Introduction

1Dans le riche fonds du collège de Périgord de Toulouse conservé aux Archives Départementales de la Haute-Garonne se trouve un registre papier de seize pages ouvert en 1422 qui établit les comptes en recettes et dépenses de la première tentative d’union au collège du bénéfice de monte acuto, diocèse de Toulouse, aujourd’hui Montaigut-sur-Save, et de son annexe Saint-Paul1. Relégué par l’échec de cette première tentative parmi les instruments de procédure, le contenu de ce cahier est resté inédit. Il s’agit pourtant d’un document d’un grand intérêt tant pour l’histoire des collèges universitaires et leur stratégie de renforcement bénéficial que pour la compréhension générale des procédures d’acquisition de biens ecclésiastiques (problèmes de collation et de prélèvement des bénéfices, partage des fruits entre vicaires et recteurs, etc.). Cet intérêt est renforcé par le contexte historique et géographique de l’affaire. Nous sommes dans les dernières années du Grand Schisme, dans une période critique de la guerre de Cent Ans, aux confins du diocèse de Toulouse mais sur les terres de vassaux du comte d’Armagnac, Jean IV, dont on connaît la résistance à Martin V et l’importance du rôle politique dans le royaume. De plus les lacunes de ce modeste cahier à vocation comptable peuvent être partiellement comblées par les registres de comptes eux-mêmes2 et d’autres sources externes, en particulier le sauvetage miraculeux d’un registre du Parlement de Languedoc que d’autres recherches nous ont fait connaître et qui contient quelques mentions du long procès ouvert par une résistance laïque inattendue aux ambitions du collège de Périgord3.

2Nous ne prétendons pas avoir, dans ces quelques pages, définitivement épuisé le sujet et bien des incertitudes demeurent : que l’urgence sentimentale de ce travail fasse pardonner ses insuffisances !

I - Le bénéfice de Montaigut

3Ce bénéfice était détenu par un ancien du collège, Hélie quadragesime ou kadragesime que l’on s’accorde à traduire Carême. Hélie Carême venu de son Périgord natal étudier à Toulouse entre au collège de Périgord, certainement sur une place réservée aux étudiants de son diocèse, avant 1408 où on le retrouve présent dans une assemblée collégiale, encore simple étudiant en droit civil. Bachelier ès lois dès 1412, il occupe le priorat l’année suivante. Il figure en 1419 parmi les plus anciens étudiants puisqu’une nouvelle assemblée capitulaire le place en tête des dix-neuf collégiats présents, et, en 1421, il reçoit quittance de son priorat. À cette date, il est déjà recteur de Montaigut-sur-Save. Il quitte le collège peu de temps après. Sa carrière est relativement bien connue car on le retrouve en 1423 chanoine de Rodez, collecteur apostolique pour le diocèse d’Albi et on connaît son rôle essentiel dans la résolution du schisme en Rouergue au titre de nonce de Martin V4. La cession de son bénéfice l’élève au rang de bienfaiteur du collège et un anniversaire est chaque année célébré, le 18 janvier, dans la chapelle du collège en l’honneur du « recteur de Montaigut»5.

II - Le recours au Pape

4Sa décision de léguer le bénéfice au collège de Périgord pourrait remonter à l’année de son départ du collège, 1421 (n. st.) où le livre des prieurs Pierre Solerii et Jean Valette fait allusion au voyage de maître Guillaume Fulheron à Lectoure, le 7 février, sur ordre du collège « pro habendo secionem generalem a domino cancellario armanhaci»6. Sur place, notre collégiat fait enregistrer par notaire et grossoyer « dicte cessionis ». Ce voyage pour cette mystérieuse « cession » pourrait être la première étape de l’union du bénéfice de celui que le collège nommera désormais communément le « recteur de Montaigut ».

