1Quelle est la situation de la veuve en Midi toulousain aux XIV^e-XV^e siècles ? Quels sont ses moyens de subsistance ?

I - Le cas général

2La femme devenue chef de famille par veuvage n’est pas forcément dépourvue. Elle peut disposer de paraphernaux, c’est-à-dire tous les biens déjà acquis lors de son contrat de mariage et qui n’ont pas été constitués en dot, auxquels s’ajoutent les biens acquis pendant l’union grâce à son travail, ou obtenus par succession ou donation. La femme, en Toulousain, n’est pas, en effet, systématiquement exclue de l’héritage paternel, même si elle a été dotée1. Elle est souvent co-héritière avec ses frères ou, au moins, reçoit une partie des biens-fonds2. Ces paraphernaux demeurent à l’entière disposition de la femme, mais leur administration a pu être, pendant l’union, abandonnée au mari.

3Les époux ont pu établir entre eux une communauté d’acquêts (fruits du travail commun, biens acquis à titre onéreux par l’un des époux ou les deux pendant la durée du mariage), ils ne peuvent rien faire l’un sans l’autre concernant ces acquêts3. En général, le partage, à la dissolution du couple, se fait par moitié ; parfois, une clause du contrat attribue les acquêts aux enfants, le survivant ayant l’usufruit. Si le mari décède intestat, en l’absence de tout parent par le sang, ils reviennent au conjoint4. À Grenade, le tisserand Arnaud de Riga et son épouse rappellent, lors de la rédaction du testament de celle-ci, qu’ils ont mis tous leurs biens mobiliers et immobiliers présents et futurs en communauté et peuvent tester de la moitié des biens sans permission l’un de l’autre5.

4Si la femme ne dispose pas de paraphernaux et en l’absence de communauté d’acquêts, son avenir est fonction de ce que lui a laissé son mari par testament.

5D’après l’article 113 de la coutume de Toulouse, la veuve doit recevoir, au décès de son époux, sa dot et un augment (« agenciamentum sive donationes propter nuptias »), sauf si du vivant de son mari elle a été condamnée pour adultère et non réconciliée ou qu’il y ait eu d’autres conventions entre eux. L’article 119 fait obligation aux héritiers, sauf en cas de condamnation pour adultère et de non réconciliation, de la vêtir et entretenir sur les biens du mari jusqu’à ce qu’elle ait entièrement reçu ses dot et augment, sans aucune diminution de ceux-ci. Dot et augment sont mentionnés dans les contrats de mariage, assez nombreux dans les registres notariés6. Même si le plus souvent, la dot est stipulée en numéraire, et généralement non versée immédiatement, elle peut aussi consister en biens-fonds, parfois en la moitié des biens des beaux-parents quand il y a adrogation7. S’y ajoutent généralement un lit, sa literie et des vêtements nuptiaux. L’augment, en Toulousain, est toujours égal à la moitié de la dot. Les contrats de mariage précisent que si l’épouse survit au mari, elle peut faire ce qu’elle veut de la dot, si elle meurt avant, la dot va au mari et, après la mort de celui-ci, aux enfants du couple et, à défaut, au plus proche de la parentèle de l’épouse. Si les biens dotaux sont des immeubles, ils sont protégés par le principe d’inaliénabilité absolue héritée du droit de Justinien. Ils ne peuvent être vendus ni par le mari ni par la femme ni par les deux conjointement ; ils sont insaisissables même en cas de dette. S’il arrivait malgré tout qu’un immeuble ait été aliéné, la veuve peut demander l’annulation de l’aliénation après la dissolution du ménage. La femme peut aliéner les fonds dotaux pour procurer des aliments à sa famille, sortir son mari de prison, doter des enfants communs… Les règles romaines de l’inaliénabilité ne s’appliquent pas dans le cas d’une dot en numéraire. La dot pourrait, dans ce cas, être dilapidée par le mari, on prévoit donc des moyens pour protéger la femme : dans le contrat de mariage, on signale que la dot servira à acheter un immeuble, on peut aussi l’assigner sur un immeuble du mari8.

