Le système éducatif
| ,Première partie. Contexte cognitif et problématiques universitaires
Chapitre II. L’économie européenne de la connaissance
Texte intégral
1La crise de l’Union européenne sévit depuis l’implosion de la bulle financière de 2008, la récession économique dans la zone euro et le surendettement des États s’ajoutant à ce sombre tableau. La question se pose de l’adaptation du modèle continental à la nouvelle conjoncture internationale : quelle politique a été conduite en France dans le secteur de la recherche et de l’enseignement dans les dernières décennies ? Quelle réorientation et quels modes de développement sont à préconiser, à partir de ce levier stratégique ?
Historique de la recherche européenne
2Les premiers programmes européens de recherche, appelés EURATOM, ont été mis en place en 1958 : après la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), il s’agissait de coordonner les programmes de recherche de ses États sur la base de l’exploitation de l’énergie nucléaire ; le traité de Rome, ratifié en mars 1957, institue à la fois la CEE (Communauté économique européenne) et la Communauté européenne de l’énergie atomique, plus connue sous le nom d’Euratom. En 1974, le premier projet multidisciplinaire fut adopté par la CEE, qui subissait alors la récession économique entraînée par le « choc pétrolier » : l’objectif était d’acquérir une plus grande indépendance économique. Il fut suivi en 1982 par le programme ESPRIT (European Strategic Program for Research in Information Technology), destiné à impulser le développement des technologies de l’information et le passage à l’ère postindustrielle dite « blanche ». C’est en 1984 qu’est lancé le premier programme Cadre ; il s’agissait pour le Conseil européen d’unifier l’espace scientifique et technique européen, par l’établissement de normes et de standards communs.
3Cette programmation a permis de constituer un maillage de la recherche en Europe, d’associer celle-ci plus étroitement à la cause du développement continental et de fédérer dans cette dynamique certains secteurs publics et privés. La lourdeur de la machine bureaucratique engendrée par ce système fut mise en évidence dans plusieurs rapports d’évaluation, ce constat en demi-teinte s’ajoutant à la dégradation du monde du travail sous l’impact d’un capitalisme spéculatif et financier en expansion. La promotion de l’Espace européen de la recherche fut mise à l’ordre du jour à Lisbonne en janvier 2000 ; en mars 2000, les chefs d’État ou de gouvernement ont souscrit à « la stratégie dite de Lisbonne », qui vise à relancer la croissance et l’emploi : pour ce faire, le Conseil européen a assigné à l’UE un objectif ambitieux et ambivalent, faire de l’Europe, d’ici à l’an 2010, « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » (Conseil européen, 2000). En termes d’objectifs chiffrés, il s’agit de renforcer l’effort d’investissement consacré à la recherche-développement, celui-ci devant atteindre 3 % du PIB. La mise en œuvre de cette opération s’effectue au moyen de Programmes cadres pour la recherche et le développement (PCRD).
4Cette nouvelle étape bénéficie de la mise en place d’un système géo-politique unifié depuis l’intégration de pays d’Europe centrale anciennement communistes à l’UE. Son intérêt est de concurrencer les États-Unis, le Japon, la Chine et autres puissances émergentes, sur le terrain de l’innovation dans le domaine des biens immatériels, celle-ci devenant une source grandissante de profits. Pour ce faire, cette économie est fondée sur le triptyque recherche-innovation-enseignement, le capital intellectuel devant être l’objet d’une transmission sur le modèle managérial des entreprises. Ainsi, sont censées être rassemblées les meilleures compétences continentales, dans des réseaux dits d’excellence et sur certains domaines clés.
- 1 Bruno, 2008, p. 17-21.
L’édifice en construction d’une « Europe compétitive » a pour pierre angulaire l’Espace européen de la recherche (EER). Ce projet vise explicitement à bâtir un « marché commun de la recherche » qui concerne aussi bien les chercheurs, les laboratoires ou les universités que les droits de propriété intellectuelle, et plus largement tous les éléments constitutifs des systèmes nationaux dits d’innovation. […] À travers le cas de l’EER, c’est le sens de la construction européenne qui se laisse entrevoir. Il dessine un espace européen d’équivalence, où la commune mesure ne sert pas l’égalité sociale et spatiale mais une mise en compétition des populations et des territoires1.
5L’objectif fixé à Lisbonne doit être mis en débat, tant en ce qui concerne son orientation que ses applications pratiques. Cette politique de recherche développement s’accompagne d’une série de mesures visant à privatiser des services publics nationaux : plusieurs marchés ont été ouverts à la concurrence dans les domaines des télécommunications, du transport ferroviaire de marchandises, des services postaux, de l’électricité et du gaz, ce qui contredit la tradition française de service public.
6La recherche scientifique risque d’être davantage encore instrumentalisée ; qu’en est-il par exemple du 6e PCRD, qui couvrait la période de 2001 à 2007 ? Ses priorités ont été les suivantes :
- Génomique et biotechnologie pour la santé ;
- Technologies pour la société de l’information ;
- Nanotechnologies et nanosciences ;
- Aéronautique et espace ;
- Qualité et sûreté alimentaire ;
- Développement durable, changement planétaire et écosystèmes ;
- Citoyens et gouvernance dans la société européenne de la connaissance.
- 2 Godelier, 2001.
7Les trois grandes spécialités scientifiques sont prises en compte, pour la gestion du vivant (rubriques 1, 5 et 6), de la matière (rubriques 2, 3 et 4) et de la société (rubrique 7). L’enjeu écologique est à juste titre valorisé dans deux rubriques : « Qualité et sûreté alimentaire » et « Développement durable, changement planétaire et écosystèmes ». Un seul thème, nouveau par ailleurs, celui des « citoyens et de la gouvernance » incombe aux sciences humaines et sociales (SHS) : sciences juridiques, histoire, philosophie politique, sociologie… Le Conseil européen en avait fait l’un de ses objectifs à Lisbonne, il a été rendu opérationnel sous l’impulsion du gouvernement français et de son ministre de la Recherche, Roger-Gérard Schwartzenberg, suite à la parution du rapport rédigé par Maurice Godelier sur ce sujet2.
8Le 7e PCRD, appliqué de 2007 à 2013, couvre les dix domaines suivants :
- santé ;
- alimentation, agriculture, pêche et biotechnologie ;
- technologies de l’information et de la communication ;
- nanosciences, nanotechnologies, matériaux et nouvelles technologies de production ;
- énergie ;
- environnement (changement climatique inclus) ;
- transports (aéronautique comprise) ;
- sciences socio-économiques et humaines ;
- espace ;
- sécurité.
9Le champ d’action s’est élargi à des domaines professionnalisants tels ceux du secteur primaire (agriculture et pêche) durement atteints par la réindustrialisation continentale et les involutions d’ordre écologique. Le déséquilibre s’est par ailleurs amplifié entre techno-économistes et partisans d’une meilleure gestion de la citoyenneté et du social : le thème de la gouvernance démocratique cède la place à celui de la sécurité. En toile de fond, se manifestent la montée d’un néo-libéralisme autoritaire, le refroidissement des relations Occident-Orient via l’interventionnisme militaire à l’encontre du terrorisme islamiste, les relations euro-africaines étant, elles, dominées par la chasse à l’immigration clandestine. La politique de recherche s’avère, pour conclure, dépendante des mécanismes de la mondialisation et des résistances citoyennes à son rouleau compresseur.
10Le 8e programme (2014-2020) s’inscrit dans la stratégie dite « Europe 2020 ». Le site de l’Union européenne en donne une présentation :
Le but ultime est de maximiser la recherche et l’innovation financées par l’UE, pour une croissance durable et pour l’emploi, ainsi que pour s’attaquer aux grands défis que doit relever l’Europe – par exemple le changement climatique, la sécurité alimentaire et énergétique, la santé et le vieillissement de la population.
