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Les reliques de Saint-Sernin de Toulouse (XIe-XVIIIe siècle) Chronologie et sources
Texte intégral
- 1 C. Salvan, Le culte des reliques dans la basilique de Saint-Sernin de Toulouse aux XIVe et XVe sièc (...)
1Les nombreuses reliques qu’abrite Saint-Sernin de Toulouse sont régulièrement évoquées dans les études traitant du bâtiment et de son mobilier, de la communauté canoniale ou des associations de laïcs attachés à l’édifice. En revanche, l’approche historique des reliques elles-mêmes, indépendamment de l’édifice et de ses trésors liturgiques, est un peu moins documentée à l’exception de travaux universitaires couvrant des périodes chronologiques assez restreintes1.
2L’objectif de cette contribution est d’établir la liste des reliques présentes dans la basilique et clairement mentionnées dans les sources depuis la construction de l’édifice jusqu’à la période révolutionnaire et de rendre compte, lorsque les sources le permettent, des circonstances de leur apparition et de la continuité de leur présence dans l’abbatiale.
I- Les sources
3Les sources permettant de dresser cet inventaire sont diverses, parfois très riches de détails ou, au contraire, particulièrement indigentes. Elles peuvent être classées en différents groupes.
4Les sources que nous qualifierons de circonstancielles évoquent la présence d’une ou plusieurs reliques de façon incidente :
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- 2 A.D.H.-G., fonds du chapitre de Saint-Sernin, 101 H 199.
Procédure du chapitre en vue d’obtenir une modération de la taxe imposée par la chambre apostolique lors de la vacance du siège de l’abbaye (1424)2. Ce document, dont le but est de démontrer une baisse des revenus de l’abbaye, comporte plusieurs articles de présentation du monastère dont un évoquant la présence de restes saints dans ses murs « brillants par divers miracles quotidiens ».
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- 3 C. Douais, Documents sur l’ancienne province de Languedoc : Trésors et reliques de Saint-Sernin à T (...)
- 4 A.D.H.-G., fonds microfilmé des archives de la basilique Saint-Sernin, 1Mi 496 et 497. F.F antuzzo, (...)
- 5 P. Julien, D’ors et de prières : art et dévotions à Saint-Sernin de Toulouse, XVIe-XVIIIe siècles, (...)
Registres de comptabilité de la confrérie des Corps Saints de Saint-Sernin, comptes de 1383 à 13953 et comptes de 1454 à 14994. Ces documents donnent de façon indirecte des informations sur la présence des reliques, principalement à l’occasion de réparations de châsses. La confrérie des Corps Saints était en effet garante de l’entretien des reliquaires - au moins d’une partie d’entre eux - pour ces périodes médiévales. Pour les périodes modernes elle les gérait en totalité5. Notons à regret l’absence de documents comptables du chapitre qui nous auraient sans doute éclairés sur l’entretien des reliquaires pour les périodes antérieures à la fin du XIVe siècle.
5Les études et récits historiques, évoquant l’histoire de l’église ou des saints de manière plus générale :
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- 6 J. VIEILLARD, Le Guide du Pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle, Mâcon, Impr. Protat frères, 1938 (...)
Le Guide du pèlerin de Saint-Jacques6, qui décrit entre autres, le long du chemin vers Compostelle, les édifices recelant des reliques notables. Ce document a l’avantage d’être objectif quant à sa description de Saint-Sernin puisqu’il n’est pas rédigé avec l’ambition d’une quelconque glorification du saint toulousain.
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- 7 Bernard Gui, Speculum Sanctorale, BM Toulouse, ms 480 et 481.
- 8 A. Dubreil-Arcin, « Bernard Gui, un hagiographe dominicain atypique ? », Hagiographie et culte des (...)
Les œuvres de Bernard Gui, le légendier connu sous le nom de Speculum sanctorale7 et un opuscule hagiographique intitulé De sanctis dyocesis Tholosane, dont une des particularités est de faire une place importante aux saints locaux, contrairement aux autres légendiers dominicains8.
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- 9 A.D.H.-G., Registre du fonds de la basilique Saint-Sernin, « Recollectio privilegiorum », 1534, p. (...)
- 10 C. Douais, Les reliques de saint Gilles à Toulouse, Toulouse, Privat, 1895, p. 9. Voir aussiP.-G. G(...)
