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À la foire d’empoigne

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Judicaël Petrowiste

Première partie. Foires et marchés dans leur contexte économique : victoires et déboires d’un système commercial

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1Le devenir du réseau des foires et marchés est évidemment déterminé par la conjoncture économique et politique environnante et son évolution. S’il tend à s’étoffer en phase de croissance, grâce à une demande commerciale en constant essor, il est affecté par un mouvement de repli en période de récession, les assemblées étant de moins en moins fréquentées, jusqu’à leur suspension provisoire ou définitive faute de clients et d’exposants. L’on sait combien la seconde moitié du Moyen Âge a été traversée par ces fluctuations économiques séculaires, mais il reste à étudier quels en furent les impacts sur le réseau des foires et marchés d’Aunis-Saintonge. L’on a distingué pour cela en introduction quatre grandes périodes. La première, qui couvre les années 1000-1150, est celle de la genèse du système commercial : celui-ci se met en place en se coulant dans les logiques de l’organisation féodale de l’économie et de la société, tout en assumant l’héritage du réseau commercial antique. À cette période de fondation succède un premier apogée du réseau des foires et marchés, centré sur le XIIIe siècle (1150-1340). Le maillage des places commerciales se resserre fortement, tandis que les revenus sont tirés à la hausse par le contexte de croissance générale de l’Occident médiéval, permettant la floraison soudaine, à partir des années 1250, de halles dans les principales bourgades. C’est le temps de la rapide fortune de La Rochelle, bâtie sur la vente de vin à l’Europe du nord-ouest, mais aussi de celle de l’ensemble du monde rural d’Aunis-Saintonge, qui se pare de ces églises caractérisées par la qualité de leur bâti et de leur parure sculpturale. La crise qui suit cette prospérité est d’une ampleur exceptionnelle, et tient notamment à deux des « malheurs des temps ». La peste, d’abord, intervient dès sa réapparition en Occident en 1348. Elle s’installe à demeure pour plusieurs siècles, paralysant périodiquement le commerce. Mais c’est à la guerre de Cent ans, qui fait pendant un siècle de l’Aunis, et surtout de la Saintonge, un champ de bataille, que le système des foires et marchés doit sa déstabilisation la plus durable : chute drastique des revenus, suspension d’assemblées commerciales, déplacement de ces dernières en des lieux plus sûrs, sont les conséquences directes de cette crise politique. La reconstruction, qui débute localement dès avant la fin de la guerre, mais s’étale jusqu’à la fin du XVe siècle, n’en sera que plus vive. Celle-ci, et l’essor économique qui la suit, amènent un nouvel âge d’or du système commercial, qui connaît un maillage, un taux d’équipement en halles et un niveau de revenus sans précédent jusque là : le « beau XVIe siècle », en Aunis et Saintonge, est d’abord commercial, et foires et marchés y tiennent une place essentielle. C’est cette situation que la crise politico-religieuse de la seconde moitié du XVIe siècle remet en cause.

I. Mise en place d’un nouveau système commercial : vers 1000-vers 1150

Aux origines du réseau médiéval des foires et marchés

  • 1  « (...) Vendam de omnibus feriis, et de omnibus rebus que per totum annum venditure sunt (...)
  • 2  « Arnaudus Engalbert dedit Deo et sancto Stephano terram que est de rua cava usque ad bur (...)
  • 3  « (...) V precipuas ferias scilicet in sollempnitatibus Sancte Marie et in festivitate om (...)
  • 4  « (…) Aedificarent ecclesia in foro castri, quod vulgariter nuncupatur Cogniacum » (« Car (...)
  • 5  « Concessit Embria X et VIII mansiones de alodo juxta mercatum bovile in Ponto » (« Cartu (...)
  • 6  « Dederunt (...) totam consuetudinem in foro et in mercato sancti Vincentii » (Grand cart (...)
  • 7  « Nundinas atque merecatas ecclesia sancti Joannis libere habenda concedimus » (« Cartula (...)
  • 8  « Duobus mercatis que sunt ad ecclesiam Sancte Marie Magdalene (...) » (« Cartulaire du p (...)
  • 9  « (...) Vendicionem in foro venalium rerum (...) » (Cartulaire de l’abbaye de Baigne, op. (...)
  • 10  « Pedagio sancti Cipriani ad festum ecclesie in nundinis » (ibid., p. 233-234).
  • 11  Il y est question en effet d’un droit de « vendam diei illius in qua celebratur festivita (...)
  • 12  Un droit de « lamborum venditionem » est ainsi prélevé à Pérignac vers 1073 (« Cartulaire (...)
  • 13  « Cartulaire saintongeais de la Trinité de Vendôme » éd. abbé C. Métais, A.H.S.A. t. XXII (...)
  • 14  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome I », op. cit., p. 192-193 (vers 1086).
  • 15  Ce droit est exclu des dons d’Aliénor aux Templiers de La Rochelle : « (...) preterea mil (...)
  • 16  Gallia Christiana, t. II, instrumenta, p. 379-380 : « (…) Trado ad monasterium S. Petri q (...)
  • 17  G. Jarousseau, « Essai de topographie historique. Le marché neuf de Poitiers créé à la fi (...)
  • 18  O. Jeanne-Rose, « Ports, marchands et marchandises. Aspects économiques du littoral poite (...)
  • 19  R. Favreau, La ville de Poitiers à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 134-136.
  • 20  « Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », op. cit., p. 150 : « duos sca (...)
  • 21  Cartulaire de l’église d’Angoulême, éd. abbé J. Nanglard, p. 60-61.
  • 22  « Les marchés hebdomadaires dans les îles britanniques avant 1200 », Foires et marchés da (...)
  • 23  « Foires et marchés ruraux dans les pays de la couronne de Castille et León du Xe au XIII(...)
  • 24  G. Duby, L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval, Champs Flamm (...)
  • 25  G. Cherubini, « Foires et marchés dans les campagnes italiennes au Moyen Âge », Foires et (...)
  • 26  G. Duby, L’économie rurale… op. cit. t. I, p. 234.
  • 27  Ibid., t. I, p. 233.

218 sites commerciaux réguliers sont attestés dans documentation entre 1000 et 1150, pour dix desquels des foires et/ou marchés sont explicitement mentionnés. Il s’agit souvent des places commerciales et des centres politiques les plus importants, où les assemblées se tiennent jusqu’à la fin du Moyen Âge et ensuite jusqu’au XXe siècle : Archiac1, Baigne2, Barbezieux3, Cognac4, Pons5, Royan6, Saint-Jean-d’Angély7. L’on retrouve cependant aussi ces assemblées dans des centres plus réduits, tels La Madeleine8, Montausier9 ou Saint-Cyprien à Châtignac10. Il est également possible d’adjoindre à cette liste Aulnay où des foires ne sont pas explicitement attestées, mais qui possède néanmoins à la même période des réunions commerciales lors des fêtes paroissiales11. D’autres places, sans que des foires et marchés y soient cités, connaissent une animation commerciale régulière sans doute structurée par des assemblées périodiques. C’est notamment le cas à Pérignac où des abats sont couramment en vente, ainsi qu’à Angoulins où des religieux obtiennent le droit de vendre du poisson dès la fin du Xe siècle12. À Saint-Agnant, actif port d’exportation du sel au milieu du XIIIe siècle, où des bancs sont mentionnés au début du XIVe siècle, les fréquents trafics de ce produit au XIe siècle conduisent de même à avancer la présence d’un marché dès cette époque13. Certaines mentions de ces échanges réguliers sont en revanche plus vagues, comme à Loupsault, possession poitevine de l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély, sur les marges de la Saintonge nord-orientale, où il est simplement question de « venditionem omnium rerum »14. Ce genre de mention indirecte est assez fréquent : le marché de La Rochelle n’est connu qu’à travers le tonlieu mentionné dans une charte de la commanderie du Temple en 113915, et à Esnandes vers 1000, Saintes vers 1100, ou Surgères vers 1105, sont cités des droits de venda16. Au total ces 18 sites représentent 16,5 % des 109 places de foires et marchés actives entre 1000 et 1550. Cette part est cependant à prendre comme un minimum, pour d’évidentes raisons de vide documentaire, et suffit à démontrer que le réseau commercial d’Aunis-Saintonge plonge ses racines au XIe siècle, à partir desquelles celui-ci va se développer en s’étoffant toujours plus. Ce réseau originel en formation s’appuie sur des sites administratifs (chefs-lieux de viguerie et des principaux ensembles féodaux) et économiques de première importance, tel Saintes, Saint-Jean-d’Angély, Cognac ou La Rochelle, mais aussi Archiac, Aulnay, Surgères et Barbezieux. Cet établissement au XIe siècle d’un nouveau système commercial est commun à l’ensemble du Centre-Ouest. L’on trouve en effet mention d’une multiplication contemporaine et similaire des places de foires et marchés dans les provinces voisines de la Saintonge. À Poitiers, le marché est mentionné pour la première fois en 996, et dès 1080, il est qualifié de « marché vieux », signalant ainsi la naissance d’un nouveau pôle commercial dans la ville17. En 999, c’est à Fontenay-le-Comte qu’est créée la foire de la saint Christophe, tandis que l’abbaye de Maillezais obtient entre 993 et 1004 le droit de tenir un marché à l’Hermenault18. Dans la même province, l’on trouve au milieu du XIe siècle deux foires à Mirebeau19, et les bancs d’un marché à Vix, près de Maillezais (1065)20. La foire d’Angoulême est mentionnée plus tôt encore, entre 973 et 97521. L’on pourrait facilement multiplier les exemples, un peu partout dans l’Occident médiéval des environs de l’an mil, qui témoigneraient tous de l’ampleur d’un phénomène structurel : la mise en place d’un nouveau réseau de places de foires et marchés entre le milieu du Xe et la fin du XIe siècle, sans doute plus rapidement et profondément que notre documentation le laisse apparaître. Dès que l’on dispose en effet d’une source un tant soit peu fournie, l’on est frappé de la rapidité de la mise en place de ce réseau commercial proprement féodal. En Angleterre, où les médiévistes ont la bonne fortune de disposer pour le XIe siècle d’une source de premier ordre, le domesday book de 1086, Richard Britnell note la présence de 151 places de marché, soit, d’après des chiffres dont l’auteur démontre par ailleurs la sous-estimation, un site commercial pour 1 418 personnes enregistrées dans les comtés de l’ouest, et un pour 2 788 dans ceux de l’est22. Or l’historien anglais montre que ce réseau a été dynamisé par l’arrivée de l’aristocratie normande, ce qui induit une période de 20 ans seulement pour le développement du réseau des marchés dans cette province, même si l’on ne partait évidemment pas de zéro… Cette tendance à la floraison des places marchandes, plus ou moins localement visible selon la qualité de la documentation, vaut pour l’ensemble de l’Occident médiéval : En Vieille-Castille, Pascual Martinez Sopena la souligne aux Xe et surtout XIe siècles23, tandis qu’on la suit en Germanie dès le XIe siècle dans les provinces de l’ouest, puis à partir du XIIe dans le cadre de la colonisation de l’est24. À cet égard, l’Italie padane paraît en avance : deux marchés signalés dans les sources au VIIIe siècle, 19 au IXe, 58 au Xe, et 51 au XIe siècle25. Si, ici, les marchés ruraux se multiplient assez tôt, la croissance précoce de l’économie urbaine à partir du XIe siècle conduisit une large part de ceux-ci à l’atrophie, la ville devenant le débouché naturel des produits de son territoire26. Ce large mouvement d’essor des échanges, à partir du XIe siècle, est révélé par la hausse continue des revenus de péage (celui de Saint-Lô est quatorze fois plus élevé en 1093 qu’en 1039) et la multiplication des taxes sur des marchands de plus en plus fréquents sur les routes, convergeant vers les nombreuses nouvelles assemblées commerciales27. La Saintonge participa à ce mouvement général sans doute au même rythme que ses voisins (par exemple l’octroi du droit de vente de poissons à Angoulins est réalisé dès 990), même si le vide documentaire nuit à notre information. Il n’existait plus en effet à la fin du Xe siècle de comte à Saintes, pouvant comme celui de Poitiers ou d’Angoulême octroyer des foires, laissant ainsi l’initiative aux particuliers sans que cela ne donne lieu à un document. Il n’en reste pas moins qu’un puissant mouvement de création de foires et de marchés est à l’œuvre dès que notre documentation s’enrichit, ce qu’elle atteste pour au moins trois de nos sites (Barbezieux, Saint-Jean et Angoulins).

  • 28  Cf supra, p. 50, nos remarques introductives sur la confusion entre mercatum et nundina.
  • 29  « Les marchés hebdomadaires dans les îles britanniques… », op. cit., p. 45.
  • 30  Dictionnaire de la France médiévale, article « foire », p. 421. Il n’est pas anodin à ce (...)
  • 31  « Chartes poitevines de l’abbaye de Saint-Forent », op. cit., p. 131-132 : « Notum sit om (...)
  • 32  « Cartulaire de Notre-Dame de Barbezieux », op. cit., p. 8 (vers 1143) : « Rigaudus (...) (...)
  • 33  « Chartes sur les premiers seigneurs de Barbezieux », éd. La Martinière, A.H.S.A. t. XLI, (...)

3La mise en place de ces nouveaux sites de foires et marchés se fait souvent de manière empirique et spontanée, et les contemporains eux-mêmes ne savent pas toujours comment dénommer les assemblées commerciales qui apparaissent en gestation28. L’on a également vu que les textes évoquent souvent de manière indirecte les réunions, en parlant de droits de vente perçus par les seigneurs lors de celles-ci (Pérignac ou Saintes, par exemple), sans y apposer de terme tel que marché ou foire. Un grand nombre de rassemblements mineurs, n’ayant ni nom ni statut légal, ne peuvent de plus être approchés que par le biais de la toponymie, telles ces assemblées rurales anglaises qu’évoque Richard Britnell29. Les réunions commerciales qui ne sont pas qualifiées de « foire » ou de « marché » sont souvent liées à des fêtes paroissiales. Jean Favier affirme que « dans la plupart des cas, on trouve à l’origine [des foires] une concentration de clients potentiels, provoquée par une fête religieuse ou un pèlerinage »30. Il reprenait ainsi le sens de la formule de Pirenne, selon laquelle le premier marchand médiéval avait dû être un vendeur de chandelles à quelque pèlerinage. Il est aisé de constater la vérification de ce principe en Saintonge. La fête paroissiale de la saint Just à Aulnay est par exemple l’occasion de réaliser des opérations commerciales, que trahit la mention d’un droit perçu alors sur les ventes31. La foire semble ainsi née spontanément des rassemblements de fidèles lors des fêtes du saint patron de leur église, dont le vicomte d’Aulnay a su prélever à son profit une part des transactions. Un autre exemple est encore plus significatif : l’on a vu qu’à Barbezieux, cinq foires (ferias) avaient été établies au profit du prieuré de Notre-Dame par le seigneur du lieu, justement aux quatre fêtes de la Vierge et à la Toussaint, qui est donc également le jour de sainte Marie. Mais celui-ci prélevait aussi des droits sur les ventes opérées le jour de la fête de saint Séverin, dont il en concéda une partie (droits sur le sel) au prieuré32. Une fois encore, ce saint n’est autre que le patron de la paroisse la plus ancienne de Barbezieux. Et, un siècle et demi plus tard, le jour de la saint Séverin, un rassemblement commercial se tenait toujours au profit du seigneur du lieu, mais avait pris le nom très officiel, cette fois, de foire33.

  • 34  En 848, la charte qui établissait les foires des Touches-de-Périgny instituait également (...)
  • 35  Ph. Contamine (dir.), L’économie médiévale, p. 193. P.-A. Clément, dans ses Foires et mar (...)
  • 36  A. Debord, La société laïque dans les pays de la Charente, Xe-XIIe s., p. 440.
  • 37  G. Bois, La grande dépression médiévale, XIVe et XVe siècle, p. 45-46, défend cette idée (...)
  • 38  La révolution commerciale dans l’Europe médiévale, traduction française, Paris 1974.

4Ces éléments sont instructifs pour connaître l’origine des foires du XIe siècle. Une partie d’entre elles sont des créations officielles par les seigneurs locaux. Elles sont alors, le plus souvent, qualifiées de feria ou nundina. Mais une autre partie, peut-être la plus importante, et également la plus difficile à repérer car n’ayant pas donné lieu à des documents de concession, est née spontanément de rassemblements festifs en l’honneur du saint paroissial, sur lesquels sont venus se greffer des marchands. Sans désignation particulière, elles sont souvent plus anciennes que les foires de création officielle. Les rassemblements paroissiaux ont en effet précédé la mise en place du système féodal et de ses foires, et l’on trouve dès le haut Moyen Âge mention de rassemblements commerciaux lors de festivités religieuses34, quand ces réunions ne sont pas encore plus anciennes, tels celles, préchrétiennes, du Mont-Dol en Bretagne35. Cette dualité de l’organisation des foires apparaît bien à Barbezieux : l’église paroissiale Saint-Seurin, et certainement les rassemblements commerciaux auxquels elle a donné naissance, existait avant l’établissement du castrum et du prieuré de Barbezieux, ainsi que de ses réunions36. Cette permanence d’assemblées commerciales préféodales au XIe siècle ne remet pourtant pas en cause l’idée d’une rupture des environs de l’an mil37. La mise en place du système seigneurial a entraîné la subordination des rassemblements commerciaux anciens aux nouveaux pouvoirs qui en perçurent désormais les droits autrefois régaliens, et a provoqué l’apparition de nouvelles réunions, par le biais de concessions qui, toujours, représentaient des actes de pouvoir. La « révolution commerciale » du XIe siècle, mise en valeur par R.-S. Lopez38, est indissolublement liée à la « mutation féodale » : c’est alors que foires et marchés deviennent un attribut du pouvoir banal seigneurial que le réseau marchand connaît un dynamique développement, dès la fin du Xe siècle.

Foires, marchés et système féodal en Aunis-Saintonge

  • 39  Cf supra, introduction, p. 25-26, à propos des foires des Touches-de-Périgny en 848.
  • 40  Cf infra, troisième partie, chapitre I, 1, p. 281-287 : « Foires, marchés, halles, symbol (...)

5La mise en place du réseau commercial local s’est en effet effectuée dans le cadre du vaste mouvement de mutation faisant basculer la société carolingienne vers le monde féodal. Le processus de féodalisation, qui se traduit par un émiettement de plus en plus étendu du pouvoir public réduit à un rôle symbolique au profit de pouvoirs locaux, s’est aussi exercé sur les foires et marchés. Leur concession constituait en effet une prérogative régalienne, dont nous avons déjà pu voir l’exercice39. Avec le XIe siècle, et au moins jusqu’à la fin du XIIIe siècle, la tenue et la protection des foires et marchés dans un monde en recomposition, ainsi que la perception des profits de ceux-ci, devient une des attributions des seigneurs locaux et, mieux encore, un véritable symbole de ses pouvoirs40. Ici le châtelain exerce la plénitude de ses droits banaux : justice du marché, péages, monopole de la vente de certains produits à certaines époques de l’année (ban à vin ou à blé), droit de mesurage, droits de vente, de plaçage et d’étalage, voire droit de contrainte des paysans à se rendre au marché seigneurial.

  • 41  La grande dépression médiévale, op. cit., p. 41-42.
  • 42  Les coutumes de Vix du XIIe siècle mentionnent ainsi les nombreuses rentes en natures due (...)
  • 43  De la même manière, le prieuré de Saint-Pierre-de-Jusiers possédait une maison sur le mar (...)
  • 44  Voir à ce sujet les remarques de Guy Bois, La grande dépression médiévale, op. cit., p. 4 (...)
  • 45  « Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », op. cit., p. 3 (1047) : « (.. (...)
  • 46  A. Debord, La société laïque…, op. cit., relève p. 347 que 76 % des cens stipulés entre 1 (...)

6Seigneurs et paysans de l’an mil trouvaient tous un intérêt à l’établissement d’une assemblée commerciale régulière. C’est d’ailleurs la meilleure explication à leur extraordinaire floraison dès la fin du Xe siècle : le système du marché s’intègre parfaitement dans la logique sociale qui se met en place. Ainsi que l’a récemment confirmé Guy Bois, son « extension est liée à la mise en place des nouvelles structures seigneuriales » et, loin d’être un intrus, il est bien un « élément décisif du système »41. Il ne faut certes pas négliger l’importance symbolique du marché comme manifestation de l’autorité seigneuriale. Mais l’assemblée commerciale est bien une quasi-nécessité pour accompagner l’économie d’échanges qui se met en place. Dans le cadre du système féodal, le châtelain contre sa protection et sa justice reçoit des hommes assujettis à sa seigneurie des rentes, qui sont pour une partie d’entre elles encore remises en nature (produits agricoles ou de l’artisanat) au XIe siècle. La possession d’un site de marché au centre de la châtellenie est donc un moyen efficace pour écouler les stocks du cellier seigneurial afin d’obtenir du numéraire. Le schéma est identique pour les seigneuries ecclésiastiques : la dîme fournit aux religieux d’importantes réserves en nature dont ils n’ont pas toute l’utilité42. La présence d’un marché près de l’église ou du monastère est alors bénéfique, particulièrement pour les sites les plus importants (abbaye de Saint-Jean-d’Angély, prieuré de Barbezieux, où justement des réunions marchandes sont parmi les plus tôt attestés dans la documentation)43. Le paysan lui-même trouve son compte dans l’existence d’assemblées commerciales régulières. Les campagnes, on le sait, dominent le monde médiéval, économiquement et démographiquement. Or le tenancier, dans le cadre d’une nouvelle division du travail caractérisée par une spécialisation accrue, dissociant peu à peu monde artisanal et monde agricole44 (même si au XIe siècle l’autoconsommation reste importante), ne saurait satisfaire tous ses besoins. Pour certains objets de consommation courante (vêtements, outils, ustensiles divers…), il lui faut s’adresser à cet artisanat local. Dans ce contexte la possession d’espèces lui est nécessaire pour s’approvisionner, malgré la présence probable d’opérations de troc dont on ne peut connaître l’ampleur. Cette tendance à recourir au marché dans le nouveau système féodal est d’autant plus lourde que la monétisation de la société paraît s’accroître dès le milieu du XIe siècle en Saintonge, suite à la réanimation du centre de frappe de Saintes en 104745, ce que traduisent des rentes seigneuriales de plus en plus libellées en espèces46, qui imposent elles aussi le dégagement de numéraire pour le tenancier par la vente de ses surplus. Le marché apparaît donc désormais comme un véritable régulateur de la société féodale qui y recourt pratiquement en permanence, loin de l’image traditionnelle l’associant au principe d’autarcie.

  • 47  R. Britnell, « Les marchés hebdomadaires dans les îles britanniques… », op. cit., p. 39.
  • 48  Voir infra, deuxième partie, chapitre I, 1, p. 176-178 : « Des marchés sous protection : (...)
  • 49  J. Heers, La ville au Moyen Âge en Occident, p. 163-175, « Le marché à l’ombre des châtea (...)
  • 50  « Chartes saintongeaises de l’abbaye de la Couronne », éd. Paul de Fleury, A.H.S.A. t. VI (...)
  • 51  R. Fossier, « Le problème des marchés locaux en Picardie », Foires et marchés dans les ca (...)
  • 52  M. Bur, La formation du comté de Champagne, Nancy 1977, p. 301-303.
  • 53  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, t. I », op. cit., p. 266-267 (1048-1052).

7Avec la féodalisation de la société, le seigneur prend donc le contrôle du marché. Car ces assemblées ont besoin d’être protégées, réglementées et surveillées pour attirer le commerce et fournir des revenus au châtelain. Aussi, plus près le marché sera installé du château, et mieux les officiers seigneuriaux pourront contrôler les poids et mesures en vigueur dans la seigneurie, veiller à la police des assemblées, assurer la perception des divers droits perçus sur celles-ci, et vérifier que l’argent reçu par les tenanciers de leurs ventes sera consacré d’abord aux redevances seigneuriales, comme dans ces régions anglaises peu monétisées47. Il n’est donc pas étonnant que, dans une région aussi marquée par la féodalité que la Saintonge, faute de dynastie comtale indigène, les marchés apparaissent étroitement placés sous la tutelle du château. Cette situation de dépendance se traduit d’abord dans la topographie, comme à Montausier où le marché paraît se tenir dans le castrum48, situation que l’on retrouve dans l’ensemble de l’Occident contemporain49. À Archiac, à la fin du XIIe siècle encore, le minage est établi sur une place « apud idem castrum »50. La proximité topographique entre le château et le marché illustre aussi l’importance fondamentale de la sécurité dans l’essor des assemblées commerciales : les marchés tendent à se rassembler dans les espaces ecclésiastiques protégés des atteintes laïques par la Paix de Dieu, notamment les cimetières et l’atrium de l’église paroissiale51. L’on sait de plus toute l’importance du conduit comtal dans le succès des foires de Champagne, garantissant la sécurité des marchands à l’intérieur du comté, mais aussi de se porter partie en leur nom devant une juridiction étrangère en cas de besoin, tel Thibaud II en 1148, qui, lors de l’arrestation de changeurs de Vézelay par le vicomte de Sens, porta l’affaire devant Suger52. Les seigneurs jouaient évidemment un rôle central dans la protection du marché qu’ils contrôlaient : à Saint-Jean-d’Angély, la comtesse Agnès garantit ainsi la sécurité des marchands venant aux assemblées commerciales (« Hominibus vero cujuscumque, negociationis causa, transeuntibus, venientibus et redeuntibus, nullam ulterius violentiam inferemus »), et autorise l’abbé à leur donner des sauf-conduits (« habebit etiam abbas conductum in villa S. Johannis ; si quem conducere voluerit per se aut per praepositos suos, securus erit in villa in eundo et redeundo »)53.

  • 54  Pour les dons des revenus des droits de vente d’Esnandes, Pérignac, Archiac, Aulnay, de l (...)
  • 55  Cf supra, note 16, p. 76.
  • 56  En cela notre région, comme l’ensemble du royaume, diffère du voisin anglais où, dès le X (...)
  • 57  Ainsi à Royan, où « Helias et uxor eius (…) dederunt et concesserunt (…) totam consuetudi (...)
  • 58  « Isembertus et uxor sua Siginaldis et Imbald filius eorum concesserunt monachis Sancti C (...)
  • 59  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, t. I », op. cit., p. 266-267 : « (…) In hac immunita (...)
  • 60  « (...) Alduinus Capitalis et Bernardus Vicarius communi consilio concesserunt V precipua (...)
  • 61  Cartulaire de l’abbaye de Baigne, op. cit., p. 233-234 (XIe-XIIe s.) : « P. Borrelli vall (...)
  • 62  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, t. I », op. cit., p. 266-267 : « Placuit domino abba (...)

8Cet accaparement des marchés par les seigneurs leur permet de librement disposer de ceux-ci, comme l’illustrent les exemptions ou dons de droits de vente sur des assemblées aux religieux, ainsi que la concession de foires à ces derniers, notre principale source d’information avant le XIIe siècle. Alors que, théoriquement, les châtelains ne disposent de droits sur leur marché que par concession de la puissance publique, ils en viennent de plus en plus du IXe au XIe siècle à considérer le marché comme un bien patrimonial dont ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Usant des rassemblements commerciaux qu’ils contrôlent comme d’un bien propre, les seigneurs en donnent des parts à des tierces personnes, ou en font un outil de pouvoir par le biais de la concession à un vassal sous forme de fief. Les revenus des foires et marchés qui, il est vrai, émanent de leur pouvoir banal, sont ainsi notamment distribués au profit de religieux : des dons sont octroyés aux clercs d’Esnandes vers 1000, de Pérignac vers 1073, de Montausier en 1080, ou d’Aulnay, Royan, la Madeleine et Archiac vers 110054 ; et une exemption de venda est également prévue à Saintes vers 110055. Cet important mouvement touche aussi bien les princes les plus considérables de la nouvelle pyramide des pouvoirs (Guillaume, duc d’Aquitaine à Esnandes, le comte d’Angoulême Guillaume à Archiac ou Arnaud, fils de Geoffroy comte d’Angoulême, à Montausier) et les seigneurs régionaux (Hélie de Didonne à Royan, le vicomte d’Aulnay), que de petits seigneurs locaux et obscurs (Guillaume de Passavant à Saintes, les sept dominis de La Madeleine). La présence prédominante de ces deux derniers types de seigneurs illustre cependant un émiettement important des pouvoirs sur les assemblées commerciales, au profit des châtelains. Le stade suprême de la féodalisation du droit du marché ou de la foire est atteint lorsque c’est un seigneur, usurpant l’ancienne prérogative régalienne, qui octroie ces derniers à un établissement religieux, ou à un vassal en guise de fief56. Le marché devient alors un instrument de pouvoir dans le cadre de la société féodale, qui repose sur le principe de la concession par un seigneur à une tierce personne d’un fief, gage de la loyauté et des services que lui devra à l’avenir ce vassal entré dans sa clientèle. Le fief peut consister en divers dons, tant de terres, de rentes que de droits banaux, dont le marché, on l’a vu, fait partie. Au XIe siècle saintongeais, à la documentation exclusivement ecclésiastique, l’on ne rencontre guère que des « dons et concessions » à des établissements religieux, toujours en franche aumône, et n’appelant donc théoriquement aucun service en retour57. Des laïcs ont bien sûr profité des mêmes concessions de droits sur les foires et marchés, cette fois au devoir de divers services, sans que l’on n’en garde de traces avant le XIIIe siècle. La concession en franche aumône d’un droit de vendre des poissons à Angoulins vers 990 à l’abbaye Saint-Cyprien de Poitiers, qui a pu entraîner la création de fait d’un marché, illustre cette attitude « régalienne » des seigneurs locaux dans l’octroi d’assemblées commerciales58. Lors de créations explicites de foires et marchés par un acte politique seigneurial, le détenteur de l’autorité usurpée peut être assez important pour que l’octroi s’éloigne peu de son esprit initial. Ainsi la comtesse Agnès d’Anjou, dont l’époux contrôle alors un vaste ensemble territorial (Anjou, Poitou, Saintonge), se permet-elle de concéder à l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély vers 1048-1052 des foires et marchés, ainsi que d’importantes prérogatives commerciales59. Si le processus est identique et contemporain à Barbezieux, dont le seigneur concède au prieuré Sainte-Marie cinq foires par an vers 1043-1060, l’acte émane cette fois d’un simple châtelain (même si la châtellenie qu’il contrôle est l’une des plus importantes de Saintonge), et d’un de ses proches60. Ces divers exemples démontrent assez combien la foire et le marché, tombés dans les prérogatives seigneuriales, sont devenus soit des biens patrimoniaux dont l’on dispose à sa volonté des revenus, soit des moyens d’affirmer ses pouvoirs et ses droits féodaux, par leur concession en franche aumône à des établissements religieux, ou en fief à un seigneur laïque. La féodalisation des assemblées commerciales gagne même le monde ecclésiastique : à Saint-Cyprien, dans la commune de Châtignac, c’est l’abbé de Baigne lui-même qui a concédé le revenu du péage de sa foire à un laïc61, tandis que la charte octroyant les assemblées de Saint-Jean-d’Angély prévoit que l’abbaye concédera notamment à la comtesse Agnès le minage, le cens des panetiers du dimanche, ainsi que le péage du sel62.

  • 63  Cartulaire de l’abbaye de Baigne, op. cit., p. 151 : « Mainardus de Cyresio juxta burgum (...)
  • 64  Ibid., p. 201 (1075-1080).
  • 65  « Enjoinct à tous leurs tenanciers et habitans de ladite seigneurie de Fontaines de adsis (...)

9Un acte daté d’entre 1083 et 1098 démontre assez l’importance du lien entre marché et pouvoir banal seigneurial. Un certain Mainard possédait en effet à l’époque un bourg à côté de celui de l’abbaye Saint-Étienne-de-Baigne, où les religieux n’osaient rien acheter sans lui payer aussitôt des droits de vente. Mainard autorisa finalement les moines à lever sur ses tenanciers la même coutume qu’ils levaient sur les leurs et à percevoir sur son propre cellier seigneurial le droit de marché comme sur les autres maisons63. Plusieurs caractères du système commercial féodal que nous venons d’évoquer apparaissent dans ce texte, et d’abord l’importance du cellier seigneurial (cellario), pour lequel nous avons évoqué plus haut tout l’intérêt de posséder une assemblée proche, dans l’animation marchande locale. Le marché y fait figure ensuite d’attribut du pouvoir banal seigneurial, et de lieu important de l’exercice de ses prérogatives : les tenanciers doivent y acheter leurs provisions, et y payer des droits à leur seigneur. Symboliquement, les moines qui viennent acheter des marchandises sur ce marché, en se soumettant à la venda, reconnaissent la prééminence de Maynard, ce qui explique sans doute les intercessions, implicites dans le texte, de l’abbé de Baigne pour obtenir la franchise des moines et de leur familia. Mais, mieux encore, Maynard accepte de partager la souveraineté sur son marché en acceptant que ses propres tenanciers, et lui-même, paient des droits de vente aux religieux. S’il s’en réserve sans doute la justice, le fait qu’il accepte aussi de payer la venda aux moines marque sa sujétion. Le marché apparaît bien ici comme un espace de contrainte et de symbole, haut lieu de l’exercice des droits banaux seigneuriaux, où le tenancier d’un seigneur a le devoir d’acheter au marché de celui-ci et de lui payer des droits de vente, en échange de sa « garantie » (protection et justice). Un peu auparavant, le sire de Montausier ne faisait pas un autre raisonnement, en parlant des droits de « vendicionem in foro venalium rerum, de omnibus rebus quecumque empta vel vendita fuerint in dominio » dus par ses tenanciers64. Preuve que le marché fait alors partie intégrante de la notion de seigneurie (dominium) et de l’exercice des prérogatives qu’elle suppose, s’imposant durablement aux populations dépendantes. L’on retrouve encore en effet à la fin du XVIe siècle, qui plus est dans une charte royale de concession de foires et marchés, l’obligation pour les tenanciers de se rendre aux assemblées seigneuriales65.

10L’importance du nouveau cadre féodal dans la dynamisation du réseau commercial ne doit cependant pas masquer les héritages du haut Moyen Âge. C’est ainsi que quatre des plus anciens sites de foires et marchés documentés correspondent aux places commerciales antiques, Saintes et ses trois « bourgades routières », Saint-Jean-d’Angély, Pons et Aulnay. La grande voie romaine qui traverse la province du nord au sud, constamment utilisée, explique sans doute cette permanence, comme la disparition de Novioregum, plus excentrée et sensible aux aléas venus de la mer. Sans oublier la part, impossible à quantifier, de ces rassemblements ruraux festifs puis commerciaux, léguée par les époques anciennes. L’accaparement des foires et marchés par le système féodal n’en reste pas moins un ferment de profonde mutation. Ceux-ci sont désormais des attributs de pouvoir auxquels recourt tout châtelain, pour peu que la bourgade que son château domine soit animée, par le biais de la création ou de la concession, et dont profitent les religieux. Cette présence du marché ou de la foire est d’ailleurs devenue une nécessité devant l’essor contemporain de l’économie d’échanges, en partie lié lui-même au système féodal.

Un signe net du redémarrage économique

  • 66  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome I », op. cit., p. 265.
  • 67  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome II », éd. G. Musset, A.H.S.A. t. XXXIII, p. 126
  • 68  « Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », op. cit., p. 44 (1140) et 58  (...)
  • 69  Ibid., p. 165-167. Goffridus doit en 1146-1171 trois bœufs, ce qui laisse supposer un enr (...)
  • 70  Ibid., p. 44 (1140) et 58 (1100-1107).
  • 71  « Cartulaire du prieuré de Notre-Dame de Barbezieux », op. cit., p. 5 (1068-1083).
  • 72  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome I », op. cit., p. 59 (1101).
  • 73  « Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », op. cit., p. 165-167 : il doi (...)
  • 74  Ibid., p. 166-167.
  • 75  A. Debord, La société laïque…, op. cit. p. 201, note 86.
  • 76  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome I », op. cit., p. 209 et 342 (1060-1091). Un Ma (...)
  • 77  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome II », op. cit., p. 78 (vers 1098) et 113 (1060- (...)
  • 78  « Cartulaire du prieuré de Notre-Dame de Barbezieux », op. cit., p. 11, 50, 96 et 138.
  • 79  « Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », op. cit., p. 58 (1100-1107), (...)

11La multiplication des foires et marchés à partir du XIe siècle, si elle est liée au nouveau cadre féodal, représente aussi un des révélateurs les plus évidents du début du vaste mouvement de croissance dont va pendant plusieurs siècles bénéficier l’Occident. Ce puissant essor économique est notamment lié à la construction d’une économie d’échange dans laquelle le marché prend toute sa part. La nouvelle division sociale du travail qui se met en place implique une relative spécialisation des tâches à partir du XIe siècle, favorisant les relations d’échanges : l’artisanat se concentre dans les bourgs et les villes tandis que les paysans s’orientent vers des productions agricoles en abandonnant la part non agricole de leurs activités. Dès 1048-1052, à Saint-Jean-d’Angély, vivent et travaillent des « sutores, et pelletani et molendinarii et hortolani »66. Les meuniers et boulangers sont également actifs dans les villes et bourgs saintongeais : l’on trouve ainsi mention dans la charte de donation de l’église de Burie vers 1090 d’un Ebraldus Panificus67, ainsi que d’Arveus Panetarius, de Joscelinus Panerius et de Brunus Mosnerius à Saintes, ces deux derniers témoignant lors lors de l’exemption de venda accordée par Guillaume de Passavant aux hommes de l’abbaye Notre-Dame68. Au début du XIIe siècle vivent à Marennes Segoinus Molnerius, Rotbertus et Helias Mosnerius, Constantinus et B. Mosne. C’est ici également que Goffridus Panetarius doit une coutume d’un bœuf par an à l’abbaye de Saintes69. D’autres artisans, notamment du textile, sont actifs à Saintes (Othgerius Pelliparus, Andreas Peletarius)70, Barbezieux (Giraldus Peletarius)71, Saint-Jean-d’Angély72 et Marennes (Andreas, Lethardus et Petrus Sutor, ce dernier devant également une coutume d’un bœuf par an)73. Un Aleardus Carpentarius est également cité à Marennes au début du XIIe siècle74. C’est cette nouvelle division du travail qui sous-tend les processus d’expansion de la production marchande et ceux de la monétarisation et de l’urbanisation. Les artisans nourrissent une demande en productions agricoles (nourriture, blé pour les meuniers et boulangers, peaux et laine pour la production textile, bois pour les charpentiers…), qui fournit un surcroît de revenus pour des paysans enclins à développer et spécialiser leur production afin d’y répondre, et en retour à consommer eux-mêmes des biens manufacturés par ces artisans : la croissance du monde rural et celle des bourgs se nourrissent réciproquement dans une interaction au cœur de laquelle se situe le marché. Les marchands servent d’intermédiaires à ces relations. Ils forment dès le dernier tiers du XIe siècle une couche sociale que les contemporains ont commencé à dissocier des milites et des paysans : un acte de la Sauve-Majeure mentionne en effet différentes catégories de personnes, « sive milites, sive rustici, sive mercatores omnesque homines »75. L’on trouve au même moment les premières mentions de ceux-ci. Airaldi Marhaldo témoigne lors d’un don à Romazières, sur les marches nord-orientales de la Saintonge, tandis que Frotgerius Mercator posséde une vigne à Saint-Macout, faubourg de Saintes (où, là encore, un marché s’est probablement maintenu depuis l’Antiquité)76. De son côté, Rodbertus, mercator, est témoin lors du don d’une partie de l’église d’Esnandes, et Giraldus Marcaldus vit au petit bourg de Marancennes près de Surgères (où nous avons dit qu’un marché devait exister au XIe siècle)77. En Saintonge charentaise, Petrus et Giraudus Mercerius sont cités vers 1098-1127, Iterius Mercaderii est témoin d’une donation dans la châtellenie de Barbezieux, comme Rampnulfus Mercator et Giraudus Mercier de las Noeles, tandis que Mainardus Marchauc donne trois mines de terres à Notre-Dame78. D’autres marchands gravitent dans l’orbite de l’abbaye de Saintes : Fulcherius Venderius figure parmi les témoins de l’exemption de venda octroyée par Guillaume de Passavant aux hommes des religieuses, et Garinus Venderius, sans doute un parent, possède en 1134-1174 des terres près de Saintes ; à Marennes au XIIe siècle, un Arnaudus Marcau est un des habitants les plus taxés du bourg, avec quatre bœufs par an79. La multiplication de ces mentions de marchands trahit l’essor commercial dont ils sont les instruments, et notamment sa dimension laïque. Ils sont généralement actifs près de sites commerciaux importants (Surgères, Saint-Jean-d’Angély, Saintes, Barbezieux, Marennes), mais peuvent être également établis dans de petites bourgades où des assemblées se tenaient probablement. D’un autre côté, leur fréquente apparition au titre de témoins ainsi que les donations qu’ils font aux abbayes, montrent qu’ils font déjà localement figure de notables.

  • 80  Ibid., p. 62 : « (…) Donamus et firmiter concedimus ecclesie Sancte Marie sanctimonialium (...)
  • 81  « Chartes du prieuré de Saint-Nicolas de Royan », éd. A. Dupré, A.H.S.A. t. XIX, p. 29.
  • 82  Cartulaire de l’abbaye de Baigne, op. cit., p. 228 : « (...) Quoniam Ilduinus, filius Ite (...)
  • 83  R. Fossier, dans son étude sur « les problèmes des marchés locaux en Picardie » (op. cit.(...)
  • 84  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome I », op. cit., p. 149.
  • 85  Ibid., p. 125.
  • 86  « Cartulaire du prieuré de Notre-Dame de Barbezieux », op. cit., p. 57.
  • 87  Cartulaire de l’abbaye de Baigne, op. cit., p. 23 et 228 (1083-1098).
  • 88  « Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », op. cit., p. 50, 80 et 89.
  • 89  Ibid., p. 165-167 et 154.

12Le dynamisme commercial saintongeais du XIe siècle se perçoit tout entier dans la multiplication de franchises et autres privilèges commerciaux dont bénéficient les abbayes locales. Outre les divers dons de revenus de foires ou l’octroi de celles-ci partout en Saintonge, que nous avons étudiés plus haut, les exemptions, au profit de religieux, de péages pesant sur les marchandises sont fréquentes : vers 1096-1107, les sires de Taillebourg exemptent les navires de l’abbaye Notre-Dame de Saintes passant sur la Charente devant leur château de tout droit80, quand en 1092 Hélie de Didonne avait affranchi des coutumes du port de Royan les navires du prieuré Saint-Nicolas81. Le seigneur de Barbezieux fait également remise à l’abbaye de Baigne de tout péage sur ce qu’elle achètera en ses terres entre 1083 et 109882. Un réel essor des échanges paraît bien provoquer, à partir de la seconde moitié du XIe siècle, une fréquentation croissante des routes, fleuves et mers par les marchandises des abbayes et des laïcs83. Vers 1097 Achard de Born, seigneur d’Aujac, renonce par exemple à percevoir des droits de vente sur les marchandises venues de ses terres sur les marchés et foires de Saint-Jean-d’Angély, ce qui atteste l’importante attraction du marché de consommation de l’abbaye et du bourg en dépendant (Aujac est à une quinzaine de kilomètres de Saint-Jean) et laisse supposer le trafic régulier de marchandise qu’il suscitait84. Ces échanges de plus en plus fréquents, que suggérait déjà vers 1050 l’octroi de sauf-conduits à l’abbaye de Saint-Jean, sont également trahis par la floraison des péages, même si l’on n’en retrouve souvent que des mentions indirectes, comme ces percepteurs aisés, témoins ou donateurs dans les actes des principales abbayes saintongeaises : un Gislebertus Telonearius est mentionné vers 108085, ainsi qu’un Gardradus Peager, à Saint-Bonnet près de Barbezieux86. Fulcaldus de Peadgeria est cité dans un acte de 1111-1117, ainsi que S. Petri telonearii87 ; et à Saintes, Senioreth Theloneari est témoin dans un acte relatif à la monnaie de la ville (1140), puis dans la charte de donation du péage du Gua (1150) alors que Bruno Thelonearius, peut-être lié au précédent, est en 1122 possesseur de terres près de Saintes88. À Marennes est mentionné au XIIe siècle Ramnulfus Peadgerius, qui doit la somme importante de deux bœufs par an à l’abbaye, et à Vix, Petrum Thelonearium est cité à une date inconnue (XIe-XIIe siècle)89.

  • 90  O. Jeanne-Rose, « Ports, marchands et marchandises. Aspects économiques du littoral poite (...)
  • 91  Cf. supra, notes 45 et 46, p. 81.
  • 92  « Venda et nommularium et tabulae ejus, abbatis sunt propriae », dit le diplôme de la com (...)
  • 93  Dans la transaction avec le seigneur d’Aujac vers 1097, citée plus haut, l’abbé de Saint- (...)
  • 94  « Cartulaire de l’abbaye de Saint-Cyprien de Poitiers », op. cit. p. 289, vers 1090.
  • 95  Cartulaire de l’abbaye de Baigne, éd. de l’abbé Cholet p. 151.
  • 96  « (...) Stagnum de blado et vino, quotiens voluerent, fuerent, et unquam minagium dabunt (...)
  • 97  Cf supra, note 32, p. 78.
  • 98  « Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », op. cit., p. 86 : « et si ali (...)
  • 99  A. Debord, La société laïque dans les pays de la Charente…, op. cit. p. 359.
  • 100  G. Bois, La grande dépression médiévale…, op. cit., p. 50.

13Cet essor des foires et marchés, et des échanges en général, que l’on retrouve dans des modalités très proches en Poitou90, s’appuie largement sur une monétisation de plus en plus poussée de la société à partir de la seconde moitié du XIe siècle, vers laquelle tous les éléments convergent. On a vu la création d’un atelier monétaire à Saintes en 1047, ainsi que le libellé des cens se présenter de plus en plus fréquemment en argent à partir de 105091. Entre 1048 et 1052, l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély se voit de même octroyer un droit de contrôle des changes des monnaies92. Cette généralisation de la monétisation de la société coïncide avec la multiplication des foires et marchés ainsi que l’essor des échanges et les franchises l’accompagnant. Les faits sont trop concordants pour ne pas être rapprochés de manière systémique dans le cadre de ce concept de « révolution commerciale de l’an mil » élaboré par Lopez… Si des courants d’échanges à longue distance sillonnent assez tôt l’économie saintongeaise, au moins dans ses franges privilégiées93, l’essentiel des trafics était destiné à répondre aux besoins quotidiens, les productions alimentaires y trouvant logiquement une place de choix : les paysans écoulaient leurs stocks, et les marchands alimentaient les principaux marchés de consommation. La plus ancienne assemblée de Pons est ainsi un « mercatum bovile »94. De la même manière, dans le conflit entre les moines de Baigne et Mainard de Cyresio, il est dit que ceux-ci n’osaient « neque panem, neque carnem, neque aliquid omnino apprehendere »95. La gradation montre que le marché fournit d’abord le ravitaillement courant (pain et viande, tels ces lamborum à Pérignac, mais aussi poisson sur le littoral, comme à Angoulins). Vin et blé ont donc une grande importance : le diplôme de la comtesse Agnès mentionne en effet à Saint-Jean-d’Angély un minage, et concède également un droit d’étang à blé et à vin96. Le sel est enfin une incontournable denrée parmi les aliments de première nécessité qui parsemaient les étals des marchés, indispensable à la conservation des viandes et des poissons. Il doit être très présent dans les marchés littoraux proches de sites de production fréquemment contrôlés par l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély. Surtout, il joue logiquement un grand rôle dans cette ville où les moines possèdent un « peagium (...) de sale et gemma ». Cette denrée était également vendue le jour de la saint Séverin à Barbezieux vers 1143, au profit du seigneur qui en donna les bénéfices au prieuré Notre-Dame97. À côté des produits alimentaires de première nécessité, un petit artisanat, dont on a constaté l’apparition au XIe siècle, trouvait sans doute un débouché à ses productions sur le marché. Là se vendaient ces biens indispensables à la vie quotidienne : outils de fer, ustensiles divers de céramique ou de bois, cuirs, peaux, matières nécessaires à la confection de vêtements. Un texte, tardif pour l’époque qui nous intéresse ici, détaille le tarif de la coutume de Pont-l’Abbé de la fin du XIIe siècle, qui atteste une exportation active de laine et de draps98. Dès avant, des dîmes et cens mentionnaient les productions de laine, de chanvre, ou de lin99. La Saintonge, comme le reste de l’Occident médiéval contemporain, était donc marquée par l’apparition de cultures commerciales exclusivement tournées vers la vente, destinées à répondre à une demande urbaine croissante en plantes vouées à l’artisanat textile, en cultures maraîchères, mais également en vin. Car la viticulture, principal vecteur de la pénétration de la monnaie dans les campagnes, avec le commerce des grains100 et celui du sel, animait avec ce dernier à la fois un commerce local et international.

L’intégration des foires et marchés au grand commerce

  • 101  La société laïque dans les pays de la Charente..., op. cit. p. 355, note 142.
  • 102  « Cartulaire saintongeais de la Trinité de Vendôme » éd. Ch. Métais, A.H.S.A. t.XXII, p.  (...)
  • 103  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély », op. cit. t. II, p. 158-159 : « (...) Reclamabant e (...)
  • 104  J. Chapelot, Navigation et milieu fluvial au XIe siècle : l’épave d’Orlac (Charente-Marit (...)
  • 105  À Taillebourg, où existait un port saunier, la rue saunière, une des principales de la vi (...)
  • 106  La rue saunière y est citée en 1445 (A.N., 1 AP 2131, n° 44).
  • 107  L’on y trouve une rue saulneze en 1332 (« Registres de l’échevinages de Saint-Jean-d’Angé (...)
  • 108  La rue saunière, située près des bancs du marché, y est attestée en 1315 (« Inventaire de (...)
  • 109  Ce « chemin saunier » n’est autre que la voie sur laquelle Vulgrin Ier avait au IXe siècl (...)
  • 110  Le cartulaire de Saint-Cybard y mentionne vers 1041-1043 les « asinarios qui portant sale (...)
  • 111  R. Favreau, « Le port saunier de Cognac au Moyen Âge », 95e congrès des sociétés savantes (...)
  • 112  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély », op. cit. t. I, p. 363 (Vayres, sur la Gironde, 109 (...)
  • 113  « Cartulaire saintongeais de la Trinité de Vendôme », op. cit., p. 49 : « praeterea liber (...)

14Deux productions aunisiennes et saintongeaises dépassaient en effet, dès l’époque qui nous intéresse ici, le circuit des foires et marchés locaux pour animer des courants d’échanges internationaux. Chronologiquement, le sel est la première de celles-ci. On l’a vu jouer un grand rôle dans le commerce de Saint-Jean-d’Angély, en relation avec les nombreuses salines que possédait l’abbaye sur le littoral, notamment dans la région d’Yves, Voutron et Châtelaillon, favorisant un trafic de ce sel des littoraux vers les marchés de l’intérieur du pays. Les cartulaires d’abbayes dotées de possessions aunisiennes, qui remontent aux IXe-Xe siècles, témoignent déjà d’une activité considérable : André Debord a dénombré 100 actes concernant des salines entre 892 et l’an 1000, et une trentaine pour le XIe siècle101. Un rapide sondage, à partir du cartulaire de Saint-Cyprien de Poitiers, nous a permis de constater que, au moins jusqu’au début du XIe siècle, les salines dominent l’économie littorale aunisienne, devant les vignes, le blé, ou l’élevage : la grande majorité des actes les concerne, et les vignes semblent repoussées dans l’arrière-pays (région de Niort). Ces dernières prennent peu à peu le relais à partir du XIe siècle : les mentions de vignes sont plus fréquentes alors que celles des salines, comme l’a noté André Debord, se font moins nombreuses. Une étude plus complète sur l’ensemble des sources disponibles (documents des abbayes de Saint-Maixent, de Saint-Cyprien, de Nouaillé, et de la Trinité de Vendôme, notamment) montrerait sans doute qu’au cours des XIe-XIIe siècles la vigne prend le pas sur les salines en Aunis, ces dernières tendant à se concentrer sur l’île de Ré et sur les marais d’Yves, de Brouage et de Seudre. Il n’en reste pas moins que ce commerce du sel a joué un rôle central dans l’économie d’échanges de nos provinces. C’est lui qui a favorisé aux XIe-XIIe siècles l’essor de Châtelaillon, qui contrôlait la région des salines dont elle était le centre géographique. C’est également celui-ci qui explique en partie la fortune de l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély et du port de Saint-Agnant. Cette dernière bourgade est animée en effet par des ventes régulières de sel, mentionnées à partir de 1068, nourissant un cabotage régulier sur le golfe de Brouage, et favorisant l’activité du marché cité en 1316102. L’abbaye de Saint-Jean exporte également son sel par voie fluviale quand, vers 1104-1109, sont relatées les exactions des seigneurs de Châtelaillon : ils s’emparaient du sel produit par les salines de l’abbaye quand celui-ci était de prix élevé pour le rendre quand son coût était vil. Ils acceptent enfin solennellement de se contenter de la perception de la coutume sur le sel leur appartenant, que les religieux chargeront sur leurs navires et qu’ils leur auront acheté quand ils n’auront pas assez du leur pour faire le plein de leurs navires103. Ce sel était, via la Charente et la Boutonne, ramené à Saint-Jean-d’Angély où il animait périodiquement les foires et marchés et où était perçu un péage sur son trafic. De manière générale, deux importantes routes du sel peuvent être isolées. La première, terrestre104, partait de Taillebourg105, Saint-Savinien106 et Saint-Jean-d’Angély107, vers Matha108 et, de là, vers l’Angoumois (Xambes, Marcillac)109 jusqu’à Angoulême (port de Basseau)110. La deuxième voie était fluviale et, par la Charente, rejoignait le port saunier de Cognac (attesté dès 1047) en passant par Taillebourg111. Au-delà de cet espace charentais, le sel de l’abbaye de Saint-Jean gagnait les rives de la Gironde et le Périgord112. Cette denrée jouait donc un rôle majeur dans le trafic commercial saintongeais, d’où les franchises accordées pour sa circulation et sa vente : l’on a cité l’acte par lequel le sire de Châtelaillon permettait au prieur d’Yves de transporter par bateau le produit de ses salines pour le vendre ou il voudra, et de même vers 1040-1060 le comte de Poitou autorisa les moines de Vendôme à vendre librement leur production de sel dans l’île d’Oléron113.

