Le Ciel sur cette terre
| ,Dévotions collectives et piété ordinaire : Des cieux sur terre
Piété et croyances du privé chez les notables toulousains à la fin du Moyen Âge
Texte intégral
- 1 Nous nous permettons de renvoyer à notre synthèse, « Décor, parures et couleurs des intéri (...)
1Les inventaires après décès et les ventes à l’encan des XIVe et XVe siècles toulousains donnent de multiples indices sur la culture matérielle, le décor de la vie quotidienne et privée, le train de vie, des objets les plus usuels à ceux qui relèvent des marques de la supériorité sociale1. Ils balisent l’espace mais aussi le temps du vécu familial, de la naissance à la mort, privé et public, quotidien ou exceptionnel.
- 2 Les inventaires concernent d’abord ceux qui ont du bien, qui sont aux affaires à Toulouse.
- 3 Ph. Wolff a ouvert la voie par un chapitre, « Problème humains » dans Commerces et marchan (...)
2Dans une société chrétienne où faire son salut est essentiel, a fortiori dans une ville qui a connu l’hérésie et la reconquête des âmes, quel aperçu peut-on avoir de la piété du privé, mais aussi des croyances des notables toulousains à la fin du Moyen Âge2 ? La culture matérielle domestique peut ici compléter des publications déjà abouties dans le domaine de la vie et de la pratique religieuse à Toulouse, au premier rang desquelles celles de Michelle Fournié3. Ces objets laissent en effet entrevoir la quête du salut par la prière et la dévotion, mais aussi comment l’on se protège, comment l’on se rassure. L’examen des documents porte à croire que ces Toulousains « bricolaient » entre pratiques religieuses, application des théories médicales du temps, et croyances, voire magie, tout en n’oubliant jamais le temps familial, celui des individus et celui des générations liées par le sang, la mémoire et les objets symboliques, sans négliger non plus les marques de la distinction sociale.
- 4 Les travaux cités ci-dessus en font foi.
3Les inventaires notent surtout les biens fonciers et immeubles, les biens mobiliers tels que les meubles, la vaisselle de préparation ou de service, le linge de table ou de lit, les ustensiles les plus hétéroclites. Les rares indices qui renseignent sur la piété ou les croyances n’en sont que plus précieux car leur rareté ne semble pas correspondre à un manque de religiosité de la part des Toulousains4, mais il est probable que ces objets, souvent petits ou fragiles, précieux tant par leur prix marchand qu’affectif, ont été transmis ou escamotés avant l’inventaire.
I. Prier et faire son salut. Les marques d’une piété individuelle et intériorisée
- 5 Arch. Dép. Haute-Garonne (désormais ADHG), 3E 4468, papiers séparés, 2 folios, 1444 : « It (...)
4Le baptême fait entrer l’enfant dans la communauté des fidèles. Seul l’inventaire de Jeanne de Viviers, veuve du marchand Arnaud Maurand, cite « un voile brodé et carré pour le baptême des enfants»5. Les autres actes n’en mentionnent pas, même dans les meilleures maisons, probablement parce que le voile de baptême se transmettait de génération en génération, échappant ainsi aux procédures d’inventaire.
5Une piété individuelle, intériorisée, se lit dans la possession de chapelets et de livres d’heures.
- 6 ADHG 3E 7411 (recoté 2 Mi 1180), f°4v°-6v°, août 1356. L’inventaire de Guilhem Vaquier men (...)
- 7 ADHG, 3E 5897, XI, 4v°-14. Pour le détail des mentions, cf. V. Lamazou-Duplan, « Paraître (...)
- 8 ADHG, 3E 5897, XI, f°27-32, 1401, f°30.
6Les chapelets sont fort répandus, des plus simples, en bois ou aux perles de verre, d’ambre6, aux plus précieux, aux grains de jais, de corail, de perles, d’argent, ornés de pompons, de croix en or ou en vermeil. Ils sont en général rangés dans des coffrets peints, décorés, ou notés en même temps que des pièces de garde-robe. Les neuf chapelets détenus par noble Bertrand Tornier donnent un aperçu de cette variété : l’un est fait de perles en forme de roses, un autre, rangé parmi les objets les plus personnels du maître des lieux, est en argent filigrané et doré, quatre sont composés de grains de corail, de grains d’argent doré, de perles, ornés de croix d’argent doré ; un autre est une cordelette noire qui porte des perles de jais, un autre compte 56 grains plats d’ambre et se termine à chaque extrémité par un pompon, un dernier combine un cordon doré et un pompon vert7. Chez son contemporain Guilhem Azémar, riche marchand drapier, des patresnostres de cristallo sont rangés avec d’autres atours précieux (un miroir et son étui, une ceinture féminine de soie ornée de perles) et de dévotion (une Vie de sainte Marguerite dans son aumônière brodée, cf. infra), le tout dans un coffret « peint de diverses images»8. Durant l’été 1430, les biens de Jean Faure, épicier rue du Taur, sont inventoriés en présence de sa veuve. Dans un coffret peint en rouge, trouvé dans l’aula inferiori,
- 9 ADHG, 3E 4395, f°316-319v°, inventaire des biens de Jean Faure, épicier rue du Taur, août (...)
Item cofretum pictum colloris rubey longitudinis unius palmi cum dimidio in quo erat una cordata pater nostres de coralo in quo sunt centum quinquaginta unus grani de corallo et viginti duo argenti et novem vitri et una buleta quo dicta Johanna asservit esse suos.
Aliam cordatam pater nostres de lambre in quo sunt septuaginta quos dicta Johanna asservit esse suos9.
- 10 ADHG, 3E 6736, juillet 1441, f°1-5,… quosdam paternostres de coralh cum condulhyo argenti (...)
7Jeanne de Latour loge dans une chambre de l’hôtel de Bernard Vinhas, son gendre. Parmi ses plus précieux objets, enfermés dans un coffret peint, on dénombre en 1441 des patenôtres de corail sur une chaîne d’argent et orné d’une croix dorée, un autre, en grains de corail enfilés sur un cordon de cuir10.
- 11 Nous avons étudié les livres et les écrits cités dans les inventaires dans « Lire et écrir (...)
8Égrener son chapelet participe à faire son salut mais prier et méditer sur son livre d’heures ou d’autres livres de piété, prendre exemple sur les vies exemplaires des saints, sont d’autres facettes d’une pratique de cette piété personnelle bien diffusée aux XIVe et XVe siècles. L’on constate, à Toulouse comme ailleurs, que si une famille ne possède qu’un seul livre, c’est un livre d’heures11. Mais certains possèdent aussi des missels, des bréviaires, des vies de saints ou des livres de dévotion dits de confession ou d’oraison.
9Ces volumes sont décrits avec soin : leurs ais de bois, recouvertes de cuir de couleur, offrent à la vue des reliures simples ou de cuir repoussé ; les mots du premier et du dernier folios indiquent parfois la composition de l’ouvrage (calendrier, office de la Vierge, office des morts…) ; les encres colorées (rubrica) ou les enluminures sont mentionnées.
- 12 Le fabricant de bourses Jacques de Laval, ou plutôt son fils, possède en 1404 « des matine (...)
- 13 Ainsi, chez noble Raymond Embry, en 1413 : parmi des livres de droit, un livre d’heures, u (...)
10La variété de production, et donc d’échelle de prix, permet à de simples artisans d’en posséder12, mais leurs détenteurs (lecteurs ?) sont le plus souvent des clercs (étudiants, professeurs, hommes d’Église), ou chez les laïcs, les membres des familles les plus en vue13.
- 14 ADHG 3E 5897, XI, f° 29v°-30,... Item unam pocham corii antiquam cum signis ossi albi ac n (...)