6D’après la coutume de Toulouse, les immeubles dotaux peuvent être aliénés avec le concours des deux époux ou par « l’un d’eux avec le conseil, l’accord et la volonté de l’autre ». Même si avec la renaissance du droit romain, on s’oriente de plus en plus vers l’inaliénabilité de la dot, on voit dans certains actes la femme ratifier l’aliénation d’un bien dotal par le mari ; dans l’immense majorité des ventes d’immeubles, elle renonce sous serment à tout droit établi en faveur des femmes, à la lex Julia de fundo dotali et omni alio auxilio muliebri9 ; le principe d’inaliénabilité n’est guère efficace. Guilhelma, par exemple, épouse de Bernard Rozandi, de Montferrand, renonce à la lex Julia de fundo dotale lors de la vente pour 16 francs d’or de trois parcelles de terre, un jardin et une locata situés à Saint-Martin-Lalande10. La mère et l’épouse de Gaillard Olrici font de même quand celui-ci vend des droits féodaux à Belflou, Salles et autres lieux à Bernard-Raymond de Fontaynis11, son épouse seulement lors de la vente d’un malhol franc12.

7Le conjoint sans biens ou avec peu de biens peut, en théorie, réclamer un quart de l’héritage en usufruit s’il n’y a pas plus de trois enfants, l’équivalent d’une part d’enfant en usufruit s’il y en a plus, un quart en pleine propriété s’il n’y a pas d’enfant (quarte du conjoint pauvre du Droit de Justinien, Novelle 53, 6)13; un Toulousain fait son épouse usufruitière et lui accorde, si elle se remarie, un quart des biens, cela correspond-il à la valeur de l’augment et de la dot ou s’agit-il de la quarte du conjoint pauvre14 ?

II. La future veuve dans le testament du mari15

8Elle peut être faite héritière universelle ou co-héritière avec d’autres (enfants, parents du mari). Un quart à peu près des testateurs de Montgiscard, Castelnaudary et Toulouse pour la période 1300-1450 font héritier universel leur conjoint, qu’il y ait ou non des enfants issus du couple16. Le plus souvent ce sont tout de même des couples sans enfant qui se font mutuellement héritiers universels.

9L’épouse peut avoir un fidéicommis : elle dispose des biens sa vie durant puis ils passent intégralement aux enfants. Elle est véritable propriétaire, administre les biens, reçoit les paiements, mais ne peut rien aliéner. Parfois, elle est autorisée à vendre des biens, même immobiliers : Bertrand Palherie, de Castelnaudary, lègue ses biens à sa femme qui doit les transmettre à sa fille, elle peut tester de 40 £ tr, vendre et aliéner si elle devient indigente, sans autorisation de quiconque17.

10L’épouse peut être héritière particulière et recevoir ce qui correspond à ses dots et augment ou davantage : Jacques Fornerii, de Saint-Martin-Lalande, lègue à son épouse l’usufruit de l’hospicium dans lequel il demeure, une pension pour l’année de deuil de quinze setiers de blé et deux pipes de vin pur, qui doivent servir aussi pour l’offerte et pour l’aumône, et, si cela ne suffit pas, la moitié de tout le blé et le vin qu’il possède. Il lui lègue aussi une sétérée de terre, une sétérée de malhol sur les deux qu’il possède, un verger, la moitié de toutes ses ruches (bucorum apium sive abelhas) qui seront dans le verger quand il mourra, six chèvres, deux cabris, douze brebis et une tasse d’argent ; l’héritière universelle est sa fille18. Grégoire Novelli, de Labécède, un probable marchand, dépense de fortes sommes pour le soin de son âme, entre autres 16 £ tr pour une chapellenie d’un an, il laisse à son épouse Stéphanie une maison avec tout son mobilier, sauf un lit légué à l’hôpital du lieu, sauf les draps de laine, les filés, l’argent et l’or, monnayés ou pas. Il lui lègue aussi 25 £ tr que les héritiers doivent lui donner immédiatement après son décès, vingt-cinq ovins et une vache, des tonneaux de vin, deux tasses d’argent, dix setiers de blé. Elle reçoit aussi les fruits d’un moulin à eau bladier, d’un malhol, d’un jardin ou verger, sa vie durant. Elle ne peut demander plus en raison de ses 100 £ de dot, augment ou autre19. Arnaud Jean, un paysan de Fendeille, lègue deux « casals » (métairie, masure, enclos ou jardin attenant à la maison) à sa femme Mercende et aussi des ovins qui, dit-il, sont à elle, et sont avec ses animaux, dans son propre troupeau (souci de bien préciser les droits de celle-ci). Elle reçoit aussi une pension annuelle : blé, vin et 5 £ tr. Si elle s’entend avec les héritiers, elle doit loger avec eux et dans ce cas n’a pas de pension20.