  • 114  A. Debord, La société laïque dans les pays de la Charente…, op. cit. p. 357-358.
  • 115  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély t. II », op. cit. p. 80 : « Ego, Petrus de Bogl, domi (...)
  • 116  J. Chapelot, Navigation..., op. cit. p. 130.

15Au même moment, le vin commençait à le disputer au sel parmi les produits d’exportation saintongeais. Le vignoble est abondant dès le Xe siècle en Saintonge, quand commence son développement : il est présent dans 28 % des actes de 900 à 950, et 38 % de ceux passés entre 950 et 1000. C’est cependant au cours de la seconde moitié du XIe siècle que la plantation de vigne connaît une nette montée en puissance, notamment sous l’action de l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély114. En complément de sa politique commerciale axée sur les salines, le monastère opère de vaste acquisitions autour de Saint-Jean-d’Angély, vers Aulnay et Niort à partir du Xe siècle. Ce mouvement s’amplifie au XIe siècle (alors même que l’importance des salines, on l’a vu, marque le pas), puisque André Debord estime à 45 % la part d’actes d’acquisitions postérieures à 1050. L’on peut véritablement parler d’une politique planifiée : l’abbaye, par ses achats, établit de vastes domaines près d’Arces en Saintonge Girondine (1047-1065) et Saint-Macout à Saintes (vers 1075). Le produit de ces acquisitions excédait bien évidemment les besoins de l’abbaye, ayant une claire vocation commerciale, que l’on peut mettre en relation avec l’octroi d’un banvin (monopole temporaire sur la vente de vin) à Saint-Jean-d’Angély vers 1048- 1052. Le commerce viticole s’est donc affirmé dès la seconde moitié du XIe siècle, irriguant les marchés locaux : la foire de la Saint-Luc à Saint-Jean-d’Angély, assemblée laïque parmi les plus importantes et anciennes de la ville, pourrait être liée à ce commerce, par sa proximité (18 octobre) avec les vendanges et la vinification. Le trafic des vins d’Aunis-Saintonge, à partir de ce terreau ancien, prend peu à peu un caractère prédominant en terme d’emprise spatiale et de revenu aux XIIe-XIIIe siècles en Aunis et autour de Saint-Jean-d’Angély. S’il connut une croissance exponentionnelle avec l’essor rochelais, il est donc antérieur à la naissance de cette ville, et semble avoir connu pour premier centre Saint-Jean-d’Angély, qui du reste participa aussi très largement au commerce international des vins d’Aunis-Saintonge jusqu’au XVe siècle. Dès 1060-1091 ainsi, le seigneur de Riez en Vendée accordait des franchises pour tous les navires de l’abbaye passant par sa mer, attestant une activité d’exportation du sel, mais peut-être aussi du vin, étant donné la chronologie de l’acte. Les franchises du seigneur de Châtelaillon de 1104-1109 s’adressaient par ailleurs également au produit des vignes115. Nous rejoignons cependant l’opinion de Jean Chapelot selon laquelle la commercialisation du vin, au cours de la seconde moitié du XIe siècle, se bornait aux productions des vignobles littoraux, proches des ports. Celle-ci ne devint internationale et favorisa une emprise accrue de la vigne sur les terroirs charentais qu’au cours du XIIe siècle pour les régions de La Rochelle et Saint-Jean, et plus tard (fin XIIe-début XIIIe siècles) pour celles de Saintes et Cognac116. Au cours des années 1000-1150, que nous étudions ici, il ne fut qu’un soutien marginal à l’internationalisation des échanges saintongeais et aunisiens, appuyé sur le réseau des foires et marchés, même s’il a joué un rôle évident dans le commerce purement local de ces assemblées commerciales.

  • 117  « Cartulaire du prieuré de Notre-Dame de Barbezieux », op. cit., p. 3-4 et 7-8.
  • 118  « Recueil de chartes sur les premiers seigneurs de Barbezieux », op. cit., p. 233-234.

16Il est temps de conclure cet aperçu du contexte socio-économique dans lequel apparaît la base du système commercial des foires et marchés d’Aunis-Saintonge. Fondamentalement lié au contexte féodal dont il tire une partie de son origine et dont il incarne les valeurs, le marché a su profiter des productions variées du pays, exploitées et orientées vers le grand commerce par les abbayes régionales, pour engranger d’importants revenus et asseoir son expansion. Le meilleur signe de cette dernière est la convoitise qu’attirent les profits croissants des foires et marchés. C’est ainsi que l’octroi des assemblées de Barbezieux fut régulièrement contesté à partir de la fin du XIe siècle, quand le prieur Hugues doit racheter son droit de foire ; vers 1098-1127 cet accord est à nouveau dénoncé, mais le plaignant doit finalement accepter que ses tenanciers soient taxés sur les foires des religieux, ce qui nous renvoie aux enjeux féodaux symboliques du marché ; enfin en 1143 une nouvelle contestation porte sur la possession du tiers des revenus de la foire de la Toussaint, et oblige à la réunion d’un plaid dans lequel interviennent, signe de l’importance de l’enjeu, le comte d’Angoulême, l’évêque de Saintes et l’archevêque de Bordeaux117. Les empiétements des milites finirent par aboutir : malgré la confirmation des droits des religieux sur la foire de la Toussaint rappelée par le plaid de 1143, un document de 1316 afferme les revenus de celle-ci au nom du seigneur de Barbezieux, qui l’avait donc soit usurpée, soit obtenu en fief du prieuré118. Dès cette époque, donc, les assemblées locales connaissent des revenus croissants, et drainent des trafics marchands réguliers et en constant essor, source de bien des convoitises. Nous n’étions pourtant là encore qu’au début de la grande phase d’expansion qui caractérise le réseau des foires et marchés aux XIIe-XIIIe siècles.

II. 1150-1340 : Le premier apogée des foires et marchés

La densification du réseau commercial

  • 119  Lors du transfert du marché de Bourgneuf du dimanche au samedi en 1372, le commandeur de (...)
  • 120  R. Favreau, « Aspects de la vie économique dans le Centre-Ouest, fin XIIIe-début XIVe siè (...)
  • 121  Certaines assemblées sont de création royale, telles celles de Saint-Liguaire créées par (...)
  • 122  R. Favreau, « Aspects de la vie économique... », op. cit., p. 522-523.
  • 123  Prenons l’exemple de Royan : dès les années 1090, l’on y trouve un marché (cf supra, p. 7 (...)
  • 124  G. Duby, L’économie rurale…, op. cit., t. I, p. 235.

17Le développement de la Rochelle, à partir des années 1130, est un repère fondamental de l’histoire du commerce d’Aunis-Saintonge. Le « phénomène rochelais », celui d’une croissance éclair d’une ville bâtie sur le commerce des vins, insère définitivement nos deux provinces dans le grand commerce, auxquels elles avaient déjà été initiées par le commerce du sel. Ce dynamisme particulier de certaines régions du diocèse a certainement, avec d’autres facteurs qui seront abordés plus loin, favorisé le développement de la commercialisation d’une large partie de l’Aunis-Saintonge. Entre 1150 et 1340 ce sont ainsi 44 sites commerciaux qui sont recensés. Parmi les 18 sites relevés au XIe siècle, 11 se retrouvent à cette période, particulièrement les plus importants : les trois communes nées à la fin du XIIe siècle (La Rochelle, Saint-Jean-d’Angély, Saintes) et plusieurs grands centres féodaux, dont certains règnent sur un vaste territoire (Pons, Barbezieux, Surgères, Archiac, Cognac ou Royan). Bien que non documentés, les sept autres existent sans doute toujours : le seul site que l’on ne retrouve plus au cours des périodes postérieures est celui de Saint-Cyprien à Châtignac. L’on voit ici la pérennité du tissu commercial bâti au XIe siècle, qui a appuyé le développement d’autres sites, resserrant le maillage à partir des centres les plus importants. Ce vaste mouvement de densification du réseau des foires et marchés du XIIe-XIIIe siècle correspond à un premier apogée du système commercial local d’Aunis-Saintonge, avant la grande dépression médiévale : ces deux siècles sont ceux d’un important encadrement des populations par le marché, alors que l’essentiel du réseau des places commerciales se met en place. Ce dernier apparaît d’ailleurs sous-estimé par notre recensement. Beaucoup de sites qui sont mentionnés pour la première fois dans la documentation entre 1340 et 1450 sont plus anciens, et déjà bien établis et structurés (avec la présence de halles, par exemple). C’est ainsi que des places de foires et marchés comme Bourgneuf, Taillebourg, Saint-Savinien, Salles, remontent certainement au moins au début du XIVe siècle, souvent avant119. Le réseau des assemblées était donc déjà mûr au début des années 1340, quand la crise vint le frapper, et les siècles suivants n’ont fait qu’aménager celui-ci en l’étoffant, sans le remettre globalement en cause, les mêmes sites se perpétuant. L’on rejoint ici les conclusions de Robert Favreau, selon lesquelles le XIIIe siècle est marqué par un mouvement général de création de foires et marchés, avec une ampleur que l’on ne retrouve qu’aux lendemains de la guerre de Cent ans. Nous observons alors, comme il l’avait fait pour le Poitou, une intense densification du réseau des places commerciales locales, dont nous n’avons qu’un aperçu minimum car, comme l’affirme cet historien, si l’évolution économique entre le Poitou et les régions voisines est comparable, les textes sont moins nombreux dans ces dernières et l’évolution chronologique plus difficile à suivre120. Les faits sont néanmoins patents, et incitent à croire à une commercialisation active et de plus en plus profonde de l’Aunis-Saintonge à cette époque, portée par l’internationalisation du trafic des vins depuis le XIIe siècle, et ses répercussions dans l’arrière-pays. Encore cette organisation commerciale est-elle en partie héritée de la période précédente : pour ces 44 sites, l’on ne connaît que 6 créations ou concessions de marché (13,6 %)121, part faible par rapport à la période précédente (trois créations au moins à Angoulins, Barbezieux et Saint-Jean sur 18, soit 16,7 %), et à 1450-1550 (au moins 35 créations ou rétablissements sur 80 sites, soit 43,8 %). Il va sans dire que beaucoup de chartes de création de foires au XIIIe siècle ont été perdues ou n’ont pas été retrouvées, mais l’on peut croire que la période 1150-1340 a été d’abord une phase de consolidation sur des bases déjà bien en place, établies au cours de la période précédente. Cela nuancerait les vues de Robert Favreau, qui sous-estime quelque peu l’activité de création d’assemblées commerciales au XIe siècle, en la jugeant « diffuse », tout en insistant sur ce qu’il considère être une grande phase de création au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle, quitte à citer des exemples qui ne sont pas toujours des fondations, mais des premières mentions (ce qui suppose soit que les foires sont récentes, soit qu’elles sont plus anciennes, mais non documentées jusque là)122. Si l’on suit ce procédé, le cas saintongeais rejoint l’exemple poitevin : 25 des nouveaux sites de foires et marchés de la période 1150-1340 sur 44 sont attestés entre 1240 et 1340, tandis que deux foires sont alors créées. Le mouvement qui se déroule au XIIe-XIIIe siècle est au final mixte : il s’appuie sur les héritages anciens du XIe siècle, tout en étoffant le réseau à partir de ceux-ci123. C’est d’ailleurs l’ensemble de l’Occident médiéval qui est touché au même moment par cette multiplication des assemblées commerciales, de l’Angleterre au Midi toulousain et aquitain en passant par la Provence124.

  • 125  Cf infra, deuxième partie, chapitre II, 2, p. 198.
  • 126  A. Lombard-Jourdan, « Les foires aux origines des villes », Francia t. X, 1982, p. 445.
  • 127  R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit., p. 136.
  • 128  H. Clouzot, « Etat des cens et rentes dus au comte de Poitiers à Niort », M.S.A.O. année  (...)
  • 129  Abbé Lacurie, Histoire de l’abbaye de Maillezais, pièces justificatives, p. 306 : on y me (...)
  • 130  Elle est récente en 1246 (« Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., (...)
  • 131  A.H.S.A. t. IV, p. 192-195 : le bail des fermes des bailliages et prévôtés de Saintonge e (...)
  • 132  « Les comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. G. Musset, R.C.A.M. t. XIV, p. 110-124.
  • 133  « Réclamations par Foulques de Matha... », éd. P. Marchegay, Bull. du Com. des Trav. Hist (...)
  • 134  Celle-ci est réparée en 1306 en même temps que celle de Saint-Xandre, ce qui permet de su (...)
  • 135  Layettes du Trésor des Chartes, t. III, éd. J. de Laborde, n° 4380, p. 383.
  • 136  Enquêtes administratives d’Alphonse de Poitiers, op. cit., p. 263.
  • 137  Elles sont reconstruites par le comte au préjudice de la commune, qui proteste vainement, (...)
  • 138  « Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., p. 95.
  • 139  Enquêtes administratives d’Alphonse de Poitiers, op. cit., p. 200 : « absolvatur dominus (...)
  • 140  « Recueil des documents concernant le Poitou contenus dans les registres de la chanceller (...)
  • 141  Rôles Gascons, t. II, éd. Ch. Bemont, p. 548 n° 1790 : « injunxit quod domos nostras, mar (...)
  • 142  « Réclamations par Foulques de Matha... », op. cit., p. 32-36, mentionnant « une autre co (...)
  • 143  Foedera..., t. II, partie 1, éd. Th. Rymer, p. 143 : « Dedit intellegi dominus de Credoni (...)
  • 144  La halle de Cognac existe dès la seconde moitié du XIIIe siècle (P. Martin-Civat, Cognac (...)

18La meilleure preuve de l’extraordinaire croissance commerciale de la Saintonge et de l’Aunis au XIIIe siècle, relayée localement par le réseau des foires et marchés, est sans doute la floraison massive, un peu partout dans la province, des halles. Les coûts de construction et d’entretien qu’elles induisent illustrent la prospérité des places commerciales qu’elles équipent à partir de l’arrivée d’Alphonse de Poitiers à la tête du comté de Poitou125. Les premières halles du royaume de France sont réalisées à Paris par Philippe Auguste, en 1183126, et les plus anciennes du Centre-Ouest sont attestées à Poitiers en 1187127. Elles vont ensuite gagner, par le sud du Poitou, notre province : au début du XIIIe siècle la commune de Niort est équipée d’une halle128, et en 1232 l’on en trouve une autre à Vouvant, en Bas-Poitou129. À Frontenay, la halle est bâtie par le comte de la Marche entre la fin des années 1230 et le début des années 1240130. Avec Alphonse, le mouvement de construction se précipite. Il dispose en Saintonge et Aunis d’un important domaine comtal, issu des consfiscations des nombreuses possessions saintongeaises des Lusignan, qu’il va valoriser par une construction systématique de halles. Entre 1255 et 1259 est construite la halle de Saint-Jean-d’Angély131. Celles de La Rochelle et Saint-Xandre le furent vers 1261132. La halle de Saintes semble être contemporaine, ainsi que l’affirme un document de la fin du XIIIe siècle133. Celle de Benon apparaît plus tardivement dans les documents, mais semble relever de la même logique de construction par Alphonse de ces édifices dans ses principales places134. La même politique est à l’œuvre en Poitou : le comte y procède à la construction des halles de Montreuil-Bonnin (1257), de Fontenay-le-Comte (1257-1259)135, des Lucs (1268)136, et surtout des vastes halles de Niort (1259-1260)137. Il répare aussi d’anciens édifices, comme à Latillé138. Les seigneurs Saintongeais paraissent avoir suivi l’exemple d’Alphonse de Poitiers, ce qui est une preuve de sa réussite commerciale. L’on trouve en effet au cours de la seconde moitié du XIIIe et du début du XIVe siècle de fréquentes mentions de halles. En 1266 les seigneurs de Mauzé sont déboutés d’un droit d’usage dans la forêt de Benon qu’ils prétendaient posséder pour entretenir leur cohue139, ce qu’obtiennent par contre les religieux de Bouhet pour leur propre halle en 1308140. D’autres bâtiments sont entre temps apparus : le roi d’Angleterre possède une halle à Talmont, qui en 1290 est déjà pratiquement en ruine141. Il avait de plus fait bâtir à Saintes, à côté de la halle alphonsine, un « apant de cohue »142, tandis que son sénéchal fit édifier celle de Montendre en 1317, quoique sa rentabilité n’était pas assurée143. Les principaux seigneurs saintongeais dont les places étaient les plus actives, avaient eux-mêmes su se doter rapidement de halles : c’est le cas de Cozes et des importants centres de Barbezieux, Surgères, Marans, Cognac144. Ce sont donc 15 halles qui furent bâties en un peu plus d’un demi-siècle en Saintonge, induisant un taux d’équipement important, d’au moins 41,7 % pour les 36 sites de foires et marchés attestés entre 1240 et 1340. C’est assez dire l’importance de l’essor économique et commercial que connaissent les foires et marchés du XIIIe siècle. Tous les critères convergent pour montrer l’excellente santé économique de la Saintonge et de l’Aunis à cette période, qui se répercute sur un réseau commercial local qui atteint un niveau de maillage et de qualité d’infrastructures inégalé jusque là. C’est aux causes de ce succès qu’il nous faut maintenant nous attacher.

Les facteurs de la prospérité des foires et marchés aux XIIe-XIIIe siècles

  • 145  A. Debord, La société laïque dans les pays de la Charente..., op. cit., p. 320-322, signa (...)
  • 146  Ibid., p. 18-45.
  • 147  Ibid., p. 325 et 337-341.
  • 148  A.N., JJ 78, n° 216, f° 173 et suiv.
  • 149  Le duc d’Aquitaine accorde alors aux Rochelais des « libertés et libres coutumes ». Voir (...)
  • 150  En 1152 sont mentionnés les « multitudo hominum tam indigenarum quam advenarum ex diversi (...)
  • 151  Une étude de ce document, publié par A. Bardonnet (« Le serment de fidélité des habitants (...)
  • 152  A. Michaud (dir.), Histoire de Saintes, p. 102.
  • 153  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, t. II », op. cit., p. XLIII.
  • 154  Histoire de Cognac et des Cognaçais des origines à nos jours, tome II, p. 291.
  • 155  Conscients de cet état de fait, les seigneurs du XVe siècle, lorsqu’ils demandaient la cr (...)

19L’essor démographique continu que connaissent Aunis et Saintonge jusqu’aux années 1340 apparaît comme cause et conséquence de la croissance économique145. S’il est difficile à quantifier et à appréhender, plusieurs indices témoignent de sa réalité. Citons d’abord les multiples traces de défrichements que l’on rencontre en Saintonge aux XIIe-XIIIe siècles. Preuves indirectes d’une hausse de population qui nécessite des terroirs plus nombreux, ces défrichements furent très bénéfiques pour l’économie locale, en dynamisant l’artisanat (outillage, matériaux de construction...) et en alimentant une croissance extensive de la production grâce à la hausse des superficies cultivées, fournissant un surcroît de surplus négociables (en complément d’une croissance intensive de la production, par le biais de progrès agricoles certains mais qu’il est difficile de mettre en évidence). Une pratique régulière du marché fut ainsi favorisée. Du VIIe au IXe siècle, les pays charentais avaient déjà connu plusieurs phases de défrichements, notamment pour faire face à la première vague de colonisation entre VIIe et Xe siècle146, mais l’essentiel du mouvement se déroula de la seconde moitié du Xe siècle au début du XIIIe siècle147, s’accompagnant de la fondation de bourgs de défrichement. Deux périodes doivent être isolées selon André Debord : le XIe siècle, et surtout les années 1075-1100, époque au cours de laquelle les défrichements sont très actifs, et assez précoces ; et le XIIe siècle, quand ceux-ci se poursuivent, mais à un rythme moins vif, avec un nouvel essor relatif des défrichements au cours de la seconde moitié de ce siècle. Au XIIIe siècle, quelques mentions indiquent la poursuite des défrichements que permet la grande couverture forestière de Saintonge, mais de manière résiduelle. L’ensemble des secteurs de peuplement fut touché par ce mouvement (même les plus anciens où subsistaient divers bois), mais plus particulièrement les grandes forêts. Celle d’Argenson est ainsi activement défrichée, et l’on y crée divers bourgs, comme la Foye-Monjault (apparu vers 1076), Villeneuve-la-Comtesse (avant 1196), Villenouvelle et Belleville (dernier quart du XIIe siècle). Il est intéressant de constater qu’au moins deux de ces bourgs sont des sites de marchés attestés en 1245, ce qui dénote un certain lien entre défrichement, ville neuve et commerce. La forêt de Baconais est défrichée aux XIe-XIIe siècles, notamment à partir de Mornac et Royan (ce dernier bourg étant un lieu de foires et marchés régulièrement attestés depuis les XIe-XIIe siècle)148. La multiplication des bourgs liés aux défrichements, mais aussi aux établissements religieux polarisant les populations (Sablonceaux en Saintonge et de Bourgneuf en Aunis, nés au XIIe siècle), et la croissance urbaine sont un autre signe de cet essor démographique. C’est du XIIe siècle que date la croissance spectaculaire de La Rochelle, une « ville-champignon » pour Yves Renouard, qui, simple petit village de pêcheurs au début de ce siècle, est devenue à l’orée du XIIIe siècle une des villes les plus importantes du Centre-Ouest. Sa croissance, qui est liée à la destruction de Châtelaillon et à sa promotion par le duc d’Aquitaine au début des années 1130149, s’est nourrie de migrants fournis par l’essor démographique général150, comme l’indique le relevé des noms des 1360 différents rochelais ayant en 1224 prêté serment de fidélité au roi dont 567 portaient des noms d’origine géographique151. Sur ces 567 personnes, 200 environ provenaient d’une région s’étendant à 30 km autour de la nouvelle ville, un peu moins de 200 d’une couronne entre 30 et 70 km à la ronde, et 177 de pays beaucoup plus lointains, essentiellement du nord de la France et de l’Europe. Les autres villes de Saintonge connaissent aussi une croissance démographique, certes moins exceptionnelle, mais réelle. À Saintes, par exemple, le rempart du Bas-Empire, à l’est de la ville, est reporté vers la fin du XIIe ou au XIIIe siècle jusqu’aux rives du fleuve, face à la croissance démographique de la cité152, et la ville obtient d’Aliénor une charte communale en 1199. Saint-Jean-d’Angély paraît de même avoir connu une croissance démographique continue depuis le XIe siècle. À l’époque de la comtesse Agnès, au milieu du XIe siècle, elle n’est encore qu’un gros bourg centré sur l’abbaye bénédictine et les deux rues Épiscopale et d’Alaric. Mais, en 1199, la ville est assez peuplée pour obtenir de la reine Aliénor une commune, après s’être au cours du XIIe siècle entourée de murailles153. Quant à Cognac, elle compterait vers 1250, selon Pierre Martin-Civat, 4000 habitants, ce qui est sans doute exagéré154… Cette croissance démographique, qui ne saurait uniquement être urbaine mais s’est propagée aux campagnes, est évidemment favorable au développement commercial. Engendrant une demande locale importante, elle favorisait les échanges et la fréquentation des foires et marchés155.

  • 156  E. R. Labande, Histoire du Poitou, Limousin, et des pays Charentais, p. 102 et p. 109, ra (...)
  • 157  R. Favreau, « Les débuts de la ville de La Rochelle », op. cit., p. 8-10.
  • 158  Le tableau que dresse A. Bardonnet de la situation de ces deux dernières communes seules (...)

20Le contexte politique devient également favorable au commerce, surtout à partir du milieu du XIIIe siècle, avec la fin des troubles qui jusque là avaient émaillé le quotidien saintongeais. Les XIe-XIIe siècles sont en effet marqués par des conflits récurrents. Les violences féodales, comme partout ailleurs alors en France, affectent particulièrement les marchés, même si le mouvement de la paix de Dieu, parti de l’abbaye poitevine de Charroux, atténua quelque peu celles-ci156. Au XIe siècle, le contrôle de la Saintonge est l’enjeu d’une violente guerre entre les Angevins de Geoffroy Martel et les ducs d’Aquitaine. Au XIIe siècle, Guillaume X s’efforce de s’imposer à ses vassaux turbulents, ce que révèle la prise de Châtelaillon, ruinant la puissance féodale de cette famille et entraînant l’essor de La Rochelle. Le ferment de rébellion reste cependant vif : pendant les années 1140 Eble de Mauléon, un des successeurs d’Isembert de Châtelaillon, continue à ravager Aunis et Poitou. L’intégration de nos provinces au domaine angevin de Henri II ne résout rien, au contraire : aux guerres féodales succèdent les luttes au sein de la famille royale, les nobles saintongeais se ralliant à la révolte lancée en 1173 par les fils d’Aliénor, Richard en tête157. Quant au règne de Henri III, il n’est guère plus calme pour la région. La faiblesse de celui-ci livra le Centre-Ouest aux exactions nobiliaires, conduites par de grands lignages, Lusignan, Mauléon ou Parthenay. Les communes de Saint-Jean-d’Angély, mais surtout de Niort et de La Rochelle, souffrirent particulièrement de celles-ci158. Il ne faut donc pas s’étonner qu’elles accueillent Louis VII, en 1224, en libérateur. Et, de fait, la mise sous tutelle française marqua la fin des guerres féodales, dont le piètre et ultime épisode fut, en 1242, la tentative de Hugues de Lusignan et de nombreux barons saintongeais, appuyés par Henri III, de rejeter la domination d’Alphonse de Poitiers. La coalition une fois vaincue à Saintes, et la puissance des Lusignan définitivement brisée par la confiscation de leurs domaines saintongeais au profit de l’apanage d’Alphonse, les velléités d’indépendance des seigneurs saintongeais cessèrent et le pouvoir capétien ne fut plus discuté jusqu’à la guerre de Cent ans. Le principat d’Alphonse de Poitiers (1242-1271), comte de Toulouse, de Poitou et de Saintonge, frère de Louis IX, est ainsi marqué par la pacification réelle de nos provinces qui appuie l’essor commercial. Les principaux sites se dotent de halles, pour lesquelles les sommes engagées sont à la hauteur des espoirs de rentabilité (ce sont près de 730 livres qui sont dépensées pour la construction des halles de La Rochelle). Cette période de prospérité sera en partie seulement entravée par les aléas militaires qui précèdent la guerre de Cent ans (conflits de 1294-1306 et des années 1320), mais au final, et en comparaison avec la période suivante, la paix règne et favorise un essor commercial profond et non remis en cause.

  • 159  Rot. litt. pat., éd. Th. Duffus Hardy, p. 111, 112. Ces saufs-conduits furent reconduits (...)
  • 160  A. Galland, Discours au Roy sur la naissance (…) de la ville de La Rochelle, p. LIX.
  • 161  « Documents extraits des registres du Trésor des Chartes... » éd. P. Guérin, op. cit., p. (...)
  • 162  Gallia Christiana, t. II, instrumenta, p. 478 : « Adjicitur in vendendo res suas, et emen (...)
  • 163  « Cartulaire de l’abbaye de la Grâce-Dieu », op. cit., p. 73.
  • 164  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome II », op. cit., p. 161.
  • 165  Ibid., p. 167-168.
  • 166  « Cartulaire saintongeais dela Trinité de Vendôme », op. cit., p. 132 : « Cum nos de qual (...)
  • 167  « Chartes saintongeaises de l’abbaye de la Couronne », éd. Paul de Fleury, A.H.S.A. t. VI (...)
  • 168  R.-S. Lopez résume ainsi cette nécessité d’approcher les facteurs de la croissance économ (...)

21Un autre soutien du commerce d’Aunis-Saintonge était enfin la présence d’importantes franchises et autres exemptions, ménagées notamment pour les religieux. L’on a déjà dit que le développement de La Rochelle, dès ses origines, s’était appuyé sur des franchises octroyées par le duc Guillaume X. Poursuivant cette politique, Jean sans Terre, favorisa les échanges rochelais par des conduits et franchises159, et Louis IX affranchit les Rochelais de tout péage dans ses domaines160. En 1317 de même, les bourgeois rochelais sont déclarés par le roi de France libres de tout péage dans ses domaines, avant que les habitants de l’île de Ré puissent en 1318 commercer à La Rochelle en toute franchise161. Mais, un peu partout dans la province, des exemptions étaient octroyées sur les marchés, ce qui contribuait à accroître la fréquentation des assemblées. Une nouvelle génération de franchises avait étoffé les diverses exemptions de la période précédente. Ainsi l’abbaye de Sablonceaux, fondée à la fin des années 1130 par le duc d’Aquitaine, reçoit-elle du duc Otton, à la fin du XIIe siècle, d’importantes franchises commerciales162. En 1547, l’abbé de la Grâce-Dieu, établissement cistercien près de Benon, de fondation contemporaine à Sablonceaux, déclarait posséder le privilège de passer et repasser avec toutes sortes de marchandises sur la terre de Marans, et de vendre des grains en la halle de cette ville, franc et quitte de tout droit163. Ce privilège n’a certes pas pu être octroyé avant la seconde moitié du XIIIe siècle, Marans n’ayant alors pas de halle, et date certainement de la fin du XIIIe siècle ou du début du XIVe siècle, pendant la période de grand essor commercial, alors que la fréquentation importante des halles permettait des dons qui n’handicapaient que faiblement la rentabilité des marchés seigneuriaux. Les anciennes abbayes continuaient d’ailleurs à recevoir des franchises commerciales. Celle de Saint-Jean-d’Angély, vers 1171, reçoit les droits que Gibert de Rochefort percevait à Yves sur les marchandises transportées par voie maritime (levatgium et ribatgium), ce qui revenait par là même à exempter de ce droit les religieux164. En 1199, les mêmes reçoivent le tonlieu d’Esnandes, « sive venditio », dont ils sont ainsi encore exemptés165. Les religieux de l’abbaye de la Trinité voient de même leur marché de Saint-Agnant dynamisé par la décision du comte de Poitiers en 1257 de ne plus percevoir ses droits de maltôte et étang à sel (monopole commercial temporaire du sel) sur cette denrée quand elle y sera vendue, alors que le sel est la principale activité commerciale de la bourgade166. À Archiac, entre 1192 et 1194, le comte d’Angoulême et ses vassaux donnent de même tous leurs droits de mesurage du grain à un prieuré de l’abbaye de la Couronne, ainsi qu’un terrain pour y bâtir l’emplacement du minage (marché à grains) où seront perçues ces taxes167. Il serait aisé de multiplier les exemples de ces franchises commerciales accordées aux religieux, qui dynamisaient les échanges locaux, les établissements ecclésiastiques étant, grâce à la dîme et à leurs importantes possessions, des intervenants fondamentaux dans les foires et marchés. Pour autant, essor démographique, climat de paix ou avantages commerciaux ne sont pas les seuls éléments favorisant le commerce de détail, tout comme l’on ne saurait isoler un facteur de prospérité comme déterminant par rapport aux autres : il y a un entraînement réciproque entre les divers processus économiques, techniques ou sociaux168. L’économie de la Saintonge et plus particulièrement de l’Aunis est également caractérisée, à cette époque, par une internationalisation considérable, liée au commerce du sel et surtout du vin. Le grand commerce et le développement des cultures spéculatives qu’il a favorisé en Aunis ont sans doute beaucoup fait pour le réseau local des foires et marchés, en diffusant la pratique de l’économie d’échanges loin dans l’arrière-pays aunisien, et dans une moindre mesure saintongeais. Le recours au marché pour les paysans, et surtout la rentabilité de celui-ci pour le seigneur, s’est amélioré.

Le grand commerce international et le modèle extraverti de quelques villes

  • 169  Les marais salants en Aunis et Saintonge jusqu’en 1789, thèse de l’École des Chartes de 1 (...)
  • 170  Des marchands locaux pouvaient aussi intervenir dans ce grand commerce : en 1199, Aliénor (...)
  • 171  « Cartulaire saintongeais de la Trinité de Vendôme », op. cit., p. 174-175 : « bancos San (...)
  • 172  « Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., p. 185 (amendes) : « quid (...)
  • 173  Ibid., p. 178-179 et 221-222 (1247-1248).
  • 174  Foedera..., op. cit., t. II partie 1, p. 142 : « Quando vidit quod modium salis vendebatu (...)
  • 175  A. Drouin (Les marais salants…, op. cit., p. 114), affirme que « le commerce le plus acti (...)
  • 176  A.D. 17, H 76, pièce 25, « faicts posez par la dame abbesse de Saintes en l’enqueste de 1 (...)
  • 177  Les « routes du sel » de Saintonge vers l’Angoumois, la Marche et le Limousin, que nous a (...)
  • 178  « Jonzac et Ozillac », éd. Denys d’Aussy, A.H.S.A. t. XX, p. 208. Il existe encore aujour (...)
  • 179  En 1406, par exemple, deux charretiers de Fontanet avaient été embauchés par Jean Bagueno (...)

22Le trafic du sel, initié aux périodes précédentes, se poursuit tout au long du Moyen Âge, et garde toute son importance jusqu’aux époques moderne et contemporaine, alors que les principaux centres de sa production glissent vers le sud (les salines d’Aunis, omniprésentes aux Xe-XIe siècles, disparaissent peu à peu suite aux phénomènes d’atterrissement, laissant la prépondérance aux golfes de Brouage, de la Seudre, et à Oléron). Alice Drouin décrit que c’étaient au XVIe siècle « des flottes entières de vingt à plus de cent navires » qui venaient se procurer le sel de Saintonge169. Pour le XIIIe siècle, qui nous intéresse ici, sans doute n’atteignait-on pas encore de tels niveaux. Mais le commerce du sel avait toute son importance, orienté vers les pays de l’Europe du nord via les navires de la Hanse Teutonique170. L’importante animation du port de Saint-Agnant au XIIIe siècle, affranchi par le comte de Poitiers, était largement dépendante de ces salines et du commerce qui en découlait, à partir des bancs du marché171. La croissance rapide de Marennes aux XIe-XIIIe siècles est elle aussi symptomatique de l’importance prise par le commerce du sel pour l’économie locale : alors qu’au XIe siècle Saint-Pierre de Salles n’est qu’un petit village de la presqu’île de Marennes dépendant du prieuré de Saint-Sornin, il est au XIIIe siècle devenu un important bourg, centre de la seigneurie des abbesses de Saintes sur la presqu’île dont il prend peu à peu le nom, et débouché naturel de cet espace. Son importance commerciale paraît venir du commerce du sel, dont elle sera un des pivôts aux XVe-XVIe siècles (réussite commerciale qu’atteste l’imposant clocher gothique dont elle est alors dotée). Marennes joue un rôle commercial important dès le XIIIe siècle : on trouve mentionnés ses marchands172, et le comte Alphonse y effectue de fréquentes transactions en foin et vin, à peine moins nombreuses que dans les importantes places de Saintes, Surgères ou Saint-Jean-d’Angély173. En 1317, un des articles de plainte contre Arnaud Calcul, sénéchal anglais de Saintonge, est relatif à ses exactions sur le trafic du sel à Marennes174. L’on y trouve trace de l’actif commerce du sel qui s’y faisait alors, depuis au moins le XIIIe siècle, et qui animait un courant d’exportation vers la Garonne et la Dordogne175. À la fin du XIVe siècle, l’on trouve à Marennes une halle, une boucherie, deux foires et un marché, signe de l’animation commerciale de cette ville, liée probablement à ce même commerce du sel176. Les circuits d’échanges du sel, que nous décrivions pour le XIe siècle entre des places commerciales de premier ordre, restaient aussi actifs à l’intérieur de la province177. Même des bourgades à l’écart de ces grandes routes commerciales connaissaient une animation particulière grâce au trafic du sel : au marché de Jonzac, en 1346, est ainsi prélevé un « levagium salis »178. Ces quelques éléments montrent assez combien les trafics du sel ont joué un rôle important dans la commercialisation de l’Aunis, et surtout de la Saintonge aux XIIe-XIIIe siècles. Son trafic considérable animait les routes maritimes vers l’Angleterre, la Flandre mais aussi le Bordelais, dynamisant les foires et marchés des places maritimes situées près des salines, qui jouaient le rôle de ports d’embarquement (Saint-Agnant, Marennes). Mais, en circulant aussi sur les chemins sauniers et les fleuves de Boutonne et Charente, vers l’intérieur des terres179, il dynamisait le commerce des places situées sur ces itinéraires, parmi les plus actives de la province. Pourtant le sel n’était plus la principale exportation de l’Aunis-Saintonge.

  • 180  Dès la fin des années 1180 (La Rochelle est née vers 1130), la chronique de Richard le Po (...)
  • 181  Histoire de la vigne et du vin en France, p. 360 ; la société laïque dans les pays de la (...)
  • 182  « Un grand commerce d’exportation au Moyen Âge : les vins de France », Annales d’histoire (...)
  • 183  Y. Renouard, « Le commerce des vins de Gascogne au Moyen Âge », Revue Historique, t. CCXX (...)
  • 184  Y. Renouard, « Le commerce des vins de Gascogne… », op. cit. p. 268 : « l’union dynastiqu (...)
  • 185  A. Bardonnet, La Rochelle et Niort de 1200 à 1224.
  • 186  Y. Renouard, « Le commerce des vins de Gascogne… », op. cit. p. 275, indique qu’après la (...)
  • 187  Les vins de France sont cités à Damme, avant-port de Bruges, en 1180, et le vin de La Roc (...)
  • 188  H. Pirenne, « Un grand commerce d’exportation… », op. cit. p. 234.
  • 189  Correspondance administrative d’Alphonse de Poitiers, éd. A. Molinier, t. I, p. 409-410, (...)
  • 190  H. Pirenne, « Un grand commerce d’exportation… », op. cit., p. 242. Le texte de l’accord (...)
  • 191  Ibid., p. 241.
  • 192  En 1326 encore, Édouard III invitait les Rochelais à exporter leurs marchandises en Angle (...)
  • 193  A. Bardonnet en a donné une édition dans les M.S.A.O. t. XXXVIII, 1874, p. 55-296, avec e (...)
  • 194  « Le serment de fidélité des habitants de La Rochelle en 1224 », op. cit., cite les noms (...)
  • 195  Cf infra, deuxième partie chapitre III, 3, p. 232 : l’on a recensé entre la fin du XIIIe (...)
  • 196  A.H.S.A. t. VIII, p. 396-397 : « ils souplient que nostre seigneur le roi leur relasche l (...)
  • 197  En 1208 Jean sans Terre confirme la donation de la pessonaria et la paneteria de La Roche (...)
  • 198  Les « bancs aux brocers » sont mentionnés en 1232 (« Chartes et documents poitevins…, t. (...)
  • 199  Le minage est donné à Hélie Bernard par Jean sans Terre en 1199 (Rotuli chartarum…, op. c (...)
  • 200  Dès 1199 le « censum de parvo escambio » est donné à Hélie Bernard par Jean sans Terre (R (...)
  • 201  Les halles marchandes de La Rochelle, construites à grands frais par Alphonse de Poitiers (...)
  • 202  La ville reçoit ainsi confirmation du droit de tenir hôtellerie, ouvroirs et boutiques ou (...)
  • 203  Dès 1202 le vicomte de Thouars reçoit l’autorisation de Jean sans Terre pour acquérir des (...)
  • 204  « Les débuts de la ville de la Rochelle », op. cit., p. 23.
  • 205  Cette halle est reconstruite en 1460 (A. Bardot, Histoire de la ville de La Rochelle, op. (...)
  • 206  A.N., JJ 139 n° 3 f° 12.
  • 207  A. Giry, Les établissements de Rouen, t. I, p. 317.
  • 208  Ibid., p. 296.
  • 209  Ibid., p. 317, d’après A.N., J 1033, n° 19.
  • 210  « Registres de l’échevinage de Saint-Jean-d’Angély, t. I », éd. Denys-d’Aussy, A.H.S.A. t (...)

23Dès le XIIe siècle en effet, le commerce des vins avait reçu une impulsion décisive. Vendu sur tous les marchés nord-européens, le « vin de La Rochelle » avait entraîné l’Aunis, et dans une moindre mesure la Saintonge, vers une production spéculative viticole destinée au trafic international, transformant l’Aunis en cette « mer de vignes » qu’évoquait Abel Bardonnet. Le vin, notamment grâce à l’action de l’abbaye de Saint-Jean-d’Angély, avait déjà connu une relative exportation au cours de la période précédente. À partir du XIIe siècle cependant, c’est la ville nouvelle de La Rochelle qui constitue le principal pôle commercial de ce produit180, même si Saint-Jean reste un centre d’exportation considérable. Ce sont sans doute les flottes hanséates, attirées par le sel aunisien, qui initièrent des trafics réguliers vers les marchés d’Europe du nord en rapportant dans leurs cales du vin. L’origine de ce commerce pose néanmoins problème : Robert Dion pense qu’il remonte à l’essor rochelais à partir du XIIe siècle, quand André Debord a démontré qu’il débutait autour de Châtelaillon pendant la seconde moitié du XIe siècle181. C’est, quoi qu’il en soit, au XIIe siècle que le commerce du vin, « une des branches les plus importantes du trafic médiéval », selon Pirenne182, acquiert une importance déterminante en Aunis. L’intégration à l’empire continental anglo-angevin a été la chance du vin d’Aunis. La province bénéficiait de conditions naturelles favorables à la production de vin, qui y existait depuis l’Antiquité, et similaires à celles du Bordelais, alors que l’Angleterre, par contre, dépendait presque totalement du continent pour son approvisionnement183. La Rochelle, port de front de mer, et non de fond d’estuaire comme Bordeaux, dont elle est distante d’environ 150 kilomètres, présentait d’appréciables facilités d’accès. C’est ce qui explique l’orientation commerciale, au moins jusqu’en 1224, du vin rochelais vers l’Angleterre184. De multiples éléments démontrent que cette production est devenue massive au début du XIIIe siècle, voire plus tôt, dans l’arrière-pays immédiat de la ville, comme les ravages qu’opérèrent les barons poitevins dans ces cultures et les plaintes répétées que ces exactions suscitèrent de la part des bourgeois ruinés auprès d’un Henri III indifférent185. Le rattachement à la couronne capétienne en 1224 semble à cet égard marquer un terme à cette première phase du commerce viticole rochelais. La préférence des rois Plantagenêt se porta désormais sur le vin de Bordeaux, capitale des territoires continentaux de la couronne186. Le commerce de La Rochelle connaît alors une rapide reconversion vers les autres marchés de l’Europe du nord, notamment flamands. La rapidité de cette dernière tient à la présence dès la fin du XIIe siècle du vin d’Aunis sur ces marchés187. Dès 1214, Guillaume le Breton s’émerveille de la quantité des vins de La Rochelle stockés au port de Damme188, et en 1262, la comtesse Marguerite de Flandre, pour développer son port de Gravelines, accorde des facilités de commerce aux villes de La Rochelle, Niort et Saint-Jean-d’Angély, d’abord pour leurs vins. L’importance prise par les vins rochelais sur les marchés flamands est indéniable : vers 1264, les bourgeois de cette ville décident de boycotter le marché de Saint-Omer, sans que la raison en soit bien claire. Alphonse de Poitiers leur remontra alors, pour les faire renoncer à leur projet, la gravité du dommage qu’ils allaient faire subir à son neveu le comte d’Artois189. La Rochelle et ses concurrents savaient s’unir quand la situation l’exigeait : en août 1331, Saint-Jean-d’Angély proposa à La Rochelle, Libourne et Bordeaux de demander l’abolition des « mout grans tors, entes et vilanies » dont elles étaient l’objet à Damme, avec menace de déplacer leur étape de Damme à Bruges s’il ne leur était pas fait justice. L’union porta ses fruits : dès novembre, le comte de Flandre renouvelait les privilèges de ces villes190, et il développa en 1337 les avantages des marchands de Saint-Jean-d’Angély apportant leurs vins à Damme. Vers 1306, La Rochelle était en relation avec le port de Dordrecht tandis que les navires de la Hanse étaient arrivé au moins en 1325 à l’île d’Oléron191. Par ailleurs le marché anglais, quoique sans doute plus réduit, ne disparut jamais totalement192. L’ampleur de l’intégration au commerce international des vins de La Rochelle et de Saint-Jean-d’Angély explique l’emprise sans cesse croissante de la vigne sur les terroirs de nos provinces au XIIIe siècle : autour des années 1260, le terrier du Grand-Fief-d’Aunis (ensemble territorial appartenant au domaine comtal d’Alphonse de Poitiers saisi sur les biens de Hugues de Lusignan, regroupant plusieurs paroisses au nord de La Rochelle), qui énumère laconiquement les parcelles de terres, le type de culture, leur propriétaire et le cens dû au comte, frappe par le caractère massif de la présence de la vigne en Aunis. Il témoigne en même temps du contrôle économique des bourgeois rochelais sur ce vignoble193. La vocation spéculative de ce vignoble voué à l’exportation conduit à douter même de la capacité d’autosuffisance alimentaire de l’Aunis. Outre la ville de La Rochelle, capitale économique du Centre-Ouest de plusieurs milliers d’habitants194 dont il fallait assurer le ravitaillement, il fallait également nourrir les villages de sa banlieue, inondés de vignes. L’extraordinaire densité des assemblées commerciales dans cette région195 illustre l’impératif d’exportation viticole, pour pouvoir importer l’approvisionnement alimentaire nécessaire par un réseau d’échanges très structuré. Au début du XIVe siècle, les habitants de La Rochelle exagéraient ainsi à peine lorsqu’ils se plaignaient de ce que le roi cherchait à leur imposer l’élevage de chevaux. La vigne accaparait tellement les terres des environs, selon eux, que l’on ne pouvait trouver de prés pour ces animaux196. La Rochelle, par l’exportation viticole, s’était acquise une renommée internationale et une fréquentation permanente par les marchands étrangers, qui, avec son statut de poumon économique vital de l’arrière-pays, a contribué à la présence de l’ensemble des infrastructures commerciales d’une grande place marchande. On y trouve en effet, très tôt, paneterie et poissonnerie197, boucherie198, minage199, bancs de changeurs200, halles201, auberges… Il est cependant intéressant de noter l’absence de foires dans une ville pourtant très animée. Les bourgeois rochelais paraissent avoir compté sur les nombreuses assemblées des environs et sur un commerce urbain permanent très structuré (nombreuses boutiques202 et plusieurs marchés203) pour leurs transactions. Il convient ici de relativiser les propos de Robert Favreau, qui affirme que l’économie de La Rochelle est marquée pendant le Moyen Âge par « l’absence de halles, de marchés, de foires »204. L’on n’y trouve certes ni foire ni grande halle marchande depuis 1267. Il n’en reste pas moins que plusieurs halles, que nous avons déjà citées, y existaient explicitement au milieu du XIVe siècle : celles des cuirs à l’époque d’Alphonse de Poitiers, de la grande boucherie depuis la fin du XIIIesiècle205, de la poissonnerie depuis 1290, de la paneterie avant 1355. En 1390 l’existence dans la ville d’un lieu appelé les « Vieilles Halles »206 démontre assez la fréquence dans cette ville de la halle commerciale, au moins autant, peut-être plus, que dans les villes des provinces voisines. Il en va de même pour les marchés, dont on a eu un aperçu de la fréquence à La Rochelle. Saint-Jean-d’Angély était également bien placée sur les grands courants du commerce du vin : en 1291, la ville est en procès contre celle de Bordeaux pour sauvegarder ses approvisionnements en merrain (nécessaire à la réalisation des fûts d’exportation du vin), puis en 1293 ce sont des marchands de Saint-Jean qui attaquent la commune de Saint-Omer207. Arthur Giry estime que le développement économique de la ville s’est particulièrement accéléré sous Alphonse de Poitiers. C’est à cette époque que sont notamment édifiées les halles et que l’on retrouve la ville aux côtés de La Rochelle pour bénéficier des privilèges accordés sur le marché de Gravelines208. L’enquête relative à la propriété du terrain où furent édifiées les halles rapporte ainsi que, depuis leur construction, le nombre de marchands fréquentant foires et marchés a fortement augmenté209. Son commerce local, quoique moins bien connu pour cette époque que celui de La Rochelle, bénéficiait particulièrement de sa relation avec des courants d’échanges internationaux. C’est ainsi par exemple que le six septembre 1332 est nommé dans cette ville un marchand de Saint-Laurent-de-Cuve, « en l’evesché d’Avranche », auquel sont dûs, pour « vente de coytion », trente sous à payer après la foire de la saint Luc, à laquelle il devait sans doute assister quelques semaines plus tard210.

24Le grand commerce de l’Aunis-Saintonge aux XIIe-XIIIe siècles mériterait une étude approfondie. Pour ce qui est de notre sujet, l’on voit combien l’essor du commerce international de ces provinces, à partir du sel et du vin, a dynamisé le réseau des foires et marchés locaux, en suscitant des échanges accrus voire, comme en Aunis, en orientant l’économie locale vers une démarche clairement spéculatrice. Si la densité des places de foires et marchés était exceptionnelle en Aunis, c’est sans doute parce que cette province, du fait de la vocation presque exclusivement commerciale de son économie, dépendait largement de l’extérieur pour son approvisionnement. Mais la Saintonge elle-même ne restait pas à l’écart de ce mouvement. Les vins de Saint-Jean accompagnaient ceux de La Rochelle vers la Flandre, et le sel d’Oléron ou de Marennes était exporté aussi bien en Europe du nord que dans les provinces voisines, ce qui permettait à certaines places de foires et marchés de sortir du lot en engrangeant d’importants revenus grâce à leur situation sur les points centraux de ce grand commerce.

Des foires et marchés différenciés dans leur ampleur et leurs revenus

  • 211  A.D. 17, 1 J 353, premier tome de l’inventaire des titres du duché de Matha dressé par Ba (...)
  • 212  A.D. 17, 1 J 354, second tome de l’inventaire de 1757, p. 216-217, 1294.
  • 213  « Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., p. 105 : « De feno vendit (...)
  • 214  « Enquête ordonnée par le roi Saint-Louis en Poitou et en Saintonge », éd. B. Ledain, A.H (...)
  • 215  Un registre des recettes de cette seigneurie, située sur l’important axe Matha-Cognac, me (...)
  • 216  Les « Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., détaillent régulièrem (...)

