Familles et inclinations religieuses vers l’Église catholique, dans les diocèses béarnais de Lescar et d’Oloron, entre la fin du xvie et le xviiie siècle
p. 497-508
Texte intégral
1Les apports de l’historiographie récente dans le cadre du thème « familles de pouvoir, pouvoirs des familles » s’attachent à considérer comme objet d’étude le personnel ecclésiastique et ses membres les plus éminents. Ainsi, les recherches doctorales de Christophe Duhamelle1, à propos de la noblesse d’Eglise, et les travaux de Jean-Jacques Dutrieux2 au sujet des chanoines de l’Eglise de Chartres prennent en considération, à partir d’un groupe social ou fonctionnel homogène, les influences familiales privilégiant ainsi une approche prosopographique. Cette démarche avait d’ailleurs été initiée quelques décennies auparavant par Michel Peronnet3 qui avait montré dans sa thèse toute l’influence népotique à la tête des évêchés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et les liens entre ces prélats et les plus hauts serviteurs laïcs de la royauté.
2Néanmoins, il y aurait sans doute quelque intérêt à envisager de confronter dans une même étude l’ensemble du personnel ecclésiastique du XVIe au XVIIIe siècles et non pas uniquement une catégorie homogène fonctionnellement telle celle des évêques, des chanoines voire des curés… afin de juger de la pertinence et l’ampleur des liens entre famille et pouvoir, au sein même d’une Eglise catholique qui connaît de nombreuses vicissitudes dans le cadre géographique béarnais. Cette étude est menée dans le cadre de nos recherches doctorales en cours. Aussi ne prendrons-nous que quelques exemples précis, illustrant tous les degrés de la hiérarchie tant séculière que régulière.
3Deux acceptions du terme « famille » peuvent entrer en compte : famille tout d’abord au sens génétique du terme désignant la famille d’origine ; et famille d’adoption que peut être l’Eglise entraînant d’autres relations entre ecclésiastiques devenus proches. Pour limiter notre étude, il nous faut avant tout considérer la famille originelle de ces clercs. Autrement dit notre travail s’appuie sur des exemples de familles dans lesquelles se sont manifestées des vocations religieuses catholiques4.
4De plus, dans les diocèses de Lescar et d’Oloron entre les XVIe et XVIIIe siècles, le substrat religieux n’est pas univoque. En effet, cette principauté jouissant d’une indépendance juridictionnelle devient sous l’égide de la reine Jeanne III d’Albret (1527-1572), mère du futur roi de France Henri IV (1553- 1610), une terre calviniste.
5Par un effet de balancier, l’Eglise catholique, qui avait été prépondérante jusqu’à la décennie 1560, se trouve placée en position de concurrence avec cette confession protestante et, ce, au plus haut sommet de la vicomté. Dès lors les familles sont placées face à un choix religieux, encore plus facile à accomplir en raison des ordonnances d’Arros de 1571 consacrant l’abolition totale de l’Eglise, affectant sa hiérarchie et ses biens, et donc son influence spirituelle auprès des familles béarnaises.
6Successeur de sa mère en Navarre et Béarn après 1572, le prince Henri – Henri III de Navarre mais Henri IV de France – en devenant roi de France en 1589 est obligé de professer la religion catholique, apostolique et romaine, la seule que le roi de France se doit de connaître, de défendre et de protéger contre l’hérésie – précisément protestante – selon les tria precepta prêtés par ce roi lors de la cérémonie du sacre français5, à Chartres6, le 27 février 1597 : le serment se termina par ces mots : « outre je tâcherai à mon pouvoir en bonne foi de chasser de ma juridiction et terre de ma sujétion tous hérétiques dénoncés par l’Eglise »7.
7Ainsi, son souci en matière de religion est conforme aux promesses faites au Pape en 1595, lors de sa dernière abjuration du calvinisme. Il vise la restauration et le rétablissement du catholicisme en Béarn à compter de 1599, avec la promulgation de l’Edit de Fontainebleau, puis avec un certain nombre d’actes royaux publiés progressivement jusqu’en 1620, date de l’union du Béarn à la France par Louis XIII. Ultime étape essentielle : 1685 avec l’Édit de Fontainebleau, connu pour révoquer l’Édit de Nantes dans le reste du royaume de France, alors qu’en Béarn – l’Édit de Nantes ne s’y étant jamais appliqué – cet acte marque la volonté d’éradication de cette confession calviniste. Sous le coup de ces différentes mesures il faut avant tout y lire, pour ce qui nous intéresse, les nombreuses oscillations, changements de religion des sujets des vicomtes de Béarn, des princes de Bourbon-Albret puis des rois de France issus de la dynastie Bourbon.