5On peut s’étonner de cette démarche auprès du comte d’Armagnac. Officiellement le patronage du collège appartient aux Orléans depuis la confiscation du comté par le roi Charles VI en juillet 1399 qui le donne à son frère, Louis d’Orléans en janvier 14007. Louis, jusqu’en 1407, puis son fils Jean portent le titre de comte de Périgord et deviennent les nouveaux patrons du collège. Le futur comte d’Angoulême, otage en Angleterre à partir de 14128, abandonne le comté à une date indéterminée à la branche aînée. La captivité de Charles d’Orléans après Azincourt place le collège sous la tutelle du comte d’Armagnac, Bernard VII, beau-père de Charles, chef du parti orléaniste jusqu’à sa propre exécution en 1418. Son fils, Jean IV, a-t-il obtenu le patronat par un accord tacite entre les deux maisons ou revendique-t-il les droits de sa grand-mère Jeanne de Périgord9 ? Les comptes des prieurs confirment que dès 1419-142010 puis à plusieurs reprises par la suite, notamment 1438, des panonceaux aux armes du comte d’Armagnac sont placés sur les biens meubles et immeubles du collège11 ; le comte paraît même avoir nommé certains collégiats12 et, en juin 1439, il se fait présenter officiellement le collège. On sait aussi que, dans l’intervalle, le comté de Périgord est donné le 14 décembre 1430 à Jean, bâtard d’Orléans, le célèbre « Dunois » qui est d’ailleurs reçu au collège le 4 juin 143113 et exerce son patronage au moins jusqu’en 1434, présentant cette année-là un candidat originaire du diocèse de Langres. En 1436, le comté est repris par Charles qui le cède en mars 1438, pour financer sa rançon et acquitter une ancienne dette, aux Blois-Penthièvre-Bretagne14. En 1438, une intervention royale évoque les prétentions concurrentes sur le patronat du collège avancées par le comte d’Armagnac et Jean de Bretagne15. Dans le cadre de l’affaire de Montaigut, les boursiers avaient sollicité le monarque afin d’obtenir la levée de la mainmise royale sur le collège pour pouvoir jouir des rentes et bénéfices en attendant que soit tranché le litige. Mais en octobre 1439, un huissier du Parlement, commissaire pour cette cause, informe le viguier de Toulouse que Jean de Bretagne, comte de Penthièvre, a été provisoirement maintenu dans son droit de patronage « à l’encontre du dit messire d’Armagnac » et qu’un procès les opposant est en cours devant le Parlement. Cette année là, le prieur signale dans son registre discorde et dissension entre les collégiats16 : il semble que la querelle patronale rejaillisse sur la communauté qui se divise entre factions « d’Armagnac » et « de Bretagne ». Par décision du Parlement, Jean de Blois-Penthièvre reste finalement patron du collège jusqu’à sa mort survenue en 1454.

6Le 25 mars, maître Arnaud Chat, un autre collégiat expérimenté, se rend à Castres « de consensu studentium » pour rencontrer son évêque et ancien condisciple, Aymeric Nadal17, « pro negotiis collegii », expressions qui ne laissent pas douter du caractère intéressé de cette ambassade. En effet, le collège a décidé pour valider cette union de mettre alors en œuvre une stratégie classique, largement éprouvée depuis plus d’un siècle : le recours direct au pape comme collateur extraordinaire des bénéfices. Cette procédure contestée par les soustractions d’obédience et les déclarations des papes de Pise sur le retour d’une collation ordinaire une fois sur quatre connaît un regain de faveur par la suite, jusqu’à l’élection de Martin V. Lors du Concile de Constance, le 2 mai 1418, ce dernier consent aux représentants de la nation française une alternance entre collation par l’ordinaire et collation pontificale18. Pour ce qui concerne les bénéfices de Montaigut et Saint-Paul, nous n’avons pas de certitude absolue sur l’identité du ou des collateurs ordinaires, certainement le chapitre cathédral de Saint-Étienne de Toulouse et l’archevêque dont l’accord préalable paraît être sollicité. C’est du moins ce que laisse deviner le quatrième item du compte des dépenses qui évoque des lettres de recommandation émanant de l’« alma mater »- l’Université - et des « seigneurs du chapitre»19. Plus loin, après les premiers déboires enregistrés par le collège, un autre item précise que la bulle d’union avait été présentée « preposito et capitulo sancti stephani et fuit supplicatum capitulo quatinus consentiret unioni»20. Le sixième item rend compte d’une dépense équivalente consentie par maître Arnaud Chat pour obtenir des lettres d’accord « du seigneur archevêque de Toulouse ». Mais c’est la décision collective et mûrement réfléchie de solliciter l’autorité apostolique qui inaugure et justifie la tenue du registre :

[...] fuit conclusum et consultum per dominos et amicos collegii et per studentes eiusdem quod pro sustentatione ipsius prosequeretur apud dominum nostrum papam unio ecclesie parochialis loci de monte acuto tholosane diocesis [...]21

7La décision prise, il faut maintenant réunir les sommes nécessaires au voyage. Le collège possède ses ressources propres : un trésor dit « de la caisse commune » alimenté par les cens et rentes versés en numéraire et le « trésor de la chapelle », réserves dont il extrait respectivement 104 livres et demi et 118 livres tournois. Du trésor de la chapelle proviennent les droits d’entrée versés par les nouveaux collégiats. Bernard de Gasbertia, Guillaume de Montescenario et Thomas Carême22 ont apporté chacun quatre écus. Ces sommes sont également affectées au voyage. Malgré tout, les dépenses envisagées semblent excéder les capacités d’autofinancement de la maison. Le collège sollicite donc ses « amis » dont fait évidemment partie l’évêque de Castres mais aussi celui de Rodez23. Le registre de Guillaume Fulheron recense précisément ces contributions dont on peut, à défaut de toutes les citer, dresser une typologie sommaire :