25C’est à partir de ces années 1150-1340 que, semble-il, se creuse l’écart économique entre les divers sites de foires et marchés. La période de croissance, à son apogée du XIIIe siècle, permet des bénéfices assez importants pour que se multiplient les assemblées commerciales. Entre la petite foire locale occasionnelle et le gros centre d’échange équipé d’une halle ou de plusieurs, toute une palette de sites de foires et marchés, adaptés aux conditions du commerce local, se mettent en place. L’optimisme qui préside à une économie en pleine croissance a pu favoriser la diffusion de foire même dans les bourgades les plus modestes. Ce furent évidemment ces petits sites commerciaux, dépendant exclusivement de l’apport de la clientèle extérieure car sans bassin de consommation domestique, qui subirent de plein fouet la crise du XIVe siècle et ne survécurent guère aux conditions qui les avaient fait naître. D’autant que ces assemblées dont l’activité, dès que l’on peut l’approcher, paraît réduite, avaient surtout une valeur symbolique. Deux sites, notamment, ont retenu notre attention. Le premier apparaît dans une notice de 1757, dont l’original est perdu211. La fiabilité de celle-ci est néanmoins attestée par la confrontation avec d’autres notices dont les originaux sont conservés. La concession de la foire de Chevallon y apparaît comme un véritable acte féodal, l’assemblée constituant le fief qui représentait la subordination du sire de Mons au service du puissant seigneur de Matha. Étant donnée l’importance symbolique de cette concession, il va sans dire que dès cette date existaient à Matha des foires et marchés, même si ceux-ci ne sont explicitement attestés qu’à la fin du XIIIe siècle212. Une autre de ces petites foires du XIIIe siècle, Mille-Écus, est mentionnée en 1245213. Elle se tenait dans un fief vassal de Benon, distant de six kilomètres vers le nord-est. Lors de la reprise en main de la région par Alphonse de Poitiers, cette châtellenie tomba dans le domaine comtal, et avec elle le fief de Mille-Écus et ses revenus. L’on est extrêmement étonné aujourd’hui qu’il ait pu exister dans cet hameau une foire : Mille-Écus n’est actuellement qu’un groupement de deux à trois maisons sur la route des Rivières-d’Anais au Gué-d’Alléré. À l’est de l’écart actuel sont encore visibles les ruines du château, symbole du fief et du pouvoir banal qui y était exercé, notamment sur les foires annuelles. Quoique des mentions plus explicites manquent sur cette foire, le processus qui permit sa création fut sans doute assez proche de celui qui eut lieu à Chevallon. Le seigneur de Benon, qui disposait d’assemblées commerciales avant 1247214, a sans doute procédé à la concession d’une foire annuelle au profit de son vassal de Mille-Écus. Celle-ci était évidemment réduite : l’influence de Benon et de Bouhet, deux sites proches asez importants pour s’être dotés avant le XIVe siècle de halles, limitait son rayonnement. Les revenus de cette foire fournis par les droits d’étalage et de ventes des denrées des marchands, assez faibles, permettaient éventuellement sa rentabilité, puisqu’elle n’exigeait tout au plus qu’un champ pour se tenir, par opposition au marché qui, lui, demande plus de frais du fait de sa tenue hebdomadaire. Mais le volume de ses échanges restait loin de celui des sites plus importants. Était-ce d’ailleurs véritablement le but de ces petites foires rurales annuelles que d’attirer un grand nombre de marchands et de rivaliser avec les chefs-lieux voisins ? L’exemple de Mille-Écus, et sans doute aussi celui de Chevallon, incite à répondre que non. La fonction fondamentale de cette foire semble être d’abord de répondre à une logique féodale plus que commerciale. Ces assemblées, liées à une inféodation, sont le reflet du ban seigneurial et du rassemblement des tenanciers autour de leur châtelain. Leur enjeu est donc local : la foire réunit les hommes de la petite seigneurie, et l’on peut croire que s’y exerçaient les assises, perceptions de cens et autres prérogatives seigneuriales. Surtout, elle permet au seigneur d’écouler ses surplus en nature, comme on le voit à travers le compte de la foire de Mille-Écus. Si huit sous sont en effet tirés de l’exploitation directe de la foire, celle-ci a été l’occasion pour le comte d’écouler les denrées issues de ses rentes en nature : 70 sous proviennent de la vente de foin, 42 sous de celle du vin et 25 sous de celle du blé, soit au total 137 sous, équivalent à 6 livres et 17 sous. La disproportion est flagrante : sur les recettes totales de la foire, 5,5 % sont liés aux droits d’exploitation (étalages et ventes), et 94,5 % aux ventes seigneuriales… Nous sommes donc face à une foire destinée à servir de débouché au cellier seigneurial, ce qui devait être le cas de nombreuses petites foires annuelles, souvent peu documentées. Il faut certes relativiser : Alphonse écoule peut-être sur la foire de Mille-Écus des rentes provenant de plusieurs de ses nombreux domaines, ce qui gonflerait le volume des ventes seigneuriales. D’autant que, résidant à Paris, il ne prélève pas une part de ses rentes pour sa propre consommation, contrairement aux seigneurs locaux. Par ailleurs l’on dispose de peu d’informations complémentaires sur cette foire de Mille-Écus, dont les revenus d’exploitation sont peut-être partagés avec un seigneur parsonnier, ce qui réduirait la part des revenus directs, même si ce partage aurait sans doute été mentionné dans leurs comptes, méticuleusement tenus. Il est éloquent que la foire de Mille-Écus ne soit pas mentionnée dans le compte de l’année 1246 : l’instabilité de ces petites foires annuelles provient du fait que leur activité est très dépendante des ventes des celliers seigneuriaux. Qu’une mauvaise année réduise les prélèvements en nature, ou que ceux-ci soient vendus sur un autre marché, et la réunion commerciale tourne à l’échec. Tant qu’un petit seigneur tient cette foire, et qu’il peut en faire coïncider la tenue avec la perception des cens, l’assemblée est susceptible de durer. Mais dès que le seigneur contrôle des centres commerciaux plus importants et animés, plus fréquents aussi dans l’année, il préférera logiquement recourir à ceux-ci. Les chances d’écouler les stocks à un bon prix y sont en effet multipliées, en même temps que l’existence de plusieurs tenues dans l’année permet d’établir une stratégie de revente. D’ailleurs, dès qu’un site est relativement important, et sur un axe fréquenté, il peut même se passer de foires et de marchés, les marchands traversant toute l’année le bourg, comme c’est le cas à Thors au début du XVe siècle215. Ce fut sans doute le choix d’Alphonse de Poitiers, qui procédait souvent à des transactions dans d’importantes places de foires ou de marchés216. Du reste ces petites foires, même tournées avant tout vers la cellule seigneuriale, ne négligeaient pas les apports commerciaux extérieurs : la foire de Chevallon est située sur un axe fréquenté, entre Matha et Cognac. Le dynamisme de ce dernier se traduit par le nombre de places de foires et marchés que l’on y trouve jusqu’au milieu du XIVe siècle : du nord au sud, Marestay, Matha, Chevallon, Cherves, et Cognac. Mille-Écus lui-même était au Moyen Âge situé sur une des grandes routes du trafic rochelais vers son arrière-pays poitevin : La Rochelle-Mauzé par Bourgneuf et Benon. La parallèle de cette route, particulièrement empruntée, passait par La Jarrie et Surgères pour rejoindre aussi Mauzé. Bouhet, proche de Mille-Écus, était situé sur la transversale reliant ces deux routes à Benon. L’écart de Mille-Écus était donc au centre d’un réseau commercial relativement bien maillé, structuré par des places marchandes pourvues dès avant le milieu du XIVe siècle d’assemblées et de halles. Du reste, la petite foire annuelle que nous venons ici de mettre en évidence avait moins besoin d’un bassin de consommation proche et important. Sa rentabilité n’exigeait guère que quelques marchands et pouvait se suffire, on l’a vu, de l’écoulement des stocks seigneuriaux.

  • 217  Les conflits entre commune et abbaye à propos des droits sur le commerce de Saint-Jean-d’ (...)
  • 218  L’on y trouve mention, outre des halles, d’une triperie en 1388 (A. Michaud, Histoire de (...)
  • 219  P. Martin-Civat, Histoire de Cognac…, op. cit., p. 308, et « Compte de l’Angoumois... », (...)
  • 220  « Chartrier de Pons, t. I, Censif de l’Hôpital Neuf de Pons », op. cit p. 94, 174, 187, 1 (...)
  • 221  Foedera..., op. cit., t. II partie 1, p. 142 : « (...) Facit eam construi, quae bene deco (...)
  • 222  A.D. 17, 1 J 353, p. 561-562 (1390).

26Les grands centres de commerce permanent, ou dont l’activité est assez importante pour réunir foires, marchés et halles, forment pour leur part le niveau supérieur de la hiérarchie des sites commerciaux. Les centres de commerce permanents sont ceux où des marchands résident, possèdent des boutiques, et qui sont assez animés toute l’année pour que la foire ou le marché ne constituent qu’un temps fort du commerce, mais pas forcément déterminant (nous avons cité le cas de La Rochelle, qui ne possédait pas de foires). Outre La Rochelle, dont nous avons détaillé au chapitre précédent les infrastructures commerciales permanentes, d’autres sites répondaient à ce modèle : Saint-Jean-d’Angély, Saintes, Pons et Cognac. La première de ces villes est sans doute la place saintongeaise la plus dynamique au XIIIe siècle. Ses exportations de vins sont assez importantes pour lui garantir une animation considérable, et l’abbaye qui est à l’origine de la ville médiévale contribue aussi à sa fortune. Alphonse de Poitiers ne s’y est pas trompé, en cherchant à capter une part du commerce régulier par la construction de halles, qui furent ici une réussite. Mais la création d’une commune au cours du XIIIe siècle avait aussi sans doute contribué à l’essor du commerce, les marchands prenant les affaires de la cité en main, ce qui n’alla pas sans conflit avec les moines qui s’efforcèrent de continuer à exercer leurs prérogatives - et toucher les revenus qui s’y attachaient - en matière de commerce217. Saintes disposait elle aussi sans doute d’un commerce local permanent relativement bien fourni218, même si sa perte de vitesse dans le domaine du grand commerce par rapport à Saint-Jean et, surtout, La Rochelle, est patent. À Cognac, minage, halle, boucherie et poissonnerie existent dès le XIIIe siècle, ainsi qu’une active communauté marchande, notamment de bouchers219. Pons, enfin, possède des foires dès le XIIe siècle, ainsi qu’un marché qui se tenait autour des bancs (scanna). La rue Saint-Jacques, axe central de la ville par où transitent les pélerins de Compostelle, abrite les hôtels de nombreux marchands, et le minage se tenait sur la platea Blayeyra. Artisans, marchands, bouchers, marchands, tisserands et tailleurs y sont régulièrement mentionnés à partir du dernier tiers du XIIIe siècle220. Dans toutes ces villes par ailleurs la toponymie révèle la présence de rues marchandes spécialisées au Moyen Âge. Entre les deux niveaux extrêmes de la hiérarchie commerciale au XIIIe siècle, le reste des places d’échanges est diversifié : certains sites possèdent foires et marchés, d’autres uniquement des foires. Le niveau supérieur de ces centres commerciaux intermédiaires est constitué par les sites équipés de halles, la construction et l’entretien assez coûteux de celles-ci exigeant un commerce relativement régulier et dynamique. Parmi les sites équipés de halles au XIIIe siècle, que nous avons détaillés plus haut, l’on ne s’étonnera pas de trouver d’importants centres de châtellenie (Benon, Barbezieux, Surgères, Mauzé) mais aussi des chefs-lieux d’importance économique moyenne (Cozes, Talmont, Montendre, où la halle n’est pas rentabilisée après sa construction en 1317221), voire de petits établissements dépendant de religieux (Bouhet). L’on y trouve enfin des centres moyens de châtellenie liés au grand commerce rochelais et niortais (Marans). Viennent ensuite l’ensemble des sites qui combinent foires et marchés, ou seul un type d’assemblée commerciale, comme Arvert, Royan, Mornac, Esnandes, Tonnay-Boutonne et Tonnay-Charente..., qui forment les deux derniers degrés du stade intermédiaire de notre hiérarchie. Cette dernière, malgré la diversité des situations, a le mérite de montrer que la commercialisation de la société saintongeaise, appuyée sur les principaux bourgs, et notamment les centres des châtellenies les plus importants, a été précoce et profonde : l’on trouve par exemple mention, dans le bourg de Matha de la crise du XIVe siècle, d’une « draperie et mercerie »222.

27Lorsque l’on aborde la question des revenus des assemblées commerciales, l’on se heurte à la documentation. Celle-ci livre assez peu de renseignements et souvent d’interprétation difficile. Un montant de recette est peu signifiant s’il ne représente qu’une portion d’un total partagé entre plusieurs seigneurs, sans que l’on connaisse la part de chacun et donc le revenu global. Par ailleurs les baux des fermes des prévôtés d’Alphonse de Poitiers, s’ils fournissent des renseignements utiles, sont aussi hélas trop peu détaillés : ils rassemblent souvent sous une même dénomination plusieurs revenus, parmi lesquels ceux des foires et marchés, rendant impossible à connaître la part véritable des assemblées. Plusieurs de nos renseignements en matière de revenus sont enfin indirects : ce sont régulièrement des mentions de rentes assignées sur le revenu d’une halle ou d’assemblées commerciales. Ces rentes doivent donc être considérées comme le montant minimum des revenus sur lesquels elles sont assignées, ceux-ci étant bien évidemment supérieur à la rente pour permettre son paiement annuel. Ces précautions prises, nous pouvons rassembler quelques indications éparses qui permettent les comparaisons (tout en gardant en mémoire les diverses fluctuations des monnaies aux XIIIe-XIVe siècles), et illustrent les énormes écarts de revenus entre les différents niveaux de la hiérarchie des places commerciales que nous venons de détailler. L’on trouvera ici, en sous tournois, divers revenus de droits de vente et/ou d’étalage des jours de foires et marchés :

  • 223  « Chartrier de Pons, t. I… », op. cit., p. 113-115 : don par Geoffroy de Rabayne à l’ (...)
  • 224  Foedera..., op. cit., t. II partie 1, p. 142 : la halle n’atteint pas les 100 sous de (...)
  • 225  « Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., p. 5 : « in venda sca (...)
  • 226  Alphonse de Poitiers et Foulques de Matha, coseigneurs des revenus commerciaux de la (...)
  • 227  Le fermier de la prévôté obtient alors un rabais de 15 livres sur le montant de sa fe (...)
  • 228  Une rente de 100 sous est prévue alors sur le minage (Rotuli Chartarum, op. cit., p.  (...)
  • 229  « Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., p. 131 et 139 : le mi (...)
  • 230  A.D. 17, 1 J 369-15 : le seigneur de Thors tient 20 livres de rente de son suzerain d (...)
  • 231  A.H.S.A. t. I, p. 57 : « sachent tuit que ge ledit Gefroy [de Mortagne, seigneur de C (...)
  • 232  Comptes royaux (1285-1314), op. cit., t. I, p. 378 (compte du sénéchal Pierre de Bail (...)
  • 233  « Chartes sur les premiers seigneurs de Barbezieux », op. cit. p. 233-234.
  • 234  Cette rente n’apparaît dans la documentation qu’au XVe siècle, dans les aveux et déno (...)
  • 235  A.-M. Legras, Les commanderies des Templiers et des Hospitaliers..., p. 200 : les rev (...)
  • 236  B.M.P., Dom Fonteneau t. XXVII ter : rente accordée par Louis X au seigneur de Tonnay (...)
Mille-Écus 1245 8 s. Droits de vente et étalage annuels
Pons 1333 + 20 s. Droits de vente annuels223
Montendre 1317 - 100 s. Revenus annuels de la halle224
Tonnay-Boutonne 1243 100 s. Droits de vente annuels225
Saintes XIIIe + 200 s. Revenus annuels des ventes et du péage226
Saintes 1264 300 s. Revenu des droits de vente du dimanche227
La Rochelle 1208 + 100 s. Revenus annuels du minage228
La Rochelle 1246 521 s. 6 d. Montant de la ferme annuelle du minage229
Matha 1292 + 400 s. Revenu annuel du grand péage230
Cozes 1299 + 446 s. 8 d. Revenu annuel de la halle231
Saint-Xandre 1293 555 s. Revenu annuel de la halle232
Barbezieux 1316 1 000 s. Ferme annuelle de la halle et des foires233
Saujon XIIIe + 1 000 s. Revenu annuel du marché234
Bourgneuf Avt 1350 1 400 s. Revenu annuel du minage235
Saint-Jean-d’Y. 1316 + 1 400 s. Revenu annuel des foires236
  • 237  A.H.S.A. t. IV, 1877, p. 192-195. La prévôté, outre les droits de foires et marchés, rass (...)
  • 238  « Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., p. 91 : le second tiers d (...)

28La confrontation est éloquente : le revenu des foires et marchés les plus dynamiques de notre série, celui de Saint-Jean-d’Angély en 1316, est 175 fois supérieur à celui de la foire la moins active de l’ensemble, Mille-Écus en 1245. Même en tenant compte des diverses fluctuations monétaires entre ces deux dates, le fossé entre les deux extrêmes est net. Ce tableau des revenus des assemblées commerciales reflète l’existence d’une hiérarchie des places de foires et marchés, des petites places féodales aux grands centres commerciaux (Saint-Jean-d’Angély, La Rochelle, où le seul minage rapporte en 1246 plus de 46 livres de revenu, soit presque autant que la ferme des foires et marchés de Barbezieux cinquante ans plus tard…) en passant par les centres de châtellenie, aux revenus inférieurs à 50 livres par an. Les places commerciales les plus importantes drainaient des revenus très considérables : la ferme de la prévôté et des halles de Saintes rapporte 720 livres en 1259, celle de la prévôté, des halles et du port de Saint-Jean-d’Angély 860237, et celle de la prévôté de La Rochelle en 1245 1 900 livres238… La même diversité des revenus est suggérée par le montant des cens dûs annuellement pour une place au marché, même si la pauvreté de notre échantillon ne permet pas de conclusion réelle, sinon de souligner l’attractivité, et donc le dynamisme, de certaines places :

  • 239  A. Barbot, Histoire de la ville de La Rochelle, op. cit., p. 107.
  • 240  B.M.L.R., ms. 2634.
  • 241  Ibid.
  • 242  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 121 : baillette d’« u (...)
La Rochelle 1290 240 s. Cens de la moitié de la poissonnerie239
La Rochelle 1294 140 s. Cens d’une place sous la poissonnerie240
La Rochelle 1346 10 s. Cens d’une place sous la boucherie241
Saint-Savinien 1345 140 s. Cens d’une place au marché242

29Les XIIe et surtout XIIIe siècles ont marqué sans aucun doute un premier apogée des foires et marchés. L’étoffement important du réseau, d’abord, illustre l’optimisme que suscite la croissance économique, riche de promesses de rentabilité pour les seigneurs. D’autant que le marché ou la foire, outre qu’il est un bon moyen d’affirmer son droit de ban sur les tenanciers et sa suzeraineté sur certains seigneurs, permet aussi d’écouler facilement les surplus des rentes en nature, dans un contexte de monétisation de la société où il est désormais plus important de disposer de numéraire que de consommer les produits de ses terres. Il reste que la « commercialisation » poussée de la société entraîne aussi une hiérarchisation entre les places. Les communes créées à la fin du XIIe siècle, La Rochelle et Saint-Jean-d’Angély en tête, voient leur commerce local dynamisé par le grand commerce des vins et tiennent le haut du pavé. À leur suite viennent les nombreux chefs-lieux de châtellenie, débouchés naturels des produits du territoire qu’ils dominent, d’autant plus puissants que leur influence est étendue. Enfin les petites foires annuelles sont, par leur dépendance envers les celliers seigneuriaux, les plus fragiles. Elles sont la plupart du temps les premières emportées dans la tourmente dès que s’ouvre le siècle des « malheurs des temps ».

III. « Grande dépression médiévale » et destabilisation du système commercial

Les « malheurs des temps » : pestes et calamités naturelles

  • 243  « Chartes de la maison de Rabaine en Saintonge », éd. Ch. Dangibeaud, A.H.S.A. t. XIX, p. (...)
  • 244  A. Barbot, Histoire de La Rochelle, op. cit., p. 152 : « En cette année, la peste qui fut (...)
  • 245  R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit., p. 177-179.
  • 246  « Livres des miracles de Sainte Catherine de Fierbois », éd. Y. Chauvin, A.H.P.t. LX, p.  (...)
  • 247  « Registres de l’échevinage... t. II », éd. Denys d’Aussy, A.H.S.A. t. XXVI, p. 369, où i (...)
  • 248  A.N., JJ 187, n° 219, f° 116 v°.
  • 249  A.N., JJ 199, n° 154, f° 93 v°.
  • 250  « La maison de La Madeleine à Cognac », éd. Ch. Dangibeaud, A.H.S.A. t. XXVIII, p. 64 (14 (...)
  • 251  A.N., P 5552 n° 184 : le seigneur de Tonnay-Boutonne rend son hommage au roi à Saintes pl (...)
  • 252  B.M.P., ms. 563, comptes de la seigneurie de Barbezieux de 1495-1496 (copie de l’original (...)
  • 253  Saudau, Saint-Jean-d’Angély d’après les archives de l’échevinage, p. 156.
  • 254  A. Barbot, Histoire de La Rochelle, op. cit., p. 479 : « En cette année au mois de juing, (...)
  • 255  « A. Barbot, Histoire de la ville de La Rochelle, t. II », éd. Denys d’Aussy, A.H.S.A. t. (...)
  • 256  Une étude plus précise confirmerait certainement pour la Saintonge les résultats de J.-N. (...)

30À partir des années 1340 s’ouvre un siècle de crises qui remet en cause le réseau des foires et marchés. Cette vaste période de récession et ses conséquences sont bien connues et intéressent particulièrement notre sujet. D’abord car ce siècle fut fondateur, en ce que des désastres naquit avec la reconstruction un nouveau système commercial, reproduction étoffée du réseau du XIIIe siècle, mais sur de nouvelles logiques. Ensuite, car cette grande dépression eut d’autant plus d’impact sur les foires et marchés de Saintonge et d’Aunis que la province fut, de 1346 jusqu’aux dernières offensives des années 1450, en première ligne des combats de la guerre de Cent ans. Jamais la notion de « marche » et de « frontière » n’aura sans doute été aussi concrètement et douloureusement vécue par les Saintongeais qu’en ces temps où la ligne de front entre Anglais et Français traversait le cœur de la province. La guerre suffit d’ailleurs à elle seule à expliquer le bouleversement du système commercial, quoiqu’elle ne fut jamais le seul mal qui l’atteignit : la peste est une de ses compagnes parmi les « malheurs des temps ». C’est dès 1348 que l’épidémie de peste noire qui a déjà ravagé Constantinople et Marseille atteint la Saintonge. Les mentions de cette première apparition sont rares, mais les traces qu’on en a sont éloquentes : en 1354, le fléau à peine éloigné, le testament de Geoffroi de Rabaine, seigneur de Pisany, évoque l’effondrement des revenus fonciers que la peste a entraîné, suite aux pertes humaines et aux désertions de tenures consécutives243. La population de La Rochelle, aux dires d’Amos Barbot, historien de la fin du XVIe siècle, aurait alors diminué de plus d’un quart244, ce qui, au vu des chiffres avancés généralement pour d’autres régions, est parfaitement crédible, et sans doute à prendre comme un minimum. Le désastre eut été vite récupéré si la peste ne s’était installée à demeure en Saintonge comme dans le reste de l’Occident. Les retours de peste, même probablement moins meurtriers que l’épidémie de 1348, sont ainsi périodiquement attestés. De 1362 à 1365, la peste sévit en Poitou, si durement que la ville de Niort n’a plus assez de population pour assurer le guet de ses murs245. En Saintonge, l’on retrouve l’épidémie, devenue endémique, à Cozes en 1399246 et à Saint-Jean-d’Angély en 1411, 1412, 1413, 1415 et 1417247. À Saintes, une « pestilence d’espedimye » est signalée en 1454248, tandis qu’à La Rochelle, vers 1462-1463, la peste réduit à la pauvreté un petit marchand249. C’est sans doute cette même épidémie qu’évoque à Cognac le témoin dans l’enquête sur la possession du banc des La Madeleine250. On retrouve encore un nouvel accès de peste à Saint-Jean-d’Angély en 1484251 et à Barbezieux en 1494-1495252. En 1501-1502, c’est à nouveau à Saint-Jean que l’épidémie sévit253, avant qu’on la retrouve à La Rochelle et Cognac en 1515254, et encore à La Rochelle en 1554-1555255. Ces quelques mentions, qui n’ont pas prétention à l’exhaustivité, démontrent néanmoins le caractère omniprésent de l’épidémie en Saintonge à partir de 1348 et jusqu’au XVIe siècle : tous les dix ans environ, un retour de peste vient prolonger le marasme démographique de la province256. Les dégâts économiques et humains d’une telle catastrophe sont évidemment considérables.

  • 257  B.M.L.R., ms. 300, f° 15 v° à 16 v°.
  • 258  B.M.P., ms. 563, p. 109 : « Par le commandement de mad. dame a ledit receveur deduit et r (...)
  • 259  Saudau, Saint-Jean-d’Angély d’après les archives de l’échevinage, p. 156.
  • 260  A.N., JJ 199, n° 154, f° 93 v° (mars 1463 a. s.).
  • 261  « Registres de l’échevinage... t. II », op. cit., p. 27. En 1414 une autre femme est vict (...)
  • 262  Saudau, Saint-Jean-d’Angély d’après les archives de l’échevinage, p. 156.
  • 263  B.M.L.R., ms. 3113, 3e partie, p. 106. La grande boucherie est arrentée à 29 bouchers le  (...)

31Dès que l’on peut apprécier ceux-ci en effet, les ravages de la peste paraissent proprement effarants, et expliquent que « guerres et mortalités » soient immuablement cités parmi les causes de la situation désastreuse de l’économie. Une enquête de la Chambre des Comptes réalisée en 1409 nous renseigne à cet égard. Le roi de France, qui vient d’acheter la seigneurie de Dompierre, demande à ses enquêteurs de s’informer sur les revenus de celle-ci. Le document, d’un grand intérêt, témoigne des conséquences économiques directes de la peste. C’est en effet exclusivement cette dernière, dont a vu qu’elle avait touché le Centre-Ouest en 1399 et pendant les années 1410, qui explique l’importante déprise de la seigneurie : les 2/3 des vignes, faute de tenanciers, sont laissées en friche, et les revenus ont chuté de moitié. De 300 livres en 1373, les recettes sont en effet tombées à 100-150 livres257. L’impact direct de la peste fut évidemment considérable pour les foires et marchés. Elle contribuait d’abord à paralyser le commerce urbain, les populations cherchant à fuir devant le mal et la fréquentation des marchés s’effondrant. Les comptes de la seigneurie de Barbezieux de l’année 1495-1496 sont instructifs à cet égard. Leur caractère tardif n’enlève rien à leur intérêt. Ils illustrent l’importance de la déstabilisation du commerce local, qui devait être identique, et même plus forte, en 1348 ou 1362. Ce document fait état du remboursement par la dame de Barbezieux d’une partie des fermes des neuf preneurs de l’année 1494-1495, en raison du préjudice par eux subis lors de l’épidémie de peste dans la ville. Le montant des remboursements en argent, soit 53 livres, est partagé entre tous les fermiers en fonction de l’ampleur du préjudice subi258. Or l’on constate que le fermier des revenus des foires et marchés (péages, ventes et plaçages) reçoit à lui seul 22 livres, soit 41,5 % des remboursements. C’est bien le signe de l’importance des effets de la peste sur le commerce plus que sur toutes les autres activités de la vie quotidienne. La peur de la contagion fait déserter les bourgades par leurs habitants, ainsi que les foires et marchés. D’ailleurs, les autres fermes de Barbezieux affectées par la peste sont souvent liées au commerce : fermes des boucheries de la ville et des faubourgs, ferme du minage, ferme des mesures. À Saint-Jean-d’Angély, lors de l’épidémie de 1501-1502, le commerce est également suspendu : plusieurs fermes ne produisent que peu ou pas de recettes, le fermier du pavage, le plus touché, obtenant un rabais de cent livres259. La peste a pu de même, en désorganisant les réseaux commerciaux, ruiner certains marchands : Raoulet Janvier justifiait ses vols de nourriture sur les marchés de La Rochelle par la nécessité de nourrir sa famille après la ruine de son petit commerce de vin suite à un naufrage « et aussi pour la mortalité qui a eu cours ou païs et qu’il ne trouvoit à gaigner »260. Psychologiquement ensuite, la peste a profondément marqué les esprits, par la peur de la contagion qui se retrouve même sur les marchés. Ainsi à Saint-Jean-d’Angély, régulièrement frappée par le fléau, le maire défend en 1397 à « Perette, feme Nicaise, que à la paine de LX souls d’amande, elle ne soit si ardie de manier aucunes viandes bonnes à manger, frutage, ny autre chouses pour achapter ny autrement, jusques atant qu’elles soient siennes, et en oultre que dedens quinze jours prochains venant elle soit alée à Poitiers ou à La Rochelle pour savoir si elle est entachée de la maladie de Saint Ladre ou non et aporter certifficacion soubz le scel autentique et à la paine que dessuz »261. De la même manière, peu de temps après l’épidémie de 1502, « des marchands de Tonnay-Boutonne ayant apporté au marché de Saint-Jean-d’Angély des pâtés d’anguilles dans la préparation desquels ils excellaient, et ce met indigeste ayant eu des inconvénients pour quelques estomacs, on crut voir les symptômes de la peste dans cette indisposition, et le corps de ville en défendit la vente à l’avenir »262. L’on peut de même supposer l’existence d’un lien entre la réorganisation de la boucherie de La Rochelle en 1348-1349 et l’épidémie263

  • 264  É. Le Roy Ladurie, le premier, livra une Histoire du climat depuis l’an Mil, rééd. Flamma (...)
  • 265  « Fragments inédits d’une chronique de Maillezais », éd. P. Marchegay, B.E.C. année 1840- (...)
  • 266  Les doléances des bourgeois de La Rochelle en 1408 mentionnent « le pays d’Aulnis, où il (...)
  • 267  R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit., p. 177-179.
  • 268  B.N., Clairambault 46, n° 93.
  • 269  A. Barbot, Histoire de la Rochelle, t. I, op. cit., p. 156.
  • 270  « Ad horribilem clamorem mediocris populi propter sterilitatem et defectum vinorum in par (...)
  • 271  Par exemple en 1425 (« Registres de l’échevinage…, t. III », éd. Denys d’Aussy, A.H.S.A. (...)
  • 272  A.D. 17, H 57 (1422) et A. Barbot, Histoire de La Rochelle, t. I, op. cit. p. 479-480 (15 (...)
  • 273  Saudau, Saint-Jean-d’Angély d’après les archives de l’échevinage, p. 310, citant un compt (...)
  • 274  Ibid., t. II, op. cit. p. 9-10 : « Le XXIIe du mois d’aoust, le desbord de la mer fut si (...)
  • 275  R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit., d’après B.M.S.J., CC 36-47.
  • 276  Réveillaud, Histoire de la ville, commune et sénéchaussée de Saint-Jean-d’Angély, p. 117.

32La peste n’explique cependant pas à elle seule le désastre des XIVe-XVe siècles, qui tient à la conjonction de divers maux. La dégradation du climat a pu aussi contribuer à accélérer la crise économique, en entraînant une chute de la production et en mettant en péril l’autosuffisance alimentaire, particulièrement dans les régions où l’essor commercial du XIIIe siècle avait provoqué la spécialisation spéculative des terroirs (Aunis). Cette dégradation climatique, qui est avérée dans tout l’Occident à partir du XIVe siècle264, fut aussi vécue comme un de ces malheurs qui en entraînait d’autres (famine). Même si elles ne nourrissent pas d’extrapolations cataclysmiques ou millénaristes dans nos provinces, les mentions sont assez fréquentes d’averses soudaines et autres refroidissements inopinés, qui provoquent des désastres agricoles. La lecture des sources trahit une grande irrégularité du temps d’une année sur l’autre dès le début du XIVe siècle. Au cours des années 1329-1332, celle-ci, qui concerne au moins l’Aunis et la Saintonge septentrionale, est relevée par un moine de Maillezais265. D’une année à l’autre, l’excès de fraîcheur laissait la place à un temps exceptionnellement beau et chaud. Les importantes précipitations et inondations s’ajoutaient au problème pour l’agriculture de nos provinces. D’autant que l’Aunis, pays de quasi-monoculture viticole, voyait se couper ses possibilités d’approvisionnement en blé quand, la récolte perdue par les aléas climatiques, les propriétaires devaient patienter l’année suivante avant de bénéficier de liquidités (plus encore si la perte des vignes exigeait une nouvelle plantation)266. C’est ce qui explique la mention en 1331 d’une famine dans la région de Benon267. Saintes est touchée en 1349 par « la grant chierté des vivres »268, et en 1351, à La Rochelle, « il y avoit une grande disette (...) par la sécheresse et les grands vents qui avoient faict, entraînant la cherté qui fut aux fruicts, dont le thonneau de froment valloit 28 ecus d’or, et le thonneau de vin le mesme prix », obligeant la commune à faire venir le blé de Flandre, Allemagne et Bretagne pour approvisionner l’armée de Jean II, qui assiégeait Saint-Jean-d’Angély aux mains des Anglais269. Dix ans plus tard, juste avant le premier retour de peste, une nouvelle « stérilité » est signalée à La Rochelle : le roi d’Angleterre, alors maître des lieux, doit autoriser l’entrée dans cette ville de vins extérieurs à ceux de la banlieue, malgré les privilèges de la commune, pour éviter que la contestation populaire ne grandisse270. Là encore, l’acuité du problème climatique fut aggravée par son caractère structurel : la documentation angérienne souligne régulièrement la cherté des vivres271, et périodiquement gels tardifs, inondations et sécheresses entravèrent le commerce des produits agricoles. En 1422, il est à nouveau fait mention d’une grande « cherté de vivres » près de La Rochelle, ainsi qu’en 1515272. Une autre sévit à Saint-Jean-d’Angély en 1538273, et c’est un raz-de-marée qui submerge littéralement l’île de Ré en 1537274. Ces catastrophes pouvaient avoir de graves répercussions non seulement sur le volume de marchandises échangées, mais aussi sur la fréquentation du marché : au cours des années 1430, une grande crue de la Boutonne et un froid excessif firent éclater les pierres des remparts de Saint-Jean-d’Angély, entraînant d’importantes brèches dans les murs. Aussitôt, les marchands évitèrent les lieux, étant donnée l’importance de la sécurité du marché en ces temps de guerre275. C’est pour réparer ces dégâts préjudiciables au commerce de la ville que de nouvelles taxes furent levées sur les habitants de la banlieue. Ces derniers ne pouvant payer, les receveurs firent arrêter les taillables lorsqu’ils se rendaient à la ville pour y apporter leurs denrées, et détenir ceux-ci jusqu’au paiement de la totalité du taux imposé à leur paroisse. Aussi, pour éviter la prison, les ruraux cessèrent-ils d’approvisionner le marché, menaçant la ville de famine276 : mauvaises conditions climatiques, contexte de guerre, fiscalité exagérée d’un pouvoir municipal aux abois se combinaient pour désorganiser le commerce de la ville, et donc ses approvisionnements. L’on était bien au cœur des « malheurs des temps », dont le moindre n’était certes pas la guerre…

Être une frontière pendant la guerre de Cent ans

  • 277  R. Favreau, La commanderie du Breuil-du-Pas et la guerre de Cent ans dans la Saintonge mé (...)

33La guerre est en effet, aux yeux mêmes des contemporains, la principale cause de la grave crise des années 1340-1450 qui affecte l’Aunis-Saintonge, et celle dont les conséquences apparaissent le plus clairement dans le domaine des foires et marchés. La guerre et ses ravages sont omniprésents, et leur réalité vécue au quotidien pendant plus d’un siècle constitue ce qui marqua le plus profondément les Saintongeais, devant la peste ou les catastrophes climatiques. La trame des péripéties de la guerre de Cent ans est bien connue, et a été détaillée par Robert Favreau277. Une mise au point est néanmoins indispensable pour comprendre les bouleversements qui s’ensuivirent. Le traité de Paris de 1259 prévoyait la restitution des territoires du sud de la Charente au roi d’Angleterre si Alphonse de Poitiers décédait sans héritier, ce qui se produisit effectivement en 1271. Dès 1275 est donc créé un sénéchal anglais de Saintonge, même si Philippe IV ne remit ces territoires à Édouard Ier qu’en 1286. La Charente devenait ainsi une ligne de démarcation, et Saintes le principal point de passage entre les deux Saintonge. L’hostilité larvée, et régulièrement ouverte, entre les deux couronnes, se chargea de rendre cette situation frontalière catastrophique. Dès 1294 les Français reprennent les armes à la main la Saintonge méridionale, après la commise des fiefs anglais du royaume. Après un apaisement temporaire, au cours duquel Édouard II put retrouver ses possessions, l’affaire de Saint-Sardos en 1323 provoque une nouvelle fois le processus bien rodé de la commise, réalisée manu militari : Saintes est pillée par les Français en 1327, et son château est pris et rasé par le comte d’Alençon en 1331.

  • 278  Ordonnances des rois de France... t. XVIII, p. 690-691.
  • 279  A. Barbot, Histoire de La Rochelle, t. I, op. cit., p. 163-165.
  • 280  Ce personnage, maître de la région après les nombreux dons royaux, est évoqué par R. Favr (...)

34Mais le pire est à venir. En 1346 débutent les véritables opérations militaires. Quand il apprend en effet le débarquement d’Édouard III en Normandie et le rappel d’urgence par Philippe VI de son fils Jean (20 août), jusque là chargé de la défense du Poitou, puis la défaite de Crécy (26 août), Henri de Derby, comte de Lancastre, lance son offensive à travers la Saintonge. Il part de La Réole le 12 septembre vers l’Angoumois et la Saintonge, prend Aubeterre puis, le 21 septembre, Châteauneuf-sur-Charente. Apprenant là l’arrestation à Saint-Jean-d’Angély, au mépris d’un sauf-conduit accordé par le duc de Normandie, de Gautier de Mauny, Derby lance ses troupes contre cette ville qui, peu défendue, tombe rapidement. « La pluspart des habitans [furent] navrés et tués et les autres prins prisonniers, et tous leurs biens pillés, bruslés et emportés », dit un document contemporain278. Le duc de Lancastre pénètre sans trouver de résistance en Poitou, prend l’importante place-forte de Lusignan, arrive le 3 octobre devant Poitiers, dans laquelle il pénètre le lendemain et qu’il soumet à un pillage en règle, avant de l’abandonner, la jugeant intenable, devant l’avancée d’une armée royale venue à sa rencontre. Derby se replie alors et prend au passage Montreuil-Bonnin, mais échoue devant Saint-Maixent et Niort. Revenu en Saintonge, il s’empare des places de Surgères et Benon, puis des châteaux de la Boutonne et de la Charente (Tonnay-Boutonne, Tonnay-Charente, Rochefort, Soubise, Fouras, Taillebourg), avant de revenir à Bordeaux à la fin de l’été 1347, en prenant Mortagne et Saint-Thomas-de-Cosnac. En septembre, la trêve de Calais suspend les hostilités. Les Anglais contrôlent alors toute la vallée de la Charente, gênant particulièrement les intérêts rochelais dont le commerce par ce fleuve était considérable. Il est fort possible que Derby ait tenté d’isoler La Rochelle, projetant de s’en emparer : en tenant les places de la Boutonne et de la Charente, il contrôlait tout le sud de l’Aunis, et la possession des places de Benon et Surgères coupait le port de son arrière-pays poitevin, lui laissant comme seule communication avec l’extérieur, outre la mer, la route du nord par Marans, incommode car traversant les marais. En 1351, le nouveau roi Jean II passe à l’offensive : il reprend à la fin août-début septembre 1351 Saint-Jean-d’Angély et, appuyé par les Rochelais qui veulent desserrer le blocus anglais, reconquiert Fouras (fin 1351), Surgères (1353), Rochefort (5 septembre 1356, La Rochelle dépensant 9 000 écus pour la reprise de cette place)279. En Saintonge girondine, Foulques de Matha s’empare pour le roi de France de la plupart des places-fortes et de l’île d’Oléron280. Le désastre de Poitiers, le 19 septembre 1356, annule ces succès en contraignant Jean II à la signature du calamiteux traité de Brétigny de 1360, qui remet notamment l’Aunis et la Saintonge à l’Angleterre.

  • 281  Cette hostilité a été notamment étudiée par R. Favreau (La ville de Poitiers... op. cit.) (...)
  • 282  Ces exactions sont rapportées par R. Favreau, « La Saintonge pendant la guerre de Cent an (...)

35Une véritable hostilité aux Anglais se manifeste lors de la remise des places saintongeaises à Jean de Chandos281. L’attitude du nouveau duc d’Aquitaine, le prince de Galles, fils d’Édouard III, n’arrange pas la situation : son orgueil, ses exactions et la pression fiscale à laquelle il recourt pour financer ses chimériques projets espagnols, entraînent les plaintes fréquentes de ses sujets282. C’est une de ces plaintes, reçue par Charles V en 1369, qui va rouvrir les hostilités, suite au refus condescendant du prince noir d’obéir à la convocation à Paris de son suzerain, si ce n’est à la tête de ses troupes. Le 4 février de cette année, la France avait noué une alliance militaire avec la Castille, et la reconquête, appuyée par les populations et les seigneurs locaux, est menée vigoureusement par le connétable Du Guesclin et favorisée par la mort du prince noir en 1371, qui provoque le ralliement de plusieurs barons. Les 23-24 juin 1372, la défaite navale des Anglais devant La Rochelle marque le début des opérations : le 7 juillet, Poitiers est reprise et ouvre la route de l’Aunis-Saintonge, dont les principales places (La Rochelle, Saint-Jean-d’Angély...) sont reconquises en août et septembre. À la fin de l’année 1372 ces deux provinces sont réunies au Poitou dans l’apanage confié à Jean de Berry. À partir de 1373 les grandes opérations s’arrêtent en Saintonge, laissant la place à des épisodes de guerre larvée, espacés par de longues trêves plus ou moins respectées. Chaque parti campe dans ses forteresses et s’efforce soit de reprendre des places voisines soit de rançonner le plat-pays par le système des pâtis. En 1385-1386 les campagnes de Bourbon et de Louis de Sancerre permettent la récupération de plusieurs places par les Français (Taillebourg, Montlieu, Archiac, Jarnac, Bourg-Charente), mais dans l’ensemble le statu quo est maintenu par des trêves régulièrement prolongées de 1384 jusqu’en 1404, les opérations restant ensuite limitées jusqu’en 1415 (attaques de Montendre en 1402, de La Rochelle en 1404, prise par les Français de Chalais et Mortagne en 1406, de Bourg et Blaye en 1407-1408, et de Soubise en 1413).

36Avec Azincourt, en 1415, les hostilités reprennent franchement, mais les grandes opérations se concentrent au nord de la Loire. En Saintonge, chaque seigneur défend localement ses possessions, sans aucune concertation ni politique d’ensemble, ce qui rend chaotique l’évolution militaire de la province. Charles VII étant plus occupé à sauver Orléans ou à reconquérir Paris et la Normandie, il laisse les seigneurs saintongeais agir en véritables potentats locaux, qui n’hésitent pas à piller et rançonner les campagnes, au nom de la lutte contre les Anglais, tel Jacques de Pons. C’est au cours des années 1420-1440 que la situation apparaît la plus critique en Saintonge. Celle-ci, livrée aux gens d’armes, est mise en coupe réglée. Les documents abondent qui dressent une situation catastrophique, et montrent le repli de l’activité humaine dans les villes fortifiées, laissant les campagnes aux pillards et à la friche. La situation évolue à partir de 1440. Jean de Huntington, qui vient de débarquer à Bordeaux, s’empare alors de plusieurs places françaises. Le dauphin Louis, envoyé contre lui, prend la tête de la Praguerie, révolte seigneuriale contre Charles VII, dans laquelle l’on retrouve plusieurs des barons les plus importants de Saintonge (Maurice de Plusquelec, Guy de la Roche, l’inévitable Jacques de Pons...), qui trouvent dans celle-ci un moyen d’occuper leur turbulence. Le roi mâte la révolte en 1441, et renvoie son fils à ses affaires dauphinoises. La reprise de Paris (1436) puis de la Normandie (1449-1450) permet à Charles VII de se préoccuper à nouveau de la Saintonge. De 1450 à 1453, il entreprend la reconquête qui débouche sur la prise de Bordeaux. La guerre s’achève de facto, mais elle le sera de jure seulement après le traité de Picquigny de 1475, par lequel Édouard IV renonce à toute prétention sur la France, sa couronne et ses anciens domaines, gardant uniquement Calais. La reconquête laissait nos provinces, qui tout au long du conflit avaient été un champ de bataille, exsangues et ruinées, à reconstruire entièrement. L’économie de l’Aunis-Saintonge, au cours des années 1340-1450, a connu, après « l’âge d’or » du XIIIe siècle, un siècle de récession brutal, dont ont particulièrement souffert les assemblées commerciales.

  • 283  R. Favreau, « La Saintonge pendant la guerre de Cent ans », op. cit., p. 40.
  • 284  « La commanderie du Breuil-du-Pas, ou tableau de la Saintonge pendant la première moitié (...)
  • 285  La commanderie du Breuil-du-Pas et la guerre de Cent ans dans la Saintonge méridionale, o (...)
  • 286  « La commanderie du Breuil-du-Pas, ou tableau de la Saintonge… », op. cit., p. 52. L’on p (...)
  • 287  « Quatres lettres inédites sur Jacques, sire de Pons », éd. A. de Brémond-d’Ars, A.H.S.A.(...)
  • 288  L. de Richemond, Documents historiques inédits sur le département de la Charente-Inférieu (...)
  • 289  « Chartes de la maison de Pons », éd. G. Musset, op. cit., p. 262 : « ledit suppliant n’a (...)
  • 290  « La commanderie du Breuil-du-Pas, ou tableau de la Saintonge… », op. cit., p. 49-50 : «  (...)
  • 291  « Chartes de la maison de Pons », op. cit., p. 250-260, lettres de rémission de Jacques d (...)

37« Il est si facile de dresser de la Saintonge pendant la guerre de Cent ans un tableau de désolation que l’historien se prend du même coup à douter »283. Les fermes sont partout ruinées, les « déserts » et les friches abondent et sont devenus les repaires d’animaux sauvages. Au reste, ces constatations sont valables pour toutes les régions touchées par les combats, comme la Normandie de Thomas Basin. La particularité peu enviable de la Saintonge est cependant d’être restée du début à la fin de la guerre un front actif, ravagé en permanence, sauf peut-être, et encore de manière toute relative, pendant les trêves des années 1380-1410. Les enquêtes qui se sont multipliées à la reconstruction sont une source intarissable pour la description du pays au sortir de la guerre. Celle relative à la commanderie du Breuil-du-Pas284, utilisée plus tard par Robert Favreau285 mentionne ainsi que vers le milieu du XVe siècle, « deçà la rivière de Charente tous les nobles lieux et gros villages estoient et sont déserts en friches et en ruine ; et là où souloient estre beaux manoirs, domaines et héritaiges, sont les grands buissons et autres déserts, et mesmement ladite commanderie du Pas qui est encore en frische et en ruisne »286. Les principales causes en sont les exactions des routiers bien plus que les offensives militaires, au final assez rares dans la région. Les bandes, qui tiennent la campagne, pillent les villages et rançonnent les paysans afin de ruiner les réseaux d’approvisionnements des places-fortes qu’ils assiègent, sont cause de l’insécurité en ce XVe siècle. À cet égard, la nocivité de ces gens d’armes paraît bien plus forte alors qu’elle ne l’était au XIVe siècle. La guerre était à cette époque faite de grandes chevauchées et de vastes opérations militaires (Derby en 1346, reconquête française en 1372), tandis que de 1415 à 1450 au contraire, les rois se contentent de faire tenir le pays saintongeais par leurs hommes, laissant ainsi le champ libre aux bandes seigneuriales qui se répandent dans la campagne. Le plus célèbre de ces seigneurs-routiers fut sans doute Jacques de Pons, dont la biographie mouvementée nécessiterait à elle seule un travail, et qui l’emporte sur les autres seigneurs mentionnés comme chefs de cette soldatesque (le seigneur de Ciré en Aunis, les frères Plusquelec autour de Taillebourg). Jacques est le fils de Renaud VI de Pons, conservateur des trêves en Saintonge jusqu’aux années 1410. À ce titre, il hérite d’une des plus importantes baronnies de la province, que son père a su accroître par des dons royaux. Jacques, outre ses fiefs patrimoniaux de Pons (soit une très vaste châtellenie commandant 60 paroisses) et de Périgord (il possède notamment Bergerac), contrôle une grande partie de la Saintonge littorale (Broue et bailliage de Marennes, Arvert et Royan confisqués aux Matha par le roi au profit de son père) ainsi que l’île d’Oléron. Ce vaste ensemble territorial au contact direct des places occupées par les Anglais le destinait à jouer un rôle majeur dans la défense française de la Saintonge, puisqu’il était capable au faîte de sa puissance de lever parmi ses vassaux et d’équiper à ses frais une armée de 10 000 hommes de pieds et de 400 chevaux287. Il semble avoir en fait conçu la défense des intérêts royaux de manière très personnelle, vivant sur le pays, et exerçant sur ses propres états des rapines dignes des célèbres écorcheurs contemporains. Ces excès de Jacques de Pons, « lequel fut de telle vie que chacun scet », dit un document contemporain288, sont bien connus par la lettre de rémission qui les décrit. Le triste sire et sa soldatesque terrorisaient les populations : Pierre Quentin, auquel Renaud de Pons avait usurpé l’hôtel de Sainte-Foy, préfèra ainsi attendre la fin de la guerre et l’arrestation de Jacques pour réclamer son bien289. Bien lui en prit, car Jacques se souciait peu de la justice, comme en témoignent les faits rapportés dans l’enquête citée plus haut290. Et peu importait s’il fallait arrêter et rançonner le juge, ou intervenir en pleine séance du tribunal de la halle de Saintes pour faire libérer un fidèle... Pour ces véritables bandits, le prétexte au pillage était vite trouvé : le roi ne pouvant entretenir les troupes, celles-ci se servaient sur le pays. Tous ces éléments apparaissent clairement dans la lettre de rémission accordée à Jacques de Pons : « pour ce qu’il n’estait point souldoyé et ne pouvoit entretenir ses dictes gens, il a fait, et à ses dictes gens permis et souffert faire plusieurs pilleries, roberries, rançonnemens, et aucunes fois ont par lui et ses dictes gens esté prinses d’églises, boutez-feuz, meurtriz gens, forcées femmes, prins, ranconnez, battus et emprisonnez nos subgiez, et faiz pluseurs autres maux, excez et délits, tant de guet appensé que autrement, en diverses manières, et tant sur gens d’église, nobles, marchans, laboureurs que autres de divers états »291.

  • 292  « La commanderie du Breuil-du-Pas, ou tableau de la Saintonge… », op. cit., p. 49.
  • 293  R. Favreau, La commanderie du Breuil-du-Pas..., op. cit., p. 62.
  • 294  A.N., JJ 177, n° 182, f° 124 v° (août 1445).
  • 295  « La Saintonge pendant la guerre de Cent ans », op. cit., p. 40 et 44.

38La conséquence la plus directe de ces événements est le reflux des populations qui désertent les campagnes pour trouver refuge dans les villes fortifiées, dont les plus sûres sont Saintes, Saint-Jean-d’Angély et Pons. Là encore l’enquête sur la commanderie du Breuil-du-Pas est un précieux indicateur : « la guerre estoit lors si grande par le pays de Xaintonge, que des villes de Xaintes, de Pons, de Mornac, ne de Thalmond on n’ousoit saillir, obstant que les anglois couroient, tant de jour que de nuit, jusque devant les portes desdites villes, tellement qu’il convenoit tous les matins à porte ouvrant faire saillir gens à pied et à cheval pour aller faire la recherche s’il y avoit point d’embusche sur les champs, affin que le pouvre peuple peut saillir en sureté pour labourer à l’entour des villes »292. Les activités des hommes et les terroirs cultivés tendent aux XIVe-XVe siècles à se replier à l’immédiate périphérie de ces villes, pour plus de sécurité, le reste des parcelles étant abandonné aux friches. Un puissant mouvement de fortification des églises put également maintenir un minimum d’activité sur le plat-pays293. Cette redistribution des terroirs était rendue possible par l’effondrement démographique consécutif aux épidémies qui avait libéré des parcelles. Un tel contexte était évidemment très déstabilisant pour le commerce : les marchands évitaient le plus possible de circuler dans ces provinces dangereuses, où l’on était toujours susceptible d’être volé et rançonné, et préféraient au plat-pays les villes fortifiées à l’abri desquelles le commerce se maintenait en partie. Les multiples lettres de rémission que l’on trouve au XVe siècle nous renseignent sur le risque encourru par les marchands fréquentant les assemblées commerciales, mentionnés parmi les victimes de Jacques de Pons. Jean de Marcillac, d’Aulnay, pendant qu’il était soldat du roi de France, a ainsi « tenu les champs avec les autres gens de guerre ou il a vesqu sur noz païs et subgiez d’iceulx avecques leurs biens, bestial et autres biens prins et raençonnez les marchans venans et alans aux foires et marchiez (...), leur a osté leurs chevaulx et monteures, eur or, argent, robes, joyaulx, denrees et marchandises et autres biens quelzconques qu’ils trouvoient sur eulx, vendu et butiné leurs chevaulx, biens et destrousses, et prins part esd. destrousses et pilleries que avoient fait sesdiz serviteurs, les a soustenuz, supportez, et favorisez esdictes pilleries et roberies, a esté lui et ses gens à courir foires et marchiez et a icelles piller, prins et emmené beufz et vaches et autre bestial, partie d’icellui mengié, et l’autre partie vendu, butiné ou raençonné, ou fait ce que bon lui a semblé »294. Les routes étaient donc désertées par les marchands, d’autant que les pâtis et saufs-conduits, censés contre argent garantir ceux-ci des atteintes des gens de guerres, ne furent que rarement respectés : « la vérité est telle que jamays marchans qui eussent de quoy ne aultres gens de façon et gens d’église ne ousessent aler par pays par billectes, sauconduz ne aultres chouses qu’ilz eussent, quar les guerres, pilleries et roberies estoient si grandes que personne ne ousoit aler par pays ne habiter sur les champs »295.

Les foires et marchés face à la guerre : un siècle de dépression

  • 296  À Angoulême en 1349, par exemple, le fermier du minage reçoit 40 livres de rabais sur le (...)
  • 297  « Compte de l’Angoumois… » éd. L. Imbert, op. cit., p. 121, compte de la revenue de Compn (...)
  • 298  A.H.S.A. t. I, p. 68-70 : « Comme il ait esté accoustumé du temps passé de tenir le march (...)
  • 299  « Recueil des documents concernant le Poitou…, t. VII », éd. P. Guérin, A.H.P. t. XXVI, p (...)
  • 300  C. Masse, Recueil des plans d’Aunis et de Poictou, feuille 34.
  • 301  Les assemblées commerciales sont mentionnées en 1365 dans l’aveu du sire de Mauzé au prin (...)
  • 302  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 335-336 : « lettres du se (...)
  • 303  En 1410 est en effet adressée une demande de renseignements par le seigneur de Taillebour (...)

39L’on peut déjà concevoir quelles conséquences désastreuses pour les assemblées commerciales entraîna la fixation du front en Saintonge pendant plus d’un siècle. Le réseau des foires et marchés est laissé exsangue et profondément bouleversé : la guerre se traduit par des destructions importantes et le saccage régulier des cultures, provoquant, en y ajoutant de plus les conséquences de la dépopulation, l’effondrement de la production. Ce dernier désorganisait les approvisionnements du marché, d’où les « chertés des prix » que nous venons d’évoquer. L’on a vu de la même manière les troupes armées, en maintenant l’insécurité sur les routes, dissuader les marchands ou les paysans de se rendre au marché296. Dans ces conditions, soit les assemblées commerciales se plaçaient sous la protection des murailles urbaines, soit elles disparaissaient. Dès les premières années de la guerre, un puissant mouvement de restructuration du réseau commercial est ainsi à l’oeuvre. La multiplication des signes de ce dernier partout dans les provinces d’Aunis et de Saintonge témoigne de son caractère massif et général, quoique la documentation ne nous en dévoile qu’une petite partie. L’on trouve d’abord plusieurs mentions du transfert d’un marché ou d’une foire dans des places plus sûres. Il s’agissait de garantir la sécurité des marchands, afin de maintenir la fréquentation des assemblées commerciales. Ce déménagement ne pouvait évidemment avoir lieu que lorsqu’un même seigneur possédait un marché dans un lieu ouvert et une forteresse : l’on ne trouve en effet aucun marché déplacé dans la place d’un tiers seigneur, ce qui aurait engendré des querelles de prééminence et un nécessaire partage de la juridiction difficile à organiser. Le déménagement restait donc la solution des barons saintongeais les plus puissants. Au moins deux générations de transferts d’assemblées commerciales peuvent être observées en Saintonge. Le mouvement est initié dès les lendemains de l’attaque de Derby, répondant sans doute à la panique qu’elle engendra auprès des populations : la chevauchée anglaise entraînait l’occupation d’une série de places-fortes dans toute la Saintonge, d’où étaient menés des raids sur le plat-pays environnant, la clientèle du marché offrant une cible de choix. Dès 1349, donc, la foire de Cherves a été déplacée à l’intérieur des murs de Cognac par le duc d’Angoulême « pour doubte des ennemis »297. De la même manière, en 1353, le seigneur de Mortagne doit reconnaître les droits du prieur de cette ville sur le nouveau lieu de tenue du marché de Cozes, transféré à l’intérieur de la place298. En 1406 était également mentionné à Mauzé « un certain lieu de la dicte ville appellé Champ-Grangier, ouquel lieu souloit avoir marchié »299. Le plan de la ville par Masse de 1719 mentionne les toponymes « Les Granges » et « La Grange » au nord du bourg, ainsi qu’un « chemin de Granges » qui part vers le nord-est300. La situation était certainement proche de celle que l’on va observer prochainement entre Saint-Jammes et Taillebourg : une assemblée commerciale rurale se déroulait dans un cadre champêtre (le toponyme même de « Champ-Grangier » l’indique), mais elle fut transférée pour sa sécurité dans la ville close proche, où foires et marchés continuent de se tenir en 1365, 1384 et 1420301. À cette première vague de transferts succèda une seconde après la reprise des hostilités avec une nouvelle acuité autour des années 1415-1450. Les foires rurales de Saint-Jammes, tenues dans les prairies qui font face à Taillebourg depuis au moins le XIIIe siècle, furent alors déplacées dans la ville, comme l’indique une notice de l’ancien inventaire du comté302. Si ce transfert n’est pas daté, il est probable qu’il se soit produit après 1410, puisque jusqu’à cette date ne se tenait plus aucune foire à Taillebourg, malgré ses fortifications et sa situation sur une route fréquentée, enjambant la Charente par un pont303.