8La problématique générale de ce colloque posant la question des implications réciproques entre la notion de « famille » et la détention d’un ou de plusieurs pouvoirs, le champ religieux semble un bon terrain d’investigation. Et dans notre aire géographique méridionale – béarnaise plus particulièrement –, bouleversée du point de vue religieux entre les XVIe et XVIIIe siècles, ce thème d’étude révèle la famille comme structure essentielle dont le poids est déterminant dans la vocation religieuse qu’il s’agisse de l’appel vers une religion ou de l’entrée en religion proprement dite. Dans une région où le poids de l’ostau, de la Maison, retombe sur la destinée de ses membres, les aspirations individuelles et les obligations familiales s’entrecroisent, parfois au prix de conflits internes importants, mais jamais aux dépens de la Maison. La place de ce (te) ecclésiastique dans la famille peut y être ambiguë en fonction de sa position d’aîné(e) ou de cadet (te) et des textes coutumiers.
9Une analyse en trois temps successifs permet de mesurer tout d’abord les oscillations des familles béarnaises et de leurs membres au gré des choix officiels de religion entre 1570 et 1685, entre protestantisme calviniste et catholicisme. Ensuite, il s’agit de s’interroger sur les inclinations religieuses comme reflet d’une éventuelle stratégie de la part des familles catholiques, préliminaire à l’examen d’une potentielle influence familiale dans la carrière ecclésiastique.
Entre catholicisme et protestantisme, oscillations des familles au gré des choix officiels de religion (1570-1685)
10Si l’on considère des dates importantes pour ces oscillations, il faudrait retenir les dates de 1571, promulgation des ordonnances d’Arros par la reine Jeanne III d’Albret, et de 1685, Édit de Fontainebleau et disparition officielle du protestantisme sur les terres du roi de France. Mais, en cette matière, raisonner en terme de dates paraît très hasardeux ; il faut sans doute faire une plus grande part aux générations successives qui portent l’empreinte de ces changements religieux, que ce soit en raison des choix éducatifs des parents ou des choix personnels effectués par les enfants.
11Le personnage de Jeanne III d’Albret est ici incontournable, non pas par son propre engagement religieux mais surtout par les décisions prises en matière religieuse et l’aide apportée pour la diffusion de cette religion protestante8. En effet, des serviteurs de cette reine ont préféré la confession calviniste au catholicisme et sont ainsi devenus agents de la conversion de l’ensemble de leur famille : de là viennent les choix du baptême des enfants au temple et non à l’église, de l’éducation protestante, de l’assistance aux offices calvinistes.
12En particulier, le filleul d’Henri IV, Henri de Sponde, érudit calviniste se trouve lui aussi face à la question de la conversion. En effet, ses frères et sœurs professent la religion protestante. Ainsi, Marguerite, sa sœur aînée devient marraine en mai 1586 d’une fille de Daneau, théologien calviniste9 ! Parallèlement, son oncle paternel, Arnaud de Sponde est chanoine de Saint-André de Bordeaux10. Les influences sont multiples qui mènent Henri de Sponde à la conversion : aspirations personnelles, choix familiaux11, rencontre avec l’évêque de Bordeaux élu – Jacques du Perron. Dès lors, il devient chanoine et suit Jean de Salettes (futur évêque de Lescar) allant même à Rome pour les négociations autour de la conversion d’Henri IV, avant de devenir évêque de Pamiers en 1627 !
13Pour le clergé régulier de Béarn, nous pouvons citer Zacharie de Colom, barnabite, né en 1569 d’un père protestant, Arnaud de Colom, lui-aussi secrétaire de la reine Jeanne III d’Albret et de Henri III de Navarre. Louis, son frère, fut syndic des Etats de Béarn, mais révoqué en 1630 par Louis XIII12. Zacharie lui aussi se rend à Toulouse pour suivre des études de droit et devient avocat au conseil souverain de Béarn.
14Le même cas de figure se retrouve plus tard dans un autre contexte historique, celui du développement en Béarn de l’Eglise catholique, sa restauration, et l’existence, à côté de cette dernière, de l’Eglise calviniste, entre 1620 et 1685. Deux familles illustrent ici notre propos.
15Tout d’abord la famille Ribeaux issue du mariage entre Pierre de Ribeaux et Judith de Pussacq – tous deux sont protestants : l’épouse est baptisée au temple en 1634. Nous pouvons supposer leur conversion puisque leurs enfants sont baptisés à l’église Saint-Pierre d’Orthez et ce dès 1663, année de naissance de leur premier enfant, Paul. Il est intéressant de noter que le père exerce une fonction importante dans la province de Béarn, en étant avocat en la cour du sénéchal d’Orthez. Leur second enfant embrasse la religion catholique en devenant membre de sa hiérarchie : Samuel, né vers 1665, est successivement curé de Balansun (après le 22 octobre 1696), curé de Castéide Camy (entre 1721-1759) et prébendier d’Arthez-de-Béarn (1716-1759).
