Faïence fine et porcelaine
|La faïence fine à Martres-Tolosane (Haute-Garonne)
Texte intégral
1La faïence à émail stannifère de Martres-Tolosane commence à être mieux connue grâce aux recherches récentes (Catalogue Toulouse 1993, Nion 2001). Une partie de la production de ce centre reste cependant ignorée : il s’agit de la faïence fine que caractérise l’emploi d’argile kaolinique donnant à la cuisson une pâte blanche se prêtant à la réalisation d’un décor peint sans que soit nécessaire un support à base d’oxyde d’étain.
2Plusieurs assiettes appartenant à des collections privées ou publiques rendent possible une première approche de cette faïence particulière. Elles ont été réalisées mécaniquement au moyen d’un calibre qui a permis d’obtenir simultanément leur contour et leur pied annulaire. Cette opération a laissé un point en léger relief, au centre de la face externe du fond.
3L’une de ces assiettes, en première cuisson, est conservée au Musée du Vieux-Toulouse (no inventaire 89.13.17). Elle provient de la manufacture du Matet où elle a sans doute été façonnée. Creuse et de la forme dite « à calotte » (diam. 19,3 cm ; hauteur 3,5 cm), elle se caractérise par une paroi oblique pratiquement rectiligne que termine une simple lèvre arrondie. Son pied annulaire peu saillant est bordé intérieurement par trois petits filets (ill. 1, n° 1 et ill. 2). Sa pâte est de couleur blanche (Code expo. C 90). Deux marques en creux — M88 et 3 — sont poinçonnées sur le fond externe (ill. 3).
4La seconde assiette (diam. 25, cm ; haut. 4,6 cm) appartient à une collection particulière (H. Améglio). Elle présente un marli fortement oblique avec lèvre simplement arrondie ; son bassin profond et légèrement bombé a une paroi en arc de cercle. Comme pour l’assiette précédente, le fond repose sur un pied annulaire peu marqué (ill. 1, n° 2 et ill. 4). La glaçure, de couleur jaune pâle (Code expo. A 61) est finement craquelée. Disposées en triangle, les empreintes de pernette visibles, en deux endroits, sur la bordure de la lèvre et, en un seul point, sur la face postérieure du marli semblent indiquer une cuisson quasi verticale. Des traces d’utilisation marquent le fond.
5Le décor du marli est constitué de deux filets marron exécutés à la tournette, l’un à la jonction des deux parties de l’assiette et l’autre en bordure de la lèvre où il est doublé intérieurement par une frise de carrés pointés. Ces carrés, de couleur verte, ont été réalisés par groupe de trois à l’aide d’un pochoir ou d’un tampon. Il en est résulté de légers défauts d’alignement et des chevauchements. La même technique a été utilisée pour les fleurettes bleues qui, au nombre de quatre, partagent la frise en autant de parties à peu près égales. Elles sont prises dans un cercle et comportent huit pétales chacune (ill. 5).
6Réalisé à main levée, le décor du fond est traité en noir. D’une symétrie presque parfaite, il montre deux cygnes nageant en direction opposée sur une pièce d’eau qu’agrémentent, au premier plan, deux bouquets de roseaux à quenouille. Le cygne de droite paraît plus proche du fait de sa taille. Les reflets de l’eau que déplacent les oiseaux sont indiqués par de petits traits noirs soulignés de vert. Quelques touches de bleu posées sans grand soin suggèrent la transparence de l’eau.
7Le corps des oiseaux et une de leurs ailes sont bordés de gris ; l’autre aile, légèrement relevée, est entièrement colorée, de gris pour celui de gauche, de noir pour son opposé. Becs et pattes sont jaunes.
8Les bouquets de roseaux n’ont pas la même taille et celui de gauche est un peu plus fourni. Les quenouilles, plus courtes que les feuilles et de couleur jaune, sont disposées en bordure. Entre les cygnes figure une plante indéterminée dont les extrémités portent une petite touche jaune censée représenter une fleur.
9Au revers de la pièce se trouve le blason de Martres surmonté d’une couronne crénelée et entouré de l’inscription FAIENCERIES DE MARTRES-TOLOSANE. Dans la partie centrale, deux numéros de série en creux — D6 (?) et O — ont été imprimés au poinçon. La rapidité d’exécution a rendu le premier en partie illisible (ill. 6).
10La troisième assiette a fait successivement partie des collections Félix Mathieu et Georges Savès (ill. 7). Plate et de plus petit diamètre que la précédente (21,7 cm pour une hauteur de 2,8 cm), elle a bénéficié de trois techniques différentes pour sa décoration. Dans la partie centrale, une corbeille en vannerie a été réalisée au pochoir. Posée sur un bouquet de feuilles au contour arrondi, elle est de forme évasée et des traits obliques associés à des points suggèrent l’osier tressé. Ces points et le fond de la corbeille sont de couleur jaune (CUC 256).