Cela doit être atteint en créant une série cohérente d’instruments, tout le long de la « chaîne de l’innovation » et à commencer par la recherche fondamentale, débouchant sur l’apport au marché de produits et de services innovants, et aussi sur le soutien à l’innovation non technologique, par exemple aux niveaux de la conception des produits et du marketing.
11Le projet de budget du 8e PCRD doit s’élever à 80 milliards d’euros, répartis sur une période de sept ans, soit de l’ordre de 0,08 % du PIB européen. Selon le SNESUP (2011), ce montant doit être multiplié et dépasser 0,2 % du PIB européen. Tous les champs disciplinaires doivent être développés, dans leur diversité, en particulier les sciences humaines, économiques et sociales : le 7e PCRD n’a consacré à ces dernières que 0,6 milliards d’euros sur une période de sept ans (soit 0,000 6 % du PIB). Une place est donnée à la recherche fondamentale, mais uniquement au service de l’innovation ; si certaines sciences humaines et sociales sont convoquées, elles le sont surtout dans une perspective utilitariste. En fait, à l’heure d’une crise continentale exponentielle, la recherche doit contribuer aux solutions à apporter, dans le domaine de la culture démocratique et des alternatives socioéconomiques.
Mondialisation et politique de recherche et d’innovation
12La marchandisation du secteur de l’ESR s’inscrit dans une démarche générale d’intégration des services publics à la législation commerciale internationale :
- 3 ATTAC, 2007.
Cette dérive […] se situe dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). Depuis 1995, 149 pays ont signé cet accord incluant l’enseignement et la recherche dans le processus de libéralisation du commerce des services, un processus engagé par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans un premier temps, l’Union européenne (UE) avait affirmé que l’enseignement public sortait du champ de la Convention parce qu’il était organisé par les États. Mais, sous la pression des néolibéraux de pays anglo-saxons, de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) ou encore de la Banque mondiale, les États européens se sont préparés à l’intégration de l’enseignement supérieur dans le grand marché mondial3.
13L’inspiration anglo-saxonne de cette dérive est encore peu connue et commentée en France ; ce phénomène s’explique sans doute par un lobbying atlantiste à la fois pragmatique et discret sur ses finalités stratégiques :
- 4 Schultheis, Roca i Escoda et Cousin, 2008.
« Si les universités ne s’adaptent pas, elles disparaîtront » (Yves Winkin). La petite phrase apparaît en 1991 dans un texte de Douglas Hague, Beyond Universities : A New Republic of the Intellect, qui deviendra bientôt un livre culte pour tous ceux qui rêvent de créer des « universités entrepreneuriales », conçues comme des firmes privées produisant et vendant de la connaissance au sein d’une « économie du savoir » mondialisée. […] En 1998, Michael Gibbons cite la petite phrase de Douglas Hague dans son rapport, « L’enseignement supérieur au xxie siècle », préparé sous l’égide de la Banque mondiale pour la première Conférence mondiale sur l’enseignement supérieur de l’UNESCO. Elle y joue un rôle détonateur. Il n’y a plus aujourd’hui un colloque de l’OCDE, de la Banque mondiale ou de l’Union européenne sur la « gestion du savoir » (knowledge management) qui n’utilise l’opposition Mode 1/Mode 2. De descriptive, la distinction est devenue prescriptive4.
14Sur ce modèle, l’UE a mis en place deux mécanismes, qui concernent les espaces respectifs de la recherche et de l’enseignement supérieur, la « stratégie de Lisbonne » et le « processus de Bologne ». Ce dernier, initié en 1999 sous l’égide de 29 pays, énonce les objectifs suivants : adoption d’un système de diplômes aisément lisibles et comparables, promotion de la mobilité et de la libre circulation des étudiants, des enseignants, des chercheurs et des personnels administratifs, promotion de la nécessaire dimension européenne dans l’enseignement supérieur et l’évaluation des étudiants. Avant la signature de la déclaration de Bologne, un autre document, la déclaration de la Sorbonne, avait été adopté par quatre pays : la France, l’Allemagne, l’Italie, et le Royaume-Uni, annonçant dès 1998 les principaux objectifs de l’espace européen de l’enseignement supérieur. Les objectifs d’harmonisation des programmes et de mobilité étudiante, auxquels les opinions publiques avaient été sensibilisées depuis le milieu des années 1980 par le programme Erasmus, pouvaient enfin se concrétiser dans un grand projet gommant les frontières du monde : bien vite, des échanges ont été imaginés entre l’espace européen et l’Amérique du Nord, l’Asie, l’Australie… En 1998, les quatre pays signataires de l’appel de la Sorbonne ont privilégié des collaborations qui facilitaient et accéléraient la circulation de standards gestionnaires peu compatibles jusqu’alors avec la tradition patrimoniale et souverainiste des institutions universitaires.
15Dans ce dispositif stratégique, il faut mentionner un autre outil, cette fois-ci d’origine asiatique et à caractère mondial, le classement de Shanghai (Academic Ranking of World Universities en anglais) : créé en 2002 et établi par des chercheurs de l’université Jiao Tong de Shanghai, il est censé évaluer les principales universités mondiales. Ces institutions sont classées selon de nombreux critères comme le nombre de publications dans certaines revues scientifiques et le nombre de prix Nobel attribués aux chercheurs et aux équipes pédagogiques. Les créateurs du classement soulignent eux-mêmes certaines de ses limites, notamment un préjugé favorable aux pays anglophones et aux institutions de grande taille et une difficulté certaine à définir des indicateurs objectifs pour classer les universités en sciences sociales. À ce jour, le classement se fonde sur les critères suivants : prix Nobel en physique, chimie, médecine et économie, médailles Fields (en mathématiques), chercheurs les plus cités dans 21 domaines scientifiques, nombre d’articles publiés dans la revue Sciences et Nature, nombre de publications au Science citation index (sciences et sciences sociales). Il est logique, avec de tels critères, que les universités à dominante scientifique « dure » soient les plus représentées. En 2007, a été publié le premier classement des établissements par grandes disciplines, un top 100 selon cinq domaines répertoriés en anglais : Natural Sciences and Mathematics (SCI), Enginering/Technology and Computer Sciences (ENG), Life and Agricultural Science (LIFE), Clinical Medecine and Pharmacy (MED), Social Sciences (SOC).
- 5 Attali, 2008, p. 15.
Seules 3 universités françaises sur 86 figurent parmi les 50 premières dans le classement de Shanghai, et seulement 15 sont dans les 100 premières. Aucune université française ne figure parmi les 100 premières mondiales en médecine et en pharmacie. Une ou deux universités françaises sont citées parmi les premières dans les secteurs des sciences agronomique, informatique et sciences de l’ingénieur5.
16Qu’en est-il en 2012 ?
Des 500 meilleures universités, seulement 20 sont françaises, contre 150 américaines, 42 chinoises et 38 britanniques. La première université française arrive au 37e rang au classement de Shanghai. Paris-Sud gagne trois places, mais ses compatriotes les plus proches cèdent du terrain : Pierre-et-Marie-Curie rétrograde à la 42e place (-1), tandis que l’École normale supérieure (ENS) recule à la 73e place (-4). Au total, 20 universités françaises se classent dans le top 500. Les universités américaines s’arrogent 17 des 20 premières places, avec en tête un quatuor inchangé : Harvard, Standford, Massachusetts Institute of Technology (MIT) et Berkeley. (Le Parisien, 2012)
17Il importe de le rappeler : la légitimité du classement de Shanghai est très relative en matière d’évaluation de politique de recherche, à la différence de celle de l’UNESCO par exemple, institution rattachée à l’ONU.
