Une Sainte Famille avec sainte Anne de Guy François

1Au moment de ce colloque, retournant sur les traces de nos ancêtres, nous découvrions, dans le transept sud de l’église Saint-Gervais-Saint-Protais de Langogne1, cette Sainte Famille avec sainte Anne : le nom de Guy François nous parut indissociable de l’œuvre (fig. 97). Elle était classée depuis 1982 à l’Inventaire des monuments historiques, au titre objet, comme Vierge à l’Enfant adorée par les bergers, XVII^e siècle2. Un second voyage nous ouvrit les archives de l’église3, où rien ne put préciser l’origine du tableau. Quand était-il entré dans les biens de l’église de Langogne ? sous quelle appellation ? Par contre l’abbé conservait un courrier de M. Pettex-Sabarot (l’un des chercheurs sur Guy François) donnant diverses précisions sur les œuvres de l’église, qui refusait la paternité de ce tableau à Guy François, le donnant tout au plus à son "atelier" – ceci en 1987, avant restauration.

2Bien que la plupart du temps Guy François ait inventé des compositions en frise, de peu de profondeur, aux figures serrés dans la page, il semble que ce tableau un peu étouffé ait été coupé4. Dans quelle proportion ? Seule une réplique entière pourrait nous l’enseigner. L’œuvre, restaurée, a retrouvé ses couleurs et sa précision, qui ne laissent aucun doute quant à l’auteur.

3Le visage de la Vierge est typique des années de maturité du peintre. Ces visages de Vierge, soit si fins qu’on les rapproche de Saraceni5, soit plus pleins (Vierge du Rosaire, église Saint-Laurent du Puy), sont-ils signe d’une évolution du peintre, ou de plusieurs mains dans l’atelier ? Sans doute doit-on penser à un atelier familial, où seule figurait la signature du plus fameux, du chef d’atelier – comme on était "chef de famille" -, le seul Guy François - cas bien proche de celui des frères Le Nain. Ici, les mains – souvent épaisses et spatulées – paraissent bien plus lourdes que les visages, et font penser à une telle collaboration6.

4Cette Vierge est analogue à celle de l’Adoration des Mages (église de Pontgibaud, Puy-de-Dôme), et peut-être plus encore à cette allégorie du château d’Aulteribe7. Très proche aussi, la Vierge du dessin de l’École des Beaux-Arts à Paris8, presque une étude pour le tableau de Langogne. Ces figures féminines ont un canon similaire : menton étroit, pommettes pleines et saillantes, rouges, une bouche assez contournée, et des yeux baissés mais entrouverts sur un filet de regard, qui leur confère une majesté bien particulière.

5Tous ces visages semblent tracés sur les poncifs de Guy François : celui de saint Joseph, savoureux et vif, renvoie au Mariage mystique de sainte Catherine (musée des Augustins de Toulouse), comme à l’homme sur la droite de la Présentation au Temple (église de Tournon) ; sainte Anne se rapproche de la vieille orante agenouillée de la Présentation au Temple (musée des Augustins de Toulouse). L’enfant, très frisé, joufflu et grassouillet, rappelle celui de La Vierge et Enfant avec saint François d’Assise, sainte Claire et une donatrice (dépôt du monastère de Sainte-Claire, musée du Puy) ou de la Sainte Famille avec saint Bruno et sainte Élisabeth (musée de Bourg-en-Bresse)9.

6En revanche, ce tableau très simple présente deux traits uniques dans l’œuvre de Guy François connu à ce jour : la robe de l’Enfant Jésus – toujours nu ailleurs -, et l’insistance sur les fruits donnés, montrés. Cette robe très contemporaine, d’un beau jaune d’or, délicatement bordée et ceinturée de sombre, donne à l’Enfant une dignité inhabituelle. Par ailleurs, jamais l’Enfant Jésus ne touche ainsi des fruits qui lui sont offerts ; quant à Joseph, il offre ostensiblement une poire à la Vierge.

7On le sait désormais, Guy François, en plus d’une signature bien évidente, inscrivit quelquefois un texte de prière dans un phylactère au bas de certains tableaux10. Ce fut peut-être le cas de celui-ci, coupé selon le rapport de restauration ; un tel texte aurait pu être : .. .Jésus, "le fruit de vos entrailles, est béni"11 texte parfait pour un ex-voto à la naissance de Louis Dieudonné, futur Louis XIV – du moins nous semble-t-il sous-tendre l’iconographie du tableau.

8Les tableaux et gravures commandés pour fêter cette naissance tant attendue ont dû être légion. Ne citons que le cas de Simon François, tourangeau, qui aurait peint en 1638 Anne d’Autriche sous les traits d’une Vierge à l’Enfant ; ou Jacques Stella, à qui l’on attribue un tableau de la Vierge adorant l’Enfant (Anne d’Autriche pour Biedermann) qui tient à la main une pomme : nous y retrouvons un même contexte, illustrant la même prière12.

9Par ailleurs, les traits de la Vierge, bien qu’ils soient, par la coiffure, ceux que l’on donnait alors par mode aux femmes, rappellent ceux d’Anne d’Autriche, à la bouche charnue13. Notons aussi la présence de sainte Anne, protectrice de la reine.

10Le temps nous a manqué pour explorer les archives de Mende – surtout révolutionnaires -, afin d’éclairer le parcours du tableau. L’œuvre ne dut pas faire un grand trajet : dans ces petites villes lointaines, les objets ont souvent simplement changé de lieu dans une même circonscription. Selon M. l’abbé Viallet, historien de la ville de Langogne (communication orale), le tableau pourrait être venu de la chapelle des Pénitents de Langogne. Pourtant, les biens de la chapelle furent inventoriés et photographiés lors de sa désaffection, et ce tableau n’y figurait pas. Peut-être trouvera-t-on trace de cette modeste commande dans des archives de fabrique ? L’hypothèse d’un ex-voto pour la naissance de Louis XIV pourrait permettre dans un premier temps de circonscrire les recherches dans les années 1638-1639 – mais cette interprétation iconographique reste une hypothèse de travail.

Pour Alban Chabalier †.