16Ce dernier choix familial, quant à la conversion, semble indépendant du contexte politique, ce qui n’est pas le cas d’une autre famille, la famille de Day, qui adopte la religion catholique, en conséquence de l’Édit de 1685. Il s’agit ici d’une famille plus éminente de Béarn, fondée par le mariage de noble Hierosme de Day, conseiller du roi, trésorier général de la maison, couronne et finances de Béarn et Navarre et de Catherine de Nays, et dont les descendants s’allient avec de prestigieuses familles nobles. La conversion du père en 1685 se traduit par l’entrée en religion d’une de ses filles, Marie, huitième enfant.
17Quelque peu différent est l’itinéraire familial des Dabbadie. Le père, Martin, ancien ministre protestant se convertit au catholicisme, devenant même pensionné par le roi ; quant à son fils Daniel, il entre dans la congrégation de Saint-Paul.
18Les préoccupations de l’Etat royal français, catholique par essence, se portent tout naturellement sur l’éducation soignée des familles de nouveaux convertis, ou du moins de certains de leurs membres mais avec quelques particularités béarnaises toutefois.
19En effet, la famille de Day est significative des conversions au catholicisme dans les années 1680. Ici l’entrée en religion de Marie ne semble pas, selon nos sources, s’effectuer dans un contexte de tension entre les parents et leur fille : les parents versent une aumône dotale d’un montant classique pour ce couvent à savoir 2000 livres et 500 livres pour l’ameublement13. Et effectivement d’après le registre tenu par les ursulines de Pau14, son entrée en noviciat se fit le 14 novembre 1695 et la prononciation de ses vœux en février 1696, son nom de vêture étant sœur Marie Rose de Saint-Bernard. Marie de Day apparaît comme particulièrement zélée et méticuleuse dans ses fonctions : élue supérieure de la communauté de Pau pendant vingt-quatre ans, elle est à l’origine de l’introduction dans le couvent de la dévotion au Sacré Cœur de Jésus, de la construction de caveaux pour les religieuses mortes, et de travaux dans le monastère (église, réfectoire notamment) ; une action étendue en raison de la longue durée de sa profession (69 ans)15. Nos sources transmettent ainsi l’image d’une nouvelle convertie très zélée, agissant en accord avec sa famille. Cependant ce n’est pas la seule de sa famille à favoriser ainsi une vie religieuse, puisque sa sœur Catherine16 entre elle aussi dans ce même couvent, à l’âge de quinze ans, novice dès le 30 novembre 1703, professe à compter du 6 janvier 1709, s’appelant désormais sœur Thérèse de Saint-Michel17.
20Si nous nous intéressons à ces religieuses de l’ordre de Sainte-Ursule c’est précisément parce que grand est leur rôle dans l’éducation catholique de jeunes filles issues de familles réformées, comme nous venons de l’envisager pour la famille de Day. Ainsi, Jeanne de Lespardas, ursuline de Pau, est née à Départ18, dans le sein même de l’hérésie, ses parents, Isaac de Lespardas et Susanne Dargaut faisant profession du calvinisme : elle devint novice le 21 juin 1724, ses parents versèrent une aumône de 2 500 livres, et elle professa ses vœux le 23 novembre 1725 sous le nom de sœur de Saint-Ignace19.
21Mais, ces choix religieux peuvent également se dérouler de façon encore plus dommageable voire critique en créant une distance, une profonde rupture au sein des familles, de l’ostau béarnaise. Aussi sommes-nous amenés à envisager ces conversions comme opportunes, et ce par rapport aux circonstances, aux familles, aux carrières ecclésiastiques souhaitées par ces clercs. Ainsi, à un échelon plus familial, les affrontements entre parents et enfants sont nombreux au sujet du devenir de ces derniers précisément, non plus alternative entre religion catholique et confession protestante, mais bien plutôt tergiversations entre vocation religieuse et maintien dans le monde des laïcs, le tout étant déterminé dans une large mesure par les stratégies familiales, les questions d’héritages, de répartition du pouvoir au sein de ces familles, la pérennité de l’ostau.
Inclinations religieuses, une stratégie de familles catholiques
22Sur la question de la stratégie de ces familles, Jean-Pierre Chaline a, en 1987, mené une réflexion sur les implications de ce terme et les limites de son application, lors du colloque rouannais intitulé Aux sources de la puissance : sociabilité et parenté.
