1À partir des préconisations inscrites dans les chapitres précédents, des contributions ont été transmises, dans le cadre de la concertation sur la refondation de l’école, mais aussi des assises de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Certaines ont servi de base à un article publié dans le numéro spécial du Nouvel Éducateur sur la refondation de l’école en février 2013. Certaines idées ont été portées par Catherine Chabrun, qui représente l’Institut coopératif de l’École moderne au sein du CAPE (Collectif des associations partenaires de l’école) et a participé à toutes les réunions de la concertation pour la refondation de l’école. Elle siège en tant que titulaire au sein du Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative qui a été créé en avril 2013, concrétisation de la volonté gouvernementale de valoriser les apports possibles des mouvements pédagogiques. Philippe Watrelot, président du CRAP-Cahiers pédagogiques (son suppléant) a rédigé un article publié le 25 juin 2013, « Formation des enseignants : entre espoirs et inquiétudes » ; il aborde de manière nuancée un certain nombre de points d’ombre, qui persistent malgré des avancées certaines.

D’une manière plus générale, on peut formuler des inquiétudes sur un certain nombre d’éléments du discours qui ne semblent pas résister pour l’instant à l’épreuve des faits :

La place des formateurs en temps partagé. On affirme que la nouvelle formation doit leur donner une place importante. Dans les faits, la construction des masters a surtout conduit à les écarter au profit des universitaires et des professeurs IUFM à temps plein. Quelle garantie pour ce type de formateurs ?

La place de la formation continue : le projet de loi a renoncé à l’« obligation de formation » des enseignants pourtant énoncée par François Hollande lors de son discours à la Sorbonne. À la place, le texte indique que « les enseignants sont encouragés à se former ». Quelle place pour la formation continue dans les ESPÉ ? Comment reconstruire une réelle formation continue ?

La place des associations complémentaires et des mouvements pédagogiques : dans un contexte de pénurie, la « lutte des places » entre les universités et les IUFM laisse peu d’espaces pour de nouveaux acteurs. Comment garantir une place pour ces organisations dont l’expertise pédagogique va de pair avec l’innovation ?

Le recrutement des nouveaux enseignants : il dépend, certes des postes mis au concours mais aussi de la volonté des jurys de concours de pourvoir ou non ces postes. On sait que les années passées, une partie des postes n’a pas été pourvue. L’affaire de l’épidémie de zéros en 2013 est là pour prouver qu’il peut y avoir un décalage important entre les créations de postes annoncées et la réalité des postes pourvus. Quelles garanties le gouvernement peut-il donner face à des jurys qui sont « souverains » ?

La place des tuteurs : comme on l’a vu plus haut, la réforme de la formation va se caractériser par la multiplication des situations de stage. Entre les EAP, les M1, les M2, les FSTG… ce que verront d’abord les enseignants dans les établissements ce sont de nouvelles personnes aux statuts différents et qu’il faudra accueillir. Mais se pose alors la question des tuteurs. Aura-t-on suffisamment de collègues pour accompagner et former ces enseignants débutants ? D’autant plus que ce statut de formateur est peu rémunéré et qu’il peut rebuter des enseignants qui estiment ne pas avoir envie de se mettre dans une situation qui suppose une certaine remise en question. Et l’autre question qui vient est celle de la formation de ces tuteurs : tout comme un bon joueur de foot ne fait pas forcément un bon entraîneur, la posture de conseiller pédagogique suppose une vraie formation et des compétences spécifiques1.

2P. Watrelot fait apparaître les points de tension entre personnels des universités et des anciens IUFM dans certaines régions, ce qui a abouti à ce que des projets de gestion des ESPE n’ont pas été accrédités par les ministères de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Une année transitoire est donc proposée, mais le provisoire dure parfois longtemps, remarque-t-il. Il note un écart entre le prescrit et le réel, bien connu et décrit par les théories de l’activité.

3Cependant, des progrès peuvent être constatés par rapport à la situation qui prévalait au printemps 2012. Il semble intéressant à présent, en guise de conclusion, de proposer un tableau de synthèse pour faire apparaître les nombreux points de convergence avec les réformes en cours, au moins dans les textes, quelques points de divergences, et des aspects sur lesquels il serait intéressant d’aller plus loin, pour éviter de « rester au milieu du gué2 »…

4Une comparaison est établie ici entre les propositions issues de cet ouvrage, les textes régissant la formation des enseignants à travers la définition des missions et du fonctionnement des ESPE (présentées dans une brochure publiée à l’occasion du séminaire préparatoire de lancement des ESPE qui s’est tenu à Lyon le 1^er juillet 2013), et le nouveau référentiel de compétences des enseignants (publié en juillet 2013, avec une nouvelle mouture prévue début septembre 2013), ainsi que la loi d’orientation du 8 juillet 2013. Des choix de styles de polices de caractères ont été faits pour faire apparaître par contraste les points de convergence et les efforts à poursuivre pour se rapprocher de nos propositions3. Les paragraphes présentent d’abord séparément éducation et formation et recherche, pour ensuite les articuler deux à deux, afin de voir leurs liens ; le dernier paragraphe aborde simultanément les trois dans le but de voir ce qui les relie.

Convergences et efforts à poursuivre dans le domaine de l’éducation

5Les différents thèmes traités dans ce premier paragraphe sont issus de la loi d’orientation du 8 juillet 2013.

L’organisation scolaire

6L’organisation scolaire subit des transformations importantes, mêmes si certaines ne seront effectives qu’à partir de 2014.

Les rythmes de l’enfant

7La loi d’orientation du 8 juillet 2013 propose de prendre en compte les rythmes de l’enfant et d’établir une véritable coopération entre les différentes personnes intervenant dans les différents temps de l’enfant. Des aides financières ont été pensées pour les collectivités territoriales, mais la dérive possible est la multiplication d’emplois précaires, avec un turn-over important à cause de conditions de travail difficiles, ne permettant pas de qualifier les personnels, ni d’établir de réels partenariats entre intervenants éducatifs dans les faits.

