Le Ciel sur cette terre
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Les miracles « toulousains » de saint Dominique
Texte intégral
- 1 Pour le cadre général, voir B. Montagnes, « L’historiographie de saint Dominique en pays t (...)
- 2 B. Montagnes, « Un diplôme de la confrérie du Rosaire au Musée Paul-Dupuy de Toulouse », d (...)
1Par miracles « toulousains », il faut entendre ici non pas ceux que les sources du XIIIe siècle localisent à Toulouse, mais ceux qui sont propres à la légende toulousaine de saint Dominique, probablement de création locale, telle qu’elle était reçue par les dominicains de Toulouse au XVIIe siècle1. La critique historique de style positiviste les a balayés comme autant de créations fabuleuses ; s’il faut dès lors les supprimer de l’histoire des événements, ils appartiennent néanmoins à l’histoire des représentations. C’est à ce titre qu’ils nous intéressent et que nous entreprenons de les revisiter. On examinera ici les trois qui ont été représentés vers 1690 par le graveur toulousain Jacques Simonin2 parmi Les quinze miracles, vertus et mystères du St Rosaire, tels qu’ils sont intitulés sur l’estampe en question : Miracle de la bataille de Muret en 1213, La conversion des Toulousains par la prédication de St Dominique, miracle d’une image du St Rosaire de simple papier.
I. La bataille de Muret et le crucifix de Dominique
1. La légende toulousaine
- 3 M.-H. Vicaire, avec la collaboration de Maurice Prin, « Bernard Gui, saint Dominique à Mur (...)
- 4 Le P. François Balme, dans son Cartulaire ou histoire diplomatique de saint Dominique, piè (...)
- 5 Vie du glorieux patriarche S. Dominique, Préface, p. 6.
- 6 A. Duval, dans Catholicisme, t. XII, col. 559.
- 7 A. Duval, dans Dictionnaire de Spiritualité, t. XII, col. 210.
2Que la présence de Dominique à la bataille de Muret en 1213 soit une création de Bernard Gui, M.-H. Vicaire en a administré la démonstration3; sur laquelle il n’y a pas lieu de revenir4. En revanche, l’état de cette légende au XVIIe siècle, sous sa forme la plus développée, est attesté par Jean de Giffre de Rechac, dit Jean de Sainte-Marie, dans sa Vie du glorieux patriarche S. Dominique, publiée à Paris en 1657. Rechac (1604-1660) est un dominicain du couvent de l’Annonciation de Paris, mais qui a vécu durant quelques années aux Jacobins de Toulouse, où il a enseigné les langues bibliques vers 1640, et qui raconte être venu en pèlerinage à Fanjeaux et à Prouilhe à la fin de 1642. Il connaît les sources méridionales anciennes, ce qui ne l’empêche pas d’accorder une confiance illimitée à l’autorité d’Alain de la Roche, puisque celui-ci, assure-t-il, « ayant été un des plus grands et signalés favoris de la sainte et sacrée Vierge, apprit de sa bouche plusieurs rares traits et encore inconnus de la vie de ce B. Patriarche »5. Aussi les historiens d’aujourd’hui, comme André Duval ou Marie-Humbert Vicaire, ont-ils fait à Rechac une réputation exécrable. « Sa Vie du glorieux patriarche saint Dominique est un de ses plus mauvais ouvrages, accumulant les légendes les plus invraisemblables6. On y voit s’étaler récits et miracles invraisemblables dont la source remonte jusqu’aux exempla prêchés par Alain de la Roche. Dans la suite, bien des travaux d’histoire dominicaine s’en sont trouvés viciés »7.
- 8 Rechac, chapitre 26, Dominique à la bataille de Muret, p. 164.
3Or voici comment Rechac présente Dominique à la bataille de Muret8 :
S. Dominique voulut prendre cette occasion pour sacrifier sa vie à son bien-aimé Jésus, il sortit avec le Comte, et allant en tête d’un escadron le crucifix en main, il animait les soldats à mourir une fois pour celui que nos péchés avaient crucifié tant de fois.
Le Comte divisa ses gens en trois petits escadrons, en l’honneur de la très sainte Trinité, à un desquels S. Dominique se mit le premier ; comme on fut à la portée des flèches, les ennemis en firent incontinent lever une nuée sur saint Dominique et son crucifix, sur le Comte et ses trois escadrons. Mais Notre-Dame avec une légion d’anges, ainsi qu’elle révéla au B. Alain, écarta çà et là toutes leurs sagettes, en sorte qu’aucun ne fut blessé.
- 9 Rechac, chapitre 27, Le crucifix de S. Dominique, percé de flèches de tous côtés, ne fut j (...)
4Reste à Toulouse un souvenir précieux de la présence de Dominique à la bataille, le crucifix qu’il portait en tête des croisés9 :
- 10 Cet argument de Rechac est fallacieux. Selon Jules Chalande, Histoire des rues de Toulouse(...)
Le premier [grand et insigne miracle] fut que le crucifix de S. Dominique fut couvert et percé de flèches, et cependant aucune n’endommagea la figure du corps de Jésus Christ attaché à iceluy. Je l’ai vu à Toulouse, en notre maison de l’Inquisition, au bois duquel se montrent trois ou quatre trous que les flèches y firent, et nommément un entre les jambes du crucifix, pour témoigner davantage le miracle : les tronçons de quelque flèche y sont encore à présent. […] Nous sommes assurés par nos auteurs et par la tradition du lieu, telle qu’est celle-ci ; en signe de quoi la ville de Toulouse a fait garder si soigneusement ce crucifix en notre maison de l’Inquisition jusque-là que la rue s’en appelle la rue du Crucifix10 […]. La tradition est trop forte pour [qu’on puisse] s’y opposer, et ce crucifix de l’Inquisition prêche trop cette vérité.