23Selon lui, « là, où, à toutes époques, l’historien croit discerner une « stratégie » subtile et opiniâtre, n’y aurait-il pas lieu souvent de songer à cette pente naturelle, à cette démarche si banale, inspirée avant tout par la facilité, qui consiste à prendre, pour tenir tel rôle, occuper telle fonction – où les candidats possibles sont souvent moins nombreux qu’on ne l’imagine – des personnes proches, donc des parents, pour la simple raison qu’on les connaît un peu mieux que d’autres, qu’on a confiance en eux »20.
24En fait, dans notre cas, il nous semble que ce schéma s’avère pertinent si à ces notions de parenté et de sociabilité s’ajoute celle de pouvoir.
25Premier temps : envisager la répartition des vocations dans ces familles comme un plan effectué en toute conscience et impliquant donc des intentions préliminaires très fortes chez les parents.
26Dans le cas de figure précédemment évoqué, celui des familles converties depuis peu de temps, un constat s’impose : la stratégie fonctionne parfaitement et privilégie essentiellement les ordres religieux post-tridentins tels les ursulines21, les barnabites22, les jésuites23. La finalité peut apparaître ici comme étant la volonté de la part des parents de prouver leur conversion zélée et définitive.
27Nous pourrions à nouveau songer à la famille de Day, exemple du maintien de cette inclination pour les ursulines durant deux générations. Bien sûr, un autre élément est à prendre en considération : la possible influence des tantes – Marie et Catherine – sur leur nièce Jeanne Marie Thérèse. Remarquons, à ce propos, le choix du prénom de cette dernière avec Marie : nous formulons l’hypothèse que Marie, sa tante, devenue sœur Marie Rose de Saint-Bernard a pu être la marraine – nous reviendrons sur l’importance de ces relations de parrainage. De plus, le choix de Marie ne saurait être involontaire lorsque l’on sait l’importance du culte marial pour les catholiques dans le contexte de la contre-réforme, par antithèse avec les pratiques protestantes.
28Autre exemple unique que nous trouvons dans la documentation : le choix relevant d’une stratégie familiale parfaitement établie et tendante à préserver les héritages familiaux en évitant leur dispersion éventuelle. Les vocations parmi les enfants du premier lit et ceux du second lit se lisent à la lueur d’une nette hiérarchisation24.
29Ainsi dans la famille de Gassion, fondée par Pierre, président du parlement de Navarre, et son épouse Magdeleine de Colbert du Terron, leur troisième enfant, Pierre Armand de Gassion, dit M. de Gassion-Bergere, devint chanoine de la cathédrale de Lescar. Son demi-frère issu de l’union naturelle de son père avec demoiselle Adrianne de Guirauton, d’origine plus modeste, est légitimé suite à un indult du pape et une lettre du roi : pour lui, ses fonctions resteront curiales pendant longtemps à Monein, puis canoniales à Lescar très brièvement. Famille éminente rime ici avec fonctions éminentes, fonctions de pouvoir au sein du diocèse. Mais, en raison d’une stratégie plus personnelle, Jean-Baptiste de Saint-Pee choisit de demeurer curé, en résignant sa charge canoniale en octobre 1702 après avoir pourtant été installé le 25 novembre 1701 par le chapitre.
30Ici le résultat, mesuré à la mort de ce clerc, en 1744, ne fait aucun doute sur le pouvoir acquis dans sa paroisse et aux alentours, le curé paraissant comme un véritable recours pour ses fidèles en matière de crédit financier, alors que son influence aurait été quelque peu noyée au milieu de ces douze chanoines de Lescar pour la plupart issus de familles nobles et éminentes en Béarn, lui n’étant qu’un bâtard légitimé finalement. De plus la cure de Monein lui rapporte un revenu très intéressant, dont nous avons le témoignage pour une année postérieure : en 1760, le curé perçoit alors 3200 livres de revenus sans compter le casuel ! Les droits et rentes des prébendes de Monein se montent à 780 livres25.
31Cette stratégie recoupe également par certains aspects, la question des cadets et des cadettes, en raison de la répartition des pouvoirs dans l’ostau.
32Et effectivement, dans la quasi-majorité des familles béarnaises au sein desquelles nous avons retrouvé des vocations sacerdotales, c’est bel et bien un cadet ou une cadette voire plusieurs enfants – très rarement l’aîné – qui entrent dans le monde religieux, séculier ou régulier. Toutefois, il ne saurait y avoir de stratégie individuelle au sein de l’ostau dans la mesure où tous les membres de la famille sont véritablement au service de la Maison, de l’aîné au cadet, comme l’explique Christian Desplat : « Rien toutefois ne venait remettre en cause la finalité des combinaisons familiales ; le régime successoral, les droits des époux, ceux des enfants avaient toujours la même destination : “entretenir las maisons en lor esse”. Les intérêts collectifs, ceux de l’ostau, s’imposaient toujours avec la même force aux individus »26.