11Dans les maisons des notables, chez Guilhem Azémar ou noble Bertrand Tornier par exemple, les livres d’heures sont possédés personnellement par le maître et la maîtresse de maison, rangés dans des aumônières brodées, ouverts, contemplés, maniés et donc le plus souvent décrits comme usés. La mention d’un livre d’heures en bon état est rare, parce qu’il est tout neuf, ajoute le notaire, ou parfois demeuré (encore ?) non relié. Ainsi, parmi les effets les plus personnels de Guilhem Azémar et de sa veuve Jeanne, des matutinas « reliées d’un seul bois, qui commencent au premier folio par “Domina sancta Maria” et finissent au dernier folio par “ressucitarum” », d’autres matutinas non religatas. Ces livres sont accompagnés de deux aumônières, l’une, ancienne, en cuir, portant des os noirs et blancs, l’autre ornée d’un émail, poches dans lesquelles on les protégeait tout en les arborant à la main ou pendus à la ceinture. Un coffret plus tard, aux côtés du chapelet de cristal et des objets déjà entrevus, une aumônière de velours rouge brodée des armes de Guilhem abrite une Vie de sainte Marguerite, ornée avec des perles rapportées du saint Sépulcre. Suit un étui recouvert de soie pour conserver les hosties14.
- 15 ADHG 3E 5897, XI, f°7v°, 9 : Item quasdam matutinas cum barratoriis deauratis continentur (...)
- 16 On a évoqué dans une note précédente le cas du fils de Jacques de Laval, qui partage sa ch (...)
- 17 ADHG 3E 5897, XI, f°5, 11. Plus de détails dans nos articles, celui déjà cité dans les Mél (...)
12De même, dans le grand hôtel des Tornier, parmi l’opulente garde robe de dame Irlande, on trouve un livre d’heures couvert de cuir rouge, aux fermoirs dorés, avec les offices de la Vierge et des morts, tandis que dans le corridor de l’hôtel sont encore déposées les matines neuves et enluminées de Bertrand15. La piété est, semble-t-il, particulièrement développée chez les Tornier. D’une part, parce qu’à côté de divers livres, on inventorie une Passion de Jésus-Christ, au titre en latin mais écrite en langue vernaculaire, donc accessible, seul indice à ce jour qui témoigne que des laïcs toulousains pratiquent l’oraison, la méditation, comme le font les clercs16. D’autre part, parce que l’hôtel Tornier est le seul rencontré à Toulouse qui possède une chapelle, visitée entre l’aula et la chambre de Bertrand, et dont l’inventaire prouve que rien ne manquait pour en assurer le service. Dans un coffre de la chapelle on dénombre : une chape de messe et les vêtements nécessaires au prêtre pour célébrer la messe, trois nappes d’autel, un calice et une patène d’argent aux armes de l’hôtel, un coussin de soie, deux burettes d’étain aux armes de l’hôtel, un missel, un bréviaire, des matines. Dans son hôtel campagnard de Mons où il a coutume de séjourner, dans l’aula inferiori turris qui lui sert de chambre, noble Bertrand Tornier a une pierre d’autel consacrée (Item unam petram altaris consecratam) : faut-il imaginer un oratoire ou les projets d’une chapelle à édifier17 ?
- 18 ADHG, 3E7411 (2 Mi 1180), inventaire de Guilhem Vaquier, août 1356, f°4v°-6v° ; 3E 7412 (2 (...)
13Les Toulousains possèdent d’autres objets de dévotion. Beaucoup ont semble-t-il des agnus Dei, ces médaillons de cire, bénis, qui portent l’empreinte d’un agneau. Se présentent-ils sous la forme de pendentif ou d’un objet à contempler ? Les documents demeurent vagues mais il y en a pour toutes les bourses puisqu’ils sont sertis de cuivre, d’étain, d’argent voire d’or. L’agnus Dei de Guilhem Vaquier a une monture d’or, mais Jeanne de Viviers se contente d’un agnus dei stagni. Lors de la vente des biens de l’épicier Jacques Hélie, un apothicaire emporte 3 agnus Dei pour 6 s. 4 d. et le notaire maître Arnaud Tornier (qui tient le registre) achète un agnus Dei munitus de cupri, pour 7 d. Jacques Hélie était-il particulièrement pieux ou vendait-il ces agnus Dei18 ?
- 19 Exemples cités par Ph. Wolff, Commerces…, op. cit., p. 615
14Plus rarement, des commandes ou des achats d’œuvres d’art allient le désir d’orner son intérieur aux pratiques dévotionnelles. Ainsi, en 1384, le peintre Jean Peytavi doit-il réaliser sur un retable de 10 empans de long [environ 2,24m], une Histoire de la Passion, pour le pelhier Blaise Gasbert. En 1431, le changeur Arnaud Belhomme achète au peintre Jean Portal une petite statue de Notre-Dame, en pierre, haute de 3 empans [environ 67 cm]. En 1433, Guilhem Aginaud, ymaginaire, s’engage envers le ceinturier, Roger Maynard : pour 6 écus, il reproduira un Crucifix de bois, haut de 7 empans [environ 1,56 m], modèle réduit imité de celui de l’église du Taur, entouré de la Vierge et de saint Jean-Baptiste, hauts de 5 empans [environ 1,12 m], le tout rehaussé de bonnes couleurs et doré là où il est nécessaire19.
- 20 Hormis les tissus peints à sujet religieux, cf. infra.
15Rien de tel dans les inventaires20… En revanche, certains ont des reliques voire des reliquaires. Ainsi noble Bertrand Tornier a dans un coffret de cuir blanc ouvré « des brefs, des cordons du Saint Suaire et d’autres reliques ». Est-ce ici une allusion au Saint Suaire de Cadouin, déposé à Toulouse en 1392-1396 et qui avait attiré les foules ? Rappelons que cet inventaire est confectionné en 1402-1403. On notera, que la relique voisine dans le coffret avec des brefs et d’autres reliques non identifiées par le notaire. Ailleurs, dans la dépense haute de la tour de son hôtel, parmi les bijoux, les chapelets et autres objets précieux rassemblés, on inventorie « un petit reliquaire d’argent d’un poids de 7 onces et 3 deniers ». De même, Jeanne de Viviers a des reliques (Item quadam reliquie in uno pedassio). Faut-il comprendre pedassio au regard de l’occitan pedaç, vieux linge, ravaudé, mais aussi lange ? Encore une fois, le notaire reste vague, « des reliques », rassemblées dans un linge/lange…
16Il est désormais temps de s’interroger sur l’utilisation de ces objets, les interprétations qu’ils suggèrent. Deux pistes s’ouvrent, ne s’excluent nullement l’une l’autre mais au contraire se renforcent à nos yeux : d’une part, ces objets, mis en relation jusqu’ici avec la seule piété, ont aussi un lien avec des croyances et usages prophylactiques et mémoriels au sein de l’univers familial ; d’autre part, ces objets jouent également un rôle de marqueurs de la supériorité et de la distinction sociales pour afficher dans Toulouse sa notabilité, donc son orthodoxie.
II. Protéger et guérir : entre dévotion et amulettes, croyances et médecine, générations et mémoire familiale
- 21 Nous avons démontré comment certains objets sont regroupés, dans certains coffrets et dans (...)
17On a noté le voisinage dans un même coffret, et plus généralement dans les listes d’objets, proximité étrange pour nos esprits rationnels, de brefs, de reliques les unes identifiées par le notaire, les autres laissées indéfinies (volontairement ?). Ailleurs ces articles sont inventoriés en même temps que des bijoux, des objets précieux personnels, relevant en particulier de la parure, des pièces d’orfèvrerie, du beau linge de maison (tentures et banquiers, literie de prix)21. Ces items ont pu être regroupés parce qu’ils avaient la plus forte valeur, marchande et affective, mais liée à cette dernière, et selon aussi une autre logique, parce qu’ils pouvaient combiner leurs vertus pour se prémunir des dangers, guérir le corps souffrant, se rassurer, espérer le Ciel.
- 22 Les notables toulousains en avaient les moyens.