5À la maison de l’Inquisition, répète encore Rechac,
- 11 Rechac, L’Inquisition de Toulouse, second couvent des frères Prêcheurs dans la ville, pp. (...)
il y a ce crucifix, lequel, par tradition immémoriale, on tient être celui que saint Dominique prit en main et tenait élevé, marchant en tête des troupes catholiques, de fort peu de gens contre les cent mille combattants hérétiques. Pour marque de quoi l’on y voit encore des tronçons de flèches qui s’enfoncèrent dans le bois, lorsqu’on en déchargea une grêle sur son crucifix et sur lui.11
2. La défense d’une légende contestée
6Pourtant des soupçons s’étaient déjà élevés, même à Toulouse, ainsi ceux de l’érudit Guillaume Catel en 1623, dans son Histoire des comtes de Toulouse, doutant « de certaine tradition que nous avons que saint Dominique fut à la bataille, avec un crucifix que l’on montre encore dans la maison de l’Inquisition, auquel est attachée une flèche de celles qui furent tirées à la bataille, car aucun auteur ancien, que je sache ne l’a écrit ». Or l’argument critique n’ébranle pas la conviction des dominicains méridionaux, ils continuent d’alléguer la tradition du lieu et la possession de la relique.
- 12 Th. Souèges, « La vie du glorieux patriarche saint Dominique », AD, août 1, Amiens, 1693, (...)
7Thomas Souèges (1633-1698), dans le volume de L’Année dominicaine paru en 169312, n’ignore pas qu’aucun auteur du XIIIe siècle ne montre Dominique marchant, le crucifix à la main, à la tête de l’armée du comte de Montfort, ni non plus ne traite du miracle préservant le crucifix de l’impact des flèches.
Ce silence, réplique-t-il à la critique de Catel, est néanmoins bien loin de préjudicier à notre tradition, qui est que la croix – que nous conservons encore avec son crucifix fort respectueusement au couvent de l’Inquisition de Toulouse, où on la voit percée de plusieurs flèches sans que pas une touche le corps du Sauveur – est la même que Notre Père . Saint . Dominique portait en cette bataille. […] Car après tout c’est hors de doute que cette croix se trouve et se voit telle que nous avons dit : ce l’est donc aussi par conséquent qu’elle a été percée de plusieurs flèches par les ennemis de la croix en quelque bataille. Pas un auteur ne dit en quelle, ni à qui cela est arrivé, et nous avons une tradition immémoriale que c’est à Notre Père . Saint . Dominique dans la bataille de Muret, sans qu’on y puisse objecter autre chose que ce qu’on pourrait opposer à quelque autre qu’on en fît auteur, savoir que personne n’en a rien dit, donc cette tradition doit être censée véritable. […] Ce crucifix que nous gardons est une démonstration historique contre toutes les conjectures qu’on aurait pu former de la piété et de la dévotion de Notre Père . Saint . Dominique pour le faire rester dans l’église de Muret avec les autres.
- 13 L’argumentation censée historique de Jean-Jacques Percin, Monumenta conventus Tolosani ord (...)
- 14 Souèges, p. 244. À présent, une inscription, aux pieds du crucifix, rappelle le texte allé (...)
8Ensuite Souèges cite Percin (1623-1711), l’historien des Jacobins de Toulouse13, qui croyait avoir trouvé un argument décisif dans le cartulaire des preuves de noblesse de l’illustre maison de Niort « pour appuyer l’action généreuse de N.P.S.D. avec sa croix, qu’il conserva toujours depuis, et qu’il mit dans le première maison de Toulouse »14.
3. La critique historique d’une légende
- 15 Dominicains méridionaux au nombre desquels il faut encore ajouter Jean Benoist (1632-1705) (...)
9Or, chez les Dominicains, autant les Méridionaux15 demeurent convaincus de l’authenticité du crucifix vénéré à la maison de l’Inquisition, autant les Parisiens se montrent dubitatifs.
- 16 Jacques Échard, Scriptores Ordinis Praedicatorum, Paris, 1719, t. I, p. 1. Le tome I s’ouv (...)
- 17 Échard, t. I, p. 10, annotation V.
10L’historien Jacques Échard (1644-1724), du couvent de l’Annonciation de Paris, qui avait reçu en 1698 la charge de mener à son achèvement l’histoire littéraire de l’Ordre entreprise par son confrère Jacques Quétif, déclare que personne n’a fourni jusqu’à présent une chronologie assurée de la vie de saint Dominique, tandis que certains ont entaché sa biographie de fables à éliminer16. En ce qui concerne la bataille de Muret, Échard, sans mettre en question la crédibilité de Bernard Gui, souligne qu’en ce temps-là, on ignorait tout de Dominique brandissant à la bataille ce crucifix miraculeux que conservent et montrent les dominicains de Toulouse. Comme Bernard Gui a été inquisiteur de Toulouse de 1308 à 1322, s’il avait eu connaissance de cet événement, il en aurait entretenu le souvenir, alors qu’il insiste pour montrer Dominique priant dans l’église avec les évêques pendant que la bataille se déroulait hors de la ville. Déjà, poursuit Échard, Jacques Quétif, qui avait vu cette croix à Toulouse, estimait la légende sans fondement pour la même raison qu’elle est ignorée de tous les auteurs anciens17.
- 18 Estevao de Sampayo, Thesaurus ascanus lusanis gemmis refulgens…, Paris, 1586, dans la dern (...)
11Ainsi donc la preuve par la tradition ne semble pas décisive, puisque, dans l’état actuel de notre information, la plus ancienne attestation de la présence à Toulouse du crucifix de saint Dominique est celle du dominicain portugais Sampayo publiée en 158618.
- 19 Deux sont visibles sur le cliché de Maurice Prin, antérieur à la restauration par Maimpont (...)
- 20 Hormis le médaillon gravé par Jacques Simonin, aucune autre représentation n’a été conserv (...)
- 21 H.-D. Saffrey, Humanisme et imagerie aux XVe et XVIe siècles, Études iconologiques et bibl (...)
12Reste la preuve par la relique. Pour nous, aujourd’hui, elle n’est pas mieux fondée, car le traitement stylistique du corps crucifié, soit par la posture du corps dressé droit, bras largement étendus, soit par la figuration de la musculature, du visage, des mèches de la chevelure, soit par les plis du perizonium, ne permettent pas de dater le crucifix plus haut que le XVe siècle. Quant aux pointes de flèches encore fichées dans le bois de la croix qui pouvaient à tout le moins évoquer le souvenir de la bataille de Muret si elles n’en provenaient pas, une restauration calamiteuse en 1961 les a supprimées comme ferrailles inutiles19. Force est de conclure que la relique a donné naissance à une légende étiologique. Peut-être par l’intermédiaire de l’iconographie de saint Dominique20, telle qu’elle est représentée par les estampes du XVe siècle publiées par H.-D. Saffrey, où l’on voit le saint en pied tenant de la main droite une grande croix nue, emblème de la prédication apostolique21.