La situation en France
- 6 Chapitre i, « Capitalisme cognitif, cybernétique et école » (Emmanuel Brassat).
18Comme écrit par Emmanuel Brassat dans le chapitre i6, la gestion du pays est investie par deux courants antagoniques, l’autoritarisme étatico-administratif se conjuguant à une tradition aussi ancrée de service public à finalité égalitaire. Sur ces bases, le management néo-libéral s’impose progressivement, avec l’application des règles de l’« économie de la connaissance ». La tradition étatiste étant devenue minoritaire dans le concert des nations européennes, la France peut-elle encore infléchir les destinées continentales en matière de recherche-enseignement, voire même conserver son propre modèle ? L’orientation de l’UE est déterminée par le traité de Lisbonne (2007), qui reprend de nombreux points du traité établissant une Constitution pour l’Europe, refusé en France à l’occasion du référendum de 2005. Quels éléments nouveaux sont intervenus sur la scène (inter) nationale cette dernière décennie ?
Le tournant néo-libéral-autoritaire
États généraux de la recherche et loi de programmation « Pacte de la recherche » (2006)
19Le point de départ et catalyseur de cet épisode a été la crise budgétaire enregistrée dans les laboratoires et associée au marasme des jeunes chercheurs, trop peu reconnus par la communauté nationale. L’appel « Sauvons la recherche ! » (SLR), lancé en janvier 2004 par 150 responsables de laboratoires et d’équipes, liait des revendications immédiates à la volonté de lancer un grand débat national sur la recherche. En quelques semaines, ces 150 devinrent des milliers et le collectif SLR mit en place un réseau de correspondants locaux couvrant tout le territoire, avec le soutien des président et vice-président de l’Académie des sciences et l’octroi de subventions publiques.
20S’ensuivirent des États généraux de la recherche (en 2004), structurés autour de trois problématiques : recherche et société ; organisation, évaluation et financement de la recherche ; personnels de la recherche privée. Ces travaux dans lesquels s’investirent des centaines de scientifiques furent rendus publics et leur légitimité reconnue par les pouvoirs publics.
21Des principes furent réaffirmés : importance de la recherche fondamentale, formation des maîtres et des chercheurs à l’épistémologie et à l’histoire des sciences, coopération renforcée avec les pays du Sud en matière de recherche, de transfert et de partage des savoirs et des technologies… Ce sont dans les faits les modèles dominants qui ont été reproduits, dans l’objectif de la réindustrialisation de la France et de la participation à la compétition internationale, « boostée » par les États-Unis et l’Allemagne… En l’absence de problématique interculturelle qui délimite les identités disciplinaires et partant les modes de développement possibles, les sciences exactes – dénommées sous le titre hégémonique de « science » – se sont donné le beau rôle en matière de résolution des problèmes sociaux, réduits souvent aux seuls paramètres matériels ou biologiques :
L’idée d’une complexité croissante des relations sociales, des situations géopolitiques, des technologies nouvelles ou des connaissances fondamentales sur l’homme et sur l’univers, place la recherche au premier plan des préoccupations du monde contemporain. C’est dans une relation indispensable avec l’ensemble des citoyens que la recherche peut leur apporter des réponses. Face à des attentes culturelles, sociales et économiques, dont les logiques ne se superposent pas, il est nécessaire de préciser comment la recherche doit être conduite. Les citoyens attendent de la science la solution à des problèmes sociaux de toute nature : le chômage, l’épuisement du pétrole, la pollution, le cancer, etc. (États généraux de la recherche, 2004)
22Le grand mérite des états généraux est d’avoir sorti le monde de la recherche des laboratoires et d’avoir contribué à démocratiser le débat citoyen sur ses enjeux. La mise en place des pôles de compétitivité dont le concept a été adopté fin 2004, associée au vote de la loi sur la recherche (2006), fut la réponse gouvernementale, sous la présidence chiraquienne.
Les pôles de compétitivité
23La création des pôles de compétitivité s’avère une pièce importante du dispositif en matière d’aide à la recherche appliquée. Sous l’égide de la décentralisation d’influence européenne et valorisant certains patrimoines industriels, cette démarche propose une collaboration inédite entre des équipes locales d’élus des Conseils régionaux, d’universitaires et d’ingénieurs :
Un pôle de compétitivité se définit comme la combinaison, sur un espace géographique donné, d’entreprises, de centres de formation et d’unités de recherche publiques ou privées, engagés dans une démarche partenariale destinée à dégager des synergies autour de projets communs au caractère innovant. Ce partenariat s’organisera autour d’un marché et d’un domaine technologique et scientifique qui lui est attaché et devra rechercher la masse critique pour atteindre une compétitivité mais aussi une visibilité internationale. (JO, 28 novembre 2004)
24Ce dispositif s’inspire d’expériences réussies en la matière, faites dans les technopoles des puissants länder allemands ou des dynamiques comunidades autonomas espagnoles par exemple. Il présente des aspects positifs en ce qui concerne l’aménagement du territoire, la lutte contre les délocalisations, l’incitation à la recherche. Pour ces raisons, le concept a été adopté par la classe politique et n’a pas été rejeté par l’association « Sauvons la recherche ». Il doit pourtant être amélioré ; tout d’abord, le terme de « compétitivité » est-il heureux ? La concurrence, même loyale et non faussée, est-elle la seule règle d’organisation sociale à valoriser par les régions, sachant que l’État central est déjà engagé structurellement dans la compétition internationale ? Ce principe doit-il être assumé sans contrepoids institutionnel de même envergure par la communauté universitaire ?
25Comme le préconisent les textes officiels, les projets labellisés concernent une activité industrielle ou corrélée à l’industrie, de l’ordre de l’agroalimentaire, du commerce, de la santé et de l’écologie. Les pôles de compétitivité mondiaux recensés en 2013 sont les suivants : Aerospace Valley, Finance Innovation, Lyonbiopôle, Medicen Paris Région, Minalogic, Solutions communicantes sécurisées, Systematic Paris Région. Les pôles de compétitivité à vocation mondiale sont : Alsace Biovalley, Axelera, Cap Digital Paris Région, Images & Réseaux, i-Trans, Industries et Agro-Ressources, Mov’eo, Pôle Mer Bretagne, Pôle Mer PACA, Végépolys. Les avancées résident dans la part non négligeable allouée à la protection du vivant, de l’environnement, de la bio-diversité… Quant aux limites, elles portent sur la recherche-développement de type socio-culturel. La preuve en est le décalage enregistré entre l’interprétation des textes par certains conseils, qui se sont faits l’écho des industries culturelles et des patrimoines artisanaux de leurs régions et celle de l’État central. Voici la liste des projets proposés en 2005 par ces conseils et non retenus par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Concernant la gestion des patrimoines (inter) culturels :
- le projet PACA (Arles) dédié aux industries culturelles : diffusion numérique, bibliothèque virtuelle de la Méditerranée, sculpture d’objets virtuels ;
- le projet Aquitaine (Biarritz-Côte basque) dédié au tourisme et aux sports de la mer.
26Concernant les arts et artisanats :
- le projet Bourgogne consacré à l’image et à l’ingénierie numérique : art de la photographie…
- le projet de l’Ile-de-France et du Centre concernant la bijouterie, la joaillerie, l’orfèvrerie ;
- le projet Ile-de-France sur les instruments de musique.
27Les industries de la connaissance et de la culture :
- le projet Poitou-Charentes sur l’industrie de la connaissance : formation à distance…
- le projet Poitou-Charentes sur les industries culturelles s’adressant à la jeunesse7.