11Le mari lègue à son épouse dot et augment mais préfère toutefois, la dot ayant souvent servi à acheter des biens immobiliers, lui faire verser une pension par ses héritiers et prévoir son logement. Cette « retraite de la veuve»21 lui est versée tant qu’elle ne réclame pas dot et augment et qu’elle reste « veuve et honnête ». Guilhem Gaysardi, un teinturier de Castelnaudary fait héritier universel son fils Bernard. Jeanne, son épouse, doit recevoir 50 £ tr inclus dix-sept florins qu’il a eus au mariage ; tant qu’elle vit elle doit être domina et gubernatora hospicii sui. Dans un codicille postérieur de huit ans, elle est toujours domina et gubernatrix dicte hospicii et doit avoir victum et vestitum suam stagiam in hospicio dicti et Bernard, le fils, doit la pourvoir du nécessaire ; s’ils ne s’entendent pas, elle doit rester dans la maison et Bernard doit l’alimenter et lui livrer chaque année six setiers de froment, quatre sarcinées de vin pur et quatre francs d’or tant qu’elle vit et sub eius nomine permansserit et ab aliis nubciis se abstinerit22. Les clauses d’insupport sont fréquentes dans ce cas de figure23: Raymond Boqueri, de Castelnaudary, qui teste dans sa ferme, lègue à son épouse 20 £ tr au cas où elle ne pourrait s’entendre avec les héritiers et un lit garni. Elle doit avoir victum in cibo potu vestitum calciatum selon son état, tant qu’elle reste avec les héritiers, si elle s’en sépare, elle aura les 20 £, à payer en quatre ans. Si elle ne peut s’accorder avec les héritiers, elle doit avoir logement dans un campmas (ferme) du testateur tant qu’elle est veuve et honnête. Si elle se remarie, elle peut prendre 20 £ sur les biens (probables dot et augment). Les héritiers sont les cinq fils du testateur en parts égales24.

12L’épouse peut choisir les bénéficiaires de legs laissés par le mari, par exemple les jeunes filles pauvres, elle est tutrice des enfants et, parfois, doit, dit le testateur, donner son approbation au mariage de ceux-ci. Quand elle est héritière universelle, elle n’est pas faite exécutrice testamentaire, contrairement à ce qui se passe en Roussillon25.

13Le testament peut servir à régler des comptes avec son épouse. Arnaud Franchi de Souilhanels, un probable marchand, qui lègue 4 écus à l’église de la bourgade pour acheter un bijou au choix de Jean son héritier et douze setiers de froment (724,8 litres) et un tonneau de vin pur (900 litres) pour une charité, casse son précédent testament par lequel il accordait une pension à son épouse et le logement dans sa maison car elle l’a quitté « quand il est devenu impotent et valétudinaire, ne lui a pas rendu service, n’est pas venue résider avec lui et le servir comme une femme bonne et probe sert son mari ». Un seul des fils est héritier car il est resté avec lui et le soigne26. Pierre Martini, un tisserand de Cintegabelle signale que son épouse, Jeanne, a sorti de la maison, sans sa permission, du linge, deux écuelles d’étain, un cierge. Il veut que l’héritier récupère les biens. Plus grave, elle a acheté un ostal en indivis avec une autre femme grâce à des biens appartenant au testateur, sans sa permission (récupération de sa dot ?) ; comme elle ne veut pas rester avec lui et ne se comporte pas comme une bona mulier doit le faire, il veut que cet achat soit cassé et que la part de Jeanne dans cet ostal aille à son héritier. Il annule l’augment de seize francs prévu par contrat de mariage, pour ingratitude27.

14Que devient la veuve, en fait, au décès du mari, le testament de celui-ci est-il respecté ?

15Les actes de la pratique montrent que des contentieux se produisent parfois lors des règlements de succession et que la veuve peut connaître des difficultés.