18La première façon de se protéger des maladies est de se nourrir correctement et en suffisance22 et assurer la propreté de la maison et des corps. Dans les meilleures maisons, les inventaires signalent les aménagements de confort, les cuveaux pro balneando, les chaises percées, les seaux, les lots d’aiguières, de bassines de métal « pour se laver la tête », « les mains », « le visage », des nécessaires de toilette... Des listes impressionnantes de draps, nappes, touailles, longières complètent ce tableau de la propreté domestique et corporelle : les plus riches hôtels ont du linge de lit et de table en quantité astronomique, patrimoine textile que l’on conserve et transmet, même usé et déchiré. Ces demeures sont équipées pour lutter contre le froid l’hiver, permettent de trouver de la fraîcheur et de l’air l’été. Les corps y sont baignés en entier ou lavés par bout comme le recommandent les traités du temps, on peut y disposer d’un lit propre et frais, de tables parées où l’on s’essuie les mains à son gré.
- 23 Ce paragraphe doit tout à F. Collard, Le crime de poison au Moyen Âge, Paris, PUF, 2003, e (...)
19Mais des objets sont plus explicitement liés à la santé et à sa conservation, sont destinés à protéger et guérir. Relevant à la fois de l’arsenal thérapeutique et prophylactique, les langues de serpent sont le meilleur remède dans les cours contre le poison23. L’une des parades est d’approcher les mets de la corne de serpent (que les puristes ne confondent pas avec les langues de serpent), que l’on monte en orfèvrerie sur des arbres appelés languiers qui détectent le poison en changeant de couleur ou en suintant. Les inventaires pontificaux, royaux, princiers abondent de ces pièces qui combinent efficacité et esthétique. Dès la fin du XIIIe siècle, les spécialistes des poisons ne croient cependant plus toujours aux vertus des languiers mais leurs reconnaissent une valeur dissuasive car l’important est que les criminels y croient encore… et donc probablement les gens moins instruits dans la science des poisons, les encyclopédies vulgarisatrices diffusant toujours ces croyances à la fin du Moyen Âge.
- 24 ADHG, 3E 7412 (2 Mi 1180), f°132-139v°, vente à l’encan des biens de feu Jacques Hélie, ép (...)
- 25 ADHG, 3E 7411 (2 Mi 1180), inventaire de G.Vaquier, août 1356, f°4v°-6v°.
20Chez les Toulousains, pas de languiers, mais des langues de serpent isolées qui témoignent d’un usage répandu. En 1371, un artisan du cuir emporte une langue de serpent argentée lors d’une vente à l’encan24. En 1356, l’inventaire de Guilhem Vaquier cite unam linguam serpentis munitam de argento25. Faut-il comprendre sertie ou montée ? À placer sur la table ou à suspendre au cou ? Les deux hypothèses sont possibles car cette langue de serpent est listée parmi les objets les plus précieux qu’il possède, dans l’ordre suivant : dans un coffret, un rotulus, un agnus Dei, un chapelet précieux, un frontal garni de perles, 23 pièces de monnaie, un fermail d’argent, un sceau d’argent, la langue de serpent, 5 assiettes d’argent, 3 tiges ? (talos) de cristal, 2 anneaux d’or avec des émeraudes, 7 anneaux d’or (avec des perles…), un anneau d’or avec un saphir, un anneau d’or sans pierre, un échiquier ou une pièce d’échiquier d’ivoire (unum scac vocatum pezo deborio), 2 petites pierres de saphir, et 3 voiles (ornements de tête).
- 26 ADHG, 3E 5897, XI, f°7v°-8. L’expression est de D. Alexandre-Bidon, cf. infra.
21Qu’on la porte sur soi ou que l’on s’en serve à table, ce qui n’est pas incompatible, la langue de serpent joue donc d’abord un rôle de talisman. L’inventaire de Bertrand Tornier mentionne aussi « 2 dents de dauphin munies d’argent » dans une liste d’amulettes, dent de dauphin ou plus vraisemblablement de requin, comme on en trouve ailleurs, parfois confondues avec les langues de serpent. La liste est complétée par des pièces de monnaie et deux petites bulles d’argent, ce qui renvoie à « la parure prophylactique de l’enfance»26.
- 27 Cf. F. Collard, Le crime de poison…, op. cit.
22La corne de licorne (unicorn), animal mythique du bestiaire chrétien médiéval, reconnaîtrait aussi le poison, servirait même d’antidote, serait dotée aussi de pouvoirs thérapeutiques contre les convulsions et l’épilepsie. Seuls les puissants possèdent ces cornes de licorne, en fait des dents de narval, des cornes d’oryx ou de rhinocéros, entières ou en morceaux ; pour les autres, il s’agit de petits bouts, voire du « simple » ivoire mais auquel on applique le nom de licorne, et donc ses vertus27.
23L’inventaire de Bertrand Tornier cite, dans le même coffret que les dents de dauphin et autres amulettes, une quantité très importante de bagues, du simple anneau d’or à celles enchâssant des pierres précieuses ou semi-précieuses. Trois anneaux sont ornés de licorne, et une formulation précise que le morceau de licorne d’ivoire est considéré comme une pierre au même titre que les émeraudes et les brillants, également cités, pierres dotées par ailleurs de pouvoirs. L’émeraude serait ainsi une arme efficace contre le poison.
24De la croyance aux propriétés des pierres à la foi en des amulettes, il n’y a qu’un pas. De même que les chapelets sont à la fois objets de dévotion et de parure, il est probable que les pierres montées en bague ou sur d’autres bijoux, reflètent une hiérarchie des prix, le goût, la mode, mais peut-être aussi les croyances dans les vertus des pierres, servant du même coup d’amulettes voire d’objets thérapeutiques.
- 28 ADHG, 3E 5897, XI, f°31. Il s’agit des effets personnels de Jeanne (raupas, jocalia, dont (...)
25Un inventaire cite même un bijou qui est un objet thérapeutique. Jeanne, veuve du drapier Guilhem Azémar, possède une bague qui « guérit de la maladie des yeux » (unum anulum ipse domine Johanne qui sanabat de morbo occulorum)28. La bague n’est pas plus précisément décrite, on ne mentionne aucune pierre. L’affection traitée n’est pas plus spécifiée : conjonctivites, fréquentes et parfois graves (purulentes) au Moyen Âgeou défaut de la vision, voire atteintes de la cataracte ?
- 29 Les textes de N. Coulet et de D. Le Blévec sont publiés dans Le corps souffrant. Maladies (...)
26Manquent ici tous les rites et signes immatériels qui accompagnaient le maniement de ces objets, ceux explicitement décrits comme des objets protecteurs mais aussi ceux qui, pour nous, n’apparaissent pas comme prophylactiques ou thérapeutiques à première lecture (les bijoux et les pierres par exemple). Il faudrait ainsi restituer les rituels de table (gestes, interdits et recommandés, prières et paroles… etc.), les formules récitées, accompagnées de gestes pour soulager et guérir (signes de croix, manipulations diverses). Noël Coulet et Daniel Le Blevec ont publié de tels textes compilés dans des registres notariés aixois ou de l’Isle-sur-Sorgue29. Certaines de ces formules (contre les fièvres, un accouchement difficile, le poison, tout maléfice, démons, peste, mort) doivent être récitées mais aussi inscrites sur des brefs, chaque formule étant introduite par Hoc breve est bonum pro…
- 30 Des formules ou le nom (les noms) de Dieu ou d’un saint patron. On précise parfois que pou (...)
27Les notaires toulousains ne livrent pas de textes semblables jusqu’à présent mais leurs inventaires mentionnent des brefs. On a évoqué les brefs possédés par Bertrand Tornier, cités dans un coffret de cuir blanc ouvré, où ils côtoient immédiatement « les cordons du Saint Suaire et d’autres reliques », mais aussi des ceintures de prix, des grelots d’argent, une cuiller… Les Tornier possèdent donc des reliques à domicile et portent sur eux des brefs qui se présentent probablement sous la forme de sachets contenant un bref30. L’on sait que ces brefs étaient plus particulièrement attachés au cou des enfants pour les préserver des accidents, maladies et maléfices.