- 8 Boudet, 2007.
28La politique de l’ANR est trop réductrice : la gestion des traditions artistiques et artisanales, des industries de la connaissance et de la culture participe également d’une démarche industrielle, mais durable et à l’échelle de l’homme, des peuples et de leur histoire. La gestion des cultures et de leur avenir ne peut être gommée d’un trait de plume par un pays qui valorise traditionnellement ce paramètre, et cela au moment où l’État dit vouloir donner aux régions une plus grande autonomie, nécessaire à leur expansion8.
29Plusieurs stratégies et options programmatiques seraient précieuses : la réhabilitation de certains projets d’industries culturelles et artisanales enterrés par l’ANR en 2005, quitte à les perfectionner ; la création d’autres, d’ordre également patrimonial ; enfin, le co-pilotage de l’ANR par l’ARF – l’Association des régions de France gérée par les présidents des Conseils régionaux – et par l’exécutif. D’une manière générale, l’on pourrait s’inspirer de la démarche des pays voisins qui pilotent clusters et autres technopoles. Cela permettrait d’harmoniser le planning de recherche, sur la base des prospectives tant des régions elles-mêmes que de l’État central. À défaut de quoi s’aggravera la désertification de certaines régions, phénomène inversement proportionnel à celui de la mégalopolisation sur le modèle parisien. À défaut de quoi, notre société continuera de verser dans une forme de croissance extravertie, déculturée et mercantile, sur le standard de Sillicon Valley. L’autonomie des universités par rapport au marché et le soutien des régions à cet égard restent des principes d’actualité.
La création de l’ANR et de l’AERES
30Autre volet du dispositif, la création en 2005 de l’ANR (Agence nationale de la recherche) et en 2007 de l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). L’ANR est destinée à financer des projets émanant de la communauté scientifique française, publique et privée. Ses appels d’offre tournent autour des domaines prioritaires suivants : les sciences du vivant, l’énergie et le développement durable, la santé, l’agriculture et l’alimentation, les sciences et technologies de l’information et de la communication, les nanosciences et nanotechnologies, les sciences humaines et sociales.
- 9 Trautmann, 2007.
31Quant à l’AERES, sa mission d’évaluation des résultats s’effectue tant pour l’enseignement supérieur que pour la recherche. Ces deux structures, qui opèrent sans véritable conseil scientifique, sont dépendantes de l’exécutif qui nomme leurs directions. Le pilotage de la recherche-développement par l’ANR et l’AERES s’effectue au détriment des prérogatives du CNRS. Issu du programme national de la résistance (1944), cet organisme central mettait en œuvre jusqu’à présent de manière autonome – c’est-à-dire sur la base de critères d’abord académiques – les recherches fondamentale, multi et interdisciplinaire, appliquée. Comme l’écrivait Alain Trautmann, co-fondateur de « Sauvons la recherche », le scénario de sa possible partition en instituts ne peut masquer sa mise au pas par le politique. « Le CNRS sera devenu un institut […] sans capacité de mener une politique scientifique, l’essentiel des moyens étant aux mains de l’ANR9. » Ce projet de « décentralisation » risque de mettre fin au rôle de pilotage national de l’institut ainsi qu’à tout objectif d’envergure en matière de coopération interdisciplinaire.
32Les débats concernant l’avenir de l’ANR et l’AERES ont émaillé les Assises de l’ESR, ces structures concentrant l’hostilité de représentants de diverses institutions, le CNRS, l’INSERM, le CNU, l’académie des sciences. Concernant l’AERES, son arrogance bureaucratique et tatillonne fait d’elle une agence de notation plutôt que d’évaluation. Le projet de sa suppression avait même été annoncée officiellement :
- 10 Fioraso, citée par Brafman et alii, 2012.
Je souhaite que l’AERES soit remplacée par une agence nationale entièrement redéfinie à partir des principes d’indépendance, de simplicité de fonctionnement et de procédures ainsi que de légitimité scientifique et de transparence10.
33Pour une grande partie de la communauté universitaire, le CNRS et le CNU restent des cadres légitimes d’évaluation car collégiaux et fondés sur la confrontation publique des expertises et jugements, dont les mandants ont à répondre. Des normes professionnelles, reprises ou modifiées au cours des mandats, résultent de ce processus. À cette libre délibération entre pairs reconnus pour leurs compétences, s’oppose le dogme de l’expertise :
- 11 Topalov, 2013.
L’autorité attribuée à l’« expert » repose sur une double supercherie : d’abord faire croire que les savants sont toujours d’accord entre eux, ensuite faire le silence sur la procédure de l’arbitrage entre leurs opinions. Ce dernier point est crucial dans les machines que la politique actuelle a mises en place : les « experts » remplissent leurs fiches et l’administration, bien à l’abri, décide. À ces fictions grosses de dangers, il convient d’opposer une vision claire : l’enseignement supérieur et la recherche ont besoin d’évaluations élaborées de façon collective, contradictoire et publique, au sein d’instances mandatées pour cette tâche par la communauté au nom de laquelle elles portent des jugements, jugements dont elles ont à répondre11.
La loi Liberté et responsabilité des universités/LRU
34Votée au tout début de la mandature de Nicolas Sarkozy, au cours de l’été 2007, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) définit l’Université française comme « participant à la construction de l’espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche » (article 1). Cette légitime ouverture sur le cadre continental d’exercice ne peut cacher les déterminations assez réductrices qui sont celles de l’application de cette loi : programmes disciplinaires, pratiques pédagogiques, modes de gestion doivent s’adapter aux conditions nouvelles du marché mondialisé du travail. Ainsi, du fait de l’introduction de l’idéologie néolibérale dans les programmes éducatifs et de la transformation fréquente des savoirs en compétences directement utilisables par l’entreprise, le monde étudiant subit un conditionnement inquiétant, source ultérieurement de dépendance voire de fragilisation à l’heure de la professionnalisation. Être compétent pour un type d’emplois très précis précarise la jeunesse tout en la fermant aux finalités non pragmatiques et gratuites de la spéculation intellectuelle.
35L’autre processus mis en œuvre par la LRU réside dans l’intégration des entreprises à la gestion des établissements d’enseignement supérieur. Cette mise à disposition ne peut qu’induire des mécanismes de concurrence préjudiciables aux universités les moins labellisées. Le renforcement des pouvoirs du président d’université, qui tend à devenir un véritable manager d’entreprise, s’inscrit dans ce contexte de mécénat intéressé. En l’absence de garde-fous, sont menacées à terme la neutralité de l’orientation et de la sélection des étudiants, la liberté académique des enseignants et des chercheurs, l’indépendance de l’Université, lieu de formation à la démocratie, celle de la recherche elle-même, garante d’une expertise rigoureuse et pluraliste et source d’avancées scientifiques en soi imprévisibles.
36L’Université apparaît ainsi, comme de nombreux médias contrôlés par des lobbies et des réseaux d’affaires, un levier de pouvoir intellectuel très convoité. Son encadrement par une nomenklatura émergente se conjugue à la tradition mandarinale, contestée par l’esprit libertaire soufflé en Mai 68 sans avoir été vraiment inquiétée pour autant. Il s’accorde aussi avec la démarche bonapartiste d’un président omniprésent aux manettes de l’exécutif et qui a dans la même période modifié la Constitution pour accroître les pouvoirs centraux de l’État (2008).