Le livre des miracles de Pierre de Martres, dont un extrait a été copié dans le Recollectio privilegiorum, recueil des privilèges des Corps Saints9. Cet extrait relate la découverte du corps de saint Gilles sous l’autel de Saint-Sernin au milieu d’autres corps saints dont les noms ne sont pas précisés10.
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- 11 Nicolas Bertrand, De Tholosonarum gestis ab urbe condita, Toulouse, 1515. Voir l’étude de M.F ourni (...)
La geste des Toulousains de Nicolas Bertrand, premier historiographe de la ville qui publie en 1515 une œuvre riche de passages consacrés aux saints et notamment à ceux qui reposent dans l’abbatiale11.
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- 12 R. Daydé, L’histoire de Saint-Sernin de Toulouse ou l’incomparable trésor de son église abbatiale d (...)
Histoire de Saint-Sernin par Raymond Daydé, ouvrage publié en 1666, précieux quant à l’origine et l’histoire de l’église et des saints qu’elle abrite12. L’auteur, un notable toulousain, surprend par son manque d’objectivité évident sur l’origine des reliques, mais il offre néanmoins une liste exhaustive des restes présents dans l’abbatiale pour la deuxième moitié du XVIIe siècle.
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- 13 Antiennes et oraisons à l’usage de ceux qui auront la dévotion de visiter les sacrées reliques qui (...)
Antiennes et oraisons, petit manuel de visite et recueil de prières à l’attention des visiteurs de l’église13. Cet ouvrage comporte les mêmes inconvénients que le précédent mais reste également un marqueur fiable sur l’identification des reliques au XVIIIe siècle. Il est par ailleurs particulièrement précieux pour ses planches représentant les reliquaires des corps saints.
6Notices d’identification des reliques et actes de fondations :
7Se distinguent encore trois authentiques, ces documents placés avec les restes saints en vue de prouver leur authenticité :
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- 14 M. Durliat, « Saint-Sernin à travers le temps » Saint-Sernin de Toulouse, IXe centenaire, mélanges (...)
Authentique, Urbain II (24 mai 1096). Le pape procède à la dédicace de l’église Saint-Sernin et à la consécration d’un autel, il y place une partie de la tête de Saturnin, des reliques de saint Asciscle, d’autres saints non identifiés et de saint Exupère. Ce document est le premier à mentionner explicitement des reliques à Saint-Sernin en dehors, notamment, du corps de Saturnin réputé pour être en ce lieu depuis sa translation au début du Ve siècle14.
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- 15 P. Cabau, « Documents médiévaux relatifs à la dédicace de Saint-Sernin de Toulouse par le pape Urba (...)
Authentique, Calixte II (16 juillet 1119). Le pape lors de la consécration d’un autel dédié à saint Augustin dépose dans celui-ci des reliques des saints Simon et Jude et d’autres saints non nommés15.
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- 16 C. Saint-Martin, « Le chapitre de Saint-Sernin de Toulouse et la gestion des reliques », Les collég (...)
Authentique (1354), connu seulement par une copie de 1807 faite à partir d’un procès-verbal d’ouverture de la châsse de saint Jacques en 1803. La date de cet authentique pose problème, une erreur d’interprétation en 1803 étant très vraisemblable16.
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- 17 A.D.H.G., fonds microfilmé des archives de la basilique Saint-Sernin, 1Mi 516.
Fondation de Louis d’Anjou (1374), pour l’entretien d’un luminaire devant brûler sans interruption devant le corps de Jacques le Majeur17.
8Les inventaires et procès-verbaux, généralement assez fiables et objectifs, particulièrement riches de détails descriptifs sur les reliques, notamment pour les plus récents (à partir de 1468 ils sont dressés en présence d’un notaire, de chanoines et de prêtres de l’abbaye mais également de membres de la confrérie des Corps Saints) :
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- 18 C. Douais, « Inventaire des biens meubles et immeubles de l’Abbaye de Saint-Sernin de Toulouse, dre (...)
Inventaire des biens (1246) établi sous la direction de Bernard de Gentiac, nouvellement élu à la tête de l’abbaye18. Ce document recense les biens de l’abbaye et ce qui se trouve la sacristie du chapitre, et mentionne à cette occasion le reliquaire du chef de saint Saturnin. Toutefois cet inventaire ne fait pas état de la crypte et de ce qu’elle abrite alors.