- 31 E. Le Roy Ladurie, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Paris, Gallimard, 1975, pp. (...)
28Quant aux autres reliques voisinant avec celles du Saint Suaire et les brefs, à quoi pourraient-elles ressembler ? De même, ces quadam reliquie in uno pedassio chez Jeanne de Viviers ? Le texte n’en dit rien, et ce silence indique au moins que le notaire ne peut faire référence à quelque chose de connu, tel le Saint Suaire. Peut-on imaginer ici des reliques familiales, confectionnées artisanalement dans la sphère de l’intime, tels ces bouts de cordon ombilical ou de placenta que l’on conservait desséchés, amulettes, talismans, mais aussi mémoire de la génération ? Cette pratique est avérée ailleurs, en Languedoc à Montaillou. Béatrice de Planissoles « conserve le premier sang menstruel de sa fille comme philtre d’amour pour ensorceler le futur gendre et les cordons ombilicaux des petits-fils » comme talismans, porte-chance et gages de fécondité. Elle et d’autres, tel les Clergue, gardent des rognures d’ongles et des mèches de cheveux, parcelles de corps des aïeux, des parents, de son père et de sa mère pour Pierre Clergue31…
29Autre préoccupation majeure de la vie familiale du temps : protéger les enfants grâce à des amulettes prophylactiques appropriées qui écartent maladies et menaces, même si ces objets écartent plutôt l’inquiétude devant ces dangers.
- 32 Sans que cela soit spécifié pour l’inventaire Tornier.
- 33 ADHG 3E 4395, f°316-319v, 1430, inventaire des biens de Jean Faure, épcier rue du Taur. Sa (...)
- 34 D. Alexandre-Bidon, C. Klapisch-Zuber, F. Piponnier, entre autres, ont contribué à la conn (...)
30De nouveau, c’est l’inventaire de Bertrand Tornier qui livre la plus belle collection mais d’autres éléments sont cités ailleurs. En plus des brefs, portés par tous, malades ou bien portants, adultes ou surtout enfants32, en plus des reliques que l’on vénère dans l’espérance de l’intercession des saints, ou des reliques moins orthodoxes qui rattachent aux ancêtres ou à des forces vitales, la famille possède « un petit étui contenant 20 pièces de monnaie à suspendre au cou des enfants, deux dents de dauphin munies d’argent et deux petites bulles munies d’argent »… Une autre petite bulle est citée parmi les effets de la veuve de l’épicier Jean Faure en 1430, aux côtés des chapelets déjà cités33. Autant de références à la « parure prophylactique de l’enfance » (D. Alexandre-Bidon) sinon courante du moins répandue ailleurs. Dans les textes et l’iconographie, les nourrissons sont bardés de croix, de dents (de loup, de chien…), de branches de corail, d’Agnus Dei, de médailles34.
- 35 Remarquons que « ce grand corail à placer sur la poitrine des enfants » suit immédiatement (...)
31Chez Bertrand Tornier, le corail, déjà vu pour les grains des chapelets (à lier à la Passion du Christ), mais aussi sur des bagues (symbolique chrétienne ou/et vertus thérapeutiques du corail ?), est d’abord une amulette spécifiquement destinée aux enfants de même que l’étui contenant les 20pièces de monnaie, des médailles : unum coralh magnum pro ponendo in pectore puerorum munitum de argento35, unum massapa parvum in quo erat viginti pecie monete pro apportando ad collum puerorum.
32On prêtera attention aux mots : « un grand corail muni d’argent à poser sur la poitrine des enfants » suggère qu’il ne s’agit pas ici du pendentif de corail souvent représenté au cou du premier de ces enfants, le Christ enfant. Ce serait plutôt un objet prophylactique ou thérapeutique en cas de maladie, de refroidissement, de toux, autant d’affections qui étaient redoutées, en témoignent les écrits sur les maladies des enfants, la façon de les éviter ou de les soigner. En revanche, l’étui contenant 20 médailles doit « être suspendu au cou des enfants ». Dans les deux cas, le texte dit pueri, c’est-à-dire stricto sensu, selon la division bien connue en quatre ou sept âges de la vie, ceux qui sont dans la pueritia, la petite enfance, période la plus exposée aux maladies et accidents domestiques.
- 36 ADHG, 3E 6736, juillet 1441, f°1-5
33Chez Jeanne de Latour un coffret renferme, parmi les chapelets et les accessoires de parure, une branche de corail munie à une extrémité d’argent doré (unam branquam coralli munitam ab uno capite de argento superdeaurato) qui pourrait davantage rappeler le pendentif de corail souvent représenté36.
34Dernier élément de cette parure de l’enfance », les vertus prophylactiques du rouge. Les publications déjà citées ont démontré que le rouge n’est pas la couleur exclusive de l’enfance : certes, le rouge du corail, suspendu au cou du Christ, annonce dès sa petite enfance sa Passion, son sang versé et donc la Rédemption ; certes il y a le rouge (et le blanc) des tresses qui servent à maintenir les langes et le maillot, le rouge de la literie des berceaux, le rouge de ces robes qui grandissent avec l’enfant… mais l’usage du rouge rime avec les milieux aristocratiques et riches, tandis que chez les plus humbles, le rouge se décline en brun. Les enlumineurs emploient le rouge, mais aussi le bleu et le vert, autres teintes réputées bénéfiques pour les enfants. La fréquence du rouge dans l’iconographie médiévale de l’enfance peut être tout autant liée à des effets de mode, à l’affichage de la supériorité, de la puissance. C. Klapisch-Zuber note pourtant que, dans les ricordanze italiennes du XVe siècle, « les nourrissons semblent souvent vêtus d’étoffes rouges ». Miniatures et textes s’accordent parce qu’ils reflètent une pratique sociale qui repose sur des croyances.
- 37 Raimond Lull, Doctrinal pueril, chapitre 57 : « Aussi con color bloie ou vert confortent e (...)
35Le rouge, couleur du sang, protégerait contre les hémorragies, les maladies, la peste et surtout contre la rougeole. Dans les traités savants comme dans les recettes populaires, les étoffes rouges, les décoctions rougeâtres sont recommandées pour traiter les personnes atteintes de rougeole, et de manière générale pour vêtir les enfants parce que cette teinte les rendrait plus courageux, plus forts37.
36Au-delà des modes et des symboles attachés au rouge, le choix de cette couleur a indéniablement une visée prophylactique. Si nous n’avons pas rencontré assez de vêtements d’enfants pour en tirer quelques conclusions, les inventaires livrent en revanche des éléments concordants sur la literie.
- 38 Cf. notre article cité, note 1.
37Chez les plus riches Toulousains, le décor textile joue un rôle fondamental dans la parure de la demeure38. Pour les literies d’adultes, les teintes dominantes sont le rouge, vert, le blanc, unies (les courtines de lit, des couvertures) ou combinées grâce à des jeux de bandes, de rayures, de galons sur les couvertures, courte-pointes et édredons. Les couvertures les plus précieuses sont le plus souvent rouges, doublées de fourrure ou de soie rouge, ornées d’un motif de soie au centre de la pièce d’étoffe. Certaines sont également armoriées, comme d’autres pièces textiles ou d’orfèvrerie : aux XIVe et XVe siècles, les armoiries se diffusent largement dans le monde urbain, chez les nobles comme chez les non nobles.
38On retrouve ces caractéristiques pour la literie des berceaux, seulement mentionnés dans les inventaires des familles les plus en vue. Les berceaux sont tantôt en bois tantôt « de corde », tels les couffins et corbeilles rencontrés aussi en Italie.
- 39 ADHG 3E 5897, XI, f°27-32, 1401, inventaire des biens de Guilhem Azémar, f°28v°-29 : Unum (...)