La suppression des IUFM
37Autre élément du dispositif : la décision prise en 2008 de dissoudre les IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres). Ceux-ci ont été créés en 1989, dans le cadre de la loi d’orientation Jospin qui réhabilitait, ce faisant, la formation professionnelle des enseignants. Les IUFM prirent la relève des écoles normales d’instituteurs, assurant la formation des différentes corporations de professeurs du primaire et du secondaire. Aux côtés des écoles normales supérieures, le dispositif des IUFM s’avère être depuis deux décennies un élément de médiation interinstitutionnelle et de transposition des savoirs ; leur rattachement à des universités de tutelle en 2006 les ancrait fortement dans le monde académique. Alors pourquoi vouloir procéder à leur suppression, au profit de la masterisation de la formation des enseignants (à bac + 5) ?
- 12 Meirieu et Frackowiak, 2008.
38Il s’agissait dans l’optique technocratique d’actualiser le troisième pôle de l’« économie de la connaissance », celui d’un enseignement faisant prédominer sa fonction de formation aux enjeux socio-professionnels. Dans cette orientation, les sciences de l’éducation – psychopédagogie et didactiques générale et disciplinaire – sont quantité négligeable sauf à les reconvertir en instances de programmation des systèmes compétentiels12. D’où des campagnes d’opinion virulentes à l’encontre de leurs « échecs », à mettre au compte de « l’incapacité » des SHS de manière générale à concevoir une méthodologie transférable. Dans les faits, la suppression des écoles de cadres enseignants était entérinée au moment où l’école subissait de son côté une crise sans précédent. Dans l’économie étatico-institutionnelle, c’est tout un patrimoine à la fois professionnel et républicain qui risquait d’être démantelé.
Le plan Campus
39Application de la loi de programme pour la recherche (2006), le plan campus dévoilé en 2008 s’inscrit dans la foulée de la création des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES). Pour rappel, les PRES constituent des regroupements d’universités, de grandes écoles, qui ont pour vocation de s’ouvrir au « monde social et économique » – en clair aux entreprises – et d’organismes de recherche. Ces regroupements se coordonnent à travers différentes structures juridiques.
40Le plan Campus réalise les préconisations du rapport Attali en dégageant, sur la base de dix projets (douze par la suite), les pôles universitaires destinés à devenir des « pôles d’excellence » capables de se mesurer aux grandes universités étrangères. Ces pôles bénéficient des 5 milliards de crédit, issus de la vente des actions d’EDF par l’État : trois sont en Ile-de-France (Aubervilliers, Saclay, Paris intra-muros) et neuf dans des métropoles régionales (Bordeaux, Grenoble, Lyon, Montpellier, Strasbourg, Toulouse, Aix-Marseille, Lille, Nancy-Metz). S’ils intègrent les principaux organismes de recherche, ces douze projets n’impliquent que 39 universités sur 85 au total en France. Parmi les recalées, certaines universités ont reçu la mention « campus prometteur » (Paris-Est, campus numérique de Bretagne, Nantes, Nice-Sofia Antipolis et Clermont-Ferrand) et d’autres la mention « campus innovant » (Valenciennes, Le Havre, Cergy et Dijon).
41Ajouté à la LRU, ce dispositif renforce la mise en concurrence des établissements, des régions comme des filières : c’est un modèle à deux vitesses qui se met en place et qui va renforcer les déséquilibres tant dans le sens de la mégalopolisation que de la désertification des territoires. Sur les douze pôles, un seul concerne les sciences humaines et sociales, celui de Condorcet-Aubervilliers au nord de Paris, auquel participent les universités Paris I, Paris VIII-Saint-Denis, Paris XIII, l’EHESS, le CNRS et l’École des chartes. Il s’agit du seul campus à construire et qui ne sera fonctionnel qu’en 2018.
Le rapport Attali
42Le rapport de la commission Attali « pour la libération de la croissance française », publié en janvier 2008 apporte sa caution à cette orientation censée tracer l’horizon d’attente du pays. Il entérine la thèse de la toute-puissance de l’économique dont les variables, le « taux de croissance » et le « pouvoir d’achat des ménages » – dont la référence au « moral » signale un détournement sémantique – sont auscultées fébrilement. Les sociétés européennes atteignent un point de non-retour :
- 13 Calame, 2008 b.
Aliéné dans la consommation et la précarisation, en quête d’identité, l’individu contemporain a désormais les yeux rivés sur le taux de croissance, quand ce n’est pas sur l’indice boursier, seul espoir d’une amélioration pour un cadre de vie dont on entend soumettre tous les paramètres à la marchandisation13.
43Ce leitmotiv – n’oublions pas que les grands médias sont, sauf exception, aux mains des magnats de la finance – est orchestré sur un fond longtemps dissimulé de crise généralisée du système : crise financière des sub-prime aux États-Unis avec ses répercussions présentes et à venir à l’échelle internationale (menace d’un krach boursier), collusion des lobbies et de grands commis de l’État-UMP, la justice républicaine peinant à instruire les nombreux dossiers de conflits d’intérêt et de corruption aggravée qui en résultent… Dans ces conditions, la légitimation des politiques néo-libérales opérée par le rapport Attali camoufle l’essentiel, c’est-à-dire le fait objectif de la spéculation boursière et d’une accumulation capitaliste exacerbée, par manque de contrepoids suffisants. En effet, ce n’est pas à cette partie cachée et prépondérante de l’iceberg que s’attaque le rapport mais à ce qu’il appelle « le scandale de la pauvreté ». Le victimisme, procédant d’une vision unilatérale et minimaliste du système, crée une empathie plutôt démagogique à l’égard des chômeurs et travailleurs pauvres, c’est-à-dire des victimes de la très inégale répartition des richesses procédant de la captation parasite que certains en font. Cette base tronquée à l’échelle nationale l’est également au plan international : comment plaider en effet pour la thèse décliniste alors que la France est dans le peloton de tête des pays développés économiquement et que la masse de capitaux accumulés dans le pays est devenue pharaonique ? Sur ces bases, le rapport invite à une nouvelle étape de la course-poursuite. Toute la panoplie de « l’économie du savoir » y est convoquée, associant la croissance (et non pas le développement) à la compétitivité et à la liberté d’entreprendre, et par voie de fait, aux seules disciplines supposées aptes à les mettre en œuvre, les sciences de la nature et de l’information :
- 14 Attali, 2008, p. 31.
[Il faut] redonner à la France tous les moyens (dont ceux de la recherche) pour prendre une place de premier rang dans les secteurs de l’avenir : numérique, santé, énergies renouvelables, tourisme, biotechnologies, nanotechnologies, neurosciences14.
44La seule perspective culturelle retenue par le rapport Attali, celle du développement du tourisme, aurait dû donner lieu à une prospective institutionnelle, concernant la gestion des grandes écoles spécialisées dans la conservation du patrimoine : École des chartes, du Louvre, des Beaux-Arts… Pas de redéfinition des missions de ces instituts pourtant vénérables et sans lesquels le tourisme en France s’apparenterait vite à un consumérisme idiot. Quant à la perspective sociale, elle se résume au « service à la personne » dans ses dimensions individuelle, enfantine, juvénile, vulnérable – celle des malades et des personnes âgées… – cette préoccupation citoyenne nécessaire au maintien d’un pacte acceptable de convivialité ne saurait pour autant nourrir seule le programme des sciences sociales, qui ont vocation à élaborer des alternatives sociétales et éducatives. Concernant les dimensions éthique et sociale de la croissance, ne sont en fait retenues que des dispositions pratiques dans le cadre du système existant, mais qui manquent cruellement d’arrière-plan philosophique.