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- 19 A.D.H.G., fonds du chapitre Saint-Sernin, sous-série 101 H liasse 629.
- 20 C. Saint-Martin, « Le chapitre de Saint-Sernin… », op. cit.
Procès-verbal d’ouverture de la châsse de saint Exupère (1258) comprenant une liste considérable de reliques accompagnant les restes de l’évêque. Ce document nous est parvenu sous la forme d’une copie du XVIe siècle19 et pose un problème d’authenticité. Il fait mention de nombreuses reliques dont on n’aura plus aucune trace par la suite et auxquelles Bernard Gui puis Nicolas Bertrand ne font pas allusion dans leurs écrits respectifs20.
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- 22 A.D.H.G., fonds du chapitre Saint-Sernin, sous-série 101 H liasse 644, pièce n° 2475.
- 23 A.D.H.G., fonds de la basilique Saint-Sernin, 1 Mi 503
Inventaire du trésor (mars 1468). Ce document conservé aux Archives départementales de Haute-Garonne22 est le seul inventaire qui ait échappé aux publications systématiques de Mgr Célestin Douais, à l’origine d’une très riche bibliographie sur Saint-Sernin. Cet oubli s’explique par le fait que celui-ci n’ait pas été copié, à la différence des inventaires suivants, dans le « recollectio privilegiorum»23. Cet acte a visiblement servi, pour partie, de base à l’écriture de l’inventaire de 1489 : la majorité des articles y est identique. Les différences portent sur des précisions relatives à certaines pièces de mobilier, notamment lorsqu’elles ont été endommagées entres les deux inventaires. On trouve également de nouveaux articles décrivant des objets entrés récemment dans la collection ainsi que des variations de quantités, sur les linges liturgiques notamment.
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- 24 C. Douais, Documents… op. cit., tome I, « Les Inventaires », inventaire de 1468, p. 49.
Inventorium (juillet 1468). Il s’agit de la suite de l’inventaire précédent réalisé quatre mois plus tard. Il est vraisemblable que le premier volet ait été égaré au moment de la compilation du recueil des corps saints24.
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Viennent ensuite les inventaires des années 1489, 1502-1504, 1514, 1612-1613-1615, 1615-1617, 1638, 1646, 1649, 1657, 1804. Ces derniers sont très détaillés et permettent à la fois de se faire une idée très exacte du mobilier et d’établir de façon précise la disposition des reliquaires dans les différentes chapelles et dans les cryptes.
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Les procès-verbaux de 1510 et 1524 rendent compte des visites d’un évêque pour le premier et d’un membre du Parlement à l’occasion d’un procès pour le second. Ces deux documents sont suffisamment détaillés et descriptifs pour être considérés comme de véritables inventaires.
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- 25 J. Lestrade, Pages d’histoire et d’art sur Saint-Sernin de Toulouse, Toulouse, 1904, extrait de la (...)
Le procès-verbal de 180725 est très différent des inventaires précédents. Entre le 10 juin et le 5 août 1807, le contenu des reliquaires conservés dans l’église a été vérifié par le vicaire général de l’évêque. Lors de nombreuses séances la majorité des coffres, notamment ceux ayant subi des dégradations lors de la Révolution, furent ouverts et leur contenu détaillé. On a ainsi, dans certains cas, des descriptions très précises des ossements retrouvés. À cette occasion des authentiques ont été transcrits. Les coffrets et les boîtes placés à l’intérieur des châsses ainsi que les différentes étoffes recouvrant les reliques ont fait l’objet de minutieuses descriptions. Incontestablement, la liste de reliques issue de ce document est un reflet de l’état de la collection au moment de la Révolution. Il est indiqué dans le procès-verbal que les commissaires du district chargés de retirer l’argenterie et les pierres des châsses et des bustes sont assistés d’un prêtre qui remet à mesure les reliques à leur place : il semblerait qu’il n’y ait eu à cette occasion aucune dégradation sur les reliques.
9D’autres inventaires et d’autres listes existent pour les XIXe et XXe siècles, périodes au cours desquelles le nombre de reliques ne cessera de croître.