4. La signification d’une légende
- 22 B. Montagnes, Sébastien Michaelis et la réforme d’Occitanie (1594-1647), Rome, Istituto St (...)
- 23 J’ai publié ce document dans Archivum Fratrum Praedicatorum 50 (1980), pp. 273-305 (citati (...)
13Selon le rapport (en latin) que Sébastien Michaelis, chef de file de la réforme méridionale, mieuxvaut dire de la réforme toulousaine22, adresse le 16 novembre 1607 au maître de l’Ordre Jérôme Xavierre sur les souvenirs historiques des couvents du Midi ralliés à la réforme23 :
- 24 Au cours de la bataille, le porteur du labarum était épargné par les javelots qui frappaie (...)
À Toulouse, en la maison de l’Inquisition, on conserve pieusement le crucifix en bois que S. Dominique brandissait de ses mains en tête des troupes à Muret. Dans cette bataille cent mille albigeois ont été massacrés par vingt-cinq mille catholiques conduits par le comte de Montfort. Le bois de croix est vermoulu, percé de nombreuses flèches de tous côtés, mais le crucifix, comme son porteur, est demeuré intact – par un prodige comparable à celui que raconte Eusèbe dans la Vie de Constantin24 – afin que les incrédules d’aujourd’hui ne doutent plus.
14Pareille relecture de la bataille de Muret le 12 septembre 1213, en fonction de l’actualité historique de Toulouse en 1607 (hodierni increduli), mais aussi en fonction de la bataille du pont Milvius en 312 (Eusebius, de Vita Constantini), permet de décrypter la signification d’une légende.
151. Michaelis donne, pour les effectifs engagés dans la bataille de Muret, des nombres énormes, les 100 000 Albigeois que l’on retrouve pareillement chez Rechac, alors que Pierre des Vaux-de-Cernay parle, pour les pertes des méridionaux vaincus, de 15 000 à 20000 hommes, et que les historiens tiennent ce chiffre avancé par un contemporain pour très probablement exagéré. Dès lors, la bataille de Muret prend les proportions d’un combat apocalyptique de la minorité des bons catholiques contre la majorité des méchants hérétiques.
- 25 Thème souligné par Percin, Monumenta conventus Tolosani : Dominique était présent aux comb (...)
162. Cette amplification fabuleuse du combat du David catholique contre le Goliath albigeois justifie la comparaison de la victoire de Simon de Montfort à la bataille de Muret avec la victoire de Constantin à la bataille du pont Milvius, deux victoires aussi décisives l’une que l’autre par leurs conséquences pour la cause catholique. Or ces deux triomphes ont été remportés sous le signe de la croix glorieuse, le crucifix intact que brandissait Dominique équivalant à la croix lumineuse qu’avait aperçue Constantin : In hoc signo vinces25.
- 26 Sur la lecture actualisée de l’Histoire albigeoise à Toulouse au XVIe siècle, voir M.-H. V(...)
173. En conséquence, pour l’aujourd’hui de Michaelis, les incrédules d’à présent, entendez les huguenots iconoclastes dressés contre les catholiques romains comme les albigeois hérétiques de jadis, devraient être convaincus de leur erreur par cette preuve apologétique26. Le choc des huguenots du XVIe siècle provoque chez nos dominicains le même effet que celui des bonshommes du XIIIe siècle chez saint Dominique. Dès lors s’ouvre, comme jadis, l’ère de la reconquête apostolique, Dominique demeurant en tête de la troupe des siens. Aucune remarque critique ne peut offusquer une telle représentation si chargée de sens.
II. Les Toulousains convertis par la prédication du Rosaire
1. La légende toulousaine
- 27 Opus vere aureum B. Alani Rupensis Ordinis Praedicatorum De Ortu et Progressu Psalterii Ch (...)
18La légende de Dominique convertissant les Toulousains par le rosaire n’a pas d’autre source que le récit du dominicain breton Alain de la Roche (1428- 1475)27, dont la même version, plus ou moins développée, se retrouve trois fois dans la littérature des Prêcheurs au XVIIe siècle :
191. En 1646 chez Jean de Giffre de Rechac, qui lui consacre dans la Vie de S. Dominique trois chapitres, XXVIII, XXIX et XXX, qui occupent les pages 167- 174.
- 28 J.-V. Bernard, O.P., [Le] Triple rosaire augmenté, sçavoir, le grand rosaire, le perpetuel (...)
202. En 1676 chez Jean-Vincent Bernard28, dit Bernard du Rosaire, dans le Triple rosaire augmenté, où, après un prologue dédié aux capitouls de 1675 et intitulé « Conversion des Toulousains par N.-D. du Saint Rosaire et la prédication de saint Dominique », vient le récit en quatorze pages de la « Conversion des Toulousains par N.-D. du saint Rosaire et la prédication de saint Dominique, que les anges sonnèrent au clocher de l’église cathédrale Saint-Étienne en l’an 1214 ».
213. En 1693, chez Jean-Jacques Percin, dans les Monumenta conventus Tolosani, en deux colonnes in-folio d’une typographie compacte (p. 12-13, n° 14).
- 29 L’Année dominicaine, août II, Amiens, 1696, Préface contenant en abrégé l’histoire de la P (...)
- 30 Sur l’histoire de la dévotion du Rosaire et de l’organisation de la confrérie, voir l’étud (...)
- 31 Selon les documents dont disposait J. J. Percin, Monumenta conventus Tolosani, Toulouse, 1 (...)
- 32 Pourtant, encore en 1883, dans un article de la Semaine catholique de Toulouse (d’après la (...)
22En revanche ce récit est absent, dès 1693, chez Thomas Souèges, fidèle en cela à la proclamation qu’il mettra dans sa préface de 169629: « J’aime mieux en dire moins que d’écrire des choses fausses ou apocryphes ». Quand on sait que la confrérie du Rosaire30, propagée par Alain de la Roche, date du dernier tiers du XVe siècle et que celle de Toulouse est née au couvent des Jacobins en 149231, on voit de quel anachronisme est entachée la légende de la conversion des Toulousains par le rosaire32.
- 33 Photographie de ce monument dans la Revue du Rosaire, mai 1990, p. 21. Le fut de la croix (...)
- 34 J’ai publié le seul document découvert mentionnant ce chêne dans Mémoires de la Société ar (...)