16Le plus souvent, elle ne demande pas le versement de la dot et de l’augment, elle demeure avec ses enfants et se contente de sa pension. Elle réclame sa dot s’il existe un désaccord avec les enfants ou si elle veut se remarier. Elle peut se trouver dans une situation difficile : le mari est mort intestat ou ses dispositions testamentaires ne sont pas respectées. La veuve doit alors ester. Un débat a lieu entre Jeanne, veuve de Jean Calveti, de Labastide-d’Anjou et Raymonde, veuve de Guilhem Calveti, père du dit Jean. Jeanne demande à Raymonde, en tant qu’héritière de Jean mort intestat et sans enfant, trente florins et un lit qui lui ont été légués par Paul Candele son père lors de son mariage et dix francs d’or que Guilhem et Jean Calveti lui devaient (par acte notarié). Aux termes d’un accord, elle reçoit divers objets et des parcelles de terre (une guarrigam sive nemus, deux terres labourables, un malhol, un pré)28.

17Parfois, ce sont plusieurs héritages qu’il faut réclamer : quand « honnête femme Magneta », veuve de Pierre Bertrandi du campmas des Ovelhiorum de Baziège s’est mariée, un augment de vingt-trois francs d’or a été constitué par Bertrand Bertrandi, le père du marié, assigné sur des biens mobiliers et immobiliers ; Bertrand Bertrandi a, par la suite, épousé Guiraude, la mère de Magneta, il a donné à celle-ci, en augment, vingt-trois francs. Magneta est héritière universelle de Guiraude et de son mari, Pierre, elle n’a rien reçu des héritages et fait action en justice, elle demande la vente du campmas avec certaines terres, vignes et prés29. Ce type d’action semble assez fréquent : la veuve de Jean de Tripolis de Baziège fait vendre des biens vacants pour récupérer dot et augment30; l’épouse de Bertrand de Posolibus avait eu en dot lors de son premier mariage avec Pierre de Viridario, un marchand de Montgiscard, 30 écus d’or, les exécuteurs du défunt n’ont toujours pas payé, l’affaire passe en justice, les exécuteurs lui donnent une borde et un jardin31. Un débat a lieu entre Philippa, veuve de Raymond Gilaberti et Mengarde et Gaudrice, sœurs et héritières de Raymond. Philippa veut obtenir quatre cent florins d’or que Raymond lui devait provenant de ses paraphernaux et 50 £ tr d’augment32.

18Les enfants n’entretiennent pas toujours leur mère : Michèle, veuve de Jacques Barravi de Castelnaudary, lègue à sa fille Raymonde une aire à battre avec ses dépendances, une éminée de malhol, et fait héritière universelle une autre fille, Jeanne33. Par un nouveau testament, deux jours plus tard, le mari de Jeanne reçoit en legs la moitié d’un ostal, la moitié des biens mobiliers qui s’y trouvent et une parcelle de terre ; il doit alimenter sa belle-mère ; les deux filles sont alors héritières en parts égales. Quelque temps plus tard, Michèle « ne pouvant vivre et pourvoir à son alimentation » vend un malhol pour 10 £ tr. Guillelma, veuve de G. Combas, vieille et valétudinaire et « tellement faible par défaut de nature qu’elle ne peut faire son négoce et que ses biens se détériorent et tombent à rien », les donne à Jean Martini qui doit la pourvoir de tout le nécessaire, nourriture, vêtements, chaussures, selon statut de sa personne, qu’elle soit en bonne santé ou malade ; elle prévoit cinq sous en legs pieux et une charité à distribuer. Son fils Raynes ne reçoit que cinq sous tournois car il est absent depuis vingt ans ou plus et ne lui a donné aucun secours ou conseil pour se sustenter34.

19La veuve sans enfants doit trouver une solution pour faire travailler ses terres et survivre : un individu reconnaît tenir en gasaille de Bermonde, veuve et héritière de Dias Tardini, du Vernet, une paire de bœufs d’une valeur de seize écus d’or, pour un an, à compter de la prochaine Saint-Saturnin. Il promet de labourer avec ces bœufs dix pugnères de terre videlicet monere per sex vices, coperire et selhonaretempore debito et licito et Bermonde mettra la semence. À la fin de la gasaille, les bœufs sont estimés et vendus, Bermonde récupère son capital et le gain ou la perte, par rapport au capital de seize écus, sont divisés en deux, sauf si la perte est de la faute du preneur35. Bermonde donne de la même façon à P. Beloti deux bœufs et dix pugnères à travailler, à partir de la prochaine Saint-Martin36. Gaubert et Pétrone Baqueri habitant Castelnaudary vivent dans la maison de Fleur de Meretino, veuve de Mtre Bartholomé Contastini, bachelier ès lois. Ils « mangent et boivent ensemble et aux frais de dame Floris et ils la servent de jour et de nuit et travaillent ses terres avec leurs animaux»37.

