abaissement progressif des taxes, « de plus en plus pratique, parce que la multiplication des besoins sera précédée de la multiplication des moyens d’action ».
24 Notons que le système n’est « juste » que si l’on ne considère qu’une des dimensions de la variation de l’utilité selon Jules Dupuit, celle qui correspond à la hiérarchie des besoins, et non la seconde, celle qui correspond à la pyramide des richesses.
25 On sait que Charles Sanders Pierce (1878) décrit l’enquête comme une tentative pour sortir de l’irritation du doute, et rétablir un état de croyance au sein d’une « communauté explorateurs compétents ».
26 Sur celle-ci : Bidet (2008a) ; voir aussi : Schön (1983) ; Bayart (2000).
27 « Moyens d’augmenter le rendement financier des grandes lignes téléphoniques », op. cit. (nous soulignons).
28 « Le rendement des lignes téléphoniques en Allemagne », op. cit.
29 Viard, G. « Les lignes téléphoniques souterraines interurbaines », 1916 (nous soulignons).
30 Cf. Milon, Henri, 1930, op. cit. (nous soulignons)
31 Ibid.
32 Milon, Henri, « Les nouvelles méthodes d’exploitation interurbaine. Le trafic direct », 1930.
33 Fusse-t-elle une coordination par la mesure, comme celle qu’étudie Mallard (1996).
34 Une économie monétaire offre en effet, dans les termes de Max Weber, « la possibilité d’évaluer tous les biens et prestations pouvant faire l’objet d’un échange en termes de monnaie » (Weber, 1995 [1921], p. 125).
35 En particulier, pour les mesures qu’il qualifie de « significatives » (Kula, 1984 [1970], pp. 40-55 ; 74-75).
Auteur
Chargée de recherche en sociologie au CNRS, Centre Maurice Halbwachs (CMH).
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2001