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Faïence fine et porcelaine

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Jean-Michel Minovez

Du « grain de riz » à l’impression. Industrialisation et produit céramique révolutionnaire : « la faïence fine »

Christian Maire

Texte intégral

La « faïence fine » fut lontemps méprisée et écartée par les historiens de la céramique : sa faute, être industrielle ?

  • 1 Ici l’appellation « faïence fine » est entendue sous la forme définie par Alexandre Brongniart en 1 (...)

1Les ouvrages du XIXe siècle traitant de l’histoire générale de la céramique ont longtemps délaissé la « faïence fine1 » ne consacrant à celle-ci que de brefs passages. L’objectif n’est pas ici d’écrire l’histoire de la bibliographie de la « faïence fine ». Cependant une constatation s’impose, au XIXe siècle, cette matière n’est abordée, dans un ouvrage complet, que par Alexandre Brongniart dans son Traité des arts céramiques et des poteries. A. Brongniart, créateur du futur Musée national de céramique de Sèvres, établit les bases scientifiques d’un classement des productions regroupant toutes les informations techniques concernant chacune d’entre elles. Ouvrage destiné particulièrement aux praticiens, il n’effleure que succinctement l’histoire des manufactures.

  • 2 M. O…, ancien manufacturier, revu pour la partie chimique par M. Bouillon-Lagrange, L’art de fabriq (...)
  • 3 F. Bastenaire-Daudenard, L’art de fabriquer la faïence blanche recouverte d’un émail transparent à (...)
  • 4 A. Houze de l’Aulnoit, Essai sur les faïences de Douai dites grès anglais, Extrait des mémoires de (...)
  • 5 A. Nicolaï, Histoire des faïenceries de Bordeaux au XIXe siècle, Bordeaux, Delmas, 1937.
  • 6 La faïence française de 1525 à 1820, Paris, 1932, cat. exp. Pavillon de Marsan, Palais du Louvre.
  • 7 Faïences françaises XVIe-XVIIIe siècles, Paris, RMN, 1980, cat. exp. Galeries nationales du Grand P (...)
  • 8 E. S. Auscher, Comment reconnaître les porcelaines et faïences d’après leurs marques et leurs carac (...)
  • 9 X. de Chavagnac, G. de Grollier, Manufactures françaises de porcelaines, Paris, 1906.
  • 10 P. Alfassa, J. Bloch, J. Chompret, J. Guérin, Répertoire de la faïence française, Publié à l’occasi (...)

2Deux livres du XIXe siècle vont diffuser les premières indications techniques sur la « faïence fine », celui d’Oppenheim et Bouillon-Lagrange2 en 1807, puis celui de Bastenaire-Daudenard3 en 1828. Sur le plan historique un texte sur Douai4, paru en 1878, représente le premier ouvrage entièrement consacré à un centre manufacturier de « faïence fine ». Les soixante premières années du XXe siècle ne sont pas plus fécondes en textes d’importance sur cette fabrication. Un second ouvrage sur un centre manufacturier tourné vers cette production paraît en 1932, celui d’Alexandre Nicolaï5 consacré à l’histoire des faïenceries de Bordeaux au XIXe siècle. Si le catalogue de l’exposition du Pavillon de Marsan au Louvre6, en 1932, donne quelques bribes d’informations sur certains centres de « faïence fine », aucune n’apparaît dans celui de l’exposition sur la faïence française de 19807 au Grand Palais. Certes, Messieurs Auscher8 ainsi que Chavagnac et Grollier9 et le Docteur Chompret10 apportent quelques informations historiques, mais elles ne sont que parcellaires et succinctes sur les manufactures de « faïence fine ». La priorité est donnée aux importants centres faïenciers et porcelainiers.

  • 11 H.-P. Fourest, « La faïence fine française des origines à 1820, à l’exposition du Musée national de (...)
  • 12 M. Ariès, La manufacture de Creil 1797-1895, Paris, Librairie Guénégaud, 1974.
  • 13 M. Ariès, Creil faïence fine et porcelaine, Paris, Librairie Guénégaud, 1994.

3Il faut attendre 1969 pour qu’une exposition centrée sur ce produit céramique voit le jour, sous l’impulsion de Henry-Pierre Fourest au Musée national de céramique. Et encore, cette manifestation ne montre que des objets « des origines à 1820 », H.-P. Fourest explique le choix de 1820 comme année butoir de l’exposition : « […] c’est à cette date que la France adopte l’emploi de la faïence feldspathique. C’est là l’éveil d’une conception industrielle de la céramique11 ». Le mot est écrit, laissant sous-jacente l’idée que la production postérieure n’a que peu d’importance car elle revêt un caractère… industriel. Et il faut bien le dire, ce qualificatif a suscité beaucoup de mépris pour la « faïence fine » d’où l’absence d’étude conséquente. Madame Maddy Ariès publie en 1974 la première monographie12 du XXe siècle consacrée à une manufacture de « faïence fine » : celle de Creil. Dans son avant-propos de la réédition de 1994 elle précise : « Visant à une production abondante et à un prix de revient très bas, ces nouvelles manufactures transformèrent complètement l’objectif de la céramique française, ce qui était jusque-là un art, allait devenir une industrie13 ». Si cette dernière affirmation est relativement facile à démontrer pour le XIXe siècle, qu’en est-il au XVIIIe siècle ? Le passage de l’art à l’industrie a-t-il pu être brutal, immédiat vers 1820 ? Ou au contraire, cette industrialisation n’est-elle pas dans les germes mêmes de la « faïence fine » et de son apparition en France au XVIIIe siècle ?

  • 14 P. Goubert, D. Roche, Les Français et l’ancien régime - 1 - la société et l’état, Paris, Armand Col (...)
  • 15 Dictionnaire historique de la langue, Paris, Le Robert, 1992.

4Pour Pierre Goubert et Daniel Roche14, le terme industriel prend son acception actuelle vers 1750. Le Dictionnaire historique de la langue l’associe à « machinisme » dès 1765 et, définit le mot industrie dès 1771 comme une « […] activité économique ayant pour objet l’exploitation des richesses minérales, des sources d’énergie et la transformation des matières premières en produits fabriqués15 ». Ce même dictionnaire nous informe que le sens moderne de l’adjectif « industriel », signifiant produit par l’industrie, apparaît en 1804 et donne naissance à la locution « quantité industrielle ». Dès lors, l’observation des produits fabriqués en grand nombre au XVIIIe siècle peut être un point de départ pour analyser le caractère économique de la production de « faïence fine » pendant ce siècle.

Recherche des indices d’industrialisation, sources de l’explication de cette mise à l’écart, en comparant une manufacture de « faïence fine » avec une activité admise comme une industrie du XVIIIe siècle

  • 16 J.-Y. Grenier, L’économie d’ancien régime, Paris, Albin Michel, 1996, p. 229.

5Si comme l’écrit Jean-Yves Grenier : « La démarche historique ne relève pas de la preuve mais de l’interprétation ; la convergence des indices, statistiques ou non, est la seule source de légitimité16 », essayons d’observer des indices statistiques, ou non, légitimant l’idée que, la faïence fine, devient industrielle peu de temps après sa naissance en France.

La céramique et l’industrie du XVIIIe siècle : le choix de l’entreprise d’Oberkampf à Jouy-en-Josas

  • 17 D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France du XVIe siècle à nos jours, Paris, Éditions du Seuil (...)
  • 18 P. Butel, L’économie française au XVIIIe siècle, Paris, Sedes, 1993, p. 216.
  • 19 D. Terrier, Histoire économique de la France d’ancien régime, Paris, Hachette supérieur, 1998.
  • 20 Ibid., p. 85.
  • 21 P. Goubert, D. Roche, op. cit., p. 51.
  • 22 A. Dewerpe, Y. Gaulupeau, La fabrique des prolétaires - Les ouvriers de la manufacture d’Oberkampf (...)
  • 23 Ibid., p. 14.
  • 24 D. Terrier, op. cit., p. 99.

6La première source chiffrée est représentée par le tableau des valeurs des productions industrielles et celle de la production céramique (Tableau n° 1). Certes, ce n’est pas une comparaison quantitative d’objets fabriqués, difficile à réaliser, mais une comparaison entre des valeurs globales de différentes activités de la fin du XVIIIe siècle considérées comme déjà industrielles et la production de faïence et porcelaine en région parisienne. La valeur des produits céramiques est de 275 fois moindre que celle des productions textiles ! Cette première source nous indique que, en valeur absolue, la céramique n’est pas industrielle. Elle confirme aussi que le textile peut être considéré comme tel. Par ailleurs les ouvrages analysant l’industrie du XVIIIe siècle, comme celui de Denis Woronoff17, s’ils traitent de la sidérurgie, de la houille et des verreries, concentrent leurs études sur la production textile et ses manufactures. Pierre Butel abonde dans ce sens en écrivant : « La France du XVIIIe siècle a vécu une économie industrielle faite d’une gamme très large d’industries, que l’accent souvent mis sur le seul textile empêche souvent de bien dégager18 ». Didier Terrier, dans son Histoire économique de la France19, précise que les termes, manufacture, fabrique et usine sont des concepts mouvants, avant 1750. Pendant la deuxième moitié du XVIIIe siècle, le mot manufacture désigne « un grand établissement de productions traditionnelles faites par une main d’œuvre très qualifiée20 ». Mais pour P. Goubert et D. Roche « ce terme n’évoquait qu’exceptionnellement une concentration de bâtiments et de travailleurs mais plutôt des nébuleuses d’ouvriers dispersés, bien que relativement spécialisés dans la transformation d’un produit naturel simple, comme la laine21 ». Alain Dewerpe dans La fabrique des Prolétaires, les ouvriers de la manufacture d’Oberkampf, précise en citant l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences et des métiers parue en 1765 à Neuchâtel : « la manufacture, c’est d’abord “un lieu où plusieurs ouvriers s’occupent d’une même sorte d’ouvrage” ou “un établissement qui nécessite plusieurs ateliers, boutiques, ou ouvroirs, des magasins, etc., dans lesquels on emploie différens ouvriers à ranger, mêler, assortir, à modifier telle ou telle sorte de matière, ou plusieurs sortes de matières et à les convertir à nôtre usage”22 ». Cette dernière définition est empruntée à L’encyclopédie méthodique, Manufactures Arts et Métiers écrite par Roland de la Platière et parue à Paris en 1785. Le même auteur, A. Dewerpe, nous situe l’activité d’Oberkampf comme étant « une industrie de pointe dont le rôle fut décisif à l’origine de l’industrie moderne23 ». D. Terrier confirme qu’en 1780 « la protofabrique d’indienne d’Oberkampf […] préfigure par la concentration des bâtiments sur un seul site et la discipline qui prévaut dans l’organisation du travail, le système usinier qui se mettra en place par la suite. Parfois les entrepreneurs bourgeois ou nobles, confient la direction à des techniciens24 ». Le caractère industriel de l’entreprise de Jouy-en-Josas paraît être bien admis des historiens.

La manufacture du Pont-aux-Choux peut-elle être représentante de la « faïence fine » en France au XVIIIe siècle ?