II- Tableau synoptique : les saints dans l’ordre d’apparition1
- 1 Le tableau est à consulter dans le cahier photos central, entre les figures 6 et 7
10En abscisse sont indiqués chronologiquement les titres abrégés des documents portant mention des reliques de Saint-Sernin. En ordonnée figure une liste des saints et des reliques de contact dans l’ordre de leur apparition dans les textes. La référence aux reliques d’un saint dans l’un des documents est représentée par une trame grisée. Ce parti facilite la lecture mais étire parfois l’impression de présence d’un corps saint dans le temps de façon arbitraire, particulièrement lorsque le document manque de fiabilité. C’est le cas notamment pour l’authentique dit de 1258 sur lequel nous avons précédemment émis quelques réserves. Les saints Maurice, Étienne et Agathe ainsi que les reliques du saint Sépulcre et de la Terre Sainte sont particulièrement concernés par cette illusion de permanence- ils sont en effet cités en 1258 puis seulement à nouveau en 1807.
11Les saints tels que Simon et Jude, Asciscle et Victoire, Cir et Julitte habituellement rassemblés dans un même reliquaire sont mis en exergue par une même couleur afin que soient mieux visualisés les « couples » et les rapprochements de saints.
12Enfin, la dimension initiale de ce tableau étant peu adaptée aux contraintes de publication, des abréviations très courtes ont été choisies de manière à réduire la taille des colonnes. Ce choix a certes induit une certaine aridité à la lecture, mais il importait d’indiquer, lorsque la source le mentionnait, de quelle partie du corps il s’agissait. Ainsi, le terme de relique (abréviation « r ») est réservé aux mentions « ossa » ou « reliquiae » sans autre précision. Pour les parties plus précises des corps, la lettre « t » désigne la mention d’une « tête », « b » signifie bras, « c » corps, « d » dent, « ma » mâchoire, « m » main « p » peau, « do » doigt.
13Notons que pour autant, les désignations anatomiques ne garantissent pas la réelle présence des parties décrites. C’est particulièrement le cas pour le terme de « tête » qui ne prouve en aucun cas que la tête soit entière ou qu’il y ait réellement une relique de la tête - un rapprochement peut avoir été établi avec le contenant de la relique, à savoir le buste reliquaire qualifié également de tête. De la même façon la notion de « corps » est à prendre avec précaution : la réalité de la conservation de la totalité d’une dépouille est souvent improbable, en dehors bien évidemment des saints locaux. Toutefois, nous avons pris le parti de reprendre le terme employé dans le texte de la source étudiée, d’où cette abondance de « tête » et « corps » ditsentiers.
14Pour ce qui est des reliques de contact (abréviation « * »), on distingue deux cas de figure. Si la nature de la relique du saint n’est pas indiquée – alors qu’un certain nombre de reliques de contact sont dénombrées – une simple présence est figurée dans les colonnes du tableau. Ainsi en est-il d’Exupère dont les anneaux, la mitre et un fragment de tombeau ont été élevés au rang de relique. C’est encore le cas d’Étienne avec un fragment de pierre de lapidation.
15Dans le cas des reliques de la Vierge (voile, robe, lait, cheveux, pierre d’enfantement, tombeau) et du Christ (crèche, croix, épine, tombeau, terre foulée, vêtement), en raison de l’absence évidente des corps, chaque relique de contact a été faite relique à part entière et dans ce cas une ligne lui a été dévolue.
16Notons enfin que les rédacteurs des inventaires citent parfois des saints tout en précisant qu’il s’agit seulement d’un relevé de noms inscrits sur des authentiques sans reliques trouvés à l’occasion des ouvertures de châsses. C’est le cas notamment en 1612 puis en 1615 : « […] et trois cartelz, en l’ung desquelz est escript en lettre de forme rouge : De maxila Beati Petri Appostolli. – De lapide cum quo lapidatus fuit Beatus Stephanus. – De reliquis sancti Ypoliti, sancti Acuriani ; en l’aultre y a : De vestimentis Beate Marie Virginis. – De ossibus Beati martiris. – De lacte M. De vestimento Christi et de vello Beate Marie matris ejus. – De precepe Domini nostri Jesu Christi ; et le troysiesme : Sanctarum Catherine et Annetis virginis. – De sancto Laurencio et sancto Cosma martiribus. – De ossibus beati Jacobi Minoris appostolli et Beate Conssentie virginis ».
17Nous avons jugé toutefois qu’il était utile d’insérer ces noms dans la liste, considérant que la relique avait dû faire, à un moment ou un autre, partie de la collection. Dans ces cas, le terme « men » pour mention a été porté sur la liste.