11Trois fleurs également réalisées au pochoir et de couleur lilas comme la corbeille (CUC 237) forment un bouquet dont le feuillage est partagé en deux masses quasi symétriques. D’autres feuilles surmontent les fleurs : elles sont davantage fournies pour celle qui, presque verticale, sert d’axe à la composition. Pour les fleurs latérales, inclinées vers l’extérieur, les feuilles ne sont qu’au nombre de trois, celle du milieu étant plus développée. La plupart des feuilles sont d’un vert soutenu (CUC 361-381), les autres du même jaune que le fond de la corbeille. Ce jaune est également utilisé pour le point central des fleurs.
12Le décor de l’aile contraste par sa légèreté. Il est simplement constitué d’impressions de couleur brun très pâle (Code expo. 62 C) qui, réalisées à l’éponge, forment bandeau à proximité de la lèvre.
13Cette assiette, munie d’un pied annulaire, possède sur son fond externe une marque en noir figurant le blason de la ville surmonté d’une couronne crénelée et accompagné de l’inscription FAIENCERIES DE MARTRES-TOLOSANE (ill. 8). Bien que le blason soit légèrement différent de celui de l’assiette précédente et que les lettres de l’inscription s’arrêtent à sa hauteur au lieu de monter un peu plus haut comme sur la pièce précédente, l’appartenance au même atelier ne fait aucun doute. Au centre, le numéro de série 8D5 a été imprimé dans l’argile avec un poinçon. Il est accompagné d’une inscription à l’encre de chine tracée sur vernis par Félix Mathieu :
faïence blanche anglaise
de Martres-Tolosane
2. partie du 19e siècle
14Une publication récente (Duffaut 2000, p. 31) permet d’attribuer les deux marques aux Faïenceries de Martres-Tolosane (Anciens Etablissements Ajustron, Her & Pons réunis) dont les locaux, au 10 Avenue de la Gare, sont aujourd’hui occupés par la manufacture La Tolosane. Société anonyme créée en 1918 « dans le but de rénover et de développer l’industrie centenaire de Martres-Tolosane », les Faïenceries de Martres-Tolosane firent alors appel à M. Bourdaleix, ancien directeur des usines Vieillard et Cie à Bordeaux, « pour modifier la composition des terres, de manière à obtenir les objets de consommation courante, assiettes, bols, plats non encore fabriqués à Martres ». N. Duffaut précise que « des deux fours, de soixante mètres cubes chacun, sort une production industrielle et (que) les pièces portent une marque imprimée : Faïenceries de Martres-Tolosane, entourant les armes de Martres surmontées d’une couronne ».
15A la faïence fine se rattache également une petite assiette plate (diam. 21,4 cm ; haut. 2,7 cm) dont le décor n’employant que deux couleurs, le manganèse pour le dessin et le vert pour le remplissage, est fortement inspiré par celui des faïences stannifères produites au XVIIIe siècle à Moustiers (Musée du Vieux-Toulouse, n° inventaire 98.4.1) (ill. 1, n° 3 et ill. 9).
16Sur le fond, l’élément principal de ce décor est un échassier placé sur une terrasse constituée par la juxtaposition de trois arcs de cercle inégaux en double trait de couleur manganèse. Au-dessous, des traits obliques de couleur verte se touchant presque s‘échappent d’une ligne de même couleur dont le tracé reproduit celui de la terrasse. Faisant penser à un héron, l’oiseau, tête baissée et bec largement ouvert, est sans doute en train de chasser. Il est coloré en vert, à l’exception de la tête. La raideur de sa facture contraste avec la souplesse des rameaux entrecroisés qui l’encadrent. En position inversée, deux croix de Saint-André avec un point vert entre les branches et deux petits rameaux à trois feuilles complètent ce motif.
17Sur l’aile, on retrouve en plus petit la même terrasse répétée deux fois, au-dessus et au dessous du motif principal. Des rameaux fleuris s’en échappent sur les côtés, ceux placés au-dessous empiètent sur le fond. D’autres rameaux, également entrecroisés, séparent les terrasses et leur feuillage. Enfin, un large filet vert réalisé à main levée souligne la lèvre ; il est délimité intérieurement par un trait manganèse.
18Au revers de l’assiette qui, comme les précédentes, est portée par un pied annulaire en faible relief, figurent, venus en marron, le blason de Martres surmonté d’une couronne crénelée et l’inscription OPAQUE MARTRAISE (ill. 10). Il est fort possible que cette assiette provienne de l’atelier de Jean-Noël Pons qui, en 1914, dépose cette marque (Lesur et Tardy 1971, p. 417).