Les cycles

8Les cycles, proposés dans le cadre de la loi d’orientation de 1989 sont repris, mais modifiés : un nouveau cycle regroupant le CM2 et la 6^e est créé, et la grande section est rattachée aux petite et moyenne section dans le cycle, et un appel à liaison avec le CP est fait aux enseignants. L’accueil des enfants avant l’âge de 3 ans dans les secteurs d’éducation prioritaire et ruraux est réaffirmé comme une priorité…

Les contenus d’enseignement

9Deux points montrent une volonté de transformer les contenus d’enseignement tout en maintenant le pilotage du système par l’évaluation : la création d’un Conseil supérieur des programmes et d’un Conseil national de l’évaluation.

Création d’un Conseil supérieur des programmes

10Un Conseil supérieur des programmes est placé auprès du ministre de l’Éducation nationale. Cette instance consultative offre les garanties scientifiques, pédagogiques et de transparence nécessaires à l’élaboration des programmes d’enseignement4.

11La création de nouveaux programmes en primaire, qui annulent les programmes de 2007, paraît une mesure essentielle à mettre en place : allègement de contenus disciplinaires trop abstraits, place essentielle accordée à une démarche d’investigation scientifique, y compris en histoire-géographie, plutôt qu’à la survalorisation de savoirs (dates, événements historiques) déconnectés de la compréhension de leur contexte.

12Une grande importance est accordée au développement de l’esprit critique, à la réflexivité, et à l’émancipation. Cependant, les contenus proposés devraient être liés à des finalités issues des préconisations de l’UNESCO, reposant sur une éducation à un humanisme démocratique coopératif, et scientifique : développement de la capacité de problématisation, de recherche, traitement et production documentaires (supports : papier et numérique) à partir de l’étude du milieu et des recherches (ouvrages et numérique) dans un processus de confrontation à l’altérité (expérience, sources documentaires, confrontation coopérative avec les pairs). Une véritable éducation démocratique avec une ouverture sur l’international et l’éducation à la citoyenneté suppose de ne pas travailler sur le manuel comme source unique d’information, car il peut être orienté par le nationalisme culturel et épistémologique ; il est important de croiser les points de vue, y compris avec des étrangers, pour la construction d’une citoyenneté terrienne5. L’ouverture sur des langues étrangères, les séjours à l’étranger, le recours au numérique peuvent permettre de dépasser ces dangers, pour construire une identité plus ouverte. Au second degré, la prise en compte de la diversité culturelle francophone appelle l’introduction dans les programmes de littérature d’ouvrages francophones. La formation d’un esprit citoyen apte à comprendre, produire et critiquer l’utilisation de nombres dans des approches évaluatives et de recherche nécesssite l’enseignement de la statistique.

Création d’un Conseil national de l’évaluation

13L’évaluation reste une priorité pour le système éducatif ; cela apparaît clairement dans la volonté de créer un Conseil national de l’évaluation. Il est prévu, particulièrement dans l’enseignement primaire, d’éviter la multiplication d’évaluations lourdes et non coordonnées, les évaluations sanctions et de proposer des modes d’évaluation diversifiés. D’ores et déjà, une transformation du livret personnel de compétences est programmée. Dans ce cadre, il est nécessaire, dans la formation, de développer la dimension d’accompagnement de l’évaluation, d’apprendre à utiliser des modes d’évaluation formative, formatrice…

La pédagogie

14La différenciation est demandée, et particulièrement au collège : elle peut s’appuyer sur l’utilisation du numérique. Les expérimentations pédagogiques sont attendues dans les lycées. À partir de 2014, des évolutions substantielles seront menées. Elles porteront notamment sur des pratiques pédagogiques innovantes (amélioration de l’accompagnement personnalisé…), sur l’aide à l’orientation et l’articulation avec l’enseignement supérieur et sur des parcours plus diversifiés et des séries rééquilibrées.

La place de l’enseignement professionnel

15Une véritable revalorisation de l’enseignement professionnel est souhaitée. Il sera possible aux élèves en lycée professionnel préparant le bac de passer un diplôme de niveau V, en particulier pour éviter le décrochage des élèves sans diplôme. Pour les élèves ayant obtenu brillamment leur bac professionnel, l’accès aux cycles d’enseignement court (sections de techniciens supérieurs et instituts universitaires de technologie) sera facilité et accompagné.

16Pour toutes les filières du second degré (générale, technologique, professionnelle), l’éducation à l’orientation prend une vraie place grâce à un parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel. Il sera proposé à chaque élève aux différentes étapes de sa scolarité du second degré et devrait permettre de lutter contre les stéréotypes de genre dans l’orientation, et d’éviter les orientations professionnelles subies en fonction des résultats. La loi Cherpion sur l’apprentissage avant l’âge de 16 ans est abrogée.

La lutte contre l’illettrisme

17Selon la loi d’orientation du 8 juillet 2013,

3,1 millions de personnes sont en situation d’illettrisme en France. Ce sont 3,1 millions de personnes qui ne maîtrisent plus la lecture, l’écriture, le calcul ni les compétences de base pour être autonomes dans des situations simples de la vie quotidienne, alors même qu’elles ont été scolarisées en France. Les conséquences pour celles qui sont concernées sont souvent dramatiques : licenciement, éloignement durable du marché du travail, désocialisation.

C’est pourtant un phénomène qu’il est possible de prévenir, à condition de donner une cohérence aux actions de tous les acteurs qui agissent dans le domaine. L’Éducation nationale, les familles, les associations, les collectivités, chacun a un rôle dans la prévention de l’illettrisme. Il convient désormais de donner une impulsion nationale et d’accompagner la mise en cohérence du travail de tous les acteurs6.

18Les expulsions de communautés Roms, et parfois même des gens du voyage, empêchent la scolarisation de leurs enfants, et vont donc à l’encontre de la volonté de réduire l’illettrisme et de lutter contre les discriminations. Le manque de moyens attribués, en termes de places dans des établissements spécialisés, pour l’accueil de personnes handicapées, vont également à l’opposé de la lutte contre l’illettrisme. Les moyens donnés au projet d’une éducation inclusive7 sont essentiels pour qu’elle soit effective.