  • 304  Le premier chapitre de cette partie avait souligné la naissance du marché à l’abri des ch (...)
  • 305  A.D. 17, 1 J 353, p. 391-392, 7 avril 1485.
  • 306  A.N., JJ 72, n° 213, f° 143 v° (proclamation d’un accensement aux marchés de Tonnay et So (...)
  • 307  Cette halle est représentée par Chastillon, au f° 196 de sa Topographie Française.
  • 308  Tonnay-Charente et le canton, t. I, p. 153.
  • 309  A.N., P 584, n° 78, pour l’aveu de 1365 au prince d’Aquitaine, et A.D. 17, E 114, pour ce (...)
  • 310  Cette année, deux marchandes de Saint-Jean viennent vendre des marchandises « en l’oust, (...)

40Ce mouvement de repli du commerce à l’abri des murailles urbaines coïncide d’ailleurs, en vertu des mêmes logiques, avec un phénomène de retour du marché à l’abri du château304. Les seigneuries qui ne possédaient pas de bourgs fortifiés, mais contrôlaient néanmoins un château, et souhaitaient préserver la tenue de leur marché, ont en effet pu déménager celui-ci au plus près de la forteresse. À Matha, par exemple, le marché était traditionnellement établi sur le grand carrefour du plateau sur lequel la ville est installée, mais il fut, suite à la guerre, transporté en contrebas, auprès du château. C’est ce qu’indique une notice de l’inventaire des titres du comté de Matha de 1757, qui mentionne une transaction « entre messire Eustache de Monbron seigneur de Maulévrier, Mastas, vicomte d’Aunay, d’une part, et les manans et habitans de Mastas, en la paroisse de Marestay, par laquelle on voit que la tenue des foires et marchez se tenoient en la haute ville de Mastas au Grand Carrefour d’icelle, et que par rapport aux guerres on avoit transporté lesdits foires et marchez près le chateau pour la sureté des marchandises, mais, comme ce dernier lieu étoit moins commode et pour les habitans et pour les forains, led. seigneur de Mastas a consenti que les dittes foires et marchez fussent tenus à l’avenir en la haute ville où ils s’étoient tenuz auparavant les guerres »305. Ce déplacement trahit le souci de protéger le marché des atteintes militaires par la proximité dissuasive d’une forteresse. C’est un phénomène proche, et sans doute contemporain, que l’on observe à Tonnay-Charente. Cette ville, lorsque son marché est attesté pour la première fois dans notre documentation en 1340306, était déjà très active. Le long de la Charente s’était développé un bourg populeux et marchand où se tenaient les assemblées commerciales, et où s’établit la halle au XVIe siècle307. Il était dominé par le château et la ville haute, close de murs. L’abbé Brodut affirme, sans apporter certes aucune preuve probante, que le marché de Tonnay se tenait au XVe siècle « au bas du château et du chemin de ronde », soit probablement dans la ville haute308. Cette thèse est crédible. Outre que l’abbé a pu consulter des documents que nous n’avons pas retrouvés et dont il n’a pas cité les références comme il le fait de manière regrettable mais générale, ce déplacement du marché à l’intérieur de la ville haute correspond à une tendance structurelle des places commerciales des XIVe-XVe siècles. Nous avons d’ailleurs pu vérifier la fiabilité de l’abbé Brodut en retrouvant et consultant certains documents qu’il cite dans son ouvrage, notamment deux aveux et dénombrements du seigneur de Tonnay-Charente en 1365 et 1392 qui mentionnent les « droits de marchés, de foires »309. Signe que, malgré les nombreux sièges que connaît cette place clé sur la Charente, notamment en 1384310, l’activité commerciale s’y est maintenue pendant la première moitié du conflit, ce qui n’était possible que par le déplacement du marché à l’intérieur des murs. Quoi qu’il en soit, si le redéploiement du marché vers un site plus sûr paraît avoir été une solution parfois adoptée par les seigneurs qui en avaient les moyens, les assemblées commerciales n’ont le plus souvent pas survécu à la guerre. La fréquence des mentions l’attestant, de même que l’importance du mouvement de rétablissement des assemblées au lendemain de la guerre, témoigne de l’ampleur des suspensions, temporaires ou définitives.

  • 311  « Comptes de l’Angoumois… », éd. L. Imbert, op. cit., p. 117-118 : « (...) Des foires de (...)
  • 312  Ibid., p. 119 : « Du minage du marché de Bouteville, baillé à lever en la main du Roy à P (...)
  • 313  Ibid., p. 122 : « Du petit péage du sel ouquel mons. le Roy prend la douziesme partie, le (...)
  • 314  Ibid., p. 117-118.
  • 315  Ibid., p. 122.
  • 316  Ibid., p. 121 : un ouvroir sous la halle de Cognac rapporte 6 sous 8 deniers de faible mo (...)
  • 317  Ph. Contamine (dir.), L’économie médiévale, p. 323.
  • 318  A.N., K 499. Transcrit dans le mémoire de maîtrise de C. Poitou, Compte de l’Angoumois so (...)
  • 319  Compte de l’Angoumois…, éd. C. Poitou, op. cit., p. 18 et 51.
  • 320  Ibid., p. 20 : « Du petit péage du sel ouquel le roy ne prent fors que la XIIe partie, le (...)
  • 321  Ibid., p. 20 : « Du grant péage (...) ne compte rien quar il ne fu pas assensez ne l’on n (...)
  • 322  « Compte de l’Angoumois… », éd. L. Imbert, op. cit., p. 124.
  • 323  Compte de l’Angoumois…, éd. C. Poitou, op. cit., p. 20 : « Du levage des drapiers avecque (...)
  • 324  Ibid., p. 55.
  • 325  Dans ces conditions, le marché le plus proche pour les habitants d’entre Charente et Né e (...)

41Il faut là encore distinguer deux phases : de 1346 à 1380 environ, l’on constate l’interruption de très nombreuses assemblées ; après une certaine accalmie liée aux trêves des années 1380-1410, la reprise des hostilités entraîne de nouvelles suspensions de 1415 à 1450 environ. Dès les lendemains de l’offensive de 1346, un grand nombre de foires ont cessé de se tenir, ce que révèlent une fois encore les comptes de l’Angoumois de 1349-1350, pour les parties qui intéressent les enclaves saintongeaises. Huit foires existaient dans ces territoires : Bouteville, Cognac, Jarnac, Ségonzac, La Madeleine, Archiac, Saint-Même et Cherves. Sur ces assemblées, une a été déplacée à Cognac (Cherves) et continue de s’y tenir, trois se tiennent au même lieu qu’avant-guerre (Bouteville, Cognac, Ségonzac), et les quatre autres connaissent une interruption de la tenue de leurs foires et marchés qui ne rapportent plus rien (Jarnac, Archiac, La Madeleine, Saint-Même)311. Même lorsque les assemblées continuent de se tenir, le climat d’insécurité est tel qu’il devient difficile de trouver un fermier pour leurs revenus. Si les foires de Ségonzac et de Bouteville en trouvent un, ce n’est pas le cas du minage de cette dernière bourgade dont le roi doit faire toucher les revenus directement par ses officiers, comme pour ceux de la foire de Cherves312. De même le commerce de Cognac apparaît-il dans un triste état, malgré les murs qui protègent ses foires et marchés : le petit péage du sel et les revenus de la foire de la saint Nicolas d’hiver (étals des drapiers, des cuyratiers, des aulx et oignons) ne trouvent pas preneurs313. L’on observe donc, dès les lendemains du début des opérations militaires, un véritable désastre économique dans la plupart des bourgades du Cognaçais. Soit les assemblées commerciales ne se tiennent plus, soit l’on ne trouve personne qui prenne le risque d’en affermer les revenus, leur fréquentation s’étant effondrée ou étant menacée par les courses des Anglais qui tiennent plusieurs places dans la région. L’absence d’affermage des péages, qui ne sont plus d’aucune valeur, trahit l’arrêt de la circulation des marchandises sur les routes : parmi les péages d’Angeac-Charente, près de Châteauneuf (pris en 1346 par les Anglais), de Ségonzac, de Gondeville, de Guomarancheville, du pont du Pladur, de la « Nef », de La Madeleine, de Touzac et de Saint-Même, sept ne sont plus d’aucun revenu, et les deux autres doivent être levés par les officiers royaux314. À Cognac seul le grand péage est affermé, à 20 livres315. La situation économique apparaît de plus handicapée par les « remuements monétaires » dont se font l’écho les revenus libellés en « feble monnaie » avec leur équivalent en « fourte monnaie », qui nous permettent de constater qu’en 1349 la livre s’est dépréciée de moitié par rapport à un référent316 pris sans doute avant le début des « grandes mutations » conduites par le maître des monnaies Jean Poilevillain entre 1340 et 1360317. L’existence d’un autre compte de l’Angoumois pour la période 1376-78 permet d’établir des comparaisons318. À cette époque, la Saintonge et l’Angoumois viennent d’être partiellement reconquis par les Bretons de Du Guesclin, Cognac étant repris en 1375. Les informations du compte ne concernent plus que les foires de Cognac, les autres places commerciales mentionnées en 1349-1350 étant sous contrôle anglais (Bouteville, mais aussi Archiac, qui n’est repris qu’au cours des années 1380) ou ayant été aliénées par le roi à des particuliers (Jarnac à Guillaume de Craon). La situation du commerce s’est fortement aggravée depuis le précédent compte. La foire de Cherves, qui en 1349 figurait dans la recette de Cognac, n’est plus mentionnée, ce qui indique que son transfert dans les murs de cette ville n’a cependant pas permis sa survie. Dans un tel contexte, il paraît douteux que les foires qui étaient encore en activité dans le plat-pays en 1349 (Ségonzac, Bouteville) se tiennent toujours, et il est fort peu probable que celles qui n’existaient déjà plus en 1349 (Archiac, Jarnac, La Madeleine, Saint-Même) aient pu réapparaître. La dernière place commerciale qui se maintient en 1378 pour toute la partie centrale de la Saintonge charentaise est donc Cognac. Encore celle-ci est-elle en grande difficulté. Une large partie des revenus fonciers n’a pu être recouvrée, « par cause des guerres, mortalités, et faute de tenanciers »319. Mais la situation commerciale est au moins autant catastrophique. Certes, le petit péage du sel a pu être affermé 10 sous en 1377, et paraît avoir tiré profit du répit de Brétigny, puisqu’il n’avait rapporté que 8 deniers obole de forte monnaie en 1350 (même si les conséquences des mutations monétaires jusqu’à la période de stabilité établie par l’ordonnance de 1360 doivent nuancer ces comparaisons)320. Mais le grand péage de Cognac, « qui soloit valoir XX livres par an » (c’est en effet le montant auquel il est affermé en 1349), ne rapporte plus rien321. Les marchés, de même, semblent ne plus se tenir, aucun revenu n’étant tiré des divers droits qui, en 1349 encore, étaient prélévés à cette occasion. L’on ne trouve ainsi plus aucune mention du bancauge des bouchers, qui rapportait 20 livres en 1349-1350, et auquel étaient annexés les revenus de la « coustume des bouchers du dehours et des poissonniers de mer »322. Quant aux autres droits liés aux assemblées commerciales, ils ne rapportent plus rien non plus323. La foire de la saint Nicolas d’hiver (6 décembre), qui fournissait la plupart de ces revenus, n’est pas non plus mentionnée, quoique le compte s’étale de la Toussaint 1376 à la saint Jean-Baptiste 1377. Comble du désastre commercial, la halle est détruite et ne rapporte plus rien. Pour le compte de la saint Jean 1377 à la saint Jean 1378, la situation ne s’est pas améliorée324. La halle est toujours en ruine, et « du levage des drapiers avecques l’estalage des vendeurs de cuyrs tanez et des solliers, [le receveur] ne compte rien quar rien n’y est escheu durant le temps de cest compte ». Il en va de même pour le levage des aulx et oignons. Cette fois, la mention de l’interruption de la tenue de la foire de la saint Nicolas est explicite : « du droit que le roy prent sur la foyre qui se tient ou cimetière en la feste de saint Nicholas d’yver, ne compte rien quar rien n’y est escheu durant le dit temps ». La conjoncture économique paraît même s’être dégradée depuis l’année précédente, puisque personne ne veut affermer le grand péage de Cognac « par cause de la guerre ». La raison des malheurs de la ville se résume en effet tout entière dans le motif de l’absence d’affermage des prés de fauche, « par cause des Angloys qui sont à une petite leue de Coignac ». Ceux-ci tiennent en effet Bouteville, Châteauneuf et Merpins, bloquant l’accès à la ville par la vallée de la Charente en aval et en amont, et ravageant quotidiennement les environs de Cognac. Il est alors logique que les marchands ou les ruraux refusent de se risquer dans la région, les foires et marchés n’étant plus approvisionnés et donc suspendus325.

  • 326  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 48-49.
  • 327  À cette date, l’aveu du seigneur de Taillebourg au prince noir mentionne en effet les « f (...)
  • 328  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 96.
  • 329  A.N., P 5522, n° 272.
  • 330  La tenue de la foire du Lendit, à Saint-Denis, fut par exemple interrompue entre 1418 et  (...)
  • 331  B.M.L.R., ms. 2691 (Mi 139), f° 172 v°.
  • 332  A.N., P 5531, n° 11 (transcription et communication de M. J.-C. Bonnin).
  • 333  B.M.S.J., FF 41.
  • 334  « Jonzac et Ozillac », op. cit., p. 208, où il est question du « levagium salis foro de J (...)
  • 335  Ibid., p. 232-235.
  • 336  Documents originaux et inédits... éd. P. Marchegay, p. 18-21. Un des articles du document (...)
  • 337  A.N., JJ 208, n° 14, f° 7 v°. L’acte, qui mentionne les deux foires qui préexistent à Tai (...)
  • 338  A.-M. Legras, Les commanderies des Templiers et des Hospitaliers..., p. 31, d’après A.D. (...)
  • 339  B.M.P., Dom Fonteneau, t. XL, p. 93. L’on peut faire confiance aux seigneurs lorsqu’ils a (...)

42La région de Cognac ne fut pas la seule frappée par les suspensions sine die d’assemblées commerciales. C’est l’ensemble de la Saintonge et de l’Aunis qui, tôt ou tard, fut confronté à l’interruption des tenues de foires et marchés. À Taillebourg par exemple, point incontournable du franchissement de la Charente vers Saint-Jean-d’Angély, il est fait état en 1410 d’une « commission du duc de Guienne, se disant lors seigneur de Taillebourg, adressantes aux sénéchals et bailly dudit lieu, pour s’informer des droits de foires et marchés à Saint-Jean-d’Angély, Saintes et aux environs de Taillebourg, comment on en usoit, quels droits devoient les marchands et autres qui vont aux foires et marchés, s’ils joüissoient de quelques franchises, et de combien d’onces étoit composée la livre de Saint-Jean, afin de rétablir à Taillebourg les foires et les marchés qui y avoient été abolis et détruits par les guerres qui avoient eu longtems cours dans le païs »326. Cette demande visait à rétablir des foires et marchés supprimés lors de la première partie de la guerre, sans doute après 1364327, suite aux nombreuses attaques dont cette place stratégique fut la cible au cours des années 1380-1390 (prise par les Français en 1385, reprise par les Anglais en 1386, elle est à nouveau récupérée par Charles VI au cours des années 1390). Taillebourg est pourtant un site commercial important, qui possède une halle sans doute depuis le XIIIe siècle, mentionnée dans la documentation le 2 janvier 1409, avant même l’acte de rétablissement des foires328. La première phase des hostilités conduisit d’autres sites à la suspension. L’aveu du seigneur de Didonne de 1406, quand il aborde les rentes qu’il perçoit sur les marchés de Cozes et Saujon, affirme ainsi qu’elles « ne furent paiées passé a quarante ans pour ce qu’il n’y a point de marchié et que le païs est désert pour la guerre »329. L’on a vu que le marché de Cozes avait été transféré dès 1353 à Mortagne, mais les opérations militaires finirent, là encore, par avoir raison de la tenue régulière du marché dès la fin des années 1360, comme pour la foire de Cherves déplacée à Cognac, qui ne se tenait plus en 1376. Après cette première phase de suspension d’assemblées commerciales, l’on peut isoler un second temps fort à partir des années 1410 jusqu’aux années 1440, qui suit l’arrêt de la longue période de trêve des années 1380-1410. Plusieurs sites, qui avaient été rétablis à la faveur des accalmies des trêves, sont à nouveau suspendus330. C’est ce qu’indique en 1459 la mention suivante, dans le détail des revenus des foires et marchés de la baronnie de Châtelaillon : « Et ne compte rien ledit receveur du droit que mondit seigneur avoit acoustumé prandre et avoir en la foyre de Sainct Jehan des Sables pour ce que de présent y ny a nulle foyre et que riens nen a esté levé ne receu »331. Cette petite foire rurale fut certainement suspendue lorsque le prieuré qui l’abritait fut détruit par les hostilités en 1374. Elle l’était encore en 1401, puisque l’aveu et dénombrement très complet de la baronnie de Châtelaillon, qui détaille les revenus perçus sur les foires de Périgny, La Jarne et Salles, ne la mentionne pas332. Elle dut être rétablie après 1401, à la faveur des trêves, pour être à nouveau suspendue lors du retour des opérations militaires, mais peu avant le compte de 1458-1459 qui en conserve le souvenir. Tonnay-Charente est un autre site où une interruption de tenue du marché est avérée pendant la première moitié du XVe siècle. Ce dernier, on l’a vu, se tenait encore en 1392 dans la haute ville. Pourtant en 1442, sont créés dans la place deux marchés, les mercredi et samedi, ce qui provoque la contestation des bourgeois de Saint-Jean-d’Angély au nom de la nuisance ainsi occasionnée à leur marché du samedi333. C’est bien la preuve de l’interruption des marchés de Tonnay entre 1392 et 1442. À Jonzac de même, le marché, encore attesté avant le lancement de l’offensive de Derby334, paraît avoir été supprimé au cours de la première moitié du XVe siècle, lorsque sous Charles VII, les Anglais font de son château une de leurs places-fortes de la Saintonge méridionale. Jonzac n’est récupéré qu’au début des années 1450 par les Français, et ses foires et marchés rétablis en 1473335. Lors de cet acte, le lieutenant du roi des merciers affirme avoir été informé des jours de tenues des anciennes assemblées « tant par hommaiges, lettres anciennes que autrement, deuement par tesmoings, assavoir est par les dépositions de Guillaume Rochedieux, Lucas Resnyer, Jehan Réthé, Arnault Melquin, et plusieurs autres ancyens du dit lieu de Jonzac ». Pour qu’en 1473 l’on ait trouvé des témoins qui ont pu assister aux assemblées commerciales de la bourgade, il faut que la suppression de celles-ci se soit produite au cours de la première moitié du XVe siècle, plus particulièrement dans les dures années 1420-1440. L’on peut enfin noter que vers 1455, à Taillebourg, le marché ne se tenait plus, alors qu’il avait été en projet de le rétablir en 1410. Il est probable que celui-ci, rétabli en 1410, fut à nouveau interrompu lorsque la place tomba entre les mains des frères Plusquelec et devint alors un repaire de gens d’armes et de pillards (années 1440). Une requête pour le rétablissement du marché de Taillebourg est donc présentée au roi vers 1455, son procureur ayant refusé d’accepter le rétablissement de facto projeté par Olivier de Coëtivy, en jugeant qu’il s’agissait d’une création nécessitant l’accord du roi336. Cette requête fut d’ailleurs apparemment refusée, puisque le marché de Taillebourg fut rétabli en même temps qu’y étaient créées de nouvelles foires en 1480337. D’autres suspensions liées aux guerres sont plus difficiles à dater. C’est par exemple le cas de la principale commanderie hospitalière saintongeaise, Beauvais-sur-Matha, qui devait être aussi une place de marché considérable avant la guerre. C’est en 1460 que ses marchés du vendredi sont rétablis338. Le roi rétablit de même en 1511 le marché et crée quatre foires à Dampierre-sur-Boutonne, à la requête du seigneur du lieu Jacques de Clermont, qui affirmait que « de toute ancienneté avoit été établi un marché chaque semaine au jour du lundi audit lieu de Dampierre, lequel à cause des guerres avoit été discontinué »339.

  • 340  La guerre n’explique cependant pas seule la disparition des assemblées commerciales : l’A (...)
  • 341  Les halles, la plupart du temps de bois, étaient très sensibles aux intempéries et nécess (...)
  • 342  B.N., P.O. 2043, ms. fr. n° 28 527, dossier 46 636 n° 6 et 7. Cité par Claire Nau, Contri (...)
  • 343  Comptes de l’Angoumois…, éd. C. Poitou, op. cit., p. 20 et 55.
  • 344  A.D. 17, 20 J 10, recueil de la fin du Moyen Âge de notices d’accensements et rentes, f°  (...)
  • 345  B.M.S., ms. 523, n° 5 : « De plusieurs ouvreours qui sont en la hale de mons. le comte po (...)
  • 346  A.D. 17, H 76, pièce 2, p. 29 : « (...) Il appert par ladite enqueste que lad. dame avoit (...)
  • 347  Les relevés dendrochronologiques effectués sur le bois des piliers de l’aile sud de la ha (...)
  • 348  A.N., 1 AP 181, f° 64-69. Transcription et communication de M. J.-C. Bonin.
  • 349  B.N., fr. 26 084, n° 6966. Les réparations durent être importantes, après un siècle d’ine (...)
  • 350  Pour 1343, B.N., fr. 20 584, n° 56. Les premiers travaux ensuite mentionnés se produisent (...)
  • 351  « Recueil des documents concernant le Poitou… t. III », éd. P. Guérin, A.H.P. t. XVII, p. (...)
  • 352  R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit., p. 218.
  • 353  « Recueil des documents concernant le Poitou… t. XII », éd. P. Guérin et L. Celier, A.H.P (...)

43Ces multiples éléments ont montré l’impact dramatique qu’ont pu avoir les guerres sur le réseau commercial d’Aunis-Saintonge : les marchés ont été déplacés dans des villes fortifiées, ou près des châteaux, afin de garantir la sécurité des marchands et, ainsi, la permanence des échanges. Cette protection n’était cependant plus efficace lorsque la pression des gens d’armes se faisait trop forte et que l’ennemi contrôlait des places voisines. Les assemblées commerciales, désertées par les marchands craignant pour leur vie et leurs marchandises, disparaissaient alors, et leur rétablissement était reporté à des jours meilleurs340. Localement, les infrastructures héritées du XIIIe siècle, et au premier chef les halles, qui s’étaient multipliées lors de la phase d’essor économique, mais exigeaient un entretien permanent et coûteux341, ont particulièrement souffert de la priorité accordée aux dépenses de fortifications, a fortiori lorsque la suspension du marché les rendait inutiles. Elles ont souvent même été les victimes directes de la guerre. En 1327- 1331, Saintes est pillée par les Français, et son château détruit par le comte d’Alençon. Les halles, qui étaient installées en contrebas de ce dernier, sont en partie détruites lors des attaques. Elles ne sont réparées qu’en 1344342. À Cognac, la halle souffrit particulièrement de la reprise de la ville par Du Guesclin en 1375. Le compte de l’Angoumois de 1376-1378 mentionne en effet que, « de plusurs ouvreours qui estoient soubs la halle du roy, à Coignac, lesquieux l’on soloit assenser, chascun an, ne compte rien quar rien n’y est durant le temps de cest compte pour ce que les hales sont fondues par la guerre »343. Elles étaient pourtant en bon état de fonctionnement dans le compte de 1349-1350. La conjoncture aidant, malgré la relative pacification des années 1380-1410, ces halles restèrent à l’état de ruines pendant plus d’une trentaine d’années : en 1393, l’on mentionne encore la « plateam in qua fuit aula Regia ubi antiquitus pannii et alie mercaturas solebant vendere, qua propter guerras est dirrupta »344, tandis que le compte d’adjudication des fermages de Cognac en 1410-1411 décrit une situation qui n’a guère évolué345. Le terme antiquitus employé en 1393 illustre à lui seul cette idée d’un ancien âge d’or du commerce, bien loin des nouvelles réalités contemporaines, qui rendent illusoire une réaffectation de l’édifice. Mais la halle de Cognac n’était pas la seule à avoir souffert de la priorité accordée aux fortifications. On n’hésita ainsi pas à détruire la halle de Marennes en 1405 pour réaliser, peut-être avec ses matériaux, des fortifications autour de l’église346. À Cozes, la suspension du marché semble avoir aussi entraîné la destruction de la halle mentionnée en 1299. L’édifice qui occupe aujourd’hui encore le centre du bourg fut reconstruit au XVe siècle, en même temps sans doute que la halle de Saujon347. Même en Aunis, relativement préservé des ravages de la guerre, et dans une ville aussi marchande que Marans où foires, marchés et halles sont attestés tout au long du conflit, ces bâtiments souffrirent du manque d’entretien. Le précompte de la seigneurie de 1484 affirme ainsi que « sur le revenu de la hasle, dont dessus est faicte mencion en plusieurs articles, convient déduire pour les repparacions d’icelle par ce que de présent elle est fort fraille et en ruyne, la somme de quarente solz pour l’entretenement d’icelle seullement »348. Le manque d’entretien apporté aux halles est également patent dans les villes de Saintes et de Saint-Jean-d’Angély, pour lesquelles l’essentiel des recettes passait dans les fortifications. Pour Saintes, l’on n’a par exemple trouvé aucune mention de travaux d’entretien sur la halle entre 1344 et 1455349. À Saint-Jean-d’Angély, l’incurie s’étend de 1343 à 1469350. Il va de soi que les lacunes de notre recherche et de la documentation, suite aux pertes consécutives à l’incendie de la Chambre des Comptes, doivent nous conduire à nuancer nos propos, mais le manque d’entretien apporté aux halles pendant la guerre de Cent ans se vérifie partout ailleurs. Dès 1354, Philippe Gillier, ancien receveur du Poitou qui avait laissé la halle de Niort tomber en ruine au lieu de la réparer au temps opportun, était dénoncé pour son incurie351. Quant à Poitiers, les halles y sont en 1441 en si mauvais état que les marchands ne peuvent plus y étaler leurs denrées352. En 1477 de même, à l’Hermenault en Poitou, « ladicte halle est tombée en ruyne et le marché discontinu à cause des guerres »353. La guerre de Cent ans a donc représenté un véritable désastre pour l’économie locale de l’Aunis-Saintonge, entraînant la disparition de nombreuses assemblées commerciales, la destruction de leurs halles, et le repli de celles qui subsistaient à l’abri des fortifications urbaines ou des châteaux. Mais derrière ce cataclysme économique se cachent de profondes disparités : l’ensemble de la région n’est pas touché par la crise uniformément.

Des niveaux différenciés de crise dans le temps et l’espace

  • 354  Ordonnances des rois de France de la troisième race…, t. V, p. 605-607.
  • 355  Foedera... op. cit., t. III, partie 2, p. 124 : « Come les habitans de Burneof soient et (...)
  • 356  Outre celui de Surgères, le seigneur de Dompierre protesta également contre le déplacemen (...)
  • 357  Il est vrai que la situation de Bourgneuf était alors difficile : d’après l’enquête ponti (...)
  • 358  A.N., JJ 103, n° 368, f° 177 v°.
  • 359  A.N., P 5552 n° 274. Il est intéresant de noter que les autorités de Frontenay, aux côtés (...)

44L’on ne saurait se complaire à dresser un tableau fondamentalement pessimiste de la région pendant la guerre de Cent ans. Les périodes de paix relative permirent au réseau des foires et marchés de récupérer, même de manière éphémère. En ravageant principalement le sud de la Charente pendant la seconde moitié du XVe siècle, le conflit tendait par ailleurs à préserver relativement l’Aunis et la Saintonge septentrionale. Entre les années 1380 et 1410, le climat paraît donc plus serein, et permet le redémarrage des foires et marchés. Une timide reconstruction s’amorce nettement, bien qu’elle fut avortée par la reprise des hostilités. Elle débute d’abord dans les régions qui, reconquises par les Français dès 1372, sont ainsi les plus tôt à l’abri des hostilités. C’est alors que sont créées de nouvelles foires à Bourgneuf, en même temps qu’est autorisée la tenue du marché du bourg le samedi au lieu du dimanche354. La situation est en fait plus complexe qu’il n’y paraît : ce changement était effectif dès 1366, si l’on en croit les plaintes qu’il suscite auprès de la dame de Surgères355. Quant aux foires, il est possible qu’elles se soient aussi tenues à partir des années 1360, et que la charte de 1372 n’ait été qu’une confirmation d’un acte antérieur autorisé par le pouvoir anglais. Il n’en reste pas moins que la décision de 1372 paraît liée à la reconquête récente de l’Aunis, et doit être mise autant en rapport avec les privilèges octroyés la même année au voisin rochelais (aggrandissement de la banlieue), qu’à la conjoncture économique. Cette dernière joua effectivement en partie : il est clair que la création des foires signale un contexte général relativement plus favorable, dont la commanderie de Bourgneuf cherche à tirer parti pour développer ses revenus, quitte à asphyxier pour cela les marchés voisins356. Les autorités ne s’y trompent pas, qui considèrent ces assemblées comme un moyen de redresser une seigneurie dont « les biens et facultez [sont] grandement diminués », et comme une « recompensacion des pertes et dommaiges » subis pour avoir servi de base au connétable Du Guesclin et à ses hommes dans leurs opérations contre La Rochelle357. Geste politique et adaptation à la conjoncture économique sont, on le voit, liés dans cette concession de foires. Celle dont bénéficie Saint-Georges-de-Rex, l’année suivante, est cette fois d’abord « économique », et nous livre des renseignements importants sur la situation du réseau commercial contemporain358. La ville de Niort, à une quinzaine de kilomètres de là, était alors encore contrôlée par les Anglais, d’où ces derniers lançaient des raids aux conséquences désastreuses pour le plat-pays. Malgré cet environnement hostile, les populations désiraient un marché et se justifiaient de la sorte : « ou pays d’environ yceulx chastel et ville [de Saint-Georges] soient plusieurs villages qui soloient estre peuplés et bien multipliez de gens, les quiex pour cause des dictes guerres se sont retraiz ou dit chastel, les quiex villages sont molt loing des lieux ou sont les foires et marchiez, pour quoy grant travail et grant grief est aus habitans de yceulx villages d’aler achater a deux ou trois grans lieues de leurs hostelx ce qui leur est nécessaire ». L’occupation de Niort avait donc entraîné l’abandon du plat-pays, par crainte des exactions des gens d’armes, et provoqué le repli des populations dans les villes et gros bourgs environnants, à l’abri de châteaux ou de murs. Comme on l’a vu plus haut, le réseau commercial traditionnel, bâti notamment sur les bourgs ruraux, en souffrit fortement, et subit la disparition de ses foires et marchés. Pourtant, la commercialisation de la société rurale était alors déjà si poussée, dans cette région marquée par l’écrasante domination de la viticulture spéculative en liaison avec le commerce rochelais, qui imposait l’échange comme nécessité quotidienne, que nos paysans ne pouvaient plus se passer du marché. D’où leur demande d’établissement d’une réunion dans la ville-refuge. L’on asiste ici à la recomposition du système commercial dans la « grande dépression médiévale » : la logique ancienne, fondée sur un réseau bien maillé assurant une large distribution de l’ensemble de la population, disparaît au profit d’un nouveau réseau organisé à partir de quelques points forts et stables, mais qui se montre toujours aussi indispensable. Ce dernier caractère explique les adaptations auxquelles l’on assiste pendant la guerre de Cent ans, guidée par la volonté de préserver une cellule d’échange minimale. Ce même document illustre également, malgré l’effondrement du réseau, le maintien d’un « service commercial minimum », à partir des principaux points fortifiés, qui s’étend ici à « deux ou trois grans lieues », et semble pris en charge par Frontenay, neuf kilomètres, où des assemblées commerciales sont attestées en 1408359, et Mauzé, à la même distance, que l’on a déjà mentionné. Dernier élément important pour l’appréhension du réseau commercial aunisien : même en pleine crise du XIVe siècle, une distance de neuf kilomètres entre un marché et un villageois qui veut s’y rendre est jugée prohibitive. Face à la prolifération des gens d’armes, l’on cherche peut-être à éviter des déplacements trop importants. Le document met pourtant en avant une autre raison, le « grant travail et grant grief » : la distance est tout simplement jugée beaucoup trop longue pour un simple achat. Ce qui, implicitement, suggère que le réseau commercial traditionnel était ainsi constitué qu’il assurait une couverture assez dense, chaque village étant à bien moins de neuf kilomètres d’une place commerciale. La commercialisation, déjà mûre, avait tissé un réseau remarquablement maillé.

  • 360  En 1401 se tenaient dans les bourgs ruraux de La Jarne, Périgny et Salles de petites foir (...)
  • 361  A.D. 17, 1 J 369-15, plaintes d’Aliénor de Périgord contre cette « nouvelleté » d’Ysabeau (...)
  • 362  Original à la B.M.S., ms. 523, n° 5.
  • 363 Les chiffres de ce compte sont libélés ici en monnaie forte (avant les grandes mutations monétaire (...)
  • 364 La note « n. m. » indique que cette ferme n’est pas mentionnée dans le compte, donc sans doute non (...)
  • 365 Pour le compte de 1349-1350, la coutume des bouchers forains et des poissonniers est affermée avec (...)

45Alors même que certaines régions connaissaient une grave crise de leur réseau commercial, comme le Cognaçais, les deux cas précédents ont démontré que ce dernier se recomposait et se développait dans des zones en voie de pacification, même toute relative comme à Saint-Georges, en s’organisant notamment en fonction des points fortifiés, mais pas seulement360. À partir des années 1380 cependant, une paix générale s’installe, parfois précaire, souvent achetée par des pâtis (région de Saint-Jean-d’Angély), mais qui suffit à redonner la confiance. Ce contexte favorisa une éphémère reconstruction du réseau commercial. L’on a ainsi vu que c’est en 1410 que le roi projette de rétablir les foires et marchés de Taillebourg, et que c’est après 1401, mais avant la reprise des hostilités, que la petite foire rurale de Saint-Jean-des-Sables (ré) apparaissait. Poursuivant ce mouvement, la dame de Thors crée en 1429 de son propre chef des foires et marchés dans sa seigneurie, s’attirant les foudres de sa suzeraine de Matha361. Cognac, que nous avions laissé ruinée en 1376- 1378, semble en 1410-1411 en meilleure santé, d’après ce qu’indique un document précieux, l’adjudication des fermages de la ville362. L’éviction des Anglais des places voisines et les prolongations successives des trêves ont en effet permis de réanimer le commerce cognaçais. Un tableau comparatif des revenus de ce dernier d’après les comptes de 1349-1350, 1376-1378 et 1410-1411 est révélateur de cette amélioration de la situation363364365 :

  • 366  B.M.S., ms. 523, n° 5, compte de 1410-1411 : mention du « bancage des bouchers qui nont n (...)

46Si l’absence de grandes mutations monétaires entre 1360 et 1415 facilite la comparaison entre les deux derniers comptes, celle-ci est plus délicate pour le premier compte, qui est rédigé en pleine période de dépréciation monétaire. Cette situation, si elle nous oblige à rester nuancé dans nos propos, n’oblitère cependant pas la tendance générale qui se dégage de cette confrontation : depuis la fin du XIVe siècle, l’on assiste à une nette reprise des revenus commerciaux, signe d’une fréquentation croissante des assemblées, mais qui ne permet pas, malgré sa vigueur, de dépasser les deux tiers du niveau atteint au milieu du XIVe siècle (alors même que la crise, on l’a vu, avait déjà durement frappé). L’optimisme est de retour, puisque toutes les fermes trouvent acquéreur, ce qui était loin d’être le cas dans les deux comptes précédents, tandis que la foire de Cherves, qui avait disparu des revenus comtaux en 1376-1378, a été rétablie, mais certes encore dans les murs de Cognac. Si, de plus, les anciennes foires de la saint Nicolas et de la Nativité ne sont pas mentionnées, l’on retrouve en 1410-1411 les revenus qui étaient prélevés à l’occasion de celles-ci. Ces derniers ont été réorganisés pour prendre en compte l’impact de la crise : pour la première fois sont affermés ensemble au XVe siècle « le levage aus drapiers, les estelages des vendeurs de cuirs tanez et le droit des foyres de Charves », le tout pour 40 sous. Et même si la halle marchande reste en ruine, celle de la boucherie, construite également au XIIIe siècle, s’est remise à fonctionner366. Le niveau de revenu ancien n’a certes pas été récupéré : le grand péage de Cognac rapporte encore quatre fois moins qu’en 1349, et le bancage des bouchers, affermé 10 livres de monnaie forte en 1350, après avoir valu jusqu’à 11 livres 7 sous, nous dit-on, ne vaut plus que 30 sous en 1410-1411, soit près de sept fois moins. La meilleure preuve de cette amélioration toute relative de la situation économique par rapport aux niveaux anciens est que la ferme regroupant l’ensemble des levages des drapiers, des vendeurs de cuirs et des droits des foires de Cherves, affermée 40 sous en 1410-1411, n’atteignait même pas, loin s’en faut, le niveau de la seule ferme du levage des drapiers de 1349-1350. Si une récupération par rapport au désastre de 1378 est indéniable, le commerce local reste encore éloigné de l’animation qu’il connaissait, même après la crise de 1346-1348 qui avait pourtant fait figure de catastrophe. Et ce sont, au final, les revenus commerciaux des produits les plus communs qui progressent, alors que ceux des produits manufacturés ont diminué : si la ferme des aulx et oignons ou celle du péage du sel (produit de première nécesité par excellence) s’accroît entre 1350 et 1411, dans le même temps celles des droits sur les drapiers et les vendeurs de cuir chutent tellement qu’elles doivent être réunies, avec celle de la foire de Cherves, en une seule, sans même récupérer ainsi leur rentabilité passé. Il faut y voir la conséquence de deux phénomènes. Le premier est la rétraction du commerce des biens les plus onéreux, lié à la paupérisation de la clientèle rurale du drap et du cuir vendus à Cognac, ainsi qu’à une moindre fréquentation des foires par les marchands drapiers, qui s’aventurent peu sur les routes avec une marchandise risquant d’attirer les convoitises des gens d’armes. Le second dénote sans doute un changement des priorités des populations : l’on cherche avant tout à se nourrir et faire des provisions, avant d’acheter des biens de consommation plus coûteux et moins immédiatement utiles. Le désastre commercial des années 1376-1378, au cours desquelles mêmes les produits les plus communs (oignons) ne se vendent plus, en est d’autant plus éloquent.

  • 367  C. Nau, Contribution à l’histoire de l’Aunis et de la Saintonge…, op. cit., p. 245-253, d (...)

47La grande dépression médiévale eut, on l’a assez signalé, des conséquences désastreuses sur les profits des seigneuries367. Si l’on dispose de quelques mentions de revenus commerciaux dans ces sites pendant les années 1340-1450, l’état lacunaire de la documentation interdit toute comparaison, en dehors du site cognaçais que l’on a déjà analysé plus haut, a fortiori lorsque l’on tient compte du contexte monétaire tourmenté des XIVe-XVe siècles. Le tableau, assez impressionniste, de ces divers revenus, met cependant en évidence les disparités de dynamisme des assemblées commerciales pendant la grande dépression médiévale :

  • 368  « Compte de l’Angoumois… », éd. L. Imbert, op. cit., p. 116. Les montants sont libélé (...)
  • 369  A.-M. Legras, Les commanderies des Templiers et des Hospitaliers..., p. 200.
  • 370  B.M.L.R. , ms. 300, f° 15 v° et 6 r°.
  • 371  Bibliothèque de l’Arsenal, Paris, ms. 137, f° 248. Transcription et communication de (...)
  • 372  A.D. 17, 1 J 356-21, registres de recette de la terre de Thors.
  • 373  A.N., 1 AP 1910, pièce 10.
  • 374  B.M.L.R., ms. 2691 (Mi 139), f° 172 r° et 173 r°.
Bouteville 1349 50 s. Ferme du levage de la foire
Ségonzac 1349 12 s. 6 d. Ferme de la foire368
Bourgneuf v. 1373 15 livres Revenu annuel du minage369
Dompierre 1409 10-12 l. Revenu des trois foires370
Marsilly 1410 7 s. 6 d. Ferme de la foire
Saint-Xandre 1410 70 l. Ferme du cohuage371
Thors 1439 15 s. Ferme des foires et marchés
Matha 1439 5 s. Droits des peaux de bovins sur le marché372
Marans 1440 10 l. 10 s. Ferme des droits de vente des assemblées373
La Jarne 1459 5 s. 10 d. Ferme de la foire
La Jarne 1460 6 s. 8 d. Ferme de la foire
Salles 1459 16 d. Ferme de la foire
Salles 1458 55 s. Ferme des droits d’étalage et mesurage
Périgny 1460 2 s. 4 d. Ferme de la foire374
  • 375  Au début du XIVe siècle, à l’apogée de la grande période de croissance médiévale, ces rev (...)
  • 376  B.M.L.R., ms. 2474. Ce censif, riche en informations sur les marchands de Marans, nécessi (...)
  • 377  B.M.L.R., ms. 2466, f° 10 v°.
  • 378  B.M.L.R., ms. 2691 (Mi 139), f° 103 v°, 104 r° et 170 r°.

48Certains sites semblent mal se remettre de celle-ci. Dans la châtellenie de Châtellaillon en 1458-1459, soit dans l’immédiat après-guerre, les revenus des petites foires de Périgny, La Jarne et Salles se bornent à quelques sous, et seuls les droits d’étalage et de mesurage sous la halle de Salles atteignent un niveau appréciable. Si l’on se tourne vers le flanc nord-oriental de la Saintonge, l’on constate des valeurs assez basses elles aussi : les foires et marchés de Thors et Matha sont à peine plus animés que les réunions de la baronnie de Châtelaillon. Parmi ces petites assemblées, l’on peut également placer Marsilly, en Aunis. Cette dernière province paraît d’ailleurs mieux tirer son épingle du jeu : de nombreuses places commerciales aunisiennes se portent remarquablement bien, en dépit de la guerre. Le minage de Bourgneuf, même gravement affecté par la conjoncture depuis le milieu du XIVe siècle, rapporte encore vers 1373 pas moins de 15 livres. Les revenus des foires de Dompierre sont également très considérables en 1409, bien que la seigneurie soit en pleine crise, tandis que la place de Saint-Xandre, comparable à bien des égards à cette dernière, connaît une fréquentation à la hauteur du revenu de sa halle, pas moins de 70 livres375 ! Marans, de même, s’est hissée au rang des principales places commerciales de la province. La ferme des droits de ventes des foires et marchés dépasse les 10 livres en 1440, tandis que, dès 1349- 1351, le remarquable censif de cette ville témoigne d’une animation commerciale préservée. Détaillant les droits dûs pour les bancs de la halle, il permet de recenser l’importante communauté marchande de Marans, très liée aux trafics rochelais et niortais. L’on apprend ainsi que la halle abrite, en pleine crise du milieu du XIVe siècle, une douzaine de marchands, dont certains tiennent plusieurs bancs, pour la plupart arrentés à 10 sous par terme, même si existent des cens de demi-bancs (5 sous) voire de deux-tiers de bancs (7 sous six deniers). À cette douzaine de marchands sous la halle s’ajoutent six individus tenant des bancs sous le minage, pour un cens de 6 sous 3 deniers, le plus souvent376. L’année comptant quatre termes, un banc sous la halle de Marans coûte alors 40 sous, somme assez considérable étant donné le contexte économique morose ambiant. Si chacun des douze marchands de la halle versait cette somme (en fait, certains payaient plusieurs bancs, et devaient donc plus, ce qui compense largement ceux qui, ne tenant qu’une partie de banc, payaient moins), cette halle rapportait un minimum de 480 sous par an, soit 24 livres. À quoi s’ajoutaient les revenus du minage et ceux des bancs loués aux forains. L’importance de ces recettes, à une époque où l’on a vu celles de la région de Cognac gravement obérées, ne manque pas de surprendre. À côté, l’animation du port pourtant important de Royan paraît dérisoire : le compte de la seigneurie de 1362 fait état des banquages qui mentionnent cinq tenanciers, tenant chacun un banc pour trois sous, ce qui assure 15 sous de rente annuelle immuable aux seigneurs de la ville377. De même à Salles en 1459, seul un tenancier paie une rente annuelle de 20 sous sur son banc de la halle. La cohue d’Angoulins, à peine mieux lotie, ne compte que deux tenanciers à 20 sous, et un à deux sous six deniers378.

  • 379  B.M.L.R., ms. 3113, 3e partie, p. 106.
  • 380  A.N., JJ 89, n° 208, f° 93 v°.
  • 381  A. Barbot, Histoire de la ville de La Rochelle, t. I, op. cit., p. 214.
  • 382  A.N., X1c 118, n° 15.
  • 383  A.N., JJ 195, n° 1395.
  • 384  B.M.L.R., Mi 220, Minutes de Boutin, f° 28.
  • 385  Ordonnances des rois de France…, t. VI, p. 20.
  • 386  M. Delafosse (dir.), Histoire de La Rochelle, p. 62.
  • 387  R. Favreau, « La Saintonge pendant la guerre de Cent », op. cit., p. 47.
  • 388  Ordonnances des rois de France…, t. VII, p. 750.
  • 389  J.-B.-E. Jourdan, Éphémérides historiques..., op. cit., t. I, p. 227.
  • 390  A. Barbot, Histoire de La Rochelle, t. I, op. cit, p. 276 et p. 304-305.
  • 391  B.M.L.R., Mi 220. Le 22 août 1423, un marchand breton doit 14 écus d’or à un Rochelais po (...)
  • 392  R. Favreau, « Le port saunier de Cognac », op. cit., p. 79.
  • 393  R. Favreau, « La Saintonge pendant la guerre de Cent ans... », op. cit., p. 48.
  • 394  A. Michaud (dir.), Histoire de Saintes, p. 110 (1388) et R.C.A.M. t. XIV, p. 258 (1420).
  • 395  Ainsi en 1363 (A.N., P 584, n° VIII) et 1398 (A.N., JJ 154 n° 91, f° 45 v°), 1445 (Docume (...)
  • 396  Il est affermé en 1361 25 livres, puis 22 livres 10 sous en 1363 et 1364, 20 livres en 13 (...)
  • 397  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 48-49.
  • 398  En 1412, les échevins se plaignent d’être « en voie d’estre désers et d’eux en aler fuiti (...)
  • 399  R. Favreau, « La Saintonge pendant la guerre de Cent ans... », op. cit., p. 46. Outre la (...)
  • 400  Voir à ce sujet les trois tomes des « Registres de l’échevinage » publiés dans les A.H.S. (...)
  • 401  Ordonnances des rois de France…, t. V, p. 677 et « Registres de l’échevinage… t. III », o (...)
  • 402  B.M.S.J., BB 30.
  • 403  « Registres de l’échevinage… t. II », op. cit., p. 93.
  • 404  Ibid., t. III, p. 14.
  • 405  Ibid., p. 159 et 201-203.
  • 406  B.M.S.J., CC 23, f° 23.
  • 407  Ibid., CC 27, f° 32 et FF 36.
  • 408  « Registres de l’échevinage… t. I », op. cit., p. 247.
  • 409  Ibid., d’après B.M.S.J., HH 3.
  • 410  « Registres de l’échevinage… t. II », op. cit., p. 154.
  • 411  Ibid., p. 222-223. Une nouvelle mésaventure implique un autre marchand poitevin en 1414 ((...)
  • 412  En 1406 deux hommes de Fontanet sont engagés pour mener du sel du port de Saint-Jean vers (...)
  • 413  Ibid., t. III, p. 142-143.
  • 414  Ibid., p. 121. Le lien avec la tenue de la foire de la saint Luc dans la ville le 18 octo (...)

49La crise, plutôt que de déprimer uniformément l’économie de la province, paraît donc avoir renforcé les disparités que l’on a vu apparaître au XIIIe siècle au profit de l’Aunis. C’est cette région qui, en effet, est la plus tôt pacifiée, et reste à partir des années 1380 relativement à l’abri des ravages des armes. C’était aussi celle qui connaissait le maillage commercial le plus dense et le mieux intégré aux courants du grand commerce, par le biais du port rochelais et du trafic du vin et du sel. Les « malheurs des temps » ont également favorisé les grandes villes fortifiées. Ces dernières surent en effet relativement préserver leurs activités commerciales, et donc leurs revenus, en investissant dans leurs fortifications. C’est évidemment la capitale de l’Aunis qui s’en tire le mieux. Le commerce rochelais paraît en effet relativement peu touché par la crise. En pleine peste, en 1348, la grande boucherie est arrentée sans difficulté à 29 bouchers de la ville379, et l’on retrouve régulièrement fonctionner le commerce local, telle la paneterie en 1355380, le marché aux moules du pont Saint-Sauveur en 1370381, la poulaillerie en 1419382 et la poissonnerie, la bluterie et la sardinerie en 1439383. En 1429, c’est un boucher de Bourgneuf qui, partant faire le pèlerinage de Compostelle, donne à sa femme la jouissance de son banc à la poissonnerie rochelaise384, et en 1374, le roi promulgue un règlement destiné aux changeurs de la ville qui continuent donc leur office385. Grâce à ses milices et à sa puissance économique, la ville est également capable de protéger sa banlieue, assurant le maintien des assemblées commerciales dans les villages ouverts voisins (Salles, Périgny, La Jarne, Bourgneuf, Saint-Xandre, Dompierre, Marsilly…) dont on a pu constater la permanence pendant la crise. Le grand commerce rochelais, lui aussi, souffre relativement peu du contexte général. Lors de la disette de 1351, la ville n’hésite pas à s’approvisionner en blé à Torun, en Prusse386. Pendant les vendanges, du 8 septembre au 15 novembre 1361, le subside de 10 sous par tonneau de vin et de 4 deniers pour livre de toutes denrées chargées au port de La Rochelle rapporte 7 276 écus pour La Rochelle, 2 778,5 écus pour celui d’Esnandes, 1822 écus pour celui du Plomb, et 455 pour les ports de la Sèvre inférieure (Marans, Brault et Charron), signe de la santé préservée des exportations, un des principaux soucis des Rochelais à l’époque. Lorsque Du Guesclin, par exemple, menace en 1372 de faire couper les vignes autour de la ville assiégée, « à grant destresse de cueur furent ceulx de la ville, et tant traitèrent que parmy payant soixante mille francs leurs vignes ne fussent point coupées »387. Après la reprise de la ville par les Français et la fixation du front plus au sud, le commerce rochelais continue à afficher sa bonne santé : en 1382 les marchandises de la ville sont exemptées d’impôts dans le comté de Ponthieu388, en 1395 les bourgeois signent un traité de commerce avec Damme389, et en 1419 ils obtiennent la suppression de plusieurs taxes qui leur avaient été imposées à l’Écluse et à Damme, ce qui fut confirmé vingt ans après par Philippe de Bourgogne390. Au cours des années 1421-1424, pourtant très difficiles pour le royaume, les minutes du notaire Boutin contiennent un grand nombre d’actes témoignant de la permanence d’un commerce actif avec l’Allemagne, la Flandre, la Bretagne, la côte nord de l’Espagne et l’Italie, ainsi que les provinces de l’Angoumois et du Poitou391. La plupart du temps, il s’agit d’un trafic de draps, laine, vin, blé et sel dans lequel la ville joue le rôle de plaque tournante et de place financière : en 1430, un marchand flamand, venu acheter du sel de Brouage, y vient « quérir l’argent qu’il devoit dudit sel »392. Les contemporains vantent ce port riche vers lequel affluent des bateaux de tous les pays, et la création d’un nouveau cimetière dans la paroisse Saint-Barthélémy dénote une relative croissance démographique393. À Saintes, l’activité commerciale se maintient également, même si la pauvreté des sources laisse mal entrevoir celle-ci : en 1388 et 1420 est mentionnée la triperie de la ville394, les bancs du marché sont régulièrement évoqués395, et le minage fonctionne normalement, même si sa rentabilité est très variable en fonction de la conjoncture396. Les assemblées s’y maintenaient aussi, puisqu’en 1410 l’enquête pour le rétablissement des foires et marchés de Taillebourg demande que l’on s’informe des droits commerciaux perçus à Saintes397. La dernière grande ville fortifiée de nos provinces, Saint-Jean-d’Angély, jouit également sans discontinuer de son commerce en profitant de sa situation de place refuge, malgré ses constantes plaintes398 et la lourde fiscalité qui grève son budget399. Les registres de l’échevinage de la ville sont en la matière une source de premier ordre. On y voit la ville, en dépit des circonstances, continuer à réglementer et surveiller un commerce local actif et permanent, plus particulièrement structuré par les marchés du samedi et les diverses foires400. Ces échanges sont d’ailleurs assez importants pour que, dès 1372, Charles V garantisse aux bourgeois le monopole du commerce de détail, sauf les jours d’assemblées commerciales, ce qui est renouvelé par son fils en 1413401. Le trafic avec l’extérieur de la province paraît plus souffrir de la situation. Ce dernier repose sur les productions agricoles régionales (« ledit païx est fondé sur blé et vin » affirment les bourgeois en 1434)402, et est fréquemment entravé par les exactions des barons locaux. En 1399 un conflit oppose par exemple la ville au seigneur de Tonnay-Boutonne à propos de ses prélèvements de draps de laine sur les bateaux transitant par la rivière403 ; en 1412 c’est le péage sur les marchands passant par Saint-Julien qui suscite une controverse404. Le seigneur de Tonnay-Charente impose pour sa part une nouvelle coutume sur les marchandises passant sur la Charente en 1417405 et, en 1431-1432, la soldatesque du sire de Pons bloque sur la Boutonne les exportations de vins406. Néanmoins, dès 1439-1440, la commune cherche à obtenir des Flamands confirmation de ses privilèges sur leurs marchés407, et l’on trouve tout au long de la période mention d’échanges commerciaux à longue distance. En 1380 est mentionnée entre deux frères angériens une « certaine compagnehie (…) tant en païs d’Aynaut, de Flandres que ailleurs », vouée à la vente de diverses marchandises408. En 1385, un marchand de la ville met en vente quatre balles de mercerie amenées de Paris409, tandis qu’un poissonnier de Melle transite par la ville en 1405, où il s’attire des problèmes en refusant de vendre sa marchandise sur les bancs de la ville410, et qu’un marchand poitevin est accusé de fraude en 1406411. Au début du XVe siècle, des trafics réguliers de sel unissent par ailleurs Angoumois et Saintonge à partir de Saint-Jean412. L’île de Ré, envahie par les vignes spéculatives, est aussi la destination d’exportations de blé angérien en 1416413. Ce relatif maintien du commerce à l’abri des murs de la ville explique que celle-ci cherche à protéger au mieux les marchands de passage dans les environs : le 9 octobre 1414, elle tente d’obtenir « un mandement du roy afin que les marchans puissent venir marchander sur la rivière de Charente sans estre prins »414.