19A travers les quelques exemples répertoriés ici, cette production d’un genre nouveau pour Martres se caractérise, en ce qui concerne le décor, par un niveau d’exécution assez moyen. Elle apparaît comme le témoignage d’une tentative de diversification dont il serait intéressant de préciser à quel moment elle débute et quels en ont été les initiateurs, à côté de Bourdaleix et, peut-être, de Pons. Pour l’instant, on peut seulement affirmer que celle-ci s’est produite au début du XXe siècle alors que se faisait sentir un besoin de renouvellement, la faïence stannifère martraise, orientée surtout vers la production d’objets utilitaires, connaissant un certain déclin. C’est d’ailleurs à la même époque que d’autres essais furent entrepris pour tenter de relancer une production artistique notamment avec le Néo-Martres dont les motifs étaient dessinés par Henri Pareyre, professeur d’art décoratif à l’Ecole des Beaux-Arts de Toulouse (Peyre 1917). En ce qui concerne la faïence fine, cette tentative martraise qui restera probablement sans lendemain, est tardive puisque les faïenceries de Toulouse et de Saint-Gaudens s’étaient tournées vers ce type de production dès le début du XIXe siècle. Ils avaient été imités au commencement du siècle suivant par la faïencerie castraise de l’Albinque dont les fours ne cessèrent de fonctionner qu’en 1936, après une période de production assez intense (Artigaut 1991, p. 38).
Bibliographie
Bibliographie
ARTIGAUT (René), Pour une histoire de la faïencerie de l’Albinque à Castres, Cahiers de la Société culturelle du Pays castrais, 11, 1991, 46 p. (Artigaut 1991).
CATALO (Jean), CAZES (Quitterie), GALINIER (Marie-Louise), JOLIBERT (Bernard), NADAILLAC (Alix de), SUZZONI (Jean-Pierre), VILLEVAL (Gérard), Les faïences de Toulouse et de sa région, Loubatières, Toulouse, 1993 (Catalogue Toulouse 1993).
CAYEUX (A.) et TAYLOR (G.), Code expolaire des couleurs, Paris, Boubée, 1963 (Code expolaire).
SEGUY (E.), Code Universel des Couleurs, Paris, Lechevalier, 1936 (CUC).
DUFFAUT (Nicole), Une lignée de faïenciers : Les Her, texte polycopié, Toulouse, 2000, 52 p. (Duffaut 2000).
LESUR (Adrien) et TARDY, Les poteries et les faïences françaises, Paris, Tardy, 1971 (Lesur et Tardy 1971).
NION (Aurélie), La faïence de Martres-Tolosane sous l’Ancien Régime, Etat de la question, Mémoire de Maîtrise sous la direction de P. F. BERTRAND, Université de Toulouse II - Le Mirail, 2001 (Nion 2001).
PEYRE (Roger), « Les faïenceries de Martres-Tolosanes », Faenza, 5, 1917, p. 12-17 (Peyre 1917).
Les auteurs remercient Henri Améglio et Mathieu Ferrier pour leur collaboration.
Table des illustrations
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Légende | ill. 1 : Assiettes en faïence fine de Martres-Tolosane |
Crédits | (dessin J.-M. Lassure). |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/40661/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 15k |
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Légende | ill. 2 : Assiette creuse du Musée du Vieux-Toulouse |
Crédits | (cliché M. Ferrier). |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/40661/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 23k |
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Légende | ill. 3 : Assiette creuse du Musée du Vieux-Toulouse. Marque en creux |
Crédits | (cliché M. Ferrier). |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/40661/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 6,2k |
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Légende | ill. 4 : Assiette creuse de la collection H. Améglio |
Crédits | (cliché M. Ferrier). |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/40661/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 31k |
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Légende | ill. 5 : Assiette creuse de la collection H. Améglio. Détail du décor |
Crédits | (photo M.-T. Tinet-Lassure). |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/40661/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 11k |
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Légende | ill. 6 : Assiette creuse de la collection H. Améglio. Marque |
Crédits | (cliché M. Ferrier). |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/40661/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 9,3k |
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Légende | ill. 7 : Assiette plate de la collection G. Savès |
Crédits | (cliché M. Ferrier). |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/40661/img-7.jpg |
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Légende | ill. 8 : Assiette plate de la collection G. Savès. Marque |
Crédits | (cliché M. Ferrier). |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/40661/img-8.jpg |
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Légende | ill. 9 : Assiette plate du Musée du Vieux-Toulouse |
Crédits | (cliché M. Ferrier). |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/40661/img-9.jpg |
Fichier | image/jpeg, 35k |
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Légende | ill. 10 : Assiette plate du Musée du Vieux-Toulouse. Marque |
Crédits | (cliché M. Ferrier). |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/40661/img-10.jpg |
Fichier | image/jpeg, 8,7k |
© Presses universitaires du Midi, 2003