23En outre, dans le récit commun, ni la forêt proche de Toulouse où se retire Dominique, ni l’église de la paroisse principale où prêche Dominique ne sont nommées, Alain de la Roche ignorant leur désignation. La seule exception se trouve dans le titre de l’édition toulousaine de Jean-Vincent Bernard, qui mentionne la cathédrale Saint-Étienne. Quant à la désignation de la forêt de Bouconne, au vrai la seule proche de Toulouse, elle n’est attestée que par un ancien toponyme représenté à présent par la « croix de Saint-Dominique », petit monument qui semble de la première moitié du XIXe siècle33. Cette croix a peut-être pris la relève du « chêne de Saint-Dominique » (au pied duquel Dominique aurait prêché), abattu durant la Révolution34.
2. Le contenu de la légende
24Que dit la légende ? À la suite de la victoire des croisés à Muret, la ville de Toulouse rouvre ses portes aux catholiques en 1214. Dominique s’en vient prêcher aux Toulousains, mais sans vaincre leur hostilité et sans obtenir le moindre succès. Découragé, il se retire au plus épais d’une forêt proche de la ville. Là, durant trois jours, il se livre à la prière et à la pénitence, en se flagellant jusqu’au sang. La Vierge lui apparaît pour le secourir, elle est accompagnée de trois princesses (qui représentent la puissance du Père, la sagesse du Fils, la clémence de l’Esprit) et de cent-cinquante autres demoiselles, elles-mêmes divisées en trois compagnies de cinquante chacune, soit autant que le rosaire compte de grains, de divisions et de subdivisions. La Vierge guérit Dominique de ses meurtrissures, elle le réconforte et l’allaite, puis lui apprend que par le rosaire il viendra à bout de l’obstination des Toulousains.
25Dominique retourne alors à Toulouse. Lorsqu’il entre en ville, les cloches de la paroisse principale s’ébranlent, actionnées par les anges. Le peuple accourt pour entendre le prédicateur. Un orage d’une violence terrifiante qui éclate à ce moment-là jette les auditeurs dans l’épouvante et les incite au repentir. Ils se rendent à l’orateur, embrassent la dévotion du rosaire, s’enrôlent dans la confrérie et convertissent leur manière de vivre.
3. Les images de la légende
- 35 Jean Nys, Vita et miracula S. Patris Dominici Praedicatorii ordinis primi institutoris, fi (...)
26Trois graveurs ont représenté Dominique prêchant le rosaire. Tout d’abord, au début du XVIIe siècle, Théodore Galle, en 1611, pour la vie de Dominique en images publiée par le dominicain anversois Jean Nys35. Marie assise dans la gloire céleste tend un rosaire à Dominique agenouillé. Derrière Dominique le paysage (une colline, deux arbres) suggère la localisation de la scène en forêt. À gauche, à l’arrière-plan, Dominique en chaire prêche à un auditoire assis sur les bancs d’une église, auditoire dont la foule comprend un prince à la couronne, un pontife à la tiare, un prélat à la mitre, comme dans l’iconographie habituelle du Rosaire. Telle qu’elle est représentée, la scène rappelle les grandes lignes du récit d’Alain de la Roche, sans rien de particulièrement toulousain. Le texte d’accompagnement explique : « Par révélation et commandement de la Mère de Dieu, saint Dominique a institué la confrérie du saint Rosaire, avec quinze méditations de la vie de notre Sauveur Jésus-Christ et de sa bienheureuse Mère […]. Et ceci est confirmé par maints miracles, et approuvé et doté de privilèges par plusieurs papes, et est à bon droit nommé le bien héréditaire des Prêcheurs ».
- 36 J’ai publié sa gravure dans Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, tom (...)
27Michel Beaujean36, en 1676, pour le Triple rosaire de Jean-Vincent Bernard, représente ainsi la scène toulousaine : à droite, Dominique est en chaire dans la cathédrale, un immense rosaire à la main gauche ; en face de lui, au premier rang du public, les capitouls de l’an 1675 (comme le rappelle l’inscription placée devant eux) siègent à leur banc ; au-dessus de Dominique, les anges sonnent la cloche à la volée, tandis qu’en haut à gauche, la Vierge suivie d’une sainte cohorte apparaît au prédicateur, lui tendant un rosaire et lui enjoignant (dans un phylactère) : « Prêche mon Rosaire aux Toulousains ». Au bas de la gravure, l’inscription explique : « La conversion des Toulouzains par nostre D.du St Rosaire et la prédication de St Dominique, que les Anges sonerent [sic] au Clocher de l’Église St Estienne, suivie d’une procession d’action de grâces l’an 1214 ».
- 37 J’ai publié sa gravure dans Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, tom (...)
28Jacques Simonin37, vers 1690, pour le diplôme de la confrérie, dans la cadre restreint d’un médaillon, a simplifié la scène de Toulouse, dont il reste Dominique en chaire devant son auditoire et brandissant un immense rosaire, pendant que les anges manœuvrent la cloche.
4. Signification de la légende
29Légende hagiographique, sans nul doute, mais qui n’est pas dépourvue de sens historique. Pour les dominicains de Toulouse, les Albigeois de jadis deviennent les huguenots d’aujourd’hui : la légende de saint Dominique se lit au présent. Les Frères Prêcheurs du XVIIe siècle projettent leur propre situation sur la figure de leur fondateur. Après les guerres de religion, après les périls que l’Église a courus, alors que les catholiques sont engagés dans un immense effort de reconstruction matérielle et spirituelle, les dominicains de Toulouse participent activement au combat de la reconquête catholique. La prédication du rosaire conserve la même efficacité pour convertir les hérétiques d’aujourd’hui que ceux du XIIIe siècle. Aussi les frères, tant pour fortifier les catholiques que pour ramener les dissidents, vont implanter méthodiquement la confrérie dans toutes les paroisses rurales de la région. Jean-Vincent Bernard, en 1676, ne présente pas autrement l’épisode. La croisade de la prière s’avère plus efficace que la croisade des armes : pour appuyer la parole de Dieu, saint Dominique n’a d’autres armes que le crucifix et le rosaire. « Cette dévotion de la sainte Vierge a plus fait que toutes les controverses, disputes et miracles, même que la croisade, en tête de laquelle, comme généralissime de la milice de Jésus-Christ, Dominique animait le combat avec le crucifix que vous reverrez aujourd’hui dans notre église de l’Inquisition ».