  • 415  En 1378, Jean de Verruye fait le chemin de Magné aux foires se tenant dans le bourg, non (...)

50La période 1340-1450 fut donc bel et bien déstabilisatrice pour le commerce saintongeais. Alliés aux effets dévastateurs de la peste et de ses multiples retours, les ravages de la guerre et le contexte d’insécurité qu’elle entraîna provoquèrent un repli massif du commerce local, dont profitèrent les villes les mieux fortifiées tandis que les assemblées des bourgs ruraux étaient suspendues ou déplacées vers des places plus sûres. Surtout, les zones les plus tôt pacifiées, qui étaient aussi les mieux intégrées au grand commerce (Aunis, Saintonge septentrionale), accentuèrent leur avance sur les territoires méridionaux au réseau commercial durablement désorganisé par la guerre. Tandis qu’au sud de la Charente les gens d’armes maintenaient, jusqu’aux années 1440, un climat d’insécurité et d’anarchie peu propice aux activités économiques, les hommes et les biens circulaient à nouveau en Aunis dès les années 1380415, et la « petite reconstruction » des années 1380-1410 y était la plus active. Ces situations divergentes expliquent aussi que la réorganisation commerciale ait été par la suite plus profonde dans la Saintonge méridionale, l’Aunis et le nord saintongeais ayant soit moins souffert des destructions, soit reconstruit leur système économique avant même la fin de la guerre.

IV . 1450-1550 : La reconstruction et le nouvel apogée

Le retour de la prospérité commerciale en Aunis-Saintonge

  • 416  Une enquête de 1479 révèle que la population du village d’Agudelle était vers 1420 unique (...)
  • 417  Ces phénomènes ont notamment été étudiés par J. Glénisson, « La reconstruction agraire en (...)
  • 418  C. Nau, Contribution à l’histoire de la Saintonge et de l’Aunis…, op. cit. p. 167, cite n (...)
  • 419  A.H.S.A. t. VIII, p. 409-415.
  • 420  A.H.S.A. t. XLV, p. 285.
  • 421  L’enquête relative au banc des La Madeleine à Cognac en 1480 fait intervenir de nombreux (...)
  • 422  Documents historiques inédits..., éd. L. de Richemond, p. 87-89.

51À partir des années 1450 s’ouvre une phase de croissance commerciale qui va durer au moins un siècle, jusqu’au début des affrontements entre les communautés catholique et protestante. Bien que les crises épidémiques restent présentes, leur espacement permet à la population de croître à nouveau416. Le retour des défrichements, et les réaccensements avantageux octroyés par les seigneurs reconstruisant leurs seigneuries, sont des signes nets de cet essor démographique417. La reconstruction agraire connaîtrait deux grandes phases. La première, dans les années 1450-1460, déjà tardive par rapport à d’autres régions du royaume, apparaît dans les régions les plus riches de Saintonge. Elle est achevée à la fin des années 1460, quand les seigneurs tentent de rétablir les redevances anciennes sur ces terres418. Les régions les moins favorisées (Saintonge méridionale) n’ont connu que très marginalement cette première phase, l’essentiel de leur reconstruction remontant aux années 1470-1490. En 1455, l’adjudication des fermes royales du ressort de Saintes montre que la reconstruction est encore loin d’être achevée : de nombreux revenus sont impayés, et les terres « tournees a non valoir ou en deserts et en buissons » sont fréquentes419. Le sud saintongeais est dans une situation particulièrement difficile : personne ne veut affermer la coutume de Royan, « pour ce qu’elle est de nulle valeur, à l’occasion de ce qu’on n’en n’usa de longtemps pour les guerres », et il en va de même pour le bailliage de Montendre. La comparaison avec l’adjudication des mêmes fermes en 1480-1481 montre que la reconstruction est achevée dans la plupart de la Saintonge, mais le bailliage de Montendre, de « nulle valeur », est toujours délaissé420. Le repeuplement des terroirs dévastés et désertés se fait souvent par migration421, et il n’est pas rare au sortir de la période séculaire de dépression de retrouver dans les zones rurales des noms étrangers à nos provinces. L’équilibre reste cependant précaire : en 1489 encore, il est ordonné aux habitants de Soubise de réparer leurs fortifications dans la crainte d’un débarquement anglais422.

  • 423  R. Favreau, « Le port saunier de Cognac », op. cit., p. 75-76.
  • 424  Ibid., p. 77.
  • 425  Ordonnances des rois de France..., t. XVII, p. 499.
  • 426  R. Favreau, « Le port saunier de Cognac », op. cit. p. 80-81.
  • 427  M. Delafosse (dir.), Histoire de La Rochelle, p. 62-63.

52Par ailleurs, les grands courants d’échanges traditionnels se développent à nouveau avec la fin des hostilités. C’est le cas du commerce du sel, comme le montrent les conflits fréquents entre les seigneurs de Taillebourg (notamment Olivier de Coëtivy) et les comtes d’Angoulême, seigneurs de Cognac, à propos du droit prélevé par les premiers sur le sel passant devant leur ville. Un règlement avait été établi sur les droits que pouvaient percevoir les seigneurs de Taillebourg sur les gabares chargées de sel. Étant donné que, pour le paiement de ce droit, le sel transporté devait être déchargé et mesuré, l’on décida de mesurer les capacités des gabares qui effectuaient ces transports. L’on sait ainsi que six de ces bateaux réalisaient ce trafic régulièrement pendant les années 1460. En 1478, l’on décida de mesurer douze nouvelles gabares affectéees à ce transport423, ce qui témoigne d’une croissance du trafic marchand du sel sur la Charente entre ces deux dates. Les privilèges octroyés en 1527 par François Ier au port saunier de Cognac sont un autre signe de l’importance prise par l’activité de ce dernier, à tel point que Robert Favreau n’hésite pas à voir en celui-ci le « premier entrepôt et marché du sel saintongeais »424. Que l’essentiel de l’activité commerciale du sel soit rétablie en 1462, une mention du sel de Marennes et d’Arvert « porté de jour en jour aux ports de Marans, Saint-Jehan-d’Angély et Taillebourg » le montre assez425. Ce trafic a retrouvé à la fin du XVe siècle les routes qu’il fréquentait depuis le XIe siècle, par la Gironde et la Charente. Par la première, le sel saintongeais remonte jusqu’à Agen ou en Périgord. La seconde reste la voie commerciale principale du sel saintongeais, d’où ce dernier gagne Marche, Angoumois, Limousin ou Périgord, à partir de la plaque tournante de Cognac426. Les marchands de la Hanse, présents en Saintonge depuis au moins le XIVe siècle, accentuent au cours du XVe siècle leurs relations commerciales avec les salines de Saintonge (Brouage). Ils s’y posent en concurrents des Espagnols, avant d’entrer en conflit ouvert avec ceux-ci : en 1419 ces derniers attaquent et pillent une flotte de 40 navires hanséates devant La Rochelle (témoignage du maintien des réseaux commerciaux rochelais pendant la guerre de Cent ans), ce qui entraîne pendant près de 25 ans une féroce guerre de course débouchant sur un compromis par lequel les marchands allemands doivent charger leurs denrées achetées à La Rochelle de préférence sur des navires espagnols. En 1448-1451, les mêmes Hanséates se heurtent cette fois aux Flamands, pour avoir omis l’étape de Bruges lors d’un envoi massif de fourrures vers La Rochelle427.

  • 428  É. Trocmé et M. Delafosse, Le commerce rochelais de la fin du XVe siècle au début du XVII(...)
  • 429  R. Favreau, « Un contrat d’assurance maritime à La Rochelle en 1490 », R.S.A. nouv., t. I (...)
  • 430  M. Delafosse (dir.), Histoire de La Rochelle, p. 59.
  • 431  « Histoire de La Rochelle, t. I », op. cit., p. 322-323.
  • 432  J.-B.-E. Jourdan, Éphémérides historiques, t. I, p. 173 et t. II, p. 508. Les marchands, (...)
  • 433  M. Delafosse (dir.), Histoire de La Rochelle, p. 62, 64, 65 et 67. En 1468 un habitant de (...)
  • 434  En 1468, Olivier Godoux, bourgeois de La Rochelle, reconnaît devoir à des habitants de Li (...)
  • 435  É. Birrier, La seigneurie de Châtelaillon aux XIVe et XVe siècles, p. 85. L’on peut noter (...)
  • 436  « Documents tirés des archives du duc de la Trémoille », éd. P. Marchegay, A.H.S.A. t. I, (...)
  • 437  Dès 1454, Charles VII, considérant la petite quantité de grains produite par les environs (...)

53La place de La Rochelle est évidemment celle dont le commerce est le mieux documenté au XVe siècle. Il n’avait connu, on l’a dit, qu’un faible ralentissement pendant la crise, et se caractérise au cours de la seconde moitié du XVe siècle par son dynamisme. Même si le commerce du vin rochelais a perdu de l’importance par rapport aux exportations des vins de Bordeaux, du fait du manque d’une grande voie navigable dans son immédiate proximité, les recettes de ce dernier restent essentielles pour la ville428. Grande place navale et commerciale, La Rochelle est en 1490 la ville où est réalisé le plus ancien contrat d’assurance maritime connu pour la côte occidentale française429. « Le plus important des ports français sur l’Atlantique aux XIVe et XVe siècles »430 est aussi, entre 1456 et 1488, une des principales places financières du royaume, aux côtés de Toulouse, Lyon, Paris et Limoges, avec 33 changeurs, n’étant dépassée que par Rouen. D’ailleurs, le statut avantageux qu’elle accorde aux marchands contribue à son rayonnement, ceux-ci étant exemptés depuis 1390 de droits d’entrée pour les marchandises qu’ils vendent en gros. Les Rochelais se plaisent en effet à rappeler, comme l’indique Amos Barbot, que « le transport des choses nécessaires ne se faisoit et et ne se feroit encore [en la ville] que par la liberté »431. Le trafic rochelais bénéficiait de plus du soutien royal. Louis XI accorda en effet en 1472 aux bourgeois le privilège de commercer librement en temps de guerre même avec les ennemis du royaume, ce qui ne l’empêcha cependant pas en 1473 de les contraindre à payer 3 000 livres pour obtenir l’autorisation de continuer leur commerce avec Bretons, Flamands et autres adversaires de la France432. Ce même roi avait déjà étendu en 1462 les avantages des marchands flamands à La Rochelle, en leur permettant d’avoir une maison dans cette ville pour y jouir de leurs usages et coutumes, et de pouvoir librement disposer de leurs marchandises une fois à terre. À la fin du XVe siècle le vin de La Rochelle et le sel de Brouage sont exportés par les Bretons vers Bristol, et par ceux-ci et les Espagnols en Irlande. Les relations commerciales avec l’Angleterre, si elles dépendent du contexte politique, assurent un approvisionnement régulier du marché rochelais en étain, blé et draps. En 1489, l’on trouve mention d’une expédition de vingt tonneaux de vins de La Rochelle vers la Picardie, et l’année suivante trois marchands rochelais associés à des marchands de Dieppe envoient en Irlande, sur un navire espagnol, du miel, du fer, du pastel, des laines teintes, du safran, des verres de couleur et de la soie, pour près de 4 000 livres. Surtout, en tant que principal débouché de l’Aunis-Saintonge mais aussi, par la Sèvre et la Charente, de l’ensemble du Centre-Ouest, La Rochelle joue un rôle non négligeable de redistribution des marchandises importées à son arrière-pays433, mais également de concentration des productions de son hinterland vouées à l’exportation434. Tous ces éléments démontrent assez que la seconde moitié du XVe siècle fut très favorable au développement des activités commerciales en Aunis rochelais : en 1401, le trafic annuel du canal de la Moulinette, reliant La Rochelle à Périgny, peut être estimé à environ 2 400 tonneaux, et il atteint 4 840 tonneaux en 1471435. C’est le même témoignage que livre la lettre d’établissement par Charles VIII en 1491 d’un péage pendant neuf ans destiné à la réparation des infrastructures de communication entre La Rochelle et Marans436. Il y est dit qu’à La Rochelle « affluent et viennent souvant, tant par mer que par terre, plusieurs marchans des pays de Flandres, Picardie, Normandie, Bretaigne, Espaigne et de plusieurs autres pays tant de nostre royaume que d’ailleurs », dont beaucoup passent par Marans, qui est relié, à travers les marais, à La Rochelle par une chaussée qu’il faut constamment entretenir, « pour les inundacions des eaues qui y affluent et rompent souventes fois lesdictes chaussées (...), ou autrement le pays d’environ et ladicte ville de La Rochelle ne pourroient estre advitaillez si non à très grant difficulté et painne (...) par quoy nosdiz ville et pays d’Aulnis pourroient estre en grant nécessité et dangier de vivres et alimens (...) ». Ce document, s’il illustre le rétablissement des courants commerciaux du XIIIe siècle, montre aussi que l’Aunis n’était pas autosuffisant, et qu’il devait pour son approvisionnement compter sur les importations des provinces voisines, notamment du Bas-Poitou437. L’économie d’échange locale n’en pouvait être que plus vive en Aunis, puisque ces importations, d’après le tarif du péage, concernent aussi bien des denrées de première nécessité pour les habitants (viandes, blés, fruits et autres poissons) que pour l’économie aunisienne (bois de merrain, osier, fûts et pipes pour contenir le vin, avoine pour les chevaux de trait, cordages).

  • 438  Saudau, Saint-Jean-d’Angély d’après les registres de son échevinage, p. 143.
  • 439  « Société rurale et économie de marché en Saintonge aux XVe-XVIe siècle : l’exemple de la (...)

54Saint-Jean-d’Angély, traditionnellement présente aux côtés de la métropole aunisienne dans les courants d’échanges à longue distance du vin et du sel, dut sans doute aussi récupérer une partie de son ancien dynamisme suite à la reprise du grand commerce, même si le déplacement à Saintes du siège de la sénéchaussée de Saintonge la déstabilisa quelque peu438. Elle ne fut pas la seule place à bénéficier de cette situation ; les marchands, qui circulent à nouveau librement dans une province bien placée sur les grands trafics internationaux, favorisent la croissance des échanges qui se traduit par une pénétration de l’économie de marché au sein des sociétés rurales, qu’a étudiée Jean Chapelot439. La contagion du dynamisme commercial des places les plus en pointe (La Rochelle, Saint-Jean, Cognac, Marennes...) au profit de l’intérieur de la province, par le biais de la redistribution des marchandises importées et de la circulation accrue des marchands sur les grands axes intérieurs, profita évidemment tout particulièrement aux foires et marchés, témoins de cet intense échange de marchandises au niveau local. Cette (ré) intégration au grand commerce international de l’Aunis-Saintonge peut expliquer en partie la vigueur du mouvement de reconstruction du réseau des foires et marchés chargé de relayer au niveau local cet essor commercial et les flux de marchandises qu’il suppose.

Modalités de la reconstruction du réseau commercial en Aunis-Saintonge

  • 440  B.M.P., Dom Fonteneau, t. XL, p. 93.
  • 441  A.D. 86, 3 H1-212.
  • 442  C. Nau, Contribution à l’histoire de l’Aunis et de la Saintonge…, op. cit., p. 173. Elle (...)
  • 443  La création de foires à Rioux est mentionnée en 1473 (L. Audiat, « Saint Eutrope et son p (...)
  • 444  Pendant une bonne part du XVe siècle, la concession d’assemblées à un bourg donné n’est p (...)

55Il est difficile d’isoler le mouvement de reconstruction proprement dit de celui du nouvel essor commercial saintongeais, parmi la forte multiplication dans la documentation de foires, marchés et halles de 1450 à 1550 environ. L’on peut généralement croire que le phénomène de reconstruction caractérise le rétablissement de sites commerciaux qui avaient disparu pendant la période précédente, tandis que le début de l’essor commercial proprement dit est attesté par la concession de nouvelles assemblées. Dans les faits cependant, la rupture entre les deux moments, celui où l’on tente de récupérer le niveau de maillage et de revenus des années 1340 et celui où, ce niveau atteint, commence une phase de croissance inédite, est assez floue. Dans une même région, des foires et marchés anciens sont par exemple encore rétablis en 1511 (Dampierre-sur-Boutonne440), tandis que dès 1452 l’on procède à la concession de nouvelles foires dans de vieux sites commerciaux (Beauvais-sur- Matha441). Cette complexité incite à nuancer les propos de Claire Nau selon laquelle « les créations sont plus tardives que les rétablissements. Elles interviennent surtout dans les années 1490, alors que les rétablissements datent de l’immédiat après-guerre, dès la fin des années 1450 »442. Généralement cependant, les nouvelles places commerciales, dans lesquelles n’étaient pas attestés de foires et marchés aux XIIIe-XIVe siècles, n’apparaissent pas avant les années 1470 (Pisany, Rioux)443. L’on peut considérer que jusqu’aux années 1480 environ, le réseau commercial a retrouvé ses bases anciennes, en même temps que se mettait en place la première trame des nouvelles assemblées sur laquelle allait s’appuyer l’essor de ce dernier, qui démarre apparemment véritablement à partir de ces années 1480444, en même temps qu’est réglé définitivement le statut de la province voisine de Guyenne par le traité de paix entre France et Angleterre. De fait, sans chercher à distinguer ces deux moments coexistant pendant quelques années en fonction des disparités de développement au sein de la province, l’on constate un mouvement massif de densification du réseau : nous recensions 44 places de foires et marchés pour la période 1150-1340, puis 47 entre 1340 et 1450 (dont plusieurs suspendus ou interrompus). Entre 1450 et 1550, ce sont pas moins de 80 sites commerciaux mentionnés, dont 33 au moins (41 % !) sont concernés par des rétablissements ou de nouvelles créations de foires et/ou marchés datés. La documentation explique en partie ces résultats : les dépôts d’archives de Charente-Maritime conservent relativement peu de documents antérieurs au XIVe siècle, mais sont assez bien fournis en documents des XVe-XVIe siècles, notamment dans les chartriers de Matha ou d’Écoyeux, ainsi que dans les pièces isolés des seigneuries aunisiennes et saintongeaises (Dompierre, censifs de Châtelaillon ou Gémozac…).

  • 445  Nous ne remercierons jamais assez M. Glénisson de nous avoir laissé avec gentillesse dépo (...)
  • 446  La ville de Poitiers à la fin du Moyen Âge..., op. cit., p. 428.
  • 447  Le grand nombre de créations attestées localement qui ne le sont pas au Trésor des Charte (...)
  • 448  J. Lamare, Pont-L’abbé-d’Arnoult, une forteresse méconnue, p. 52. L’auteur n’a malheureus (...)
  • 449  A.D. 86, 3 H 1-272, vers 1520-1530.
  • 450  Vars, qui possède en 1500 quatre foires et un marché, se voit doter de deux nouvelles ass (...)
  • 451  B.M.L.R., ms. 3113, 3e partie, p. 106.
  • 452  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 111-112.
  • 453  B.M.L.R., ms. 2634.
  • 454  B.M.C., MM. 32, p. 395. Ces statuts sont notamment confirmés en 1486 et 1559 (B.M.C., MM  (...)
  • 455  Lacurie, « Monographie de la ville de Saintes », R.C.A.M. année 1862, p. 217-220.
  • 456  A.D. 17, H suppl. 183.
  • 457  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 50 : « statuts en forme d (...)
  • 458  A.D. 86, 3 H 1-299, f° 78.

56Les registres du Trésor des Chartes parisien sont également, pour qui s’intéresse au devenir du réseau commercial à partir du XVe siècle, une source de premier ordre445. C’est au cours de ce siècle en effet que la nécessité d’obtenir l’accord royal pour créer des assemblées commerciales s’est véritablement imposée en Saintonge. La valeur de cette source a été établie par Robert Favreau, qui s’est exclusivement servi des registres publiés par Paul Guérin et ses successeurs dans les Archives Historiques du Poitou pour décomposer le mouvement de création des foires et marchés poitevins au cours de la seconde moitié du XVe siècle446. Cependant, contrairement à ce qu’avait estimé cet auteur, l’on ne saurait trouver un détail complet des concessions royales de foires et marchés avec cette seule source. De nombreux actes de rétablissement ou de création d’assemblées, en effet, sont attestés dans des documents locaux sans être recensés dans les registres du Trésor des Chartes447. L’on ne saurait donc avoir un aperçu complet du mouvement de création des foires et marchés, sans faire appel, en complément des sources de l’administration centrale, aux sources locales. Celles-ci posent souvent des problèmes. Des créations récentes sont régulièrement mentionnées indirectement, sans date précise. L’on trouve par exemple mention à Pont-l’Abbé, en 1465, d’une intervention du lieutenant du roi des merciers réglementant l’organisation des foires et marchés du lieu. Étant donnée la qualité de ce personnage, qui est toujours présent lors des créations de foires et marché, l’on peut croire qu’il a été question d’un rétablissement officiel, sans qu’aucune mention ne le précise448. De la même manière, à La Jarrie, un conflit entre les seigneurs et le commandeur de Bourgneuf à propos de la tenue du marché du mercredi provoque une intervention royale, qui mentionne pour les premiers « le previlege par eulx obtenu des droitz de foyre et marché »449, laissant supposer une création récente dont, là encore, nous n’avons pas d’autre trace. Un autre problème tient à l’appréciation des limites de la Saintonge. Vars « en nostre pays de Xainctonge », comme Montignac en « Xanctonge » sont tout deux dotés de foires par le roi, quoiqu’ils se situent en Angoumois, hors des limites du diocèse de Saintes, tout en relevant de la sénéchaussée de Saintonge. Comme ils n’intervenaient cependant pas directement sur notre espace d’étude, nous avons fait le choix de ne pas les intégrer à notre relevé450. Les statuts octroyés aux bouchers des principales bourgades d’Aunis-Saintonge se multiplient également avec le mouvement de reconstruction commerciale, dont ils sont une des manifestations. Il s’agit en effet de réorganiser un commerce essentiel pour les populations urbaines, mis à mal par un siècle de difficultés, et dont la réglementation et le contrôle est traditionnellement un des apanages des seigneuries. Les viandes doivent être en effet de bonne qualité et vendues à un prix raisonnable, les bouchers honnêtes, et leur nombre doit être limité pour favoriser la surveillance. Dès 1348, à La Rochelle, avait été édicté un règlement des bouchers de la ville451, et en 1371, l’on trouve trace d’obligations relatives à la vente des viandes à Saint-Savinien452. La période 1450-1550 est néanmoins véritablement celle de la floraison des statuts des bouchers. Un accord est signé entre les bouchers et la ville de La Rochelle en 1457453, puis ceux-ci obtiennent la réglementation de leur métier à Cognac en 1461454, Saintes en 1486455, Pons en 1510456 et Taillebourg en 1517457. À Bourgneuf en 1493, un accord est de même passé entre le commandeur et les bouchers à propos de la halle458.

  • 459  L’on trouve dans un inventaire du château de Taillebourg de 1528, une mention, hélas laco (...)

57Robert Favreau avait dénombré 40 créations ou rétablissements d’assemblées commerciales en Poitou entre 1450 et 1500. Pour la Saintonge, aux dimensions plus réduites, l’on n’a pu réunir que 35 actes royaux signalant la mise en place de nouvelles assemblées entre 1450 et 1550. Sans doute la mise à contribution de l’ensemble du riche fonds de Thouars aurait-il permis, pour des sites comme Saint-Savinien459, Taillebourg, Saujon, Royan et autres possessions des La Trémoille, d’améliorer notre moisson. Cet échantillon est néanmoins suffisant pour risquer une étude de la périodicité des créations et rétablissements, que l’on peut comparer avec les résultats trouvés par Robert Favreau en Poitou, et qui gagnera à l’avenir à être complétée voire corrigée par la découverte de nouveaux documents.

58La comparaison est instructive. Elle montre d’abord, pour les raisons soulignées plus haut, que le nombre de créations d’assemblées en Saintonge est nettement inférieur à celui du Poitou. Mais il est frappant de constater que ce sont véritablement deux étapes différentes de l’évolution du réseau commercial de la fin du Moyen Âge que l’on a sous les yeux. En Poitou, la courbe de création d’assemblées connaît une croissance brutale : en 20 ans (1480-1500), ce sont pas moins de 29 bourgades qui se voient octroyer des foires et marchés. La Saintonge suit une évolution décalée : pas de pic massif de l’activité de création avant les années 1530. L’on y repère en revanche fort bien les deux phases du mouvement de concession d’assemblées, reconstruction puis essor commercial une fois celle-ci achevée, que les textes nous laissaient difficilement distinguer. L’activité commerciale locale saintongeaise connaît une croissance du nombre de sites lente mais continue et régulière de 1450 à 1479, qui paraît correspondre à la période de reconstruction telle que nous l’évoquions au début de ce chapitre. À cette phase succède une période de stabilisation ; l’on conforte les acquis précédents, en densifiant de manière remarquablement stable et continue le réseau jusqu’à la fin du XVe siècle. La reconstruction commerciale paraît achevée après ces deux phases de croissance puis de consolidation, et le rythme de créations tombe jusqu’aux années 1530. À partir de ces années, l’essor économique a atteint un niveau qui exige une nouvelle vague de créations, qui est cette fois brutale, et démontre que la Saintonge, depuis le règne de François Ier, est entrée dans le « beau XVIe siècle », appelé à durer jusqu’aux guerres civiles de la seconde moitié de ce siècle. En ce sens, la Saintonge paraît reprendre à partir des années 1530 le modèle poitevin des années 1480, ce qui laisse supposer l’existence d’un décalage d’une cinquantaine d’années dans l’évolution du réseau commercial entre les deux provinces. Dans les faits cependant, les deux modalités de reconstruction de celles-ci sont très différentes. Avant 1450, en effet, l’on compte pas ou peu de créations de foires et marchés en Poitou, si l’on s’en fie aux mêmes sources qu’a utilisées Robert Favreau pour la période 1450-1500. Ici la reconstruction, lente et étale entre les années 1450 et 1470, s’emballe brusquement à partir des décennies suivantes. La Saintonge, au commerce local beaucoup plus durablement désorganisé, eut apparemment beaucoup plus de mal à se remettre de la grande dépression médiévale que sa voisine : la reconstruction y est moins dynamique, et c’est le XVIe siècle qui marque véritablement « l’aube de temps nouveaux » en la matière.

  • 460  A.N., JJ 218, n° 202, f° 112.
  • 461  A.N., JJ 222 n° 58.
  • 462  A.N., JJ 243 n° 460, f° 137. Édité dans le B.S.A.H.C., 6e série t. IV, 1894, p. XLVII.
  • 463  A.N., JJ 259 n° 59, f° 39 v°.
  • 464  « Jonzac et Ozillac », op. cit., p. 339-344.
  • 465  Les plaintes des bourgeois de Saint-Jean-d’Angély contre la concurrence ainsi faite à leu (...)
  • 466  B.M.L.R., ms. 2691 f° 172 v° et 2692 f° 178 v° (Mi 139). En 1459, le receveur de Châtelai (...)
  • 467  Ordonnances des rois de France... t. XV, p. 363-364. Quatre foires sont créées. Un marché (...)
  • 468  B.M.L.R., ms. 300, f° 111 r°.
  • 469  A.D. 17, 1 J 161-20.
  • 470  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., 335-336.
  • 471  Documents inédits…, éd. P. Marchegay, op. cit., p. 18-20.
  • 472  A.D. 86, 3 H1-212.
  • 473  A.N., JJ 184 n° 39.
  • 474  « Jonzac et Ozillac », op. cit., p. 232-235.
  • 475  L. Audiat, « Saint Eutrope et son prieuré », A.H.S.A. t. II, p. 297, note.
  • 476  « Recueil des documents concernant le Poitou… t. XI », éd. L. Célier, A.H.P. t. XXXVIII, (...)
  • 477  Ordonnances des rois de France…, t. XVIII, p. 203.
  • 478  L’on constate en effet en 1485, à propos des halles de Cognac, que « de present par chasc (...)

59Il est vrai qu’en Saintonge, contrairement au Poitou, l’essentiel du réseau était au sortir de la guerre à reconstruire. Les places de marché réapparaissent assez lentement après leur suspension, le temps que les immigrants repeuplent et redynamisent la cellule d’échange seigneuriale. Notre graphique, en mettant en évidence le décalage d’une cinquantaine d’années dans l’évolution des réseaux commerciaux poitevin et saintongeais, tend cependant à gommer les disparités régionales que l’on observe dans le mouvement de reconstruction de ce dernier. Il est en effet frappant de constater que la majorité des créations se cantonne dans la Saintonge du sud de la Charente : sur les 33 concessions que l’on recense sur l’ensemble de notre période, seules 13 ont été accordées à des sites de la rive droite, dont 5 en Aunis (Saint-Jean-des-Sables, Saint-Xandre, Dompierre, Andilly, La Jarrie). Et cela alors que la part de l’Aunis est déterminante dans le réseau des places de foires et marchés (on y compte une vingtaine des 80 sites attestés entre 1450 et 1550, alors que cette province n’occupe qu’une petite partie de l’espace saintongeais). Le mouvement de reconstruction commerciale illustre donc ce que nous avions évoqué précédemment : le maintien, malgré la crise, du réseau commercial aunisien, voire de celui de la Saintonge septentrionale, soit qu’il fut moins directement touché par la guerre à partir des années 1380, soit, ce qui est lié, que sa vigueur économique ait été préservée, notamment dans le pays rochelais. Le sud de la Saintonge, plus durement touché et marqué par une reconstruction agraire tardive, fut aussi plus long et difficile à réorganiser sur le plan commercial. Le caractère laborieux de cette remise en ordre de marche du réseau des assemblées locales dans cette partie de la province se perçoit assez à travers le phénomène des doubles créations. En 1486 en effet, la ville de Talmont-sur-Gironde obtient du roi, avec l’objectif affirmé d’attirer de nouveaux habitants alors qu’elle tombe en ruine, un marché et deux foires à la saint Jean-Porte-latine et à la saint André460. Pourtant, dès 1491, le roi renouvelait la même concession et plaçait cette fois les deux assemblées à l’Invention de la Sainte-Croix et à la saint André461. À l’évidence, la création de 1486 fut un échec, les foires n’ayant pas attiré comme prévu les habitants, ou les sergents locaux n’ayant pas appliqué la décision royale. De la même manière, un marché est en 1528 établi le vendredi à Saint-Fort, « pour le prouffict et commodité des habitans d’icelluy et ceulx du pays d’environ »462. Cela n’empêche pas, dès 1549, une nouvelle création royale d’un marché se tenant le jeudi, « pour la decoracion et augmentacion, proffit et utilité du lieu et pays », le précédent acte ayant apparemment échoué463. La création des six foires et du marché de Fontaines en 1483, qui ne fut appliquée qu’en 1599464, est peut-être un autre de ces « actes manqués » symptomatiques d’une reconstruction commerciale difficile, et qui incitent à considérer avec méfiance les actes de concessions royales d’assemblées, qui ne furent pas toujours suivis d’effet. Ces diverses vicissitudes du sud saintongeais expliquent le retard global de la reconstruction commerciale de notre province. Si l’on prend pour référence l’Aunis, le dynamisme de cette dernière est bien plus important : dès 1442 Tonnay-Charente, sur les marges méridionales de cette région, voit le rétablissement de son marché465, puis c’est au tour de la foire de Saint-Jean-des-Sables au cours des années 1460466, avant l’octroi d’assemblées en 1462 à Saint-Xandre467. L’on entre à partir de cette époque dans la phase d’étoffement du réseau, la reconstruction étant achevée : en 1496, les trois anciennes foires de Dompierre, mentionnées déjà au début du XVe siècle, sont enrichies de trois nouvelles assemblées et d’un marché468, et en 1517 sont créés deux foires et d’un marché à Andilly469. La périodicité des créations d’assemblées en Saintonge septentrionale renforce cette impression de dynamisme supérieur à celui du sud de nos territoires : les années 1450-1460 y sont marquées par le rétablissement des sites de foires et marchés anciens (Saint-Jammes dès 1445470, Taillebourg en 1455471, Beauvais-sur-Matha en 1460472, Pont-l’Abbé en 1465) ou leur étoffement (Marennes en 1452473, à nouveau Beauvais en 1452). À partir des années 1470, et jusqu’à la fin du XVe siècle, c’est la Saintonge méridionale qui se reconstruit (les assemblées de Jonzac sont rétablies en 1473474, celles de Rioux475 et de Saint-Thomas-de-Cosnac476 sont octroyées à la même date, et celles de Pisany en 1476477…). Ces deux phases de la reconstruction peuvent également expliquer la physionomie du graphique précédent : à peine la première phase aunisienne fut-elle achevée qu’elle fut relayée par la seconde, plus méridionale, ce qui contribue à la croissance très régulière et étalée des créations. Malgré ces disparités de rythme, la reconstruction commerciale assura la mise en place d’un réseau de places marchandes remarquablement maillé et équipé, dont la fréquentation crût rapidement478. C’est apparemment le signe de l’importance de celle-ci dans le mouvement de reconstruction en général.

Rôle des foires dans le mouvement de reconstruction et d’essor commercial

  • 479  A.N., JJ 195, n° 28 f° 10 et n° 47 f° 15.
  • 480  Cf supra, p. 139.
  • 481  A.N., JJ 225 n° 73, f° 16 (Archiac), et JJ 226 A, n° 198 (La Jarrie).
  • 482  A.N., JJ 209 n° 119, f° 68. De tels déplacements, on l’a vu, étaient impensables un demi- (...)
  • 483  A.N., JJ 184, n° 220, f° 147. Villequier omettait de signaler que l’abbesse de Saintes te (...)
  • 484  Ordonnances des rois de France…, t. XVIII, p. 203-204 : « (...) Humblement requerant ledi (...)
  • 485  A.N., JJ 208 n° 14, f° 7 v°. Charles de Coëtivy affirme que sa seigneurie étant « fort de (...)

60La reconstruction commerciale, même lente et différenciée spatialement, fut réalisée en profondeur : à la fin du XVe siècle, le nombre de places commerciales actives était supérieur à celui de la grande phase de croissance de 1150-1340, et dès 1467, Jean Ayraut et ses comparses purent sévir dans de multiples assemblées de la région, se rendant successivement aux foires de Marestay, Beauvais, Jarnac, La Jarrie et Vergne pour y dérober diverses marchandises qu’ils revendaient à Saint-Jean-d’Angély. Les étals étaient alors à nouveau bien achalandés, puisque les larrons, au cours de leurs forfaits, « prindrent furtivement aucunes paires de soulers, des cousteaulx, des chappeaulx et des faulx à faucher »479. Partout, des foires et marchés en nombre croissant drainent populations et marchandises, parfois sur de longues distances. Si les habitants de Saint-Georges-de-Rex, en 1373, regimbaient devant les neuf kilomètres qui les séparaient des places commerciales les plus proches480, en 1486 des habitants de Jonzac, dont un boucher, se rendent aux foires d’Archiac, à plus de treize kilomètres, et en 1493 trois laboureurs de Fouras font les dix-sept kilomètres qui les séparent des foires de la Madeleine à La Jarrie481. En 1481, l’on voit de même un homme d’Angoulins, natif de Bretagne, se rendre aux assemblées de juin de Surgères, à près de trente kilomètres482. Le réseau des foires et marchés a connu en effet, en une cinquantaine d’années, un puissant étoffement qui s’explique par l’efficacité de la reconstruction commerciale, elle-même liée au rôle, présumé ou réel, attribué aux foires et marchés dans le cadre du développement économique des provinces au sortir de la guerre. Il est fréquent que les lettres de création d’assemblées insistent sur l’ampleur des dégâts consécutifs aux guerres et aux épidémies en justifiant, de manière plus ou moins explicite, la création des foires et marchés par ces nécessités démographiques et économiques. C’est par exemple le cas à à Marennes en 1451, où « tant à l’occasion des guerres qui longuement ont eu cours en nostre royaume comme des autres grans charges, pertes et dommaiges que les habitans du dit lieu et isle de Marenne ont eues et soustenues, le dit lieu et ysle de Marenne est fort depopulé, et les dis habitans grandement diminuez tant de biens que de chevance » : comme André de Villequier a « entencion de aidier a faire repopuler icellui isle et a ressourdre et remeistre sus lesd. habitans de tout son pouoir mais il ne se puet bonnement faire synon par le moyen de grant frequentacion de pueple », il demande au roi foires et marchés483. L’on retrouve notamment ce genre d’argumentaire à Pisany en 1476484 ou Taillebourg et Montignac en 1480485.

  • 486  A.N., JJ 232 n° 149, f° 77 (janvier 1499 a. s.). Il y est question de la nécessité de « m (...)
  • 487  A.N., JJ 235 n° 322, f° 107 (Boutiers, 1501) et JJ 235 n° 104 f° 17 (Saint-Dizant, 1501)  (...)
  • 488  A.N., JJ 253 A n° 69 f° 22 v°.
  • 489  A.N., JJ 259 n° 59, f° 39 v° : « (…) aussy y affluent, passent et repassent plusieurs mar (...)
  • 490  La création des foires de Plassac en 1530 est ainsi justifiée par Jacques de Pons par son (...)
  • 491  A.N., JJ 218, n° 202, f° 112.
  • 492  Ordonnances des rois de France…, t. XV, p. 240-242 (Condom) et 469-470 (Bayonne).
  • 493  Cf supra, p. 138.

61Les préambules des lettres d’octroi de foires et marchés, reprenant les termes des requêtes seigneuriales, permettent ainsi de distinguer les deux phases de reconstruction puis d’essor commercial : au début du XVIe siècle, la reconstruction étant pratiquement partout achevée, la justification de concessions par la nécessité de remédier aux malheurs de la guerre se fait plus rare. On la retrouve certes encore à Écoyeux en 1500486, mais elle confine maintenant au topos. Désormais, la création des foires n’est plus motivée que par le désir de revendre les productions du pays environnant en profitant des flux de marchands accrus par l’expansion commerciale. C’est ce que l’on constate à la même époque à Boutiers et à Saint-Dizant-du-Bois487, comme à Courpignac en 1539488 ou Saint-Fort en 1549489. Désormais, la priorité donnée aux foires est moins d’attirer des populations pour reconstruire l’économie seigneuriale que de s’intégrer aux circuits d’échanges pour dégager des profits490. Riche source de renseignements, les préambules des lettres d’octroi sont aussi à utiliser avec précaution. Leur contenu reprend, souvent de manière stéréotypée, les termes des seigneurs dans leur requête au roi. Par là même, il est par définition sujet à l’exagération, ces derniers ayant intérêt à aggraver la situation réelle de leur seigneurie pour obtenir satisfaction. L’exemple d’Écoyeux le montre. Il est difficile de croire qu’en 1500 cette bourgade de la Saintonge septentrionale soit aussi ruinée que son seigneur le dit, quand au même moment un site voisin tel que Boutiers, ou un site méridional comme Saint-Dizant, forcément plus durement touché par la crise, ont surmonté celle-ci et cherchent à écouler leurs excédents agricoles par des assemblées commerciales. Il est vrai que la remise en ordre des seigneuries était une affaire individuelle, ce qui a pu induire des rythmes de reconstruction diversifiés même localement, mais la thèse d’une ruine aussi importante que le soutient le maître d’Écoyeux est difficilement crédible. Il faut cependant aussi reconnaître que la tendance à la surestimation stéréotypée des dommages véritables subis par les seigneuries était atténuée par l’existence d’enquêtes royales vérifiant, avant l’érection d’une assemblée, sa nécessité pour la seigneurie. D’ailleurs, ce thème récurrent de l’importance des assemblées commerciales comme remède au marasme économique et démographique des provinces n’est pas proprement seigneurial. Le roi lui-même y souscrit. C’est en effet lui, ou ses agents, qui dans le préambule de la création des foires et du marché de la ville royale de Talmont de 1486 évoque la destruction des murs par laquelle « les habitans craignent d’eulx y habituer et la pluspart des demourans en icelle s’en sont allez tellement que a present elle est presque inhabituée. Et a ceste raison seroit tres requis et tres neccessaire que audit lieu eust et feussent créés et establies foires et marchés a ce que le peuple et les marchans du dit pays d’environ eust cause et matiere d’y frequenter et eulx y habituer pour la distribucion et vendicion de leurs denrees et marchandises et par ce moyen la dicte ville se pourroit repopuler et entretenir en bon estat »491. L’adhésion du roi à ce discours est le signe de la grande diffusion de celui-ci, qui se retrouve dans tout le royaume. À Condom en Gascogne par exemple, le roi autorise en 1461 l’élévation d’une halle et d’une boucherie, ainsi que des droits supplémentaires sur les marchandises vendues, pour relever la ville dépeuplée par cause des « pestilences » et des incursions des gens d’armes. À Bayonne en mai 1462, ce sont deux foires franches qui sont établies pour remédier au fait que, depuis « les guerres qui y ont eu cours le temps passé, mortalités, pestilences et autres fortunes qui y sont survenues », l’activité commerciale « y est dès longtemps cessée et cheue en discontinuacion, (...) grant partie des maisons et habitacions d’icelles tombées et cheues en ruyne »492. Les exemples de cette conception des foires et marchés comme activateurs de dynamisme économique et démographique sont innombrables et précoces : celle-ci apparaissait déjà, rappelons-le, dans la concession des deux foires de Bourgneuf en 1372493. Les populations attirées par les assemblées sont censées assurer des revenus croissants, le dynamisme retrouvé de la seigneurie attirant à son tour de nouveaux habitants et des recettes supplémentaires. C’est cette conception très diffusée qui explique en partie le vaste mouvement de concession des années 1450-1500. Reste cependant à confronter ce topos de la chancellerie royale avec la réalité, en considérant la part réelle prise par les foires et marchés dans la reconstruction économique de l’Aunis-Saintonge.

  • 494 Ibid., p. 92.
  • 495 B.M.L.R., ms. 2691 (Mi 139), compte de 1459-1460, f° 172 à 174. Ibid., ms. 2692 (Mi 139), compte de (...)
  • 496 A.N., P 5582, n° 1226.
  • 497 A.N., 1 AP 1928.

62Les situations, en fait, paraissent très différenciées à la lecture des revenus commerciaux dont on a conservé une trace, et que le tableau suivant résume. L’on y voit clairement apparaître trois groupes de places de foires et marchés qui se distinguent par leur inégal niveau de rentabilité.494495496497

  • 498 B.M.L.R., ms. 284, f° 161-163.
  • 499 A.H.S.A. t. III, p. 367-370. Rappelons qu’en 1406 la perception de ces rentes était su (...)
  • 500 Dont la somme considérable de 26 livres pour les droits de vente et plaçage (B.M.P., m (...)
  • 501 R.C.A.M. t. XII, 1893-1894, p. 497.
  • 502 A.D. 17, 1 J 353, p. 418 : bail à Jean Moreau du droit de minage pour trois ans au pri (...)
  • 503 Dont 55 sous pour les estellaiges de l’alle et ville (A.N., 1 AP 181, f° 59-63. Transc (...)
  • 504 À cette date en effet, une rente de 11 livres sur le minage est vendue au comte d’Ango (...)
  • 505 Documents historiques inédits sur le département de la Charente-Inférieure, éd. L. de (...)
Mauzé 1515 56 l. 2 s. 6 d. Total des fermes liées aux foires et marchés498
Saujon 1452 50 l. Rente sur les marchés499
Barbezieux 1496 35 l. 15 s. 10 d. Total des fermes liées aux foires et marchés500
Saint-Xandre 1554 27 l. 1 s. 8 d. Estimation du cohuage du marché501
Cozes 1452 22 l. 6 s. 8 d. Rente sur les revenus de la halle490
Matha 1543 15 l. Ferme annuelle du minage502
Marans 1484 11 l. 15 s. Estimation des revenus commerciaux503
Cognac 1459 + 11 l. Revenu annuel du minage504
Saint-Jean-de-Liv. 1497 10 l. 5 s. Ferme de la foire505
  • 506 A.N., 1 AP 2016.
  • 507  B.M.L.R., ms. 2465, f° 25 r° (affermage des revenus en 1478 à Olivier Demele) et f° 3 (...)
  • 508  A.N., 1 AP 2013.
La Jarne 1472 4 s. 6 d. Ferme de la foire496
Rochefort 1513 4 s. Ferme des foires et marchés506
Rochefort 1479 2 s. 6 d. Ferme des foires et marchés507
Rochefort 1478 2 s. 6 d. Ferme des foires et marchés499
Rochefort 1469 2 s. 6 d. Ferme des foires et marchés508
Rochefort 1468 2 s. 6 d. Ferme des foires et marchés500
St-Jean-des-Sables 1472 18 d. Ferme de la foire496
Périgny 1472 12 d. Ferme de la foire496
  • 509  A.N., 1 AP 1910, pièce 10 : ces revenus étaient alors affermés 10 livres 10 sous.
  • 510  B.M.L.R., ms. 2691 (Mi 139), f° 172 r° et 173 r°.
  • 511  Éric Birrier indique qu’en 1458 subsistent toujours de nombreuses « terres gastes » (La s (...)
  • 512 A.D. 17, 1 J 356-21, registres de compte de la terre de Thors, années 1438-39 (f° 3 r°), 1 (...)

63Les principaux sites (villes, anciens chefs-lieux de châtellenie), dont on a constaté l’affirmation au XIIIe siècle, et souvent le maintien de l’activité en pleine crise des XIVe-XVe siècles, continuent de tenir le haut du pavé. La réapparition, dès 1452, de la rente perçue par les seigneurs de Didonne sur les assemblées de Cozes et Saujon signale que celles-ci ont vite retrouvé une large part de leur dynamisme du XIIIe siècle, même si la livre de 1452, en partie dépréciée par rapport à celle de la fin du XIIIe siècle, abaisse sans doute en monnaie réelle la valeur de cette rente. Il en va de même pour Barbezieux, où cependant le montant des revenus commerciaux par rapport au total des recettes en deniers de la seigneurie (1834 livres, et 424 livres une fois les charges déduites, pour l’essentiel fournies par les cens), ne représente qu’une part marginale de ces dernières (environ 2 %, ou 8,5 % sur le bénéfice final). En 1554, lors de la vente de la seigneurie de Saint-Xandre, l’estimation de ses revenus fait du « cohuage de marché » une des principales recettes, mais, une fois encore, assez loin derrière celle des cens et vinées (au total plus de 509 livres) et celle des dîmes de laines (212 livres 10 sous). À Mauzé, le détail des fermes permet de détailler les revenus liés aux foires et marchés : 37 livres proviennent des seuls droits de « ventes, plassage, adjustage et mesurage » (l’on retrouve la domination de ce poste que l’on observait déjà à Barbezieux, et qui souligne la fréquentation importante de ces places), le poids rapporte 12 sous 6 deniers, et les quatre bancages (boucherie et mercerie, draperie, poissonnerie, paneterie) totalisent 18 livres 10 sous, dont 7 livres pour le premier. Il est dommage que l’on ne connaisse pas la somme des revenus de Mauzé en 1515 afin d’établir la part des revenus commerciaux dans les recettes totales, qui paraît considérable. Plusieurs des places commerciales les plus importantes, notamment celles du nord de la Charente, ont donc soit préservé un niveau important de revenu depuis le début du XVe siècle, soit reconstruit très rapidement leur commerce local. À Marans, les revenus des « ventes des foyres et marchez », estimés à 9 livres en 1484, stagnent par rapport au niveau de 1441509, ce qui indique que la reconstruction commerciale y est déjà achevée, et qu’un seuil est atteint, en attendant la nouvelle croissance du « beau XVIe siècle ». À côté de ces sites figurant en tête de la hiérarchie des places de foires et marchés de l’après-guerre, dont les revenus indiquent une reconstruction commerciale achevée dans ses grands traits assez tôt (années 1440 pour Marans, années 1450 pour Cozes et Saujon, pourtant très touchées par la dépression), beaucoup d’assemblées paraissent être restées d’un faible rapport, même plusieurs décennies après la fin du conflit. La faiblesse du bassin de consommation de la châtellenie ou la proximité d’un centre commercial important sont le plus souvent en cause. À Rochefort par exemple, les revenus des foires et marchés mentionnés au XVe siècle sont très faibles, stagnant à deux sous et demi de 1468 à 1479, et peinant à atteindre quatre sous en 1513. La hausse des recettes des fermes commerciales, si elle trahit une fréquentation croissante, reste très faible (5,4 %), notamment en raison de la concurrence de Tonnay-Charente, place voisine et important port fluvial. La situation est similaire pour les foires de la châtellenie de Châtelaillon, pourtant relativement nombreuses (elles sont présentes dans cinq bourgades sur la dizaine que comptait la seigneurie) : les revenus de celles de La Jarne, de Périgny, de Saint-Jean-des-Sables se limitent à quelques sous, et la foire la plus rentable est celle de Salles, grâce aux 55 sous de la ferme du « cohuage, peschenage et mesurage » auxquels s’ajoutent 8 deniers de revenus directs. Il est vrai qu’une halle y est bâtie, comme à Angoulins, où cependant aucun revenu n’est tiré de celle-ci, les assemblées du village étant certainement possédées par un autre propriétaire, comme l’abbaye Saint-Cyprien de Poitiers dont on a vu qu’elle avait bénéficié d’un droit de vendre du poisson dans ce lieu dès 990. Au total, les revenus des quatre foires du seigneur de Châtelaillon en 1472 sont relativement modestes : 3 livres 2 sous 8 deniers, soit en moyenne 15 sous 8 deniers par assemblée. La proximité de La Rochelle et le réseau très dense des foires et marchés dans cette partie de l’Aunis explique probablement ces faibles résultats. L’on notera cependant avec intérêt que ces mêmes revenus totalisaient 3 livres 2 sous 8 deniers dans le compte de 1459, et 3 livres 6 deniers en 1460, alors que la foire de Saint-Jean-des-Sables, suspendue, ne rapportait rien510. La stagnation des recettes des assemblées commerciales au cours de cette période pose cependant problème : elle semble le signe d’une reconstruction commerciale achevée précocement, comme c’est le cas à Marans entre les années 1440 et les années 1480. Et pourtant la situation est loin d’être rétablie dans la seigneurie au cours des années 1450-1460511. Plus que de stagnation l’on peut d’ailleurs même parler de régression, si l’on prend en compte le ratio par foires : le revenu moyen des trois assemblées s’établit à 1 livre 11 deniers en 1459, et 1 livre 2 deniers en 1460 contre, on l’a dit, 15 sous 8 deniers en 1472. Le rétablissement de la foire de Saint-Jean-des-Sables, loin d’accroître les revenus commerciaux de la châtellenie, n’a fait qu’affaiblir la vitalité déjà réduite des trois autres foires de celle-ci. L’on voit ici combien il faut rester nuancé dans l’appréciation du mouvement de reconstruction commerciale, la création ou le rétablissement d’une foire n’entraînant pas forcément sa rentabilité. Entre les deux niveaux extrêmes de la hiérarchie, l’on peut isoler un ensemble de places aux revenus intermédiaires, supérieurs aux quelques sous des cas précédents mais inférieurs aux dizaines de livres des premiers. C’est le cas de Mortagne, où les assemblées rapportent en 1486 22 sous 6 deniers, sur une recette totale de 605 livres environ : la part de ces dernières dans le revenu total est une fois de plus assez faible, de l’ordre de 1,7 %. Ce niveau caractérise aussi les foires et marchés de Benon, affermés à moindre somme que la foire rurale annuelle de Saint-Jean-de-Liversay (bien placée sur la route active reliant Marans à Mauzé), proche et dépendante. Il en va de même pour les réunions commerciales de Thors qui, affermées 15 sous en 1439, l’étaient une cinquantaine de sous au cours des années 1470. Si ces revenus paraissent moyens, la croissance de l’activité y est néanmoins évidente, puisqu’ils ont presque quadruplé en une trentaine d’années, voire plus que sextuplé si l’on considère un registre sans date de la fin du XVe siècle. La situation est identique pour Matha, où la ferme du « tiers de la bource » de la saint Barthélémy, perçue par le sire de Thors, rapporte 23 deniers en 1478, laissant supposer un revenu global d’au moins 69 deniers (5 sous 9 deniers). Matha possédant plusieurs foires, notamment à la saint André, ainsi que des marchés, le revenu moyen de ses assemblées paraît comparable, sinon légèrement supérieur, à celui des réunions de Thors à la même époque (les 55 sous perçus dans ce lieu en 1478 devant en effet être divisés par les quatre foires et les marchés hebdomadaires de cette place). Cela même si l’importance de Matha comme centre commercial régional transparaît des droits de vente que le sire de Thors touche sur les ânes, les peaux de boeufs et les langues des bovins vendus au marché et ailleurs en cette ville, ainsi que des revenus du minage au milieu du XVIe siècle. Dans ce cas aussi la reconstruction est à l’œuvre au XVe siècle, ce que traduisent les données du tableau suivant :512

  • 513  Rappelons que ce sont pas moins de 29 bouchers qui arrentèrent la grande boucherie de La (...)