7Il devient nécessaire d’examiner la production de « faïence fine » du XVIIIe siècle en France. Sans être exhaustif, le tableau n° 2 regroupe la majorité des centres céramiques fabriquant de la « faïence fine » pendant ce siècle. Son observation montre que seuls cinq d’entre eux réalisent cette matière nouvelle de manière continue à partir de 1743-1759 et ce jusqu’au moins 1788 : le Pont-aux-Choux, Luneville, Saint-Clément, Épinal et Montereau. Parmi eux, trois ont une autre fabrication : la faïence, et celle-ci est mieux connue que leurs productions de « faïence fine ». Il en va ainsi pour Lunéville, Saint-Clément et Épinal. Quant à la production de Montereau, elle est inconnue ou très peu reconnaissable pour cette période. Une seule de ces cinq manufactures apparaît exclusivement consacrée à la « faïence fine » : le Pont-aux-Choux. Si l’on exclut une brève tentative de production de porcelaine dure. De plus, l’histoire de cette entreprise nous est connue, ainsi que sa production, dès 1743.

8La manufacture dite du Pont-aux-Choux est fondée en 1743 par Gilles et Robert Dubois, Claude Imbert Gérin et Edme Serrurier. Les trois premiers hommes viennent de la nouvelle entreprise de porcelaine de Vincennes, après leur départ de Chantilly. Le dernier, faïencier, accueille dans ses locaux rue de Charenton à Paris, la nouvelle société. Très tôt, ils sont rejoints par Adrien Pierre Mignon, marchand de bois, qui apporte les capitaux nécessaires à la nouvelle entreprise, ainsi qu’une matière première indispensable : le bois. La manufacture est rapidement transférée à l’angle de la rue de la Contrescarpe et de la rue Saint-Sébastien, face au Pont-aux-Choux qui lui donne son nom.

9Comparer les deux entreprises, celle de l’indiennage de Jouy-en-Josas et celle de « faïence fine » parisienne, peut permettre de faire émerger des caractéristiques industrielles de la seconde par des similitudes économiques, structurelles ou architecturales avec la première dont le caractère industriel paraît être accepté par les historiens.

La manufacture d’indienne de Jouy-en-Josas et celle de « faïence fine » du Pont-aux-Choux : des aspects industriels qui se recoupent ?

  • 25 R. de Plinval de Guillebon, Faïence et porcelaine de Paris XVIIIe-XIXe siècles, Dijon, Faton, 1995, (...)
  • 26 A. Dewerpe, Y. Gaulupeau, op. cit., p. 31.

10La manufacture de Jouy-en-Josas et celle dite du Pont-aux-Choux sont toutes deux des manufactures concentrées. Il y a un portier à Jouy-en-Josas qui surveille l’entrée de l’enclos de la manufacture dès sa création en 1762. L’extension en 1748 du privilège accordé à Gérin en 1743 autorise ses successeurs, Serrurier et A. P. Mignon, à avoir un portier. Les deux entreprises emploient une main-d’œuvre importante, 250 ouvriers sont occupés au Pont-aux-Choux vers 174525, 70 à Jouy-en-Josas fin 1760, 900 en 178026.

Bénéfices et valeurs des entreprises

  • 27 S. Chassagne, Oberkampf un entrepreneur capitaliste au siècle des lumières, Paris, Aubier, 1980.
  • 28 R. de Plinval de Guillebon, « La faïence fine du Pont-aux-Choux », L’Estampille, l’Objet d’Art, n°  (...)

11La comparaison des bénéfices de différentes entreprises céramiques dont celle du Pont-aux-Choux avec ceux de l’indiennage de Jouy-en-Josas fournit des indices (Tableau n° 3). La manufacture de « faïence fine » paraît moins rentable à ses débuts que celle de porcelaine de Mennecy. Mais au bout d’une quinzaine d’années après sa création, lorsque Mignon est seul propriétaire, les gains paraissent supérieurs à ceux de Mennecy et aussi importants ou presque, que ceux d’Oberkampf qui débute seulement son activité. Les bénéfices de ce dernier augmentent très vite, après 8 ans d’activité. Si l’on compare la valeur de la part de Maraise, associé d’Oberkampf, qui est de quatre millions de livres en 178927, à la part estimée de Mignon après son décès en 1788, 308 000 livres28, il paraît confirmé ce qu’indiquait le tableau n° 1, « la faïence fine » n’est pas industrielle ! Mais ces critères, valeurs des productions, comparaisons des bénéfices sont-ils suffisants pour confirmer cette affirmation ? Une autre analyse est la mesure des manufactures de céramique entre elles pour tenter de situer, dans cette activité, la manufacture du Pont-aux-Choux. Le tableau n° 4A fait apparaître que la manufacture du Pont-aux-Choux, à ses débuts, est proche, dans sa valeur, des autres entreprises parisiennes de céramique. Il semble, en revanche, qu’à partir des années 1758-1759, sa valeur soit nettement supérieure aux manufactures de porcelaine. Cette supériorité paraît se confirmer après 1779 (Tableau n° 4B). La manufacture de « faïence fine » est donc une grosse entreprise dans le monde céramique, dont la valeur n’a cessé de progresser pendant quarante-cinq ans. Cette importance est mise en évidence sur le plan quantitatif de la production à travers l’examen du nombre connu de moules détenus par certaines manufactures (Tableau n° 5). Le tableau n° 6 confirme la progression constante et forte du volume de la production du Pont-aux-Choux, en nombre d’objets. Ces dernières sources chiffrées expriment une montée en puissance de type industriel de la fabrication de la manufacture parisienne de « faïence fine ».

La politique commerciale

  • 29 A. Pardailhé-Galabrun, La naissance de l’intime 3 000 foyers parisiens XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, (...)
  • 30 A. Pardailhé-Galabrun, op. cit., p. 301.
  • 31 R. de Plinval de Guillebon, Faïence et porcelaine de Paris, op. cit., p. 58.

12Un autre signe pouvant déterminer le caractère industriel de la faïence fine au XVIIIe siècle est la politique commerciale d’une entreprise. Plusieurs éléments permettent de comprendre cette politique. Les prix, ou valeurs des objets, font partie de ces éléments. Dans le domaine céramique, au XVIIIe siècle, la chaîne commerciale est mal connue. Du prix de revient des objets au prix de vente aux distributeurs, c’est-à-dire les marchands faïenciers ou merciers puis au prix payé par le particulier, client final des objets, la comparaison entre porcelaine, faïence et « faïence fine » est difficile. Une approche ne peut pas être réalisée à partir des prix de vente à marchand, puis à particulier tant les archives sont inexistantes, sur la région parisienne, concernant ces tarifs. Il n’est possible que de comparer des estimations d’objets. Celles-ci sont issues d’inventaires après décès ou d’inventaires pour modification d’une société. Certes une certaine subjectivité existe dans les valeurs d’estimations effectuées pour des inventaires29. Cependant les prisées sélectionnées dans les tableaux n° 7, 8 et 9 sont réalisées dans une même région et comparées entre elles dans des tranches d’une dizaine d’années environ. Il faut préciser que bien souvent les indications qualifiant les objets dans les inventaires sont succinctes. Ainsi, il est compris dans ces tableaux que les termes faïence, faïence brodée, bleu de Nevers, blanc de Nevers représentent des objets en faïence blanche ou décorée de grand feu en monochromie, que la faïence japonnée et celle de Sceaux correspondent à une faïence décorée en polychromie de petit feu. Les porcelaines de Vincennes-Sèvres sont décorées soit en camaïeux, en couleurs ou/et à l’or. Celle de Mennecy est, soit blanche, soit en couleurs, soit en monochromie bleue. Les indications pour Chantilly précisent rarement la qualité technique du décor. Les théières du Pont-aux-Choux (Tableau n° 7) sont prisées d’une à deux livres, celles en porcelaine tendre de Vincennes entre six et douze livres et celles de Sceaux à douze livres. La présence, en magasin, d’une centaine de théières montre aussi la volonté de proposer des produits adaptés à « la consommation du thé qui n’est pas aussi répandue que celle du café, et ne concerne, semble-t-il, que les couches les plus raffinées de la société30 ». La clientèle se veut donc choisie ! Un pot à oille en « faïence fine » atteint 24 livres, ce même objet en porcelaine de Chantilly, 60 livres. Il ressort du tableau n° 7 que la valeur estimée entre 1740 et 1753 de la « faïence fine » est supérieure ou égale à la faïence commune ou simplement décorée en grand feu, mais inférieure à la faïence japonnée, c’est-à-dire décorée de petit feu. Par contre la porcelaine est nettement supérieure en valeur d’évaluation ! Ces constatations correspondent totalement aux arguments défendus par Claude Imbert Gérin pour obtenir son privilège royal : faire une « vaisselle propre et agréable, moins chère que la porcelaine et “autres vaisselles importantes”31 ».

13Le tableau n° 8 montre les mêmes caractéristiques que le précédent avec la particularité d’un relevé d’estimations fait sur une seule année, celle de 1765. Dans le tableau précédent (Tableau n° 7), pour certains objets, comme les pots-pourris, l’amplitude des estimations varie de 1 à 60 en « faïence fine » et de 1 à 4,3 en porcelaine de Mennecy, avec une estimation de départ variant de 1 à 6,7 entre la faïence fine et la porcelaine. Pour ce même objet en 1765, l’amplitude de la variation est de 1 à 22 en « faïence fine » et de 1 à 3,5 en porcelaine de Mennecy. La prisée la plus petite oscille de 1 en « faïence fine » à 11 en porcelaine de Mennecy, toujours pour cet objet.

14Le tableau n° 9 nous indique que la valeur des assiettes du Pont-aux-Choux entre 1777 et 1788 est presque deux fois supérieure à celles en faïence blanche commune, mais à égalité avec celles en faïence décorée en monochromie bleue, et environ deux fois moins importante que celle des assiettes en faïence décorée de petit feu. Les assiettes en porcelaine quant à elles, restent très élevées : presque 15 fois plus pour celles en porcelaine de Paris, idem pour celles en porcelaine du duc d’Angoulème, dix fois plus pour une douzaine d’assiettes de Tournay, cinq fois pour celles de Chantilly. Une estimation d’assiettes en porcelaine d’Arras est par contre presque équivalente à la « faïence fine ». à l’autre bout des variations, une douzaine d’assiettes de Sèvres vaut jusqu’à 40 fois plus qu’une même douzaine en Pont-aux-Choux !

15Le tableau n° 10 livre des indices recoupant les précédents en précisant que la « faïence fine » commence sa carrière avec une valeur supérieure à un bleu de Nevers, mais rejoint ce même bleu de Nevers, quarante-cinq ans après. Les deux produits diminuent fortement leur valeur, de presque trois fois moins pour la « faïence fine », et de seulement deux fois pour le bleu de Nevers. Parallèlement à cela, la valeur de la porcelaine de Vincennes-Sèvres reste constamment très élevée, ainsi que celle des autres porcelaines, dans une moindre mesure.

16Le tableau n° 6 nous montre qu’au sein de la production de la manufacture parisienne de « faïence fine », le nombre d’objets éminemment de luxe, les bibelots, reste constant, mais leur proportion chute fortement de 10 % à 0,65 %, soit un écart de 1 à 15 !

  • 32 Le nombre d’objets peints dans l’inventaire de 1747 est tellement faible que cette production n’est (...)