8- Contribution des collégiats eux-mêmes, à titre privé : sept d’entre eux apportent une contribution personnelle mais ces sept là restent anonymes peut-être faut-il en conclure qu’ils disposent d’une fortune personnelle suffisante qu’ils ne souhaitent pas étaler ou que le collège lui-même n’a pas souhaité introduire en son sein un ferment de discorde en distinguant donateurs et non-donateurs. Détail intéressant, le don est modeste (un écu) et uniforme ce qui laisse supposer que les donateurs se sont concertés.

9- Contribution des « amis » qui sont pour la plupart des anciens de la maison. Anciens endettés comme Pierre de Clusel et Arnaud Grelh ou parvenus à un statut supérieur comme Aymeric Nadal qui, par deux fois, fait parvenir au collège un secours financier et Bernard de Boursechaude, official de Bordeaux. Les parents et protecteurs des boursiers participent aussi à cette mobilisation financière.

10Les mutations monétaires rendent les transactions compliquées et la présence d’un changeur est donc indispensable24. On fait un peu flèche de tout bois puisque même les chevaux de l’expédition seront revendus. Au total sont réunis « en couronnes et autres guilhems une livre, cinq tholzas et un denier ; en autre monnaie nouvelle, en doublons trente livres ; en or, cent-quarante-cinq écus, un noble, cinq francs et vingt-cinq moutons ». La somme paraît très élevée mais les frais sont importants. Ceux de monture tout d’abord : plus de 35 livres pour un cheval et son harnachement. S’y ajoutent les instruments notariés : une procuration du collège en faveur de Grimond, l’accord du chapitre de Saint-Étienne et de l’archevêque, une recommandation de l’Université de Toulouse25. Tout paraît donc en place pour obtenir rapidement satisfaction.

11Mais le voyage lui-même est marqué par de nouvelles péripéties : peu après son départ Grimond tombe gravement malade en cours de route ; le collège n’est informé que deux mois plus tard. Cette mauvaise nouvelle contraint la communauté à envisager l’envoi d’un autre collégiat muni de nouvelles lettres de recommandation et d’un secours financier. Le jour de Noël 1421 le choix se porte sur Hélie Carême lui-même qui devait se rendre à Avignon. Par bonheur, il est de retour dès le lendemain de son départ, la chance lui ayant fait rencontrer à peu de distance de Béziers Grimond qui, rétabli, rentrait enfin de son expédition à la Curie romaine.

12Dès son retour, Guillaume Fulheron et Hélie Carême, recteur résignataire de Montaigut, se rendent chez le chancelier d’Armagnac pour faire exécuter la décision pontificale. Celle-ci est également présentée au chapitre en la personne de son syndic, Pierre Mandin, que l’on presse de requérir l’accord collectif des chanoines de Saint-Étienne. Guillaume Fulheron lui-même, le notaire Jean de Fulherac et d’un clerc, se rendent alors à Montaigut où ils séjournent quelque temps hébergés chez l’habitant, l’objectif des collégiats étant de faire enquête sur la valeur du bénéfice et par conséquent de fixer la future portion congrue du vicaire du lieu.

III - Échec de la stratégie collégiale

13La première mention de difficultés date de septembre 1422, où Guillaume Fulheron note « incepto processu [...] super assignatione pensionis pro futuro vicario»26. Les adversaires sont les seigneurs des deux lieux, Louis de Faudoas, seigneur de Montaigut, et Pierre II Ysalguier, seigneur de Saint-Paul27, tous deux vassaux du comte d’Armagnac28. Ils ont certainement été alertés par les paroissiens inquiets de la possible réduction de la portion du vicaire et de ses effets sur la cure des âmes. Le dénouement de l’affaire tel qu’il transparaît du Pouillé de 1538, source tardive mais sûre, attribue à chacun d’eux le tiers des dîmes, le restant allant au collège à charge pour lui de verser au vicaire une portion congrue de quatre quartons de blé, quatre pipes de vin et dix livres en argent. En conséquence, les deux féodaux semblent bien être collateurs-patrons des deux paroisses, le chapitre et l’archevêque formant à l’origine le troisième collateur ordinaire. Il paraît curieux que le collège n’ait pas recherché avec eux un accord préalable d’autant que le sire de Faudoas paraît avoir compté l’un des ses fils, Clément, parmi les collégiats de Périgord en 142129, présence assez mystérieuse car l’on ne peut exclure une négociation postérieure pour l’expliquer... Un excès de confiance dans le poids de la décision pontificale peut-il expliquer cette négligence ?