III- Début d’analyse et découpage chronologique
18La courbe dessinée par ce tableau à deux entrées permet d’appréhender la dynamique de constitution de la collection des reliques de Saint-Sernin.
19Du Xe siècle à la deuxième moitié du XIIIe siècle, les sources mentionnent seulement la présence du saint éponyme. A partir de cette date, la collection s’enrichit des dépouilles des évêques successeurs et des disciples de Saturnin. Ainsi est-il fait honneur à la sainteté locale. Il faut ensuite attendre la fin du XIVe siècle pour voir la collection augmenter de façon significative et constante jusqu’au XIXe siècle. Si bien qu’entre qu’entre 966, date d’une donation dans laquelle la dépouille de Saturnin est mentionnée, et l’ouverture des châsses à l’issue de la période révolutionnaire, près de quatre-vingt-dix reliques seront mentionnées dans les actes relatifs aux corps saints.
1- Honneur à la sainteté locale – Xe - fin XIVe
20Avant le XIIe siècle, en dehors des fragments insérés dans des autels à l’occasion d’une consécration (Exupère, Asciscle, Simon et Jude), aucune autre relique en dehors de celle de Saturnin ne faisait l’objet d’un culte en la basilique. Le Guide du Pèlerin élaboré au début du XIIe siècle vient confirmer cette relative pauvreté. Si ce silence n’exclut pas la présence d’autres restes, il indique néanmoins qu’il n’existe alors aucune dévotion notable autour d’autres saints.
21De la même façon, l’inventaire établi par Bernard de Gentiac en 1246, faisant état de tous les biens trouvés après son élection au siège abbatial, signale un seul reliquaire : « capsa argenti in qua sunt reliquie capitis sancti Saturnini ». Incontestablement, en 1246 la présence du corps entier de Saturnin dans la crypte était connue, de même que celle d’autres saints que l’on qualifiait d’« aliorum corpora sanctorum » en 1258. Néanmoins, le chapitre n’offrait qu’une seule relique à la dévotion populaire, le crâne de Saturnin enchâssé dans un précieux reliquaire, bien à l’abri dans la sacristie.
- 26 M. Durliat, « Saint-Sernin à travers... », art. cit., p. 35.
22Il faut attendre la seconde moitié du XIIIe siècle pour que commence la véritable constitution et la mise en valeur du trésor spirituel de l’abbaye. C’est dans le Speculum sanctorale de Bernard Gui, repris plus tard par le chroniqueur toulousain Nicolas Bertrand dans sa Geste des Toulousains, que se trouve relatée une série de découvertes, notamment celle survenue en 1265 lors des travaux de construction du baldaquin. Dans les cryptes près du tombeau de Saturnin, les chanoines reconnaissent les restes de trois de ses successeurs, les évêques Honorat, Sylve et Hilaire ainsi que de l’un de ses disciples, Papoul. Les corps furent enlevés et placés sous le « corps » de saint Saturnin26, c’est-à-dire dans la partie inférieure du baldaquin, l’actuelle crypte haute. Après cette date et jusqu’à la fin du XIVe siècle les sources ne signalent aucune autre découverte de relique. La seule exception sera l’invention du corps de saint Gilles en 1316.
2- La faveur des saints universels – fin XIVe - fin XVe
- 27 Simon et Jude ont déjà été cités mais seulement comme fragments.
- 28 L’intervention de Charlemagne est régulièrement évoquée dans la documentation.
23La première augmentation significative de la sainte collection apparaît dans une liste établie par un chanoine sur le feuillet de garde d’un bréviaire, daté selon l’écriture de la fin du XIVe siècle. Cette première liste est d’autant plus intéressante qu’elle mentionne pour la première fois la présence de six corps entiers d’apôtres, Jacques le Mineur, Jacques le Majeur, Philippe, Jude, Simon27 et Barnabé. Les conditions des découvertes de ces reliques prestigieuses sont totalement inconnues et aucune légende, hormis celle des largesses de Charlemagne, ne vient légitimer leur présence à Saint-Sernin28. Les éléments concernant l’arrivée des apôtres à Saint-Sernin sont particulièrement ténus et le saint le plus documenté reste Jacques le Majeur.