17Cette partie visible de la politique commerciale, ou du moins ce que nous pouvons en percevoir : augmentation de la production, abaissement des coûts, diminution des objets de luxe montre une tendance industrielle, alors que la porcelaine reste un artisanat de luxe pendant la même période. Certains objets en « faïence fine » du Pont-aux-Choux ont aussi des estimations variables comme les gobelets et soucoupes, les théières, les pots de chambre, les pots-pourris en 1747 (Tableau n° 7), les pots-pourris et les seaux à bouteilles en 1765 (Tableau n° 8). Les objets recensés dans les trois inventaires connus de la manufacture étant tous blancs, ou presque32, la taille et le décor en relief dit guilloché, brodé ou fleuri, ne peuvent être que les seuls éléments modifiant la valeur d’un objet. Mais, en réalité, le modelé de l’objet, par exemple, ou sa grandeur, peuvent être d’autres éléments d’appréciation de sa valeur. Ainsi peut-on émettre l’hypothèse qu’un pot-pourri estimé, en 1747, une livre dix sols et un autre 60 livres n’ont pas le même modelé ni la même taille. Ces prisées correspondent à des objets en magasin, prêts à la vente, n’appartenant pas au rebut. La qualité de leur aspect ne semble pas entrer en ligne de compte, ou du moins n’est pas signalée. Peut-on voir là, la volonté commerciale de proposer des pots-pourris à diverses bourses, à différentes clientèles ?

  • 33 D. Woronoff, op. cit., p. 70.
  • 34 D. Woronoff, op. cit., p. 72.
  • 35 D. Woronoff, op. cit., p. 74.
  • 36 A. Goubert, D. Roche, op. cit., p. 164.
  • 37 D. Woronoff, op. cit., p. 74.

18Cette attitude de diversification de l’offre existe dans l’industrie textile, « des étoffes à la bonneterie, des toiles grossières aux soieries de luxe, tous les types de marchandises sont proposées33 » et « entre l’étoffe la plus ordinaire et la plus raffinée l’écart est communément de 1 à 10, voire davantage34 ». Cette division cependant est le fait de différents centres de productions. À propos des soieries, Denis Woronoff35 cite John Holker : « Lyon peut décorer les riches. Il me paraît naturel que l’on permette aux fabricants de Nîmes de suppléer aux autres ». Ce clivage par qualité de produit se retrouve-t-il en céramique ? Bien évidemment, la porcelaine pour les riches, la faïence pour les moins riches et la terraille pour les autres36. Mais au sein d’une même production ? Certes, la vente de premier choix, deuxième choix, etc., allant jusqu’au rebut est connue en céramique. Mais y a-t-il une volonté commerciale de proposer à la vente, par un fabricant, un même type d’objet à des valeurs différentes ? Dans la soierie, D. Woronoff répond que la manufacture nîmoise de bonneterie « ne cesse d’inventer des formes et des décors37 » certes pour suivre le goût mais il est difficile de croire que les 80 articles de bas proposés en 1760 soient tous au même prix !

À la recherche d’une clientèle

  • 38 S. Chassagne, op. cit., p. 160-161.
  • 39 Ibid., p. 160.
  • 40 A. Dewerpe, Y. Gaulupeau, op. cit., p. 17.
  • 41 R. de Plinval de Guillebon, Faïence et porcelaine de Paris, op. cit., p. 113-116.
  • 42 J. Guiffrey, Documents inédits sur les anciennes manufactures de faïence et de porcelaine recueilli (...)
  • 43 Trudaine, Daniel Charles, conseillé d’état honoraire de l’académie des sciences, ou Trudaine de Mon (...)
  • 44 R. de Plinval de Guillebon, « La faïence fine du Pont-aux-Choux », op. cit., p. 60-61.
  • 45 R. de Plinval de Guillebon, Faïence et porcelaine de Paris, op. cit., p. 78.

19La clientèle, c’est-à-dire la cible du fabricant est mal connue, autant dans le textile que dans la céramique, à part pour les productions de grand luxe. Il en va ainsi pour Oberkampf dont les clients prestigieux sont connus, mais dont les autres paraissent ignorer des études historiques. Serge Chassagne indique qu’Oberkampf arrête de travailler à façon pour les marchands dès 1769 et qu’il cesse de travailler pour les particuliers en 177638. S. Chassagne précise « cette “façon” lui a cependant gagné de nombreux clients parmi les plus puissants et les plus influents - ceux qui justement font la réputation d’une production39 ». A. Dewerpe et Y. Gaulupeau qualifient cette pratique de « publicité involontaire faite à la manufacture par les grands de Versailles, Marie-Antoinette, le comte d’Artois, le comte de Provence, la Dauphine qui tous, visitèrent la manufacture40 ». Ce principe commercial était déjà appliqué par Josuah Wedgwood en Angleterre pour sa production de « faïence fine ». Régine Plinval de Guillebon explique que « les manufactures parisiennes [de porcelaine] travaillaient surtout sur commande et afin de faciliter les ventes, les fabriques avaient presque toutes un magasin dans le centre de Paris » mais « certains porcelainiers, tels Guérhard et Dihl, n’avaient pas de magasin, les clients se rendaient donc à la manufacture même41 ». Qu’en est-il pour la manufacture du Pont-aux-Choux ? Il semble que les objets de commande soient peu nombreux. En effet dans le cadre de la production de cette entreprise une commande particulière ne peut s’exprimer que sous la forme d’objets singularisés par l’ajout en relief des armes de l’acheteur puisque presque qu’aucun décor peint n’est réalisé. Et il n’est connu que très peu d’objets ayant cette particularité. Deux présentoirs de pots à oille reçoivent en relief les armes de Trudaine de Montigny (Musée des arts décoratifs, n° d’inv. 13713 et vente Tajan du 20 juin 2001 lot n° 56) ainsi qu’un plat (Musée national de céramique, Sèvres, n° d’inv. 7204). Les armes ajoutées sont en relief, c’est-à-dire creusées dans le moule. Une autre pièce (Musée des arts décoratifs, Paris, n° d’inv. 34616) reçoit toujours en relief, les armes de Louis de Gand de Mérole de Montmorency. Il faut bien admettre que cela constitue un très petit ensemble d’objets parmi la production actuellement recensée de cette faïencerie. A. P. Mignon, tout comme Oberkampf, soigne son image et celle de ses produits. Il présente à sa majesté en décembre 1774 son portrait revêtu du manteau royal et en mai 1775 son buste posé sur une colonne cannelée, ouvrages évalués 30 000 livres42. « Un buste de Louis XVI, de grandeur naturelle sur piédouche et base de colonne cannelée, le tout en terre blanche » est retiré, faute d’acheteur, à la vente en 1777 de Daniel Charles Trudaine et de son fils, tous deux intendants des finances43. Est-ce une pièce similaire à celle présentée au roi en décembre 1774 et d’une valeur de 15 000 livres ? Ces objets d’apparat paraissent perdre vite de la valeur ! Malgré tout, à la vente du duc d’Aumont, amateur d’art, en décembre 1782, deux grands vases, en terre blanche, montés en bronze trouvent acquéreurs pour 300 livres44. Ces pièces de prestige sont faites pour donner une renommée qui rejaillit sur les objets plus courants et moins onéreux. Dans les mémoires des intendants sur l’état des généralités dressés pour l’instruction du duc de Bourgogne, en 1745 cité par Madame Régine Plinval de Guillebon « le Roi et les principaux seigneurs de la Cour se fournissaient des porcelaines de Vincennes et du Faubourg Saint-Antoine45 ». Mais alors, qui sont les particuliers acheteurs des faïences fines du Pont-aux-Choux ?

  • 46 Arch. nat., MC / ET / LXXXVII / 981. Inventaire après décès de Madame Serrurier, 30 septembre 1747.

20Un élément de réponse existe dans l’inventaire de la manufacture effectué en 1747 « il est dû à la manufacture par différentes personnes les sommes qui suivent, suivant le relevé qui a été fait sur le livre de vente jusques et compris le trente et un octobre mil sept cent quarante sept, savoir46 », et 88 noms sont relevés. Les noms aristocratiques représentent 28 personnes, soit 31 % de la liste. Les sommes dues oscillent entre deux livres et 14 sols à 66 livres. Parmi eux Monsieur de Fulvie, promoteur de la manufacture de Vincennes doit 14 livres et huit sols, Madame de Lavallière 48 livres, Monsieur de Montmorency six livres 13 sols, les ambassadeurs d’Espagne et du Portugal six livres chacun, Madame du Chatelet doit trois livres et Monsieur de Velleflix 66 livres. Vingt-trois noms roturiers sont inscrits, les sommes dues vont de une livre à 126 livres et 12 sols. Deux noms à qualification cléricale sont recensés, le vicaire de Sainte-Marguerite doit deux livres 14 sols et Monsieur l’abbé d’Aunisson deux livres. Les sept noms qui évoquent des ouvrières ou ouvriers de la manufacture, la Dubois, la Marjon, la Contre etc., doivent, de cinq sols à 27 livres. Il reste 28 noms qui peuvent être considérés comme des noms de marchands faïenciers tels le Sieur Bailly de Paris, Trier, Jacquemart et Bellanger, ces trois derniers connus aussi comme marchands faïenciers à Paris, ont des dettes allant de huit livres à 4 925 livres.

21Quelques constatations s’imposent : la noblesse ne paraît pas faire d’achats dispendieux en « faïence fine » de Paris ! La manufacture vend à des marchands, de Montpellier à Metz, de Grenoble à Anger, de Lyon à Rouen, de La Rochelle à Besançon. À qui vendent ces marchands ? Cela reste mystérieux. Huit marchands sont parisiens. A qui vendent-ils ? Rien actuellement ne permet de le savoir. Cependant, si l’on accepte le constat d’une consommation minime des produits du Pont-aux-Choux par les seigneurs de la Cour, il faut chercher ailleurs la clientèle. Au regard des objets et de la qualité esthétique des plus importants, des coûts supérieurs aux faïences à décor monochrome bleu, la clientèle de la « faïence fine » doit être intéressée par l’esthétisme, pouvoir mettre une certaine somme, sans pour autant pouvoir ou vouloir atteindre les sommes nécessaires pour la porcelaine achetée par les grands personnages de l’entourage royal !

  • 47 P. Galliano, R. Philippe, P. Sussel, La France des lumières 1715/1789, Collection Histoire de la Fr (...)
  • 48 B. Garnot, Société, cultures et genres de vie dans la France moderne XVIe-XVIIIe siècle, sous la di (...)
  • 49 B. Garnot, op. cit., p. 73.
  • 50 A. Pardailhé-Galabrun, op. cit., p. 364.

22La noblesse, catégorie la plus fortunée de la société, est aussi la moins nombreuse, « 1,5 % de la population du pays47 » ou « 3 à 4 % de la population urbaine48 ». Sur le livre de vente du Pont-aux-Choux elle représente 31 % des débiteurs en 1747. Mais, aux soldes assez faibles, au regard de la fortune de cette catégorie, dont « les trois quarts des couples (nobiliaires) ont des apports au mariage supérieurs à 50 000 livres49 ». Ces nobles représentent la majorité de la tranche du montant des biens supérieurs à 50 000 livres selon A. Pardailhé-Galabrun50.

Les bourgeoisies : clientèles recherchées par le Pont-aux-Choux ?

  • 51 P. Galliano, R. Philippe, P. Sussel, op. cit., p. 92.
  • 52 Y. Leclerc, Histoire économique de la France de l’ancien régime (XVIIe-XVIIIe siècles), Paris, Dall (...)
  • 53 D. Woronoff, op. cit., p. 25.
  • 54 G. Le Duc, « Paris, rue de Charenton une manufacture royale de “terre d’Angleterre” 1743-1749 », (...)