Convergences et efforts à poursuivre dans le domaine de la formation

19Dans le domaine de la formation, les analyses reprennent des idées et extraits de la loi d’orientation, du texte relatif à la création des ESPE et du référentiel de compétences des enseignants. Ces textes font apparaître clairement l’importance accordée à la formation professionnelle des enseignants.

Formation des enseignants et professionnalisation

20« Enseigner est un métier qui s’apprend » n’est plus seulement un slogan militant, c’est à présent une phrase clairement mentionnée dans les textes qui fondent les ESPE. Cela signifie donc une véritable importance accordée à la professionnalisation, qui est parfaitement identifiable dans la compétence 14 sur le nouveau référentiel pour les enseignants :

S’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel. Compléter et actualiser ses connaissances scientifiques, didactiques et pédagogiques.

Se tenir informé des acquis de la recherche afin de pouvoir s’engager dans des projets et des démarches d’innovation pédagogique visant à l’amélioration des pratiques.

Réfléchir sur sa pratique – seul et entre pairs – et réinvestir les résultats de sa réflexion dans l’action.

Identifier ses besoins de formation et mettre en œuvre les moyens de développer ses compétences en utilisant les ressources disponibles.

21Les associations d’éducation populaire et les mouvements pédagogiques ont un véritable rôle à jouer dans cette professionnalisation, et il est clairement annoncé. Cependant, les aides financières qui leur sont accordées continuent de baisser. La reconnaissance des efforts de formation pourrait se traduire comme en Espagne et au Portugal, par une augmentation du barème entrant en compte dans les nominations et l’avancement dans la grille des salaires. Il serait également possible de faciliter la participation à des temps de formation des enseignants, aussi bien en université que dans les associations d’éducation populaire et les mouvements pédagogiques et didactiques et disciplinaires.

22Le texte fondateur des ESPE annonce la formation pédagogique et didactique des formateurs universitaires, c’est à dire des nouveaux enseignants-chercheurs dans le cadre des ESPE. C’est réellement une avancée. Cependant, cette formation devrait toucher tous les intervenants en poste dans l’enseignement supérieur, comme pour la Belgique dans le cadre du CAPAES, et pas uniquement les nouveaux intervenants.

Organisation des procédures de recrutement et de la formation initiale

23Deux points ont été sensiblement repensés : les modalités de recrutement dans le cadre des concours, et la formation initiale, qui font l’objet des sous-parties suivantes.

Procédures de recrutement et concours

24Le concours de recrutement des professeurs des écoles (CRPE) se déroulera en master 1. Selon la loi d’orientation du 8 juillet :

Pour restaurer le vivier de recrutement tout en accroissant la diversité d’origine sociale du corps enseignant, il est également impératif d’étudier les modalités de mise en œuvre d’un système de pré-recrutement des personnels enseignants dès la licence8.

25La pré-professionnalisation en licence paraît une bonne chose, mais le concours devrait se situer en fin de licence. La formation professionnelle se déroulerait réellement sur une durée de deux ans à partir du master 1 et donnerait la possibilité d’un véritable accompagnement pour les étudiants.

26Une véritable place est accordée à la dimension professionnelle dans le concours, avec une importance donnée à la réflexivité dans les critères de recrutement dans le cadre du concours. Le portfolio d’apprentissage pourrait être pris en compte dans ce type d’évaluation.

La formation initiale des enseignants

27Il est demandé aux professeurs des écoles de tirer parti de leur polyvalence pour favoriser les continuités entre les domaines d’activités à l’école maternelle et assurer la cohésion du parcours d’apprentissage à l’école élémentaire. Cependant, dans la grande majorité des cas, les futurs enseignants ne reçoivent qu’une formation mono-disciplinaire en licence. Des licences pluridisciplinaires suivies durant les trois années, et validées, complétées par des stages d’observation, constitueraient une bonne préparation au CRPE, et ouvriraient sur une réelle polyvalence, permettant de relier les savoirs pour construire des situations didactiques facilitant leur appropriation.

28Plusieurs parcours sont proposés, permettant de prendre en compte les expériences professionnelles antérieures, comme assistant d’éducation, par exemple.

29La formation prendra en compte les parcours antérieurs des étudiants pour les master MEEF second degré.

304 possibilités :

1. master 2 MEEF en alternance + enseignements à valider au master 1 MEEF ;
2. master 2 MEEF en alternance ;
3. alternance (stage et enseignements qui y sont liés) + approfondissement des connaissances et des compétences ;
4. alternance (stage et enseignements qui y sont liés) + enseignements à valider au master MEEF.

31La prise en compte de la diversité des publics et en particulier des élèves en situation de handicap appelle des méthodes de différenciation pédagogique et de soutien aux élèves en difficulté. « Dans le cadre de l’acquisition des connaissances, compétences et méthodes attendues en fin de cycle et non plus en fin d’année scolaire, le redoublement d’une année scolaire doit être exceptionnel9. »

32Pour que les enseignants soient bien formés, du point de vue de l’ajustement de leurs besoins aux savoirs enseignés, et afin qu’ils soient capables de mettre en œuvre des formes de pédagogie différenciée, une véritable personnalisation des apprentissages doit être proposée dans tous les parcours, y compris pour le premier degré : cette cohérence entre le dispositif mis en œuvre pour la formation et les dispositifs d’enseignement/apprentissage devrait faciliter la mise en situation des futurs enseignants dans leurs classes (principe d’isomorphisme facilitant le transfert).

33L’innovation pédagogique est la clé de la refondation de l’école. Il s’agit de favoriser :

• l’intégration de compétences transversales (créativité, responsabilité, collaboration) et le transfert des apprentissages par des démarches appropriées ;
• la participation et l’implication de tous les élèves et la création d’une dynamique d’échanges et de collaboration entre pairs.