64Le panorama des revenus des foires et marchés de la reconstruction ne s’arrête pas là. Il faut également y ajouter ceux fournis par les divers cens perçus sur les bancs, qui forment une recette annuelle régulière (les sources disent « immuable », par opposition au domaine « muable » des revenus des fermes annuelles) par rapport à celle des bancs loués aux marchands forains lors des assemblées (droits d’étalage), par nature plus dépendante de la fréquentation du marché. De telle sorte que plus une place commerciale parvient à accenser de bancs, et plus elle est solide car moins dépendante de l’extérieur, reposant sur un véritable commerce local513 :

  • 514  B.M.L.R., ms. 2474. Plusieurs des tenanciers payaient alors la moitié ou les deux-tiers d (...)
  • 515  Cf supra, p. 117.
  • 516  A.D. 17, 1 J 356-21, registre des cens de la terre de Matha, année 1533-1534, f° 106 v° : (...)
  • 517  A.D. 17, H suppl. 183 (1510), et H suppl. 184 (1524). Aux 40 sous de cens s’ajoutent deux (...)
  • 518  B.M.C., MM 32, p. 409-410 : lettre de François Ier confirmant les privilèges des bouchers (...)
  • 519  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 50.
  • 520  A.D. 86, 3 H 1-299, f° 78.
  • 521  B.M.L.R., ms. 116 (Mi 106), p. 594-595. Nous prenons pour référence le terme de la saint (...)
  • 522  B.M.S., ms. 10 MAR jou 24, censif de la terre de Faye, f° 34 v°, 1494.
  • 523  A.D. 17, H 76, pièce 2, p. 8.
  • 524  A.D. 86, 3 H 1-272.
  • 525  B.M.L.R., ms. 2691, f° 103-104 et 170 v° ; et ms. 2692, f° 103 r° et 158 v°.

65Les accensements n’en sont pas moins, à moyen terme, sensibles à la conjoncture économique. Le censif de Marans des années 1495-1500 est à cet égard d’un intérêt exceptionnel puisqu’il a fossilisé l’évolution des cens dus par les bouchers pour leurs bancs. Ceux-ci varient en effet du simple au triple, mais restent, même pour les plus élevés d’entre eux, encore assez éloignés des niveaux des années 1349-1351 au cours desquels la plupart des bancs étaient accensés 40 sous514, a fortiori si l’on prend en compte la dépréciation de la monnaie en 150 ans. Il est d’emblée évident que pour dynamiser le commerce local de Marans, le seigneur a dû réduire le cens des bancs de la halle comme cela se pratiquait pour les cens fonciers. Les montants les plus récents sont ceux de 20 sous (cinq sous par terme) : c’est la somme que doit en effet Étienne Barbier pour son banc « prins nouvellement », ainsi qu’Huguet Ruffin et Thomas Ardouin, pour le leur, « baillé de nouveau ». Cette baisse des cens, par rapport à ceux de 25 ou 30 sous, paraît liée aux conséquences de l’épidémie de peste que l’on a vu sévir en Saintonge à la fin du XVe et au début du XVIe siècle515. Les bouchers de Marans ont alors pu profiter de la situation pour reprendre à moindre coût les bancs abandonnés : le terme de Pâques du même censif mentionne en effet, en marge de certains cens dus pour des bancs, vacat. L’un de ceux-ci, autrefois possédé par Pierre des Bancs et accensé à 25 sous, est désormais tenu par Maurice Regnaudet qui en possédait dejà un à 30 sous. De même, au banc de 10 sous hérité de son parent Perrotin Ruffin (dit vacat au terme de Pâques), Huguet Ruffin a ajouté deux bancs à 20 sous, en s’associant avec Thomas Ardouin. Les cens, remontés jusqu’à 30 sous à la faveur de la reprise économique, furent affectés par la crise épidémique qui contraignit le seigneur à accepter les conditions des bouchers survivants prêts à reprendre les places vacantes. À ce jeu, certains furent apparemment plus avisés que d’autres, ce qui explique la reprise de certains bancs à 25 sous et d’autres à 20 sous. Néanmoins, même si les cens réagissent à la conjoncture à moyen terme, ils restent un bon reflet du dynamisme autogénéré par une place commerciale. Marans, mais aussi Pons, Cognac, Taillebourg ou Bourgneuf disposaient d’un bassin marchand local et permanent capable de leur assurer des recettes régulières relativement importantes, de 9 à plus de 30 livres. D’autant qu’un même marchand, on l’a vu à Marans, peut accenser plusieurs bancs : les bouchers de ces villes, même en nombre limité par les statuts légaux, pouvaient fort bien posséder plus d’un banc chacun, accroissant les recettes du domaine « immuable ». Le niveau d’activité domestique des places de la sirerie de Châtelaillon (Salles et Angoulins) paraît en regard très médiocre, puisque seuls quatre bancs peuvent être accensés aux marchands locaux réguliers. Plus dépendantes de l’extérieur, leurs recettes sont aussi plus fragiles. Dans de telles circonstances, l’état des cens dus pour les bancs du marché de Matha est le signe de la prospérité économique retrouvée des années 1530. Il y est en effet question de 22 bancs de marchands accensés, faisant de la ville le principal pôle commercial du nord-est saintongeais : l’on vient régulièrement de Migron, La Chassagne, Beauvais-sur-Matha pour y vendre. L’on voit également au passage que les cens des bancs des marchands étaient moins élevés que ceux des bouchers (du simple au triple à Bourgneuf), sans doute en raison du caractère particulier du métier de ces derniers, et de la nécessité d’éviter leur multiplication pour mieux contrôler leurs activités, ce qui est fréquemment rappelé dans les statuts de boucherie conservés (Cognac, Pons…).516517518519520521522523524525

  • 526  En 1496 le fermier des revenus commerciaux de Barbezieux est indemnisé en raison du préju (...)
  • 527  B.M.L.R., ms. 284 f° 46 et suiv. (1521-1522), 277 (1537-1538), 279 (1542-1544), 280 (1553 (...)
  • 528  B.M.L.R., ms. 210, f° 227.

66Le caractère ponctuel de nos informations sur les revenus des foires et marchés, sauf cas exceptionnel, comme la belle série des comptes de Thors, incite néanmoins à la prudence. Rien ne dit en effet que tel faible revenu observé dans une ville ne soit pas lié à des conditions exceptionnelles. La plupart du temps en effet, le système de la ferme, général, laisse une grande place aux anticipations des preneurs. Un climat pessimiste en période de crise, pésera sur les niveaux d’affermage, tandis que l’accalmie de la crise ou un quelconque événement contribuant à susciter un regain d’optimisme favorisera la montée des enchères de la ferme. Il est vrai qu’une garantie existait pour le preneur de se voir indemnisé d’une partie de sa ferme en cas de catastrophe, ce que l’on a pu voir à Barbezieux ou Saintes526. Les registres du greffe d’Esnandes nous permettent de suivre une telle série entre les années 1520 et 1560, à travers la ferme du « plassaige, cohuaige, quarente [boucherie du Carême] et vente de chevaulx »527. Celle-ci se caractérise par une relative régularité des fermes des foires et marchés jusqu’aux années 1560, dans une tendance à la hausse qui est celle du « beau XVIe siècle ». Puis une grande irrégularité apparaît : en 1562, début des guerres de Religion avec le massacre de Vassy et le sac de Saint-Jean-d’Angély par les protestants, puis en 1566, les revenus doivent être levées par le seigneur, et stagnent à 65-75 sous. L’on observe ensuite une brutale inflation de la ferme, apparemment liée à l’octroi de nouvelles foires à Esnandes en 1566528. Les candidats à la ferme, appâtés par la hausse du trafic commercial que cet événement laisse présager, n’hésitent pas à mettre le prix fort pour celle-ci. Leurs espoirs furent visiblement déçus, puisque personne n’est preneur en 1568. Il est vrai que la guerre civile menace, d’autant qu’en cette année La Rochelle s’est officiellement prononcée, pour la première fois, en faveur des protestants. En 1569, la ferme retrouve des niveaux plus conformes à l’animation réelle des nouvelles foires d’Esnandes, en accusant une baisse de près de 80 % depuis 1567. Son montant reste cependant considérable par rapport à ceux atteints au milieu du siècle, signalant l’importance de la concession d’assemblées commerciales pour le dynamisme local de l’activité.

Montants des fermes commerciales d’Esnandes (en sous)

  • 529  « Société rurale et économie de marché... », op. cit., p. 66., d’après A.D. 17, 1 J 356-2(...)
  • 530  Un remarquable inventaire des productions rurales de la région de Taillebourg et d’Écoyeu (...)

67La croissance commerciale du XVIe siècle, qui succède à la reconstruction du réseau marchand des années 1450-1480, se prolonge donc jusqu’à la fin des années 1550. Au cours de ces deux périodes, les contemporains insistent particulièrement sur le rôle économique fondamental d’assemblées commerciales perçues comme le meilleur soutien au redressement de l’économie seigneuriale, alors même que, dans des places aussi importantes que Barbezieux, les foires et marchés ne participent qu’à une part assez faible (2 %) des recettes totales. Le facteur psychologique paraît donc déterminant dans l’appréciation du rôle économique des assemblées : la seule nouvelle d’une création de foires à Esnandes suffit à enflammer les fermes de manière irrationnelle, avec son lot de désenchantement. Ce phénomène, perceptible depuis les années 1450, voire le dernier tiers du XIVe siècle, témoigne de la place considérable prise par les foires et marchés dans les échanges quotidiens de la fin du Moyen Âge. Si les revenus des assemblées commerciales ne paraissent pas devoir excéder, au grand maximum, 10 % des recettes des principales places, part très minoritaire à côté de celle des cens, leurs effets indirects (afflux de populations et de marchands, rôle social de rassemblement seigneurial et festif) contribuaient à faire surestimer l’importance véritable des foires et marchés. D’autant que les revenus commerciaux forment généralement une des principales fermes de la seigneurie, et sont la partie la plus immédiatement visible de la rentabilité de celle-ci. De là l’étoffement constant du maillage des foires et marchés à partir des années 1450, au risque que les revenus ne soient pas au rendez-vous. L’on ne saurait cependant lénifier le succès de la reconstruction du réseau saintongeais des assemblées, qui permit l’apparition d’un dense réseau de centres commerciaux locaux, relayant dans toute la province les grands circuits d’échanges. Il convient en effet de souligner l’enracinement local du grand mouvement d’essor commercial des XVe-XVIe siècles. Le trafic du port de La Rochelle est en effet largement lié aux exportations des productions de son arrière-pays et aux importations de marchandises destinées à ce dernier. Foires et marchés constituaient alors le moyen essentiel, sinon unique, du drainage de ces flux constants de marchandises. Jean Chapelot rappelle ainsi que ce sont, en 1438-1439, 2135,5 boisseaux de froment, avoine et autres céréales qui sont vendus à Thors, essentiellement à des marchands de Saint-Jean-d’Angély, Saintes, Cognac et Taillebourg529. Ces blés partaient pour les assemblées commerciales de ces bourgades, qui toutes figurent aux XVe-XVIe siècle au sommet de la hiérarchie des places de foires et marchés, d’où ils étaient expédiés par la Charente vers La Rochelle (par le bais de marchands rochelais attestés à Taillebourg au XVe siècle) pour être ensuite exportés vers l’Espagne. Cette activité commerciale, qu’un dépouillement systématique des épaves de minutes notariales ou des comptes du chartrier de Thouars conservés permettrait de mieux mettre en valeur, dynamisait l’économie locale d’échanges d’Aunis-Saintonge à partir des productions naturelles (vins, blés, bois) et artisanales (draps, verrerie, poterie...)530, appuyant le développement des foires et marchés grâce à la locomotive que représentait le commerce rochelais. Cette logique de contagion du dynamisme commercial explique en partie le rôle clé des assemblées dans la reconstruction économique de la Saintonge de l’après-guerre, que ne traduisent pas forcément leurs recettes. La volonté, croissance économique aidant, de s’insérer dans les courants d’échanges qui structuraient l’aire d’influence rochelaise grandissante, en fonction de pôles commerciaux satellites, explique l’insistance de plusieurs sites, comme Boutiers, à partir du XVIe siècle, d’obtenir des assemblées pour tirer profit des surplus locaux et du passage des marchands. Pour autant, cette logique de contagion supposait, par définition, l’existence d’un grand commerce bien structuré. De là le fait que le réseau des foires et marchés aunisien, grâce à la proximité et à l’activité du pôle rochelais, se soit maintenu ou ait achevé sa reconstruction bien avant celui de Saintonge, où le moteur ne jouait pas à plein, suite aux difficultés de Saint-Jean-d’Angély, Saintes et Cognac, ainsi que du fait de la rétraction de l’influence économique rochelaise à son arrière-pays immédiat. Ce même processus de contagion du dynamisme commercial favorisait la hiérarchisation des places de foires et marchés, au profit des plus importantes capables de drainer les surplus d’un vaste arrière-pays dépendant, pour les mettre au service des marchands alimentant le commerce rochelais. En plus des niveaux différenciés de revenus analysés plus haut, cette hiérarchisation transparaît à travers des traces indirectes.

  • 531  A.N., 1 AP 181, f° 64-69. Communication de J.-C. Bonnin.
  • 532  B.M.C., MM 32, p. 400 (1485) : « Comme feu nostre très cher seigneur et père que dieu abs (...)
  • 533  B.M.S., ms. 523, n° 5 : adjudication des fermages de Cognac (1411). La boucherie est réor (...)
  • 534  En 1535, il est question de cette boucherie, qui est opposée à l’antienne boucherie du XI (...)
  • 535  B.M.C., MM 32, p. 402-405 : « Nous avons ordonné que les bancs de la poissonnerie de nost (...)
  • 536  « Jonzac et Ozillac », op. cit., p. 266, procès à propos du partage de la seigneurie de J (...)
  • 537  A.N., 2 AP 13, pièce 10. Il y est fait mention d’une rente assise sur deux pièces de terr (...)
  • 538  B.M.L.R., ms. 300, f° 111-112.
  • 539  A.D. 17, H 76, p. 8 et 29. L’abbesse de Saintes, après la destruction de la halle de l’ég (...)
  • 540  J. Chapelot, « Société rurale et économie de marché », p. 99, note.
  • 541  La datation par dendrochronologie des piliers extérieurs de la halle de Cozes fait remont (...)
  • 542  B.M.S., ms. 632 (1482), et ms. 610, p. 36, 40 et suiv. (notes prises dans le terrier de 1 (...)
  • 543  A.D. 17, 20 J 1845, pièce 13, où il est question d’« ung vergier assis derrière la hasle (...)
  • 544  Terrier de Beauvais-sur-Matha, éd. C. Nau, Contribution à l’histoire de l’Aunis et de la (...)
  • 545  A.N., JJ 2451, et A.D. 17, E 246, censif de Gémozac, p. 8, 10, 13 etc. Ce censif semble m (...)
  • 546  Voir note 483, p. 159.
  • 547  A.N., JJ 208 n° 14, f° 7 v°.
  • 548  Documents inédits sur l’Aunis et la Saintonge, éd. P. Marchegay, p. 111-112.
  • 549  B.M.L.R., ms. 300, f° 110 et suiv.
  • 550  A.N., JJ 245 A, n° 262 bis, f° 73 v° (Mirambeau) et A.N., JJ 2451, n° 297, f° 82 v° (Tonn (...)

68La première de celles-ci est la présence de halles. Beaucoup, on l’a vu, ont souffert du manque d’entretien pendant la guerre, imposant des travaux de rénovation ou une reconstruction que seuls les sites les plus actifs ont pu réaliser. L’on a ainsi vu, en 1484, 40 sous être affectés à la réparation de la halle de Marans en ruine faute d’entretien au cours des années précédentes531. À Cognac, où la halle était encore ruinée en 1410-1411, celle-ci est reconstruite sous Jean d’Orléans et ses successeurs à partir du milieu du siècle532. Elle est un des maillons de l’étoffement des infrastructures du commerce local au cours du XVe siècle. La boucherie, mentionnée en 1411, continue à être régulièrement attestée533 mais, peut-être face à la croissance de la fréquentation, une nouvelle halle aux bouchers doit être mise en service534. À cette occasion, un jeu de chaises musicale est l’occasion de mieux connaître les infrastructures commerciales cognaçaises : en 1500 en effet, une nouvelle halle est réalisée pour abriter la paneterie. L’ancien site de celle-ci est attribué à la poissonnerie, qui elle-même laisse la place aux nouveaux bancs des bouchers535. De manière générale, les halles se multiplient en Saintonge, signe de la prospérité retrouvée des assemblées. À Jonzac, où le marché est rétabli en 1473, de vastes nouvelles halles sont mentionnées en 1513, dont l’entretien coûte plus de douze livres par an. Cette importante somme, couverte par le « droit de langues », imposait pour la rentabilité des infrastructures une importante fréquentation du marché et des foires536. En 1518, la halle de Mirambeau était de même récente537, et au début du XVIe siècle un bâtiment venait d’être construit à Dompierre538. À Marennes, deux halles remplacent au XVe siècle l’édifice détruit quelques décennies plus tôt pour laisser place aux fortifications. Elles appartiennent aux deux autorités seigneuriales du bourg, les Villequier et l’abbaye de Saintes, qui y avaient chacune leurs foires et marchés539. On couvre également de tuiles la halle de Saujon en 1476, ce qui est sans doute la dernière main apportée aux travaux de construction540, contemporains à la reconstruction de la halle de Cozes541. Montlieu, qui ne possédait qu’une « place du marchié » en 1482, est équipée avant 1525 d’une « halle et marché »542. Certains sites ont construit très rapidement des halles après s’être vu octroyer des foires par le roi. C’est le cas d’Écoyeux, qui possède des foires depuis 1500, et est équipé d’une halle dès 1514543, ou de Beauvais-sur-Matha, qui, après les octrois de foires de 1452 et le rétablissement du marché de 1460, se dote d’une halle avant 1491544. De la même manière, Gémozac, qui obtient des assemblées en 1530, possède une halle dès avant 1547545. L’ampleur du mouvement de création des halles témoigne à elle seule du dynamisme retrouvé du commerce local d’Aunis-Saintonge : quinze halles marchandes (sans compter les minages, boucheries, poissonneries et autres triperies) étaient attestées entre 1150 et 1340, mais entre 1450 et 1550 ce sont au moins 29 qui apparaissent explicitement dans la documentation, pour 80 sites (soit un remarquable taux d’équipement de 36,7 %). Cette floraison concerne d’abord les principales places commerciales (Marans, Surgères, Taillebourg, Barbezieux, Cognac, Marennes...), mais également d’autres a priori moins actives (Esnandes). Une autre trace indirecte du dynamisme des places commerciales est révélée par l’octroi de foires supplémentaires à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle aux bourgades les plus actives. Dès 1451 Marennes, qui possédait déjà deux foires et un marché contrôlés par les abbesses de Saintes, en obtient deux autres et un nouveau marché à la demande d’André de Villequier, même si la rivalité entre les deux seigneuries plus que la situation économique peut expliquer cet étoffement546. Le véritable pionnier du mouvement paraît être Taillebourg, puisque dès 1480, à l’occasion du rétablissement du marché, sont ajoutées quatre foires aux deux anciennes547. À Cozes, l’activité est également suffisante en 1491 pour créer deux nouvelles assemblées en plus des deux rétablies avant 1452548. À Dompierre, c’est en 1496 que l’on crée trois foires en plus des trois qui y existaient précédemment549. Une nouvelle vague d’augmentation du nombre de foires se repère au cours des années 1530 : trois foires s’ajoutent alors aux deux anciennes de Mirambeau, et une nouvelle foire est établie à Tonnay-Boutonne550.

69Au terme de cette analyse, l’on ne peut que constater la récurrence des signes de prospérité des assemblées commerciales locales, qui montrent toute l’importance que celles-ci ont pu prendre dans la reconstruction économique des seigneuries. Le croisement des trois grands critères de hiérarchisation distingués (recettes, présence de halle, nombre de tenues de foires et marchés) révèle d’ailleurs la prééminence des principaux chefs-lieux de châtellenie (Barbezieux, Jonzac, Pons…) ainsi que des satellites et autres relais du commerce rochelais (Marans, Cognac, Marennes…). Celle-ci ne doit pas éclipser les multiples sites de foires et marchés ruraux, aux revenus souvent médiocres, qui se multiplient à la faveur de la reconstruction ou tirent profit du commerce de La Rochelle dans son immédiate périphérie. Reconstruction puis croissance économique ont définitivement renforcé la hiérarchisation des places commerciales perceptible depuis le XIIIe siècle, tout en favorisant la pénétration de l’économie de marché jusque dans les campagnes saintongeaises. Un cercle vertueux de croissance se mit donc en place sur des principes similaires à ceux du XIIe siècle : défrichements et construction de nouvelles fermes stimulent l’artisanat local (outils, meubles, céramique...) et entraînent une hausse de la production qui, encourageant l’essor démographique, permet aussi la croissance du commerce local. L’essor démographique à son tour entraîne une augmentation de la demande en biens sur le marché en même temps qu’il stimule les défrichements, etc. L’imbrication entre mouvements de reconstruction et d’essor commercial proprement dit est à comprendre à l’aune de ce cercle vertueux : non seulement le rétablissement et la création de foires et marchés était un outil de la reconstruction commerciale, mais en plus ils participaient au mouvement général de croissance dont ils étaient un témoin. C’est ce faisceau de facteurs, l’un directement économique (suivre l’essor de l’activité par la création d’assemblées) et l’autre plus proprement psychologique (supposer que ces nouvelles foires, par l’afflux de population, augmenteront les revenus de la seigneurie) qui explique le caractère inflationniste des sites de foires et marchés. L’interaction de ces facteurs parfois contradictoires fit jouer à plein la hiérarchisation des sites de foires et marchés. Les foires et marchés apparaissaient comme un véritable outil de reconstruction, mais psychologique et sélectif. Ils ne créaient pas toujours l’essor économique, ayant eux-mêmes besoin d’une conjoncture favorable pour émerger du lot. Mieux encore, la naissance d’une assemblée pouvait se faire aux dépens des réunions voisines, comme on l’a vu lors de la restauration de la foire de Saint-Jean-des-Sables qui contribua à limiter le revenu moyen des assemblées de la baronnie de Châtelaillon. Principale ferme en deniers de la seigneurie, les foires et marchés servent de vitrine à celle-ci et à sa bonne santé économique, ce qui les fait percevoir comme l’outil fondamental de toute croissance des revenus, d’où les inflations irrationnelles du montant des fermes lors des créations de foire, comme à Esnandes, suivies d’un dur retour à la réalité. La foire ne crée pas en effet le commerce, elle en vit et, si elle peut le stimuler ou relayer les grands courants d’échanges au niveau local, elle nécessite toujours un contexte économique et politique favorable.

70Cette importante partie s’achève. Elle a permis d’appréhender le rôle crucial des foires et des marchés dans l’économie saintongeaise de l’an mil au milieu du XVIe siècle. Les assemblées commerciales se sont appuyées sur le développement du commerce international qui caractérise la Saintonge, et surtout l’Aunis, dès le XIe siècle. Pivots et parfois uniques canaux des transactions commerciales, foires et marchés ont su répondre aux nécessités économiques du XIIIe siècle tout en restant fidèles aux intérêts seigneuriaux, symboliques et économiques, qui les avaient fait naître. Ce compromis explique la commercialisation accélérée dont bénéficient Aunis et Saintonge au XIIIe siècle. Un réseau densément maillé se met en place, qui répond si bien aux besoins quotidiens des populations, même rurales, qu’elles en arrivent à ne plus pouvoir s’en passer. D’où le désastre commercial que représente l’irruption des « malheurs des temps », à partir du milieu du XIVe siècle quand la peste, devenue endémique, et les catastrophes climatiques régulières désorganisèrent les circuits d’approvisionnements des marchés en productions et en clients. Le principal fléau n’en était pas moins la guerre. C’est elle, en maintenant un contexte d’insécurité (les marchands sont les premières cibles des rapines), qui provoque la véritable déstabilisation du réseau commercial, et sa réorganisation en fonction des points fortifiés. Dans ces circonstances, l’ampleur du choc fut inégale : si le sud de la Charente, théâtre de guerre permanent, connut les plus profondes destructions et une ruine presque totale du réseau des échanges (région de Cognac vers 1378), les zones plus septentrionales, et particulièrement l’Aunis, ne subirent que marginalement, après les années 1380, les ravages de la guerre. Elles parvinrent même, localement, à étoffer leur maillage de places de marchés au sein d’un réseau se maintenant largement, et à tirer pleinement parti de la « petite reconstruction » du début du XVe siècle. C’est ce qui explique que, la paix revenue, la réorganisation commerciale soit assez peu active et achevée dès les années 1460 en Aunis, alors qu’elle commençait tout juste en Saintonge méridionale (rétablissement des foires de Jonzac en 1473). Lorsque cette dernière est partout achevée, à la fin du XVe siècle, et que commence l’essor économique du « beau XVIe siècle », le réseau des foires et marchés paraît assez proche de ce qu’il était au XIIIe siècle, même si la prérogative royale a été définitivement acceptée en matière de création d’assemblée. Il n’est qu’une reproduction plus étoffée de celui du XIIIe siècle, largement bâti sur les mêmes logiques. Des logiques économiques, qui conduisent à la hiérarchisation des places commerciales. Mais aussi des logiques structurelles dans l’armature des foires et marchés, qu’il faut maintenant analyser dans leurs permanences et leurs évolutions du XIe au XVIe siècle.

Notas

1  « (...) Vendam de omnibus feriis, et de omnibus rebus que per totum annum venditure sunt (...) » (Cartulaire de l’abbaye de Baigne, éd. abbé Cholet p. 21, vers 1098-1109).

2  « Arnaudus Engalbert dedit Deo et sancto Stephano terram que est de rua cava usque ad burgum, et usque ad mercatum, pro redemptione anime sue, et parentum suorum » (ibid. p. 141, acte contemporain).

3  « (...) V precipuas ferias scilicet in sollempnitatibus Sancte Marie et in festivitate omnium Sanctorum (...) » (« Cartulaire du prieuré de Notre-Dame de Barbezieux », éd. de La Martinière, A.H.S.A. t. XLI, p. 3-4, vers 1043-1060).

4  « (…) Aedificarent ecclesia in foro castri, quod vulgariter nuncupatur Cogniacum » (« Cartulaire de Saint-Léger de Cognac », éd. Dom Estiennot, Antiquités Bénédictines, B.N., ms. lat.12754, p. 408, 1016).

5  « Concessit Embria X et VIII mansiones de alodo juxta mercatum bovile in Ponto » (« Cartulaire de l’abbaye de Saint-Cyprien de Poitiers », éd. L. Redet, A.H.P. t. III, p. 289, vers 1090).

6  « Dederunt (...) totam consuetudinem in foro et in mercato sancti Vincentii » (Grand cartulaire de la Sauve Majeure, éd. A. Higounet-Nadal, tome I, p. 479, n° 885).

7  « Nundinas atque merecatas ecclesia sancti Joannis libere habenda concedimus » (« Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome I », éd. G. Musset, A.H.S.A. t. XXX, p. 266-267, vers 1050).

8  « Duobus mercatis que sunt ad ecclesiam Sancte Marie Magdalene (...) » (« Cartulaire du prieuré de Notre-Dame de Barbezieux », op. cit. p. 145, vers 1083-1106).

9  « (...) Vendicionem in foro venalium rerum (...) » (Cartulaire de l’abbaye de Baigne, op. cit., p. 201).

10  « Pedagio sancti Cipriani ad festum ecclesie in nundinis » (ibid., p. 233-234).

11  Il y est question en effet d’un droit de « vendam diei illius in qua celebratur festivitas Sancti Justi (...) » (« Chartes poitevines de l’abbaye de Saint-Florent », éd. P. Marchegay, A.H.P. t. II p. 132, vers 1100).

12  Un droit de « lamborum venditionem » est ainsi prélevé à Pérignac vers 1073 (« Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome I », op. cit., p. 325-326) tandis que des « vendas ad XII retia mittenda in mare » sont octroyées à l’abbaye de Saint-Cyprien de Poitiers à Angoulins (« Cartulaire de l’abbaye de Saint-Cyprien de Poitiers », op. cit. p. 322).

13  « Cartulaire saintongeais de la Trinité de Vendôme » éd. abbé C. Métais, A.H.S.A. t. XXII, p. 50-52 (1068). Une maltôte y pesait sur le commerce du sel en 1257, ainsi qu’un monopole commercial temporaire (« estanchagium salis venditi ibidem », ibid., p. 133-135). Les bancos Sancti Agniani sont attestés en 1316 (ibid., p. 174-175).

14  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome I », op. cit., p. 192-193 (vers 1086).

15  Ce droit est exclu des dons d’Aliénor aux Templiers de La Rochelle : « (...) preterea militibus Templi donavimus et in eternum concessimus domos quas apud Rochellam habebant, videlicet inoccupatu suo, id est infra clausuras suas liberas prorsus et quiestas ab omni consuetudine, infractione et tolta et tailla et violentia ministerialum nostrorum, excepto teloneo nostro (...) » (« Chartes de la commanderie magistrale du Temple de La Rochelle », éd. L. de Richemond, A.H.S.A. t. I, p. 25).

16  Gallia Christiana, t. II, instrumenta, p. 379-380 : « (…) Trado ad monasterium S. Petri que vocatur Malliacus (…) in mari quoque Alninse in loco qui dicitur Esnenda, et Lonzania, vendas (…) ». Le « Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », éd. Th. Grasilier, p. 58, rapporte que Guillaume de Passavant avait imposé « illa consuetudine que vocatur venda » aux hommes des religieuses de Saintes, dont il règle les modalités : « volumus enim et concedimus, ut illi homines Sancte Marie qui assidue vivent de victu monasterii, per villas, et in ipso capite abbatie, scilicet Sanctonis, numquam reddant vendam de illis suis rebus quas non emerint. Si vero emerent aliquas res quas postea venderent, de illis utique redderent vendam sicuti alii homines ». À Surgères vers 1105, la charte de fondation de l’aumônerie éditée par Paul de Fleury (« Chartes de l’aumônerie Saint-Gilles de Surgères », A.H.S.A. t. VI, p. 10) mentionne une exemption de venda au sens ambigu : « (...) Guillelmus comes Pictavensis commonitus, pro salute anime sue, tempore Radnulphi episcopi, terram in qua domus elemosinaria juxta Sanctum Egidium constructa est, Deo et priori suisque successoribus liberam a decima et a venda et a pasquerio, propriarumque rerum, et ab omnibus consuetudinibus dedit, ut fieret in eodem hospitale in quo pauperes hospitarentur, et infirmi ac debiles confortarentur (...) ».

17  G. Jarousseau, « Essai de topographie historique. Le marché neuf de Poitiers créé à la fin du XIe siècle », B.S.A.O. 5e série, t. IV (2e trimestre 1990), p. 99-100. Ce marché « neuf » est explicitement mentionné en 1119 (ibid., p. 101), alors que dans cette même ville, la « foire au lard » est attestée depuis 1081 (R. Favreau, La ville de Poitiers à la fin du Moyen Âge, t. I, p. 134-136).

18  O. Jeanne-Rose, « Ports, marchands et marchandises. Aspects économiques du littoral poitevin (IXe-XIIe s.) », Les sociétés du Centre-Ouest Atlantique de la Préhistoire à nos jours, actes du colloque tenu à Rochefort, t. I, supplément au B.S.A.O. du 2e trimestre 1996, p. 132. La charte octroyant le marché de l’Hermenault est aussi éditée dans la Gallia Christiana, t. II, instrumenta, § 79-80.

19  R. Favreau, La ville de Poitiers à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 134-136.

20  « Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », op. cit., p. 150 : « duos scana, id est bancos ».

21  Cartulaire de l’église d’Angoulême, éd. abbé J. Nanglard, p. 60-61.

22  « Les marchés hebdomadaires dans les îles britanniques avant 1200 », Foires et marchés dans les campagnes de l’Europe médiévale et moderne, XIVes journées d’histoire internationales d’histoire de l’abbaye de Flaran, p. 42.

23  « Foires et marchés ruraux dans les pays de la couronne de Castille et León du Xe au XIIIe siècle », ibid. p. 50-51.

24  G. Duby, L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval, Champs Flammarion, t. I, p. 234.

25  G. Cherubini, « Foires et marchés dans les campagnes italiennes au Moyen Âge », Foires et marchés dans les campagnes de l’Europe médiévale et moderne, op. cit. p. 73.

26  G. Duby, L’économie rurale… op. cit. t. I, p. 234.

27  Ibid., t. I, p. 233.

28  Cf supra, p. 50, nos remarques introductives sur la confusion entre mercatum et nundina.

29  « Les marchés hebdomadaires dans les îles britanniques… », op. cit., p. 45.

30  Dictionnaire de la France médiévale, article « foire », p. 421. Il n’est pas anodin à ce titre que le terme le plus ancien désignant la foire soit celui de feria, fête religieuse.

31  « Chartes poitevines de l’abbaye de Saint-Forent », op. cit., p. 131-132 : « Notum sit omnibus quod vicecomes Aoeneiaci Guillelmus Assali dedit et concessit monachis Sancti Florentii, in die Pasce, vendam diei illis in qua celebratur festivitas sancti Justi ».

32  « Cartulaire de Notre-Dame de Barbezieux », op. cit., p. 8 (vers 1143) : « Rigaudus (...) donavit partem suam salis in die festo sancti Severini ».

33  « Chartes sur les premiers seigneurs de Barbezieux », éd. La Martinière, A.H.S.A. t. XLI, p. 233 (1316), où le levagium nundinarum sancti Severini est affermé.

34  En 848, la charte qui établissait les foires des Touches-de-Périgny instituait également une foire à Saint-Maixent le jour de la fête paroissiale (« Chartes et documents pour servir à l’histoire de l’abbaye de Saint-Maixent, tome I », éd. A. Richard, A.H.P. t. XVI, p. 13-14).

35  Ph. Contamine (dir.), L’économie médiévale, p. 193. P.-A. Clément, dans ses Foires et marchés d’Occitanie, p. 168, n’hésite pas à affirmer l’origine celte des foires se tenant, aux époques médiévales et modernes, début mai (cycle de Belteine) ou début novembre (cycle de Samain), sans remarquer que ces époques du calendrier sont d’abord des moments importants du calendrier agraire, pour le Celte comme pour l’homme médiéval, justifiant l’établissement au Moyen Âge de foires à cette époque clé, sans que l’on puisse faire jouer de réminiscence celtique, exception faite d’agglomérations gauloises vérifiées…

36  A. Debord, La société laïque dans les pays de la Charente, Xe-XIIe s., p. 440.

37  G. Bois, La grande dépression médiévale, XIVe et XVe siècle, p. 45-46, défend cette idée d’une rupture de l’an Mil, et affirme avec raison que la mutation marchande est l’une des pièces essentielles de celle-ci, souvent négligée.

38  La révolution commerciale dans l’Europe médiévale, traduction française, Paris 1974.

39  Cf supra, introduction, p. 25-26, à propos des foires des Touches-de-Périgny en 848.

40  Cf infra, troisième partie, chapitre I, 1, p. 281-287 : « Foires, marchés, halles, symboles des droits banaux ».

41  La grande dépression médiévale, op. cit., p. 41-42.

42  Les coutumes de Vix du XIIe siècle mentionnent ainsi les nombreuses rentes en natures dues à l’abbaye de Saintes, dont certaines doivent être amenées dans la ville même, sans doute pour être négociées (« Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », op. cit., p. 151-153).

43  De la même manière, le prieuré de Saint-Pierre-de-Jusiers possédait une maison sur le marché de Mantes qui lui servait à négocier ses surplus en nature (G. Duby, L’économie rurale…, op. cit. t. I, p. 236).

44  Voir à ce sujet les remarques de Guy Bois, La grande dépression médiévale, op. cit., p. 45.

45  « Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », op. cit., p. 3 (1047) : « (...) dedimusque ad monetam fabricendam domum juxta arcum pontis sitam (...) ». Une autre charte contemporaine (ibid. p. 70 : « cartam de moneta, cum Gaufridus comes dedit eam ecclesie Beate Marie ») affirme que l’atelier monétaire de Saintes était resté dix ans sans fonctionner (per decem annos inoperata) et que, pour le remettre en ordre de marche, face à l’incapacité des ouvriers locaux, le comte Geoffroy avait dû faire venir des ouvriers d’Angoulême (« et misit ad Engolismam civitatem, et fecit venire trapezetas, id est monetarios, et precepit eis monetam operari et facere : et ita fecerunt »), avant de donner la moitié de cet atelier à l’abbaye, l’autre moitié ayant ensuite été achetée par l’abbesse au second détenteur.

46  A. Debord, La société laïque…, op. cit., relève p. 347 que 76 % des cens stipulés entre 1050 et 1250 le sont en argent, alors qu’au cours de la phase précédente les cens étaient généralement mixtes.

47  R. Britnell, « Les marchés hebdomadaires dans les îles britanniques… », op. cit., p. 39.

48  Voir infra, deuxième partie, chapitre I, 1, p. 176-178 : « Des marchés sous protection : marchés castraux et ecclésiaux ».

49  J. Heers, La ville au Moyen Âge en Occident, p. 163-175, « Le marché à l’ombre des châteaux et des églises ». R. Britnell, op. cit. p. 29, évoque également ce seigneur de Cornouailles qui avait décidé, avant 1086, de déplacer le marché des chanoines de Saint-Stephan dans son château. D’une manière générale, un grand nombre des marchés créés en Angleterre au cours des XIe-XIIe siècles sont associés à la construction de châteaux (ibid, p. 37).

50  « Chartes saintongeaises de l’abbaye de la Couronne », éd. Paul de Fleury, A.H.S.A. t. VII, p. 159-161 (1192-1194).

51  R. Fossier, « Le problème des marchés locaux en Picardie », Foires et marchés dans les campagnes de l’Europe médiévale et moderne, op. cit., p. 23. Cf infra, deuxième partie, chapitre I, 1, p. 178-183 : « Des marchés sous protection : marchés castraux et ecclésiaux ».

52  M. Bur, La formation du comté de Champagne, Nancy 1977, p. 301-303.

53  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, t. I », op. cit., p. 266-267 (1048-1052).

54  Pour les dons des revenus des droits de vente d’Esnandes, Pérignac, Archiac, Aulnay, de la consuetudinem du marché de Royan ou du péage des deux foires de la Madeleine, cf les références en note, supra, p. 75.

55  Cf supra, note 16, p. 76.

56  En cela notre région, comme l’ensemble du royaume, diffère du voisin anglais où, dès le XIe siècle, « les rois normands de l’Angleterre s’attribuent le droit d’autoriser des marchés » (R. Britnell, « Les marchés hebdomadaires dans les îles britanniques… », op. cit., p. 37).

57  Ainsi à Royan, où « Helias et uxor eius (…) dederunt et concesserunt (…) totam consuetudinem in foro et in mercato sancti Vincentii » (Grand cartulaire de la Sauve Majeure, op. cit., tome I, p. 479, n° 885) ; ou à Aulnay, où « Guillelmus Assali dedit et concessit monachis sancti Florentii (…) vendam diei illius in qua celebratur festivitas sancti Justi » (« Chartes poitevines de l’abbaye de Saint-Florent », op. cit., p. 131-132). Les mêmes termes sont employés pour le don du péage de la Madeleine.

58  « Isembertus et uxor sua Siginaldis et Imbald filius eorum concesserunt monachis Sancti Cipriani vendas ad XII retia mittenda in mare in pago Alnisiaco, in marisco Engolins » (« Cartulaire de l’abbaye de Saint-Cyprien de Poitiers », op. cit., p. 322). Isembert est sans doute membre du lignage des Châtelaillon, qui a compté plusieurs seigneurs de ce nom par la suite, et qui au XVe siècle encore possédait Angoulins, où se tenait un marché sous une halle, mais dont les revenus n’étaient pas possédés par les barons (B.M.L.R.., ms. 2691-2692, Mi 139).

59  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, t. I », op. cit., p. 266-267 : « (…) In hac immunitate et libertate sunt etiam duo illi vici intra burgum Sancti Joannis, quorum unus vocatur Rua Alarici, alter Rua Episcopalis. Nundinas atque merecatas ecclesia sancti Joannis libere habenda concedimus. (…) Stagnum de blado et vino, quotiens voluerent, fuerent, et unquam minagium dabunt ; et super stagnum eorum nullus alius stagnum facere audebit. (...) Venda et nommularium et tabulae ejus, abbatis sunt propriae (…) ». La charte laisse également la justice commerciale à l’abbé.

60  « (...) Alduinus Capitalis et Bernardus Vicarius communi consilio concesserunt V precipuas ferias (...) », « Cartulaire de Notre-Dame de Barbezieux », op. cit., p. 3-4.

61  Cartulaire de l’abbaye de Baigne, op. cit., p. 233-234 (XIe-XIIe s.) : « P. Borrelli valletus de Condeon habet feodum ab abbate et ecclesia Beanensi (...) illud quod habet et recipit in pedagio Sancti Cipriani ad festum ecclesie in nundinis ».

62  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, t. I », op. cit., p. 266-267 : « Placuit domino abbati et fratribus ejus monachis, ut, de reddibitus ecclesiae, concederint nobis, pro ipsa procuracione, minagium, fornagium (…), et in panetariis, diebus dominicis, unum denarium, peagium quoque de sale et gemma ».

63  Cartulaire de l’abbaye de Baigne, op. cit., p. 151 : « Mainardus de Cyresio juxta burgum Sancti Stephani burgum suum habebat, in quo nec monachi nec familia illorum ausi erant, neque panem, neque carnem, neque aliquid omnino apprehendere, nisi illis burgensibus qui in terra sua manebant precium ilico redderent. Postea vero Mainardus, pietate Dei commotus, dedit Deo et prothomartyri Stephano (…) ut per omne tempus monachi vel familia eorum hanc consuetudinem quam in propriis burgensibus habebant, in suis propriis qui in terra sua morabantur, eandem acciperent ; nec non etiam mandavit ut de proprio suo cellario vendam monachi, quemadmodum de aliis domibus, ulterius acciperent ».

64  Ibid., p. 201 (1075-1080).

65  « Enjoinct à tous leurs tenanciers et habitans de ladite seigneurie de Fontaines de adsister, ung an durant, une personne de chasque maison audict marché et y porter vandre toutes sortes de danrées qu’ils auroient à vandre, à peine d’un escu d’amende contre chascun des deffaillantz », dit cet acte octroyé en 1483, mais appliqué en 1599 (« Jonzac et Ozillac », éd. Denys D’Aussy et B. de Cugnac, A.H.S.A. t. XX p. 344). En 1393, un conflit avait de même opposé l’abbesse de Saintes, qui possédait le prieuré et une partie de la seigneurie de Marennes, au seigneur laïc de ce bourg, Renaud de Pons. Il portait sur le droit qu’avait l’abbesse de contraindre ou non les tenanciers de Renaud à se rendre à son marché (A.D. 17, H 76).

66  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome I », op. cit., p. 265.

67  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome II », éd. G. Musset, A.H.S.A. t. XXXIII, p. 126.

68  « Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », op. cit., p. 44 (1140) et 58 (1100-1107).

69  Ibid., p. 165-167. Goffridus doit en 1146-1171 trois bœufs, ce qui laisse supposer un enrichissement rapide de l’artisanat au cours du siècle.

70  Ibid., p. 44 (1140) et 58 (1100-1107).

71  « Cartulaire du prieuré de Notre-Dame de Barbezieux », op. cit., p. 5 (1068-1083).

72  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome I », op. cit., p. 59 (1101).

73  « Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », op. cit., p. 165-167 : il doit pour sa part quatre bœufs en 1146-1171, confirmant nos remarques précédentes (note 69).

74  Ibid., p. 166-167.

75  A. Debord, La société laïque…, op. cit. p. 201, note 86.

76  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome I », op. cit., p. 209 et 342 (1060-1091). Un Marcardus est également mentionné au XIe siècle (ibid., p. 16).

77  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome II », op. cit., p. 78 (vers 1098) et 113 (1060-1108).

78  « Cartulaire du prieuré de Notre-Dame de Barbezieux », op. cit., p. 11, 50, 96 et 138.

79  « Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », op. cit., p. 58 (1100-1107), 89 et 165-167.

80  Ibid., p. 62 : « (…) Donamus et firmiter concedimus ecclesie Sancte Marie sanctimonialium sanctonice civitatis ribatgium, et penitus quicquid consuetudinis habebamus in navibus Beate Marie afferentibus vel referentibus per Taleburgum (...) ».

81  « Chartes du prieuré de Saint-Nicolas de Royan », éd. A. Dupré, A.H.S.A. t. XIX, p. 29.

82  Cartulaire de l’abbaye de Baigne, op. cit., p. 228 : « (...) Quoniam Ilduinus, filius Iterii de Berbezil, pro anima sua et patris et matris sue dedit Deo et sancto prothomartyri Stephani de Beania, et monachis ibidem eo servientibus ut quidquid necessarium ex suo honore emere vellent, sine pedagio ad suum monasterium deferre liceret (...) ».

83  R. Fossier, dans son étude sur « les problèmes des marchés locaux en Picardie » (op. cit., p. 17 et note 6), rejoint notre idée d’un développement économique qui prend son véritable essor lors de la seconde moitié du XIe siècle : sur les 10 sites de péages les plus anciens qu’il recense, sept apparaissent entre 1042 et 1095. Les échanges s’amplifient donc nettement à cette époque, développant foires et marchés, qui pour la plupart apparaissent après les années 1040 en Saintonge.

84  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome I », op. cit., p. 149.

85  Ibid., p. 125.

86  « Cartulaire du prieuré de Notre-Dame de Barbezieux », op. cit., p. 57.

87  Cartulaire de l’abbaye de Baigne, op. cit., p. 23 et 228 (1083-1098).

88  « Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », op. cit., p. 50, 80 et 89.

89  Ibid., p. 165-167 et 154.

90  O. Jeanne-Rose, « Ports, marchands et marchandises. Aspects économiques du littoral poitevin (IXe-XIIe siècles) », op. cit, p. 115-142.

91  Cf. supra, notes 45 et 46, p. 81.

92  « Venda et nommularium et tabulae ejus, abbatis sunt propriae », dit le diplôme de la comtese Agnès (« Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome I », op. cit., . p. 266-267).

93  Dans la transaction avec le seigneur d’Aujac vers 1097, citée plus haut, l’abbé de Saint-Jean-d’Angély fait don au frère de celui-ci de « quinque ulnas de panno qui dicitur de Partiniaco », signe de la pénétration du drap de Poitou sur le marché angérien (« Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, t. I », op. cit., p. 149).

94  « Cartulaire de l’abbaye de Saint-Cyprien de Poitiers », op. cit. p. 289, vers 1090.

95  Cartulaire de l’abbaye de Baigne, éd. de l’abbé Cholet p. 151.

96  « (...) Stagnum de blado et vino, quotiens voluerent, fuerent, et unquam minagium dabunt (...) ».

97  Cf supra, note 32, p. 78.

98  « Cartulaire de l’abbaye royale de Notre-Dame de Saintes », op. cit., p. 86 : « et si aliqui horum hominum vel mulierum foras duxerint fasciculos lane, ad vendendum, aut pannos factos, unum denarium ».

99  A. Debord, La société laïque dans les pays de la Charente…, op. cit. p. 359.

100  G. Bois, La grande dépression médiévale…, op. cit., p. 50.

101  La société laïque dans les pays de la Charente..., op. cit. p. 355, note 142.

102  « Cartulaire saintongeais de la Trinité de Vendôme » éd. Ch. Métais, A.H.S.A. t.XXII, p. 50-52 et 174- 175.

103  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély », op. cit. t. II, p. 158-159 : « (...) Reclamabant enim injuste quasdam malas consuetudines et quasdam capturas in Yvias, in salinas scilicet Sancti Joannis, quae sunt apud Aitreiam et quae sunt apud Ultronum et in loco Agolinensi. Metuabant etiam sal quando erat carum, et reddebant quandio erat vile, et alias pluresquam torturas salinis illis inferebant. Quas omnes (...) dimiserunt. Concesserunt etiam ut domnus abbas vel decanus Yviae sal de salinis, quocunque causa vendendi, navibus portare vellent, libere et absque contradictione portarent, sibi tantum, de ipsis navibus, reddito ritbargio. Si vero subdefecisset ad navigium implendum, de coetero sale licentiam emendi haberet sufficienter, salinarius quoque nostri peculiarii suae inde abstrahere et portare quocunque voluerint, et, quibuscunque modis voluerunt, potuerunt, reddita consuetudine. In eodem placito, de vino se nihil querere professi sunt, ubicunque fratres vendiderint vel portaverint (...) ». Ce fait témoigne de la régularité, dès cette date, du trafic commercial du sel.

104  J. Chapelot, Navigation et milieu fluvial au XIe siècle : l’épave d’Orlac (Charente-Maritime), Documents d’Archéologie Française n° 48, Paris 1995, p. 130.

105  À Taillebourg, où existait un port saunier, la rue saunière, une des principales de la ville, est mentionée en 1299 (A.H.P. t. XXX, p. 4-5), puis aux XIVe-XVe siècles (« Répertoire des titres du comté de Taillebourg », éd. G. Tortat, A.H.S.A. t. XXIX, p. 49, 76, 77, 95, 96, 102 etc. ; et A.H.S.A. t. XIX, p. 88 et suiv.).

106  La rue saunière y est citée en 1445 (A.N., 1 AP 2131, n° 44).

107  L’on y trouve une rue saulneze en 1332 (« Registres de l’échevinages de Saint-Jean-d’Angély, t. I », éd. Denys-d’Aussy, A.H.S.A. t. XXIV, p. 58).

108  La rue saunière, située près des bancs du marché, y est attestée en 1315 (« Inventaire des titres du comté de Matha », A.D. 17, 1 J 353, t. I p. 175), et une grande quantité de sel est saisie au péage de la ville en 1364 (A.D. 17, 1 J 369-15, pièce 3).

109  Ce « chemin saunier » n’est autre que la voie sur laquelle Vulgrin Ier avait au IXe siècle construit les forteresses de Matha et Marcillac pour couper la voie aux pillards scandinaves (voir introduction, p. 15). Xambes et Marcillac étaient deux points de péage sur le sel (J. Chapelot, Navigation…, op. cit. p. 130).

110  Le cartulaire de Saint-Cybard y mentionne vers 1041-1043 les « asinarios qui portant salem de junchatas », et un tonlieu y est mentionné vers 1089-1101 (A. Debord, La société laïque…, op. cit., p. 356).

111  R. Favreau, « Le port saunier de Cognac au Moyen Âge », 95e congrès des sociétés savantes, Besançon 1974, p. 69-81. Le droit du sel, payé au port de Taillebourg par les navires remontant la Charente vers Cognac, est mentionné au XVe siècle (« Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 53, 60, 88…).

112  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély », op. cit. t. I, p. 363 (Vayres, sur la Gironde, 1092), et Cartulaire de l’abbaye de Baigne, op. cit., p. 43 (Montpon).

113  « Cartulaire saintongeais de la Trinité de Vendôme », op. cit., p. 49 : « praeterea libertatem inibi videlicet apud Olerum nostri salis venumdationi concessit, ut si forte venumdetur sal de dominio comitis, non ideo nostrum venundare prohibeatur nostro venditori ; si autem nobis nostrum, vel nostris hominibus suum sal alias transferre placuerit, habeamus liberam quocumque voluerimus, annuente comite Gaufredo, transferendi licentiam (...) ».

114  A. Debord, La société laïque dans les pays de la Charente…, op. cit. p. 357-358.

115  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély t. II », op. cit. p. 80 : « Ego, Petrus de Bogl, dominus autem Riencis castri, do et concedo Deo et sancto Baptistae Joanni Angeriacensis, per manum domni abbatis, totum censum et consuetudinem, ex integro, ilarum suarum navium quae, per mare meum, transiturae sunt ; pro salute autem mea et parentum meorum. Proprias naves Sancti Joannis sanas et ab omni impedimento liberas ». Pour Châtelaillon voir le texte indiqué en note 104, p. 77 : « In eodem placito, de vino se nihil querere professi sunt, ubicunque fratres vendiderint vel portaverint (...) ».

116  J. Chapelot, Navigation..., op. cit. p. 130.

117  « Cartulaire du prieuré de Notre-Dame de Barbezieux », op. cit., p. 3-4 et 7-8.

118  « Recueil de chartes sur les premiers seigneurs de Barbezieux », op. cit., p. 233-234.