- 29 Voir à ce sujet C. Saint-Martin, « Le chapitre de Saint-Sernin… », art. cit .
24En effet, si les conditions d’apparition du corps de ce dernier restent inconnues - on peut regretter l’absence d’une invention en bonne et due forme - au moins, avec la présence d’un autel tout d’abord puis d’un luminaire ensuite, peut-on conclure que le besoin de sa présence à Toulouse s’était fait sentir au sein des fidèles toulousains et donc dans la communauté canoniale. En revanche, pour les cinq autres membres du collège apostolique, la documentation fait totalement défaut29.
25Il faut attendre la première moitié du XVe siècle pour trouver à Saint-Sernin la preuve écrite et datée de leur présence. Celle-ci est clairement mise en avant dans les actes du chapitre abbatial, notamment dans une procédure engagée en 1424 auprès du Saint-Siège qui nous indique que dans le monastère : « … jacent ossa sex apostolorum videlicet beatorum Jacobi majoris Simonis et Jude, Philippi, Jacobi minoris et Barnabe… ».
3- Fractionnement des corps – fin XVe - fin XVIIIe
- 30 Une représentation de cette procession conservée au Musée des Augustins de Toulouse montre en effet (...)
- 31 Ces saints « non présents » apparaissent avec le terme « men » pour mention seule dans le tableau.
26Puis viennent les premiers inventaires du trésor, celui de 1468 tout d’abord puis de 1489 ensuite. Dans ce dernier, très détaillé, la tendance au fractionnement des reliques est notable. En tout quarante-cinq châsses sont recensées alors que le nombre de saints est de trente-trois. Ce fractionnement dans un premier temps limité aux saints les plus honorables - Saturnin, Exupère, Jacques le Majeur notamment, va se systématiser par la suite. En effet, avec l’inventaire de 1646, il apparaît que chaque saint bénéficie de sa châsse et de son buste. Puis peu à peu une association directe s’établit entre la notion de « corps » pour la châsse et de « tête » pour le buste reliquaire, bien que, comme précédemment évoqué, cela ne soit pas la preuve d’une véritable répartition anatomique des ossements. Il est très vraisemblable que cette tendance au fractionnement soit liée aux grandes processions urbaines dont nous avons de précises descriptions au XVIIIe siècle. Celle de Pentecôte, mais surtout celle du 17 mai qui commémorait depuis 1562 la victoire des catholiques sur les protestants. Quoi de plus évocateur pour des catholiques que d’offrir à la vue de leurs détracteurs une multitude de corps saints30 ? Dans cette même logique, notons le soin tout particulier apporté à la constitution des inventaires suivant l’année 1562. Après les évènements survenus cette année là, de vieux authentiques, sans liaison directe avec des reliques, seront soigneusement détaillés, augmentant ainsi, par la simple évocation de leur nom, le nombre de saints associés à l’église31. C’est également dans cette même période que l’on voit se multiplier le nombre de reliques de contact liées à la Vierge et à la Passion du Christ.
- 32 Antiennes et oraisons à l’usage de ceux qui auront la dévotion de visiter les sacrées reliques qui (...)
- 33 R. Daydé, L’histoire de Saint-Sernin…, op. cit.
27« L’église de Saint-Sernin, bâtie par trois saints, fut-elle destinée par le Seigneur à les posséder tous ? »32. Telle est, au siècle des Lumières, l’interrogation de l’auteur des Antiennes et oraisons proposé aux dévots visiteurs de l’église. Un siècle auparavant, un érudit qualifiait déjà la basilique de « tabernacle de sainteté » et de « précieux reliquaire de saints»33. Il est indéniable que l’accumulation de reliques était notoire et visiblement recherchée : ces sentences illustrent une réalité qui se distingue à la simple lecture du tableau que nous proposons ici.
- 34 En dehors de la référence à un don de Charlemagne, que l’on trouve dans des ouvrages tels que A. Sa (...)
28En revanche, l’analyse des différentes sources permet d’établir que les circonstances de découverte de la majorité des reliques demeurent obscures. Sur les quatre-vingt-neuf reliques répertoriées, soixante-quatorze sont simplement signalées sans indication de provenance34.