14La procédure ouverte est longue et complexe, en faire un compte-rendu exhaustif dépasserait l’objectif de cette étude. Contentons-nous d’en fixer le cadre et d’en souligner les péripéties les plus significatives.

15Les justices ecclésiastiques se montrent impuissantes : la fixation par l’official de Toulouse de la portion congrue évoquée à la date de la Fête-Dieu 1423 (3 juin) et plusieurs sentences de l’archevêque sont ignorées. En septembre une nouvelle tentative est même effectuée en direction du Saint-siège par l’intermédiaire de « maître Blaise », prieur du collège Saint-Martial, pour qu’il confirme la bulle d’union.

16Les procédures d’arbitrage échouent pareillement. En mai 1423, le jour de la Sainte-Croix, une ambassade composée de Pierre Carême, Guillaume de Pechbonieu, Jean de Fulherac, Bernard Manhan et dirigée par Guillaume Fulheron se rend auprès du seigneur de Faudoas. Malgré le cadeau d’une demi-livre d’épices fines, Louis de Faudoas ne renonce pas. Le 21 juin il refuse d’attendre sur place une nouvelle délégation. Les collégiats sollicitent alors l’intervention du chancelier d’Armagnac, sans plus de résultat.

17Après cette date qui marque l’échec des tribunaux et recours ecclésiastiques, le registre inaugure un nouveau chapitre : « dépenses en raison de l’empêchement et de la mainmise du seigneur comte d’Armagnac sur le bénéfice de Montaigut»30. Il est inauguré au Carême de l’an 1423 (1424 n. st.) par la mention d’un voyage effectué par les collégiats Bernard Manhan et Jean de Peyrac d’abord à L’Isle-Jourdain puis, accompagnés du vicaire du lieu nommé commissaire par le comte d’Armagnac, à Montaigut pour faire lever la mainmise comtale. A peine chose faite, le comte cédant aux instances du seigneur de Faudoas et de Pierre Ysalguier, appose un nouveau séquestre sur le bénéfice. Le 1^er mai 1424 les collégiats sont de retour à L’Isle-Jourdain où ils peuvent rencontrer le comte et obtenir la levée de ce second séquestre. Le 16 mai suivant, une délégation de collégiats, toujours accompagnée du vicaire et cette fois d’un sergent royal, se rend alors à Montaigut pour faire exécuter la décision du comte. La présence du sergent s’explique par l’obtention par le collège d’une sentence royale en leur faveur. La citation par le sergent du seigneur de Faudoas, consuls et bayles de Montaigut et Saint-Paul pour assister à la lecture de cette décision met sans doute le feu aux poudres car, le 20 mai, Étienne Doulx, commissaire royal, est sommé par le comte d’Armagnac, saisi par la partie adverse, de surseoir à l’exécution des lettres. Étienne Doulx refuse mais se fait prudemment remplacer par le sous-viguier de Toulouse. Ce dernier, accompagné de trois collégiats et de quatre sergents royaux arrive à Montaigut pour s’y heurter à une cinquantaine d’hommes armés qui « de facto resistentes » empêchent bien entendu l’exécution des Lettres. Deux nouvelles tentatives du sous-viguier, en juin, se soldent par un échec. Les 1^er, 8, 16, 22, 25, 26, 29 et 30 août, les 7, 9, 12 septembre, les commissaires chargés de l’enquête font citer les adversaires du collège devant le Parlement, en vain31. Le registre consigne sans autre commentaire l’humiliant constat de l’impuissance royale ; il s’achève quelques lignes plus loin sur le total des dépenses32... Le collège ayant commis la maladresse de jouer la carte royale sur les terres du comte subissait là un échec cinglant -et coûteux- car la justice royale comme substitut du pouvoir spirituel rencontrait une fois de plus ses limites faute de moyens réels de contrainte, moyens qui n’existeront qu’au milieu du siècle avec la paix retrouvée et la création du Parlement.

18Ainsi s’achève la tenue du registre particulier mais dans les livres des prieurs, au titre des comptes en dépenses, le collège maintient entre 1422 et 1431 au moins un chapitre spécial « expensa pro beneficio de monte acuto » alimenté par les sommes consacrées aux frais de justice, grossoiement d’actes divers, déplacements et cadeaux consentis aux « amis»33.