33Ainsi, la famille de Vignau, de Meillon, pourrait illustrer nos propos27. En effet, Bernard de Vignau et sa femme28 voient deux de leurs enfants choisir l’Eglise, deux cadets à savoir Jean Louis de Vignau, mentionné dans nos sources comme prêtre et curé de Bordères en 1736, et Bernard de Vignau prêtre et curé de Bénéjacq dès le 13 septembre 172729. La volonté parentale de préserver la Maison peut tout à fait rencontrer l’existence d’une forte vocation personnelle : dans le cas de Bernard de Vignau, il mourut « apres avoir édifié sa paroisse par la pratique de toutes les vertus chrétiennes, qu’il a possédées à un degré supérieur, et par ses merveilleuses instructions, qui marquoit un esprit et une science au dela du commun », ceci même s’il peut y avoir là dessous une volonté édificatrice de la part de cet auteur anonyme. A la génération suivante, Samuel Joseph entre dans la carrière ecclésiastique en devenant prêtre et curé de Mirepeix, alors que son frère jumeau choisit une carrière juridique auprès du parlement de Navarre et se marie.
34Les changements d’inclination, de sentiments personnels n’ont également que peu d’influence s’ils se rencontrent chez les cadets de familles : ainsi la famille n’est que peu affectée, du point de vue de son équilibre interne et des rapports de pouvoir. Dans la famille de Nays, deux cadets de noble Paul de Nays et de Esther de Labaig, Jean et Paul, abandonnent leur première carrière, militaire ou juridique, pour devenir respectivement l’un curé d’Angaïs, l’autre curé de Beuste et Pontacq.
35Néanmoins, il arrive que ce soient les aînés qui s’engagent dans la voie ecclésiastique. Pierre de Borderes par exemple, fils aîné de noble Pierre de Borderes30, abbé laïc d’Auga, et de demoiselle Catherine de Constance Bardou, de Lescar : il devint curé de Viven (1776-77 date de la démission) puis de Géronce (mention vers 1780). De même, Jean de Garos, archiprêtre de Boeil, est fils aîné de Maître Jean de Garos et de Jeanne de Lalonde31 ou encore Jean de Tarrible, membre de la congrégation des Prêtres de Betharram, curé de Sainte-Colome, démissionnant en 1686, en faveur de son neveu et économe de la communauté entre 1649 et 1652. Cet engagement religieux requiert de la part de ces nouveaux impétrants le renoncement à des fonctions temporelles, à leurs droits familiaux, à assumer leur place dans la famille au moment de la succession à leur père, le tout certifié par un acte notarié.
36Ainsi, les destinées individuelles de ces aspirants à l’état ecclésiastique s’allient obligatoirement avec les impératifs stratégiques familiaux de l’ostau pour favoriser les inclinations religieuses des cadets et cadettes. Pour les aînés en revanche, la situation s’avère plus délicate voire même conflictuelle avec la famille d’origine. Outre cette influence familiale - contre laquelle il est difficile de lutter car elle est revêtue du caractère officiel donné par les fors de Béarn qui révèlent la prégnance de la Maison – les familles interviennent à d’autres degrés dans le devenir voire la carrière de leurs parents.
Influence de la parenté familiale dans la carrière ecclésiastique
37La question de la légitimation a déjà était évoquée plus haut et nous ne ferons que référence à nos précédents propos tenus sur Jean Baptiste de Saint Pee qui semble l’exemple emblématique de l’action des familles en vue de l’accomplissement d’une carrière ecclésiastique par certains de leurs membres.
38Pour ce qui est des entrées en religion, de fortes nuances doivent être introduites en ce qui regarde les entrées forcées en religion pour servir tant l’Eglise séculière que régulière. Nos sources insistent davantage sur l’engagement, la vocation première des individus et non une inclination a posteriori : un bémol doit être introduit puisque l’essentiel de nos sources provient des institutions ecclésiastiques. Et nous savons que dans certains cas, l’entrée en religion pouvait permettre de trouver une fonction à un cadet ou une cadette.
39Si l’influence de la famille est délicate à mesurer, nous percevons en revanche plus aisément les relations et liens entre certains membres de cette famille, et notamment grâce au parrainage.