23Pour les années 1750-1760, « le trait le plus frappant est l’avènement d’une nombreuse bourgeoisie commerçante, industrielle et financière. Que les plus huppés aient rejoint de fraîche date les rangs de la noblesse ne change pas grand chose à cette ascension51 ». Il se trouve que « les achats ou non achats de l’aristocratie sont imités par la bourgeoisie52 ». Certes, cette attitude est dépeinte par Y. Leclerq pour le textile de luxe, mais pourquoi ne serait-elle pas valable pour la céramique ? D. Woronoff souligne « Avec retard et sur le mode mineur, il semble bien que de larges couches de la population urbaine ont adopté des comportements issus d’une élite restreinte. On l’a dit pour le port du linge au XVIIIe siècle. La domesticité des riches, les compagnons des maîtres artisans ont copié et transmis des façons d’être, des aspirations supplémentaires à la marchandise53 ». Cet état d’esprit règne déjà à la création de la manufacture des frères Dubois, Gérin et Serrurier. Les produits modelés sont dans l’esthétique de la riche porcelaine, celle de Vincennes, mais aussi de Chantilly. Les frères Dubois, Jacques Chapelle et Louis Antoine Fournier ont travaillé pour ces deux entreprises. Les deux derniers comme modeleurs et sculpteurs54. Les objets ont cependant une valeur bien moindre en « terre blanche façon d’Angleterre ». Pour vendre à quelle clientèle ? La bourgeoisie émergente ? Quelle est-elle ?

  • 55 B. Garnot, op. cit., p. 42.
  • 56 P. Léon, Économies et sociétés préindustrielles, tome 2 : 1650-1780, les origines d’une accélératio (...)
  • 57 B. Garnot, op. cit., p. 40.
  • 58 P. Goubert, D. Roche, op. cit., p. 171-176.
  • 59 Ibid., p. 179-180.
  • 60 P. Léon, op. cit., p. 357.
  • 61 P. Goubert, D. Roche, op. cit., p. 111.
  • 62 P. Léon, op. cit., p. 358.
  • 63 Ibid., p. 359.
  • 64 P. Goubert, D. Roche, op. cit., p. 167.

24Les auteurs s’entendent pour dire que la « bourgeoisie est […] difficile à définir “tant” son caractère est composite55 », qu’elle « n’est pas, à elle seule, un “ordre” […] pas davantage, antérieurement à la période révolutionnaire, une véritable “classe” » même si elle tend à le devenir56. Il faut donc plutôt parler, comme Benoit Garnot, « des bourgeoisies57 ». Le « bourgeois de statut » qui désigne aussi un mode de vie, « vivant de ses rentes sans travailler », « rentier de maisons, de terres et de rentes58 ». Puis les bourgeois « ramasseurs de rentes », gérant les grandes propriétés seigneuriales, les bourgeois « ramasseurs d’impôts59 ». Il y a aussi la bourgeoisie robine, celle des officiers administratifs, divisés en plusieurs degrés. Et enfin la bourgeoisie marchande qui élabore les meilleures fortunes. Ce doit être de cette dernière dont Pierre Léon dit qu’elle « travaille de ses mains » et « surtout de son cerveau60 » puisque « seuls les grands marchands, des armateurs, de rares entrepreneurs, des financiers et des hommes d’affaires - presque tous citadins - font exception61 » en ne vivant pas de rentes. « Mesurer ces groupes sociaux est une tâche fort délicate » et « les frontières entre bourgeoisie et groupes privilégiés, surtout entre bourgeoisie et classe populaire, manquent de netteté62 ». Il est donc difficile de cerner la clientèle que nous recherchons. D’autant que « à l’intérieur de la classe [bourgeoise] les cloisonnements sont très divers et la distinction “mécanique” entre haute, moyenne et petite bourgeoisie se résout en une grande variété de cas d’espèce63 ». Ceux qui sont à la limite entre petite bourgeoisie et classe populaire sont peut-être les « médiocres » définis par P. Goubert, ni aisés ni pauvres : « des petits patrons, des chefs d’ateliers, des boutiquiers, les moins opulents des marchands et des rentiers et aussi des officiers modestes, comme les greffiers et les procureurs64 ». Ils sont propriétaires, ont une servante et un ou plusieurs employés.

  • 65 P. Léon, op. cit., p. 359.
  • 66 Ibid., p. 364.
  • 67 Ibid., p. 364.
  • 68 B. Garnot, op. cit., p. 43-44.
  • 69 D. Terrier, op. cit., p. 212.
  • 70 A. Pardailhé-Galabrun, op. cit., p. 460.
  • 71 Ibid., p. 464, ce tableau est fondé sur l’analyse de 884 inventaires.

25À Paris, en 1749 la bourgeoisie représente 31,3 % de la population, et sur un « échantillon » de 1964 cas, la classe vraiment riche, proche donc de l’aristocratie, ne représente que 2,8 %65 mais « d’innombrables boutiquiers, des marchands d’envergure moyenne alignent des actifs atteignant et dépassant 10 000 livres et parfois 100 000 livres66 ». « À Paris en 1749, une “coupe” opérée à travers des contrats de mariage, montre que 38 % des maîtres et marchands “apportent” plus de 5 000 livres en se mariant et que les milieux aisés de l’artisanat et de la boutique présentent des cas relativement nombreux d’apports échelonnés entre 5 000 et 50 000 livres67 ». B. Garnot classifie la bourgeoisie et distingue une bourgeoisie active, officiers et métiers libéraux auquels il ajoute les négociants et les financiers. Cependant il laisse « de côté de cette catégorie, le petit commerce des simples artisans et boutiquiers68 ». Parmi ces derniers D. Terrier précise tout de même que « à Paris, si 10 % des boulangers laissent des dettes à leur décès, plus de 20 % d’entre eux possèdent alors une fortune supérieure à 20 000 livres et 12 % transmettent même plus de 30 000 livres à leurs héritiers69 ». Ces bourgeoisies se retrouvent dans la classification utilisée par Annik Pardailhé-Galabrun autour de onze groupes socioprofessionnels auxquels elle incorpore le clergé et la noblesse70. Un tableau récapitule le montant des biens de ces groupes entre 1726 et 1789. Les nobles et magistrats possèdant entre 3 000 et 49 999 livres sont peu nombreux. Les groupes socioprofessionnels les plus représentés dans cette tranche de montant des biens sont les marchands, bourgeois de Paris, les maîtres de métier, les auxiliaires de justice et enfin les gens de métier71. Ces groupes ou bourgeoisies aisées, mais pas riches, pourraient bien se retrouver parmi les roturiers clients de la manufacture du Pont-aux-Choux relevés dans l’inventaire de 1747.

26D’autres indices sur les pratiques commerciales de Mignon apparaissent dans les inventaires du Pont-aux-Choux de 1765 et 1788. Dans le premier, une quarantaine de noms de marchands est relevée dont les sommes dues varient de trois livres une sol à 878 livres 12 sols, à laquelle s’ajoutent trois marchands forains normands qui ont acheté pour 10 560 livres de rebuts en 1761 et qui doivent encore 186 livres. Un écclésiastique, le prieur de l’abbaye de Neuilly doit entre 1764 et 1765, 83 livres et 12 sols. Deux noms roturiers sont débiteurs respectivement de 156 livres et 134 livres et huit sols. Seuls deux noms aristocratiques apparaissent : le prince Conty pour 607 livres et 16 sols et Monsieur le comte de Valentinois pour 137 livres et 20 sols. Mignon ne vend plus pratiquement qu’à travers un réseau de marchands dont un quart à Paris ! Les rebuts sont vendus sur les foires ce qui donne une indication du niveau de fortune des clients… En 1788, 28 marchands sont cités pour un débit individuel maximum de 765 livres 18 sols. Un seul aristocrate le marquis de Lusenay par l’intermédiaire de Monsieur de Gondreville, gendre d’A.P. Mignon, doit 476 livres et une sol. Un nom plus roturier, Monsieur Desauville doit pour 1 010 livres et cinq sols. Un faïencier, Petit, rue Saint-Martin doit 58 livres et 16 sols ! Les particuliers ont pratiquement disparu de la liste des débiteurs et le réseau de marchands s’est restreint.

  • 72 P. Léon, op. cit., p. 358.
  • 73 D. Terrier, op. cit., p. 211.
  • 74 Ibid., p. 215.
  • 75 P. Léon, op. cit., p. 384.

27Un autre indice chiffré : la France compte en 1789, 2,3 millions de bourgeois contre environ 400 000 nobles et 130 000 écclésiastiques72. Par ailleurs entre 1730 et 1780, la rente foncière déflatée augmente de plus de 50 %73, ce qui donne des revenus en augmentation pour la partie rentière des bourgeoisies. Le salaire réel en biens de consommation est en baisse de 25 % entre 1700 et 1800 d’après Didier Terrier74. Parallèlement, entre 1747 et 1788, la douzaine d’assiettes en bleu de Nevers baisse de 50 % et celle de la manufacture du Pont-aux-Choux chute entre 62 % et presque 73 % (Tableau n° 10). Alors que les prix en général augmentent entre 1726 et 1789 de 48 à 65 %75. La « faïence fine » peut étendre sa clientèle vers des strates socioprofessionnelles moins aisées.

  • 76 A. Pardailhé-Galabrun, op. cit., p. 306-307.

28Ainsi la manufacture du Pont-aux-Choux, dont les fondateurs viennent des prestigieuses entreprises de porcelaine tendre, propose des produits, dans un premier temps, à l’esthétisme identique aux objets de Chantilly et Vincennes destinés à la haute aristocratie et peut-être à une très grande bourgeoisie. Cependant les entrepreneurs conçoivent une gamme d’objets variés à des coûts nettement inférieurs à la porcelaine, cherchant à capter cette nouvelle bourgeoisie d’affaires émergente mais moins riche que l’aristocratie. Sous l’influence d’un des membres de cette bourgeoisie active, A. P. Mignon, homme d’affaires et non homme de l’art, la valeur des objets du Pont-aux-Choux baisse, permettant de toucher une clientèle plus vaste : la moyenne et voire même la petite bourgeoisie, expliquant ainsi la constante augmentation de la production du Pont-aux-Choux. « Tandis que l’étain est en voie de disparition après 1750, la faïence devient omniprésente dans tous les intérieurs, et permet l’accumulation et la diversification des pièces de vaisselle, jusque dans les maisons les plus modestes » mais « Fragiles et bon marché, les assiettes et objets de faïence prennent place désormais sur la table et se comptent par douzaines, même dans les foyers relativement modestes76 ». La « faïence fine », dont la valeur est équivalente à un bleu de Nevers en 1765 (Tableau n° 10) ne doit pas suivre une diffusion bien différente. Simplement sa clientèle est-elle plus attentive à son aspect esthétique plus raffiné que celui de la faïence stannifère !

29Cette clientèle moins aisée que celle des débuts de la manufacture, consomme moins d’objets décoratifs. La production des bibelots chute dès 1765, dans les inventaires et probablement avant cette date.

30La forte augmentation du volume de production montre le succès rencontré par cette matière céramique nouvelle auprès de cette bourgeoisie récente et croissante. Succès quasiment exclusif à la seule manufacture du Pont-aux-Choux, uniquement consacrée à la « faïence fine » blanche, malgré des tentatives de production peinte de porcelaine. Implantée au cœur de la plus grande ville du pays, Paris, où les bourgeoisies sont importantes, la manufacture trouve aussi cette clientèle à travers son réseau de marchands implanté dans certaines villes du royaume.