30Les représentations iconographiques comme les récits hagiographiques font du rosaire le trait d’union entre la Mère de Dieu et le père des Prêcheurs. On ne prétend pas représenter ainsi une scène historique mais une investiture symbolique : l’Ordre des Prêcheurs reçoit dans le rosaire autant une arme pacifique d’évangélisation qu’un instrument populaire de prière. La vérité de l’histoire ne contredit pas la vérité du symbole : en ces images, la figure de saint Dominique, la mission apostolique de l’Ordre, la dévotion filiale des Prêcheurs à Marie s’y traduisent en toute vérité.
III. Le « miracle du feu » réitéré à Toulouse (13 janvier 1659)
1. Le récit du miracle
31Ce récit d’un miracle survenu à la Visitation de Toulouse le 13 janvier 1659 est connu par le procès-verbal qu’en a dressé, le 26 août suivant, le vicaire général Dufour, procès-verbal dont le texte a été publié à Toulouse par deux auteurs dominicains. D’abord en 1676, Jean-Vincent Bernard, Rosier Mystique, 2e partie, p. 4, dédié « À Madame, Madame Élisabeth Angélique Fouquet, supérieure [de 1674 à 1680] du Monastère de la Visitation de Tolose », dédicace suivie du récit intitulé « Merveille d’une image du S. Rosaire, de simple papier, laquelle n’a pas bruslé dans les flammes ». Ensuite en 1693, Jean Jacques Percin, Monumenta conventus Tolosani, Rosarium, Pars III, c. VI, p. 129 : Imago flammis injecta et ab igne intacta.
- 38 C. Douais, La Visitation de Toulouse, Études, souvenirs documents, Paris, Poussielgue, 190 (...)
32En 1905, l’historien Célestin Douais38, relate ainsi l’événement. La sœur domestique Françoise-Gabrielle de Bories était attachée au service de la cuisine, quand, le 13 janvier 1659, avant de se rendre à la messe, elle jeta au feu une vieille image de N.-D. du Rosaire « collée sur une mauvaise planche et toute tachée d’huile ». Mais à son retour de la chapelle où elle était restée longtemps, elle trouva l’image « intacte au milieu des flammes qui formaient tout autour une voûte de feu » ; sans se brûler, elle put la retirer en criant : Miracle ! Miracle !
- 39 Année sainte, III, p. 634-636. Texte cité par Douais.
33Les vicaires généraux, en l’absence de l’archevêque, firent les constatations nécessaires, « attestèrent l’évidence du prodige » et en dressèrent procès-verbal. On crut au miracle. La sainte image était un peu l’événement de la ville. Dès lors l’image fut proposée à la dévotion des fidèles. C’est ainsi qu’elle fut vénérée par Anne d’Autriche lorsque la reine-mère séjourna à Toulouse, à l’occasion du mariage de Louis XIV, à l’automne 1659. L’image était placée dans le chœur et la reine-mère pria très dévotement devant le tableau miraculeux dont on lui avait raconté les merveilles. On attribua plus tard à cette image d’autres miracles de guérison ou de protection. Ce qui est certain, c’est que « ce tableau de N.-D. du Rosaire devint pour le monastère un précieux gage de la protection de la Sainte Vierge »39. C’est à ce titre qu’il la conserva et la conserve encore.
2. Description de la relique
- 40 Pour étudier l’image originale, je dispose d’une photographie prise par Jean Dieuzaide à l (...)
34L’image dont il est question était conservée depuis 1659 dans un reliquaire à Toulouse, au monastère de la Visitation (dans le quartier Saint-Sernin avant la Révolution, rue de la Dalbade après le Concordat). Depuis la fermeture de ce monastère en 1984, le reliquaire se trouve au monastère de la Visitation d’Annecy. Avant la seconde guerre mondiale, les Visitandines de Toulouse diffusaient un feuillet de quatre pages, imprimé en 1935, qui portait le texte de l’attestation authentique du miracle de 1659. Ce feuillet était accompagné d’une photographie du reliquaire40.
35L’objet si pieusement conservé depuis le XVIIe siècle est un panneau de bois, large de 312 mm, haut de 276 mm, au revers duquel se voient des traces de brûlures et une banderole ancienne sur laquelle est écrit : « Cette image a esté miraculeusement préservée dans un grand feu le 13 Ianvier [1659 ajouté] ».
36De face, est collée sur le panneau la partie conservée d’une image ancienne de la confrérie du Rosaire de Toulouse, intitulée Litanies et oraisons / qui se chantent à la procession / du sacré Rosaire de la Vierge.
37Au centre, encadrée par le texte des litanies disposé en deux colonnes (la première colonne, à gauche, porte de nouveau le titre Litanies de / Nostre Dame / du Rosaire), figure l’image de la Vierge à l’enfant donnant le Rosaire à saint Dominique et à sainte Catherine de Sienne. Dans le bas, 40 mm sont occultés par la copie de l’inscription ancienne, mais les lacunes du texte des litanies révèlent qu’un quart environ de la feuille originale n’était déjà pas conservé en 1676. De sorte que la partie à présent visible de l’image du Rosaire se réduit à un rectangle de 197 mm de large sur 169 mm de haut.
38La Vierge s’inscrit dans un nimbe formé d’un rosaire auquel s’entrelace le feuillage et la floraison d’un rosier (les roses ponctuent chaque dizaine). Ce rosaire est lui-même environné d’angelots, et du rosaire émanent en direction du centre des rayons lumineux. Au centre, se dresse la Vierge, le front ceint de la couronne princière ; elle se tient debout sur un croissant de lune comme la femme de l’Apocalypse (Ap 12, 1) ; elle porte l’enfant Jésus sur le bras gauche. Inclinée vers saint Dominique à sa droite, de la main droite elle lui remet un chapelet auquel est suspendue une croix. De son côté, l’enfant Jésus, la main droite tendue, index dressé, vers le visage de la Vierge, se penche à gauche vers sainte Catherine de Sienne, à laquelle il remet un chapelet identique.
- 41 Ceci, qui est le trait le plus original de notre image, fait penser à l’iconographie de Ca (...)
39Voilà, en somme, une représentation classique de Notre-Dame du Rosaire. De Dominique, on aperçoit l’auréole qui flotte au-dessus de sa tête et le lys emblématique qui semble posé sur son épaule (mais qu’il devait, sur la partie manquante de l’image, tenir de la main droite), tandis qu’il reçoit le rosaire de la gauche. Catherine de Sienne, couronnée d’épines, lève la main droite pour recevoir le rosaire, tandis que, de la gauche, elle tient une croix de dimensions impressionnantes41.