45Ce double présupposé positiviste-pragmatique se retrouve dans la proposition d’ajout des composantes économique et informatique au lot des sept compétences du socle éducatif, et cela dès l’école primaire. Si en soi cette idée n’a rien de choquant, elle devrait être contrebalancée par celle d’un renforcement des composantes socio-culturelle et citoyenne de l’éducation scolarisée. À défaut de quoi la violence juvénile et sociale, à laquelle le rapport fait peu référence, risquerait une progression exponentielle, l’éducation mise à nouveau en échec devant repasser le relais aux institutions coercitives, police et justice, pour un « règlement » du problème posé. Comment sortir de ce cercle vicieux ?
Perspectives et limites des mobilisations citoyennes
- 15 Brisset, 2009.
- 16 Coordination nationale universitaire. http://universitesenlutte.wordpress.com/
46Les réactions à la mise en place des dispositifs concernant l’ESR ont été multiples et concertées ; c’est le fameux discours présidentiel sur la recherche (du 22 janvier 2009) qui a été le catalyseur de la polémique, du côté des enseignants15. S’est ensuivie une exceptionnelle grève générale des personnels, alimentée de février à juin 2009 par une coordination nationale universitaire (CNU) et une douzaine d’assemblées générales intégrant syndicats (SNENUP, FERC-Sup CGT…), associations (SLU, SLR) et collectifs16. Dans le même temps, se constituait la CNFDE (coordination nationale de la formation des enseignants), sur les objectifs spécifiques des personnels des IUFM.
47L’ensemble a cependant été minoré dans l’opinion : les médias publics en ont rendu compte de manière parcellaire ; la communauté nationale, harcelée sur les questions de « pouvoir d’achat » et autre « crise de croissance » s’est peu mobilisée sur ce qui constitue l’arrière-plan institutionnel et académique de la vie socioéconomique. Le décalage entre les mobilisations étudiantes et enseignantes a contribué aussi à marginaliser ce débat ; le monde estudiantin s’est manifesté pour sa part à l’occasion du vote de la LRU en 2007, spécialement dans les universités de lettres et sciences humaines, les plus menacées par le nouveau dispositif de manière générale.
- 17 Mauss, 2009.
48Cette mobilisation poursuivie sur une période conséquente, de 2007 à 2009, donnait à espérer en l’émergence d’un débat sociétal inédit : face à l’avalanche des contre-réformes, la défense des institutions, des statuts de professionnels, des moyens logistiques n’a pas failli. À la différence des événements de Mai 68 par exemple, ce qui a manqué c’est une réflexion d’envergure sur les déficits programmatiques, inter-disciplinaires, in fine idéologiques et leurs incidences en matière de modes de développement17. Les mobilisations se sont cantonnées au cadre gestionnaire et corporatif de référence, restant ainsi dans l’ombre des équipes décisionnaires. Autre piste insuffisamment poursuivie, les collaborations avec le monde étudiant et les personnels de l’Éducation nationale, également concernés par les bouleversements en cours.
49Entre autres associations amenées à jouer un rôle d’envergure, citons SLR (Sauvons la recherche) et la naissante SLU (Sauvons l’Université). SLR et SLU se situent, comme l’indiquent leurs noms, respectivement dans les sphères de la recherche et de l’Université. SLR a ouvert le monde de la recherche sur la société, SLU a mis en relation différentes composantes du système d’enseignement. ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières) expose l’arrière-plan économique de l’actualité franco-européenne. La fondation Sciences citoyennes milite pour la participation des citoyens à l’élaboration et au contrôle des politiques de recherche scientifique. L’Appel des appels, collectif, créé en 2009 à l’initiative d’universitaires en psychiatrie, exprime la résistance à la casse des cultures professionnelles, qui tissent le réseau humaniste des services publics :
- 18 Gori, Cassin et Laval, 2009, p. 9.
- 19 Gori, Cassin et Laval, 2009, p. 12.
Nous, professionnels du soin, du travail social, de l’éducation, de la justice, de l’information et de la culture, attirons l’attention des pouvoirs publics et de l’opinion sur les conséquences sociales désastreuses des Réformes hâtivement mises en place ces derniers temps. À l’université, à l’école, dans les services de soins et de travail social, dans les milieux de la justice, de l’information et de la culture, la souffrance sociale ne cesse de s’accroître. Elle compromet nos métiers et nos missions18.
Décidés à combattre une idéologie de la norme et de la performance qui exige notre soumission et augure d’une civilisation inique et destructrice de l’humain, nous voulons réinventer une société de libertés, de droits, de justice et d’hospitalité19.
- 20 http://sauvonslarecherche.fr/spip.php?article1892
- 21 http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article3489
50Si le descriptif du dispositif néo-libéral est au rendez-vous dans ces différents cadres organisationnels, il reste à préciser le discours d’une reconstruction sur des bases assainies. Des manifestations unitaires, la marche de tous les savoirs (academic pride20) en 2008 et 2009 et la rencontre Printemps 201021, laissées de côté depuis lors, présentaient l’intérêt de médiatiser les travaux interassociatifs sur un objectif fédérateur. La puissance technocratique invite à la reprise de démarches de cet ordre : le dispositif néo-libéral est le fait d’une oligarchie politico-technomédiatico-financière qui dépasse les clivages politiciens et corporatifs, sa gestion étant défendue tant par des élus de gauche ou de droite, des communicants, des hauts fonctionnaires que par des acteurs des marchés et du monde de l’entreprise.
La loi d’orientation et de programmation pour l’ESR (2013)
51L’alternance politique en mai 2012 a suscité des espoirs, d’autant que le candidat Hollande a clairement valorisé dans son programme les questions d’enseignement et de recherche, au service de la jeunesse et de son avenir.
- 22 Hollande, 2012.
Il ne s’agit pas de revenir sur le principe d’autonomie. C’est un principe porté par la gauche depuis longtemps. Il s’agit de revenir sur la façon dont elle a été mise en œuvre. Nous savons dans quelle direction il nous faut avancer : celle d’une gouvernance plus collégiale et plus démocratique, qui permette le respect des libertés académiques, et celle de financements qui ne conduisent pas à accroître les disparités, à rogner sur les enseignements, à placer certaines universités sous tutelle22.
52Parmi les préconisations des Assises sur l’ESR qui se sont tenues à cet effet (fin 2012-début 2013), il faut saluer celle de l’instauration de la parité homme femme comme critère de recrutement et de représentation des personnels. Il est temps d’intervenir de manière volontariste comme le démontre l’analyse faite par le sociologue Baptiste Coulmont du recrutement 2012 ; différentes formes de discrimination conduisent dans certains cas à une régression de la mise à parité des effectifs :
- « La féminisation du corps de Professeur se ralentit » : alors que 33,7 % en 2011 étaient des femmes, seules 28,61 % se trouvent promues au grade de PR, et ce, malgré le fait que les femmes représentent 30 % des candidats qualifiés. Lorsqu’on observe par discipline […] : la sociologie fait preuve d’un comportement radicalement différent des autres disciplines puisque 41 % des nouveaux professeurs sont des femmes (qualifiées : 25 %). L’histoire (sections 21 et 22) fait montre d’une certaine schizophrénie, puisqu’en 21 (histoire ancienne et médiévale), on trouve 42 % des professeures recrutées (qualifiées : 44 %) et qu’en 22 (histoire moderne et contemporaine), seules 31 % deviennent professeures (qualifiées : 38 %). Parmi les autres sciences humaines et sociales, la philosophie détient le triste record de la moindre place faite aux femmes : seules 20 % des postes de PR pourvus vont aux femmes, qui sont pourtant 32 % à se faire qualifier. Seule consolation : cela peut être pire ailleurs, par exemple en mathématiques pures (section 25) où une seule femme est promue à l’un des 26 postes mis au concours (3,85 %, qualifiées : 15 %).