34Ces extraits des textes régissant la formation des enseignants peuvent être considérés comme la préconisation d’une forme de pédagogie coopérative. Cela apparaît encore dans la loi d’orientation :

• p. 41 : « L’apprentissage de la citoyenneté et de la vie commune et le respect des droits et des devoirs au sein de la communauté éducative sont des objectifs pédagogiques tout aussi importants que la maîtrise des connaissances disciplinaires. »
• p. 42 : « Pour devenir de jeunes citoyens, les élèves doivent apprendre les principes de la vie démocratique et acquérir des compétences civiques grâce aux enseignements dispensés et par la participation aux instances représentatives et/ou à la vie associative des écoles et des établissements. L’action éducative contribue également à sensibiliser les élèves à la solidarité intergénérationnelle et aux apports réciproques entre les générations, notamment par leur engagement dans la vie associative et par les échanges de savoirs et de compétences. »

35Apprendre à faire face à des situations de conflits est un des points nouveaux de la formation initiale et continue des enseignants. Pour cela, il est nécessaire :

• d’apprendre à coopérer avec les différents partenaires, y compris les parents ;
• de prendre en compte la diversité grâce à la différenciation et l’interculturalité ;
• de connaître les lois de la dynamique de groupe par l’intermédiaire d’une formation théorique et pratique afin de pouvoir réguler la vie des groupes par le conseil de coopératives.

36Ces passages des textes sur les EPE et de la loi d’orientation montrent qu’une pédagogie coopérative est attendue de la part des enseignants. Pour que les élèves puissent développer ces compétences grâce à leurs enseignants, il faut d’abord que ceux-ci aient été formés eux-mêmes à ces compétences, ce qui nécessite également en amont une formation de leurs formateurs en ce sens.

37Les pédagogies coopératives offrent des formes de pédagogies différenciées prenant en compte la dimension du sens et l’importance de la posture d’auteur pour la motivation. C’est essentiel dans les zones d’éducation prioritaire. Cette forme de prise en compte de la personne est également un facteur d’apaisement dans le climat de la classe.

38Le rôle que peuvent jouer les associations d’éducation populaire et les mouvements pédagogiques dans la formation initiale et continue est mis en évidence :

Le secteur associatif ainsi que les mouvements d’éducation populaire sont des partenaires essentiels de l’école. Ils font partie intégrante de la communauté éducative dont les actions sont déterminantes pour l’enrichissement de l’environnement éducatif des élèves. Ces acteurs méritent amplement d’être reconnus, dans leur diversité et pour la qualité de leurs interventions. Le partenariat qui les associe à l’école doit être développé dans le respect et en fonction des capacités et des compétences ainsi que de l’objet défendu par les partenaires qui le constituent. Seront associées à toutes les instances de concertation des différents acteurs participant à l’encadrement des élèves à la fois les associations de parents et celles relatives à l’éducation populaire10.

39Le partenariat avec les mouvements pédagogiques et l’éducation populaire doit s’étendre au domaine de la formation, où une véritable place doit être donnée, dans le cadre de la formation initiale et continue, sous la forme d’interventions, de recrutements, de coopérations… Cependant, il existe de réelles résistances institutionnelles locales en matière de partenariat avec ces organisations. Ainsi, il serait souhaitable que des parcours spécifiques pédagogies actives et coopératives existent dans les maquettes de master MEEF et soient proposées dans les différentes régions. Par ailleurs, la reconnaissance du statut de praticien-chercheur pourrait développer des crédits temps : facilitation de l’intégration dans des masters de formations de formateurs pour les personnes travaillant dans ces associations, reconnaissance du processus de professionnalisation par la formation donnée par ces associations, grâce à une prise en compte dans la grille d’évolution des salaires, possibilité de stages de co-formation (aller dans la classe de collègues, dans le cadre du dispositif plus de maîtres que de classes).

40Dans le cadre des ESPE, la place des formateurs de terrain est reconnue dans la formation, au sein des équipes plurielles.

41À ces emplois s’ajoute la création de 1 000 postes d’enseignants chargés d’assurer la formation initiale et continue des enseignants dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) en complément des moyens qui seront dégagés dans les universités. Les enseignants qui occupent ces postes seront encouragés à continuer à exercer à temps partiel une activité directe d’enseignement dans le premier ou le second degré11.

42Ainsi, il est envisagé de véritables fonctions de formateurs de terrain en second degré.

43Au-delà de cette présence, il faudrait qu’existe une véritable articulation entre formation initiale (master enseignement premier degré, second degré et encadrement éducatif) et formation continue (pratique et ingénierie de la formation) : un couplage formation de formateurs de terrain et formation initiale d’enseignants pourrait exister. Des salles de travail équipées de matériel didactique et pédagogique pourraient accueillir une classe et son enseignant en même temps que des enseignants en formation initiale, dans le cadre d’écoles d’application, aussi bien pour les établissements primaires que secondaires. Du temps serait accordé aux enseignants en poste pour se former aux fonctions de tuteur (par exemple grâce à l’articulation des masters formation initiale et formation continue, parcours formation de formateurs et formation initiale). La formation des tuteurs, formateurs de terrain, serait sanctionnée par un diplôme, en premier et second degré (cela permettrait d’éviter l’arbitraire des choix de tuteurs dans l’état actuel des choses et de les former réellement à cette mission). Cette organisation pourrait ainsi parvenir à une réelle articulation, et produirait même une meilleure cohésion entre formateurs universitaires et formateurs de terrain.

44Une véritable importance est donnée à la pratique professionnelle effective accompagnée dans le cadre de la formation. Le stage à mi-temps en alternance est proposé en M2. L’intérêt est de pouvoir réaliser une recherche-action à partir de sa pratique dans le cadre du mémoire de M2, grâce au temps long de stage. Cependant, les conditions ne sont pas forcément réunies pour qu’une véritable alternance intégrative (expérience vécue et questionnement base des apports théoriques à partir des groupes d’analyse de pratique) et projective (temps suffisant pour réfléchir sur les finalités de l’enseignement, articulés avec un travail à partir des dilemmes) soient possibles.