29En ce qui concerne les quinze autres, six sont celles des saints associés à la fondation de l’église pour lesquels la présence de restes, voire du corps entier, est incontestable : Saturnin, Exupère, Honorat, Sylve, Hilaire, Papoul. Cinq ont à leur actif une invention relatée ou une élévation en bonne et due forme : Gilles, Jacques le Majeur, Suzanne, Raymond, Thomas d’Aquin. Quatre ont été probablement apportées par les papes à l’occasion de consécrations : Asciscle, Victoire, Jude, Simon.
30Enfin, un constat s’impose à l’issue de cette première analyse : il existe une volonté évidente de multiplication et d’accumulation de restes saints. La majorité des reliques qui intègre la collection y demeure, les restes s’éparpillent souvent dans plusieurs réceptacles à partir du XVe siècle. Enfin, quelle que soit la nature anatomique de la relique d’origine, elle devient, dès le début du XVIIe siècle, presque systématiquement un « corps entier » et une « tête » très officiellement exhibée, notamment lors des processions.
Notes
1 C. Salvan, Le culte des reliques dans la basilique de Saint-Sernin de Toulouse aux XIVe et XVe siècles, maîtrise d’histoire, dir. P. Bonnassié, Université de Toulouse-Le Mirail, Toulouse, 1986. P.-E. Baux, Inventions et élévations de reliques à Toulouse à la fin du Moyen Âge (de la fin du XIVe jusqu’au début du XVIe siècle), maîtrise d’histoire médiévale, dir. M. Fournié, Université de Toulouse-Le Mirail, Toulouse, 1998.
2 A.D.H.-G., fonds du chapitre de Saint-Sernin, 101 H 199.
3 C. Douais, Documents sur l’ancienne province de Languedoc : Trésors et reliques de Saint-Sernin à Toulouse, tome II, Comptes de la confrérie des Corps Saints, registre des années 1383-1395, Toulouse, Privat, 1904-1907.
4 A.D.H.-G., fonds microfilmé des archives de la basilique Saint-Sernin, 1Mi 496 et 497. F.F antuzzo, C. Saint-Martin, La confrérie des Corps-Saints de Saint-Sernin de Toulouse, fonctionnement et analyse budgétaire, registre de comptes (1454-1499), maîtrise d’histoire médiévale, dir. M. Fournié, Université de Toulouse-le Mirail, Toulouse, 1995.
5 P. Julien, D’ors et de prières : art et dévotions à Saint-Sernin de Toulouse, XVIe-XVIIIe siècles, Aix-en-Provence P.U.P., 2004.
6 J. VIEILLARD, Le Guide du Pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle, Mâcon, Impr. Protat frères, 1938, p. 48.
7 Bernard Gui, Speculum Sanctorale, BM Toulouse, ms 480 et 481.
8 A. Dubreil-Arcin, « Bernard Gui, un hagiographe dominicain atypique ? », Hagiographie et culte des saints en France méridionale (XIIIe-XVe siècles), Cahiers de Fanjeaux, n° 37, Toulouse, Privat, 2002 et Autour du Speculum sanctorale de Bernard Gui ou l’écriture hagiographique, entre vues universelles, logiques grégaires et destins de cloche, thèse de doctorat sous la dir. de M.Fournié, soutenue à l’université Toulouse-Le Mirail le 3 mars 2007, à paraître aux éd. Brepols.
9 A.D.H.-G., Registre du fonds de la basilique Saint-Sernin, « Recollectio privilegiorum », 1534, p. 178, microfilm 1 MI 503 et voir étude de F. Fantuzzo, Le mouvement confraternel dans le Sud-Ouest de la France du XIIIè à la première moitié du XVIe siècle. Étude préliminaire, D.E.A. d’histoire médiévale, dir. M. Fournié, Université de Toulouse-Le Mirail, Toulouse, 1996.
10 C. Douais, Les reliques de saint Gilles à Toulouse, Toulouse, Privat, 1895, p. 9. Voir aussiP.-G. Girault, « Le culte de saint Gilles », Hagiographie et culte des saints en France méridionale (XIIIe-XVe siècles), Cahiers de Fanjeaux, n° 37, Toulouse, Privat, 2002.
11 Nicolas Bertrand, De Tholosonarum gestis ab urbe condita, Toulouse, 1515. Voir l’étude de M.F ournié, « Hagiographie et sainteté dans l’œuvre de l’historiographe toulousain Nicolas Bertrand », Hagiographie et culte des saints en France méridionale (XIIIe-XVe siècles), Cahiers de Fanjeaux, n° 37, Toulouse, Privat, 2002.