- 40 Les armoiries dels Rox renvoient aux Roux, famille notable à Toulouse. Nous ne tranchons p (...)
- 41 Dans la dépense haute de la tour, parmi le beau linge, les coussins de prix, ADHG, 3E 5897 (...)
- 42 Une autre pratique prouve l’importance de la mémoire généalogique dans laquelle le nouveau (...)
39Deux exemples sont très complets. La literie décrite pour le berceau d’un petit Azémar39 emploie les diminutifs de couette, coussin et l’on signale des petits draps. L’emportent le rouge, pour le drap entier ou pour des broderies, et les armoiries : une couverture de berceau porte les signes dels Rox et del Senhoros, un autre est recouverte de soie rouge, une autre est ornée d’une applique de tissu doré, les trois petits draps sont brodés de soie rouge… On note les armoiries aux vertus mémorielles et protectrices pour l’enfant endormi40. Ainsi chez les Tornier la couverture est de drap garance, avec les cinq signes de Bertrand Tornier et ceux de sa feue mère (une Garaud) : outre la protection de l’étoffe rouge, les nourrissons des Tornier trouvent ainsi leur place dans la généalogie familiale sous la marque et la protection des armes des aïeux41. Sans doute faudrait-il encore ici voir les gestes et entendre les paroles qui accompagnaient cette mise au berceau d’un enfant couvert d’une étoffe rouge et/ou armoriée. Protection des nourrissons mais aussi affirmation de la place et de la mémoire de la génération42, voilà ce que nous apprennent ces berceaux toulousains.
III. Se distinguer : orner et afficher son orthodoxie
40Même si certains objets ont pu échapper à l’inventaire, une constatation s’impose : sur une grosse quarantaine d’inventaires consultés, seule une poignée livre ces indices liés à la piété, et hormis quelques artisans, la très grande majorité recoupe les cercles des plus riches, des notables. La possession de ces objets rimait donc autant avec la quête du salut qu’avec l’affichage de la supériorité sociale, de la distinction, de la notabilité.
- 43 Lorsqu’en 1391, Raimonde épouse de Jean Planèze, marchand de Toulouse, fait inventorier de (...)
41Le port des chapelets, des livres d’heures à la ceinture relève de la parure autant que de la dévotion. La frontière entre bijoux, ornements de la vêture et supports de la piété est ténue, tous ces objets se côtoient d’ailleurs directement dans les listes dressées par les notaires43. Voisinage de coffre mais aussi de port et de pratiques, tant religieuses que sociales. Les chapelets, parfois lourds et scintillants, rehaussés de pompons, de franches couleurs et d’or, les livres d’heures, aux reliures vives et aux fermoirs dorés, leurs aumônières, s’exhibent aux yeux de tous, dans la rue, à l’église : leurs détenteurs démontrent leur piété mais aussi leur richesse, leur distinction.
- 44 Parmi de très nombreux travaux, suscités en partie par M. Fournié, nous renvoyons par exem (...)
42Ces accessoires de la parure, qui aident certes à tourner son âme vers Dieu, corrigent ainsi une piété décrite comme individuelle et intériorisée, évolution indéniable mais qui ne dédaigne pas de s’afficher, de se manifester ostensiblement à tous, de façon plus ou moins fastueuse selon son estat. Ce va-et-vient entre piété personnelle, privée et piété affichée, rendue publique, correspond bien aux obligations attendues de tout bon chrétien, définies de façon récurrente par les conciles et traités de la fin du Moyen Âge, accompagnées à Toulouse, comme ailleurs, par l’épanouissement des confréries et des grandes fêtes religieuses et civiques44.
- 45 Cf. notre article des Mélanges C. Desplat.
43Parfois, différentes logiques peuvent s’entremêler. Ainsi, chez noble Bertrand Tornier, dont la famille anoblie depuis trois générations vit désormais de ses seigneuries, entre service de la ville et celui du roi, la présence de nombreux chapelets parmi une profusion de bijoux, de pièces d’orfèvrerie, dont un reliquaire d’argent, au milieu d’autres objets et de tissus de prix, peuvent renvoyer à une piété d’autant plus exacerbée qu’elle dédouanerait des origines bancaires et d’activités de prêt encore à l’œuvre de manière plus ou moins masquée45. D’autre part, certains de ces objets sont aussi probablement les signes de ces opérations financières, des gages laissés aux créanciers. Enfin, les bijoux et l’orfèvrerie sont des valeurs mobilières qui ont toute leur place dans des stratégies de thésaurisation, a fortiori chez d’anciens changeurs.
- 46 Nous renvoyons à notre article à paraître dans les Actes du colloque de Cahors sur La mais (...)
44On pare sa personne mais aussi sa demeure. Fort rares sont ceux qui ont des retables peints, des statues, des reliquaires, voire une chapelle privée. Mais davantage, guère plus cependant, décorent les murs de tentures peintes, principalement dans l’aula, dans certaines chambres voire sous les préaux abrités qui prolongent un porche ou la salle vers la cour ou le jardin46. Les scènes et motifs représentés renvoient à l’univers armorié très présent dans ces intérieurs toulousains, ou à la représentation du temps (les mois de l’année, les Âges de la vie), à la littérature courtoise et à la nature (la Châtelaine, des lièvres et d’autres animaux, des feuillages) mais les thèmes religieux l’emportent largement. La Vierge est la plus figurée (deux Nativités, la Vierge seule ou « avec d’autres figures », Marie et saint Barthélemy), viennent ensuite les saints (les douze Apôtres, saint Georges, saints Pierre et Paul, saint André, sainte Catherine), mais aussi une Crucifixion, une Vie de Job, la Sibylle, la Fontaine de Jouvence…
- 47 Ces élites toulousaines, fort composites, forgent une identité commune grâce à un vocabula (...)
45Ce décor religieux, dans l’aula, la chambre, nourrit-il la piété quotidienne des habitants de la demeure, est-il le garant visible de leur orthodoxie, ou participe-t-il, comme les amulettes et reliques rangées dans les coffrets, à la protection de la maison ? Ces tentures peintes sont indéniablement des marqueurs de la distinction au même titre que les tentures ou banquiers brodés et armoriés. Tous ces éléments témoignent de l’élaboration d’une conscience commune, entre notabilité et urbanité à la toulousaine47.
- 48 T. Lüttenberg, « Le tissu comme aura. Les fonctions des tentures à la cour d’Aragon et à B (...)
46L’affichage d’une piété orthodoxe pourrait aussi y participer. Si l’on rencontre chez les notables de Barcelone un cadre domestique armorié et orné de tentures peintes aux motifs religieux, rien de tel à Aix-en-Provence ou chez les ciudadanos de Saragosse. Dans cette ville, la représentation de la croix l’emporte. Faut-il voir dans ces comparaisons une relative parenté culturelle entre les notables de Barcelone et ceux de Toulouse, ce qui ne serait pas étonnant en raison des relations entre ces deux villes au Moyen Âge ? Faut-il comprendre que Saragosse serait davantage marquée par l’idéal de la Reconquête, tandis que les notables toulousains, aux affaires dans une ville reconquise à l’orthodoxie, souhaitent afficher leur parfaite assimilation et fidélité à l’Église romaine (la Passion du Christ, la Vierge, les saints…), nourries par le creuset de la religion civique toulousaine, alors que cet affichage n’aurait pas lieu d’être à Saragosse ou à Aix-en-Provence?48
47L’enquête mériterait d’être approfondie mais la quête du salut, les marques de piété, de la distinction sociale, de la notabilité, et l’expression de l’orthodoxie sembleraient se conjuguer, à Toulouse peut-être plus qu’ailleurs.
48Simultanément, dans ces mêmes demeures, ces mêmes Toulousains, dans le privé de leur hôtel et de leur famille, au cœur de l’intime, dans les chambres où l’on donne la vie, où l’on soigne, où l’on meurt, collectionnent et rangent dans les coffrets les objets attendus de tout pieux fidèle (livre d’heures, chapelet, crucifix, tentures peintes à sujet religieux, agnus Dei, branches de corail et médailles, reliques saintes) mais aussi des amulettes, talismans, objets divers qui peuvent prémunir de la maladie, voire la guérir, selon des croyances à mi-chemin entre recettes médicales et populaires plus ou moins combattues.