45La recherche-action pourrait être intégrée dans un portfolio d’apprentissage, car il semble important de susciter le changement éducatif et de développer la réflexivité par cet intermédiaire. Le mémoire de master 2, mémoire de recherche à visée professionnalisante, est essentiel pour la formation à la démarche d’investigation scientifique. Il pourrait mettre en œuvre d’autres types de méthodologie. Dans le cadre actuel, un stage à l’étranger est difficile, voire impossible en master. L’alternance est un point positif, mais il est intéressant de voir et de travailler dans différents cycles durant la formation, ceci afin d’avoir une meilleure connaissance effective du système éducatif. L’enseignement à mi-temps sur l’année du master 2 représente un travail très lourd, pour la seule année de véritable formation professionnelle, dans la version actuelle du master. La progressivité de l’entrée dans le métier est indispensable : des stages d’observation pourraient se dérouler dans le cadre de la licence, avec, en master 1, de la pratique accompagnée puis progressivement autonome. Il faudrait rendre possibles les stages sur d’autres terrains pour avoir une vision plus large du système éducatif, en France et à l’étranger, et sortir de conditionnements qui imprègnent les conceptions des futurs enseignants.

46Un référentiel de compétences des enseignants, conseillers d’éducation et professeurs documentalistes a été proposé avec des troncs communs et des spécificités. Il met en évidence des aspects transversaux très importants dans ces fonctions. Il se base sur la définition suivante de la compétence : « ensemble de connaissances, d’aptitudes et d’attitudes appropriées au contexte », chaque compétence impliquant de celui qui la met en œuvre « la réflexion critique, la créativité, l’initiative, la résolution de problèmes, l’évaluation des risques, la prise de décision et la gestion constructive des sentiments ». Une véritable formation pédagogique et didactique est proposée à tous les enseignants, et la place des sciences de l’éducation en ESPE est reconnue.

47L’ouverture des master MEEF aux personnels enseignants déjà en poste ou aux cadres de l’Éducation nationale souhaitant acquérir de nouvelles compétences dans le cadre de la formation continue suppose de se voir reconnaître un niveau de qualification dans le cadre de la validation des acquis de l’expérience.

Convergences et efforts à poursuivre dans le domaine de la recherche

48Il est nécessaire de reconnaître une véritable valeur scientifique à la recherche-action, forme de recherche-développement permettant également une réelle professionnalisation. Dans les licences pluridisciplinaires et les master MEEF, le recours au portfolio constituerait une forme de lien entre théorie et pratique et favoriserait la réflexivité.

49Le rééquilibrage des disciplines scientifiques et littéraires dans le cadre du lycée doit se poursuivre sous la forme de la revalorisation des sciences humaines et sociales.

Convergences et efforts à poursuivre en éducation et formation

50Un certain nombre de points ont des incidences simultanément dans les domaines de l’éducation et de la formation, comme la place du numérique.

La place du numérique, des technologies de l’information et de la communication

51La formation aux technologies de l’information et de la communication et la mise en œuvre de l’utilisation des TIC dans le cadre de la formation devrait permettre ce transfert dans le domaine de l’éducation.

Un réseau social professionnel offrira aux enseignants une plate-forme d’échange et de mutualisation.

Les ressources numériques éducatives des grands établissements éducatifs, culturels et scientifiques seront mises gratuitement à disposition des enseignants à des fins pédagogiques. Les enseignants pourront avoir accès aux ressources numériques éducatives des associations complémentaires de l’enseignement public. […]

Former des personnels, notamment des enseignants, au et par le numérique : les ESPE intégreront dans la formation initiale et continue des personnels les enjeux et les usages pédagogiques du numérique12.

52Cela ouvre sur plusieurs applications possibles : lien famille-parents, suivi des élèves en collège, mais aussi valorisation de l’expression et de la création par la création d’un blog ou d’un site, pratiques coopératives dans le cadre de l’utilisation du travail en réseau ou avec un moodle, différenciation à l’aide de logiciels et ouvrages interactifs, utilisation de la production d’images et sons numériques pour la recherche, l’expression et la communication. Cependant, un effort considérable est à faire dans le cadre de la formation continue et de l’équipement pour que cet usage soit effectif. Une éducation à la lecture d’images et au numérique suppose d’intégrer les apports de la médiologie et de l’anthropologie culturelle.

Morale laïque et éducation à la citoyenneté

L’enseignement de la morale laïque, tout comme l’instruction et l’éducation civiques, participe de la construction d’un mieux-vivre ensemble au sein de notre société. Ces enseignements visent notamment à permettre aux élèves d’acquérir et de comprendre l’exigence du respect de la personne, de ses origines et de ses différences, mais aussi l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que les fondements et le sens de la laïcité, qui est l’une des valeurs républicaines fondamentales. Ils contribuent à former des esprits libres et responsables, aptes à se forger un sens critique et à adopter un comportement réfléchi et empreint de tolérance13.

53Dépasser les nombreux conditionnements issus de l’éducation subis par les enseignants (déjà en poste ou à venir) suppose un enseignement et une pratique de l’interculturalité, ainsi que de l’histoire des religions dans le cadre de la formation.

54La formation à la co-éducation serait également à proposer, au sens français (lien avec les familles) et au sens espagnol (lutte contre les stéréotypes et la violence de genre). La coopération pourrait tenir une réelle place dans la formation : elle est un moyen très utile à la formation professionnelle en même temps qu’une compétence relationnelle qu’il faut développer chez l’adulte. Apprendre à coopérer est aussi important que de coopérer pour apprendre. L’analyse du fonctionnement et des effets pratiques de ce type de pédagogie donne les clés nécessaires à des mises en place de structures identiques avec les enfants. Il serait donc nécessaire d’organiser le travail coopérativement avec les étudiants en formation initiale : préparation coopérative des premières séquences – films vidéo par l’un des étudiants observateurs – autoconfrontation croisée entre étudiants, et avec le formateur de terrain également en formation. La critique coopérative des séances peut également être filmée. Un travail peut alors être réalisé à partir des vidéos avec un superviseur de ces groupes formateurs/« enseignants en formation » dans le cadre de groupes d’analyse de pratiques.

55Par ailleurs, il existe de véritables enjeux éthiques en ce qui concerne l’utilisation du numérique.

La formation à l’utilisation des outils et des ressources numériques comporte en outre une sensibilisation aux droits et aux devoirs liés à l’usage de l’internet et des réseaux, qu’il s’agisse de la protection de la vie privée ou du respect de la propriété intellectuelle. Elle comporte également une sensibilisation à la maîtrise de son image et au comportement responsable. Au collège, l’éducation aux médias, notamment numériques, initie les élèves à l’usage raisonné des différents types de médias et les sensibilise aux enjeux sociétaux et de connaissance qui sont liés à cet usage14.