119  Lors du transfert du marché de Bourgneuf du dimanche au samedi en 1372, le commandeur de la place affirme ainsi que ses prédécesseurs ont joui « paisiblement sans interrupcion, empeschement ou contradiction, par l’espace de vint et cinq ans et plus » de ce marché, qui remonte donc à la première moitié du XIVe siècle (Ordonnances des rois de France..., t. V, p. 605-607).

120  R. Favreau, « Aspects de la vie économique dans le Centre-Ouest, fin XIIIe-début XIVe siècle », B.S.A.H.C. année 1971, p. 523. La teneur de cet article est reprise dans la thèse de doctorat d’État de l’auteur, La ville de Poitiers à la fin du Moyen Âge. Une capitale régionale, publiée par les M.S.A.O. 4e série, t. XIV, p. 136.

121  Certaines assemblées sont de création royale, telles celles de Saint-Liguaire créées par Jean-sans-Terre en 1210 (Mém. stat. et hist. Deux-Sèvres, 1906, p. 18), d’Esnandes par Philippe le Bel en 1312 (« Documents relatifs à l’histoire de la Saintonge et de l’Aunis extraits des registres du Trésor des Chartes », éd. P. Guérin, A.H.S.A. t. XII, p. 75-76), ou de Royan par Charles IV en 1327 (A.N., JJ 64, f° 265 v°, n° 491). D’autres sont créées ou autorisées par des seigneurs : foire de Chevallon en 1218 octroyée en fief par le seigneur de Matha à celui de Mons (A.D. 17, 1 J 353, p. 2), deuxième marché de la Foye-Monjault autorisé par le seigneur de Chizé aux religieux de Montierneuf (« Recueils des documents relatifs à l’abbaye de Montierneuf de Poitiers », éd. F. Villard, A.H.P. t. LIX, p. 239-243) et don d’une nouvelle foire par le seigneur de Pons à l’Hôpital Neuf (fin XIIe s.), qui est celle qui, en 1287 se tient dans le bourg de ces religieux (« Chartrier de Pons, t. I », éd. G. Musset, A.H.P. t. IX, p. 310 et p. 45-47).

122  R. Favreau, « Aspects de la vie économique... », op. cit., p. 522-523.

123  Prenons l’exemple de Royan : dès les années 1090, l’on y trouve un marché (cf supra, p. 75). En 1174 sont en plus mentionnés pour la première fois le marché et la foire de Saint-Pierre, à l’extérieur du castrum (A.N., JJ 78 n° 216, f° 173 et suiv.), qui remontent sans doute plus haut vers le XIe siècle. En 1290, ce sont les foires et marchés seigneuriaux de la ville qui sont cette fois évoqués par Robert de Matha (« Matha, Mornac, Royan, Arvert », éd. Denys D’Aussy, A.H.S.A. t. XVI, p. 227). Ce qui n’empêche pas, curieusement, le roi d’octroyer en 1327 une foire aux « consules et habitatores ville nostre de Royano », acte qui paraît lié aux opérations militaires en Saintonge des années 1320 au cours desquelles le roi se serait emparé du bourg. Cet exemple relativise la thèse de Robert Favreau : celui-ci, qui n’avait eu connaissance que du document de 1290, estimait en effet que les marchés de Royan remontaient à cette date et étaient symptomatiques de la croissance qu’il évoquait. Si, certes, ils le sont bien, ils sont aussi plus anciens, ce qui n’est d’ailleurs en aucun cas contradictoire.

124  G. Duby, L’économie rurale…, op. cit., t. I, p. 235.

125  Cf infra, deuxième partie, chapitre II, 2, p. 198.

126  A. Lombard-Jourdan, « Les foires aux origines des villes », Francia t. X, 1982, p. 445.

127  R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit., p. 136.

128  H. Clouzot, « Etat des cens et rentes dus au comte de Poitiers à Niort », M.S.A.O. année 1903, p. 448- 450.

129  Abbé Lacurie, Histoire de l’abbaye de Maillezais, pièces justificatives, p. 306 : on y mentionne la « platea in qua aedificata est cohua mercati Volventi ».

130  Elle est récente en 1246 (« Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., p. 130 : « pro hala de Fronteneio de novo facienda, et uno molendino de novo faciendo, LV lib. XVIII sol. »), mais existait pourtant déjà avant 1242, quand un accord entre le comte de la Marche et le prieur de Frontenay stipule que Hugues de Lusignan doit une rente sur cette halle aux religieux, pour l’avoir fait bâtir dans le cimetière (Enquêtes administratives d’Alphonse de Poitiers, op. cit., p. 85 et 120).

131  A.H.S.A. t. IV, p. 192-195 : le bail des fermes des bailliages et prévôtés de Saintonge en 1259 mentionne « la prévosté de Saint-Johan-d’Angeli, les hales et le port ». La construction en est dûe au sénéchal Jean de Sens (1255-1265), d’après une enquête des environs de 1266 (Enquêtes administratives d’Alphonse de Poitiers, op. cit., p. 201-202).

132  « Les comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. G. Musset, R.C.A.M. t. XIV, p. 110-124.

133  « Réclamations par Foulques de Matha... », éd. P. Marchegay, Bull. du Com. des Trav. Hist., année 1883, p. 32 à 36. Ce document, de la fin du XIIIe siècle, affirme que les halles de Saintes sont possédées par le roi et ses devanciers seigneurs de Saintes depuis plus de 40 ans, et que la construction de ces halles a été réalisée du vivant de Foulques, donc vers le milieu du siècle. Elles sont mentionnées dans le bail des fermes de 1259 en même temps que celles de Saint-Jean-d’Angély.

134  Celle-ci est réparée en 1306 en même temps que celle de Saint-Xandre, ce qui permet de supposer qu’elles sont de la même génération (Comptes royaux (1285-1314), t. II, éd. R. Fawtier, p. 162-163). Dès 1247 sont mentionnées des foires à Benon (A.H.P. t. XXV, 1895, p. 320).

135  Layettes du Trésor des Chartes, t. III, éd. J. de Laborde, n° 4380, p. 383.

136  Enquêtes administratives d’Alphonse de Poitiers, op. cit., p. 263.

137  Elles sont reconstruites par le comte au préjudice de la commune, qui proteste vainement, en 1259 (« État des cens et rentes… », op. cit., p. 448-450). En 1261 il est question de la « cohua nova de Niorto » (Enquêtes administratives d’Alphonse de Poitiers, op. cit., p. 119), qui est dite en 1354 « la plus grant et la plus belle cohue du royaume de France » (A.H.P. t. XVII, p. 177-178).

138  « Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., p. 95.

139  Enquêtes administratives d’Alphonse de Poitiers, op. cit., p. 200 : « absolvatur dominus comes ab impeticione dictorum Brientii et Agnetis, uxoris sue, quantum ad usagium cohue, quia quantum ad cohuam usus non est probatus ». L’aveu de 1384 du seigneur de Mauzé mentionne cependant la possession de ce droit d’usage (A.H.S.A. t. XV, p. 146-151).

140  « Recueil des documents concernant le Poitou contenus dans les registres de la chancellerie de France, t. I (1303-1333) », éd. P. Guérin, A.H.P. t. XI, p. 35 : « concedimus quod (...) habeant, possideant et explectent imperpetuum pacifice et quiete dictum usagium in dicta foresta nostra ad edificandum, reedificandum et ardendum, et ad omnia sua neccessaria facienda, videlicet (...) cohua, furnis, molendinis (...) ».

141  Rôles Gascons, t. II, éd. Ch. Bemont, p. 548 n° 1790 : « injunxit quod domos nostras, mariscum, vineas et halas et alias res nostras ibidem existentes que erant quasi destructe (...) reparari et emendari faceret ».

142  « Réclamations par Foulques de Matha... », op. cit., p. 32-36, mentionnant « une autre cohue qui a esté fete puys douze anz en ençay », qualifiée en 1301 d’« apant de vielhe cohue » (« Documents relatifs à l’histoire de la Saintonge et d l’Aunis extraits des registres du Trésor des Chartes », op. cit., p. 18-19).

143  Foedera..., t. II, partie 1, éd. Th. Rymer, p. 143 : « Dedit intellegi dominus de Credonio quod, si ibidem construeretur domus, vocata cohna, Rex lucraretur quinquagintas libras rendales (...) ».

144  La halle de Cognac existe dès la seconde moitié du XIIIe siècle (P. Martin-Civat, Cognac et les Cognaçais des origines à nos jours, t. II, p. 308) ; à Cozes une rente est concédée en 1299 sur la cohue (A.H.S.A. t. I, p. 57-60) ; la halle de Marans est mentionnée dès 1289 (« Cartulaire de l’abbaye de la Grâce-Dieu », éd. G. Musset, A.H.S.A. t. XXVII, p. 178-179) ; celle de Barbezieux, qualifiée de domus mercati, l’est en 1316 (« Recueil de chartes sur les premiers seigneurs de Barbezieux », op. cit., p. 233) ; celle de Surgères en 1333 (Vialard, Histoire généalogique de la maison de Surgères, p. 63).

145  A. Debord, La société laïque dans les pays de la Charente..., op. cit., p. 320-322, signale un « vigoureux démarrage démographique dès la fin du Xe siècle ».

146  Ibid., p. 18-45.

147  Ibid., p. 325 et 337-341.

148  A.N., JJ 78, n° 216, f° 173 et suiv.

149  Le duc d’Aquitaine accorde alors aux Rochelais des « libertés et libres coutumes ». Voir R. Favreau, « Les débuts de la ville de La Rochelle », Cahiers de Civilisation médiévale t. XXX, 1987, p. 6.

150  En 1152 sont mentionnés les « multitudo hominum tam indigenarum quam advenarum ex diversis orbis partibus illic per terram et per mare applicantium (...) » pour justifier la création d’une seconde paroisse rochelaise (A. Giry, Les établissements de Rouen, t. I, p. 63).

151  Une étude de ce document, publié par A. Bardonnet (« Le serment de fidélité des habitants de La Rochelle en 1224 », A.H.P. t. XX, p. 233-261) a été réalisée par Y. Renouard, « Le rayonnement de La Rochelle en 1224 », B.P.H. année 1961, p. 79-94.

152  A. Michaud (dir.), Histoire de Saintes, p. 102.

153  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, t. II », op. cit., p. XLIII.

154  Histoire de Cognac et des Cognaçais des origines à nos jours, tome II, p. 291.

155  Conscients de cet état de fait, les seigneurs du XVe siècle, lorsqu’ils demandaient la création de foires et marchés dans leur bourg, insistaient souvent sur les avantages démographiques de leurs bourgade : la charte de concession de foires à Saint-Xandre (1462) affirme ainsi que « ledit lieu de Saint Cendre est assis en pays moult fertil et bien peuplé, prochain de plusieurs bonnes villes (...) » (Ordonnances des rois de France... t. XV, p. 363).

156  E. R. Labande, Histoire du Poitou, Limousin, et des pays Charentais, p. 102 et p. 109, rapporte plusieurs exactions seigneuriales et les tentatives de l’Église pour y remédier. Le concile de Charroux de 989 condamnait notamment les laïcs qui attaquaient les églises et les pillaient, ou qui volaient du bétail aux paysans (R. Favreau, « Le concile de Charroux de 989 », B.S.A.O. 1989, 3e trim., p. 217), ce qui n’encourageait guère le commerce et explique l’importance du refuge ecclésial ou cimitérial au XIe siècle. Un refuge cependant tout relatif, puisque vers 1170 encore, Guibert de Didonne « violenter depredavit atque cremavit » le cimetière de l’abbaye de Vaux, subissant l’excommunication (Cartulaire de l’abbaye Saint-Étienne de Vaux, éd. abbé Grasilier, p. 19).

157  R. Favreau, « Les débuts de la ville de La Rochelle », op. cit., p. 8-10.

158  Le tableau que dresse A. Bardonnet de la situation de ces deux dernières communes seules face aux rapines féodales au début du XIIIe siècle, dans Niort et La Rochelle de 1200 à 1224, montre assez que la turbulence des barons maintenait un climat peu propice au commerce.

159  Rot. litt. pat., éd. Th. Duffus Hardy, p. 111, 112. Ces saufs-conduits furent reconduits par Louis VIII en 1224 (Delayant, Histoire des Rochelais, t. I, p. 35).

160  A. Galland, Discours au Roy sur la naissance (…) de la ville de La Rochelle, p. LIX.

161  « Documents extraits des registres du Trésor des Chartes... » éd. P. Guérin, op. cit., p. 160 et 182-187.

162  Gallia Christiana, t. II, instrumenta, p. 478 : « Adjicitur in vendendo res suas, et emendo alienas, seu transeundo per loca ditioni meae subjecta, nihil ab eis exigatur, obtentu cujuslibet consuetudinis, videlicet pascheriae, vectigalium, , et tributi, et talliatae, seu cujuslibet alterius exactionis ».

163  « Cartulaire de l’abbaye de la Grâce-Dieu », op. cit., p. 73.

164  « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély, tome II », op. cit., p. 161.

165  Ibid., p. 167-168.

166  « Cartulaire saintongeais dela Trinité de Vendôme », op. cit., p. 132 : « Cum nos de qualibet navi applicante ad portum religiosorum virorum abbatis et conventus Vindocinensis (...) convenissemus percipere duos solidos et dimidium, de quadam costuma, que dicitur malatosta, et insuper habere estanchangium salis venditi ibidem (...) ».

167  « Chartes saintongeaises de l’abbaye de la Couronne », éd. Paul de Fleury, A.H.S.A. t. VII, p. 159-161.

168  R.-S. Lopez résume ainsi cette nécessité d’approcher les facteurs de la croissance économique des XIIe-XIIIe siècles de manière systémique : « de même que la croissance démographique fut le moteur essentiel du progrès agricole, de même ce progrès agricole fut la base nécessaire de la révolution commerciale ».

169  Les marais salants en Aunis et Saintonge jusqu’en 1789, thèse de l’École des Chartes de 1935, complétée et rééditée par la Société d’Histoire et d’Archéologie de la Saintonge Maritime, Royan 1999, p. 123.

170  Des marchands locaux pouvaient aussi intervenir dans ce grand commerce : en 1199, Aliénor avait accordé aux habitants d’Oléron le privilège de vendre et d’exporter librement le sel (B.M.P., Dom Fonteneau, t. XXVII ter, « Concessimus etiam ipsis et eorum heredibus vina sua et sal suum et omnes ceteras res venales, nullius obstante inhibitione, vendere et quolibet modo distrahere liceat (...) »). Le coutumier d’Oléron réglementait d’ailleurs les ventes de sel (éd. Ch. Bémont, p. 57). Par ailleurs, l’on trouve en 1202 mention au tarif de Bapaume du sel venu d’entre Loire et Gironde, tandis qu’en 1224 les Anglais viennent à La Rochelle « pour le vin et le sel » (R. Favreau, « Les débuts de la ville de La Rochelle », op. cit., p. 27).

171  « Cartulaire saintongeais de la Trinité de Vendôme », op. cit., p. 174-175 : « bancos Sancti Agniani ».

172  « Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., p. 185 (amendes) : « quidam homo de Marempnia, XXV sol., pro venda recelata » (1247).

173  Ibid., p. 178-179 et 221-222 (1247-1248).

174  Foedera..., op. cit., t. II partie 1, p. 142 : « Quando vidit quod modium salis vendebatur in Marempnia quatuordecim libris, ipse fecit seisire generaliter omne sal totius Marempniae, asserens quod Rex eo indigebat ; ita quod nullus poterat habere licentiam vendendi, nisi primo redimeret se in magnâ quantitate salis, vel pecuniae (...). Propter illam generalem saisinam, quia non erant ausi vendere modium salis, devenit ad octo libras ; et tunc ipse habuit mercatores suos cautelose, qui retinebant et habebant omne sal, quod habere poterant pro illo precio ; et tunc fecit onerari naves de dicto sale et misit quasdam apud Lyborniam (...) ». Le document affirme que le sénéchal, après cette honteuse mais fructueuse spéculation sur le sel, aurait gagné 2000 livres. D’autres articles de la plainte font état d’extorsions de sel et de vin, dans la même bourgade.

175  A. Drouin (Les marais salants…, op. cit., p. 114), affirme que « le commerce le plus actif s’effectuait par la grande voie de la Gironde et de la Garonne et ses ramifications ». Elle s’appuie sur les comptes des XIVe et XVe siècles de la coutume de Royan, payée par tous les navires passant devant le port, édités par G. Musset.

176  A.D. 17, H 76, pièce 25, « faicts posez par la dame abbesse de Saintes en l’enqueste de 1393 » relative à ses droits sur les foires, marchés et halle de Marennes (pièce imprimée pour servir au procès de la fin du XVIIe siècle contre les demoiselles de Martel).

177  Les « routes du sel » de Saintonge vers l’Angoumois, la Marche et le Limousin, que nous avons décrites plus haut, étaient toujours actives aux XIIIe-XIVe siècles, et elles le restent au cours de l’époque moderne. Les documents utilisés plus haut pour décrire ces chemins du XIe siècle étaient pour la plupart empruntés au XIVe siècle : Taillebourg, Saint-Savinien, Saint-Jean, Matha, Cognac, sont toutes des places commerciales très actives alors (halles, sauf à Matha, foires et marchés). La présence à Cognac d’un port saunier atteste le rôle d’entrepôt de cette dernière place, où était perçu aussi un « petit péage du sel » en 1349 (« Compte de l’Angoumois… », éd. L. Imbert, B.S.A.H.C. année 1917, p. 122). Un port saunier existait aussi, on l’a vu, à Taillebourg.

178  « Jonzac et Ozillac », éd. Denys d’Aussy, A.H.S.A. t. XX, p. 208. Il existe encore aujourd’hui une « rue des Salinières » à Jonzac, d’époque indéterminée.

179  En 1406, par exemple, deux charretiers de Fontanet avaient été embauchés par Jean Baguenon, prévôt du roi, « pour mener sel du port de la ville de Saint Jehan à Confolens », à une centaine de kilomètres à l’intérieur des terres, sur les marches du Limousin. Le sel avait apparemment été mené par bateau des salines littorales au port de Saint-Jean (« Registres de l’échevinage de Saint-Jean-d’Angély, t. II », éd. Denys-d’Aussy, A.H.S.A. t. XXVI, p. 231). L’on trouve de même en 1410 un homme engagé à Saint-Jean pour transporter du sel à Cellefrouin, en Angoumois (ibid., p. 309).

180  Dès la fin des années 1180 (La Rochelle est née vers 1130), la chronique de Richard le Poitevin décrit La Rochelle en ces termes : « vicum mirabilem de novo constructum qui Rochella nuncupatur ; et quia ibi portus aptus est per mare navigantibus de diversis regionibus multitudo navium causa negociacionis de die in diem advenit » (Recueil des Historiens de France, t. XII, p. 419). Au cours du dernier quart du XIIe siècle l’on trouve en effet trace de fréquents trafics de vin entre Poitou, intégrant le « vin de La Rochelle », et Angleterre (R. Favreau, « Les débuts de la ville de La Rochelle », op. cit., p. 25).

181  Histoire de la vigne et du vin en France, p. 360 ; la société laïque dans les pays de la Charente, op. cit., p. 358.

182  « Un grand commerce d’exportation au Moyen Âge : les vins de France », Annales d’histoire économique et sociale, t. XXI, 1933, p. 227.

183  Y. Renouard, « Le commerce des vins de Gascogne au Moyen Âge », Revue Historique, t. CCXXI, 1959, p. 268, rapporte les avis des contemporains sur la médiocre qualité du vin anglais, et Henri Pirenne, « Un grand commerce d’exportation… », op. cit. p. 232, indique qu’au début du XIIIe siècle, les vins de La Rochelle et de Gascogne deviennent « par excellence la boisson de luxe en Angleterre ».

184  Y. Renouard, « Le commerce des vins de Gascogne… », op. cit. p. 268 : « l’union dynastique de l’Angleterre et des pays de la côte Atlantique favorise l’exportation des vins méridionaux car le roi-duc confère des privilèges en Angleterre aux marchands poitevins et gascons ». Ibid. p. 269 : « c’est surtout aux vignobles d’Aunis et de Poitou (...) que s’adressent au XIIe Anglais et Flamands ». En 1204-1205, Jean sans Terre accorde aux Rochelais exemption de toute taxe, péage et coutume par ses terres, à la seule réserve de la « liberté » de Londres (R. Favreau, « Les débuts de la ville de La Rochelle », op. cit. p. 23- 24). À cette époque de fréquentes transactions avec la Bretagne ou la Normandie font intervenir les vins rochelais (ibid., p. 25), qui inondent l’Angleterre depuis le dernier tiers du XIIe siècle : en 1179 les marchands de vins de Cologne, inquiets par la concurrence des vins de Poitou, sollicitent Henri II afin de vendre leurs vins au même prix que ces derniers. Les vins étaient si abondants en Angleterre que Jean sans Terre en soumit la vente à un prix très modique, contribuant largement à sa diffusion (H. Pirenne, « Un grand commerce d’exportation… », op. cit. p. 234).

185  A. Bardonnet, La Rochelle et Niort de 1200 à 1224.

186  Y. Renouard, « Le commerce des vins de Gascogne… », op. cit. p. 275, indique qu’après la conquête de La Rochelle par Louis VIII, « le courant commercial des vins à destination de l’Angleterre n’a plus qu’une source unique : le vignoble gascon », garanti par tout un ensemble de privilèges.

187  Les vins de France sont cités à Damme, avant-port de Bruges, en 1180, et le vin de La Rochelle arrive pour la première fois à Liège dès 1198, lors d’une pénurie de vins du Rhin (Y. Renouard, « Le commerce des vins de Gascogne… », op. cit. p. 271 et H. Pirenne, « Un grand commerce d’exportation… », op. cit. p. 235). En 1202 le tarif de Bapaume réserve aux vins de La Rochelle un traitement plus favorable qu’aux vins des autres contrées de France (R. Favreau, « Les débuts de la ville de La Rochelle », op. cit. p. 26).

188  H. Pirenne, « Un grand commerce d’exportation… », op. cit. p. 234.

189  Correspondance administrative d’Alphonse de Poitiers, éd. A. Molinier, t. I, p. 409-410, 438-439, 444-445 et 454 (1268), et t. II, p. 613-614 (1264).

190  H. Pirenne, « Un grand commerce d’exportation… », op. cit., p. 242. Le texte de l’accord entre les quatre villes est transcrit dans A. Giry, Les établissements de Rouen, t. II, p. 138-140.

191  Ibid., p. 241.

192  En 1326 encore, Édouard III invitait les Rochelais à exporter leurs marchandises en Angleterre (Delayant, Histoire des Rochelais, t. I, p. 62).

193  A. Bardonnet en a donné une édition dans les M.S.A.O. t. XXXVIII, 1874, p. 55-296, avec en introduction son étude sur La Rochelle et Niort de 1200 à 1224.

194  « Le serment de fidélité des habitants de La Rochelle en 1224 », op. cit., cite les noms de 1360 chefs de famille, ce qui porte la population, une fois déduites les personnes cités plusieurs fois, à 5000-6000 habitants.

195  Cf infra, deuxième partie chapitre III, 3, p. 232 : l’on a recensé entre la fin du XIIIe et la fin du XVe siècle pas moins d’une douzaine de sites de foires et de marchés dans les environs immédiats de La Rochelle.

196  A.H.S.A. t. VIII, p. 396-397 : « ils souplient que nostre seigneur le roi leur relasche la constitucion et li etablissement que la cort de ceanz a fait des jumans : quar li bourgois de la vile de La Rochele ne pueent mie tenir jumans, pour ce que il n’ont prez ne pasturaus ne leus convenables où ils les puissent tenir : quar en tor viron V leus de La Rochele n’a que vingnes (…) ».

197  En 1208 Jean sans Terre confirme la donation de la pessonaria et la paneteria de La Rochelle (Rotuli chartarum… éd. Th. Duffus Hardy, p. 180), et en 1266 est mentionné le lieu « ou l’om vent le peisson » (« Chartes et documents poitevins en langue vulgaire, t. I », éd. Milan-S. LA DU, A.H.P.t. LVII, p. 195). En 1290 la « maison de la couhue qui est le lieu où se vend le poisson » est rachetée par le corps de ville (A. Barbot, Histoire de la ville de La Rochelle, éd. Denys d’Aussy, A.H.S.A. t. XIV, p. 107), où en 1294 la commune baille une place pour 7 livres (B.M.L.R., ms. 2634). La « quehue ou l’en vant le pain » est signalée dès 1355 (A.N., JJ 89, n° 208 f° 93 v° et n° 211 f° 94).

198  Les « bancs aux brocers » sont mentionnés en 1232 (« Chartes et documents poitevins…, t. I », op. cit., p. 310), et en 1286 est évoquée la rue de la Boucherie (« Chartes et documents poitevins…, t. II », éd. Milan-S. LA DU, A.H.P. t. LVIII, p. 225). En 1318 une place vide est cédée près de la porte aux Brotiers pour servir à la boucherie (B.M.L.R., ms. 2634), et en 1346 un banc est baillé sous la boucherie pour 10 sous de rente (ibid.). Cette dernière est arrentée par la ville à 29 bouchers en 1348 (Jourdan, Éphémérides historiques, t. II, p. 98).

199  Le minage est donné à Hélie Bernard par Jean sans Terre en 1199 (Rotuli chartarum…, op. cit., p. 137- 138), et une rente de 100 sous est assignée sur celui-ci en 1208 (ibid., p. 180). Il est vendu à la commune en 1316 (B.M.L.R., ms. 2634).

200  Dès 1199 le « censum de parvo escambio » est donné à Hélie Bernard par Jean sans Terre (Rotuli chartarum…, op. cit., p. 137-138), avant qu’un change royal soit établi en 1213 (Rot. Litt. Claus., éd. Th. Duffus Hardy, p. 129). Il est ensuite signalé régulièrement au XIIIe siècle (entre autres en 1220, Rot. litt. claus., op. cit., p. 425, ou en 1266, « Chartes et documents poitevins…, t. I », op. cit., p. 195).

201  Les halles marchandes de La Rochelle, construites à grands frais par Alphonse de Poitiers en 1261, furent désertées par les marchands au grand dam du comte et de son sénéchal Jean de Sens qui lui avait conseillé cette construction. Alphonse se décida finalement, en 1267, à faire racheter par les bourgeois ce bâtiment et son emplacement pour 6 000 livres, afin de la démolir. Cf infra, deuxième partie, chapitre I.

202  La ville reçoit ainsi confirmation du droit de tenir hôtellerie, ouvroirs et boutiques ouverts pour vendre vins, denrées et marchandises en détail et autrement, « qui sont choses requises en une bonne ville » (B.M.L.R., ms. 3113). En 1267 Alphonse de Poitiers voulait imposer aux bourgeois de La Rochelle, face à l’insuccès de ses halles, qu’ils ne puissent vendre de marchandises en leurs osteus sans son autorisation (Correspondance administrative…, op. cit., t. I, p. 62).

203  Dès 1202 le vicomte de Thouars reçoit l’autorisation de Jean sans Terre pour acquérir des chevaux sur le marché de La Rochelle, opération qui se renouvelle régulièrement par la suite (Rot. litt. pat., éd. Th. Duffus Hardy, p. 12 et suiv.). Si le « marché » de La Rochelle est encore mentionné en 1256 (Layettes du Trésor des Chartes t. III, éd. J. de Laborde, p. 337 et « Chartes et documents poitevins…, t. II », op. cit., p. 312), il est généralement question de marchés spécialisés : en 1286 l’on trouve une rue « dau marché où l’on vent les dras linges » (« Chartes et documents poitevins…, t. II », op. cit., p. 229), puis un marché au cordouan en 1472 (B.M.L.R., ms. 2692 (Mi 139), fol. 14 r°). D’autres marchés spécialisés se tiennent à la poissonnerie, la boucherie et la paneterie, ainsi qu’à la poulaillerie ou à la mercerie (« Documents extraits des registres du Trésor des Chartes... » éd. P. Guérin, op. cit., p. 145, 1315), et dans diverses rues marchandes. D’après Jourdan, Alphonse de Poitiers aurait cédé à la commune l’ensemble de ses droits sur le minage, la boucherie, la poissonnerie, la poulaillerie, la paneterie et la halle aux cuirs (Éphémérides historiques, t. II, p. 229).

204  « Les débuts de la ville de la Rochelle », op. cit., p. 23.

205  Cette halle est reconstruite en 1460 (A. Bardot, Histoire de la ville de La Rochelle, op. cit. p. 339), prenant la forme du « grand engart mal disposé basty de charpente et fort obscur » décrit par Claude Masse en 1718 (Recueil des plans de La Rochelle, légende de la feuille 23).

206  A.N., JJ 139 n° 3 f° 12.

207  A. Giry, Les établissements de Rouen, t. I, p. 317.

208  Ibid., p. 296.

209  Ibid., p. 317, d’après A.N., J 1033, n° 19.

210  « Registres de l’échevinage de Saint-Jean-d’Angély, t. I », éd. Denys-d’Aussy, A.H.S.A. t. XXIV, p. 80. Le début du XIVe siècle semble la grande époque des foires de Saint-Jean-d’Angély : en 1319, elles attirent des marchands jusqu’à Limoux (Actes du Parlement de Paris, éd. É. Boutaric, t. II, Paris 1863, p. 277, n° 5733) !

211  A.D. 17, 1 J 353, premier tome de l’inventaire des titres du duché de Matha dressé par Barbazan, p. 2, 1218 : « (...) Un Robert (probablement de Mastas) a donné en fief à Ugues de Mons et de Chevalon la portion de bois qui luy appartenoit dans le bois Adier, moyennant dix sols, la terre de Arleville pour autres dix sols, le péage de Varieze moiennant cinquante sols, et le droit de tenir une foire tous les ans à Chevalon ».

212  A.D. 17, 1 J 354, second tome de l’inventaire de 1757, p. 216-217, 1294.

213  « Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., p. 105 : « De feno vendito apud Milescutis, LXX sol. De feria ejusdem ville, VIII sol. De vindemia ibidem vendita, XLII sol. De blado ibidem vendito, XXV sol. ».

214  « Enquête ordonnée par le roi Saint-Louis en Poitou et en Saintonge », éd. B. Ledain, A.H.P. t. XXV, p. 320 : « Dicit Galterius Raynerii, parrochianus de Boet, quod Guillbertus Bertonneau, prepositus de Benaum, extorsit ab ipso XXX solidos, hac de causa quod ceperat unum canem in nundinis de Benaum quem canem ipse perdiderat ».

215  Un registre des recettes de cette seigneurie, située sur l’important axe Matha-Cognac, mentionne au XVe siècle les cessions de rentes en nature aux marchands de passage (A.D. 17, 1 J 356-21). Celles-ci se font toute l’année, indépendamment des tenues de foires et marchés à Thors.

216  Les « Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., détaillent régulièrement des achats et ventes effectués par le comte dans les places de Surgères, Marennes, Saint-Jean, Marans, ou du pont de Saintes...

217  Les conflits entre commune et abbaye à propos des droits sur le commerce de Saint-Jean-d’Angély sont surtout connus pour le XVe siècle, et étudiés par Georges Musset en tête du tome II du « Cartulaire de Saint-Jean-d’Angély », op. cit., p. CCVI et suiv. Cette étude montre que boucherie et poissonnerie existaient à Saint-Jean au XVe siècle, mais sans doute aussi dès le XIIIe siècle.

218  L’on y trouve mention, outre des halles, d’une triperie en 1388 (A. Michaud, Histoire de Saintes, p. 110), d’une poissonnerie en 1505 (ibid., p. 126) et d’une boucherie en 1494 (B.M.S., ms 10 MAR jou 24). Comme dans les autres places commerciales saintongeaises, il est probable que ces bâtiments aient existé dès le XIIIe siècle.

219  P. Martin-Civat, Histoire de Cognac…, op. cit., p. 308, et « Compte de l’Angoumois... », éd. L. Imbert, op. cit., p. 121 et suiv.). Un compte de 1410 mentionne la quehue de la boucherie (B.M.S., ms. 523-5), qui est sans doute, étant donnée la situation de la ville à l’époque, antérieure à la guerre de Cent ans. Le minage est mentionné en 1274 (Marvaud, Études historiques sur la ville de Cognac, t. I, p. 112 et t. II, p. 299-304).

220  « Chartrier de Pons, t. I, Censif de l’Hôpital Neuf de Pons », op. cit p. 94, 174, 187, 199, 210, 211, 212, 213, etc., et « Chartrier de Pons, t. II, Chartes de la maison de Pons », éd. G. Musset, A.H.S.A. t. XXI, p. 100, 101, 102, 111, 141, 181 etc. La halle du bourg n’est mentionnée qu’en 1525 (A.D. 17, H suppl. 184).

221  Foedera..., op. cit., t. II partie 1, p. 142 : « (...) Facit eam construi, quae bene decostavit domino Regi quadringentas, vel quingentas libras, et non valebit per annum quicquid dicat, centum solidos ».

222  A.D. 17, 1 J 353, p. 561-562 (1390).

223  « Chartrier de Pons, t. I… », op. cit., p. 113-115 : don par Geoffroy de Rabayne à l’Hôpital Neuf des 20 sous de rente annuelle qu’il touchait sur les revenus des droits de vente de Pons, logiquement beaucoup plus élevés.

224  Foedera..., op. cit., t. II partie 1, p. 142 : la halle n’atteint pas les 100 sous de revenu annuel promis par le sénéchal Arnaud Calcul lors de sa construction.

225  « Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., p. 5 : « in venda scannorum et atque C sol ».

226  Alphonse de Poitiers et Foulques de Matha, coseigneurs des revenus commerciaux de la ville, firent chacun don de 100 sous de rente sur ces derniers : A.H.S.A. t. X, p. 33 pour le don d’Alphonse en 1244 au chapitre de Saintes, et A.H.S.A. t. II, p. 275, pour celui de Foulques au prieuré Saint-Eutrope en 1270.

227  Le fermier de la prévôté obtient alors un rabais de 15 livres sur le montant de sa ferme après le préjudice subi par la décision de l’évêque d’interdire les ventes le dimanche, ce qui suppose que leur revenu atteignait au moins cette somme (Enquêtes administratives d’Alphonse de Poitiers, op. cit., p. 185).

228  Une rente de 100 sous est prévue alors sur le minage (Rotuli Chartarum, op. cit., p. 180).

229  « Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., p. 131 et 139 : le minage rochelais semble affermé à deux preneurs : d’une part Guillaume de Camera associé à Robert de la Ferté, pour 26 livres 18 deniers par an, et d’autre part Guibert de Didone, 20 livres par an.

230  A.D. 17, 1 J 369-15 : le seigneur de Thors tient 20 livres de rente de son suzerain de Matha sur le péage.

231  A.H.S.A. t. I, p. 57 : « sachent tuit que ge ledit Gefroy [de Mortagne, seigneur de Cozes] (...) vent et ostroi a perpetuauté (...) a mon seur pierres de la Broce, chevalier, seingneur de Didone, (...) vint et does livres six soz et oit deniers de la monoye corrant de annuau et perpetuau rende, les quex ge lie assie et assigne sur la cohue de Codzes et sur tote la rende qui a la cohue apartient, por raison de foires et de marchiez (...) ».

232  Comptes royaux (1285-1314), op. cit., t. I, p. 378 (compte du sénéchal Pierre de Bailleul). La halle était assez rentable pour qu’on consacre 63 livres 14 sous à sa réparation en 1306 (ibid., t. II, p. 160).

233  « Chartes sur les premiers seigneurs de Barbezieux », op. cit. p. 233-234.

234  Cette rente n’apparaît dans la documentation qu’au XVe siècle, dans les aveux et dénombrements des seigneurs de Didonne. Néanmoins son lien avec celle de Cozes (note 231) suggère que leur acquisition fit l’objet d’une politique délibérée de la part de Pierre de la Brosse à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle pour s’assurer des revenus réguliers à partir des foires et marchés de ces deux châtellenies voisines de la sienne. Voir A.N., P 5552, n° 272 (1406), aveu de ces deux rentes, qui ne sont plus perçues en raison des guerres, et les aveux d’Olivier de Coëtivy de 1452 (A.H.S.A. t. III p. 367-370) et de 1477 (B.M.S., ms. 520-11), qui tous deux mentionnent aussi ces rentes à la suite l’une de l’autre.

235  A.-M. Legras, Les commanderies des Templiers et des Hospitaliers..., p. 200 : les revenus du minage, d’après l’enquête pontificale de 1373, sont passés de 70 livres avant la crise à 15 livres.

236  B.M.P., Dom Fonteneau t. XXVII ter : rente accordée par Louis X au seigneur de Tonnay-Boutonne.

237  A.H.S.A. t. IV, 1877, p. 192-195. La prévôté, outre les droits de foires et marchés, rassemblait aussi les revenus de la justice, du poids et divers autres droits.

238  « Comptes d’Alphonse de Poitiers », éd. A. Bardonnet, op. cit., p. 91 : le second tiers du paiement de la ferme rapporte 633 livres 6 sous 8 deniers.

239  A. Barbot, Histoire de la ville de La Rochelle, op. cit., p. 107.

240  B.M.L.R., ms. 2634.

241  Ibid.

242  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 121 : baillette d’« une place au marché de Saint-Savinien, contenant six brasses de long et autant de large et dix piés par derrière, tenant d’un bout au grand chemin du marché à Taillebourg, moiennant sept livres de cens et rente annuelle et perpétuelle ».

243  « Chartes de la maison de Rabaine en Saintonge », éd. Ch. Dangibeaud, A.H.S.A. t. XIX, p. 90 à 94 : « (...) Item volo et ordino quod, si terra mea veniebat ad statum pristimum, vel circa, quod solebat valere ante mortalitatem, quod, in casum illum, cuilibet illorum Gaufridi et Margarite augmentur per dictum heredem meum de centum solidis rendalibus. Item volo et ordino quod si terra mea de Pissani, de Vardesco et de Xanctonis veniebat ad dictum statum, quod in casum illum dictus Gaufridus habeat de dicto herede suo sexaginta libras semel solvendas (...). Item cum ego alias dederim dilecti uxori mee, domine Almodi de Monteauserio, viginti libras rendales, attendens quod terra mea est valde diminuta tam propter guerra quam propter mortalitatem (...) ».

244  A. Barbot, Histoire de La Rochelle, op. cit., p. 152 : « En cette année, la peste qui fut généralle, non seulement par ce royaulme, mais par toutte l’Europe, fut fort grande en cette ville, et y mourust plus d’ung quart du peuple et mesme de la jeunesse de ladite ville ».

245  R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit., p. 177-179.

246  « Livres des miracles de Sainte Catherine de Fierbois », éd. Y. Chauvin, A.H.P.t. LX, p. 20 : « Durant Vigier, de Cozes, en Saintonge, fut le jour dessus dit ceans [à Périgueux], et disoit que il avoit eue tres grant mortalité ou pays dont il estoit (...) ».

247  « Registres de l’échevinage... t. II », éd. Denys d’Aussy, A.H.S.A. t. XXVI, p. 369, où il est question de « la pestilence du temps qui court » (1411). Cette épidémie, au cours des années suivantes (« Registres de l’échevinage…, t. III », éd. Denys d’Aussy, A.H.S.A. t. XXXII, p. 52 et 211), est dite « moult crueuse (...) qui moult a depopulai et amoindri de gens ladite ville ». En 1412 une enquête à propos de la commanderie des Épeaux mentionne la « mortalité grande ou païs » (R. Favreau, La commanderie du Breuil-du-Pas, p. 58), tandis qu’en 1415, un document affirme que « si avoit lors grant mortalité d’épidémie ou pays » (A.N., JJ 168 n° 260 f° 169).

248  A.N., JJ 187, n° 219, f° 116 v°.

249  A.N., JJ 199, n° 154, f° 93 v°.

250  « La maison de La Madeleine à Cognac », éd. Ch. Dangibeaud, A.H.S.A. t. XXVIII, p. 64 (1480) : « Et dit qu’il peut y avoir quinze ans, ou environ, estant la peste audit lieu de Coignac (...) ».

251  A.N., P 5552 n° 184 : le seigneur de Tonnay-Boutonne rend son hommage au roi à Saintes plutôt qu’à Saint-Jean-d’Angély, « pour ce que en la ville de Sainct Jehan d’Angely n’y a sur assez obstant la mortalité et peste qui de présent y est ».

252  B.M.P., ms. 563, comptes de la seigneurie de Barbezieux de 1495-1496 (copie de l’original par A.-F. Lièvre).

253  Saudau, Saint-Jean-d’Angély d’après les archives de l’échevinage, p. 156.

254  A. Barbot, Histoire de La Rochelle, op. cit., p. 479 : « En cette année au mois de juing, la contagion fut si grande que tous les principaulx habitans sortirent de cette ville, s’en allèrent aux champs, voyre tous les officiers de la ville, comme le procureur de ville, le greffier et aultres, le maire estant comme demeuré seul, de manière que, faysant sonner les cloches pour y délibérer, ne se trouvèrent que six au conseil (...) ». Une « stérilité » suit la peste. Voir aussi Marvaud, Études historiques sur la ville de Cognac, t. I, p. 241.

255  « A. Barbot, Histoire de la ville de La Rochelle, t. II », éd. Denys d’Aussy, A.H.S.A. t. XVII, p. 103 : « Au moys d’octobre de cette présente année, la contagion qui s’estoit esprise en cette ville quelque temps auparavant commançant à pulluler, fut faict un reiglement pour les paouvres avec grande cognoissance et circonspection (...) ». L’année suivante, la peste étant devenue trop virulente (2 000 morts parmi les plus illustres des habitants selon Barbot), la ville est désertée.

256  Une étude plus précise confirmerait certainement pour la Saintonge les résultats de J.-N. Biraben, Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, Paris 1975 : un retour de peste tous les 7-8 ans, annihilant les amorces de reprise démographique et provoquant un creux démographique vers 1430-1440.

257  B.M.L.R., ms. 300, f° 15 v° à 16 v°.

258  B.M.P., ms. 563, p. 109 : « Par le commandement de mad. dame a ledit receveur deduit et rabatu les deniers et blez de lad. recette aux fermiers de l’année commençant mil IIIIC IIIIXX et quatorze finissant IIIIC IIIIXX et quinze la somme de LIII livres XIIII sols V deniers et trois pipes vingt quatre boiceaulx froment ausquelx mad. dame a donné lesd. deniers et blez susd. pour perte qu’ilz ont eu en leurd. fermes pour cause de la peste qui a long temps esté en lad. année en la ville de Barbezieux scavoir est (...) à Honnoré Roussignoul fermier des peages, ventes et plassaiges XXII livres (...) ».

259  Saudau, Saint-Jean-d’Angély d’après les archives de l’échevinage, p. 156.

260  A.N., JJ 199, n° 154, f° 93 v° (mars 1463 a. s.).

261  « Registres de l’échevinage... t. II », op. cit., p. 27. En 1414 une autre femme est victime de la crainte des autorités face à la contagion (ibid., t. III, p. 77).

262  Saudau, Saint-Jean-d’Angély d’après les archives de l’échevinage, p. 156.

263  B.M.L.R., ms. 3113, 3e partie, p. 106. La grande boucherie est arrentée à 29 bouchers le 8 mars 1348 a.s., et réglementée : nul ne peut désormais vendre en détail dans la ville de la viande fraîche ou salée ailleurs que sous la boucherie (afin de favoriser les contrôles), et nul ne sera reçu boucher qu’en présence de deux ou trois des « plus suffisans bouchiers ».

264  É. Le Roy Ladurie, le premier, livra une Histoire du climat depuis l’an Mil, rééd. Flammarion 1983, deux tomes, qui identifia une phase d’« optimum » climatique entre 750 et 1200-1230 (t. II, p. 40) favorisant la croissance de la production agricole. Cette piste de recherche fut approfondie par P. Alexandre, Le climat en Europe au Moyen Âge. Contribution à l’histoire des variations climatiques de 1000 à 1425 d’après les sources narratives de l’Europe occidentale, Paris 1987. Il soulignait l’existence d’un climat plus humide, plus frais et instable au nord-ouest de l’Europe, provoquant la multiplication des mauvaises récoltes à partir du XIVe siècle.

265  « Fragments inédits d’une chronique de Maillezais », éd. P. Marchegay, B.E.C. année 1840-1841, p. 164-165 : « Anno ab incarnatione dominica MCCCXXIX fuit tanta aeris distemperies quod quolibet mense illius anni gelavit. Messes non fuerunt usque ad festum Beatae Mariae, vindemiae circa festum omnium sanctorum. Dum vero fierent vindemiae gelabat ita fortiter quod uvae non poetrant colligi nisicum cirotecis aut manicis. Uvae propter asperitatem frigoris calcabantur cum botis et aestivalibus et comprimebantur in quibusdam locis in torcularibus, propter duritiam et agelationem earum, cum malleis. Nemo potuit vina illius anni potare quia non erat vinum sed agrestum. Anno sequenti, videlicet quo dicebatur MCCCXXX, fuit tanta aeris serenitas et amoenitas quod in martis inveniebantur rosae et botri in vineis, circa principium madii guindola et cerasa. Messes fuerunt in festo Beati Johannis, vindemia in Assumptione beatae Mariae Virginis, nec gelavit nisi modicum anno illo. (...) Anno domini MCCCXXXII fuit tanta inundantia aquarum circa nativitatem Domini quod a tempore Noe non fuit talis audita in toto regno Franciae, et venit ita subito quod propter subitum aquae cursum in vigilia natalis Domini, in riparie Ligeris et in pluribus aliis locis, innumerabilis populus fuit submersus. Fertur enim quod in manerio domni episcopi Malleacensis vocato Fossez ducenbatur vasa super aquas per claustrum et per aulam et usque ad magnam portam. In monasterio sancti Cipriani Pictavensis erat aqua in ecclesia supra magnum altare. In monasterio karrofensi fuit in ecclesia tanta aquae superabundanta quod crucifixus qui dicitur Vultus karrofensis erat in aqua usque ad umbilicum. In dicta vigilia natalis Domini fuit apud Malleacum tanta aeris obscurits, circa horam prandii, quod oportuit quod domnus Gaufridus Poverelli, tunc Malleacensis episcopus primus, qui tunc in aula sua ad mensam sedebat una cum magistris Giraudo de Rofec [et plusieurs autres clercs] comederet cum torticiis et candelis ».

266  Les doléances des bourgeois de La Rochelle en 1408 mentionnent « le pays d’Aulnis, où il n’y a que vignes », et une ordonnance de Charles VII en 1424 évoque « La Rochelle située en pays de vignoble et en lieu où ne croissent aulcuns grains, au moings dont le peuple puise etre soutenu » (J.-B.-E. Jourdan, Éphémérides historiques, t. I, p. 505).

267  R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit., p. 177-179.

268  B.N., Clairambault 46, n° 93.

269  A. Barbot, Histoire de la Rochelle, t. I, op. cit., p. 156.

270  « Ad horribilem clamorem mediocris populi propter sterilitatem et defectum vinorum in partibus illi anno presenti iminentem ». Cité d’après les archives du Public Record Office par Robert Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit., p. 177-179. Cette « stérilité » est aussi présente en Poitou la même année.

271  Par exemple en 1425 (« Registres de l’échevinage…, t. III », éd. Denys d’Aussy, A.H.S.A. t. XXXII, p. 416).

272  A.D. 17, H 57 (1422) et A. Barbot, Histoire de La Rochelle, t. I, op. cit. p. 479-480 (1515) : « Cette année aussi les bleds de la moisson instante ayant esté gastés la stérilité en fut si grande que ledit bled enchérit excessivement et vint à dix ou onze souls le boisseau de Marans, qui estoit un grand prix pour lors ».

273  Saudau, Saint-Jean-d’Angély d’après les archives de l’échevinage, p. 310, citant un compte des dépenses du grand hôpital de la ville : « La somme de six livres quinze sous employées en aumône des festes, pour la grande abondance des pauvres qui affluèrent ès-dites festes et aumônes, pour la cherté des bleds et stérilité du temps, et pour obvier à scandalle et de peur d’estre battu et lappidé (...) ».

274  Ibid., t. II, op. cit. p. 9-10 : « Le XXIIe du mois d’aoust, le desbord de la mer fut si grand par les tourmentes, qu’elle faillit de submerger entièrement l’isle de Ré ; et se vit en ce jour ce qui ne s’estoit point encore veu que les deux mers qui circuisent et bornent ladite isle, se joignirent l’une l’aultre au grand estonnement de tous les habitants d’ycele qui croyoient estre perdus, et fit ladite mer un grandissime desgast aux biens des habitans de ladite isle et ceulx de cette ville [La Rochelle] qui y en ont ».

275  R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit., d’après B.M.S.J., CC 36-47.

276  Réveillaud, Histoire de la ville, commune et sénéchaussée de Saint-Jean-d’Angély, p. 117.

277  R. Favreau, La commanderie du Breuil-du-Pas et la guerre de Cent ans dans la Saintonge méridionale. Voir aussi P. Bertrand, La guerre de Cent ans en Aunis et Saintonge au XIVe siècle : les événements politico-militaires et leur chronologie, mémoire de maîtrise sous la direction de Robert Favreau, Poitiers 1985.

278  Ordonnances des rois de France... t. XVIII, p. 690-691.

279  A. Barbot, Histoire de La Rochelle, t. I, op. cit., p. 163-165.

280  Ce personnage, maître de la région après les nombreux dons royaux, est évoqué par R. Favreau dans La commanderie du Breuil-du-Pas..., p. 40-41.

281  Cette hostilité a été notamment étudiée par R. Favreau (La ville de Poitiers... op. cit.) et C. Nau (Contribution à l’histoire de la Saintonge et de l’Aunis pendant la guerre de Cent ans). Elle s’est probablement nourrie des ravages et exactions commis lors des chevauchées des Anglais pendant les conquêtes des années 1346-1347. Ce refus de la tutelle anglaise est illustré par les atermoiements de La Rochelle, qui retarda autant que possible l’ouverture de ses portes aux Anglais en 1360, et par ce mot célèbre rapporté par Froissart : « nous aournerons les Englès des lèvres, mais li coers ne s’en mouvera ja ».

282  Ces exactions sont rapportées par R. Favreau, « La Saintonge pendant la guerre de Cent ans », Annales 1979 de l’Université Francophone d’été de Jonzac, p. 38. Dans le domaine qui nous intéresse, l’on conserve la plainte de la dame de Surgères en 1366 au roi d’Angleterre, contre les usurpations que commettent les agents du prince noir en intervenant sur ses marchés sans avertir ses propres sergents (Foedera…, op. cit., t. III, partie 2, p. 124).

283  R. Favreau, « La Saintonge pendant la guerre de Cent ans », op. cit., p. 40.

284  « La commanderie du Breuil-du-Pas, ou tableau de la Saintonge pendant la première moitié du XVe siècle », éd. Grasilier, R.C.A.M. t. III, 1875-1876, p. 43-55.

285  La commanderie du Breuil-du-Pas et la guerre de Cent ans dans la Saintonge méridionale, op. cit. Y sont éditées p. 71-114 les pièces de cette enquête de 1460, réalisée à la suite d’un procès entre le commandeur du Breuil et le seigneur de Rioux pour le paiement d’une rente ancienne qui n’était plus versée depuis la guerre.

286  « La commanderie du Breuil-du-Pas, ou tableau de la Saintonge… », op. cit., p. 52. L’on peut également citer un remarquable document inédit, celui des comptes de 1394-1403 de la châtellenie de Merpins, place-forte disputée en aval de Cognac, sur la Charente (B.M.S., ms. 523, n° 4), qui constate que beaucoup de revenus sont « tournez à non valour pour les guerres et mortalitez et pour le chastel de Merpins mis à siège et les villages fonduz et mis à désert ». Le receveur note qu’à Sainte-Foix, la population est passée de 140 à 6 feux en 1403, et de 40 à 6 à Brives-sur-Charente « à cause des guerres et mortalitez ». Il précise aussi que les villages de Merpins et Salignac furent rasés lors du siège.

287  « Quatres lettres inédites sur Jacques, sire de Pons », éd. A. de Brémond-d’Ars, A.H.S.A. t. XXXI, p. 204.

288  L. de Richemond, Documents historiques inédits sur le département de la Charente-Inférieure, p. 105- 109, notes sur les seigneurs d’oléron au XVe siècle.

289  « Chartes de la maison de Pons », éd. G. Musset, op. cit., p. 262 : « ledit suppliant n’a ousé entreprandre procès ne luy faire question des dictes choses pour les voyes de faict qu’il attempta audit lieu de Pons, et n’estoit nul si hardy en tout le païs qui lui osast contredire sa volunté ne désobéir ».

290  « La commanderie du Breuil-du-Pas, ou tableau de la Saintonge… », op. cit., p. 49-50 : « Estoient les habitants toujours en si grande crainte et doute qu’ils ne sçavoient à queulx saints se vouher. Et qu’il soit vray appert asses en la personne de feu Messire Pierre du Moulin qui, pour cuyder faire et exercer justice, fut prins par messire Jacques de pons en la ville et cité de Xaintes et à sa table, et on fut emmené à Royan où illec il fut mis en prison, et en basse fousse, et lui convint sever plus qu’il n’avoit vaillant. (...) Item aussi est-il vray qu’on n’eust peu aler ez villes de Xaintes et Pons quérir justice contre ledit Seigneur de Pons et ses gens : car si aucun eust entreprins de rien leur demander, on leur eust fait guerre comme faisoient communément le Seigneur de Rioux qui estoit lors avec ledit Seigneur de Pons (...) ».

291  « Chartes de la maison de Pons », op. cit., p. 250-260, lettres de rémission de Jacques de Pons d’avril 1446. Celles-ci sont parfois à nuancer, de par leur caractère stéréotypé (elles comportent souvent les mêmes accusations contre les gens de guerre). Mais elle reflète cependant le quotidien de la criminalité des gens d’armes.

292  « La commanderie du Breuil-du-Pas, ou tableau de la Saintonge… », op. cit., p. 49.