- 49 Cf. deux articles de Ph. Wolff, « Recherches sur les médecins de Toulouse aux XIVe et XVe (...)
- 50 Nous remercions vivement J. Catalo pour ces informations sur les fouilles des nécropoles e (...)
49L’exercice de la médecine est-il en si mauvaise posture à Toulouse à la fin du Moyen Âge que les habitants recourent à ces amulettes et objets thérapeutiques ? Les textes prouvent que l’encadrement médical toulousain se situe au-dessus de la moyenne et bénéficie certainement de la proximité de la Faculté de médecine de Montpellier, des échanges avec l’Espagne. De nombreux hôpitaux ont vocation depuis plusieurs siècles à accueillir pèlerins et malades. Les contrats notariés, publiés par Ph. Wolff, montrent que des non citadins viennent se faire soigner en ville, ce qui tendrait à prouver l’attractivité et la bonne réputation des médecins installés à Toulouse49. Les apports de l’archéologie funéraire récente attestent d’une forte mortalité mais aussi de la bonne qualité des soins : la trépanation est réalisée avec un taux de réussite exceptionnel (deux cas, deux survies du patient), les fractures sont réduites efficacement… Les archéologues n’ont retrouvé aucune amulette ou médaille, aucun dépôt hormis les coquilles de Saint-Jacques. Médailles et croix sont toujours pour l’instant datées de l’époque moderne, ce qui renforcerait l’hypothèse déjà émise qu’on les conservait auparavant dans le cercle familial50.
50Si les objets cités dans les inventaires ne viennent pas forcément pallier les insuffisances de la médecine, ils relèvent donc d’une autre logique : l’on peut supposer qu’on les utilise soit avant de recourir au médecin soit lorsqu’il n’y a plus grand-chose à faire.
51Ces objets, quelles que soient leurs nature et catégorie, s’inscrivent à la fois dans l’espace familial, du berceau à la table, et dans le temps et la mémoire familiales, tissant à travers les générations, de corps en corps, de parole en parole, de geste en geste, des liens matériels et immatériels. Cela expliquerait qu’ils soient aussi rarement mentionnés car transmis hors inventaire, que leur mention ne soit surtout pas immédiatement intelligible pour l’historien. Isolés ou en « collection », leur place dans les listes et leur voisinage dans les coffrets dit tout autant que leur nom même, renvoyant à un bricolage ou à une stratification des usages. Ils combinent en effet usages pratiques, esthétiques, pieux, prophylactiques ou thérapeutiques, à caractère plus ou moins religieux, médical, magique et social.
52Tous ces objets peuvent être convoqués dans des prières, des incantations et des rituels entre dévotion orthodoxe et magie, mémoire des ancêtres, croyances médicales et populaires… Notre regard change donc aussi sur les bijoux, bagues, chapelets, sur leurs pierres non plus seulement considérées pour leur valeur pieuse, esthétique ou marchande, mais aussi comme des éléments prophylactiques ou thérapeutiques. Il en est de même pour la literie rouge des berceaux, les pendentifs au cou des enfants. Les agnus Dei sont-ils utilisés comme sacramentaux ou comme amulettes, au même titre que les brefs ? Doit-on écarter l’idée qu’une prière ou enluminure du livre d’heures n’ait pas quelques vertus miraculeuses face à la maladie ? De même, les toiles tendues aux murs des salles et des chambres n’ont-elle qu’une fonction religieuse et ornementale, ou ne protègent-elles pas tacitement la demeure et la famille qui y réside ? Car tous ces objets hétéroclites sont bien listés dans les mêmes maisons toulousaines, celles des notables, témoignant ainsi de la cohabitation de la foi affichée, des savoirs populaires et érudits, des croyances, de la mémoire familiale.
Notes
1 Nous nous permettons de renvoyer à notre synthèse, « Décor, parures et couleurs des intérieurs toulousains d’après les registres notariés à la fin du Moyen Âge », à paraître dans les Actes du colloque sur La maison au Moyen Âge dans le Midi de la France (Cahors, juillet 2006), S.A.M.F. / Toulouse II-FRAMESPA, pour la présentation du corpus, de la bibliographie, de nos précédents articles. Plus d’une quarantaine d’inventaires ont été pris en compte des années 1350 à 1450.
2 Les inventaires concernent d’abord ceux qui ont du bien, qui sont aux affaires à Toulouse.
3 Ph. Wolff a ouvert la voie par un chapitre, « Problème humains » dans Commerces et marchands de Toulouse (vers 1350-vers 1450), Paris, Plon, 1954, en particulier pp. 607-615, puis par quelques articles sur la vie religieuse. M.-C. Marandet a étudié les testaments de Toulouse et du Toulousain dans Le souci de l’Au-delà : la pratique testamentaire dans la région toulousaine (1300-1450), Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 1998. L’histoire de la vie et des pratiques religieuses à Toulouse et dans le Midi doit beaucoup à M. Fournié. Outre ses travaux sur le culte au Purgatoire (Le ciel peut-il attendre ? Le culte du Purgatoire dans le Midi de la France (vers 1320-vers 1520), Paris, Cerf, 1997), les confréries, le clergé, l’hagiographie et plus largement la religion civique toulousaine ont été révélés par ses propres recherches ou celles qu’elle a suscitées et dirigées, auxquelles elle a collaboré, sa très riche bibliographie en témoigne. L’usage des inventaires en ce domaine n’est donc qu’une modeste contribution mais un très sincère hommage à ces travaux déjà aboutis.
4 Les travaux cités ci-dessus en font foi.
5 Arch. Dép. Haute-Garonne (désormais ADHG), 3E 4468, papiers séparés, 2 folios, 1444 : « Item unus velhie brodatus pro infantibus baptifundis quadratus ». Dans un autre coffret, parmi des bijoux et objets de parure (aumônières, ceintures, boucles), unum drapetum in quo erat circa quantitus parva perle (s’agit-il d’un drapiau, d’un lange précieux ? mais il n’est pas dit spécifiquement destiné aux enfants) ; entre deux anneaux, on lit unum IHS et bonum cornum d’Astarrac (un anneau monogrammé et ?).
6 ADHG 3E 7411 (recoté 2 Mi 1180), f°4v°-6v°, août 1356. L’inventaire de Guilhem Vaquier mentionne un chapelet avec 32 perles de verre (vitrua) et unum cristallum. 3E 7412 (2 Mi 1180), f°132-139v°, lors de la vente à l’encan des biens de feu Jacques Hélie, épicier, en 1371, un simple brassier, Laurent Jorda, acquiert des paternostres lambri et cristalli pour 8 s. 5d. ADHG, 3E 4395, f°302-303v° : en 1430, l’inventaire de Dominique veuve d’un servinier, Item I cordatam de pater nostres de lambre…
7 ADHG, 3E 5897, XI, 4v°-14. Pour le détail des mentions, cf. V. Lamazou-Duplan, « Paraître et pouvoir : vêture et parure de puissants Toulousains au début du XVe siècle. L’exemple de la famille de Bertrand Tornier (1402-1403) », dans Mélanges en l’honneur du Professeur C. Desplat. Espaces nationaux et identités régionales, A. Blazquez et Ph. Chareyre, éd., Pau-Orthez, éd. Université de Pau et des Pays de l’Adour, 2004, pp.489-527.
8 ADHG, 3E 5897, XI, f°27-32, 1401, f°30.
9 ADHG, 3E 4395, f°316-319v°, inventaire des biens de Jean Faure, épicier rue du Taur, août 1430 (testament du 2 juillet).