  • 77 P. Léon, op. cit., p. 358.
  • 78 J.-M. Constant, La société française aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Gap, Ophrys, 1994, p. 58.

31D’une façon plus générale « c’est essentiellement l’agglomération urbaine qui “secrète” la bourgeoisie77 ». Ces villes françaises en 1780 peuvent être classées selon différents critères78. Ainsi les grandes villes parlementaires de Paris, Rouen, Bordeaux ont un ou plusieurs marchands qui diffusent le Pont-aux-Choux, Grenoble aussi (inventaire de 1747). Ne sont pas touchées les villes parlementaires de Toulouse, Aix, Dijon, Rennes. Les villes de commerce maritime comme Rouen, Bordeaux, Nantes ont un diffuseur de Pont-aux-Choux à l’exception de… Marseille. Les villes qui ont un rôle commercial national ou international comme Lyon, Orléans, Amiens distribuent aussi « la faïence fine » de Mignon à l’exception de Toulouse. Les villes industrielles de Lyon, Amiens, Troyes, Beauvais, Le Mans sont aussi fournies par des marchands en cette « terre blanche faïence façon terre d’Angleterre ». Le réseau commercial s’adresse donc à des villes à forte domination des bourgeoisies.

32Cette présence importante des bourgeoisies autour des points de vente explique le succès de l’entreprise parisienne. Leur nombre aussi. Le privilège royal confirmé pour vingt ans en 1748 a certainement contribué au succès en faisant avorter d’autres tentatives comme à Tours. Mais dès 1765-1770, les nombreux essais de production de « faïence fine » d’entreprises céramiques sont vouées à un échec, ou à une production restreinte, lorsqu’elles s’effectuent dans des manufactures implantées au sein, ou près de trop petites agglomérations où cette nouvelle clientèle bourgeoise fait défaut telles Meillonnas, La Forest, et d’autres. Les échecs dans les centres traditionnels de faïence, comme Marseille ou Nevers s’expliquent aussi par la forte résistance des fabriquants de faïence stannifère. Les relatifs succès lorrains peuvent s’expliquer par la situation socioéconomique particulière de la Lorraine.

Un espace productif organisé

  • 79 A. Dewerpe et Y. Gaulupeau, op. cit., p. 39.

33Un autre aspect marque le caractère pré-industriel ou industriel de l’entreprise de « faïence fine » du Pont-aux-Choux, existant aussi à Jouy-en-Josas chez Oberkampf : l’espace productif. Chez ce dernier « l’espace productif s’organise selon un modèle rationnel et panoptique du Lay-out : la concentration du procès productif s’est imposée et chaque étape du procès de travail, imprimeurs, rentreurs, coloristes, pinceauteuses, graveurs et teinturiers, est isolée dans un atelier distinct, “les chambres”79 ». Outre le bâtiment existant sur le terrain acheté au départ, Oberkampf fait construire un bâti spécifiquement industriel dès novembre 1764. Un grand bâtiment pour la sécherie, un pour le pinceautage, un pour la préparation des mordants.

  • 80 M. A. Hozotte-Reynaud, « La manufacture du Pont-aux-Choux 1743-1788 », Paris et Ile-de-France, mémo (...)

34Cette architecture pré-industrielle transparaît aussi dans l’organisation des bâtiments de la manufacture du Pont-aux-Choux exprimée à travers le plan de la manufacture qui ressort de la description de celle-ci en 1788 et d’un plan, établit en 1789, des transformations à faire pour aménager une partie des bâtiments en locaux d’habitation80 (ill. 1). La concentration que montre bien le plan de la manufacture du Pont-aux-Choux n’est pas justifiée par la mécanisation mais par l’économie et la surveillance du procès de fabrication. Surveillance renforcée par la présence du portier. Le constat est le même à Jouy-en-Josas.

  • 81 A. Dewerpe, op. cit., p. 33, d’après Roland de la Platière, L’encyclopédie méthodique, manufactures (...)
  • 82 D. Terrier, op. cit., p. 204.
  • 83 P. Butel, op. cit., p. 231.
  • 84 D. Woronoff, op. cit., p. 93.

35La division du travail chez Oberkampf est réglée par la détention des savoir-faire réels et pratiqués ou par l’absence de ceux-ci. Ainsi deux groupes apparaissent : le premier est fait de dessinateurs, graveurs, imprimeurs, rentreurs et coloristes et les autres constituent le deuxième groupe, celui du monde des métiers. Ce dernier exige l’emploi des bras qui se borne à un certain nombre d’opérations mécaniques qui ont pour but un même ouvrage que l’ouvrier répète sans cesse81. Cette division du travail existe aussi dans l’entreprise de Mignon dont la nomenclature des tâches disparaît aussi hors de la manufacture. Seuls les modeleurs, sculpteurs, tourneurs et mouleurs transparaissent à l’extérieur, le terme de « manouvrier » englobant l’activité des gazettiers, préparateurs de terre, enfourneurs et autres métiers sans savoir-faire précis. D. Terrier explique que pour les industries de main-d’œuvre dans le textile « leur compétitivité doit beaucoup à la mise en œuvre de progrès techniques et scientifiques où la mécanisation ne s’avère toutefois pas nécessairement la pierre de touche de la modernité82 ». Paul Butel précise que le cycle de l’indienne entre 1760 et 1789 est générateur d’entrepreneurs « sans qu’intervienne encore toute mécanisation83 ». D. Woronoff confirme que « aucune mécanisation ne justifie ici la concentration, compte juste l’efficacité de la surveillance et l’économie réalisée84 ».

Évolutions techniques sans mécanisation

  • 85 A. Dewerpe, op. cit., p. 16.
  • 86 S. Chassagne, op. cit.
  • 87 A. Dewerpe, op. cit.

36Oberkampf n’introduit que tardivement la mécanisation de l’impression, vers 1797 et ébauche le même processus pour le dégagement des toiles85. Les améliorations sont avant tout techniques, passage du bois gravé à celui du cuivre gravé en 1770, amélioration technique de la blancheur de la toile et des couleurs à partir de 178286. Oberkampf utilisera avec son neveu des connaissances nouvelles de la chimie naissante à la fin du XVIIIe siècle87.

37Mignon n’introduit aussi aucune mécanisation dans sa fabrication. Il modifiera seulement la pâte et sa glaçure pour lui donner une blancheur plus perceptible. Quand intervient cette amélioration technique ? Est-ce après sa brève association avec Jacques Chapelle de juin 1766 à janvier 1767 ? Ou avant celle-ci ? À part une brève tentative de décor peint au démarrage de l’entreprise puis un nouvel essai en monochrome bleu vers 1770-1775 ainsi qu’une tentative de production de porcelaine dure autour de 1777, aucune autre amélioration technique n’intervient. Les modifications principales ne se feront que dans les formes des objets et l’introduction du « grain de riz » entre 1750 et 1756.

Le motif « grain de riz »

  • 88 Trésors de la langue française, Dictionnaire de la langue du XIXe et XXe siècles, (1789-1960) sous (...)
  • 89 Jean-Marie Bouchard.
  • 90 J. M. Bouchard précise que ce « poinçon de décharge des menus ouvrages d’or et d’argent », représen (...)

38Ce motif est aussi parfois appelé « grain d’orge ». Ce décor en relief est assez caractéristique. Il correspond au terme « guilloché » orthographié au XVIIIe siècle « guioché » que nous retrouvons dans les inventaires du Pont-aux-Choux de 1765 et 1788, pas dans celui de 1747. Au XVIIIe siècle, guilloché se dit pour une ornementation faite de traits gravés en creux et entrelacés. Ghiocciare est l’origine italienne du mot désignant, au XVIe siècle dans ce pays, un ornement architectural de lignes entrelacées. Étymologiquement, le terme vient de gutta, goutte en latin88. En observant le « grain de riz » du Pont-aux-Choux, les lignes sont visibles, s’entrecroisant et formant une goutte allongée en forme de « grain de riz » ou « d’orge » (ill. 2). Sur les sept modèles de « grain de riz » actuellement recensés, seul celui du Pont-aux-Choux possède cette caractéristique. Les autres manufactures se sont contentées de reprendre le motif, sans connaître réellement sa réalisation technique, formant un « grain de riz » moins structuré. C’est certainement le geste régulier, presque mécanique, donné à un outil, une gradine (?), qui forme ce dessin très architecturé. Ce décor n’est pas repris de l’argenterie de laquelle il est absent. En revanche il a pu être inspiré des porcelaines chinoises dans lesquelles les « grains de riz » sont obtenus par une diminution de l’épaisseur de la pâte, laissant apparaître le motif à la lumière par translucidité de la pâte. Il serait, en « faïence fine », la transposition en relief dans une matière opaque, de l’effet rendu par la matière translucide. Un expert89 en argenterie suggère que ce motif peut être une réponse aux grands fonds unis de l’argenterie, animés, eux, par les reflets de la matière, mais qui restent pauvres en « faïence fine ». Cette explication est séduisante d’autant plus que l’argenterie inspire fortement les « faïences fines ». Ce motif guilloché, n’apparaît pas dans l’inventaire de 1747. Une charnière en argent du couvercle d’un corps central d’une chocolatière (coll. privée) est insculpée d’un poinçon de « décharge » utilisé à Paris entre octobre 1750 et octobre 175690. Une autre charnière, d’un objet identique, porte un poinçon utilisé à partir de 1750. C’est probablement pendant cette période que le motif au « grain de riz » est né.

  • 91 C. Maire, 1797, Tournant de la faïence fine en France, Catalogue du Salon International de la Céram (...)
  • 92 C. Maire, « Quelques repères de l’histoire méconnue d’une céramique née au XVIIIe siècle : la faïen (...)

39Après la fin de l’aventure parisienne, la production de la « faïence fine » française prendra un nouvel essor au sortir de la Révolution en 1797. De nouvelles entreprises comme celles de Creil ou de Forges-les-Eaux sont élaborées sur des principes plus nettement industriels91. Différents facteurs économiques et politiques aideront l’émergence de nouvelles manufactures92. Bien souvent, hors l’aspect esthétique, la seule amélioration sera technique à travers les compositions nouvelles des pâtes et des glaçures, venues d’Angleterre, comme par exemple les grès fins. Cette nouvelle pâte, sans glaçure, permet l’utilisation d’une molette pour créer le décor, comme à Sarreguemines (ill. 3) ou à Sèvres, manufacture de Lambert puis de Méry. Elle autorise aussi l’emploi d’un nouvel outil, le tour à guillocher, chez le même Lambert à Sèvres (ill. 4). Il n’y aura aucune réelle mécanisation au cours des deux premières décennies du XIXe siècle dans les manufactures françaises de « faïence fine ».

Naissance de l’esthétisme industriel ?

  • 93 M. O…, ancien manufacturier, op. cit.
  • 94 Arch. nat., F12 2442.
  • 95 M. O…, ancien manufacturier, op. cit., p. 41.