12 R. Daydé, L’histoire de Saint-Sernin de Toulouse ou l’incomparable trésor de son église abbatiale de Tolose, Toulouse, imp. Arnaud Colomier, 1666.
13 Antiennes et oraisons à l’usage de ceux qui auront la dévotion de visiter les sacrées reliques qui reposent dans l’insigne église abbatiale Saint-Sernin de Toulouse, Toulouse, 1762.
14 M. Durliat, « Saint-Sernin à travers le temps » Saint-Sernin de Toulouse, IXe centenaire, mélanges publiés par l’Association du Neuvième Centenaire. Toulouse, 1996, p. 42.
15 P. Cabau, « Documents médiévaux relatifs à la dédicace de Saint-Sernin de Toulouse par le pape Urbain II (24 mai 1096) », Saint-Sernin de Toulouse, IXe centenaire, mélanges publiés par l’Association du Neuvième Centenaire, Toulouse, 1996, pp. 175 et 188 ; « Les données historiques relatives à la reconstruction de Saint-Sernin de Toulouse (XIe-XIIe siècles), réévaluation critique », Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, tome LVIII, 1998, Toulouse, 1998, pp. 29-66.
16 C. Saint-Martin, « Le chapitre de Saint-Sernin de Toulouse et la gestion des reliques », Les collégiales dans le midi de la France au Moyen Âge, actes de l’atelier-séminaire des 15 et 16 septembre 2000, Carcassonne, M. Fournié dir., éd. UMR Framespa - GDR Salve - CVPM, Carcassonne, 2003, pp. 122-144.
17 A.D.H.G., fonds microfilmé des archives de la basilique Saint-Sernin, 1Mi 516.
18 C. Douais, « Inventaire des biens meubles et immeubles de l’Abbaye de Saint-Sernin de Toulouse, dressé le 14 septembre 1246 », Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, tome 14, 1886-1889, Toulouse, 1889, p. 10.
19 A.D.H.G., fonds du chapitre Saint-Sernin, sous-série 101 H liasse 629.
20 C. Saint-Martin, « Le chapitre de Saint-Sernin… », op. cit.
21 C. Douais, « XVe siècle. Reliques de Saint-Sernin », Travaux pratiques d’une conférence de paléographie à l’Institut Catholique de Toulouse, Paris, Toulouse, 1892
22 A.D.H.G., fonds du chapitre Saint-Sernin, sous-série 101 H liasse 644, pièce n° 2475.
23 A.D.H.G., fonds de la basilique Saint-Sernin, 1 Mi 503
24 C. Douais, Documents… op. cit., tome I, « Les Inventaires », inventaire de 1468, p. 49.
25 J. Lestrade, Pages d’histoire et d’art sur Saint-Sernin de Toulouse, Toulouse, 1904, extrait de la Revue des Pyrénées, p. 137.
26 M. Durliat, « Saint-Sernin à travers... », art. cit., p. 35.
27 Simon et Jude ont déjà été cités mais seulement comme fragments.
28 L’intervention de Charlemagne est régulièrement évoquée dans la documentation.
29 Voir à ce sujet C. Saint-Martin, « Le chapitre de Saint-Sernin… », art. cit .
30 Une représentation de cette procession conservée au Musée des Augustins de Toulouse montre en effet que ce sont les bustes que l’on utilisait et non les châsses : Jean II Michel, « La procession des Corps Saints », 1700, Musée des Augustins, Toulouse.
31 Ces saints « non présents » apparaissent avec le terme « men » pour mention seule dans le tableau.
32 Antiennes et oraisons à l’usage de ceux qui auront la dévotion de visiter les sacrées reliques qui reposent dans l’insigne église abbatiale Saint-Sernin de Toulouse, Toulouse, 1762.
33 R. Daydé, L’histoire de Saint-Sernin…, op. cit.
34 En dehors de la référence à un don de Charlemagne, que l’on trouve dans des ouvrages tels que A. Salvan, Histoire de Saint-Saturnin, martyr et premier évêque de Toulouse, Toulouse, Imp. Montaubin, 1840 ; ou R. D aydé, L’histoire…, op. cit.
Notes de fin
1 Le tableau est à consulter dans le cahier photos central, entre les figures 6 et 7
© Presses universitaires du Midi, 2008