10 ADHG, 3E 6736, juillet 1441, f°1-5,… quosdam paternostres de coralh cum condulhyo argenti cum quadam cruce deaurate, quosdam paternostres de coralh cum uno condulo pellarium…
11 Nous avons étudié les livres et les écrits cités dans les inventaires dans « Lire et écrire chez les notables toulousains à la fin du Moyen Âge. Quelques pistes sur la culture des élites laïques avant 1450 », à paraître dans les Actes du 58e congrès des F.H.M.P. (Toulouse juin 2007), Toulouse une métropole méridionale : vingt siècles de vie urbaine, Toulouse II / Arch. Mun. de Toulouse / Arch. Dép. Haute-Garonne. Nous renvoyons à cet article pour les citations exhaustives des actes.
12 Le fabricant de bourses Jacques de Laval, ou plutôt son fils, possède en 1404 « des matines de la Vierge avec l’office des morts et 7 psaumes, un livre de confession en roman qui commence à la première ligne du second folio et dans la première colonne par « nostras animas » et finit sur le même folio au verso à la dernière ligne par « nostres carnals que se noy », avec une table des péchés à la fin, couvert de parchemin ; des petites matines anciennes avec au début le calendrier et les 2 psaumes », ADHG, 101 H 110, 8 folios, inventaire suivi de la vente à l’encan (1404). Son intérieur cossu, le soin qu’il porte à faire éduquer son fils à domicile par un précepteur dénote cependant des mécanismes (ou des velléités) de mobilité sociale. Le plus souvent, les livres possédés par les artisans ont été laissés à titre de gages, en particulier par des clercs.
13 Ainsi, chez noble Raymond Embry, en 1413 : parmi des livres de droit, un livre d’heures, un calendrier, des Évangiles (ADHG, 3E 14447, fol 23-25). L’épicier Arnaud Lagardelle a un petit psautier recouvert de cuir rouge, des matines historiées de Notre-Dame aux fermoirs d’argent, d’autres petites matines de Notre-Dame, cité par Ph. Wolff, Commerces et marchands de Toulouse (vers 1350- vers 1450), Paris, Plon, 1954, p. 614.
14 ADHG 3E 5897, XI, f° 29v°-30,... Item unam pocham corii antiquam cum signis ossi albi ac nigri.
Item quasdam matutinas copertas uno solo poste que incipiunt in primo folio « Domina sancta Maria » et finiunt in ultimo folio « ressucitarum ». Item reperiunt dicti tutores unum armaut argenti postium supra quandam pocham que nichil valebat quod dictum armant ab inde fuit per dictos tutores amotum quod ponderabat XIII denarios et obolum argenti. Item quasdam matutinas non religatas que sunt in cisternis diverse forme... (…) Item unam crumeriam velveti rubei brudata de signis dicti Guilhelmi et intus erat Vita Beate Margarite cum perlis asportatis a Sancto Sepulcro. Item unum stug coperto de cirico pro tenendo hostias.
15 ADHG 3E 5897, XI, f°7v°, 9 : Item quasdam matutinas cum barratoriis deauratis continentur officia Beate Marie et Mortuorum copertas pelle rubea et post kalendaria incipiunt in prima pagina « Domine labia mea » et finiunt in eadem [blanc] « nos quia ». Item incipiunt in septimo folio eius...... « in eodem dominus erigit ». Item quasdam matutinas que fuerunt dicti condam domini Bertrandi novas in quibus sunt et continentur officium Beate Marie in ordinem et usum romane ecclesie et in quadam pagina inglutinata cum poste a parte principii incipit « De precor te Domine » deinde sequitur kalendarii deide officium Beate Marie et ex post officium Mortuorum et ultima pagina incipit « Anima Christi » et finit eadem « justiciam ».
16 On a évoqué dans une note précédente le cas du fils de Jacques de Laval, qui partage sa chambre avec son précepteur, possède des matines et unum librum romancii confessionis qui incipit in prima linea secundi folii et in primo corondello « nostras animas » et finit in eadem folio verso in ultima linea « nostres carnals que se noy », cum tabula peccatorum in fine, copertum de pargameno. C’est le cas aussi du bachelier Jean de Latour qui a un livre d’oraisons en oc, item unum parvum librum orationum et incipit in prima oratio « Molt dols » ADHG, 3E 4395, fol. 304-308, 1430.
17 ADHG 3E 5897, XI, f°5, 11. Plus de détails dans nos articles, celui déjà cité dans les Mélanges C.Desplat ou dans « Les élites toulousaines et leurs demeures à la fin du Moyen Âge d’après les registres notariés : entre maison possédée et maison habitée », La maison au Moyen Âge dans le Midi de la France, Actes de journées d’étude de Toulouse, 2001, M. Scellès et A.-L. Napoléone éd., Société Archéologique du Midi de la France, Toulouse, 2003, p. 41-61
18 ADHG, 3E7411 (2 Mi 1180), inventaire de Guilhem Vaquier, août 1356, f°4v°-6v° ; 3E 7412 (2Mi 1180), f°132-139v°, vente à l’encan des biens de feu Jacques Hélie, épicier, 1371 ; 3E 4468, 2 folios séparés, inventaire de Jeanne de Viviers, veuve du marchand Arnaud Maurand, 1444.
19 Exemples cités par Ph. Wolff, Commerces…, op. cit., p. 615
20 Hormis les tissus peints à sujet religieux, cf. infra.
21 Nous avons démontré comment certains objets sont regroupés, dans certains coffrets et dans certaines pièces, pour l’inventaire de l’hôtel Tornier (cf. articles cités). Cela se vérifie aussi pour d’autres riches inventaires (G.Azémar, J.Faure, P.Vaquier…).
22 Les notables toulousains en avaient les moyens.
23 Ce paragraphe doit tout à F. Collard, Le crime de poison au Moyen Âge, Paris, PUF, 2003, en particulier p. 82-96, « Les parades. Prévenir et guérir ».
24 ADHG, 3E 7412 (2 Mi 1180), f°132-139v°, vente à l’encan des biens de feu Jacques Hélie, épicier, 1371 : un unctor (qui oint les cuirs) achète 2 terralhs, un cristallum et une langue de serpent argentée pour 4 sous.
25 ADHG, 3E 7411 (2 Mi 1180), inventaire de G.Vaquier, août 1356, f°4v°-6v°.
26 ADHG, 3E 5897, XI, f°7v°-8. L’expression est de D. Alexandre-Bidon, cf. infra.
27 Cf. F. Collard, Le crime de poison…, op. cit.
28 ADHG, 3E 5897, XI, f°31. Il s’agit des effets personnels de Jeanne (raupas, jocalia, dont la bague citée, mais aussi des chapelets et un frontal de sa fille). Elle obtient un délai de deux jours pour la restitutionem congruam pour demander le conseil de « ses amis et parents ».
29 Les textes de N. Coulet et de D. Le Blévec sont publiés dans Le corps souffrant. Maladies et médications, RAZO n° 4, Nice, 1984, pp. 124-125 et 127-131.
30 Des formules ou le nom (les noms) de Dieu ou d’un saint patron. On précise parfois que pour assurer la validité du bref et de la formule, on doit utiliser un bout de parchemin vierge, cf. N. Coulet et D. Le Blévec, Le corps souffrant…, op. cit.
31 E. Le Roy Ladurie, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Paris, Gallimard, 1975, pp. 62-63.
32 Sans que cela soit spécifié pour l’inventaire Tornier.
33 ADHG 3E 4395, f°316-319v, 1430, inventaire des biens de Jean Faure, épcier rue du Taur. Sa veuve tient à faire reconnaître comme siens un certain nombre de biens, dont, dans l’aula inferiori, unum cofretum pictum colloris rubey longitudinis unius palmi cum dimidio in quo erat una cordata pater nostres de coralo in quo sunt centum quinquaginta unus grani de corallo et viginti duo argenti et novem vitri, et una buleta, quo dicta Johanna asservit esse suos. Aliam cordatam pater nostres de lambre in quo sunt septuaginta quos dicta Johanna asservit esse suos.