40A une plus modeste échelle, en Béarn pour la période moderne, ce système s’avère courant entre parrain et filleul, entre oncle et neveu. L’influence se perçoit dans le choix du prénom très souvent, dans l’aide éventuelle pour entrée dans l’Eglise (constitution de patrimoine), dans la transmission des bénéfices suite à la démission en faveur d’un membre de sa famille plus jeune.
41Ainsi, la famille de Batz – ou Bats selon les sources – illustre ces relations entre génération au sein d’une même famille. Clément de Batz, docteur en théologie, est archiprêtre de Mont et curé de Diusse : or son neveu, lui aussi portant le prénom de Clément, devint archiprêtre de Mont entre 1683 et 1712, donc probablement son successeur. Il serait également chanoine d’Oloron, œuvrant ainsi et dans le diocèse d’Oloron et dans celui de Lescar ! Jean François, frère du premier Clément de Batz, devint curé de Mascaras (mention en 1696 et 1723) : or son grand-père, le père de Marguerite de Lalanne sa mère, est abbé de Mascaraas et sieur de Diusse. Nous retrouvons ainsi tant pour Jean-François que pour Clément l’influence du patronage laïque. Un de leurs neveux se prénommant Jean exerce lui aussi la charge curiale de Mascaraas entre 1726 et 1763 comme successeur de son oncle.
42Bien évidemment, dans cette possible stratégie familiale il faut des éléments, des conditions d’épanouissement et en ce cadre religieux, les patrons et abbé laïcs ont une très grande importance et permettent l’accomplissement des desseins familiaux pour partie en vue du choix du candidat opportun car connu, ce que semble décrire Jean-Pierre Chaline. Ceci se mesure tant pour la présentation aux bénéfices cures qu’aux archiprêtrés, sans parler des nominations aux prébendes – là où le phénomène est le plus banal : choisir un prébendier dans la famille du fondateur !
43Tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, ces présentations, que nous pourrions qualifier de parfaitement opportunes, assurent le maintien d’une influence familiale dans le domaine spirituel là où en plus, le pouvoir seigneurial temporel est exercé par d’autres membres de la même famille. Le contrôle familial sur la paroisse est ainsi complet.
44Ce sont les paroisses de Cette et Eygun (famille d’Abbadie), de Lasseube (famille de Casaux), de Précilhon (famille de Casaucau), de Monein (famille de Gassion) et de Préchacq Josbaig (famille d’Oroignen) qui nous montrent la permanence de ces pratiques dans le cas de bénéfices curiaux ; et Anoye (famille d’Astis) pour la charge d’archiprêtre. En 1620, Guillaume Casaucau nomme Thomas à la cure de Précilhon ; en 1674, Jacques d’Oroignen, conseiller au parlement de Navarre, nomme son frère François curé de Préchacq-en-Josbaig. A Anoye, siège d’un archiprêtré, durant près d’un siècle, les membres de la famille d’Astis se succèdent : Jean vers 1642, Jean-François jusque 1691, Joseph en 1697 puis Jean Baptiste vers 1717.
45Ces relations facilitent, comme nous pouvions le penser, la stabilité dans les fonctions assumées pendant plusieurs années voire décennies dans la même paroisse, et l’accomplissement de véritables carrières, quel que soit l’échelon de la hiérarchie occupée par le clerc.
46Le népotisme épiscopal à la tête de l’évêché de Lescar, comme de celui d’Oloron, relève d’un cas très répandu et longuement analysé par Michel Peronnet dans sa thèse. Ces pratiques sont celles des évêques d’Oloron les Maytie entre 1597-1661 et les Revol32 de 1705 à 1783 pour le diocèse d’Oloron, des Salettes pour le diocèse de Lescar au XVIIe siècle.
47Parmi les cures, on retrouve la convergence du patronage, des résignations « ad favorem » pour le maintien d’une même charge ecclésiastique au sein d’une même famille de génération en génération. Le bénéfice curial d’Ance aux mains de la famille d’Ambille-Casamajor avec comme patrons Jeanne d’Ambille et son mari Bernard de Casamajor en 1614 ou Marie Tombourre veuve de Bernard d’Ambille en 1656 et 1674, et comme curés Jean de Casamajor (1674-1711), Bernard d’Ambille (1711-1749) et Thomas d’Ambille (1745-1792). A Gan, la famille Tristan ou plutôt les trois frères33 se partagent le bénéfice34 de génération en génération avec Henri de Tristan en 1685-172135 – curé également de Laruns en 1675 et de Nay jusque 1698 –, Arnaud de Tristan36 mentionné en 1721-1722 – aussi curé d’Asson 1710-1749 –, Daniel de Tristan 172237.