IV - Un cas isolé ?

19Cette affaire pourrait être considérée comme tout à fait anecdotique si, dans le même temps, d’autres collèges n’avaient été confrontés à des difficultés du même ordre.

20Le collège Saint-Martial avait déjà l’expérience d’une annexion difficile avec le bénéfice de Miremont lui aussi obtenu par bulle pontificale de Benoît XIII du 2 juillet 1398. Les paroissiens craignant que les droits du vicaire soient insuffisants s’adressent à l’archevêque de Toulouse qui reproche aux collégiats de surestimer volontairement le rapport du bénéfice pour attribuer au vicaire une pension insuffisante34. Le même archevêque estime la portion congrue à la moitié des fruits du bénéfice ce qui est refusé par le collège qui en appelle au pape. Malencontreusement pour le collège, l’affaire tombe en pleine soustraction d’obédience et la perte de son protecteur « naturel » contraint l’établissement à solliciter la justice royale. Ce n’est qu’au terme d’un procès de plusieurs années qu’il parvient à jouir des fruits du bénéfice. Dès 1423, le collège de Périgord entreprend de faire copier les pièces de procédure prêtées par le collège Saint-Martial « copiam obligationis collegii sancti Martialis in simili materia»35.

21Mais l’affaire la plus proche est indubitablement celle de l’union du bénéfice de Saint-Julia en Lauragais au collège de Pampelune. On y retrouve scénarioidentique : un chapelain, Pierre Capelle, cède au collège son bénéfice, pratique courante. La cure de Saint-Julia restant à la présentation du chapitre de l’église collégiale de Saint-Félix-de-Caraman (auj. de-Lauragais) avec investiture de l’archevêque de Toulouse, le collège croit là aussi assurer une union rapide grâce à l’intervention pontificale. Le collège de Pampelune peut s’épargner les frais du voyage de l’un des siens car il dispose à Rome d’un relais efficace en la personne de Jean de Fabrica, ancien collégiat et élu de Lescar qui reçoit procuration pour faire entériner cette union mais qui met plus de sept mois pour obtenir les lettres d’union nécessaires. Le collège a alors affaire à un adversaire redoutable en la personne du candidat du chapitre de Saint-Félix, Jean de Saint-Martin. Celui-ci mène une guérilla juridique en contestant immédiatement l’authenticité de la bulle mais surtout parvient à rassembler derrière lui les paroissiens de Saint-Julia. Pour cela, il reprend l’argument de la cure des âmes car le bénéfice possédant deux annexes, le vicaire doit disposer de revenus importants, la moitié des fruits allant déjà au chapitre de Saint-Félix. Le second argument est d’ordre spirituel et avance que seul un véritable recteur « populum suum seu oves suas cognoscet » alors que l’union au collège donnera à la paroisse « non pas un pasteur perpétuel mais vingt annuels»36... Auparavant la communauté avait même déclaré préférer laisser le lieu à l’abandon plutôt que de consentir à une telle union37. L’interminable procédure qui s’ouvre alors est marquée par les recours de la partie adverse au concile de Bâle. Comme son homologue de Périgord, le collège de Pampelune sait qu’il ne peut guère compter sur un pontife en difficulté et c’est donc, lui aussi, de la cour royale suprême, le Parlement, qu’il espère une solution favorable. Il l’obtient d’ailleurs peu après, le Parlement de Poitiers interdisant à ses adversaires qu’« ils ne tractassent les dits prieur et escoliers à Bâle ne ailleurs qu’en la dite cour de Parlement»38.

Conclusion

22Tout d’abord, il ne faut pas surestimer l’offensive bénéficiale des collèges ; avant la seconde moitié du XV^e siècle, ils ne contrôlent que quatre églises paroissiales dans le diocèse de Toulouse : Castanet, Auzeville et St-Julia pour Pampelune, Montaigut pour Périgord, alors que le seul chapitre de St-Félix en patronne neuf39. Cependant il est incontestable qu’au cours de cette période, la plupart des collèges séculiers de Cahors ou Toulouse connaissent peu ou prou les mêmes déboires dans leur stratégie de conquête bénéficiale, ce dernier aspect permettant de ne pas réduire l’objet de cette étude à une simple péripétie. Leurs difficultés, en partie issues d’erreurs stratégiques, illustrent parfaitement le tournant d’une époque. L’effacement de la toute-puissance pontificale redonne du poids aux résistances locales alors que la monarchie empêtrée dans les aléas de la guerre de Cent Ans n’a pas encore les moyens militaires et judiciaires d’offrir aux collèges une protection efficace.