III. Le testament de la veuve

20Parmi les deux mille cinquante testaments toulousains des années 1300- 1450 que j’ai dépouillés, sept cent quatre vingt-onze sont rédigés par des femmes, soit 38,6 %. Ces testaments féminins, au contraire de ce qui se passe en Forez38 ou en Comtat Venaissin39, sont de plus en plus nombreux au fil du temps : ils représentent 18,4 % du corpus entre 1300 et 1359, 38,6 % entre 1420 et 1450 ; à Toulouse même, ils atteignent 44 % entre 1430 et 1450. On ne peut considérer qu’en Toulousain, la femme soit dissuadée de tester. Les testatrices sont majoritairement des veuves (58 % du corpus). La femme mariée et dotée, devenue sui juris, peut tester si elle a quelque chose à léguer. Or, le régime dotal prévoyant que la dot revient au mari en cas de prédécès de l’épouse, sauf conventions matrimoniales lui permettant de disposer d’une partie de sa dot pour tester ou existence de paraphernaux, la femme mariée n’a pas grand-chose à léguer, si ce n’est avec le consentement de son mari. Il n’y a pourtant que 36,2 % des femmes mariées qui testent de licencia et consensu de leur mari ibidem presenti, ce pourcentage décroissant au fil du temps, la femme mariée semble s’émanciper, dans ce domaine, de la tutelle maritale.

21Veuves ou femmes mariées ne testent d’une façon spécifique : on ne peut conclure à l’existence d’un modèle féminin du testament caractérisé par telle ou telle dévotion, tel ou tel ordonnancement des suffrages. On se trouve en présence d’un modèle local, hommes et femmes d’un même isolat géographique effectuent le même type de legs pieux et charitables, les variations consistent seulement en la somme dépensée liée, le plus souvent, au niveau de fortune. Les femmes, étant donné leurs plus faibles disponibilités, consacrent moins d’argent à leur salut que leur mari ou leur père. Dans le milieu des artisans, des petits commerçants, elles lèguent un petit peu moins, plus la richesse est grande, plus l’écart se creuse entre le mari et son épouse. Si les femmes ne disposent que de leur dot, l’essentiel est donné en legs pieux et charitables : l’épouse d’un salinier toulousain, Pétrone Dusan, teste en 1420 ; elle peut léguer, par permission de son mari, jusqu’à 200 £ tr (sa dot), elle en consacre plus du quart à des legs pieux40. L’épouse de Guilabert de Castronovo partage sa dot à égalité entre ses petits-enfants et le couvent des Augustins de Toulouse ; ceux-ci sont d’ailleurs ses héritiers universels avec les Carmes (elle possède donc des paraphernaux)41. Quand les femmes sont devenues chefs de famille après le décès de leur époux, elles veillent, comme les hommes, à ne pas trop obérer le patrimoine familial, Pétrone Dusan, devenue veuve, a hérité la moitié des biens de son mari, elle double pratiquement la somme qu’elle consacre à l’Église mais cela ne représente que 20 % de ce qu’avait légué son mari, ses filles qu’elle constitue héritières ne doivent pas souffrir de ses dépenses42.