40L’esprit industriel est là, exprimé par un Anglais dans son ouvrage publié à Paris en 180793. Oppenheim, installé rue de la Roquette faubourg Saint-Antoine à Paris, propose en l’an XII d’introduire en France des ouvriers anglais, des machines et des dessins94. Dans son ouvrage il pose un concept digne d’un cahier des charges de designer du XXe siècle : « Le premier mérite de la forme d’un vase usuel est de convenir à la destination de ce vase, en vain on voudrait lui donner des contours agréables, des profils recherchés, si cette recherche nuit aux fonctions qu’il doit remplir ou si elle élève trop le prix elle devient imperfection95 ». Ce conseil d’Oppenheim transparaît dans la simplification du modelé d’une prise en forme de tête de bélier. Sur un vase de Clairefontaine datable du tout début du XIXe siècle, le modelé de cette prise se voulant réaliste, est très complexe (ill. 5). Sa réalisation nécessite un moule séparé, sinon les contredépouilles empècheraient un démoulage. La tête de bélier est, après son estampage indépendant, appliquée sur le corps du vase. Ce qu’atteste un évent, placé à l’arrière du sommet du crâne, évitant l’explosion pendant la cuisson en facilitant l’évacuation de l’air. Vingt ans plus tard dans une petite manufacture alpine, le même motif est employé pour former les prises d’un vase. Cette fois, plus de moule séparé. Les têtes de bélier sont simplifiées au point d’éviter la contredé-pouille, permettant d’incorporer la prise au moule du corps de l’objet. Un rehaut peint fait ressortir le modelage qui ne serait pas lisible sans le travail du peintre (ill. 6). La fonction avant tout, principe conçu plus d’un siècle avant les théoriciens du Bauhaus. Encore un signe à caractère industriel, mais cette fois importé, logiquement, d’Angleterre.

41Oppenheim insiste aussi sur l’aspect économique de la production : « Pour les objets d’utilité domestique, les formes et les dessins ne sont pas le principal objet, la médiocrité du prix mérite la préférence ». N’est-ce pas un principe appliqué empiriquement par A. P. Mignon ?

La révolution de l’impression sur céramique dont s’empare la « faïence fine »

  • 96 C. Maire, « L’impression sur faïence fine - histoire - technique - iconographie », Les dossiers de (...)
  • 97 M. Ariès (1994), op. cit., p. 84.
  • 98 Ibid., p. 72.

42L’industrialisation de la « faïence fine » est donc formalisée et se poursuit en 1808 avec l’introduction massive de l’impression du décor ! Cette utilisation apparaît sur des objets de quelques manufactures parisiennes, premières entreprises à utiliser les services d’un facteur d’impression96 avant d’incorporer cette technique dans leurs ateliers (ill. 7). Celle-ci offre la possibilité de décors différents pouvant être encore diversifiés en interchangeant les gravures. L’almanach de 1810 indique pour la manufacture de Creil plus de 3 000 sujets gravés, et qu’ainsi on peut obtenir 200 ou 300 pièces assorties sans avoir deux fois le même dessin97, (des frises différentes pour des médaillons sur le bassin des assiettes sur un thème général comme des vues d’Italie, par exemple). L’application de cette technique peut être réalisée par du personnel sans qualification réelle, donc peu payé. La simplicité de sa mise en œuvre ouvre le champ à une production massive, un poste de travail de pose de l’impression pouvant réaliser, maintenant, jusqu’à 250 décors d’assiettes par jour98 !

  • 99 Arch. nat., F12 2439.
  • 100 Ibid.
  • 101 Ibid.

43Rapidité d’exécution par un personnel peu qualifié pour une production massive, pouvant s’adapter au goût du moment, voilà bien un concept industriel, sans mécanisation. La baisse évidente du coût ouvrant l’éventail de la clientèle vers des strates moins aisées de la société. De leur côté les porcelainiers se trouvent en difficulté, ce que montre un rapport daté du 2 mai 1806 qui cherche comment faire prospérer les manufactures des porcelaine99. Un autre rapport sur les divers arrêtés et règlements relatifs aux fabriques de porcelaine et cause de l’avillissement où est tombé ce commerce précise : « […] la vente en était fort limitée, à raison de la grande cherté des ouvrages100 ». L’existence en 1814 d’un mémoire sur les causes de la décadence du commerce de porcelaines en France et sur les moyens d’y remédier par les fabricants de porcelaine montre bien les difficultés rencontrées à trouver une clientèle pour ce produit coûteux101.

La « faïence fine » fut sanctionnée pendant 240 ans pour son succès industriel considéré comme fautif

  • 102 M. Ariès (1994), op. cit., p. 44.
  • 103 Ibid., p. 44.
  • 104 Ibid., p. 47.
  • 105 Ibid., p. 59.

44M. Ariès cite, elle, le rapport de l’exposition industrielle de 1834 « Il y a deux ans, les quatre établissements de Montereau, Creil, Gien, Choisy répondaient dans la consommation pour deux millions de terre de pipe […]. Cette terre de pipe avait été accueillie d’abord favorablement par les classes moyennes102 ». La mauvaise qualité de cette terre de pipe est constatée par la clientèle. Pour pallier les défauts et la diminution de consommation, Creil, comme les autres manufactures, baisse ses prix, puis crée « de nouveaux produits propres aussi aux consommations usuelles et de qualité supérieure103 ». En 1834 une douzaine d’assiettes blanches en « faïence fine » à l’anglaise, dite porcelaine opaque valait : 2,20 F104. Cependant les manufactures, dont Creil, produisent aussi des produits de luxe, ou du moins d’un prix élevé réservé à une clientèle plus argentée. Ainsi, à la même exposition, Creil propose des vases imitant les vases grecs à figures rouges sur fond noir pour une somme variant de 40 à 75 F la paire105, une technique commerciale déjà pratiquée par A. P. Mignon en son temps !

45L’histoire de la mécanisation des manufactures reste à faire, mais leur caractère industriel est déjà marqué bien avant que se généralise le machinisme.

46La « faïence fine » française mise au point par des techniciens céramistes venus du monde porcelainier, ayant caressé l’idée que ce produit nouveau puisse intéresser leur clientèle habituelle, est rapidement produite pour une classe en voie de formation, la bourgeoisie, sous l’impulsion d’un homme d’affaires. La production massive diminue les coûts, augmente la clientèle qui touche de plus en plus toutes les bourgeoisies. Ce concept industriel de marketing est stoppé par la Révolution. Il reprendra vie, avec d’autres hommes d’affaires sous l’influence de techniciens anglais, cette fois, dès 1797. L’impression accentuera ce caractère industriel de la « faïence fine », mais sera fatale pour sa renommmée. Ainsi du « grain de riz », mis au point par la manufacture du Pont-aux-Choux entre 1750 et 1756, au décor imprimé, généralisé à partir de 1820 environ, cette matière céramique nouvelle, née bourgeoise devient plus populaire. Lorsqu’elle aura achevé son industrialisation avec la mécanisation et une production encore plus massive, la clientèle aisée se tournera vers des productions à l’aspect plus noble, méprisant cette « faïence fine », mépris révélé par le manque d’intérêt des historiens de la céramique du XIXe et des huit premières décennies du XXe siècle.

ill. 1 : Reconstitution du plan de la manufacture de « faïence fine » du Pont-aux-Choux telle qu’elle pouvait être en 1788.

Dessin de l’auteur.

ill. 2 : Le décor de « grain de riz » spécifique de la manufacture parisienne. Ici sur le corps d’un rafraîchissoir à bouteille. Sans marque. Entre 1750 (?) et 1788.

Coll. privée.

ill. 3 : Détail d’une cafetière en grès fin brun, nommé plus tardivement « terre d’Égypte ». Le décor réalisé avec une molette se superpose, l’ouvrier ayant arrêté son geste trop tard et légère ment décalé par rapport à son premier passage. Coll. privée. Marque en creux UTZSCHNEIDER. Déb. XIXe siècle.

Photo Ch. Maire.

ill. 5 : Prise d’un vase attribué à la manufacture de Clairefontaine. Coll. privée. Sans marque. Vers 1804-1806.

Photo Ch. Maire.

ill. 4 : Deux tasses en grès fin jaune de la manufacture de Lambert à Sèvres. Le décor de godrons est obtenu sur un tour à guillocher. L’effet diffère légèrement selon le geste plus ou moins saccadé de l’ouvrier. Coll. privée. Tasse de droite : marque en creux LAMBERT. Celle de gauche sans marque. Hauteur : 48 mm. Diamètre : 78 mm. Vers 1802-1803.

Photo Ch. Maire.

ill. 6 : Prise d’un vase de la manufacture de Charmot à Jussy. Coll. privée. Marque en creux : Charmot. Entre 1824 et 1839.

Photo Ch. Maire.

ill. 7 : Bouillon couvert et son présentoir à décor imprimé par les facteurs d’impression Stône, Coquerel et Legros pour la manufacture de Creil (ou à leur compte sur un objet blanc acheté à la manufacture). Coll. privée. Marque en creux : CREIL, et marque circulaire imprimée en noir des facteurs d’impression : Stone, Coquerel et Legros, Paris, Manufre de décors sur Porcelaine Faïence PAR BREVET D’INVENTION. Coll. privée. Hauteur du bouillon : 155 mm. Diamètre de l’ouverture : 140 mm. Diamètre du présentoir : 185 mm. Entre 1808 et 1818.

Photo Ch. Maire.

Tab. 2 : Périodes de production des différentes céramiques dans les principales manufactures françaises entre 1745 et 1820.

Bibliographie

Bibliographie

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Annexes

Annexe

Tab. 1 : Valeurs des productions en 1780/89 (en millions de livres).

Textiles

Métaux

Houilles

Porcelaines et
faïences en
région parisienne
en 1788

1 100

88

10

4

Sources : Butel, 1993, p. 66 ; Plinval de Guillebon. 1995 b. p. 112.

Tab. 3 : Bénéfices de Jouy et d’entreprises céramiques (en livres, par an)

Mennecy en 1732 (1)

3 300

Mennecy en 1732 (1)

3 857

Mennecy en 1753 et 1754 ( 1 )

17712

Pont-aux-Choux entre 1743 et 1747 (2)

1 094

Gains de Mignon en 1758 et en 1759 (3)

56 000

Jouy en 1762 et 1763 (4)

60 000

Jouy entre 1764 et 1769 (4)

159 000

Jouy entre 1770 et 1789 (5)

259 232

Sources: 1-Duchon. 1988, p. 15-52 ; 2-Arch. nat., MC/ET/LXXXVII/981. Inventaire après décès de Madame Serrurier, 30 sept. 1747; 3-Hozotte-Reynaud, 1967, p. 281 ; 4-Woronoff, p. 98 ; 5-Chassagne, 1980, p. 91.

Tab 4A : Valeurs des manufactures (en livres)

Estimation du fond de la faïencerie Genest en 1740 (1)

4 627

Avance pour les débuts des Dubois et Gérin à Vincennes (2)

10 000

Apport Serrurier en septembre 1743. Il a une 1/2 part des « terres blanches » (2)

3 000

Apport Mignon en décembre 1743 associé pour 1/3 dans les « terres blanches » (2)

10 000

Départ de Gérin en 1746 des « Terres blanches... », il reçoit (2)

20 000

Mennecy en 1750(3)

15 000

Estimation du fond de la faïencerie Genest par Binet en 1751 (1)

6 900

Mennecy en 1752 (4)

30 000

Hebert en 1755 (marchandises, ustensiles et locaux) (5)

27 608

Actif de la société Serrurier-Mignon 1759 (6)

224 000

Vente de la manufacture de Chantilly en 1760 (7)

36 000

Sources : I- Plinval de Guillebon, 1995 b, p. 54 ; 2- Hozotte-Reynaud, 1967, p. 278 ; 3- Duchon, 1988, p. 44 ; 4- Ibid., p. 50 ; 5- Plinval de Guillebon, 1995 b, p. 56 ; 6- Hozotte-Reynaud, 1967, p. 281 ; 7- Le Duc, 1996, p. 47.