48Bien sûr, en ce domaine religieux, à propos d’un « Etat » qui, de calviniste redevient catholique, les interventions de la vicomtesse puis du roi de France sont décisives à plusieurs égards. Mais surtout à l’issue de cette brève étude, parce que nos recherches doctorales sont toujours en cours, il s’avère que la prégnance de la famille, de l’ostau béarnaise s’avère ici forte ; toute la stratégie collective de la famille devant tendre à sa préservation et sa pérennité, réservant par là-même, une place singulière aux ecclésiastiques.
49Toutefois, les individus parviennent à choisir de suivre leur inclination religieuse, surtout les cadets et cadettes, parfois les aîné(e) s avec quelques grincements et conflits… tout en continuant de bénéficier de l’appui familial, des oncles et tantes déjà entrés en religion, des parents pour les dotations et constitutions de patrimoine, pour la carrière au sein de l’Eglise par le biais des patronages et de la « résignatio in favorem ».
50L’ensemble de ces pratiques et les relations, parfois complexes entre familles et choix religieux, sur deux ou trois générations, aboutissent à la formation de dynasties ecclésiastiques, à la tête de cures béarnaises, d’archiprêtrés, d’évêchés, dynasties constituant un reflet des dynasties laïques issues des mêmes familles et jouissant de pouvoirs importants à l’échelle de la paroisse, à l’échelle du Béarn, le tout contribuant au renforcement de l’ostau d’origine.
Notes de bas de page
1 Duhamelle (Christophe), La Noblesse d’Eglise. Famille et pouvoir dans la chevalerie immédiate rhénane XVIIe-XVIIIe siècles, Thèse d’Etat Nouveau Doctorat Université de Paris I, Paris, 1994.
2 Dutrieux (Jean-Jacques), Les chanoines de l’Eglise de Chartres. Etude prosopographique d’un groupe social (XIIIe-XVIe siècles), Thèse d’Etat Nouveau Doctorat Université de Tours, Tours, 1995.
3 Peronnet (Michel), Les évêques de l’Ancienne France, Thèse, Lille, Atelier de reproduction des thèses de l’Université de Lille III, 1977, 2 vols.
4 Cette autre acception de famille au sens de famille ecclésiastique d’adoption nous conduirait à évoquer une famille bien particulière que le clerc se constitue au séminaire ou à la faculté de théologie, puis avec la création d’un réseau relationnel au fur et à mesure des années et des charges assumées.
5 A cette date néanmoins, le sacre a perdu de l’importance face à la règle de succession imposée par la loi salique.
6 La ville de Reims étant encore à cette date aux mains des ligueurs.
7 Voir : Babelon (Jean-Pierre), Henri IV, Paris, Fayard, 1982, p. 581.
8 La reine Jeanne III d’Albret en effet, convertie officiellement à la Noël 1560, a souhaité favoriser le développement de cette confession, en enjoignant à ces sujets de laisser les prédicants accomplir en paix leur tâche.
9 Vidal (J.M. Mgr.), Henri de Sponde (1568-1643), Collection Histoire des évêques de Pamiers, Castillon, 1929, p. 3.
10 Archives Départementales des Pyrénées-Atlantiques, 2J208.
11 Son père est en fait secrétaire du roi (AD 64, E1193) pour les années 1552-1554, président de la chambre des comptes en 1566 (AD 64, B 147) ; son frère, quant à lui, est lieutenant général au siège présidial de La Rochelle, maître des requêtes, donc plutôt enclin au calvinisme…
12 Labau (Denis), « Les barnabites à Lucq-de-Béarn », Extrait de la revue Pyrénées, 135, 1983, p. 227-228.
13 Dufau de Maluquer, op cit, t. 3, p. 413.
14 Archives Privées, Couvent des Ursulines de Pau : microfilm aux Archives Départementales des Pyrénées-Atlantiques, 1Mi194. Registre des vêtures et des délibérations de cette communauté.
15 Dans le registre de la communauté son œuvre est particulièrement soulignée. Elle meurt âgée de quatre-vingt ans, le 28 octobre 1764.
16 Nous souhaiterions compléter les éléments ténus fournis par Dufau de Maluquer, pour cette famille comme pour toutes celles que nous envisageons dans cet article.
17 A cette occasion ses parents versent une aumône de 2 500 livres, comprenant l’ameublement. Elle souffre d’un état maladif et de fait elle décède très jeune le 2 juillet 1712 à l’âge de 24 ans : elle était la dernière enfant de ce couple Day précédemment évoqué.
18 Remarquons dans les exemples fournis, la prégnance de la géographie du protestantisme béarnais, et notamment le triangle protestant Bellocq-Orthez-Salies (paroisses du diocèse de Dax), à l’ouest des évêchés de Lescar et d’Oloron.