56L’utilisation du numérique présente des avantages avérés, mais aussi des dangers potentiels certains, comme le plagiat, la diffusion d’actes de violences filmés, le manque de respect des droits d’auteur… Il est important de ne pas avoir une vision émiettée de ces approches et d’établir les liens nécessaires dans ce qui pourrait être des enseignements disciplinaires fragmentés, alors qu’il est nécessaire de les relier pour faire sens.

Pratiques artistiques, culturelles, et interculturalité

L’éducation artistique et culturelle est un puissant levier d’émancipation et d’intégration sociale. Les initiatives ont été multiples ces dix dernières années, mais sans cohérence d’ensemble et de façon souvent contradictoire entre les objectifs affichés en matière de réduction des inégalités d’accès à la culture et de pratiques artistiques et les réalisations en termes d’atteinte des publics d’élèves défavorisés. Afin de réduire les inégalités et de favoriser un égal accès de tous les jeunes à l’art et à la culture, il est mis en place un parcours d’éducation artistique et culturelle personnalisé tout au long de la scolarité des élèves. Ce parcours doit permettre d’acquérir des savoirs artistiques et culturels, de pratiquer les arts, de découvrir des œuvres, des artistes, des monuments et des lieux à caractère artistique et culturel. Ce parcours doit s’appuyer sur les apports conjugués de l’institution scolaire et de ses partenaires : collectivités locales, institutions culturelles, associations. Il doit être l’occasion de mettre en place des pratiques pédagogiques co-construites innovantes et actives, envisageant aussi l’art comme vecteur de connaissances15.
Dans les académies concernées, l’apprentissage complémentaire d’une langue régionale sera favorisé et le bilinguisme français-langue régionale sera encouragé dès la maternelle. La fréquentation d’œuvres et de ressources pédagogiques en langue étrangère ou régionale dans les activités éducatives durant le temps scolaire et les temps périscolaires et extrascolaires sera encouragée16.

57Ces pratiques artistiques doivent permettre l’accès aux cultures (éducation comme enracinement pour aller vers l’universalisme, ce qui nous réunit), et pas uniquement à la Culture, censée être universelle, dans la vision de l’éducation conçue comme arrachement, ce qui engendre une violence symbolique pour les élèves étrangers et de milieux populaires. Ainsi, les créations littéraires régionales et francophones (outre-mer, Afrique, etc.) issues des cultures d’origine des élèves, de la culture française et d’autres cultures doivent tenir une réelle place déjà dans la formation. Une discipline comme l’histoire des arts ne doit pas empêcher la création artistique : la posture d’auteur est essentielle à construire dans le cadre d’une éducation à la citoyenneté et pour le renforcement de l’estime de soi et de la créativité. Cela suppose que ces dimensions soient intégrées dans la formation des enseignants.

Place des langues vivantes et interculturalité

Les résultats des élèves français en langues vivantes sont particulièrement alarmants. Les enquêtes internationales montrent qu’ils sont non seulement loin de maîtriser les compétences attendues en fin de 3^e, mais surtout qu’ils arrivent en dernière position de l’ensemble des élèves européens évalués pour la maîtrise de ces compétences. La précocité de l’exposition et de l’apprentissage en langue vivante, étrangère et régionale, est un facteur avéré de progrès en la matière. Il sera instauré un enseignement en langues vivantes dès le début de la scolarité obligatoire. […] Dans les territoires où les langues régionales sont en usage, leur apprentissage, pour les familles qui le souhaitent, sera favorisé. Ainsi, outre l’enseignement de langues et cultures régionales qui peut être dispensé tout au long de la scolarité par voie de convention entre l’État et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage, les activités éducatives et culturelles complémentaires qui peuvent être organisées par les collectivités territoriales pourront porter sur la connaissance des langues et des cultures régionales17.

58Il importe de soutenir dans les régions et DOM-TOM, les activités des réseaux d’écoles primaires associatives en immersion linguistique : calandretas occitanes, ikastolas basques, bressolas catalanes, eskolas corses, diwan (écoles bretonnes), ABCM Zweisprachigkeit (écoles alsaciennes). Ainsi que le réseau des sections bilingues dans les cycles primaire et secondaire publics. À l’heure de la recomposition des régions et de l’unification européenne, cette démarche prend tout son sens.

59Pour une formation initiale et continue dans le domaine d’une langue et d’une culture étrangère, il importe de faciliter les stages à l’étranger avec pratiques interculturelles, pour les enseignants comme pour leurs formateurs. Pour limiter les dépenses, il est possible d’organiser des échanges (domiciles, postes de travail) en assurant un suivi des actions en lien avec les établissements de formation, ce qui nécessite des partenariats internationaux entre eux.

Éducation à l’environnement

60Peu de références existent en matière d’éducation à l’environnement dans la loi d’orientation du 8 juillet 2013. Il est question d’introduire davantage d’aliments bio dans les cantines. Cette absence paraît regrettable au regard de l’importance des enjeux écologiques pour les générations à venir. Cela présuppose une véritable éducation à l’environnement dans le cadre de la formation des enseignants.

Points de convergence et efforts à poursuivre en formation et recherche

61Le cadrage national de la formation et de la recherche et l’autonomie au niveau local paraissent une posture dialogique proche de celle de la Finlande, qui est validée dans les enquêtes internationales d’évaluation. Cette autonomie représente un problème épineux au niveau financier, de par le manque de moyens attribués notamment dans les matières littéraires, linguistiques et les sciences humaines. Il faudrait donc prévoir des sources de financements pour rééquilibrer ces domaines.

62La recherche-action doit être légitimée dans le processus de formation et validée comme méthodologie de recherche.

Points de convergence en éducation et recherche

63Le domaine de la recherche a été évoqué dans les textes régissant la création des ESPE, le référentiel de compétences et la loi d’orientation de juillet 2013 de manière restreinte, à travers le domaine du numérique et la création d’un Institut des hautes études de l’Éducation nationale.