- Le phénomène d’érosion du nombre de candidates/maîtresses de conférences recruté s’observe également à l’échelon MCF : en dépit de 45 % de femmes parmi les qualifiées, le recrutement féminin ne dépasse pas 44,11 %. Le DGRH-A1 parle de « stabilité » de cette part des femmes MCF, autour de 42 % depuis plusieurs années […]. Il serait certainement utile d’analyser si la discrimination joue dès la qualification, le recrutement inéquitable ne faisant que prolonger une dynamique pré-existante. Autre consolation : la situation est plus grave au CNRS23, et les recrutements 2013 ne semblent pas avoir commencé à inverser la tendance.
- Dernière analyse très intéressante de Baptiste Coulmont : le retard de carrière. L’entrée des femmes dans l’Université au statut de maîtresse de conférences est retardé de 2 ans par rapport aux hommes : 34 ans par rapport à 32 ans. Ce qui, cumulé avec la durée rallongée de la promotion, ne peut manquer d’avoir des conséquences très importantes sur les niveaux de salaire en fin de carrière – et partant, sur les niveaux de retraites24.
53Le comité interministériel pour les droits des femmes et l’égalité professionnelle entre femmes et hommes a donné au MEN une feuille de route axée sur trois points :
- Inscrire l’égalité dans le dialogue contractuel entre les établissements et le ministère.
- Assurer la parité dans les instances universitaires, au CA des établissements d’enseignement supérieur (au minimum 40 % de femmes à compter du second renouvellement après le vote de la loi), dans les Conseils scientifiques et les Conseils des études et de la vie universitaire.
- Soutenir les recherches sur le genre. Les orientations pour la programmation de l’Agence nationale de la recherche pour la période 2013-2017 feront donc du développement des recherches sur le genre une priorité25.
54Ainsi, le retard en matière d’égalité de genre devrait être progressivement comblé et les pratiques mandarinales à fondement patriarcal sensiblement atténuées chemin faisant.
- 26 Voir le chapitre viii, « Le système éducatif : constats et perspectives d’évolution » (Florence Sa (...)
55Mis à part ce dispositif, aucune mesure d’envergure n’est avalisée par la loi de programmation pour l’ESR, à la différence de la loi sur l’école qui institue les Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), en remplacement des IUFM26. Cet événement, qui devait être fondateur du quinquennat, n’a pas réduit de manière conséquente le fossé existant entre les pouvoirs publics et la communauté universitaire. Un clivage persiste à gauche, entre les universitaires et scientifiques qui se sont mobilisés durant les années Sarkozy contre les réformes néo-libérales et l’orientation choisie in fine par le gouvernement Hollande-Ayrault. Ainsi, le Conseil national des universités (CNU), qui est peu susceptible de dérive gauchiste, a exprimé ses inquiétudes à l’égard du projet de loi pour l’ESR :
- 27 CNU, 2013.
L’esprit, les grands principes et les orientations pratiques de ce projet ne répondent pas aux attentes fortes exprimées notamment à l’occasion des Assises nationales de l’Enseignement supérieur et de la recherche (ESR). La CP CNU ne peut que constater que ce qui était annoncé initialement comme une grande loi de changement de l’ESR ne met nullement fin aux orientations les plus critiquables des réformes mises en œuvre depuis l’adoption du Pacte pour la recherche en 2006 et de la loi LRU en 2007. Elle renforce même certaines évolutions, jugées dangereuses par la grande majorité des acteurs universitaires, comme le recul de la régulation nationale de l’ESR, la mise en concurrence généralisée des établissements, des laboratoires et des enseignants chercheurs, ou encore la mise en place d’institutions de régulation dont le fonctionnement est profondément insatisfaisant et les finalités éminemment discutables (AERES, ANR). Toutes ces évolutions, imposées à marche forcée sous le précédent gouvernement, ressurgissent avec force dans le projet qui sera soumis au Parlement27.
56Au sein du Parti socialiste (PS), parti au pouvoir, la contestation du projet est portée par le « collectif Langevin » – du nom du physicien progressiste, co-auteur du plan Langevin-Wallon pour l’Éducation nationale à la Libération en 1945 :
- 28 Collectif Langevin, 2013.
L’urgence absolue était de renouer un réel dialogue. Sous couvert de légitimité démocratique, les Assises de l’ESR ont donné principalement la parole, dans des débats trop cadrés, à des représentants institutionnels choisis. Malgré la pléthore d’intervenants qu’elles ont mobilisés, elles n’ont pas convaincu ni rétabli la confiance. Car par-delà cet écran médiatisé, combien d’ailleurs de ses propositions ont été retenues ? […] Promouvoir la loi Liberté et responsabilité des universités (LRU) sanctifiait une gouvernance forte et un président aux pouvoirs étendus. La communauté universitaire, toutes tendances politiques confondues, réclamait légitimement la collégialité des prises de décisions. Aussi comment se satisfaire du choix gouvernemental qui réduit de fait la représentativité des enseignants-chercheurs dans les CA des universités et prévoit que les membres extérieurs nommés puissent désormais participer à l’élection de son président, ce que V. Pécresse en juin 2012 jugeait indispensable pour renforcer la loi LRU ? […] Et que dire du maintien en l’état des Idex, Labex et autres outils de ségrégation budgétaire mis en place sous Sarkozy28 ?
57Dans cet ordre d’idée, l’agrément d’utilité publique octroyé à la Conférence des présidents d’université (CPU) est contesté par un collectif d’universitaires :
- 29 Collectif d’universitaires, pétition 1, 2014.
Les signataires ci-après demandent au gouvernement de reconsidérer l’agrément d’utilité publique qui a été octroyé à la légère et par clientélisme politique à la Conférence des présidents d’université et, à l’inverse de la caporalisation patronale des universités engagée par le gouvernement précédent, de redonner du sens à la démocratie et à la collégialité universitaires en réduisant l’omnipotence des présidents d’université au profit des usagers et des personnels, ainsi que de leurs organisations représentatives29.
58La menace de faillite financière qui pèse sur de nombreuses universités est interprétée dans une autre pétition comme une conséquence de l’application mécanique de la LRU :
- 30 Collectif d’universitaires, pétition 2, 2014.
Hier impensable, l’idée d’une faillite financière des universités semble aujourd’hui une quasi fatalité. Elle est le résultat d’un effet mécanique de la LRU, comme le montre la situation dramatique de l’université qui avait été la (trop ?) bonne élève de la mise en œuvre des réformes Pécresse : l’université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. […] Le système qui a rendu cette situation possible est en place dans toutes les universités30.
59Le débat porte dans le même temps sur la politique de recomposition du paysage universitaire. Les regroupements programmés par la loi Fioraso, sous la forme de Communautés d’universités et d’établissements (COMUE), d’associations, et de fusions, ont pour objectif de coordonner l’offre de formation des différentes entités et d’en réduire ce faisant les coûts. Outre la chasse aux doublons, il s’agit de renforcer la visibilité internationale et la logique de sites. Cette démarche conduite de manière accélérée dans une période de crise budgétaire endémique est jugée peu soucieuse de l’avis des communautés concernées :
- 31 Collectif d’universitaires, pétition 1, 2014.
S’inscrit dans cette même logique le mouvement engagé de concentration des universités et établissements d’enseignement supérieur et de recherche placés sous l’égide de superstructures (Communautés d’universités et d’établissements) en charge du pilotage de la politique de formation et de recherche et de la stratégie d’ensemble. La montée en puissance de ces structures de gouvernement resserré se traduit par la perte progressive de souveraineté des établissements membres, et du fonctionnement démocratique de leurs instances, conséquence d’une logique de « filialisation » des établissements membres à la COMUE, prélude à leur absorption fusionnelle à moyen terme31.