- 42 Toulouse, Bibliothèque universitaire de l’Arsenal, RESP, PF XVII, 459.
40Le formulaire des litanies de la Vierge, tout en comprenant les invocations des litanies dites de Lorette, s’apparente par les supplications Te rogamus audi nos au style des litanies des saints. Ces litanies, ne se trouvent que dans le livre de prière de la confrérie du Rosaire de Toulouse intitulé Le sacré Rosaire de la très-sainte Vierge, Et la manière ordinaire dont les confrères le disent dans leurs Congrégations, Toulouse, B. Guillemette imprimeur, joignant l’Église S. Rome, 168842. Ce volume contient, p. 85-93, les litanies de la Vierge et les prières qu’on dit avant de finir la réunion de la confrérie. Cependant la version des litanies sur notre image présente quelques invocations supplémentaires.
41Reste une dernière question, celle de la date, antérieure au 13 janvier 1659. Le seul indice disponible est l’invocation pro rege nostro Ludovico, qui fait penser, compte tenu du caractère archaïque de l’image, aux débuts du règne de Louis XIII, donc après 1610.
42Quant à l’auteur, l’image complète en portait peut-être la mention dans le bas, mais, à moins de découvrir par bonne fortune un autre exemplaire, cette identification est perdue à jamais.
3. L’ordalie par le feu, comme au temps de saint Dominique
43Lorsqu’à Toulouse, en 1659, une image du Rosaire a été préservée des flammes, les contemporains n’ont pas manqué d’y voir une réitération du prodige de Fanjeaux. La gravure de Michel Beaujean représente l’image dans les flammes. La Vierge à l’enfant est encadrée à sa droite de S. François de Sales et derrière lui de la mère Fouquet, s’exprimant dans un phylactère : « Je vous promets de dire le rosaire » ; à sa gauche de S. Dominique, à qui la Vierge ordonne : « Prêche le rosaire aux Toulousains », reliant ainsi le présent épisode au précédent. Sous l’image, un sixain en explicite le sens :
Le feu qui dans Fangeaux, pour destruire l’erreur,
Autre fois n’eut de chaud qu’à brûler l’hérésie,
En nos jours à Toulouse, aux filles de Marie,
Pour consoler leur âme et embrazer leur cœur,
Au milieu de son sein, dedans leur monastère,
Conserve sans brûler l’image du Rosaire.
44Une autre image, plus sommaire, est celle qui figure dans le médaillon gravé par Jacques Simonin vers 1690.
45Or au XIIIe siècle l’épreuve par le feu, à Fanjeaux ou à Montréal, constitue une vérification judiciaire de la vérité de l’enseignement de Dominique, dont l’écrit est préservé des flammes tandis que celui des hérétiques est consumé par elles. Devant les contestations religieuses qui se sont élevées au XVIe siècle touchant les enseignements et les dévotions des catholiques romains, le miracle du feu devient un démenti d’En Haut aux négations des huguenots, une confirmation céleste des positions des Frères Prêcheurs. L’histoire de la reconquête catholique sur les Albigeois de jadis recommence face aux hérétiques d’aujourd’hui, appuyée à présent comme jadis sur des signes cohérents, ne dubitent hodierni increduli, ainsi que l’écrivait Michaelis.
- 43 Le rosaire a accompagné, en 1628, la délivrance de La Rochelle, demeurée jusqu’alors place (...)
46Ainsi les trois miracles – qu’on les dise de Dominique ou du Rosaire, cela revient au même – s’inscrivent dans une perspective unique, celle du combat contre les ennemis de la foi catholique. Le rosaire de Dominique en est l’arme spirituelle, victorieuse naguère des Ottomans à Lépante en 1571, mais déjà des albigeois à Muret en 1213, et à présent des huguenots à La Rochelle en 162843. La Vierge, qui inspire l’action apostolique de Dominique, demeure victorieuse de toutes les hérésies. Aussi les flammes ne peuvent-elles détruire son image et, dans la partie encore intacte de ses litanies, est-elle invoquée comme celle qui obtient par son intercession l’anéantissement des hérétiques et des ennemis de la foi : ut haereticorum et inimicorum nostrorum humiliationem impetrare digneris, te rogamus audi nos. En comparaison d’un pareil enjeu, les remarques de la critique historique quant à la réalité des événements ne faisaient pas le poids. Elles n’avaient pas de quoi troubler l’engagement personnel de ces militants de la cause catholique qu’étaient les dominicains méridionaux du XVIIe siècle dont les récits des miracles toulousains nous révèlent les convictions inébranlables.
Notes
1 Pour le cadre général, voir B. Montagnes, « L’historiographie de saint Dominique en pays toulousain de Rechac à Touron (1640-1740) », dans L’ordre des Prêcheurs et son histoire en France méridionale, Cahiers de Fanjeaux 36, Toulouse, Privat, 2001, pp. 447-478.
2 B. Montagnes, « Un diplôme de la confrérie du Rosaire au Musée Paul-Dupuy de Toulouse », dans Mélanges de la Société archéologique du Midi de la France 56 (1996), pp. 215-224.
3 M.-H. Vicaire, avec la collaboration de Maurice Prin, « Bernard Gui, saint Dominique à Muret et le crucifix criblé de flèches », dans Bernard Gui et son monde, Cahiers de Fanjeaux 36, Toulouse, Privat, 1981, pp. 243-250. Reproduit (sans toutefois les indispensables planches 6 et 7 de la première version) dans M.-H. Vicaire, Les Prêcheurs et le vie religieuse des Pays d’Oc au XIIIe siècle, Toulouse, Privat, 1998, pp. 271-275.
4 Le P. François Balme, dans son Cartulaire ou histoire diplomatique de saint Dominique, pièce XXXVI, publiée dans l’Année dominicaine, juillet 1892, p. 289-293, puis dans le Cartulaire, t. I (1893), pp. 416-428, conserve le texte de Bernard Gui. Cependant, dans sa correspondance de 1892 avec l’abbé Lestrade, il conteste l’authenticité du crucifix de saint Dominique. ADHG, Br 8°, 1094, petit dossier constitué par l’abbé Lestrade.