Le domaine du numérique

64Dans le domaine du numérique, une recherche-développement est impulsée :

Un effort important dans le domaine de la recherche et développement sera conduit, notamment par des incitations à l’investissement, pour développer des solutions innovantes en matière d’utilisation du numérique pour les apprentissages fondamentaux. Cet effort visera notamment à développer une filière d’édition numérique pédagogique française18.

Création d’un Institut des hautes études de l’Éducation nationale

65L’Institut des hautes études de l’Éducation nationale correspond bien à une volonté de resserrer les liens entre éducation et recherche :

Un Institut des hautes études de l’Éducation nationale sera créé. Il sera un lieu de réflexion sur les problématiques de l’école et il contribuera à promouvoir et à diffuser toutes les connaissances utiles dans le domaine de l’éducation. Les formations proposées reposeront sur un partage d’expériences entre les hauts responsables issus du service public de l’éducation, notamment des représentants issus des collectivités territoriales, du milieu universitaire et de la recherche ou du monde de l’entreprise19.

66Il reste sans doute à réfléchir à la meilleure manière de rendre la recherche plus proche des praticiens. La création d’une « maison de l’éducation », rassemblant les ressources documentaires, matérielles et humaines, et favorisant la rencontre entre personnels du terrain et chercheurs, pourrait aller dans ce sens.

Convergences et efforts à poursuivre en éducation, formation et recherche

67L’articulation entre éducation, formation et recherche paraît primordiale pour que le système éducatif puisse réellement progresser. En effet, l’isomorphisme, ou identité de structure, entre différents domaines, ou encore la reliance qui permet de voir apparaître des aspects transversaux, constituent des points facilitant le transfert20. Parmi ces aspects transversaux se trouvent également la démarche d’investigation scientifique et l’ouverture aux langues et cultures étrangères. Le lien théorie/pratique est ce qui semble pouvoir mettre en tension de manière dialogique et itérative les trois dimensions mentionnées dans le sous-titre de l’ouvrage.

Le lien théorie/pratique

68Les équipes plurielles dans les ESPE correspondent à une volonté d’intensifier le lien théorie-pratique. La visite d’étudiants avec des formateurs universitaires disciplinaires et didacticiens, ou enseignants chercheurs issus des sciences de l’éducation dans des classes de praticiens en pédagogie alternative, comme dans la formation initiale en Finlande, permettrait d’aborder des situations pédagogiques et didactiques de manière transversale, avec des regards croisés, et d’intensifier les liens entre théorie et pratique. La création de « werkstatts » salles de travail de grande taille pourvues de matériels didactiques et pédagogiques dans les ESPE faciliterait la découverte de différents matériels pour la mise en œuvre du tâtonnement expérimental pour les adultes comme pour les enfants ; ce serait un lieu de rencontre entre élèves, enseignants et étudiants.

La démarche d’investigation scientifique

69Le lien avec le monde scientifique et technologique est un axe important. Il s’agit de faire face au manque d’attractivité des parcours scientifiques, et de manière plus spécifique, d’attirer davantage de filles :

Tout au long de la scolarité, seront développées les relations entre le milieu scolaire et les acteurs du monde scientifique et technologique (laboratoires de recherche, ingénieurs, entreprises, musées, monde associatif…). L’un des objectifs est que de plus en plus d’élèves, notamment de filles, au cours et à l’issue de leur parcours, souhaitent s’engager dans les carrières scientifiques et techniques. Par l’évolution des pratiques pédagogiques, une attention particulière sera portée au renforcement de l’attractivité des enseignements scientifiques et technologiques pour susciter un plaisir d’apprendre et de pratiquer ces disciplines21.

70Selon les textes qui fondent les missions et le fonctionnement des ESPE, la démarche d’investigation scientifique sera facultative dans le cadre de la formation des enseignants. Or, elle mérite d’être intégrée aux enseignements : elle peut prendre la forme du tâtonnement expérimental dans les processus d’enseignement/apprentissage, aussi bien dans les pratiques pédagogiques qu’andragogiques.

71Le paradigme de la complexité met en évidence l’importance de développer la capacité à faire face à l’incertitude, y compris dans le monde scientifique. L’une des approches possibles est l’enseignement de la statistique.

L’ouverture à l’international

72L’ouverture à l’international est explicite au niveau des élèves, des enseignants22 :

L’école doit favoriser l’intégration des futurs citoyens français dans l’espace politique de l’Union européenne et rendre possible la mobilité professionnelle dans l’espace économique européen. C’est pourquoi la France promouvra les initiatives visant à développer un esprit européen et un sentiment d’appartenance partagé à la communauté politique que constitue l’Union européenne. […] L’apprentissage des langues vivantes constitue un moyen privilégié de cette ouverture. La création de partenariats avec des acteurs scolaires dans des pays tiers est activement encouragée aux différents niveaux du système éducatif : classe, établissement et académie. Ces partenariats, qui peuvent prendre plusieurs formes, programmes européens, accords bilatéraux, appariements, jumelages… doivent permettre la mise en œuvre de projets pédagogiques partagés qui donnent l’occasion aux élèves de développer des liens concrets avec des partenaires étrangers. La mobilité, qui contribue plus fortement encore au développement de compétences linguistiques, personnelles et interculturelles, sera également développée pour les élèves, individuellement et collectivement, comme pour les enseignants. La mobilité des enseignants pourra se réaliser tant dans le réseau d’enseignement français à l’étranger que dans les établissements étrangers. Il est souhaitable que l’école permette que chaque élève ait l’occasion de partir en voyage scolaire à l’étranger au moins une fois au cours de la scolarité obligatoire.
Le ministère de l’Éducation nationale développera une coopération éducative destinée à promouvoir à l’étranger son système de formation et les valeurs républicaines qui lui sont attachées, à encourager l’apprentissage de la langue française, à partager son expertise, à développer des réflexions conjointes sur des problématiques communes et à ouvrir le système éducatif national sur le monde, notamment à travers le réseau de l’enseignement français à l’étranger.
Le ministère chargé de l’Éducation nationale participera, en association avec le ministère des affaires étrangères, à l’enseignement français, au sein de l’Union européenne et dans les pays tiers à l’Union européenne, en développant notamment des filières bilingues, des sections binationales et des sections internationales avec les pays partenaires.