Tab. 4B : Valeur des manufactures (en livres)

Tourasse (Paris) ustensiles et marchandises en 1779 (1)

27 745

Vente de la manufacture de Chantilly en 1781 (6)

70 000

Nast en 1789(2)

84 000

Manufacture du duc d’Orléans acheté en 1786 (3)

70 000

Manufacture de Locré achetée en 1787 (4)

50 000

Valeur de la part de Mignon en 1788 (5)

308 000

Sources : 1- Plinval de Guillebon. 1995 b, p. 70 ; 2- Ibid., p. 172 ; 3- Ibid. p. 153 ; 4- Ibid. p 162 : 5- Plinval de Guillebon, 1995 a, p. 56 ; 6- U Duc, 1996, p. 49.

Tab. 5 : Nombre de moules inventoriés

Pont-aux-Choux en 1765 ( 1)

1 869

Mennecy en 1762 (2)

418

Chantilly en 1781 (3)

1 362

Les Dubois aux Trois Levrettes en 1782 (4)

80

Pont-aux-Choux en 1788 (1)

3 550

Sources : 1- Hozotte-Reynaud, 1967. p. 292 ; 2- Duchon, 1988, p. 123 ; 3- Le Duc, 1996, p. 49 ; 4- Plinval de Guillebon, 1995 b, p. 159.

Tab. 6 : Production des bibelots par rapport à la production totale inventoriée du Pont-aux-Choux (Productions totales inventoriées en nombre d’objets)

1747

6 968

10.00 %

1765

53 967

1,30 %

1788

112 086

0,65 %

Sources : Hozotte-Reynaud, 1967, p. 292.

Tab. 7 : Estimation de prix et prix de vente, 1740 et 1753

Tab. 7 : Estimation de prix et prix de vente, 1740 et 1753

Sources: Arch. nat., MC/ET/LXXXVII/981. Inventaire après décès de Madame Serrurier, 30 sept. 1747 ; Duchon, 1988, inventaire dans le magasin de la rue Saint-Honoré les 26-28-29 juillet 1754 ; Préaud et d’Albis, 1991, sont donnés dans le tableau le prix de vente ou des estimations pour des objets dont les valeurs correspondent aux années 1752/1753. La valeur d’une douzaine d’assiettes est calculée à partir de la valeur indiquée d’une assiette ; Le Duc, 1996, p. 399. Inventaire des porcelaines de Chantilly et de Saxe de Louis- Henry de Bourbon, 17 février 1740, p. 399. Inventaire des porcelaines de Procope Ulysse Comte d’Edmont, Prince de Pignatelli, Paris, 6 juillet 1743, p. 418 ; Brunet et Préaud, 1978, p. 137 ; Arch. nat., LC/ET/LXIV/341. Dissolution de compte de société, marchand mercier, Melle Hude à Paris, paroisse Saint Germain, 15 sept. 1751 ; Arch. dép, Seine, D4 B 6, carton 9, dossier 424. Faillite de Sulfort, marchand faïencier, 20 juin 1750.

Tab. 8 : Inventaires en 1765

Tab. 8 : Inventaires en 1765

Sources : Arch. nat., MC/ET/XXVII/396. Inventaire après décès de Madame Madeleine Serrurier, femme Migon, 27 nov. 1765 ; Arch. nat., MC/ET/XIII/340. Inventaire après décès de Jean-Baptiste Bardin, 14 nov. 1765 ; Arch. nat., MC/ET/XCII/665. Inventaire après décès de Melle de Sens, 23 avril 1765 ; Arch. nat., MC/ET/XV/803. Inventaire après décès de la femme de Chiboust, marchand faïencier, 17 mai 1765 ; Plinval de Guillebon, 1995 b, p. 46. Les chiffres pour la production de Roussel sont des prix de vente datant de 1760 ; Plinval de Guillebon, 1995 b, p. 118 ; Brunet et Préaud, 1978.

Tab. 9 : Estimation de nrix et prix de vente, 1777 et 1788

Estimation et vente

Assiettes
(1 douz.)

Soupière

Tasse

Théière

Pont-aux-Choux

3 L. 5 s.

4 L. en terrine

5 s. gobelet et
soucoupe

10 s

Brodé bleu de Nevers

3 L.

 

 

 

Brodé bleu de Nevers3 L.Blanc commun

V. 1 L. 16 s.

 

 

 

Porcelaine de Paris

48 L.

 

 

 

Sceaux japonné
1777

7 L

 

 

 

Apprey japonné
1777

6 L

 

 

 

Sceaux blanc
Sceaux blanc

 

4L. 15 s. ronde
ou ovale

 

 

Sceaux japonné
1784

 

V. 9 L. et plateau

 

 

Duc d’Angoulême
1785/1787

48 L.

54 L. pot à oille

V. 36 L.

7L.

Sèvres
1782

30 L. 4 s., 36 L.,
40 L., 80 L.
120 L

53 L. 10 s. terrine

120 L.

 

Toumay
1782

33 L. 8 s. 7 d.

 

 

 

Chantilly
1782

16 L.

 

 

 

Arras
1782

4L.

 

 

 

Sources : Arch. nat., MC/ET/XXXIX/610. Inventaire après décès de A. P. Mignon, 3 mars 1788 ; Arch. nat., MC/ET/XCII/847. Inventaire après décès de Madame la Duchesse de Chevreuse, 9 sept. 1782 ; Arch. nat., MC/ET/XXVII/387. Antoine Grouet, état fond de faïence, « Etat des marchandises existantes dans le magasin boutique, cave et grenier du Sieur Michel, marchand fayencier rue de la Verrerie » lors de la liquidation de créance et vente de fond de commerce à Antoine Grouet, marchand fayencier demeurant à Paris rue de Richelieu ; Arch. nat., MC/ET/XXIX/576. Vente de Séjournant, marchand fayencier, 28 déc. 1784. Facture du 21 juillet 1784 pour une fourniture à Monsieur Duverger, par Séjournant marchand fayencier rue des Boucheries, paroisse Saint-Germain.

Tab. 10 : Valeur d’estimation d’une douzaine d’assiettes

 

Tab. 10 : Valeur d’estimation d’une douzaine d’assiettesPont-aux-Choux

Vincennes Sèvres

Bleu de Nevers

1743

8 à 11 livres

72 livres (estimation)

6 livres

1765

4 livres 13 sols à 6 livres

504 livres Du Barry
48 livres Mennecy

5 livres
Nevers

1788

3 livres 5 sols

30 livres à 120 livres

3 livres

Sources : D’après les sources des tableaux VU. XVIII et XIX.

Notes

1 Ici l’appellation « faïence fine » est entendue sous la forme définie par Alexandre Brongniart en 1844 dans son Traité des arts céramiques et des poteries (classe 11e, cinquième ordre) qui regroupait dans cette catégorie la terre de pipe, le cailloutage à l’anglaise, la terre de Lorraine sans se soucier ni de la période ni du lieu qui caractérisent chacune des dénominations.

2 M. O…, ancien manufacturier, revu pour la partie chimique par M. Bouillon-Lagrange, L’art de fabriquer la poterie façon anglaise, Paris, Librairie A.G. Debray, 1807.

3 F. Bastenaire-Daudenard, L’art de fabriquer la faïence blanche recouverte d’un émail transparent à l’instar français et anglais, Paris, Librairies Fortic et Garnier, 1829.

4 A. Houze de l’Aulnoit, Essai sur les faïences de Douai dites grès anglais, Extrait des mémoires de la société des sciences, de l’agriculture et des arts de Lille, Lille, 1882.

5 A. Nicolaï, Histoire des faïenceries de Bordeaux au XIXe siècle, Bordeaux, Delmas, 1937.

6 La faïence française de 1525 à 1820, Paris, 1932, cat. exp. Pavillon de Marsan, Palais du Louvre.

7 Faïences françaises XVIe-XVIIIe siècles, Paris, RMN, 1980, cat. exp. Galeries nationales du Grand Palais.

8 E. S. Auscher, Comment reconnaître les porcelaines et faïences d’après leurs marques et leurs caractères, Paris, Garnier, Sd.

9 X. de Chavagnac, G. de Grollier, Manufactures françaises de porcelaines, Paris, 1906.

10 P. Alfassa, J. Bloch, J. Chompret, J. Guérin, Répertoire de la faïence française, Publié à l’occasion de l’exposition rétrospective de la faïence française, Paris, Musée des arts décoratifs, Paris, 1935.

11 H.-P. Fourest, « La faïence fine française des origines à 1820, à l’exposition du Musée national de céramique, catalogue de l’exposition et notice », Cahiers de la Céramique du Verre et des Arts du Feu, n° 44. Société des amis du Musée national de céramique, Sèvres, 1969,

12 M. Ariès, La manufacture de Creil 1797-1895, Paris, Librairie Guénégaud, 1974.

13 M. Ariès, Creil faïence fine et porcelaine, Paris, Librairie Guénégaud, 1994.

14 P. Goubert, D. Roche, Les Français et l’ancien régime - 1 - la société et l’état, Paris, Armand Colin, 1984, p. 51.

15 Dictionnaire historique de la langue, Paris, Le Robert, 1992.

16 J.-Y. Grenier, L’économie d’ancien régime, Paris, Albin Michel, 1996, p. 229.

17 D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France du XVIe siècle à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, 1998.

18 P. Butel, L’économie française au XVIIIe siècle, Paris, Sedes, 1993, p. 216.

19 D. Terrier, Histoire économique de la France d’ancien régime, Paris, Hachette supérieur, 1998.

20 Ibid., p. 85.

21 P. Goubert, D. Roche, op. cit., p. 51.

22 A. Dewerpe, Y. Gaulupeau, La fabrique des prolétaires - Les ouvriers de la manufacture d’Oberkampf à Jouy-en-Josas 1760-1815, Paris, Presse de l’école normale supérieure, 1990, p. 13.

23 Ibid., p. 14.

24 D. Terrier, op. cit., p. 99.

25 R. de Plinval de Guillebon, Faïence et porcelaine de Paris XVIIIe-XIXe siècles, Dijon, Faton, 1995, p. 58.

26 A. Dewerpe, Y. Gaulupeau, op. cit., p. 31.

27 S. Chassagne, Oberkampf un entrepreneur capitaliste au siècle des lumières, Paris, Aubier, 1980.

28 R. de Plinval de Guillebon, « La faïence fine du Pont-aux-Choux », L’Estampille, l’Objet d’Art, n° 292, p. 52-61, Juin 1995.

29 A. Pardailhé-Galabrun, La naissance de l’intime 3 000 foyers parisiens XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, PUF, 1988.

30 A. Pardailhé-Galabrun, op. cit., p. 301.

31 R. de Plinval de Guillebon, Faïence et porcelaine de Paris, op. cit., p. 58.

32 Le nombre d’objets peints dans l’inventaire de 1747 est tellement faible que cette production n’est pas ici prise en compte. Dans les deux autres inventaires ces objets disparaissent totalement !