5 Vie du glorieux patriarche S. Dominique, Préface, p. 6.
6 A. Duval, dans Catholicisme, t. XII, col. 559.
7 A. Duval, dans Dictionnaire de Spiritualité, t. XII, col. 210.
8 Rechac, chapitre 26, Dominique à la bataille de Muret, p. 164.
9 Rechac, chapitre 27, Le crucifix de S. Dominique, percé de flèches de tous côtés, ne fut jamais touché en la figure de Jésus Christ. p. 165.
10 Cet argument de Rechac est fallacieux. Selon Jules Chalande, Histoire des rues de Toulouse, Toulouse, Douladoure, 1912, I, p. 31, vers 1550 la rue du Salin, devant la maison de l’Inquisition, s’appelait rue du Crucifix ou rue du Saint-Crucifix du Salin pour une raison différente. « Ce nom de rue ou place du Saint-Crucifix qu’on donnait à ce carrefour lui venait d’un oratoire appelé Oratoire du Crucifix ou Oratoire du Salin qui était à l’entrée de la place du Salin et qui abritait un crucifix très renommé pour ses miracles. Vers 1530, l’oratoire fut démoli pour dégager la place et le crucifix transporté à la Dalbade dans la petite chapelle sur la rue, à gauche de l’église ».
11 Rechac, L’Inquisition de Toulouse, second couvent des frères Prêcheurs dans la ville, pp. 676- 677.
12 Th. Souèges, « La vie du glorieux patriarche saint Dominique », AD, août 1, Amiens, 1693, pp.242-243.
13 L’argumentation censée historique de Jean-Jacques Percin, Monumenta conventus Tolosani ordinis FF. Praedicatorum primi […], Toulouse, J. et G. Pech, 1693, 1 vol. in-fol., est reprise telle quelle et sans aucune réserve dans un article anonyme, « Le Crucifix de S. Dominique à la basilique S. Sernin » de la Semaine catholique de Toulouse, 16 juin 1878, pp. 595-598. François Balme, dans une note manuscrite de deux pages adressée à l’abbé Lestrade, critique cet article point par point.
14 Souèges, p. 244. À présent, une inscription, aux pieds du crucifix, rappelle le texte allégué par Percin : « Sos le conduc del brave comte de Montfort, general de la guerra, marescah eran Guy de Levis, Lambé Turi, Pey Voisin, Oto Nirot et Fray Domeng ab la santa crou. L’inscription ci-dessus a été prise dans un cartulaire du XIIIe siècle, qui a servi, à Montpellier, à constater la noblesse de ces familles : examen fait par M. Tamisier, commissaire royal pour la noblesse, 16 octobre 1647 ».
15 Dominicains méridionaux au nombre desquels il faut encore ajouter Jean Benoist (1632-1705), Suite de l’histoire des Albigeois contenant la vie de saint Dominique, patriarche de l’Ordre des FF. Précheurs, et les services importans que son Ordre a rendus à l’Église pour l’extirpation des Hérésies, Toulouse, J. et G. Pech, 1693, pp. 82-84 : « La plus part des historiens ont assuré que ce fut dans le combat que le crucifix, que S. Dominique portoit pour toutes armes, fut percé de flèches qu’on y voit encore. […] Le même crucifix à la main, que nous conservons dans l’église de l’Inquisition de Toulouse comme un monument non moins précieux de cette fameuse victoire, que l’étendart d’Aragon que Simon arracha des mains du roi d’Aragon pendant la bataille et qu’il envoya au pape Innocent III pour être arboré, comme il fut, dans l’église de Saint-Pierre ».
16 Jacques Échard, Scriptores Ordinis Praedicatorum, Paris, 1719, t. I, p. 1. Le tome I s’ouvre par un article consacré à saint Dominique (p. 1-89), recueil de documents historiques (accompagnés d’annotations critiques), suivi de quatre dissertations touchant quelques points plus importants de la vie ou de l’œuvre du saint. Pour cet ensemble, Échard a repris et complété le dossier laissé par Quétif.
17 Échard, t. I, p. 10, annotation V.
18 Estevao de Sampayo, Thesaurus ascanus lusanis gemmis refulgens…, Paris, 1586, dans la dernière partie intitulée Stemmata ordinis praedicatorum, texte allégué par Percin et traduit dans la Semaine catholique de Toulouse, 16 juin 1878, « Le crucifix de S. Dominique à la basilique S.Sernin », p. 597 : « Cette même image, percée de plusieurs flèches, est encore aujourd’hui conservée avec respect à Toulouse, dans l’antique oratoire, qui est situé auprès du château Narbonnais, et où nos frères habitaient avant la confirmation de l’Ordre ».
19 Deux sont visibles sur le cliché de Maurice Prin, antérieur à la restauration par Maimponte, publié dans Cahiers de Fanjeaux 36, planche 7.
20 Hormis le médaillon gravé par Jacques Simonin, aucune autre représentation n’a été conservée à Toulouse, mais Percin décrit deux peintures anciennes, visibles de son temps, une à Muret, l’autre à Toulouse, où Dominique tenait le crucifix criblé de flèches. J. J. Percin, Monumenta conventus Tolosani Ordinis Praedicatorum, Toulouse, 1693, p. 12, n° 12 et 13.
21 H.-D. Saffrey, Humanisme et imagerie aux XVe et XVIe siècles, Études iconologiques et bibliographiques, Paris, Vrin, 2003, p. 27 et 34 pour des images populaires à Venise, p. 75 pour une image flamande ou hollandaise, datée de la décennie 1480-1490. Qui dira l’influence que de pareilles images ont pu exercer ?
22 B. Montagnes, Sébastien Michaelis et la réforme d’Occitanie (1594-1647), Rome, Istituto Storico Domenicano, 1984. Michaelis a été prieur des Jacobins de Toulouse d’avril 1599 à juillet 1605. En 1607, il est prieur de Saint-Maximin. En 1608, les couvents réformés du Midi seront érigés en congrégation autonome, et Michaelis placé à la tête en qualité de vicaire.
23 J’ai publié ce document dans Archivum Fratrum Praedicatorum 50 (1980), pp. 273-305 (citation p. 285).
24 Au cours de la bataille, le porteur du labarum était épargné par les javelots qui frappaient pourtant la hampe.
25 Thème souligné par Percin, Monumenta conventus Tolosani : Dominique était présent aux combats menés par Simon de Montfort sustentatus a Christo dum ejus imaginem ipse sustentaret, elevaret ut vexillum, militibusque benediceret in hoc signo vincentibus (p. 11, n° 9) ; quam [crucem] erectam tenens ambabus manibus S. Dominicus tanquam signum in quo vincendum erat (p. 11, n° 10).