- 32 Backouche, Barthélémy, Chateauraynaud, Cohen, Desrosiers et Topalov, 2014.
La loi sur l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) votée en juillet 2013 fixe, de façon étonnante aux yeux des juristes, la date butoir du 22 juillet 2014 pour que les universités se regroupent et adoptent de nouveaux statuts. Alors que les dispositions de la loi ouvrent plusieurs scénarios pour construire ces regroupements – notamment l’association – le ministère, bien qu’il s’en défende publiquement, impose à tous les présidents d’université la Communauté d’universités et d’établissements (COMUE), dispositif qui fera perdre à chacun des partenaires sa souveraineté et son identité32.
60Il est vrai aussi que le débat parlementaire sur la loi Fioraso n’a pu être infléchi, en l’absence de mobilisation dans les universités et les laboratoires, mobilisation que, malgré leurs appels, syndicats et associations n’ont pas réussi à susciter entretemps. Le manque d’inspiration de part et d’autre résulte des difficultés du monde tant universitaire que politique à s’adapter à la nouvelle donne stratégique et sociocognitive, en fait à la crise de civilisation traversée par l’Union européenne et parla France dans ce cadre. Le débat sur l’abrogation ou non de la législation adoptée au cours de la dernière décennie dans le secteur de l’ESR ne suffit plus : seul, il présenterait l’inconvénient de n’être que conservateur d’acquis sociaux et d’ignorer la dynamique de faits géo-politiques et socio-culturels inédits. La contribution de Michel Saint-Jean, président de SLR à l’occasion de la rencontre Printemps 2010 offre des perspectives intéressantes à l’échelle de l’Union européenne :
Autonomie : primat du savoir sur la gestion
-L’Europe savante que nous voulons doit restituer au monde académique son indépendance intellectuelle, lui garantir ses ressources, lui reconnaître son pouvoir décisionnaire basé sur la collégialité et remettre les gestionnaires à son service dans les universités et organismes de recherche. Autonomie académique : dans l’EER, les établissements et organismes universitaires doivent pouvoir organiser leurs enseignements et leurs recherches selon les modes les mieux adaptés à leurs spécificités, qu’il s’agisse de leur histoire intellectuelle, de leur implantation territoriale ou autre. […] Continuer à vouloir contraindre les universités à se formater à un standard anglo-saxon, construit par les managers pour répondre au modèle économique dominant et vendu comme l’unique « standard international », est contreproductif car contraire à l’histoire de l’Université européenne, à son ambition intellectuelle séculaire et aux exigences du développement scientifique et technique. L’Europe savante que nous voulons ne doit être construite ni sur la compétition, ni sur la « coop-étition » mais sur la coopération effective et volontaire des acteurs de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de la Valorisation, soutenue par une UE confiante dans ses scientifiques. Cette coopération devra se traduire par un maillage pluridisciplinaire couvrant toute l’Europe scientifique et non par l’émergence de quelques pôles d’excellence, dont les spécificités thématiques pourraient être ciblées par pays selon ses caractéristiques économiques. […]
- Fort de ses nouvelles prérogatives, la première initiative du Parlement pourrait être par exemple, d’organiser le débat permettant de faire un bilan critique approfondi de la « stratégie de Lisbonne » et de faire des propositions quant à la suite à lui donner pour les dix ans qui viennent ;
- 33 Saint-Jean, 2010.
- Création d’une académie européenne des sciences et d’un Conseil de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la valorisation indépendants. Une académie européenne de la Science pourrait être créée. Ses membres seraient pour moitié élus par les autres académiciens, l’autre moitié étant constituée de membres des institutions universitaires nationales élus pour 5 ans. Véritable sénat académique à l’échelle européenne, elle aurait pour mission de dynamiser la circulation des savoirs et d’en garantir la pérennité. À ses côtés, en remplacement de l’actuel CREST, pourrait être créée un Conseil de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la valorisation indépendant dont les membres, nommés ou élus pour 5 ans, seraient issus des instances nationales, qu’elles soient académiques ou représentatives du milieu industriel ; pourraient y être adjoints des parlementaires européens mandatés par le Parlement. Ce conseil pourrait avoir un rôle de conseil auprès de la Commission et du Parlement. Il pourrait s’autosaisir pour par exemple évaluer les politiques menées et faire à la Commission ou au Parlement les recommandations qu’il estime nécessaires33.
- 34 Chapitre iii, « La Francophonie, quel programme ? » et chapitre v, « Les sciences humaines et soci (...)
61En France – comme à l’échelle de l’UE –, les involutions du système incitent à ajouter un volet programmatique spécifique, à l’égard des disciplines et filières actuellement menacées dans leur intégrité voire leur survie. Outre la démocratisation des modes de fonctionnement des nouveaux rouages (ANR, AERES…) ou le remplacement de ces derniers par des organismes indépendants et représentatifs de la communauté universitaire, la création en leur sein de conseils scientifiques authentiquement multidisciplinaires semble une proposition à discuter avec la représentation nationale. Par ailleurs, étant donné la pression exercée par les lobbies industriels et le monde économique sur l’ESR, il serait pertinent de légiférer pour la protection de tous les savoirs disciplinaires, qui pourraient être définis comme des « biens communs de l’humanité ». Cette mesure présuppose le maintien d’un niveau suffisant de budgétisation des différents secteurs. Ses budgets pourraient être garantis par l’État, par la péréquation d’une partie des budgets octroyés par les lobbies à d’autres secteurs plus « rentables » et plus directement professionnalisants. Les préconisations propres aux champs de la francophonie universitaire et des LLSHS font l’objet des chapitres iii et v34.
Notes
1 Bruno, 2008, p. 17-21.
2 Godelier, 2001.
3 ATTAC, 2007.
4 Schultheis, Roca i Escoda et Cousin, 2008.
5 Attali, 2008, p. 15.
6 Chapitre i, « Capitalisme cognitif, cybernétique et école » (Emmanuel Brassat).
7 Les Échos, 2005.
8 Boudet, 2007.
9 Trautmann, 2007.
10 Fioraso, citée par Brafman et alii, 2012.
11 Topalov, 2013.
12 Meirieu et Frackowiak, 2008.
13 Calame, 2008 b.
14 Attali, 2008, p. 31.
15 Brisset, 2009.
16 Coordination nationale universitaire. http://universitesenlutte.wordpress.com/
17 Mauss, 2009.
18 Gori, Cassin et Laval, 2009, p. 9.
19 Gori, Cassin et Laval, 2009, p. 12.
20 http://sauvonslarecherche.fr/spip.php?article1892
21 http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article3489
22 Hollande, 2012.
23 http://academia.hypotheses.org/1108#comment-20259.
24 Rabier, 2013.
25 Comité interministériel pour les droits des femmes et l’égalité professionnelle entre femmes et hommes, 2013.
26 Voir le chapitre viii, « Le système éducatif : constats et perspectives d’évolution » (Florence Saint-Luc).
27 CNU, 2013.
28 Collectif Langevin, 2013.
29 Collectif d’universitaires, pétition 1, 2014.
30 Collectif d’universitaires, pétition 2, 2014.
31 Collectif d’universitaires, pétition 1, 2014.
32 Backouche, Barthélémy, Chateauraynaud, Cohen, Desrosiers et Topalov, 2014.
33 Saint-Jean, 2010.
34 Chapitre iii, « La Francophonie, quel programme ? » et chapitre v, « Les sciences humaines et sociales : identité et place dans la nation » (Martine Boudet).
© Presses universitaires du Midi, 2014