22Il semble toutefois que soit plus propre aux femmes qu’aux hommes le désir d’ornementer l’édifice cultuel, de rehausser la splendeur des cérémonies : les dons de bijoux, de reliques même, de vêtements pour en faire des ornements d’autel sont plus souvent le fait de celles-ci43. Une femme lègue un voile de soie lui appartenant « pour honorer » l’église de Cintegabelle44, une autre sa meilleure nappe au service de l’autel de la chapelle Saint-Michel de la Dalbade45. Une femme de tisserand lègue à une chapelle de l’église Saint-Étienne une de ses chemises de drap de France violet foncé doublée de soie rouge brodée d’or, pour en faire une chape46. Une fille de chevalier demande que de ses chemises rosati, on fasse une chape garnie de borasse noire avec croix blanche pour chanter les messes de requiem47. Une femme de Cintegabelle lègue à deux prêtres du lieu à chacun un drap de cendal (étoffe de soie fine) pour en faire un surplis48. Marguerite, dame du castrum de Puycalvel lègue à la confrérie de la Sainte-Trinité de Lautrec une croix contenant un fragment de la Vraie Croix et deux coffrets contenant diverses reliques49; une femme de Grenade lègue deux anneaux, l’un avec un saphir, l’autre avec une perle, pour orner la croix processionnelle de la confrérie Notre-Dame50. Agnès, veuve de Maître G. Blanchi de Castelnaudary, lègue 3 £ tr pour une peinture de la Vierge Marie et de la vie de Saint Sébastien à faire dans la chapelle Saint Sébastien sur la sépulture de son mari51.

23La distribution de vêtements personnels aux pauvres est aussi, plus souvent, le fait des femmes que des hommes. Dame Milhos, veuve de Philippe de la Roca, de Toulouse, lègue ses vêtementsà ses relations : une cotte de drap noir et une chemise de corps à une dénommé Guiraude, une cotte de drap rosati à une autre femme, un chaperon de drap rosati et un voile, une pelisse d’agneau, un chaperon de drap de France, des meilleurs qu’elle a, une gonella de drap, un manteau de drap de Franceà d’autres femmes ; tous ses vêtements de corpore de tous les jours doivent être distribués amore dei par ses héritiers52. Marguerite, veuve de Bernard Vitalis, un sergent royal, mariée en secondes noces à Jean Blancheri, de Toulouse, donne des vêtements et un lit avec sa literie à une femme qui lui a rendu service pendant sa maladie, deux cordées de patenôtres et quatre draps à des jeunes filles pauvres choisies par les exécuteurs ; ceux-ci peuvent vendre tous ses autres vêtements au bénéfice des pauvres. Elle lègue aussi un lit avec sa literie à l’hôpital Saint-Jacques du Bourg et un ostal à l’hôpital Notre-Dame du Puy de Toulouse, son mari en a toutefois l’usufruit sa vie durant53. Ces legs de lits effectués par des femmes sont fréquents, traduisent-ils le désir d’une plus grande participation à une œuvre pie ou simplement correspondent-ils à une partie de ce qu’elles ont reçu en dot ?

24Les femmes songent aussi à l’établissement des jeunes filles pauvres et leur font un petit legs à l’occasion de leur mariage : Une riche veuve (elle se fait enterrer dans la chapelle Notre-Dame de Pitié du cloître du couvent des Augustins et constitue une chapellenie pour cinquante ans) lègue un franc d’or à deux pauvres jeunes filles à leur mariage, elles habitent dans la même rue que la testatrice et sont nommément désignées : Blanche qui demeure avec Riche et la servante d’un estagnier ; un neveu est héritier universel54.

25On ne peut conclure à un statut homogène des veuves ; certaines, héritières de leur époux et avant cela de leurs parents ou d’un premier mari participent aux activités économiques, achètent des biens-fonds en toute liberté, dépensent pour assurer leur salut. D’autres se contentent de la pension allouée par le mari et versée par les enfants. On voit apparaître aussi dans les actes de la pratique la veuve vieillissante, à la limite de la pauvreté, qui doit donner ses quelques biens en échange de sa sécurité alimentaire… Des veuves pourvues de biens semblent rester d’éternelles mineures, retombant sous la tutelle de leur père alors que leur mariage les avait rendues sui juris, ou sous la tutelle de leurs enfants, de leurs gendres ; on voit ainsi un père vendre un pré en tant qu’administrateur de sa fille veuve55, une veuve louer un ostal avec jardin, terre et vigne avec ses gendres56, une autre louer une terre pour vingt neuf ans avec son fils57. Les femmes se voient très rarement reconnaître un métier dans les actes notariés, elles sont le plus souvent définies par rapport à leur père ou à leur époux, vivant ou défunt et pourtant, elles sont de plus en plus nombreuses à tester, se passent de plus en plus de l’autorisation de leur époux pour ce faire.