26 Sur la lecture actualisée de l’Histoire albigeoise à Toulouse au XVIe siècle, voir M.-H. Vicaire, « Les Albigeois, ancêtres des protestants ? Assimilations catholiques », CF 14, pp. 23-46, reproduit dans Les Prêcheurs et la vie religieuse des Pays d’Oc au XIIIe siècle, Toulouse, Privat, 1998, pp. 393-405.
27 Opus vere aureum B. Alani Rupensis Ordinis Praedicatorum De Ortu et Progressu Psalterii Christi et Mariae seu Sacratissimi Rosarii, Imola, 1847, Pars secunda, caput III, Historia, pp. 51-54.
28 J.-V. Bernard, O.P., [Le] Triple rosaire augmenté, sçavoir, le grand rosaire, le perpetuel et le quotidien...[suivi de] Rosier mystique ou cent cinquante roses mystiques...[suivi de] la triple oraison mentale...[suivi de] Quinze secrets de la vie spirituelle...[suivi de] Les quinze vertus du S. Rosaire..., Toulouse, par Bernard Bosc, 1676.
29 L’Année dominicaine, août II, Amiens, 1696, Préface contenant en abrégé l’histoire de la Province de Toulouse, p. V.
30 Sur l’histoire de la dévotion du Rosaire et de l’organisation de la confrérie, voir l’étude la mieux documentée d’A. Duval, « Rosaire », dans Dictionnaire de spiritualité, 13, col. 937-980.
31 Selon les documents dont disposait J. J. Percin, Monumenta conventus Tolosani, Toulouse, 1693, elle avait été introduite (rétablie selon Percin) à Toulouse en 1492 depuis Venise par un dominicain piémontais du couvent de Saluces. La confrérie toulousaine faisait donc partie de la première vague d’implantation avant la fin du XVe siècle.
32 Pourtant, encore en 1883, dans un article de la Semaine catholique de Toulouse (d’après la Semaine religieuse de Cambrai) consacré à l’histoire du Rosaire, revient le récit de la vision de Dominique « dans une forêt proche de Toulouse » et de la prédication de Dominique aux Toulousains « à Saint-Romain ». Semaine catholique de Toulouse, 30 septembre 1883, pp. 940-944.
33 Photographie de ce monument dans la Revue du Rosaire, mai 1990, p. 21. Le fut de la croix portait une inscription, à présent disparue, dont le texte a été publié dans M.-D. Constant, Sur les pas de Saint Dominique en France, Paris, Librairie Dominicaine, 1926, p. 274. « Ici a prêché saint Dominique. Un jour ce grand saint répandant des larmes et des prières au sein de la forêt fut favorisé d’une vision céleste : la Mère de Dieu lui apparut, accompagnée de plusieurs vierges, et lui adressa ces mots : “Mon fils, prêchez mon psautier”. Ce psautier n’était autre chose que le Rosaire, auquel le saint patriarche donna une forme nouvelle. » Un exemplaire du livre de M.-D. Constant contient cette note marginale manuscrite : « En forêt de Bouconne, une croix a été restaurée – à l’initiative du couvent Saint-Romain de Toulouse – et bénite par le Rme P. Gillet, maître général, en juillet 1934, au cours des fêtes du 7e centenaire de la canonisation de S. Dominique ».
34 J’ai publié le seul document découvert mentionnant ce chêne dans Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France LVI (1996) 222. Ce document atteste qu’une tradition orale antérieure à la Révolution reliait saint Dominique à la forêt de Bouconne. Est-ce pour cette raison que Guy du Faur de Pibrac, en 1574, dans Les plaisirs de la vie rustique, qualifie Bouconne de sainte « Bocconne saincte » ? Guy du Faur de Pibrac, Les Quatrains, Les plaisirs de la vie rustique et autres poésies, Textes édités, introduits et commentés par Loris Petris, Genève, Droz, 2004, p. 203. Si l’hypothèse était exacte, on possèderait là l’attestation la plus ancienne du lien entre Bouconne et Dominique.
35 Jean Nys, Vita et miracula S. Patris Dominici Praedicatorii ordinis primi institutoris, figuris aeneis XXXIII expressa, Anvers, 1611. J’ai publié la planche 18 dont il est question ici dans la Revue du Rosaire, mai 1990, p. 20.
36 J’ai publié sa gravure dans Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, tome LVII, 1997, p. 125.
37 J’ai publié sa gravure dans Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, tome LVI, 1996, p. 214.
38 C. Douais, La Visitation de Toulouse, Études, souvenirs documents, Paris, Poussielgue, 1905, pp.205-207.
39 Année sainte, III, p. 634-636. Texte cité par Douais.
40 Pour étudier l’image originale, je dispose d’une photographie prise par Jean Dieuzaide à la Visitation de Toulouse, et aussi d’une photocopie directe, du recto et du verso, procurée par sœur Marie-Patricia Burns, archiviste de la Visitation d’Annecy, le 18 février 1996.
41 Ceci, qui est le trait le plus original de notre image, fait penser à l’iconographie de Catherine de Sienne habituelle au XVIe siècle, quand la sainte est représentée portant une croix. Voir les gravures publiées par H.-D. Saffrey, Humanisme et imagerie aux XVe et XVIe siècles : études iconologiques et bibliographiques.
42 Toulouse, Bibliothèque universitaire de l’Arsenal, RESP, PF XVII, 459.
43 Le rosaire a accompagné, en 1628, la délivrance de La Rochelle, demeurée jusqu’alors place forte protestante. « C’est, le 28 mai, le rassemblement des hauts dignitaires du royaume “pour chanter le chappelet dans l’église des ff. prescheurs du faubourg St Honoré (J.-B. Feuillet, L’Année dominicaine, janvier, Amiens, 1678, pp. 602-603) ; c’est la distribution massive de chapelets, pour une récitation accélérée, dans les rangs des assiégeants de la place forte ; c’est enfin, le jour de la Toussaint, dans la ville recouvrée, la triomphante procession d’action de grâces où la bannière du rosaire est à l’honneur (voir la notice de Pierre Louvet, le prédicateur du jour, dans J.-B. Feuillet, AD, février, Amiens, 1679, pp. 546-558) », A. Duval, Dictionnaire de spiritualité, 13, col. 965-966.
© Presses universitaires du Midi, 2008