33 D. Woronoff, op. cit., p. 70.

34 D. Woronoff, op. cit., p. 72.

35 D. Woronoff, op. cit., p. 74.

36 A. Goubert, D. Roche, op. cit., p. 164.

37 D. Woronoff, op. cit., p. 74.

38 S. Chassagne, op. cit., p. 160-161.

39 Ibid., p. 160.

40 A. Dewerpe, Y. Gaulupeau, op. cit., p. 17.

41 R. de Plinval de Guillebon, Faïence et porcelaine de Paris, op. cit., p. 113-116.

42 J. Guiffrey, Documents inédits sur les anciennes manufactures de faïence et de porcelaine recueillis et annotés par Jules Guiffrey, Paris, Extraits de la Revue de l’Art Français, 1889, p. 3.

43 Trudaine, Daniel Charles, conseillé d’état honoraire de l’académie des sciences, ou Trudaine de Montigny, son fils avec les mêmes charges et qualités, vente du 20 décembre 1777, Lot n° 88. Bibliothèque nationale.

44 R. de Plinval de Guillebon, « La faïence fine du Pont-aux-Choux », op. cit., p. 60-61.

45 R. de Plinval de Guillebon, Faïence et porcelaine de Paris, op. cit., p. 78.

46 Arch. nat., MC / ET / LXXXVII / 981. Inventaire après décès de Madame Serrurier, 30 septembre 1747.

47 P. Galliano, R. Philippe, P. Sussel, La France des lumières 1715/1789, Collection Histoire de la France, sous la direction de Robert Philippe, Fribourg, Éditions du Lac, 1975, p. 126.

48 B. Garnot, Société, cultures et genres de vie dans la France moderne XVIe-XVIIIe siècle, sous la direction de Robert Muchembled, professeur à l’université de Paris, Hachette, 1997, p. 73.

49 B. Garnot, op. cit., p. 73.

50 A. Pardailhé-Galabrun, op. cit., p. 364.

51 P. Galliano, R. Philippe, P. Sussel, op. cit., p. 92.

52 Y. Leclerc, Histoire économique de la France de l’ancien régime (XVIIe-XVIIIe siècles), Paris, Dalloz, 1993, p. 74.

53 D. Woronoff, op. cit., p. 25.

54 G. Le Duc, « Paris, rue de Charenton une manufacture royale de “terre d’Angleterre” 1743-1749 », Sèvres, Revue de la société des amis du Musée national de céramique, n° 2, Sèvres, Société des amis du Musée national de céramique, 1993, p. 20-28.

55 B. Garnot, op. cit., p. 42.

56 P. Léon, Économies et sociétés préindustrielles, tome 2 : 1650-1780, les origines d’une accélération, Paris, Arnaud Colin, 1970, p. 357.

57 B. Garnot, op. cit., p. 40.

58 P. Goubert, D. Roche, op. cit., p. 171-176.

59 Ibid., p. 179-180.

60 P. Léon, op. cit., p. 357.

61 P. Goubert, D. Roche, op. cit., p. 111.

62 P. Léon, op. cit., p. 358.

63 Ibid., p. 359.

64 P. Goubert, D. Roche, op. cit., p. 167.

65 P. Léon, op. cit., p. 359.

66 Ibid., p. 364.

67 Ibid., p. 364.

68 B. Garnot, op. cit., p. 43-44.

69 D. Terrier, op. cit., p. 212.

70 A. Pardailhé-Galabrun, op. cit., p. 460.

71 Ibid., p. 464, ce tableau est fondé sur l’analyse de 884 inventaires.

72 P. Léon, op. cit., p. 358.

73 D. Terrier, op. cit., p. 211.

74 Ibid., p. 215.

75 P. Léon, op. cit., p. 384.

76 A. Pardailhé-Galabrun, op. cit., p. 306-307.

77 P. Léon, op. cit., p. 358.

78 J.-M. Constant, La société française aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Gap, Ophrys, 1994, p. 58.

79 A. Dewerpe et Y. Gaulupeau, op. cit., p. 39.

80 M. A. Hozotte-Reynaud, « La manufacture du Pont-aux-Choux 1743-1788 », Paris et Ile-de-France, mémoires publiés par la fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Ile de France, t. XVI-XVII, 1965-1966, p. 271-297, Paris, 1967, p. 288-289.

81 A. Dewerpe, op. cit., p. 33, d’après Roland de la Platière, L’encyclopédie méthodique, manufactures, arts et métiers, Paris chez Panckoucke, 1785, article Manufacture.

82 D. Terrier, op. cit., p. 204.

83 P. Butel, op. cit., p. 231.

84 D. Woronoff, op. cit., p. 93.

85 A. Dewerpe, op. cit., p. 16.

86 S. Chassagne, op. cit.

87 A. Dewerpe, op. cit.

88 Trésors de la langue française, Dictionnaire de la langue du XIXe et XXe siècles, (1789-1960) sous la direction de Paul Imbs, Paris, CNRS, 1971.

89 Jean-Marie Bouchard.

90 J. M. Bouchard précise que ce « poinçon de décharge des menus ouvrages d’or et d’argent », représentant ici une « petite tête de poule » est l’attestation du paiement de l’impôt sur les métaux précieux. La faible taille de la charnière a empêché que l’orfèvre appose le poinçon de « charge » et son propre poinçon de « marque ». La perception de l’impôt sur les métaux précieux sous l’Ancien Régime était affermé, c’est-à-dire confié à un « fermier » moyennant l’achat de cette charge par ce dernier pour une durée déterminée. Ici, il s’agit de Julien Berthe qui sous-traitait ses droits pour la province à des « sous-fermiers » qui utilisaient d’autres poinçons. À ce propos : M. Bimbenet-Privat et G. de Fontaine, La datation de l’orfèvrerie parisienne sous l’Ancien Régime, Paris, Paris-Musées, 1995.

91 C. Maire, 1797, Tournant de la faïence fine en France, Catalogue du Salon International de la Céramique de Collection et des Arts du Feu, p. 94-103, Paris, 1999.

92 C. Maire, « Quelques repères de l’histoire méconnue d’une céramique née au XVIIIe siècle : la faïence fine », Sèvres, Revue de la société des amis du Musée national de céramique, n° 10, p. 45-51, Sèvres, Société des amis du Musée national de céramique, 2001.

93 M. O…, ancien manufacturier, op. cit.

94 Arch. nat., F12 2442.

95 M. O…, ancien manufacturier, op. cit., p. 41.

96 C. Maire, « L’impression sur faïence fine - histoire - technique - iconographie », Les dossiers de la faïence fine, n° 11, Juin 2001, Cheroy, Les amis de la faïence fine, 2001.

97 M. Ariès (1994), op. cit., p. 84.

98 Ibid., p. 72.

99 Arch. nat., F12 2439.

100 Ibid.

101 Ibid.

102 M. Ariès (1994), op. cit., p. 44.

103 Ibid., p. 44.

104 Ibid., p. 47.

105 Ibid., p. 59.

Table des illustrations

Légende ill. 1 : Reconstitution du plan de la manufacture de « faïence fine » du Pont-aux-Choux telle qu’elle pouvait être en 1788.
Crédits Dessin de l’auteur.
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Légende ill. 2 : Le décor de « grain de riz » spécifique de la manufacture parisienne. Ici sur le corps d’un rafraîchissoir à bouteille. Sans marque. Entre 1750 (?) et 1788.
Crédits Coll. privée.
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Légende ill. 3 : Détail d’une cafetière en grès fin brun, nommé plus tardivement « terre d’Égypte ». Le décor réalisé avec une molette se superpose, l’ouvrier ayant arrêté son geste trop tard et légère ment décalé par rapport à son premier passage. Coll. privée. Marque en creux UTZSCHNEIDER. Déb. XIXe siècle.
Crédits Photo Ch. Maire.
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Légende ill. 5 : Prise d’un vase attribué à la manufacture de Clairefontaine. Coll. privée. Sans marque. Vers 1804-1806.
Crédits Photo Ch. Maire.
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Légende ill. 4 : Deux tasses en grès fin jaune de la manufacture de Lambert à Sèvres. Le décor de godrons est obtenu sur un tour à guillocher. L’effet diffère légèrement selon le geste plus ou moins saccadé de l’ouvrier. Coll. privée. Tasse de droite : marque en creux LAMBERT. Celle de gauche sans marque. Hauteur : 48 mm. Diamètre : 78 mm. Vers 1802-1803.
Crédits Photo Ch. Maire.
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Légende ill. 6 : Prise d’un vase de la manufacture de Charmot à Jussy. Coll. privée. Marque en creux : Charmot. Entre 1824 et 1839.
Crédits Photo Ch. Maire.
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Légende ill. 7 : Bouillon couvert et son présentoir à décor imprimé par les facteurs d’impression Stône, Coquerel et Legros pour la manufacture de Creil (ou à leur compte sur un objet blanc acheté à la manufacture). Coll. privée. Marque en creux : CREIL, et marque circulaire imprimée en noir des facteurs d’impression : Stone, Coquerel et Legros, Paris, Manufre de décors sur Porcelaine Faïence PAR BREVET D’INVENTION. Coll. privée. Hauteur du bouillon : 155 mm. Diamètre de l’ouverture : 140 mm. Diamètre du présentoir : 185 mm. Entre 1808 et 1818.
Crédits Photo Ch. Maire.
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Légende Tab. 2 : Périodes de production des différentes céramiques dans les principales manufactures françaises entre 1745 et 1820.
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Titre Tab. 7 : Estimation de prix et prix de vente, 1740 et 1753
Crédits Sources: Arch. nat., MC/ET/LXXXVII/981. Inventaire après décès de Madame Serrurier, 30 sept. 1747 ; Duchon, 1988, inventaire dans le magasin de la rue Saint-Honoré les 26-28-29 juillet 1754 ; Préaud et d’Albis, 1991, sont donnés dans le tableau le prix de vente ou des estimations pour des objets dont les valeurs correspondent aux années 1752/1753. La valeur d’une douzaine d’assiettes est calculée à partir de la valeur indiquée d’une assiette ; Le Duc, 1996, p. 399. Inventaire des porcelaines de Chantilly et de Saxe de Louis- Henry de Bourbon, 17 février 1740, p. 399. Inventaire des porcelaines de Procope Ulysse Comte d’Edmont, Prince de Pignatelli, Paris, 6 juillet 1743, p. 418 ; Brunet et Préaud, 1978, p. 137 ; Arch. nat., LC/ET/LXIV/341. Dissolution de compte de société, marchand mercier, Melle Hude à Paris, paroisse Saint Germain, 15 sept. 1751 ; Arch. dép, Seine, D4 B 6, carton 9, dossier 424. Faillite de Sulfort, marchand faïencier, 20 juin 1750.
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Titre Tab. 8 : Inventaires en 1765
Crédits Sources : Arch. nat., MC/ET/XXVII/396. Inventaire après décès de Madame Madeleine Serrurier, femme Migon, 27 nov. 1765 ; Arch. nat., MC/ET/XIII/340. Inventaire après décès de Jean-Baptiste Bardin, 14 nov. 1765 ; Arch. nat., MC/ET/XCII/665. Inventaire après décès de Melle de Sens, 23 avril 1765 ; Arch. nat., MC/ET/XV/803. Inventaire après décès de la femme de Chiboust, marchand faïencier, 17 mai 1765 ; Plinval de Guillebon, 1995 b, p. 46. Les chiffres pour la production de Roussel sont des prix de vente datant de 1760 ; Plinval de Guillebon, 1995 b, p. 118 ; Brunet et Préaud, 1978.
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Auteur

Professeur d’art appliqué.

© Presses universitaires du Midi, 2003

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