73La dimension de nationalisme épistémologique n’est pas évoquée au niveau du monde de la recherche. Pourtant, les langues sont un obstacle à la circulation des idées, et faute de traductions, certains écrits restent cloisonnés à une zone linguistique. Les étudiants qui suivent des études en France ne sont généralement pas accueillis dans leur différence et accompagnés par leurs pairs et par les enseignants-chercheurs. Les pratiques interculturelles pourraient commencer dans ce cadre, en organisant des rencontres destinées à faciliter les échanges et les études.

74Il semble important, pour sortir des ethnocentrismes dans le système éducatif, de favoriser les échanges internationaux dans le cadre de la formation initiale des enseignants et de leurs formateurs, et de faciliter les stages à l’étranger, afin de générer une confrontation coopérative interculturelle et une co-formation. Le deuxième objectif serait d’améliorer les compétences linguistiques des enseignants d’école primaire. Ce regard décentré pourrait sans doute faciliter la prise de conscience de points aveugles, de sortir des allants de soi, et ainsi de permettre une évolution positive plus rapide du système éducatif.

75Une réelle politique d’équité et d’efficacité du système éducatif français passe par la prise en compte des obstacles à ce projet, comme les conceptions des formateurs, des enseignants ou des parents en matière d’apprentissage, et les principes républicains qui maintiennent une vision refusant la prise en charge de la diversité, et poussant à l’uniformité et à l’élitisme. Un séjour dans un système éducatif étranger serait un moyen de faire bouger les représentations, qui conditionnent bon nombre d’attitudes, de choix, de comportements.

76Le processus de professionnalisation passerait par un travail beaucoup plus étroit avec les associations d’éducation populaire, les mouvements pédagogiques, didactiques et disciplinaires. Certains de leurs formateurs pourraient entrer dans un processus universitaire de qualification, avec validation des acquis de l’expérience, à travers une formation en master 2, couplée avec la formation initiale. Ce processus de professionnalisation serait effectif pour les futurs enseignants, mais également pour les mentors et les formateurs universitaires, qui se qualifieraient alors réellement pour les missions dont ils ont la charge, avec ;

77- une formation minimum de niveau master 2, avec un couplage entre formation initiale et formation continue pour les mentors ;

78- une formation pour une certification pour les formateurs de terrain et les formateurs universitaires. Elle donnerait l’équivalence d’un master recherche 2 pour les formateurs de terrain, qui faciliterait l’entrée en thèse, et une véritable formation de pédagogie universitaire en sciences de l’éducation pour l’ensemble des enseignants-chercheurs.

La démocratisation de l’Éducation nationale

79Ce chantier absent jusqu’à présent des calendriers ministériels fait partie des problématiques syndicales, il est vrai également minorées dans ce milieu du fait de la prégnance de l’esprit gestionnaire. Or, pour la refondation de l’Éducation nationale, objectif ambitieux que doit réaliser le pays pour assurer la transmission de l’héritage et l’avenir de la jeunesse, l’implication des personnels est salutaire. De même que leur participation au débat et aux évolutions institutionnelles, la démocratisation du système s’avère une condition nécessaire et suffisante. Le tableau ci-après résume les préconisations faites à cet égard.

Les questions programmatiques et (inter)disciplinaires

80En complément du traitement des questions d’ordre institutionnel et psychopédagogique et d’une manière générale relative aux sciences de l’éducation, il s’avère nécessaire de faire une synthèse des enjeux programmatiques et (inter)disciplinaires. L’émergence de la société des médias et de la connaissance nous y invite.

La loi d’orientation et de programmation ne statue pas sur ces questions ; elle stipule un principe général dans son 3^e axe : « mettre le contenu des enseignements et la progressivité des apprentissages au coeur de la refondation23 ».

81Par ailleurs, le cadre épistémologique général est actualisé en ces termes :

La création d’un Conseil supérieur des programmes, la refonte du socle commun de connaissances, de compétences et de culture et celle des programmes placent le contenu des enseignements et la progressivité des apprentissages au cœur de la refondation. Ceux-ci seront enrichis d’un parcours d’éducation artistique et culturelle, d’un enseignement moral et civique et de l’enseignement d’une langue vivante dès le cours préparatoire. Le nombre et la durée des cycles seront revus pour permettre une plus grande progressivité des apprentissages et une meilleure liaison entre l’école et le collège24.

82Ce cadre étant posé, des négociations sont engagées avec les partenaires concernés, en particulier les représentants des disciplines, dès la rentrée 2013. Nous rappelons à cette occasion les préconisations faites dans cet ouvrage, dans les secteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, notamment dans le champ des LLA-SHS et de la francophonie, dans celui de l’enseignement du français et des lettres ainsi que de la morale laïque et citoyenne. C’est en effet par une vision élargie du système socio-cognitif que l’école pourra mieux réguler les modes de citoyenneté et de développement voire impulser des modes alternatifs. C’est par l’exposition des possibles idéologiques et institutionnels que l’imaginaire collectif pourra se libérer des conservatismes ambiants.

83L’enjeu est en effet le suivant : l’essor spectaculaire de la cyber-culture et de formes inédites d’intelligence artificielle incite à la mise en place de stratégies complémentaires d’envergure. Une plus grande rationalisation de la recherche-enseignement dans le secteur des SHS, des humanités, de la francophonie, secteurs actuellement minorés, est un pari réalisable. Un objectif anthropo-éthique de même envergure consiste à pallier à la tendance lourde à l’unitarisme universaliste et citoyen ainsi qu’au consumérisme médiatique, par la théorie-praxis d’une dialectique inter-subjective démultipliée. Ces dynamiques alimentées tant sur un plan programmatique que relationnel sont à même de rééquilibrer formation, enseignements et vie scolaire, et de contribuer à la régénération de l’humanisme républicain. La formation des enseignants intégrerait, ce faisant, à la fois les apports de la pensée complexe et des théories de l’apprentissage. Les acteurs du système éducatif deviendraient ainsi co-auteurs d’une transformation profonde du système éducatif au service d’une plus grande efficacité et équité.

Tableau 24 – Préconisations programmatiques dans les secteurs de l’ESR et de l’EN