34 D. Alexandre-Bidon, C. Klapisch-Zuber, F. Piponnier, entre autres, ont contribué à la connaissance de cette parure prophylactique. D. Alexandre-Bidon, « La dent et le corail ou la parure prophylactique de l’enfance à la fin du Moyen Âge », Le corps paré : ornements et atours, RAZO n° 7, 1987, pp. 5-35. Eadem, « Du drapeau à la cotte : vêtir l’enfant au moyen âge (XIIIe-XVe siècles) », Le vêtement. Histoire, archéologie et symbolique vestimentaire au Moyen Âge, M. Pastoureau (dir.), Cahier du Léopard d’Or, Paris, 1989, pp. 123-168. D. Alexandre-Bidon et D. Lett, Les enfants au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1997. P. Riché et D. Alexandre-Bidon, L’enfance au Moyen Âge, Paris, Seuil/BnF, 1994.
35 Remarquons que « ce grand corail à placer sur la poitrine des enfants » suit immédiatement la mention du reliquaire d’argent déjà vu : objets également très précieux ou va-et-vient constant, association, entre pratiques religieuses et croyances d’un ordre voisin, entre dévotion, magie et science médicale ?
36 ADHG, 3E 6736, juillet 1441, f°1-5
37 Raimond Lull, Doctrinal pueril, chapitre 57 : « Aussi con color bloie ou vert confortent et enforcent la vëue corporel, et veoir color vermeille enforcist corage d’ome… », cité par D. Alexandre-Bidon, L’Enfance, op. cit., pp. 67-68.
38 Cf. notre article cité, note 1.
39 ADHG 3E 5897, XI, f°27-32, 1401, inventaire des biens de Guilhem Azémar, f°28v°-29 : Unum cuneum sive bres cum IIIIor pedibus clausum de postibus in lateris, et le linge aux dimensions du berceau ou décrit avec des diminutifs : unam cossenetam staminie pro dicto cuneo sive bres cum veta duplici et bordonali (4 empans et demi de long sur 2 empans et demi de large, soit env 1m sur 55 cm) ; unum coyssinetum eiusdem vetatgii parvi (2 empans et demi de long sur 1 de large), unum copertorium de bres cum signis dels Rox et del Senhoros totum ruptum et laniatum (7 empans de long sur 5 de large). Dans la chambre de Jeanne, veuve de Guilhem Azémar, on cite une couverture de berceau recouverte de soie rouge (unum copertorium de bree copertum de cirico rubei colorie unius canne longitudinis et quinque palmorum amplitudinis ruptum et blasitum) ; une autre avec une applique de tissu doré (unum copertorium de bres cum pannum aureo, 6 empans de long sur 4 de large) ; des petits draps à 3 lés, usés, brodés de soie rouge (duo lintheamina parva trium pernarum quodlibet blasita et raudata de cirico rubeo unius canne longitudinis)
40 Les armoiries dels Rox renvoient aux Roux, famille notable à Toulouse. Nous ne tranchons pas en revanche pour del Senhoros : s’agit-il d’une allusion à une autre famille (Ph. Wolff cite Pierre Senhoron, changeur en 1332, Commerces…, p. 408), du monogramme du Christ ?
41 Dans la dépense haute de la tour, parmi le beau linge, les coussins de prix, ADHG, 3E 5897, XI, f°7 : Item unum copertorium de bres panni guaranse cum quinque signis domini Bertrandi et eius matris condam.
42 Une autre pratique prouve l’importance de la mémoire généalogique dans laquelle le nouveau-né est immédiatement intégré. Visualisée par la literie armoriée des berceaux, des lits d’adultes, des banquiers et tentures, la mémoire généalogique est aussi affirmée par le choix des noms de baptême puisés dans le stock onomastique familial. On peut aussi y lier la fabrication d’amulettes à partir de restes biologiques de membres de la famille…
43 Lorsqu’en 1391, Raimonde épouse de Jean Planèze, marchand de Toulouse, fait inventorier des biens pour mettre sa dot et augment à l’abri des créanciers, des chapelets sont cités avec deux manteaux de corps et les chaperons, le tout estimé à 3 l. ts (ADHG, 3E 3114, f°41-45). Idem chez les Tornier, Azémar…
44 Parmi de très nombreux travaux, suscités en partie par M. Fournié, nous renvoyons par exemple aux articles et bibliographies rassemblés dans Saint-Sernin de Toulouse à la fin du Moyen Âge. Des reliques et des hommes, Annales du Midi, n° 226, avril-juin 1999 ou au catalogue de l’exposition des Jacobins (Toulouse, 1999), Toulouse sur les chemins de Saint-Jacques. De saint Saturnin au Tour des Corps Saints, Skira-Seuil, Genève-Milan, 1999.
45 Cf. notre article des Mélanges C. Desplat.
46 Nous renvoyons à notre article à paraître dans les Actes du colloque de Cahors sur La maison dans le Midi de la France. Nous y publions les mentions de ces tentures peintes, soit plus d’une vingtaine de toiles peintes relevées dans 7 inventaires (B. Tornier, G. Azémar, J. de Laval, R.Embry, P. Vaquier, J. Faure, R. d’Aurival) et 2 ventes à l’encan (P. Vaquier ; A. de Bosco, maître en médecine, ADHG, 3E 4468, f° détachés, 1445).
47 Ces élites toulousaines, fort composites, forgent une identité commune grâce à un vocabulaire commun de la supériorité sociale, dans le creuset de la mémoire et de l’histoire de Toulouse (chevalerie urbaine, comtes et consuls, saints et reliques). Nous renvoyons à notre article, « Se distinguer à Toulouse : supériorité sociale et fabrique de l’urbanité » à paraître dans les Actes du colloque Distinction et supériorité sociale en Normandie et ailleurs (Moyen Âge et époque moderne), Cerisy/université de Caen, septembre 2007.
48 T. Lüttenberg, « Le tissu comme aura. Les fonctions des tentures à la cour d’Aragon et à Barcelone (XIVe-XVe siècles) », Les tentures médiévales dans le monde occidental et arabo-islamique, M.E.F.R.E.M.,t. 111, 1999, pp. 373-392. Nous remercions N. Coulet pour les informations transmises pour Aix-en-Provence (les tentures repérées concernent uniquement des salles d’auberge), cf. L. Larochelle, Boni, probi et possidentes. Pouvoir et notabilité à Aix-en-Provence entre 1400 et 1535, Doctorat Univ. Aix-en-Provence, 2002, p. 392. J.-P.B arraqué n’a rien trouvé de tel à Saragosse, Saragosse à la fin du Moyen Âge. Une ville sous influence, Paris, L’Harmattan, 1998. Les conclusions sur la comparaison des décors des notables toulousains et césarogustains apparaissent dans le travail d’A. Garland, Inventaires et distinction sociale à Toulouse et à Saragosse (XIVe-XVe siècles), mémoire de Master1, sous la direction de J.-P. Barraqué et V. Lamazou-Duplan, université de Pau, 2006-2007.
49 Cf. deux articles de Ph. Wolff, « Recherches sur les médecins de Toulouse aux XIVe et XVe siècles » et « Relâchement moral et superstitions populaires à Toulouse au milieu du XVe siècle », dans Regards sur le Midi médiéval, Toulouse, Privat, 1978, pp. 125-141 et 283-289.
50 Nous remercions vivement J. Catalo pour ces informations sur les fouilles des nécropoles et cimetières de Saint-Michel (dir. D. Paya), de l’Hôpital Saint-Jean de Jérusalem. Ces données ont été présentées au public et rassemblées dans Métropolis. Transport souterrain et archéologie urbaine à Toulouse (1990-2007), catalogue de l’exposition du Musée Saint-Raymond, 2007-2008. Le chapitre sur le Moyen Âge est dirigé par J. Catalo et D. Paya.
© Presses universitaires du Midi, 2008