19 Archives Privées, Couvent des Ursulines de Pau : microfilm aux Archives Départementales des Pyrénées-Atlantiques, 1 Mi 194. Registre des vêtures et des délibérations de la communauté paloise d’Ancien Régime.
20 Chaline (Jean-Pierre), « Structures de sociabilité et stratégies familiales », Aux sources de la puissance : sociabilité et parenté. Actes du colloque de Rouen 12-13 novembre 1987, Rouen, Publications de l’Université de Rouen-C.N.R.S., 1989, p. 128.
21 Implanté en Béarn, à Sainte-Marie, depuis 1635 et à Pau depuis 1675.
22 Implanté en Béarn à Sainte-Marie, dans les murs du séminaire qu’ils tiennent depuis un acte passé avec l’évêque en 1708.
23 Implanté en Béarn à travers les missions de Sainte-Marie en 1646, de Pau (collège royal) en 1622.
24 Article 2 dans la rubrique des testaments et successions, in : Desplat (Christian), Le for de Béarn d’Henri II d’Albret (1551) [Edition commentée], Pau, Marrimpouey, 1986. Ainsi dans le fors réformé de Béarn daté 1551 il est bien stipulé « les enfants d’un premier mariage, mâles et femelles, excluent de la succession ceux du second mariage, soit pour les terres nobles, soit pour les biens ruraux ; cependant le père pourra raisonnablement donner une légitime aux autres enfants, qu’ils soient du premier ou du second mariage, sous la forme de biens qui ne sont pas des acquêts ».
25 Archives Nationales, G 8 532, 1760. Pouillé du diocèse de Lescar.
26 Desplat (Christian), Le for de Béarn sous Henri II d’Albret (1551), Pau, Marrimpouey, 1986, p. 66.
27 La généalogie fournie par les Etudes Historiques et Religieuses du Diocèse de Bayonne serait quelque peu à revoir à la vue de nos sources : voir « Notes sur les avocats de Pau », Etudes Historiques et Religieuses du Diocèse de Bayonne, t. 9, 1900, p. 125-126.
28 Nous ignorons à ce jour le nom de sa femme.
29 Mort le 20 mars 1740 à environ 45 ans et enseveli dans le sanctuaire de son église.
30 Né à Auga 7 avril 1748, mort à Aren 28 décembre 1811.
31 Il signe les registres paroissiaux avec ce titre entre 8 février 1702 et le 14 mai 1723.
32 Voir : Castagnet (Véronique), Mgr Joseph de Revol (1705-1735), Mgr Jean-François de Montillet (1735-1742) et Mgr François de Revol, évêques d’Oloron au XVIII° siècle, Mémoire de maîtrise sous la direction de Christian Desplat, Université de Pau et des Pays de l’Adour, 1996, 2 vols., 254 et 216 p.
33 Il s’agit des fils de Pierre de Tristan Mistoy et de demoiselle Marie de Casaubon.
34 Pour indication, en 1760 d’après le pouillé du diocèse de Lescar, le bénéfice rapporte 1260 livres à son titulaire.
35 Mort le 1er juillet 1721 et inhumé dans la cathédrale de Montauban.
36 Mort le 26 novembre 1749 et inhumé à Asson.
37 Mort le 30 mars 1745 et inhumé le 31 dans l’église de Gan.
Auteur
-
Véronique Castagnet
Docteur en Histoire, Université de Pau et des Pays de l’Adour.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Mine claire
Des paysages, des techniques et des hommes. Les techniques de préparations des minerais de fer en Franche-Comté, 1500-1850
Hélène Morin-Hamon
2013
Études sur la sociabilité à Toulouse et dans le Midi toulousain de l’Ancien Régime à la Révolution
Michel Taillefer
2014
« Rapprocher l’école et la vie » ?
Une histoire des réformes de l’enseignement en Russie soviétique (1918-1964)
Laurent Coumel
2014
Les imprimeurs-libraires toulousains et leur production au XVIIIe siècle (1739-1788)
Claudine Adam
2015
Sedes Sapientiae
Vierges noires, culte marial et pèlerinages en France méridionale
Sophie Brouquet (dir.)
2016
Dissidences en Occident des débuts du christianisme au XXe siècle
Le religieux et le politique
Jean-Pierre Albert, Anne Brenon et Pilar Jiménez (dir.)
2015
Huit ans de République en Espagne
Entre réforme, guerre et révolution (1931-1939)
Jean-Pierre Almaric, Geneviève Dreyfus-Armand et Bruno Vargas (dir.)
2017