293  R. Favreau, La commanderie du Breuil-du-Pas..., op. cit., p. 62.

294  A.N., JJ 177, n° 182, f° 124 v° (août 1445).

295  « La Saintonge pendant la guerre de Cent ans », op. cit., p. 40 et 44.

296  À Angoulême en 1349, par exemple, le fermier du minage reçoit 40 livres de rabais sur le prix de sa ferme « pour ce que ledit fermier estoit deperdanz en la dicte afferme de la terce partie et de plus, pour ce que les genz du pays ne apportoient point de blé au marché d’Angoulesme pour cause des Anglois » (« Comptes de l’Angoumois… », éd. L. Imbert, op. cit., p. 93).

297  « Compte de l’Angoumois… » éd. L. Imbert, op. cit., p. 121, compte de la revenue de Compnhac : « de la foire de Charves qui se tient le mardi enprès la Penthecoste, tenue à Compgnac pour doubte des anemis, levée à la main mons. le Roy par ledit prévost pour ce qu’on ne trouva qui le voussist affermer, valut pour tout IIII forte mon. t. ». Cognac, Jarnac, Ségonzac, Bouteville ou Archiac dépendaient administrativement de l’Angoumois, mais relevaient de l’évêché de Saintes.

298  A.H.S.A. t. I, p. 68-70 : « Comme il ait esté accoustumé du temps passé de tenir le marchié ung jour la sepmaine, c’est assavoir au mercredi, et nous assises aussi, en nostre chastel de Cozes, en nostre terre et haulte justice, lesquelles a present, pour les guerres, n’y ont peu estre tenuz par certain temps passé ne ne pevent a present sens doubte des ennemys et degast de biens du commun peuple et des marchans venans audit marchié (...) nous gens, de la bonne volunté dudit prieur et convent de Mortaigne, pour le prouffit commun, durant lesdictes guerres et pour ce que le lieu où ledit prieur et convent ont ceste juridiction desus divisée est plus fort a resister a la puissance des diz ennemys que n’est nostre chastel où lesdiz marchié et assises se souloient et devoient tenir, ayent tenu et fait tenir marchié et assises et fait aultres exploiz en ladicte terre et juridicion des diz prieur et convent on bourg desusdit (...) ».

299  « Recueil des documents concernant le Poitou…, t. VII », éd. P. Guérin, A.H.P. t. XXVI, p. 99.

300  C. Masse, Recueil des plans d’Aunis et de Poictou, feuille 34.

301  Les assemblées commerciales sont mentionnées en 1365 dans l’aveu du sire de Mauzé au prince d’Aquitaine (A.N., P 584, n° 60), ainsi qu’en 1384 (A.H.S.A. t. XV, p. 146-151), où l’aveu évoque également un droit d’usage pour l’entretien de la halle (transcription erronée de « gurhue » pour « quehue »). En 1420 les religieux de Sainte-Croix de Mauzé réclament les droits de mesurage des foires du bourg (Faye, « Mauzé en Aunis », M.S.A.O., tome XXII, 1855, p. 173).

302  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 335-336 : « lettres du seigneur de Taillebourg de l’an 1445, contenant le rétablissement de la foire à Saint-James, qui avoit été transféré à Taillebourg à cause des guerres (...) ».

303  En 1410 est en effet adressée une demande de renseignements par le seigneur de Taillebourg à ses officiers pour connaître les dates, mesures et franchises des foires et marchés voisins de cette ville, celui-ci souhaitant « rétablir à Taillebourg les foires et marchés qui y avoient été abolis et détruits par les guerres qui avoient eu longtems cours dans le païs » (« Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 48).

304  Le premier chapitre de cette partie avait souligné la naissance du marché à l’abri des châteaux, dans le giron desquels les assemblées reviennent dans un contexte troublé. Cf également infra, deuxième partie, chapitre I, 1, p. 176-178.

305  A.D. 17, 1 J 353, p. 391-392, 7 avril 1485.

306  A.N., JJ 72, n° 213, f° 143 v° (proclamation d’un accensement aux marchés de Tonnay et Soubise).

307  Cette halle est représentée par Chastillon, au f° 196 de sa Topographie Française.

308  Tonnay-Charente et le canton, t. I, p. 153.

309  A.N., P 584, n° 78, pour l’aveu de 1365 au prince d’Aquitaine, et A.D. 17, E 114, pour celui de 1392. La valeur des aveux et dénombrements est cependant parfois toute relative. Ils ne sont la plupart du temps qu’une énumération stéréotypée de droits seigneuriaux théoriques, sans que rien ne prouve leur véritable application en ces temps difficiles, sauf lorsque l’aveu est assez détaillé pour le supposer (aveu de la baronie de Châtelaillon en 1401).

310  Cette année, deux marchandes de Saint-Jean viennent vendre des marchandises « en l’oust, au siège qui estoit nagaires pardevant la ville et chastel de Taunay-Charante » (« Registres de l’échevinage... t. I », op. cit., p. 300).

311  « Comptes de l’Angoumois… », éd. L. Imbert, op. cit., p. 117-118 : « (...) Des foires de Jarnac, ne compte rien quar aucun ne le vousist affermer pour cause de la guerre et de la mortalité, ne rien n’a esté receu par ledit temps pour la causse dessus dicte (...). Des foires qui sont Archiac, et du passage des bestes et du péage de la Magdelene et de la foire dudit lieu, ne compte rien quar rien n’i est escheu, ne aucun ne le vusist affermer pour les causes dessusdites (...). Du péage d’Angac et du péage de la foire de Saint Meyme qui se lieve au jour de la saint André, ne compte rien quar rien n’i est escheu pour les causes susdites ».

312  Ibid., p. 119 : « Du minage du marché de Bouteville, baillé à lever en la main du Roy à P. Vergier pour ce que l’en ne trouva qui le voussit affermer (...) ». P. Vergier afferme aussi les foires de Bouteville, peut-être contre une compensation royale. Pour Cherves, voir la note 294, p. 111. La situation du minage de Bouteville devait être assez proche de celle du minage d’Angoulême (cf note 297, p. 108), pour les mêmes raisons.

313  Ibid., p. 122 : « Du petit péage du sel ouquel mons. le Roy prend la douziesme partie, levé par Hélie Mansel pour ce que aucun ne le vousist affermer, a valu sur le terme de la Chandeleur XVII d. feble m. val. a la fourte VIII d. ob. » ; ibid., p. 124 : « Des foires de la saint Nicolas d’yver. Des estaux aux drepiers tenent en celle foire qui croist et apetisse, levé à la main du Roy par ledit prévost pour ce que l’en ne trouva qui le vousist affermer, a valut pour tout VI l. feble mon. valent a la fourte LX s. t. Des estaux aus cuyratiers avecques le levage des solliers, croist et apetisse, levé à la main du Roy nostress. pour la cause dessus dite, X s. feble mon. valent a la fourte V s. t. Du levage des aux et des oignons levé à la main du Roy mons. par ledit prévost et pour la cause dessusdite, VI d. forte mon. t. ».

314  Ibid., p. 117-118.

315  Ibid., p. 122.

316  Ibid., p. 121 : un ouvroir sous la halle de Cognac rapporte 6 sous 8 deniers de faible monnaie, soit 3 sous 4 deniers de monnaie forte. De même, p. 124, le levage des étals des drapiers de Cognac rapporte 6 livres (120 sous) de faible monnaie valent a la fourte 60 sous.

317  Ph. Contamine (dir.), L’économie médiévale, p. 323.

318  A.N., K 499. Transcrit dans le mémoire de maîtrise de C. Poitou, Compte de l’Angoumois sous la domination royale (1376-1378), sous la direction de R. Favreau, Poitiers 1972.

319  Compte de l’Angoumois…, éd. C. Poitou, op. cit., p. 18 et 51.

320  Ibid., p. 20 : « Du petit péage du sel ouquel le roy ne prent fors que la XIIe partie, lequel fut assencé à Michel de saint-Symon pour le priz de X s. ».

321  Ibid., p. 20 : « Du grant péage (...) ne compte rien quar il ne fu pas assensez ne l’on ne trouva qui riens y vosist donner ».

322  « Compte de l’Angoumois… », éd. L. Imbert, op. cit., p. 124.

323  Compte de l’Angoumois…, éd. C. Poitou, op. cit., p. 20 : « Du levage des drapiers avecques l’estalage des vendeurs de cuyrs tanez et des solliers, ne compte rien car rien n’y est durant le temps de cest compte. Du levage des aux et oignons, ne compte rien pour la dicte cause ».

324  Ibid., p. 55.

325  Dans ces conditions, le marché le plus proche pour les habitants d’entre Charente et Né est Barbezieux, à près de 30 kilomètres de Cognac, qui était encore attesté en 1366 (« Recueil de chartes sur les premiers seigneurs de Barbezieux », op. cit., p. 250). Encore cette place connaît-elle de grandes difficultés en 1379, ayant beaucoup souffert de sa prise par les Bretons de Du Guesclin (la terre y est dite tenuam et desertam), tant et si bien qu’Audouin de Barbezieux dut vendre sa châtellenie aux La Rochefoucauld (ibid., p. 252-257).

326  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 48-49.

327  À cette date, l’aveu du seigneur de Taillebourg au prince noir mentionne en effet les « foyres et marchez » (A.N., P 584, n° 51). Comme on a pu le dire, l’aveu peut cependant ne recenser que des droits théoriques qui ne sont plus appliqués en raison des guerres.

328  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 96.

329  A.N., P 5522, n° 272.

330  La tenue de la foire du Lendit, à Saint-Denis, fut par exemple interrompue entre 1418 et 1426 en raison de la reprise de la guerre (Journal d’un Bourgeois de Paris, éd. C. Beaune, Paris 1990, p. 120 et 226).

331  B.M.L.R., ms. 2691 (Mi 139), f° 172 v°.

332  A.N., P 5531, n° 11 (transcription et communication de M. J.-C. Bonnin).

333  B.M.S.J., FF 41.

334  « Jonzac et Ozillac », op. cit., p. 208, où il est question du « levagium salis foro de Jonzaco » (janvier 1346, n. s.).

335  Ibid., p. 232-235.

336  Documents originaux et inédits... éd. P. Marchegay, p. 18-21. Un des articles du document mentionne que « à l’occasion desdictes guerres et divisions, qui ont heu cours ondit réaume, come dit est, les habitans de la ville et seigneurie de Taillebourg se sont absentez du pays ; item et par ce ledit marchié acoustumé estre tenu ausdiz lieu et jour a esté discontinué de tenir en ladicte ville ».

337  A.N., JJ 208, n° 14, f° 7 v°. L’acte, qui mentionne les deux foires qui préexistent à Taillebourg, n’indique pas la présence d’un marché.

338  A.-M. Legras, Les commanderies des Templiers et des Hospitaliers..., p. 31, d’après A.D. 86, 3 H1 - 212.

339  B.M.P., Dom Fonteneau, t. XL, p. 93. L’on peut faire confiance aux seigneurs lorsqu’ils affirment que leur marché est ancien, mais interrompu à cause des guerres. Les rétablissements étaient en effet précédés d’une enquête, qu’on a mentionnée à Jonzac, au cours de laquelle le seigneur était invité à produire des preuves et des témoins. Les soucis rencontrés par Olivier de Coëtivy pour rétablir son marché interrompu sans en référer au roi, que nous venons d’évoquer, montrent la fiabilité et le caractère inévitable de la procédure royale de rétablissement.

340  La guerre n’explique cependant pas seule la disparition des assemblées commerciales : l’Angleterre, préservée des atteintes directes de la guerre de Cent ans (mais pas de celle des diverses guerres civiles qui l’atteignent au XVe siècle) est marquée par l’extinction au cours de la grande crise de la fin du Moyen Âge de près d’un tiers de ses foires et marchés.

341  Les halles, la plupart du temps de bois, étaient très sensibles aux intempéries et nécessitaient de fréquentes réparations, dont font état les divers comptes que l’on a pu conserver. Cf infra, deuxième partie, chapitre II, 2, p. 198 et suiv.

342  B.N., P.O. 2043, ms. fr. n° 28 527, dossier 46 636 n° 6 et 7. Cité par Claire Nau, Contribution à l’histoire de la Saintonge et de l’Aunis pendant la guerre de Cent ans, p. 91.

343  Comptes de l’Angoumois…, éd. C. Poitou, op. cit., p. 20 et 55.

344  A.D. 17, 20 J 10, recueil de la fin du Moyen Âge de notices d’accensements et rentes, f° 11 r°.

345  B.M.S., ms. 523, n° 5 : « De plusieurs ouvreours qui sont en la hale de mons. le comte pour ceu quil sont destruitz, néant ».

346  A.D. 17, H 76, pièce 2, p. 29 : « (...) Il appert par ladite enqueste que lad. dame avoit sa halle ou queheue bastie proche l’église, à laquelle tous les habitans (...) porroyent vendre leurs marchandises, (...), que la halle de ladite dame abbesse ayant esté mise par terre pour y faire des fortifications, la dite dame abbesse fit tenir ses foires et marchés dans la place des Ayres ». Le même document, p. 25, affirme que la destruction des halles et de la boucherie de Marennes fut ordonnée « par le seigneur de Rohan, qui estoit lors seigneur du pays, et par les habitans, pour y bastir des fortifications ».

347  Les relevés dendrochronologiques effectués sur le bois des piliers de l’aile sud de la halle actuelle par Ludovic Riou, dont ce dernier nous a communiqué les résultats, révèlent une construction datant de la seconde moitié du XVe siècle. C’est justement à cette époque que des documents attestent la réalisation de la halle voisine de Saujon, détruite au début du siècle, dont le plan et la facture ressemblent beaucoup au bâtiment de Cozes. Les deux bourgades appartenaient d’ailleurs alors au même ensemble féodal des Coëtivy-La Trémoille.

348  A.N., 1 AP 181, f° 64-69. Transcription et communication de M. J.-C. Bonin.

349  B.N., fr. 26 084, n° 6966. Les réparations durent être importantes, après un siècle d’inertie, puisque un document entier est consacré aux « euvres et réparacions faictes en la hale du roy nostre sire à Xaintes et sur le pont du dit lieu » pour l’année 1455-1456.

350  Pour 1343, B.N., fr. 20 584, n° 56. Les premiers travaux ensuite mentionnés se produisent en 1469- 1470, quand l’auditoire royal est installé sous la halle, sur deux places qui appartenaient à Jean de Thoirac (R.S.A. anc., t. XXXIX, p. 101-102, compte de la sénéchaussée de Saintonge de 1469-1470).

351  « Recueil des documents concernant le Poitou… t. III », éd. P. Guérin, A.H.P. t. XVII, p. 177-178 : « Item, la cohue ou hale de Nyort, qui est héritage du roy nostre sire, en laquelle toutes les marchandises et denrées de toutes manières de genz sont recueillies et vendues, et de quoy grant proffit vient et appartient au Roy nostre sire, c’est assavoir pour chascun an deux cens livres et plus, si fu rompue et despecie par une très grant tempeste de vent et de gresle, en telle maniere que les bonnes genz n’y povoient bonnement habiter. Et pour ce que ledit Gillier ne mettoit aucun remède à la réparacion d’icelle, si comme il devoit et à lui appartenoit, li fu commandé de par le seneschal du roy et requis de par les fermiers du cohuage et autres genz à qui il appartenoit, que il la feist reparer, et onques pour tant ne l’a fait, maiz en a esté negligens et remis, et ainssi est la dicte cohue si ruyneuse et décheue que ad présent ne seroit rapareillie pour mil cinq cens livres, et peust lors avoit esté fait pour cinquante ou soixante livres, et se remede n’y est mis, tout ira par terre, et elle ne pourra estre refaite pour six mille livres, car c’est la plus grant et la plus belle cohue du royaume de France ».

352  R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit., p. 218.

353  « Recueil des documents concernant le Poitou… t. XII », éd. P. Guérin et L. Celier, A.H.P. t. XLI, p. 198.

354  Ordonnances des rois de France de la troisième race…, t. V, p. 605-607.

355  Foedera... op. cit., t. III, partie 2, p. 124 : « Come les habitans de Burneof soient et ount comenc marchee el samadie, et puis les guerres, et à Surgeres soit chastiel et chastelleyne, et d’auncien temps ordené la marchee a Surgeres, la quelle chose est en graunt grief et prejudice dudit marchee et ville de Surgere (...) ».

356  Outre celui de Surgères, le seigneur de Dompierre protesta également contre le déplacement du marché de Bourgneuf au samedi, qui ruinait sa propre réunion tenue le même jour (A.D. 86, 3 H 1-299, f° 75-76).

357  Il est vrai que la situation de Bourgneuf était alors difficile : d’après l’enquête pontificale sur les biens des Hospitaliers, les droits de minage sont tombés de 70 à 15 livres (A.-M. Legras, Les commanderies des Templiers et des Hospitaliers..., p. 200).

358  A.N., JJ 103, n° 368, f° 177 v°.

359  A.N., P 5552 n° 274. Il est intéresant de noter que les autorités de Frontenay, aux côtés de celles de Saint-Jean-d’Angély, protestèrent contre la création du marché de Saint-Georges qui les privait d’une partie de leur clientèle (« Recueil des documents concernant le Poitou… t. IV », éd. P. Guérin, A.H.P. t. XIX, p. 262, note).

360  En 1401 se tenaient dans les bourgs ruraux de La Jarne, Périgny et Salles de petites foires, qui bénéficiaient certes de la protection de La Rochelle toute proche (A.N., P 5531, n° XI). La déstabilisation, au sud de la Charente, des sites commerciaux traditionnels, a pu par ailleurs engendrer de petites réunions commerciales peu structurées. À Saint-Sulpice-de-Royan est ainsi mentionnée en 1445 la « coustume de prendre es numbles des chars et lesches et levage des vins au lieu appellé Abrit » (B.M.S., ms. 537 A, f° 68). Le toponyme est à lui seul révélateur...

361  A.D. 17, 1 J 369-15, plaintes d’Aliénor de Périgord contre cette « nouvelleté » d’Ysabeau de Vivonne. La notice de ce document est contenue dans l’inventaire des titres du comté de Matha, 1 J 353, p. 391. L’original du règlement du conflit en 1432 ne nous est pas parvenu, mais le même inventaire le mentionne p. 9-10, autorisant la tenue de trois foires à Thors.

362  Original à la B.M.S., ms. 523, n° 5.

363 Les chiffres de ce compte sont libélés ici en monnaie forte (avant les grandes mutations monétaires du milieu du siècle). Ils doivent être doublés pour être convertis en monnaie faible de 1350.

364 La note « n. m. » indique que cette ferme n’est pas mentionnée dans le compte, donc sans doute non perçue.

365 Pour le compte de 1349-1350, la coutume des bouchers forains et des poissonniers est affermée avec le bancage des bouchers, ce qui n’est pas mentionné pour le compte de 1410-1411, et explique peut-être une partie du décalage entre les deux montants de ces fermes. Il n’en reste pas moins que les contemporains étaient bien conscients de l’effondrement des recettes depuis l’époque de prospérité : ce dernier compte affirme que ce « banquage soloit valoir anciennement XI l. VII s. ».

366  B.M.S., ms. 523, n° 5, compte de 1410-1411 : mention du « bancage des bouchers qui nont nuls bancs en la quehue de la boucherie et vendent chairs tant en ladite quehue que dehors ».

367  C. Nau, Contribution à l’histoire de l’Aunis et de la Saintonge…, op. cit., p. 245-253, donne les résultats d’une enquête pontificale de 1373, concernant les commanderies hospitalières, qui compare les recettes contemporaines aux revenus d’avant-guerre. Celle-ci révèle l’importance de l’effondrement des revenus, qui dépasse très régulièrement les 70 % et atteint souvent les 100 % (revenu réduit à néant). Les revenus en argent de Bourgneuf en 1373, comprenant donc ceux des foires et marchés, avaient chuté de 56 % par rapport à l’avant-guerre.

368  « Compte de l’Angoumois… », éd. L. Imbert, op. cit., p. 116. Les montants sont libélés en forte monnaie.

369  A.-M. Legras, Les commanderies des Templiers et des Hospitaliers..., p. 200.

370  B.M.L.R. , ms. 300, f° 15 v° et 6 r°.

371  Bibliothèque de l’Arsenal, Paris, ms. 137, f° 248. Transcription et communication de M. J.-C. Bonnin.

372  A.D. 17, 1 J 356-21, registres de recette de la terre de Thors.

373  A.N., 1 AP 1910, pièce 10.

374  B.M.L.R., ms. 2691 (Mi 139), f° 172 r° et 173 r°.

375  Au début du XIVe siècle, à l’apogée de la grande période de croissance médiévale, ces revenus atteignaient 26 livres (Comptes royaux, op. cit., p. 156) : la place paraît avoir poursuivi sa croissance, sans que le contrecoup des crises du XIVe siècle soit sensible…

376  B.M.L.R., ms. 2474. Ce censif, riche en informations sur les marchands de Marans, nécessiterait une étude plus ample, mais nous nous en tiendrons ici aux revenus de la halle qu’il laisse appréhender.

377  B.M.L.R., ms. 2466, f° 10 v°.

378  B.M.L.R., ms. 2691 (Mi 139), f° 103 v°, 104 r° et 170 r°.

379  B.M.L.R., ms. 3113, 3e partie, p. 106.

380  A.N., JJ 89, n° 208, f° 93 v°.

381  A. Barbot, Histoire de la ville de La Rochelle, t. I, op. cit., p. 214.

382  A.N., X1c 118, n° 15.

383  A.N., JJ 195, n° 1395.

384  B.M.L.R., Mi 220, Minutes de Boutin, f° 28.

385  Ordonnances des rois de France…, t. VI, p. 20.

386  M. Delafosse (dir.), Histoire de La Rochelle, p. 62.

387  R. Favreau, « La Saintonge pendant la guerre de Cent », op. cit., p. 47.

388  Ordonnances des rois de France…, t. VII, p. 750.

389  J.-B.-E. Jourdan, Éphémérides historiques..., op. cit., t. I, p. 227.

390  A. Barbot, Histoire de La Rochelle, t. I, op. cit, p. 276 et p. 304-305.

391  B.M.L.R., Mi 220. Le 22 août 1423, un marchand breton doit 14 écus d’or à un Rochelais pour vente de vin (f° 42 v°) ; le 29 octobre c’est un marchand de Marsilly qui doit à un Breton deux pipes de vin blanc (f° 57 v°) ; le 17 février 1421, un marchand de Saint-Pol-de-Léon en Bretagne confesse avoir reçu d’un changeur rochelais un tonneau de vin blanc en un vaisseau de Saint-Pol pour le conduire dans un port breton et l’y vendre au mieux, etc. En 1416, un arrêt du Parlement avait condamné les marchands de Biscaye à payer les droits dus à La Rochelle (B.M.L.R., ms. 2634)

392  R. Favreau, « Le port saunier de Cognac », op. cit., p. 79.

393  R. Favreau, « La Saintonge pendant la guerre de Cent ans... », op. cit., p. 48.

394  A. Michaud (dir.), Histoire de Saintes, p. 110 (1388) et R.C.A.M. t. XIV, p. 258 (1420).

395  Ainsi en 1363 (A.N., P 584, n° VIII) et 1398 (A.N., JJ 154 n° 91, f° 45 v°), 1445 (Documents originaux et inédits sur l’Aunis et la Saintonge, éd. P. Marchegay, p. 89-93).

396  Il est affermé en 1361 25 livres, puis 22 livres 10 sous en 1363 et 1364, 20 livres en 1365, 13 livres en 1366, 12 livres en 1367, 13 livres en 1368, 15 livres en 1369, et 16 livres en 1370 (« Aunis, Saintonge et Angoumois sous la domination anglaise, 1360-1372 », éd. R. Favreau, A.H.S.A. t. LIII, p. 128 et 176).

397  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 48-49.

398  En 1412, les échevins se plaignent d’être « en voie d’estre désers et d’eux en aler fuitifs et mendians hors du païs » (B.M.S.J., AA 1, n° 7), et ils évoquent en 1434 « la pauvreté et misère de la ville et du païx » (ibid., BB 30).

399  R. Favreau, « La Saintonge pendant la guerre de Cent ans... », op. cit., p. 46. Outre la fiscalité royale, la ville doit régulièrement payer, à la fin du XIVe siècle, des pâtis aux garnisons anglaises de Mortagne et Bouteville.

400  Voir à ce sujet les trois tomes des « Registres de l’échevinage » publiés dans les A.H.S.A. Les foires sont certes assez peu citées entre 1340 et 1450, comme Robert Favreau l’avait relevé à Poitiers, sans que ce soit pour autant le signe de leur interruption. En 1362 les revenus des foires de la saint Luc sont affermés avec ceux du greffe de la prévôté pour 40 sous (« Aunis, Saintonge et Angoumois sous la domination royale… », op. cit., p. 130). L’on trouve par ailleurs mentionnée en 1380 la foire de Noël (AH.S.A. t. XXIV, p. 221) et en 1419 celle de la Décollation (A.H.S.A. t. XXXII, p. 292). Leur existence est également attestée par l’enquête de 1410. De manière générale, la ville contrôle régulièrement le poids des pains mis en vente, et met fréquemment à l’amende des marchands accusés de fraude.

401  Ordonnances des rois de France…, t. V, p. 677 et « Registres de l’échevinage… t. III », op. cit., p. 51- 54. Les ordonnances des échevins rappellent fréquemment ce privilège, qui signale l’attraction commerciale de la ville sur les environs, malgré la crise.

402  B.M.S.J., BB 30.

403  « Registres de l’échevinage… t. II », op. cit., p. 93.

404  Ibid., t. III, p. 14.

405  Ibid., p. 159 et 201-203.

406  B.M.S.J., CC 23, f° 23.

407  Ibid., CC 27, f° 32 et FF 36.

408  « Registres de l’échevinage… t. I », op. cit., p. 247.

409  Ibid., d’après B.M.S.J., HH 3.

410  « Registres de l’échevinage… t. II », op. cit., p. 154.

411  Ibid., p. 222-223. Une nouvelle mésaventure implique un autre marchand poitevin en 1414 (ibid., t. III, p. 123).

412  En 1406 deux hommes de Fontanet sont engagés pour mener du sel du port de Saint-Jean vers Confolens (ibid., t. II, p. 231), et en 1410 un homme mène huit quartières de sel de Saint-Jean à Cellefrouin par Matha, et doit ramener au retour un quart de merrain pour la réalisation de pipes de vins (Ibid., p. 309) .

413  Ibid., t. III, p. 142-143.

414  Ibid., p. 121. Le lien avec la tenue de la foire de la saint Luc dans la ville le 18 octobre est évident…

415  En 1378, Jean de Verruye fait le chemin de Magné aux foires se tenant dans le bourg, non fortifié, de Saint-Liguaire. Il est certes accompagné de quatre personnes, dont trois au moins fortement armées (épée, « darde », « taloche », lances et cotte de fer), qui « avoient acoustumé de chevauchier avec lui quant il aloit hors » (« Recueil des documents concernant le Poitou… t. V », éd. P. Guérin, A.H.P. t. XXI, p. 97- 98). Il est vrai que Jean de Verruye est un chevalier. Mais les documents contemporains indiquent que même les paysans se déplaçaient à plusieurs, armés au moins d’épieux ou de bâtons ferrés. En 1396, ce sont deux hommes qui conduisent du vin par la Sèvre (« Recueil des documents concernant le Poitou… t. VI », éd. P. Guérin, A.H.P. t. XXIV, p. 250).

416  Une enquête de 1479 révèle que la population du village d’Agudelle était vers 1420 uniquement constituée de 4 à 5 ménages, avant de tomber à une personne vers 1440. Dès 1445-1450, elle passait à 15 ou 16 ménages (C. Nau, Contribution à l’histoire de la Saintonge et de l’Aunis pendant la guerre de Cent ans, p. 165-166).

417  Ces phénomènes ont notamment été étudiés par J. Glénisson, « La reconstruction agraire en Saintonge méridionale au lendemain de la Guerre de Cent ans » (R.S.A. nouv., t. I, p 64-101), É. Birrier, La seigneurie de Châtelaillon aux XIVe et XVe siècles, et C. Nau, Contribution à l’histoire de la Saintonge et de l’Aunis…, op. cit., p. 165 et suiv.

418  C. Nau, Contribution à l’histoire de la Saintonge et de l’Aunis…, op. cit. p. 167, cite notamment le cas du seigneur de Jarnac en 1478.

419  A.H.S.A. t. VIII, p. 409-415.

420  A.H.S.A. t. XLV, p. 285.

421  L’enquête relative au banc des La Madeleine à Cognac en 1480 fait intervenir de nombreux témoins nés hors de Saintonge et arrivés au cours du XVe siècle (« La maison de La Madeleine à Cognac », op. cit., p. 57-137).

422  Documents historiques inédits..., éd. L. de Richemond, p. 87-89.

423  R. Favreau, « Le port saunier de Cognac », op. cit., p. 75-76.

424  Ibid., p. 77.

425  Ordonnances des rois de France..., t. XVII, p. 499.

426  R. Favreau, « Le port saunier de Cognac », op. cit. p. 80-81.

427  M. Delafosse (dir.), Histoire de La Rochelle, p. 62-63.

428  É. Trocmé et M. Delafosse, Le commerce rochelais de la fin du XVe siècle au début du XVIIe siècle, p. 109-110. Malgrè la perte de vitesse des exportations rochelaises par rapport à celles de son concurrent bordelais, les volumes restent assez proches pour ces deux foyers d’exportation au XVIe siècle. Dès 1456, la ville s’activait à faire respecter ses franchises commerciales en Flandre (« Amos Barbot, Histoire de La Rochelle, t. I », op. cit., p. 330, et J.-B.-E. Jourdan, Éphémérides historiques, t. II, p. 48).

429  R. Favreau, « Un contrat d’assurance maritime à La Rochelle en 1490 », R.S.A. nouv., t. II, 1976, p. 79-92.

430  M. Delafosse (dir.), Histoire de La Rochelle, p. 59.

431  « Histoire de La Rochelle, t. I », op. cit., p. 322-323.

432  J.-B.-E. Jourdan, Éphémérides historiques, t. I, p. 173 et t. II, p. 508. Les marchands, locaux ou étrangers, arrivant à La Rochelle avec leurs marchandises étaient placés sous la sauvegarde royale, sans pouvoir être arrêtés ni leurs biens saisis pour des faits qui ne leur étaient pas personnels (ibid., t. II, p. 532).

433  M. Delafosse (dir.), Histoire de La Rochelle, p. 62, 64, 65 et 67. En 1468 un habitant de l’île de Ré reconnaît ainsi devoir à un marchand de La Rochelle 101 sous 8 deniers pour la vente de 130 livres de beurre et de quatre aunes de draps d’Angleterre (B.M.L.R., minutes de Noyreau, f° 24) ; des habitants d’Ars-en-Ré achètent de même à un marchand de la ville un grand nombre de vieilles pipes, sans doute en préparation des vendanges (ibid., f° 68 v°) ; puis c’est un marchand de Mareuil en Poitou qui se fournit à La Rochelle en draps d’église pour 48 écus (ibid., f° 114 v°), etc. En 1542, c’est un marchand de Jonzac qui doit à un marchand de La Rochelle 70 livres en raison de la fourniture de 1900 livres de beurre (minutes de Gaschet, f° 105).

434  En 1468, Olivier Godoux, bourgeois de La Rochelle, reconnaît devoir à des habitants de Limoges 204 écus d’or pour une vente de draps de soie, velours, satin et damas (B.M.L.R., minutes de Noyreau).

435  É. Birrier, La seigneurie de Châtelaillon aux XIVe et XVe siècles, p. 85. L’on peut noter, pour montrer toute l’importance de ce chiffre, qu’entre 1326 et 1330 les exportations annuelles saintongeaises s’élevaient à 45000 tonneaux de vin.

436  « Documents tirés des archives du duc de la Trémoille », éd. P. Marchegay, A.H.S.A. t. I, p. 87-92.

437  Dès 1454, Charles VII, considérant la petite quantité de grains produite par les environs de La Rochelle, exempta les marchands qui en apporteraient par terre ou mer du droit de 12 denier par livre (J.- B.-E. Jourdan, Éphémérides historiques, t. I, p. 303).

438  Saudau, Saint-Jean-d’Angély d’après les registres de son échevinage, p. 143.

439  « Société rurale et économie de marché en Saintonge aux XVe-XVIe siècle : l’exemple de la seigneurie de Taillebourg et de ses environs », R.S.A. nouv., t. X, 1984, p. 63-104.

440  B.M.P., Dom Fonteneau, t. XL, p. 93.

441  A.D. 86, 3 H1-212.

442  C. Nau, Contribution à l’histoire de l’Aunis et de la Saintonge…, op. cit., p. 173. Elle ne saisit qu’imparfaitement la complexité de la reconstruction commerciale à des rythmes régionaux différenciés, quoiqu’elle ait souligné celle-ci à propos de la reconstruction agraire : le rétablissement des foires de Jonzac, pas avant 1473, est le signe d’une reconstruction du réseau des foires et marchés bien plus lente en Saintonge méridionale qu’en Aunis.

443  La création de foires à Rioux est mentionnée en 1473 (L. Audiat, « Saint Eutrope et son prieuré », A.H.S.A. t. II, p. 297, note, d’après le fonds de Beaumont de la B.M.S.). Celle de Pisany l’est en 1476 (Ordonnances des Rois de France…, t. XVIII p. 203, d’après A.N., JJ 201 n° 82).

444  Pendant une bonne part du XVe siècle, la concession d’assemblées à un bourg donné n’est pas forcément l’indice d’un essor commercial, mais de la volonté de réorganiser la seigneurie, puisque les foires et marchés sont perçus comme un élément de la reconstruction servant à relever les bourgs ruinés (cf. infra, p. 159-160).

445  Nous ne remercierons jamais assez M. Glénisson de nous avoir laissé avec gentillesse dépouiller les transcriptions de ces documents dont il disposait.

446  La ville de Poitiers à la fin du Moyen Âge..., op. cit., p. 428.

447  Le grand nombre de créations attestées localement qui ne le sont pas au Trésor des Chartes (Dompierre, Roissac, La Jarrie, Andilly, Rioux, Aulnay, Saint-Savinien etc.) montre que ces lacunes ne peuvent être seulement des oublis du transcripteur auquel nous avons recouru, François Maillard.

448  J. Lamare, Pont-L’abbé-d’Arnoult, une forteresse méconnue, p. 52. L’auteur n’a malheureusement pas cité sa source, empêchant toute vérification auprès de l’original, peut-être plus explicite.

449  A.D. 86, 3 H 1-272, vers 1520-1530.

450  Vars, qui possède en 1500 quatre foires et un marché, se voit doter de deux nouvelles assemblées (A.N., JJ 234 n° 90, 49 v°), signe que la reconstruction est déjà achevée dans la région et que l’heure est à l’essor commercial proprement dit. Pour Montignac en 1480 (A.N., JJ 207 n° 52, f° 25 v°), il s’agit cette fois d’un contexte de reconstruction, les foires étant créées pour la « repopulacion » du lieu, affaibli après les guerres.

451  B.M.L.R., ms. 3113, 3e partie, p. 106.

452  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 111-112.

453  B.M.L.R., ms. 2634.

454  B.M.C., MM. 32, p. 395. Ces statuts sont notamment confirmés en 1486 et 1559 (B.M.C., MM 32, p. 410-412), et calqués sur ceux de Saintes (Marvaud, Études historiques sur Cognac, t. II, p. 90).

455  Lacurie, « Monographie de la ville de Saintes », R.C.A.M. année 1862, p. 217-220.

456  A.D. 17, H suppl. 183.

457  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 50 : « statuts en forme de règlement, faits par la dame comtesse de Taillebourg, pour la boucherie de Taillebourg (…) ».

458  A.D. 86, 3 H 1-299, f° 78.

459  L’on trouve dans un inventaire du château de Taillebourg de 1528, une mention, hélas laconique, des « lettres des foyres et élection de Saint Savinien » (A.H.S.A. t. XVIII, p. 333). Il est très probable qu’il s’agit d’un octroi royal de nouvelles assemblées, que l’on ne retrouve cependant pas au Trésor des Chartes.

460  A.N., JJ 218, n° 202, f° 112.

461  A.N., JJ 222 n° 58.

462  A.N., JJ 243 n° 460, f° 137. Édité dans le B.S.A.H.C., 6e série t. IV, 1894, p. XLVII.

463  A.N., JJ 259 n° 59, f° 39 v°.

464  « Jonzac et Ozillac », op. cit., p. 339-344.

465  Les plaintes des bourgeois de Saint-Jean-d’Angély contre la concurrence ainsi faite à leur marché du samedi nous permettent de connaître l’existence de cet acte, non recensé au Trésor des Chartes (B.M.S.J., FF 41).

466  B.M.L.R., ms. 2691 f° 172 v° et 2692 f° 178 v° (Mi 139). En 1459, le receveur de Châtelaillon ne touche pas les revenus de la foire parce qu’elle ne se tient plus, mais en 1470 la foire avait été rétablie, puisqu’elle rapportait 18 deniers au terme de la saint Jean.

467  Ordonnances des rois de France... t. XV, p. 363-364. Quatre foires sont créées. Un marché existait déjà sous une halle, puisque l’on en a rapporté la mention en 1410.

468  B.M.L.R., ms. 300, f° 111 r°.

469  A.D. 17, 1 J 161-20.

470  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., 335-336.

471  Documents inédits…, éd. P. Marchegay, op. cit., p. 18-20.

472  A.D. 86, 3 H1-212.

473  A.N., JJ 184 n° 39.

474  « Jonzac et Ozillac », op. cit., p. 232-235.

475  L. Audiat, « Saint Eutrope et son prieuré », A.H.S.A. t. II, p. 297, note.

476  « Recueil des documents concernant le Poitou… t. XI », éd. L. Célier, A.H.P. t. XXXVIII, p. 400.

477  Ordonnances des rois de France…, t. XVIII, p. 203.

478  L’on constate en effet en 1485, à propos des halles de Cognac, que « de present par chascun jour y afflue grand abondance de peuple et marchans estallans et vandans leurs marchandizes es estaux » (B.M.C., MM 32, p. 400), ce que reflète dès 1441 le tarif de la taxe prélevée par les bourgeois sur les marchandises transitant dans leur ville (A.D. 17, E 237). De même Pons « est fort peuplée et y a grant aport [dont] aussi des estrangiers qui y affluent chacun jour » en 1510 (A.D. 17, H suppl. 183).

479  A.N., JJ 195, n° 28 f° 10 et n° 47 f° 15.

480  Cf supra, p. 139.

481  A.N., JJ 225 n° 73, f° 16 (Archiac), et JJ 226 A, n° 198 (La Jarrie).

482  A.N., JJ 209 n° 119, f° 68. De tels déplacements, on l’a vu, étaient impensables un demi-siècle plus tôt.

483  A.N., JJ 184, n° 220, f° 147. Villequier omettait de signaler que l’abbesse de Saintes tenait depuis toujours des foires et marchés à Marennes. Celle-ci s’opposant à l’érection de ces assemblées, un conflit s’ensuivit jusqu’à la conclusion d’un compromis (A.D. 17, H 76, pièce 2, p. 8).

484  Ordonnances des rois de France…, t. XVIII, p. 203-204 : « (...) Humblement requerant ledit suppliant (...) créer, ordonner et establir quatre foyres et un marché chascune semaine de l’an, affin que ledit lieu se puisse mieulx remplir, repeupler et édiffier (...) ».

485  A.N., JJ 208 n° 14, f° 7 v°. Charles de Coëtivy affirme que sa seigneurie étant « fort depopulee et gastee » à cause des guerres, il serait conforme au « bien et utillité de la dicte ville et repopulacion dicelle et du païs d’environ » d’y créer de nouvelles foires et d’y rétablir le marché. Pour Montignac, cf supra, note 450, p. 154.

486  A.N., JJ 232 n° 149, f° 77 (janvier 1499 a. s.). Il y est question de la nécessité de « mieulx repopuller et edifficier le dit village qui est cheu en grant ruine ».

487  A.N., JJ 235 n° 322, f° 107 (Boutiers, 1501) et JJ 235 n° 104 f° 17 (Saint-Dizant, 1501) : Boutiers « est assis en bon et fertil païx ou croissent et habundent grant quantité de blez, vingt, foings, avoines et autres biens pour lesquels vendre seroit très requis qu’il y eust » foires et marché.

488  A.N., JJ 253 A n° 69 f° 22 v°.

489  A.N., JJ 259 n° 59, f° 39 v° : « (…) aussy y affluent, passent et repassent plusieurs marchans venans et trasficquant avec toute sortes de marchandises, mesmement de bestail et autes denrées (…) ».

490  La création des foires de Plassac en 1530 est ainsi justifiée par Jacques de Pons par son souhait de profiter du passage des marchands, qui ne s’y arrêtent pas faute de foires, pour y développer le commerce, afin que les habitants de cette bourgade « se puissent resouldre et viennent en augmentacion de biens » (A.N., JJ 245 A n° 262 bis, f° 73 v°). L’enrichissement est bien désormais la motivation première.

491  A.N., JJ 218, n° 202, f° 112.

492  Ordonnances des rois de France…, t. XV, p. 240-242 (Condom) et 469-470 (Bayonne).

493  Cf supra, p. 138.

494 Ibid., p. 92.

495 B.M.L.R., ms. 2691 (Mi 139), compte de 1459-1460, f° 172 à 174. Ibid., ms. 2692 (Mi 139), compte de 1472, f° 178-179.

496 A.N., P 5582, n° 1226.

497 A.N., 1 AP 1928.

498 B.M.L.R., ms. 284, f° 161-163.

499 A.H.S.A. t. III, p. 367-370. Rappelons qu’en 1406 la perception de ces rentes était suspendue, car plus aucun marché ne se tenait à Cozes et Saujon (A.N., P 5552 n° 272).

500 Dont la somme considérable de 26 livres pour les droits de vente et plaçage (B.M.P., ms. 563, compte de la seigneurie de 1495-1496, d’après la copie d’un original privé par l’érudit A.-F. Lièvre, p. 57-59).

501 R.C.A.M. t. XII, 1893-1894, p. 497.

502 A.D. 17, 1 J 353, p. 418 : bail à Jean Moreau du droit de minage pour trois ans au prix total de 45 livres. Aux recettes du minage s’ajoutaient les revenus commerciaux des assemblées dont l’on peut se faire une idée grâce à la partie d’entre eux perçue par le seigneur de Thors (cf infra, p. 164, tableau des revenus commerciaux de Thors).

503 Dont 55 sous pour les estellaiges de l’alle et ville (A.N., 1 AP 181, f° 59-63. Transcription et communication de M. J.-C. Bonnin).

504 À cette date en effet, une rente de 11 livres sur le minage est vendue au comte d’Angoulême pour 120 livres (Marvaud, Études historiques sur la ville de Cognac, t. I, p. 183, note).

505 Documents historiques inédits sur le département de la Charente-Inférieure, éd. L. de Richemond, p. 93.

506 A.N., 1 AP 2016.

507  B.M.L.R., ms. 2465, f° 25 r° (affermage des revenus en 1478 à Olivier Demele) et f° 35 v° (affermage de 1479 à Guillaume Beslac). Ce manuscrit, distrait du chartrier de Thouars, a été inconnu de Camille Gabet, dans son étude sur « La paroisse de Rochefort aux XIVe-XVe siècles » (B.P.H., année 1966, p. 545-553), qui se basait notamment sur plusieurs registres de compte seigneuriaux de la seconde moitié du XVe siècle et du XVIe siècle. Il mentionne parmi les revenus de la châtellenie, p. 552, la ferme des foires et marchés pour 2 sous seulement, sans donner ni l’année ni les références de cette indication. Il est possible qu’elle se situe avant notre compte de 1469, la ferme ayant augmenté, en suivant la tendance générale.

508  A.N., 1 AP 2013.

509  A.N., 1 AP 1910, pièce 10 : ces revenus étaient alors affermés 10 livres 10 sous.

510  B.M.L.R., ms. 2691 (Mi 139), f° 172 r° et 173 r°.

511  Éric Birrier indique qu’en 1458 subsistent toujours de nombreuses « terres gastes » (La seigneurie de Châtelaillon…, op. cit., p. 77-78), et que si entre 1401 et 1471 les quatres péages de la seigneurie ont tendance à croître, cet essor est localisé dans le temps : la ferme du péage de la Moulinette, par exemple, passe de 60 livres en 1401 à 20 livres en 1458, ce qui reflète l’échec de la « petite reconstruction », et de 20 livres en 1458 à 121 en 1471 (ibid., p. 85). C’est alors que la seigneurie paraît profiter de la réanimation des échanges commerciaux. Il est donc étonnant que les fermes des assemblées, qui auraient dû entre 1458 et 1472 suivre cette courbe ascendante, voient leurs revenus stagner, à moins que les flux de marchandises se soient, avec la reconstruction, détournés vers les foires de places voisines plus actives (La Jarrie ou Bourgneuf, par exemple).

512 A.D. 17, 1 J 356-21, registres de compte de la terre de Thors, années 1438-39 (f° 3 r°), 1475-76 (f° 3 v°) et 1477-78 (f° 1 v°). Un autre registre, sans date, de la seconde moitié du XVe siècle, mentionne que le marché de Thors est affermé 100 sols (f° 34 v°).

513  Rappelons que ce sont pas moins de 29 bouchers qui arrentèrent la grande boucherie de La Rochelle en 1348 (B.M.L.R., ms. 3113, 3e partie, p. 106).

514  B.M.L.R., ms. 2474. Plusieurs des tenanciers payaient alors la moitié ou les deux-tiers de bancs, ce qui n’est pas sans rappeler le morcellement des tenures agricoles que l’on observait à la même époque dans le cadre du « monde plein ». Les cens n’avaient ici pas encore sanctionné la ponction démographique issue de la peste noire.

515  Cf supra, p. 117.

516  A.D. 17, 1 J 356-21, registre des cens de la terre de Matha, année 1533-1534, f° 106 v° : « recepte de sous a feste Sainct Eutrope pour raison des estaulx ».

517  A.D. 17, H suppl. 183 (1510), et H suppl. 184 (1524). Aux 40 sous de cens s’ajoutent deux chappons et un quartier de mouton par an.

518  B.M.C., MM 32, p. 409-410 : lettre de François Ier confirmant les privilèges des bouchers de Cognac. Le statut de la boucherie de 1461 (ibid., p. 395-398) prévoyait pourtant de limiter les bouchers de 16 à 10. Le montant du cens est également incertain : il est fixé à 30 sous en 1485 (accensement d’un banc à Antoine Chasteignier, ibid., p. 400-402), et à 40 sous en 1500 (accensement d’un banc à Antoine Chasteignier, Mathurin Fouquer et Henri Medit, ibid., p. 405-412). Sans doute les prix varient-ils entre l’ancienne boucherie et la nouvelle, réalisée au début du XVIe siècle (cf infra, p. 170).

519  « Répertoire des titres du comté de Taillebourg », op. cit., p. 50.

520  A.D. 86, 3 H 1-299, f° 78.

521  B.M.L.R., ms. 116 (Mi 106), p. 594-595. Nous prenons pour référence le terme de la saint Jean.

522  B.M.S., ms. 10 MAR jou 24, censif de la terre de Faye, f° 34 v°, 1494.

523  A.D. 17, H 76, pièce 2, p. 8.

524  A.D. 86, 3 H 1-272.

525  B.M.L.R., ms. 2691, f° 103-104 et 170 v° ; et ms. 2692, f° 103 r° et 158 v°.

526  En 1496 le fermier des revenus commerciaux de Barbezieux est indemnisé en raison du préjudice subi suite à l’épidémie de peste (B.M.P., ms. 563, p. 109), et dès 1262 c’était celui des droits de vente de Saintes qui l’était suite à la décision de l’évêque d’interdire les échanges le dimanche (Enquêtes administratives…, op. cit., p. 125).

527  B.M.L.R., ms. 284 f° 46 et suiv. (1521-1522), 277 (1537-1538), 279 (1542-1544), 280 (1553-1555), 260 (1560-1571).

528  B.M.L.R., ms. 210, f° 227.

529  « Société rurale et économie de marché... », op. cit., p. 66., d’après A.D. 17, 1 J 356-21, registre de compte de la seigneurie de Thors de 1438-1439 (et non de Matha comme le croit cet auteur).

530  Un remarquable inventaire des productions rurales de la région de Taillebourg et d’Écoyeux achetées par les marchands des principales places commerciales pour les revendre a été dressé par Jean Chapelot, « Société rurale et économie de marché… », op. cit., à partir des sources manuscrites et de l’archéologie.

531  A.N., 1 AP 181, f° 64-69. Communication de J.-C. Bonnin.

532  B.M.C., MM 32, p. 400 (1485) : « Comme feu nostre très cher seigneur et père que dieu absolve pour l’augmentacion et acroissement du dhomayne de nostre ville et bien de la chose publique (…) dycelle nostre ville eust commancé bastir et ediffier la hasle dycelle et deppuis eussions icelle hasle fait parachever… ». Un acte de 1477 mentionne déjà la « halle, près vostre chastel, nouvellement bastie » (ibid., MM 40, p. 547). Son emplacement est conservé entre la Grande Rue et la rue Saint-Caprais. Il s’agit de la « grande halle » mentionnée dans un document de 1535 (A.H.S.A. t. XV, p. 234).

533  B.M.S., ms. 523, n° 5 : adjudication des fermages de Cognac (1411). La boucherie est réorganisée en 1461 (B.M.C., MM 32, p. 395), et est mentionnée en 1477 (« La maison de La Madeleine à Cognac », éd. Ch. Dangibeaud, A.H.S.A. t. XXVIII, p. 46-47) et 1483 (ibid., p. 143-144).

534  En 1535, il est question de cette boucherie, qui est opposée à l’antienne boucherie du XIIIe siècle (A.H.S.A. t. XV, p. 233-235).

535  B.M.C., MM 32, p. 402-405 : « Nous avons ordonné que les bancs de la poissonnerie de nostre ville de Cognac desus lesquels on a couthume de vendre le poisson seront remuez au lieu auquel les panetières ont acouthumé de vandre le pain en lad. ville, et sera fait autres bancs pour lesd. panetières au long du simetière devant la maison de Jacques Odeau et feu Jacques Mercier et au lieu de lad. poissonnerie avons baillé et arranté, baillons et arrantons par ces presentes à nostre très cher et bien amé Anthoine Chasteigner bouchier demeurant en cette ville de Cognac un banc contenant cinq pieds de long touchant au banc ». Plusieurs autres bouchers sont installés à ce nouvel emplacement (ibid., p. 407-412). La paneterie de Cognac était auparavant mentionnée en 1482 (« La maison de La Madeleine à Cognac », op. cit., p. 143-144).

536  « Jonzac et Ozillac », op. cit., p. 266, procès à propos du partage de la seigneurie de Jonzac entre les héritiers de Renaud de Sainte-Maure. Il est vrai que le procès incitait le seigneur à surestimer ses charges, pour conserver ses droits. Comme, cependant, il ne fut pas contredit, la somme considérable de douze livres paraissait plausible. La halle, démolie en 1758, et dont l’emplacement est conservé, était certes de dimension importante.

537  A.N., 2 AP 13, pièce 10. Il y est fait mention d’une rente assise sur deux pièces de terres. Or « sur l’une desdites pièces (...) lesd. nobles et puissants [seigneurs de Mirambeau] ont faict bastir et ediffier la halle ».

538  B.M.L.R., ms. 300, f° 111-112.

539  A.D. 17, H 76, p. 8 et 29. L’abbesse de Saintes, après la destruction de la halle de l’église, déplaça ses marchés et foires sur la place des Aires, « dans laquelle place il a esté basty dans la suite une halle » (sans doute après 1450, attestée en 1499). Villequier ayant obtenu des foires et marchés en 1451 (A.N., JJ 184 n° 220, f° 147), sa veuve, en 1460, « fit bastir une halle dans le bourg de Marennes ».

540  J. Chapelot, « Société rurale et économie de marché », p. 99, note.

541  La datation par dendrochronologie des piliers extérieurs de la halle de Cozes fait remonter sa reconstruction à la seconde moitié du XVe siècle (communication de Ludovic Riou).

542  B.M.S., ms. 632 (1482), et ms. 610, p. 36, 40 et suiv. (notes prises dans le terrier de 1525, conservé aux Archives Nationales, par l’érudit Charles Vigen au début du siècle).

543  A.D. 17, 20 J 1845, pièce 13, où il est question d’« ung vergier assis derrière la hasle dudit lieu d’Escoyeulx ». Le censif de 1552 mentionne plusieurs fois la halle (ibid., 20 J 28-2, p. 163, 236, 255 et 291).

544  Terrier de Beauvais-sur-Matha, éd. C. Nau, Contribution à l’histoire de l’Aunis et de la Saintonge…, op. cit., t. II, p. 81, d’après A.D. 86, registre 361.

545  A.N., JJ 2451, et A.D. 17, E 246, censif de Gémozac, p. 8, 10, 13 etc. Ce censif semble même suggérer qu’une halle et un champ de foire existaient en 1486 (p. 15). Nous resterons prudent : le scribe du milieu du XVIe siècle, en réactualisant la confrontation de la pièce de terre détaillée en 1486, a pu se servir de la topographie de son temps, mentionnant une halle peut-être récente comme point remarquable à la place du confront de 1486.

546  Voir note 483, p. 159.

547  A.N., JJ 208 n° 14, f° 7 v°.

548  Documents inédits sur l’Aunis et la Saintonge, éd. P. Marchegay, p. 111-112.

549  B.M.L.R., ms. 300, f° 110 et suiv.

550  A.N., JJ 245 A, n° 262 bis, f° 73 v° (Mirambeau) et A.N., JJ 2451, n° 297, f° 82 v° (Tonnay-Boutonne). Les deux anciennes foires de Mirambeau, à la saint Martin et la saint Barthélémy, sont mentionnées en 1445 (A.N., 2 AP 15, pièce 17). En 1571, quatre foires furent ajoutées aux cinq précédentes (A.N. 2 AP 15).

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